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L'ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE DE LA DYSLEXIE ET DE LA

DYSORTHOGRAPHIE

Pierre Vereecken

Presses Universitaires de France | « La psychiatrie de l'enfant »

2010/1 Vol. 53 | pages 211 à 254


ISSN 0079-726X
ISBN 9782130580119
DOI 10.3917/psye.531.0211
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Dyslexie
symbolisation
Déstructuration
Traumatisme précoce

L’Étude psychanaLytique
de La dysLeXie
et de La dysorthographie
Pierre VereecKen1
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L’ÉTUDe PsychAnALyTiqUe De LA DysLeXie
eT De LA DysORThOgRAPhie

Comme les conceptions organicistes et neuro-psysiologiques de la dys-


lexie sont très prépondérantes dans la plupart des pays, il reste important
que les psychanalystes continuent à montrer clairement la spécificité de
leur apport. L’analyse approfondie de deux cas montre sur le vif com-
ment certaines expériences pulsionnelles causent un trouble dyslexique.
La psychanalyse peut même montrer en certains cas que l’apparition d’un
fantasme inconscient cause immédiatement une libération prononcée de
la lecture ou une écriture sans erreurs. Bien que ce phénomène ne soit
qu’un premier pas pour arriver à une guérison plus complète, il illustre
de façon frappante l’impact du traitement psychanalytique sur ce genre
de problèmes.

The PsychOAnALyTicAL sTUDy OF DysLeXiA


AnD DysORThOgRAPhiA

Due to the fact that organ-based and neurophysiologically-based


conceptions of dyslexia are preponderant in most countries, it is impor-
tant for psychoanalysts to keep demonstrating, and clearly so, the spe-
cificity of their contribution. An in-depth analysis of two cases will show,
in a direct way, how certain drive experiences provoke a dyslexic trou-
ble. Psychoanalysis can even show, in some cases, that the appearance

1. Psychanalyste en pratique privée à Anvers. Membre de la société belge de


Psychanalyse. Ancien psychiatre d’enfants du centre pour enfants : « De berkjes »
à bruges-st. Michel.
Psychiatrie de l’enfant, Liii, 1, 2010, p. 211 à 254
212 Pierre Vereecken

of an unconscious fantasy can immediately cause a notable improve-


ment in reading ability or writing without mistakes. Even though this
phenomenon is only the first step toward achieving a complete cure,
it offers a striking illustration of the impact of psychoanalysis on such
problems.
Key words: Dyslexia – Symbolisation – Destructuration – Early
Traum.

esTUDiO PsicOAnALÍTicO De LA disLeXiA


y De LA DisORTOgRAFÍA

Como las concepciones organicistas y neuro-fisiológicas predominan


en la mayoría de los países, es importante que los psicoanalistas sigan
demostrando claramente la especificidad de su aporte. El análisis en pro-
fundidad de dos casos demuestra en vivo de que manera ciertas experien-
cias pulsionales provocan un trastorno disléxico. El psicoanálisis puede
demostran en algunos casos que la aparición de una fantasía inconsciente
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causa inmediatamente una liberación intensa de la lectura o de una escri-
tura sin errores. Este fenómeno no es sino el primer paso de la curación,
pero ilustra de manera llamativa el impacto del tratamiento psicoanalí-
tico este tipo de problema.
Palabras clave: Dislexia – Simbolización – Desestructuración – Trau-
matismo precoz.

L’étude de la dyslexie et des difficultés spécifiques de


l’apprentissage reste très importante sur le plan social, thé-
rapeutique et scientifique. Leur investigation dépasse les pro-
blèmes pratiques et donne des renseignements précieux sur
les grands problèmes de la vie mentale. elle permet d’exa-
miner en profondeur comment la lecture, l’orthographe, le
langage et les facultés mentales sont possibles, comment ils se
développent et ce qui entrave leur fonction.
Actuellement, on peut constater qu’en beaucoup de
pays, la grande majorité des spécialistes croient que les
causes fondamentales de ces troubles sont dues à des dys-
fonctionnements neuropsychologiques ou à des lésions de
certaines parties du cerveau. Le traitement est alors très
cognitif. On tient bien compte de la vie émotionnelle, mais
à un niveau assez limité : on essaie de soutenir l’enfant et
d’améliorer sa confiance en soi. La plupart d’eux croient
encore très peu à des processus émotionnels plus profonds
L’étude psychanalytique de la dyslexie 213

et, encore moins, à l’influence de fantasmes inconscients qui


bloqueraient les processus d’apprentissage ou les entrave-
raient sérieusement. il est donc nécessaire que les psycha-
nalystes d’enfant montrent clairement leurs découvertes en
ces domaines.

Les DiFFicULTÉs De benOÎT

Anamnèse
Le cas de benoît nous introduit d’emblée dans un des
grands problèmes de notre travail : chez beaucoup de dys-
lexiques, rien ne semble indiquer une étiologie psychogénéti-
que. On dirait au contraire que ce sont des enfants normaux,
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sans problèmes émotionnels. benoît aussi est un garçon intel-
ligent, sans difficultés caractérielles, bien adapté à l’école.
en apparence, il s’agit d’un cas classique : dyslexie et dysor-
thographie dans le cadre de difficultés du langage. La théra-
pie ne pose pas de problèmes : une rééducation spécialisée
est nécessaire. Or, les séances de rééducation qui ont été sui-
vies pendant quelques mois n’ont pu apporter qu’une petite
amélioration.
benoît a presque 8 ans quand il est amené en consultation
pour des difficultés de lecture et d’orthographe. il se com-
porte bien à l’école et à la maison. il est en seconde classe.
il aime aller à l’école et fait son possible, mais les difficultés
scolaires commencent à le décourager. il est le cadet de qua-
tre enfants d’une famille aisée, dans laquelle règne une assez
bonne atmosphère.
– Antécédents personnels
La naissance et la première année ont été quasi normales.
cependant, après avoir mangé, benoît vomissait toujours
un peu. entre l’âge de 1 et 3 ans, sa mère était nerveuse
et impulsive à cause de la maladie grave de sa sœur. elle a
remarqué le retard de parole mais, au début, elle ne s’en
préoccupait pas et était d’ailleurs plutôt contente que benoît
la laisse tranquille. il allait toujours chez le vieux jardinier
et, depuis ce moment, benoît a développé une passion pour le
214 Pierre Vereecken

jardinage, qui est resté son principal divertissement jusqu’à


maintenant. Après l’âge de 3 ans, sa mère a retrouvé son
équilibre et s’inquiétait du langage déficient de benoît. elle
voulait alors s’en occuper, elle lui racontait des contes, mais
benoît ne voulait pas l’écouter. Le langage est toujours resté
mauvais. Plusieurs personnes (surtout la mère) éprouvent
une gêne en parlant à benoît : la conversation ne « coule »
pas, et il est tendu. Le développement des autres fonctions a
été quasi normal. il est sociable et affectueux, mais un peu
infantile. il éprouve de grandes difficultés à l’école pour la
lecture et l’orthographe, mais il obtient des résultats nor-
maux pour les autres branches. il a 80 % des points pour le
calcul.
– Personnalité des parents
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La mère est très nerveuse, mais bien adaptée et heu-
reuse. elle a eu une mère « merveilleuse », mais celle-ci est
morte quand elle avait 5 ans. son père est mort quand elle
avait 11 ans. elle s’accrocha alors à sa sœur, qui est deve-
nue malade mentale et a dû être leucotomisée à l’époque de
la naissance de benoît. Pendant deux ans et demi, la mère
était très nerveuse et s’occupait beaucoup de sa sœur. elle
avait tendance à négliger benoît. quand il eut 3 ans, elle a pu
retrouver son équilibre. Le père est un homme d’affaires qui
réussit bien. il est assez effacé et, en beaucoup de choses, il
s’appuie sur sa femme. son frère parle mal et ne dit que des
phrases très simples.
– Examen psychiatrique
benoît est un garçon vif, qui a un bon contact. La struc-
ture de la personnalité est assez bien formée : il s’intéresse à
la réalité, il parle de ses camarades et de ses jeux. il exprime
des fantaisies anxieuses et très excitées à propos d’une
bataille entre les bons et les mauvais. Pendant ce récit, son
langage se désorganise fortement (voir plus loin : histoire
no 1). il s’agit d’un garçon labile à névrose hystérique débu-
tante : il rit souvent en développant ses fantaisies anxieu-
ses, il fait un peu le pitre. Aux tests de niveau, il obtient les
résultats suivants : Terman (Form L) : q.i. = 105 ; grace-
Arthur : q.i. = 113.
L’étude psychanalytique de la dyslexie 215

Le traitement psychanalytique
ce traitement a eu lieu quatre fois par semaine, puis trois
fois, puis deux fois, pendant presque quatre ans.
– Première période
Au début du traitement, benoît fait les jeux de son âge. il
déprécie souvent ses performances et dit qu’il est un garçon
bête. À d’autres moments, il essaie d’oublier son manque de
confiance en soi, et il se vante. Dans ses jeux, on voit une série
de fantaisies : chaperon Rouge est mangée par le loup, un
voleur prend tout, il fait même des vols chez le roi, après quoi
on le tue. Petit à petit, les fantaisies se développent et sont
caractérisées par une forte composante orale. il dessine assez
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souvent des jardins ou des paysages, il veut aller avec moi dans
le jardin (il répète l’expérience de ses trois premières années
pendant lesquelles il cherchait du réconfort, du calme et de
la sécurité chez le jardinier, pour se protéger contre la mère
trop nerveuse). Le jardin, toutefois, est dangereux aussi : il y
a de la dynamite dans les buissons. Les fantaisies deviennent
de plus en plus anxieuses. Parfois, elles restent bien struc-
turées et développent des thèmes spécifiques concernant la
sorcière ou le loup caché dans l’herbe. Assez souvent, les
fantaisies se déstructurent : tout est brûlé, des vents énormes
anéantissent tout. il essaie de construire des remparts, mais
ceux-ci ne résistent pas longtemps aux puissances destructi-
ves. il joue des batailles entre les bons et les mauvais : ceci
exprime la lutte entre les forces constructives en lui et les for-
ces destructives (voir histoire no 1). Petit à petit, les canons
commencent à brûler et tout s’effrite. On peut conclure que
benoît avait formé une structure caractérielle superficielle,
mais que le fond était très labile (comme c’est le cas chez tant
de dyslexiques !). chaque fois que les forces pulsionnelles se
manifestent, elles ne mènent à rien : benoît ne trouve pas de
zones stables en lui et tout est menacé de destruction.
– Deuxième période
Les thèmes anxieux concernant la mère prégénitale des-
tructrice (intériorisée) vont continuer pendant longtemps,
216 Pierre Vereecken

mais après six mois de traitement, benoît commence à trou-


ver des défenses plus fortes. il n’est plus impuissant devant
les dangers qui le menacent. il développe surtout une position
anale : il s’identifie à l’agresseur écrasant, il devient domi-
nateur lui-même, il veut m’obliger à faire toutes sortes de
choses, il me parle tout le temps, mais il ne supporte pas que
je parle moi-même (il ne se défend pas seulement contre les
interprétations, comme c’est fréquent chez les enfants, mais
il refuse même des conversations à propos de choses quoti-
diennes). Les problèmes envers la mère prégénitale intrusive
et destructrice sont fortement vécus dans le transfert : il res-
sent mes paroles comme dangereuses, comme une critique
ou une destruction de ses activités et, pour empêcher cela, il
veut continuellement avoir le dessus. Après un certain temps,
il est capable de m’expliquer qu’il se sent devenir anxieux et
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mal à l’aise quand on lui parle. Dans les jeux de fantaisie,
il se bat souvent et l’emporte contre des figures dangereu-
ses. il fait un grand nombre de guerres : par exemple, les
belges veulent vaincre les Russes et conquérir leur territoire
(voir histoire no 2). ces fantaisies semblent avoir plusieurs
fonctions : la défense anale (et phallique) contre le grand
personnage écrasant, une première expression de la scène
primitive et des fantaisies sexuelles (les belges emmènent
souvent des grains de légumes et des semences pour fertiliser
le sol de la Russie). il y a aussi une forte composante anal-
sadique : un personnage attaque l’autre, veut le conquérir
et l’écraser. On y trouve aussi l’indication de la croissance
des forces constructives du moi : il parvient à s’affirmer, à
maîtriser les dangers, à trouver une place dans le monde (les
belges construisent des villes et des usines dans les territoires
conquis). Pendant cette période, on voit une nette croissance
des fonctions du moi. Les fonctions de maîtrise se dévelop-
pent fortement : il fait des calendriers, dessine des schémas,
m’explique des événements de l’histoire (il maîtrise le temps
et la succession des événements). Flagey (2002) a donné une
belle description de la désorganisation de la pensée quand
l’enfant ne dispose pas de repères suffisants dans le temps
et l’espace. il dessine des arbres avec une belle verdure et
insiste fortement sur les racines (il exprime ainsi le dévelop-
pement de la vie en lui). seulement, les forces structurantes
L’étude psychanalytique de la dyslexie 217

sont encore faibles, les efforts constructifs échouent souvent


(voir histoire no 2) : les conquêtes sont vite enlevées, les scè-
nes de destruction réapparaissent. Les difficultés du langage
ne se sont pas encore améliorées.
– Troisième période
Après dix mois de traitement, les fantaisies phalliques-
œdipiennes commencent à apparaître. elles sont fortement
colorées par des composantes prégénitales : Jean prend le
saucisson que sa mère lui a donné, il attrape mal au ventre
et sent qu’il est empoisonné, le père est dévoré par un loup,
le roi se promène avec la princesse et quand Jean veut s’ap-
procher, un loup le tue. Les fantaisies phalliques-œdipiennes
mènent encore souvent à la destruction et la déstructuration.
six mois plus tard, les thèmes phalliques-œdipiens devien-
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nent plus nets, ils sont vécus avec des émotions joyeuses et
apparaissent dans le transfert. c’est pendant cette période
que nous constatons un phénomène très important : benoît
fait souvent des histoires très confuses et déstructurées, dans
un langage presque incompréhensible. Dès que l’affect phal-
lique-œdipien peut se frayer un chemin et établir une rela-
tion vivante avec moi, son langage s’améliore nettement.
Je vais donner des exemples concrets quand je décris
les facteurs qui déterminent la re-structuration du langage.
L’élaboration de l’œdipe reste difficile, et il retombe souvent
dans les régressions. ceci s’améliore après l’élaboration des
angoisses de castration et leur élaboration dans le transfert.
Après avoir parlé de ma femme ou après avoir dessiné un
portrait pour elle, il veut me tendre le bras et prétend que je
suis un assassin. il m’enlève mon fusil pour que je ne lui tire
pas dessus. il commence à manifester alors un certain intérêt
pour le pénis : un garçon a une cigarette dans son panta-
lon, alors le pantalon prend feu. entre-temps, son langage
s’est fortement amélioré : il fait souvent des histoires bien
construites, il étonne son entourage par l’enrichissement de
son vocabulaire avec des mots très compliqués. Après le trai-
tement, il est parvenu à suivre normalement en classe, et son
développement personnel est resté satisfaisant. Le traitement
pose évidemment beaucoup de problèmes. Le contact était
parfois très bon, mais parfois, il devenait trop superficiel. il
218 Pierre Vereecken

y avait un décalage entre le processus primaire et le proces-


sus secondaire. Le processus primaire se développait avec
une grande clarté, mais n’enrichissait pas suffisamment le
processus secondaire, la structure du moi et l’expérience du
contact.

Les difficultés du langage


Les conceptions d’Ajuriaguerra, borel-Maisonny et de
leur équipe (1955), que la dyslexie et la dysorthographie se
placent souvent dans un cadre de difficultés du langage, res-
tent toujours valables. ceci a été particulièrement clair chez
benoît.
certaines fonctions du langage ne sont pas perturbées et
sont normales pour son âge. benoît sait bien reproduire de
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mémoire certaines histoires ; il le fait avec des phrases nor-
males, mais assez simples. il est capable d’abstraction et de
raisonnement logique.
Articulation et examen orthophonique : l’articulation est
normale. il y a bien quelques difficultés pour les mots com-
pliqués dans lesquels plusieurs occlusives ou constrictives se
suivent. il n’y a pas de différence selon la catégorie de sons.
grammaire et syntaxe : il fait de nombreuses fautes
avec le genre des mots, la conjugaison des verbes et les mots
conjonctifs.
vocabulaire : il réussit au niveau de son âge au test de
Terman. il est clair cependant que son vocabulaire est très
pauvre. il change certains mots difficiles : au lieu de « moteur
à vapeur », il dit « moteur à buée ».
Mémoire pour les mots : il retient mal des mots nouveaux,
il retient très mal les noms propres.
Les aspects réceptifs du langage : il comprend bien tout
ce qu’on lui dit, il retient les histoires du Terman et les répète
bien, il sait même répéter les séries de chiffres.
– L’expression de la pensée
c’est surtout au niveau de l’expression de la pensée que
son trouble se situe. en général, benoît s’exprime mal. Les
phrases sont courtes et simples. quand elles sont plus lon-
gues, elles sont mal construites. il arrive cependant que les
L’étude psychanalytique de la dyslexie 219

phrases soient plus ou moins normales, mais on sent qu’il y a


quelque chose qui cloche. L’expression de la pensée n’est pas
devenue une fonction automatique, et il doit faire des efforts
continuels pour maîtriser le contenu et pour l’exprimer. ceci
vaut aussi bien pour le langage spontané que pour le lan-
gage plus dirigé, quand on lui demande d’expliquer quelque
chose. nous allons maintenant donner quelques exemples : il
s’agit de cinq histoires racontées spontanément. La difficulté
du langage est du même genre que celle de son langage habi-
tuel, mais dans ces histoires le trouble apparaît encore plus
clairement, et les causes sont plus facilement visibles.
Déjà à l’époque du premier examen psychiatrique, nous
avions trouvé un bon exemple. benoît dessine et raconte une
histoire (Histoire no 1). Le dessin est bien fait, et il explique
bien ce qui se passe : il s’agit d’une bataille entre les bons et
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les mauvais. il dessine des canons pour les deux camps, il
ajoute une série de maisons et une clinique pour les blessés.
Petit à petit, il s’excite : son langage se détériore et, en même
temps, il y a une régression importante dans la structure du
dessin. il travaille de plus en plus vite et les objets ne sont
plus qu’un gribouillis. Les maisons commencent à brûler, la
fumée s’échappe et recouvre une bonne partie du dessin. il
essaie de se protéger contre la dé-structuration : il dessine
un mur devant les canons, mais… le mur peut exploser. Le
mur consiste seulement en une série de traits difformes qui
sont barrés au moment de l’explosion. ses mouvements et le
débit de la parole perdent toute structure. La désorganisa-
tion submerge tout, le feu s’étend… maintenant les canons
brûlent aussi et explosent… À la fin, même les mauvais sont
brûlés par le feu. il fait alors un second dessin à propos de la
même histoire : il dessine très vite, il ne se contrôle pas, tou-
tes les lignes se recouvrent et ne sont plus qu’un gribouillis.
On ne parvient presque plus à suivre le fil de sa pensée : les
bons, les mauvais, les canons, les récipients d’eau, les explo-
sions, les punitions sont racontés pêle-mêle, et il n’achève
plus aucune phrase. il est clair que des émotions violentes
et sexualisées concernant la masturbation, la rivalité et les
craintes de punition sont en jeu et causent des régressions
anales et urétrales. cela pourrait arriver avec beaucoup de
garçons de son âge, mais ce qui est important ici, c’est que
220 Pierre Vereecken

ces fantaisies s’accompagnent d’une déstructuration impor-


tante du comportement, de la motricité et du langage.
nous avons eu de nombreuses occasions d’étudier son
langage pendant la psychanalyse. Les caractéristiques struc-
turelles de la désorganisation sont devenues de plus en plus
claires, et nous avons pu déterminer les causes qui déclen-
chent le processus.
Après un an de psychanalyse, les thèmes œdipiens et
phalliques apparaissent clairement. souvent, le jeu et l’ex-
pression du jeu dans le langage sont assez bien organisés,
mais ils se déstructurent à la fin du jeu ou à l’occasion de
la séance suivante. benoît n’est, en effet, pas encore capa-
ble d’une véritable affirmation de soi. il se sent encore très
faible et impuissant. Un exemple détaillé montrera cela clai-
rement (Histoire no 2) : il avait joué que les Russes étaient
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en guerre avec les belges… ceux-ci avaient gagné et avaient
occupé la Russie. Pendant cette séance, il était actif et fort,
il triomphait quand les belges l’emportaient. il continue ce
jeu pendant la séance suivante. On voit alors la dé-structu-
ration apparaître : le langage et les gestes se désorganisent.
L’atmosphère affective est d’ailleurs très différente : il se
sent faible, et il n’y a pas de sentiments joyeux ou forts. il
dessine l’armée belge qui attaque la Russie. il décrit les pré-
paratifs de guerre, il dessine des casemates.
« si nous mettons les casemates dans le sol, et ils faisaient le
sol. Russes attaqués par les belges et lux : Alors les Français…
Moscou. Alors sauce (il dessine un point sur la carte). Une gran-
delette ligne de béton. ces belges : si nous faisons une ligne ren-
versée. et là il y a un petit village encre et alors il faisait aussi
un grand ligne. c’était très importantement. et tout d’un coup il
voyait des belges. »1
Le texte normal serait : « Les Russes se disaient : ce serait une
bonne idée d’enfoncer les casemates dans le sol et ils creusaient le sol.
Les Russes sont attaqués par les belges et les Luxembourgeois. Alors
les Français aussi viennent aider. voilà Moscou (il dessine Moscou
sur la carte). voilà une autre ville : sauce. nous allons construire
une ligne de béton pour la protéger. Les belges se disent alors : nous

1. en flamand : « als wij die bunker maar in de grond zetten en hij deed de
grond. Russen aangevallen door belgen en Lux. Dan de Fransen… Mousk… Dan
sauce. een grotelijke lijn van beton. Die belgen als wij deden een omgekeerde lijn.
en daar was een klein dorpje in en dan deed hij ook een groot lijn. Dat was zeer
voornamelijk en ineens zag hij de belgen ».
L’étude psychanalytique de la dyslexie 221

faisons aussi une ligne de béton, opposée à celle des Russes. et là,
il y a encore un petit village encre, et alors ils construisaient aussi
une grande ligne de fortifications. c’était très important. Tout d’un
coup, les Russes voyaient les belges arriver. »
il dessine alors une série de lignes entre Anvers et Moscou, et il
y ajoute des petits ronds (ce n’est qu’à la fin de l’histoire que j’ap-
prends qu’il s’agit là de bateaux belges qui attaquent la Russie).
« bruxelles… Anvers… et il voyaient un millionet. Un bateau fran-
çais… et les sirènes commençaient… et ils commencaient belgique,
Luxenland. Aussi les sirènes de bombes… et ils voyaient dans l’air
plein de petits points. ils avaient jeté de plus en plus d’avions… ils
venaient de Moscou et la vlot presque disparue. »1
Le texte normal serait : « Un grand nombre de bateaux par-
taient de bruxelles, d’Anvers et aussi de la France pour attaquer
la Russie. Les Russes s’en apercevaient et envoyaient des avions.
Alors les sirènes avertissaient : attention aux bombes. Les officiers
belges regardaient avec leurs jumelles en l’air et ils voyaient que
l’air était plein de petits points : les avions, qui sont encore loin.
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Alors les avions russes avaient jeté de plus en plus de bombes sur
les bateaux belges. ces avions venaient de Moscou et la flotte belge
avait presque disparu. »

La description verbale de son récit ne donne qu’une


idée fort incomplète du trouble. nous décrirons plus loin les
changements dans la motricité de la bouche et de la figure et
la disparition du flux tonico-rythmique de la phrase.
– Analyse clinique des difficultés
il y a une grande difficulté d’organisation dans sa façon
de parler.
1/ il n’organise pas un tout cohérent. il ne mentionne pas
toute la structure des événements réels, qui serait nécessaire
pour que nous puissions comprendre.
2/ il ne place pas chaque fait dans un contexte temporo-
spatial et logique bien défini, de sorte que nous ne nous y
retrouvons plus : souvent, nous ne savons pas si l’action se
passe en Russie ou en belgique, si les bateaux appartien-
nent aux Russes ou aux belges, si les sirènes hurlent chez les
Russes ou en belgique.

1. en flamand : « brussel… Antwerpen… en hij zagen een milloente. een


Franse boot… en die sirenen begonnen… en dan beginnen zij belgie, Luxenland.
Ook de sirenen te bomme… en zij zagen in de lucht vol puntekes. Die hadden meer en
meer vliegtuigen gegooid, zij kwamen van Moskou en de vlot bijna verdwenen ».
222 Pierre Vereecken

3/ il y a une dé-différenciation massive.


– La phrase perd toute continuité et toute consistance.
Les phrases ne coulent plus spontanément. chaque phrase
est scindée en une série de points séparés qu’il ne parvient
presque pas à relier. cela ne ressort qu’incomplètement de la
description verbale de son récit. il s’agit surtout d’une façon
de parler que l’on peut difficilement décrire. il semble flotter
dans une masse indistincte, il ne peut même plus s’appuyer
sur les schèmes moteurs et rythmiques de la phrase. Le flux
tonico-rytmique, qui sous-tend le langage, s’est écroulé : il
n’y a plus rien qui progresse spontanément, il n’y a plus de
mots bien formés, d’accents bien placés, il n’y a plus de toni-
cité, tout est devenu déliquescent.
– cela vaut même pour les schèmes moteurs des mots. La
prononciation devient floue et inconsistante. Dans certains
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mots de plusieurs syllabes, la séparation entre les syllabes
tend à disparaître. il ne sait plus articuler son discours, il
ne sait plus faire une contraction musculaire bien détermi-
née et nette pour la première syllabe et la séparer du mou-
vement articulatoire pour la syllabe suivante. il s’agit ici de
la perte des fonctions de séparation et de discrimination, qui
sera décrite plus loin. Les images motrices de certains mots
se défont ou changent : « million » devient « millionet »,
« Moscou » devient « Mousk », « Luxembourg » devient
« Lux ». Plusieurs images motrices différentes sont fondues
en un mot nouveau : « Luxembourg » devient « Luxenland »
(fusion de Lux et de land). Dans la création de ces mots nou-
veaux, il ajoute des suffixes qui surviennent fréquemment
dans la langue normale : « important » devient « impor-
tantement », « million » devient « millionnet », « grande »
devient « grandelette ». il symbolise d’ailleurs ce processus
de dédifférenciation du langage en un fluide amorphe quand
il appelle certaines villes « sauce » ou « encre » (puisqu’il ne
parvient plus à retrouver le nom exact).
– Même les schèmes moteurs et les mouvements de la
bouche et de la figure se décomposent. On le voit faire plu-
sieurs contractions informes et mal coordonnées avant que
le son ne sorte. Parfois, il cède totalement à ces tendances
déstructurantes, et il ne dit plus que des sons inconsistants :
« eii »… « krr »… « klats »… « boum »… ces sons gardent
L’étude psychanalytique de la dyslexie 223

bien un certain sens, puisqu’ils expriment l’excitation de


la guerre, le bruit des canons et des avions. il est entraîné
par la propulsion motrice de la parole et de l’action, mais
comme il ne dispose plus de mots pour la remplir, il se
contente d’une vraie « salade » de sons. Tout ceci n’est pas
limité à la figure : il y a une agitation diffuse et incontrôlée
dans tout le corps.
– il ne mentionne pas qui fait l’action. Au début, il est
impossible de savoir à quel pays appartiennent les avions. il
parle même des sirènes (qui avertissent les belges que les avi-
ons russes vont venir) avant d’avoir mentionné des avions.
La structure syntactique de la phrase est en partie perdue.
souvent, la phrase ne consiste qu’en un seul mot : « Anvers ».
il oublie parfois le verbe. Parfois, le complément et le sujet
sont inversés : « Les bombes avaient jeté des avions ». il oublie
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souvent les prépositions : « ils retournaient le château ».
– il y a un agrammatisme important. il se trompe avec le
genre des mots (il dit : « un grand ligne »), il conjugue mal
les verbes.
– il ne parvient pas à exprimer les relations causales
et logiques qui existent entre les événements. il ne sait pas
exprimer l’enchaînement des faits et leurs transitions. il ne
sait pas se servir des mots conjonctifs (après, parce que)
pour relier les différentes parties de la phrase.
4/ Les fonctions de séparation et de discrimination tendent
à disparaître. ces fonctions sont d’une importance capitale
pour l’élaboration de chaque structure : en effet, les parties
doivent pouvoir être séparées du tout et atteindre un degré de
différenciation suffisant. nous avons déjà montré que dans
les mots de plusieurs syllabes, il ne parvient plus à séparer
les contractions musculaires pour les différentes syllabes. Le
même phénomène apparaît dans la structure générale de ses
récits. il ne distingue pas entre l’épisode des bateaux et l’épi-
sode des avions. Les deux situations s’interpénètrent.
Un récit raconté après un an d’analyse montre la même
difficulté (Histoire no 3) :
« godefroid de bouillon avait des soldats. Jusalem est pris par
les mauvais. (il dessine alors Jérusalem, la colline de golgotha et
un bâtiment que les musulmans y ont érigé). Le pape st. Pierre
224 Pierre Vereecken

allait dire partout : se battre… sur le derrière de Jésus enlever


cela… et st. Pierre ouvre le ciel. »
Le texte normal de la dernière phrase serait : « Le pape allait
prêcher partout : nous devons nous battre contre les musulmans.
nous devons enlever le bâtiment qu’ils ont construit sur la col-
line où Jésus est mort… alors st. Pierre nous ouvrira le ciel plus
tard ». il y a ici une fusion indistincte entre plusieurs situations,
qui normalement devraient rester séparées : le pape Urbain qui est
le successeur de st. Pierre et qui a ordonné la première croisade,
le moine Pierre l’ermite qui prêchait la croisade et st. Pierre qui
laisse entrer les morts au ciel.
Dans certaines histoires même les séparations temporel-
les et spatiales tendent à disparaître. Après vingt-et-un mois
d’analyse, il raconte le récit suivant (Histoire no 4) :
« c’est la guerre entre la belgique et la France. La belgique c’est
bellata. Regarde, bellata est devenue plus grande… st. Tropez,
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ça s’appelle maintenant st. Anne (une petite ville balnéaire près
d’Anvers.). napoléon l’a fait. La langue belge a disparu et c’est
maintenant le français… c’est devenu un hochepot. (il se rend
compte lui-même qu’il est en train de s’embrouiller et il exprime
ce sentiment). Maintenant les Francs sont venus avec clovis et tou-
tes les langues ensemble… un hochepot… a pa ta kon ta pa ta …
l’anglais, le français, l’allemand, le latin. et les Américains débar-
quaient. ils peuvent parler l’anglais ici, car ici c’est le nouveau
tunnel de sara pata (qui relie la France à l’Angleterre). ils font un
nouveau tunnel de Londres à sarapata. ici ils mettent une nouvelle
plaque 04 ca (il est alors très tendu pendant un moment, après
quoi il me demande le numéro de la plaque de ma voiture. Je le
lui dis. Après il me demande où j’habite. il se calme et il termine
son histoire, d’une façon beaucoup mieux structurée). Alors ils ont
réfléchi et ils ont divisé la terre en plusieurs morceaux : là on parle
le français, là on parle l’anglais et ici on parle le flamand. »
il est clair qu’il y a un centre d’intérêt qui sous-tend
toute l’histoire : il s’occupe de ses difficultés de langage et de
la place que chaque langue occupe dans le monde. Au début,
il ne parvient pas à s’orienter : toutes les langues fusionnent,
les séparations temporelles disparaissent, il raconte pêle-
mêle une série d’histoires qui ont eu lieu à des dates très
différentes, mais qui sont toutes reliées par le même centre
d’intérêt de l’origine du langage. Même les séparations spa-
tiales entre les pays tendent à s’évanouir : il n’y a plus de dif-
férence entre la France et la belgique, st. Tropez et st. Anne
(près d’Anvers) c’est la même chose.
L’étude psychanalytique de la dyslexie 225

5/ La tendance à la désorganisation de toute structure ne


reste pas confinée au domaine du langage, mais tend à se mani-
fester dans tous les contenus mentaux. ceci apparaît dans un
grand nombre de ses récits. surtout vers la fin de l’histoire, les
objets explosent ou sont mis à feu, même les personnes com-
mencent à brûler, des nuages de fumée s’échappent de partout,
les lignes de défense (qu’il a construites avec des blocs) tombent
en débris, ou il couvre tout le dessin avec un gribouillis informe.
c’est surtout en ces moments qu’il prononce des phrases dans
lesquelles il n’y a plus aucun objet, plus aucune personne, plus
aucune action. Par exemple, à un certain moment de l’histoire
de st. Tropez (où toutes les langues deviennent un hochepot) il
dit : « Ainsi c’était déjà venu pays, et ainsi c’était en quelque
sorte dehors »1. certains psychanalystes diraient que c’est en
rapport avec la destruction totale de ses objets intérieurs.
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6/ Le débit verbal ressemble à la logorrhée. Le flux de la
parole est comme un liquide amorphe, qui coule sans s’arrêter.
benoît va si vite, et il est tellement pris dans le feu de l’action
que tout élément ne parvient qu’à un début de structuration,
après quoi l’enfant est déjà entraîné vers l’impression sui-
vante. Un phénomène du même genre peut être constaté dans
le nombre des objets : il n’y a pas quelques objets bien précis,
mais ils tendent à se multiplier en une masse informe d’entités
mal individualisées. benoît ne dessine pas quelques bateaux,
mail il gribouille une série de petits ronds informes. Les avi-
ons aussi deviennent de plus en plus nombreux.
Les lecteurs auront certainement remarqué des ressem-
blances avec les symptômes qu’on rencontre dans les régres-
sions anales. il y a une perte de la forme bien définie. Les
mots et les phrases deviennent amorphes. Le tout devient une
pâte sans différenciations, coulant uniformément. il y a un
manque de contrôle. benoît ne sait plus « modeler » ce qui
sort de son esprit et de sa bouche. Delfosse (2006) a décrit un
cas de langage flou assez similaire chez un enfant plus jeune.
il est possible qu’à certains moments, les difficultés soient
encore plus profondes. il y a alors une tendance au morcel-
lement, à la destruction des objets intérieurs, qui est causée
par des angoisses orales très inquiétantes.

1. en flamand : « zo was al ‘t land gekomen, en zo was het nogal uit ».


226 Pierre Vereecken

– Les facteurs qui déterminent la dé-structuration


et la re-structuration du langage
1/ certains facteurs qui causent une détérioration du lan-
gage étaient déjà évidents dès les premiers examens : quand
benoît a peur de faire des erreurs dans les tests, son langage
devient très mauvais, et il parle beaucoup mieux quand il a
bien fait ou quand on l’encourage.
2/ Le contact aussi est d’une importance primordiale :
quand le contact est excellent, il s’exprime bien, mais dès
que le contact devient un peu tendu ou artificiel, le langage
se détériore fortement.
3/ Pendant l’apparition des histoires, j’ai tenté de faire
un commentaire psychanalytique. Parfois, je n’ai pas trouvé
la bonne méthode. il se sent alors sans soutien comme dans
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les premières années de sa vie, et il s’écroule.
4/ Le facteur principal est l’émergence de vécus pulsionnels,
qu’il n’a pas pu intégrer. quand benoît exprime les fantasmes
où les pulsions instinctuelles jouent un grand rôle et n’arrivent
pas à une solution satisfaisante, son langage se dé-structure.
nous avons décrit de nombreux exemples dans le traitement
psychanalytique. Pendant les premiers mois surtout, la fan-
taisie pulsionnelle mène à une situation dans laquelle il perd
tout point d’appui : très souvent, il se sent menacé par la mau-
vaise mère pré-génitale, et les défenses qu’il essaie d’installer
s’écroulent rapidement. Le même phénomène se manifeste
quand il aborde les thèmes phalliques-œdipiens : au début,
il ne trouve aucune issue, partout des dangers insurmonta-
bles lui barrent le chemin. il tombe alors dans des régressions
pré-génitales et ses récits se désorganisent. il arrive toutefois
qu’au cours du même jeu une amélioration du langage se fasse
sentir. À mesure que l’évolution intérieure progresse et que le
désir phallique-œdipien trouve une possibilité de relation avec
une personne du monde extérieur, nous voyons un net progrès
dans la structure du jeu et du langage.
quelques exemples montreront cela clairement.
nous rappelons d’abord l’histoire de la confusion des langues
avec st. Tropez, napoléon, les Francs et les Américains (Histoire
no 4). D’abord il y a une extrême confusion. À partir de l’épisode
L’étude psychanalytique de la dyslexie 227

des Américains, le langage se structure mieux, car la situation inté-


rieure commence à s’éclaircir et le problème œdipien est sur le
point de se manifester. en effet, il dit alors : « ici, ils mettent une
nouvelle plaque 04 ca ». il est alors très tendu pendant un moment,
après quoi il me demande le numéro de la plaque de ma voiture. Je
le lui dis. Après il me demande où j’habite et il dessine des lignes
vers ma maison. (ceci va d’ailleurs continuer les séances suivantes :
il me parle de ma femme, il fait un dessin que je dois faire admirer
par elle). il se calme et termine son histoire d’une façon beaucoup
mieux structurée. Le problème de la confusion des langues et des
territoires est d’ailleurs résolu : « Alors ils ont réfléchi et ils ont
divisé la terre en plusieurs morceaux : là on parle le français, là on
parle l’anglais et ici on parle le flamand ». On peut supposer que
le problème œdipien (la curiosité concernant ma femme et ma voi-
ture) couvait en lui depuis quelque temps, mais qu’il ne pouvait pas
l’assimiler et que cela causait une désorganisation de la structure
du jeu et du langage. cette confusion des langues et des territoires
n’est pas uniquement une désorganisation causée par l’angoisse,
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elle exprime en même temps une incertitude quant à sa place dans
la relation œdipienne : il se demande quel territoire est accordé à
lui dans la relation avec la femme, ce qui appartient au père, à la
mère et au garçon, et quelle langue ils doivent parler (c’est-à-dire
quelle est la fonction respective de chacun). Dès que l’affect œdi-
pien peut se frayer un chemin et s’installer dans son psychisme et
dans la relation réelle avec moi, la désorganisation cesse.
Le même phénomène peut être observé dans le récit de la guerre
entre les Russes et les belges (Histoire no 2). La partie du récit que
j’ai décrite est extrêmement confuse : il est beaucoup trop anxieux,
il ne trouve pas sa place dans la relation avec l’homme dangereux,
d’ailleurs la flotte belge est entièrement anéantie par les avions rus-
ses. il continue ce jeu pendant la séance suivante, mais maintenant
il s’organise beaucoup mieux. Des villes nouvelles sont installées,
des usines sont construites. certaines armes sont employées, qu’il
décrit minutieusement. il me montre comment cette arme pour-
rait m’atteindre au ventre : le problème de la rivalité œdipienne
trouve donc une place dans son psychisme et dans la relation avec
moi. il peut l’exprimer sans devenir extrêmement anxieux. il parle
maintenant plus lentement, il dessine beaucoup mieux, les détails
sont bien élaborés, les lignes sont bien droites et se terminent en un
endroit précis. il dessine des autoroutes qui relient les capitales :
par là, il exprime la possibilité d’une relation œdipienne. On ne
voit plus ces décharges brusques et incontrôlables dans lesquelles
tout sort en un seul jet : même les bombes n’explosent plus directe-
ment, il décrit des systèmes pour bien ajuster le tir des canons et la
direction des bombes. quand l’Angleterre est attaquée, il invente
une machine dont il décrit les caractéristiques techniques : ce n’est
plus une défense élémentaire provenant directement de la zone
pulsionnelle, mais elle est beaucoup mieux élaborée par le moi.
228 Pierre Vereecken

nous allons maintenant donner une idée plus précise des


changements dans son langage, quand il parvient à assimiler
les contenus phalliques-œdipiens.
– quand l’histoire des Russes et des belges évolue bien, il
commence à parler plus lentement. ce n’est plus le flux
incontrôlable et informe qui sort en un seul jet.
– il a plus le temps d’élaborer sa pensée. Les phrases sont
mieux construites. La phrase retrouve sa consistance et
sa structure tonicorythmique.
– quand il se rend compte qu’un mot n’est pas juste, il
cherche le bon mot. il a maintenant plus de maîtrise sur le
langage : ce n’est plus une excrétion difforme, sur laquelle
il n’a plus de prise dès qu’elle est sortie de sa bouche.
– quand il ne trouve pas le bon mot lui-même, il me le
demande. ceci est le début d’un processus important : il
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peut maintenant permettre l’intervention d’autrui dans
son langage.
– il commence à développer la compréhension intuitive et
le « sens de la langue » qui lui faisaient tellement défaut.
c’est au cours d’un épisode phallique-œdipien de ce
genre que benoît, pour la première fois, entend qu’une
phrase ne sonne pas bien et qu’il puise dans son propre
« sentiment de la langue » pour la corriger.
Deux ans et demi après le début de la psychanalyse, il écrit l’his-
toire suivante (Histoire no 5) : « a) il y avait une fois un chasseur,
qui partait à la chasse, mais il tirait toujours à côté. Un certain
jour, il voyait un garçon qui avait capturé un lièvre. Le chasseur
voulait absolument un lièvre pour montrer à sa femme qu’il savait
bien tirer. il achetait le lièvre pour 50 francs. (Jusqu’ici le langage
est bon). b) Alors il laissait pendre avec une corde. À dix pas tirait.
Première fois rien n’arrivait. seconde fois arrivait quelque chose
de drôle : au lieu de lièvre tirer était la corde cassée et le lièvre
était sauvé. » il est clair que la peur de castration joue un grand
rôle dans ce récit. À partir de l’épisode où le lièvre est en danger,
le langage se déstructure : benoît oublie les pronoms et les articles,
il oublie le complément (il ne mentionne pas qui est pendu avec la
corde), il conjugue mal les verbes et ne sépare pas certaines phra-
ses. À la fin de l’histoire la situation est sauvée, il est content et il
relit son histoire. il réfléchit et rit : « non… ici, ça ne colle pas ».
il corrige : « alors il suspendait le lièvre à une corde. À dix pas, il
tirait. La seconde fois quelque chose de drôle arrivait : le lièvre
n’était pas mort mais la corde, était cassée ».
L’étude psychanalytique de la dyslexie 229

– L’insuffisance des neutralisations et des sublimations


La faiblesse des neutralisations et des sublimations joue
un grand rôle dans les difficultés spécifiques de l’appren-
tissage. il n’y a pas une base solide qui soutient la fonction
mentale. Le langage de benoît est submergé par des énergies
instinctuelles non sublimées et subit le contrecoup de plu-
sieurs problèmes pulsionnels.
Pourquoi et en quelles conditions une fonction peut-elle
être submergée par des énergies instinctuelles ? chez benoît,
il y a une forte régression anale, mais pourquoi atteint-elle
son langage ? Pourquoi ne reste-t-elle pas limitée au plan des
fantaisies anales, comme cela est le cas chez beaucoup d’en-
fants qui ne présentent pas de difficultés du langage ? Tout
dépend de la stabilisation de la fonction, de la solidité avec
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laquelle elle a pu s’établir dans le moi. Le facteur le plus
important dans ce défaut de neutralisation réside dans le fait
que la fonction n’a pas été vécue dans une relation humaine
agréable. La période de formation du langage a été très péni-
ble pour benoît : il a été fort délaissé par sa mère. il n’a pas
pu vivre cette fonction dans un contact avec elle, il ne s’est
pas senti soutenu par elle. elle n’a pas favorisé ses premières
performances en ce domaine. il n’y a pas eu une introjec-
tion du bon objet, mais des fantasmes inquiétants du mau-
vais objet sont restés très fort ancrés en lui. Même pendant
le traitement, quand l’instituteur essayait de lui apprendre
un nouveau mot, il ne pouvait pas le ressentir comme quel-
que chose d’agréable qui venait en lui. souvent, il devenait
anxieux quand on lui parlait. il pouvait d’ailleurs exprimer
le sentiment que cela le rendait nerveux. ceci apparaissait
aussi dans ses fantasmes d’une mère menaçante, qui infli-
geait des punitions cruelles aux hommes ou se moquait d’eux
d’une façon très agaçante.
L’investissement de la fonction avec des énergies neutra-
lisées deviendra seulement stable et définitif après la liquida-
tion de l’œdipe, la formation du surmoi et des identifications
post-œdipiennes. Diatkine (1979) a souvent montré que la
fonction mentale ne peut être investie par des énergies subli-
mées stables, aussi longtemps qu’elle reste trop engagée dans
l’œdipe. Par exemple, la fillette qui vit un « œdipe réussi »
230 Pierre Vereecken

avec son père n’apprend pas à lire : elle est incapable de


prendre un certain recul devant le langage et de le considérer
comme sujet d’étude.
il n’est pas impossible que des facteurs génétiques ou des
dysfonctionnements du cerveau jouent un certain rôle. il ne
faut d’ailleurs pas opposer ces deux conceptions. quand il
y a un terrain neuropsychologique fragile, les mécanismes
psychogénétiques peuvent avoir une influence perturbatrice
encore plus grande.

Les difficultés de la lecture et de l’orthographe :


dyslexie et dysorthographie
Les causes sont les mêmes que pour les difficultés du lan-
gage. Les fonctions de la lecture et de l’orthographe subis-
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sent trop facilement la répercussion des conflits pulsionnels.
Lecture : très incorrecte et très lente. Pendant des années,
il confond m/n, v/w, h/k, et o/a. Le processus d’analyse/syn-
thèse est très lent, mais il trouve pratiquement tous les mots
du niveau de sa classe. quand il a trouvé certaines parties
du mot, il devine souvent le reste. Pendant des années, la
lecture reste très pénible et manque totalement de souplesse
et d’automatisation.
Orthographe : il oublie des parties des mots et des phra-
ses, il se trompe avec le genre des mots, les pronoms et les
adverbes. il oublie souvent la dernière partie du mot. il y a
une grande faiblesse des images auditives des mots : il ne se
rend souvent pas bien compte de la structure du mot qu’il
doit écrire. ceci est surtout le cas pour les mots difficiles qui
sont mal assimilés dans son vocabulaire : il oublie alors des
syllabes ou des consonnes, ou il remplace le mot par un syno-
nyme plus facile. Le symptôme de loin le plus frappant est
l’analyse auditive extrêmement difficile : il ne sait pas bien
analyser la structure du mot. quand une difficulté se pré-
sente, il ne s’arrête pas et ne réfléchit pas à la lettre qu’il doit
écrire, mais il continue impulsivement. quand il s’agit d’un
mot de trois syllabes, il n’essaie pas de trouver d’abord la
première syllabe, puis la deuxième et la troisième : il conti-
nue sans réfléchir.
L’étude psychanalytique de la dyslexie 231

– Interprétation de la dysorthographie
1/ Une grande partie des fautes est due à une insuffisance
de la perception auditive. ce n’est pas que benoît ne pour-
rait pas entendre ce qu’on lui dit, mais il n’a pas une attitude
favorable. Des facteurs inconscients l’empêchent d’écouter le
langage. il ne le laisse entrer qu’à moitié. La cause a déjà été
trouvée : il a de grandes peurs de se laisser approcher par la
parole. il la vit comme une substance dangereuse que la mau-
vaise mère pré-génitale voudrait faire entrer en lui. On voit
à son comportement combien il lui est pénible d’écouter ce
qu’on lui dicte. souvent, il fuit la situation passive, il passe
à l’attitude active : il joue l’instituteur qui commande à l’en-
fant d’écrire le mot et l’approuve ou le désapprouve par après.
quand on lui demande de bien écouter le mot, ou d’en nommer
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les syllabes, il s’échappe. Tout ceci est plus prononcé pour les
mots peu connus, puisqu’il se sent évidemment encore moins
à l’aise. Une fois qu’il a mal compris un mot, il est pratique-
ment impossible de lui faire changer l’image auditive de ce mot.
Par exemple, il écrit « de slag der spoorwegen » (la bataille des
chemins de fer) au lieu de « de slag der gulden sporen » (la
bataille des Éperons d’Or). comme il ne comprend pas bien le
mot « sporen », il le remplace par le mot « spoorwegen » (che-
mins de fer).
quand on lui fait répéter le mot exact, il s’en tient d’abord
à son propre schème verbal, et c’est avec une résistance pro-
noncée qu’il se corrige. quand on lui fait écrire le même mot
dix minutes après, il prononce d’abord le mot correctement
(mais en parlant à voix basse et hésitante)… puis il écrit et
retourne de façon décidée à son propre schème verbal. ceci
montre que le nouveau mot était bien compris et retenu, mais
qu’il n’était pas vraiment assimilé et accepté.
ce blocage de la perception auditive explique les fautes
suivantes : il oublie des parties de la phrase ou des mots, il
se trompe avec le genre des mots, il entend et écrit imparfai-
tement les mots compliqués (surtout ceux dont il n’a pas une
image auditive bien stabilisée, parce qu’il ne les a pas bien
écoutés dans le passé).
2/ Pour des raisons du même genre, l’analyse auditive
est encore plus troublée. L’analyse auditive volontaire est
232 Pierre Vereecken

surtout nécessaire au moment où on rencontre les mots dif-


ficiles, tels que « voiture », « dangereux », « entendre » : on
voit alors que l’enfant normal s’arrête un moment… il réflé-
chit… il garde le mot sous son emprise exactement à l’endroit
de la lettre ou de la syllabe difficile et ainsi il trouve la solu-
tion. benoît doit absolument éviter cela : il ne peut pas laisser
le mot entrer profondément en lui, il ne peut surtout pas le
garder en lui pendant un certain temps et l’étudier à son aise.
On voit cela clairement à son attitude : quand il rencontre un
mot difficile, il ne réfléchit pas, il ne s’arrête pas un seul ins-
tant, et il écrit le son qui lui tombe le premier sous la main. il
est d’ailleurs impossible de lui faire répéter le mot lentement,
de lui demander de diviser le mot en ses syllabes, d’épeler
le mot. Alors il devient nerveux, il fuit ou il se fâche. Après
2 ans de traitement, on voit parfois qu’il voudrait réfléchir
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un moment, mais il s’enfuit très vite. il est d’ailleurs très
frappant de constater que c’est après l’assimilation de cer-
tains facteurs œdipiens (par exemple dans les histoires 2, 3
et 5) qu’on voit apparaître pour la première fois la possibilité
de réfléchir lentement et calmement sur un mot. Alors, de
lui-même, il revient en arrière quand il pense avoir fait une
faute. (nous renvoyons ici au paragraphe concernant les fac-
teurs de dé-structuration et de re-structuration du langage).
nous retrouvons donc notre explication antérieure : la
fonction subit trop facilement la répercussion des conflits
pulsionnels. Le mot n’est pas suffisamment neutralisé.
Plusieurs attitudes du moi, qui dépendent de la sublimation
des énergies anales, sont impossibles : benoît ne sait pas
avoir la maîtrise et l’emprise sur le mot, l’écouter objective-
ment et l’analyser. Les peurs de morcellement interviennent
aussi dans la difficulté d’analyser le mot, d’en trouver les
syllabes ou les sons. ce garçon ne peut pas vivre ses fonc-
tions auditives et verbales dans une relation d’échange. il ne
peut rien prendre en lui, il ne peut pas permettre un échange
entre son image verbale et l’image verbale de l’adulte. il ne
peut pas avoir le sentiment que sa prononciation du mot sera
bien acceptée à l’intérieur de l’adulte, qui le lui rendra en
l’enrichissant.
Après quelques années de traitement, il écrit beaucoup
mieux. certaines dictées sont pratiquement normales,
L’étude psychanalytique de la dyslexie 233

jusqu’à ce qu’apparaisse un thème dangereux. comme sa


stabilisation sur le plan phallique-œdipien est encore très
précaire, un thème anxieux peut suffire pour le faire dégrin-
goler. quand il doit écrire : « de soldaten vertrekken naar
de oorlog » (les soldats partent à la guerre), il écrit : « de
soldaten veren naar de ooren ».
il y a évidemment encore d’autres facteurs. La blessure
narcissique joue un grand rôle. quand il écrit une faute, il ne
veut pas qu’on regarde sa feuille. quand il ne trouve pas l’or-
thographe d’un mot, il ne peut pas demander de l’aide. il ne
peut d’ailleurs pas concéder que quelque chose est difficile.
souvent, il veut cacher son humiliation narcissique derrière
un comportement hautain : quand il ne connaît pas un mot,
il commande alors à l’autre personne de l’écrire et lui dit de
façon condescendante : « oui, cela peut aller ». ce compor-
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tement est en rapport avec sa structure caractérielle anale :
comme il ne peut pas s’affirmer sur le plan phallique-œdi-
pien normal, il forme souvent des fantaisies de toute-puis-
sance dominatrice à nette composante anale, qui l’obligent
à nier que quelque chose pourrait être difficile pour un si
grand monsieur. Faire une faute équivaut alors à une grande
humiliation.
– Interprétation de la dyslexie
nous ne mentionnons ici que les principes parce que nous
pourrons donner une analyse plus claire et plus convaincante
dans notre description du cas de Marcel.
Le principe est le même que pour les difficultés du lan-
gage : il y a une tendance continuelle à la désorganisation,
le matériel perd sa forme. Dans la lecture du mot « mai-
son », chaque partie doit rester bien différenciée, la forme
de chaque lettre doit rester parfaitement claire et pouvoir
être reconnue à chaque instant. La suite temporo-spatiale
des lettres et des syllabes doit rester bien organisée et sou-
ple : à chaque moment, l’enfant doit pouvoir déplacer son
attention en avant et en arrière. il est évident que la lecture
deviendra très difficile si le matériel tend continuellement à
devenir diffus et informe.
La lecture nécessite une grande souplesse, un grand pou-
voir de relier les lettres et les syllabes et de procéder à des
234 Pierre Vereecken

transitions souples, pendant lesquelles les lettres se fondent


l’une dans l’autre (sans perdre leur forme et leur indépen-
dance). c’est ici surtout que nous voyons un trouble de base.
il y a un grand manque de souplesse, il n’y a pas de « cou-
rant vivant » dans lequel toutes les parties s’unifient. ceci
se retrouve dans toutes les phases du processus d’analyse/
synthèse : les lettres sont difficilement reliées l’une à l’autre,
la transition du schème visuel de la lettre au schème audi-
tivo-moteur ainsi que la transition du schème visuel du mot
global au schème auditivo-moteur ne se font pas souplement.
quand le mot est finalement trouvé, c’est souvent un schème
vide : benoît ne comprend pas ce dont il s’agit, parce que la
transition du schème linguistique à la chose vécue reste blo-
quée. il arrive aussi qu’il relie les lettres et prononce un mot,
mais qu’il ne se rende pas compte que ce mot correspond
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au mot connu : c’est que le mot lu (mai-s-on) est légèrement
différent du mot de son langage courant (maison). Un enfant
normal se rend directement compte de l’identité des deux
mots, parce que le mot lu est suffisamment fluide et souple
pour subir de légères modifications (« mai-s-on » est directe-
ment changé en « maison »).
Le processus d’analyse/synthèse est très handicapé par
les difficultés de maîtrise. nous avons déjà montré que les
énergies anales de maîtrise et de contrôle se sont insuffisam-
ment sublimées et mises au service du langage. chez benoît,
on a fortement l’impression que les lettres lui échappent
constamment (manque de contrôle) et qu’il doit à grande
peine les rassembler à nouveau. il ne parvient pas à maî-
triser la succession des lettres et des syllabes. il s’agit là
d’un type de structuration qui est particulièrement lié à une
bonne élaboration de la phase anale. il s’agit des structures
de sériation, de succession, de mise en ordre systématique :
plusieurs unités petites et équivalentes doivent être placées
dans une rangée. il peut s’agir d’unités de quantité (comme
dans le nombre et l’arithmétique), de temps (comme dans la
connaissance conceptuelle du temps) ou de lettres (comme
dans la lecture et l’orthographe).
L’étude psychanalytique de la dyslexie 235

Les DiFFicULTÉs De MARceL1

Anamnèse
chez Marcel aussi la dyslexie et la dysorthographie sont
en rapport avec les difficultés du langage. Les déficiences
dans la structure de sa personnalité sont plus étendues que
chez benoît.
Marcel a 6 ans et demi au moment de notre second exa-
men. il paraît normalement intelligent, mais il est totalement
incapable d’apprendre à lire et à écrire. Déjà quelques mois
auparavant, les parents l’avaient amené à la clinique pour
son encoprésie. il est le cadet de six garçons, avec lesquels il
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n’y pas de difficultés.
– Antécédents personnels
La grossesse et la naissance ont été normales, mais la
mère était très nerveuse à cause de difficultés avec ses beaux-
parents. Très tôt, Marcel a souffert de bronchopneumonies
et de diarrhée, de sorte qu’il a passé plus de trois mois en
clinique pendant la première année de sa vie. L’évolution
fonctionnelle a été pratiquement normale, mais assez lente.
il a parlé assez tard, mais les parents n’ont rien remarqué
d’anormal dans le développement de son langage. Depuis
toujours Marcel a été encoprétique : il salit sa culotte parfois
trois à cinq fois par jour, surtout après des disputes avec
sa mère. La relation avec la mère est troublée : il est sou-
vent en opposition, il se fâche très vite, il taquine, il n’est
pas affectueux envers elle. il s’est tourné vers son frère aîné,
avec lequel il veut dormir et auquel il demande de l’embras-
ser. À l’âge de 3 ans, il a fait un nouveau séjour en clinique
pour bronchopneumonie et à l’âge de 4 ans, il s’est cassé une
vertèbre cervicale, après quoi son cou a dû rester dans le
plâtre pendant deux mois. il s’est adapté normalement à la
garderie.

1. Travail du centre pour enfants « De berkjes » de bruges-st. Michel en col-


laboration avec Mr. W. smis, psychologue.
236 Pierre Vereecken

– Personnalité des parents


La mère est une femme grande et forte, qui domine son
mari et son ménage. elle a des capacités normales de contact
avec ses autres enfants. L’éducation est dirigée selon des
principes intelligents, mais assez stricts. elle est l’aînée
d’une famille heureuse de onze enfants, et elle a toujours eu
une grande affection pour son père, qui est un homme très
puissant. comme son mari est une personnalité plutôt faible,
elle cherche souvent des rapports avec des directeurs spi-
rituels ou d’autres hommes qu’elle admire. elle comprend
bien le sens du traitement et collabore de façon excellente.
Le père est un employé assez passif, qui se laisse dominer
par sa femme. il a tendance à s’enfuir de la maison, mais se
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comporte de façon intelligente et affectueuse envers ses fils et
avec Marcel. On ne note rien de spécial dans les antécédents
familiaux.

– Examen psychologique
À beaucoup d’égards, Marcel fait preuve d’un niveau
normal pour son âge. Les tests de maturité scolaire (strebel)
ne montrent pas de difficultés. Marcel sait bien réfléchir,
bien diriger sa pensée, se concentrer, et il est normalement
capable de faire une tâche. il montre un intérêt normal et
fait preuve d’une bonne collaboration. si, d’une part, il peut
être vif et savoureux, son comportement a souvent quelque
chose de rigide. il parle lentement, sa démarche est peu sou-
ple et peu énergique. Dans certaines fonctions, on remarque
un manque de mobilité et de transitions souples : tout paraît
rigidifié, comme c’est souvent le cas chez des enfants qui pré-
sentent des fixations anales ou qui sont encoprétiques.
Aux tests de niveau, il obtient les résultats suivants :
Terman (Form L) : q.i. = 100, on ne trouve pas de fonctions
spécialement perturbées (certaines difficultés du langage
seront décrites plus tard) ; grace-Arthur : q.i. = 106.
structuration temporo-spatiale : la connaissance verbale
du temps est très peu développée (test de gesell-Ames). La
structuration spatiale n’est pas mauvaise : les tests de la per-
ception visuelle fine donnent des résultats normaux. il sait
L’étude psychanalytique de la dyslexie 237

copier les dessins du niveau de son âge, mais il y a un grand


manque d’ordre et de précision. Les lignes ne sont pas droi-
tes, il dessine impulsivement. Le dessin de la maison perd sa
structure et devient un gribouillis assez informe où tout est
indiqué par des figures arrondies et mal formées. Parfois, on
voit une succession de petits ronds informes, qui font penser
à une série de petites masses fécales. souvent, il ne relie pas
les parties entre elles.
Latéralisation : il y a une grande confusion. il est sur-
tout gaucher, mais passe souvent de la main gauche à la main
droite. La dominance n’est pas mieux fixée pour les jambes
et pour les yeux.

– Examen psychiatrique
certaines structures de la personnalité sont normalement
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formées. Marcel a un bon contact, il collabore bien. il pré-
sente toutefois plusieurs traits psychiques qu’on retrouve
souvent chez les encoprétiques : il y a une nette prédomi-
nance des fantaisies anales, il y a une mauvaise relation avec
la mère. il dessine une sorcière et un garçon qui se sent triste
à la maison.

Le traitement psychanalytique (deux ou trois fois


par semaine)
– La première année du traitement
Pendant les premiers mois, Marcel joue de façon stéréo-
typée et peu affective (il aligne des maisons le long de la rue,
il fait rouler des trains). il y a une coloration anale très pro-
noncée dans les thèmes et dans la tonalité affective de ses
jeux. il n’exprime presque jamais de véritables sentiments,
il ne parle pas de ce qu’il a vécu dans le monde extérieur. La
réalité quotidienne semble très peu exister pour lui : on n’a
jamais l’impression que quelque chose l’a fortement frappé
ou intéressé. si de temps en temps il introduit quand même la
réalité de sa vie de tous les jours, c’est d’une façon très frag-
mentaire : ce sont des petites communications, peu investies
et peu liées entre elles. il semble vivre dans une sorte de
brouillard et seulement, de temps en temps, un morceau de
238 Pierre Vereecken

la réalité peut se manifester. cela se passe d’ailleurs d’une


façon très isolée (nous montrerons plus tard combien ceci est
capital pour la compréhension de sa dyslexie). Petit à petit,
il développe une vie fantasmatique assez riche. Au début, ce
sont surtout des fantaisies orales et anales : le garçon mange
des tartes, il en devient malade, la sorcière est jetée dans
un puits dans lequel il y a des araignées dangereuses, il met
les petites autos dans les grands camions et souvent les peti-
tes autos tombent du camion, le sorcier ensorcelle le petit
garçon, etc. La structure de ces récits est assez particulière.
comme nous le montrerons pour son langage, ses jeux de fan-
taisie consistent en des morceaux isolés entre lesquels il n’y a
pas de liaisons fluides. quand une phase du jeu est terminée,
on a souvent l’impression qu’il s’arrête et alors il commence
une nouvelle phase, qui n’est pas bien reliée à la précédente.
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il est souvent difficile de comprendre la structure du jeu :
tout est haché, isolé et rigide. « La sorcière… et il y a un
puits… jetée dedans… Le garde forestier… le garçon… et
les arbres… et il coupe les branches des arbres… et le garde
forestier le met en prison » (cette structuration disparate
est importante pour la compréhension de sa dyslexie). Au
début, il y a peu d’expériences agréables et vivantes dans ses
jeux : tout est destruction et danger. il s’agit surtout de fan-
taisies anxieuses à propos de la mère. Petit à petit, certaines
expériences plus positives apparaissent dans ses jeux, mais
d’abord dans une sphère impersonnelle : il met les petites
autos dans les grands camions, il dessine une série de petits
nuages qu’il relie avec des petits traits (un certain lien positif
entre les choses devient possible). ensuite, nous constatons
l’apparition d’un lien positif au père, mais dans un contexte
souvent homosexuel : le garçon dort avec le père, il est
malade mais le médecin vient le guérir. Marcel devient moins
impuissant devant les figures pré-génitales menaçantes : le
garçon devient plus fort, il se bat avec la sorcière ou avec le
chien qui veut le mordre.
– La seconde année du traitement
Les thèmes phalliques-œdipiens se manifestent. Au début,
la situation œdipienne est peu stable et donne souvent lieu à
des fantaisies inquiétantes : la reine dort avec le roi de la
L’étude psychanalytique de la dyslexie 239

mort, les personnages se tuent, il y a des punitions terribles.


Le père donne de l’eau aux fleurs, qui sont brûlées. il retombe
encore souvent dans des fantaisies pré-génitales. il y a peu
d’affect œdipien et peu de joie dans ses jeux. son apparence
extérieure et son comportement en classe ne se sont que peu
modifiés. il a peu d’intérêts, il sait difficilement s’amuser, il
vit assez fortement dans la fantaisie. Dans les récits qu’il fait
à son entourage, la distinction entre la réalité et l’imaginaire
est très insuffisante. il éprouve des difficultés énormes avec
la lecture et l’écriture. On lui permet d’écrire de sa main
gauche, mais alors il écrit de la main droite. quand on lui
permet d’écrire de la main droite, il passe souvent à la main
gauche. Le symptôme de l’encoprésie a disparu.
– La troisième année du traitement
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La situation œdipienne se développe. L’élaboration ima-
ginative est beaucoup plus différenciée, plus riche et plus
réelle. il connaît maintenant les joies et les émotions nor-
males de l’œdipe aussi bien dans ses fantaisies que dans ses
rapports humains quotidiens. À certains moments, il est
très gentil avec son institutrice, il lui exprime son affection
et son désir de l’embrasser. Pendant ces périodes, il tra-
vaille beaucoup mieux à l’école, il progresse dans la lecture,
l’écriture et le calcul, il fait son possible. Toute son appa-
rence extérieure est alors modifiée : on voit qu’il est content
et qu’il se sent vivant. Pendant le traitement, il élabore
toute la situation phallique-œdipienne : il décrit tout ce qui
se passe entre le roi, la reine, le prince et la princesse, entre
les parents et le garçon, il fait beaucoup de jeux dans la
chambre à coucher, il développe une curiosité sexuelle. il
parle aussi des accidents et des maladies qu’il a eus. il joue
souvent avec des revolvers : il s’entraîne avec le thérapeute
pour apprendre à bien tirer ou le thérapeute est un bandit
qu’il doit combattre. seulement, tout ce matériel n’appa-
raît encore que sporadiquement : dans son jeu, le matériel
œdipien est presque toujours suivi de régression pré-géni-
tales. il y a des rechutes fréquentes, pendant lesquelles ses
séances sont remplies de fantaisies très anales et monoto-
nes. il redevient alors un garçon morose, à la démarche
lente en traînante. il ressent très peu de vrais sentiments,
240 Pierre Vereecken

la réalité extérieure ne semble plus lui dire grand-chose.


Les difficultés de la lecture ré-apparaissent : il confond de
nouveau plusieurs lettres, il oublie beaucoup de mots, la
lecture de mots simples devient une tâche très laborieuse.
il présente alors une curieuse agitation motrice en classe :
quand il doit lire, il se tord de tous les côtés, il se gratte par-
tout. il devient paranoïde envers l’institutrice et l’accuse de
vouloir le dévorer ou le tuer.
Plus tard, les rechutes sont beaucoup moins fréquentes.
Le matériel phallique devient beaucoup plus important :
il dessine des animaux avec de longs cous, il joue souvent
au revolver, il se vante de sa force. il dessine des fusées qui
montent, après quoi il sent une démangeaison dans son pan-
talon. Les préoccupations concernant le pénis et les anxiétés
à propos de l’érection apparaissent. Dans le traitement, il
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devient beaucoup plus « réel » : il parle de ce qui se passe
dans sa vie quotidienne, et il se rend mieux compte de ses
problèmes. il développe un meilleur contact avec sa mère.
La lecture, l’orthographe et les prestations scolaires se sont
améliorées, mais les difficultés de l’apprentissage n’ont pas
été entièrement résolues.

Les difficultés dans l’expression de la pensée


Les difficultés du langage sont assez circonscrites. Les
tests verbaux donnent un résultat normal pour son âge : il
sait bien reproduire des histoires, il est capable d’abstrac-
tion et de raisonnement logique.
– L’expression de la pensée : description
Marcel s’exprime mal, même dans la conversation cou-
rante. ces difficultés se manifestent surtout quand il ne sait
pas se maintenir dans la sphère phallique-œdipienne : il
retombe alors dans les régressions pré-génitales et les problè-
mes de structuration de son moi. Pendant ces périodes, il est
parfois difficile de comprendre ce qu’il veut dire. il doit faire
beaucoup d’efforts : c’est comme s’il devait pousser les sons
hors de la bouche, et comme si cela sortait seulement avec
beaucoup de difficulté. il parle lentement et souvent l’ar-
ticulation est floue. Tout est rigide… cela ne « coule » pas.
L’étude psychanalytique de la dyslexie 241

quelques exemples vont nous permettre de saisir les caracté-


ristiques de ce trouble :
Le pédagogue demande à Marcel : « qu’est-ce que tu as fait
pendant les vacances ? » – « c’était gai… j’ai joué avec mes autos…
et l’étoile… euh… euh un masque… et il tapait avec son bâton sur
le chose… et c’était cassé. »1 Plus tard, on apprend qu’il avait joué
aux Trois Rois Mages avec ses deux frères. sa mère lui avait mis
un masque sur la figure et lui avait donné une « crosse ». Alors son
frère avait cassé une de ces « crosses ».
Au milieu d’une période régressive pendant la troisième année
du traitement, le pédagogue lui demande : « À quoi joues-tu dans le
groupe ? » (il est interne dans notre centre et vit avec deux éduca-
trices et huit enfants). « nous jouons sousmarin et… euh… euh…
et chez… (il n’en sort pas, fait des gestes)… et de son volant… Ainsi
nous nous tenons sur une branche et nous avons un tel train…
euh… par exemple… ou quelque chose d’autre… une telle bran-
che… et ces grands pneus… euh nous nous tenons sur une branche
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… et la fusée… pas tou-er (toucher)… exp-oser… et alors nous
euh… pouvons… bien fini est… nous allons par exemple… man-er
et tout. »2 en l’interrogeant, on peut se rendre compte qu’il a voulu
dire la chose suivante : « nous jouons au sous-marin et je peux
tenir le volant pour le conduire. Alors nous faisons autre chose :
nous avons des grands pneus, nous les faisons rouler et nous disons
que c’est un train. Parfois, nous nous asseyons sur une branche
d’un arbre (qui descend presque jusqu’au sol). quand on la lâche,
elle monte un peu et nous disons que c’est notre fusée. elle ne peut
pas nous toucher, parce qu’alors nous pourrions exploser. quand
le jeu est fini, nous pouvons aller manger. »

– Analyse clinique des difficultés


Les difficultés d’organisation dans sa façon de parler
sont similaires à celles que nous avons décrites chez benoît :
Marcel n’organise pas un tout cohérent. il ne mentionne
pas toute la structure du fait réel, qui est nécessaire pour
que nous puissions comprendre. Dans le jeu des Trois Rois
Mages, nous ne savons pas où cela se passe, quelles person-
nes étaient là, quel jeu il voulait faire. il ne mentionne pas les
relations causales et logiques qui existent entre les différentes

1. en flamand : « ‘t Was geestig… ik heb met mijn auto’s gespeeld… en de ster…


euh… euh… een masker… en hij sloeg met zijn stok op de ding… en het was kapot ».
2. en flamand : « We spelen duikboot… en… euh… euh… en bij… en van
zij stuur… Zo staan we ope en tak en we hebben zulk een trein… euh… bij voor-
beeld… of iets anders… Zulk een tak… en die grote banden we… euh… we staan
ope en tak… en de raket… niet aanra-en… en ontplo-en… en dan we euh… kun-
nen… wel gedaan is… we gaan… bij voorbeeld e-en en alles ».
242 Pierre Vereecken

parties. La structure syntaxique de la phrase est perdue ;


souvent, il ne conjugue pas les verbes. il y a une dé-différen-
tiation massive : la phrase perd sa structure et son schème
rythmique, certains mots perdent leur structure (« manger »
devient « man-er », « toucher » devient « tou-er »), les schè-
mes moteurs et les mouvements de la bouche et de la figure se
décomposent (contorsions bizarres, mal coordonnées).
il existe cependant des différences entre le langage des
deux garçons. chez Marcel, la « dé-structuration » va moins
loin, le mot est moins décomposé et sa difficulté va plutôt dans
un autre sens : au lieu d’une trop grande liquéfaction, il y a
une trop grande rigidité. il parle de façon très morcelée…
« par petits morceaux ». il y a un grand manque de conti-
nuité. quand il a dit une partie de la phrase, il ne sait plus
où il est, et il doit produire un effort pour trouver la partie
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suivante. nous rencontrons ici un phénomène très important
que nous appellerons : « tomber dans un trou ». cela veut
dire qu’après avoir dit une partie de sa pensée, Marcel sem-
ble tomber dans une sorte de trou où il n’y a plus rien. il est
dans le vague et c’est seulement après de grands efforts qu’il
peut en sortir et trouver de nouveau quelque chose. il s’agit
d’un morcellement et d’un manque de continuité, non seule-
ment dans le domaine du langage, mais aussi dans le champ
de conscience. celui-ci n’est pas un tout unifié dans lequel
tous les événements s’enchaînent. chaque idée est vécue iso-
lément et la transition à l’idée suivante ne vient pas spon-
tanément. ceci explique en partie la lenteur de sa parole,
la sensation d’effort et l’impression qu’il doit « pousser ».
il procède à toutes sortes d’artifices pour remplir les trous :
il fait des gestes, il emploie des mots de remplissage comme
« par exemple », « euh », « chose ». quand on lui demande à
quoi il va jouer pendant les vacances, il dit : « moi… euh…
à la maison des autos… et je vais écrire les autos… et je vais
écrire la terrasse. chose… ainsi toujours… euh… toujours
ça ». il veut dire qu’il va jouer avec ses autos sur la terrasse,
mais comme il ne trouve pas la phrase appropriée, il emploie
une nouvelle fois l’expression : je vais écrire1.

1. en flamand : « ik… euh… thuis autos… en ik ga de terrasse schrijven… zo


ding… zo altijd… euh… altijd dat ».
L’étude psychanalytique de la dyslexie 243

nous voyons des phénomènes analogues quand il doit


donner une réponse qui nécessite l’activation d’un champ
de conscience assez étendu. quand on lui demande ce qu’il a
fait hier à la maison, il est souvent dans une espèce de trou :
il doit faire de grands efforts pour se souvenir de quelque
chose, et il oublie des événements importants. c’est seule-
ment un morceau isolé qui apparaît : il lui est impossible de
réactiver toute la situation. La même chose vaut pour son
orientation dans le temps : quand on lui demande quand il
rentrera à la maison (il rentre l’après-midi même), il semble
ne rien trouver. quand on lui demande si c’est le matin ou
l’après-midi, on a l’impression qu’il reste dans le vague et
qu’il ne parvient pas à devenir conscient du cadre temporel
dans sa totalité.
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– Interprétation des difficultés du langage
Le langage n’est pas une communication vivante de sa
pensée à une autre personne. Pendant le traitement, nous
avons pu nous rendre compte à maintes reprises que Marcel
sait beaucoup mieux parler, lire et écrire quand il parvient
à vivre les expériences phalliques-œdipiennes. Dès que ces
sentiments disparaissent, il retombe dans un comportement
inerte et lent. il produit alors beaucoup de fantaisies orales
et anales dans le traitement.
comme chez benoît, la régression ne se fait pas unique-
ment sur le plan fantasmatique : elle se manifeste aussi dans
le langage. Les mots, les schèmes d’expression verbale ne lui
viennent pas spontanément, et il ne parvient pas à les faire
sortir normalement (rétention anale). il doit « pousser »
comme quelqu’un qui ne sait pas bien aller à la selle ! il
« pousse » parce qu’il doit vaincre une tendance inconsciente
à retenir les mots. nous montrerons plus loin que la véritable
relation avec les personnes a disparu et qu’il se replie donc
sur l’objet partiel anal (les excréments, les mots) : il ne peut
pas se permettre alors de « lâcher » la seule possession qui lui
reste encore. Tout le langage est submergé par des énergies
anales non sublimées, et le flux verbal devient informe. il y a
des isolations très fortes (ce mécanisme de défense se trouve
fréquemment dans les fixations orales et anales) : les parties
du récit ne sont pas reliées entre elles, elles sont comme des
244 Pierre Vereecken

petites boules d’excréments qui restent isolées (des objets


partiels du stade anal).
nous avons longuement décrit chez benoît quels facteurs
déterminent l’atteinte du langage par les énergies anales non
sublimées. chez Marcel, nous retrouvons les mêmes difficultés
de sublimation et le manque de structuration du moi. en pre-
mier lieu, nous constatons que son langage n’a pas été investi
d’énergies sublimées parce qu’il n’a pas été vécu dans une
bonne relation humaine. Marcel ne vit pas le langage comme
une expérience commune, comme un échange continuel et
bienfaisant avec l’autre. Les mécanismes de sublimation sont
d’ailleurs très troublés chez les enfants encoprétiques, qui
se concentrent tellement sur leurs excréments. en second
lieu, nous retrouvons chez Marcel des insuffisances dans la
structuration du moi : le morcellement et le phénomène de
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« tomber dans le trou » en sont deux aspects (nous les expli-
querons dans le paragraphe suivant).

Les difficultés de la lecture


Au moment de l’examen, fait à 6 ans et demi, et pendant
toute la première année du traitement, il y a une incapa-
cité presque totale à lire et à écrire. il ne sait pas retenir les
images globales des mots. il échoue dans un test très sim-
ple, que les enfants normaux savent faire dès l’âge de 5 ans :
on montre trois images concrètes (soleil – arbre – couteau),
on ajoute à chaque image le schème verbal consistant en un
mot de trois lettres (les mots flamands : zon – boom – mes),
on exerce l’enfant à nommer les trois objets, puis on enlève
l’image concrète et l’enfant doit reconnaître le schème verbal
sans l’aide de l’image concrète. Marcel continue à faire des
confusions, même si on fait le test avec deux mots seulement
(« zon » et « boom » : soleil et arbre). ceci est très étonnant
puisqu’il collabore bien, il s’intéresse et réussit bien dans les
tests de discrimination visuelle fine. Petit à petit, il apprend
à reconnaître quelques images globales de mots dans son
livre de lecture, il apprend quelques lettres, mais les confond
fréquemment. Le processus d’analyse/synthèse reste très
difficile pendant deux années. quand il a un bon contact
et quand il sait bien aborder le matériel phallique-œdipien
L’étude psychanalytique de la dyslexie 245

dans le traitement, la lecture et l’orthographe s’améliorent,


mais toutes les difficultés réapparaissent dès qu’il retombe
dans les régressions prégénitales.
nous pourrons donner une bonne idée des difficultés en
décrivant une séance-type de la lecture, qui s’est reproduite
un grand nombre de fois entre les deuxième et quatrième
années du traitement. nous montrerons surtout le phéno-
mène très important de « tomber dans le trou ».
Marcel lit avec le pédagogue, il lit bien les trois premiers
mots… alors, il commence à s’agiter, il doit faire beaucoup d’ef-
fort… chaque lettre semble un obstacle insurmontable. quand
il a lu la première phrase avec beaucoup de difficulté, le péda-
gogue lui demande de la répéter : il n’a rien retenu, il doit faire
autant d’effort pour retrouver le mot. il est maintenant incapable
de reconnaître des lettres, qu’il avait immédiatement reconnues
à la première lecture. ceci correspond à son comportement en
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classe : il lit seulement avec de grands efforts, les exercices répé-
tés ne l’aident pas, mais l’embrouillent davantage et créent un
grand sentiment de malaise. il ne se tient plus droit sur sa chaise,
il s’affaisse ou se tord en toutes sortes d’attitudes étranges, il a
perdu toute notion d’une position confortable dans laquelle il
puisse se stabiliser, il se gratte parfois violemment ou se tape la
tête avec les poings (dissolution du schéma corporel et tentatives
primitives pour le réinvestir). il ne montre cependant pas d’op-
position. son esprit ne semble vraiment pas avancer, la moindre
prise de conscience est très difficile. il semble vivre dans une sorte
de brouillard. La reconnaissance d’une seule lettre semble être un
très long processus : très lentement quelque chose semble s’éclair-
cir en sa conscience, et il trouve le chemin jusqu’au schème mémo-
risé de cette lettre… après cela, il retombe immédiatement dans la
même torpeur d’esprit. il doit même faire un effort pour passer
à la lettre suivante. L’activité de la conscience, qui reconnaît les
lettres, ne continue pas mais est, à chaque moment, interrompue.
Après chaque moment de conscience, il tombe dans un état pen-
dant lequel il n’est plus conscient de rien. nous rencontrons ici
un phénomène très important, que nous appelons : « tomber dans
un trou ». c’est seulement avec de grands efforts qu’il peut sortir
de ce trou et retrouver un contenu mental… il cherche la lettre
suivante et la trouve selon le même processus. cette seconde lettre
est évidemment isolée, et c’est dans un second temps également très
difficile qu’il doit la relier à la lettre précédente. Le même phé-
nomène est très évident dans la dictée : Marcel doit écrire le mot
« kat » (chat). il l’a déjà écrit il y a quelques minutes mais cela ne
semble pas l’aider. il réfléchit avec beaucoup d’effort… enfin il a
trouvé ce qu’il cherche et il prononce plusieurs fois la première
lettre : k… k… k… nous constatons donc combien il lui est difficile
246 Pierre Vereecken

de trouver même la première lettre : très lentement elle devient


consciente, mais elle n’est qu’à demi consciente et il doit la répéter
pour qu’elle se stabilise. cette lettre « k » tend à chaque moment
à retomber dans le néant, et il doit la répéter pour bien la tenir en
main. elle est aussi complètement isolée du reste : son esprit est
tellement occupé avec le schème auditivo-moteur de la lettre, qu’il
ne se rend plus compte du mot auquel elle appartient. ensuite, il
veut écrire la lettre « k », mais il ne parvient pas à franchir ce pas.
il essaie de repêcher dans son esprit le schème visuel de la lettre
pour l’écrire… il doit de nouveau parcourir un long chemin avant
de le trouver… mais entre-temps, il doit faire des efforts pour ne
pas oublier le schème auditivo-moteur de cette lettre ! Après avoir
écrit « k », il tombe de nouveau dans un trou, où il n’y a rien. il ne
sait même plus ce qu’il cherche et le pédagogue doit lui répéter le
mot « kat ». ceci l’aide à se rendre compte qu’il doit maintenant
chercher la lettre « a ». nous pouvons conclure qu’il « tombe dans
le trou » à cause du morcellement psychique et de la perte de conti-
nuité du champ de la conscience.
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comment interpréter ces symptômes ? nous retrouvons
notre théorie générale : les fonctions de la lecture subissent
le contrecoup des conflits pulsionnels. Deux circonstances
rendent ces fonctions spécialement vulnérables : les défauts
de sublimation et la mauvaise structuration du moi.

– La répercussion des conflits pulsionnels


sur la lecture
1/ Difficultés de structuration et régression anale
La lecture nécessite une structuration fine : l’enfant doit
pouvoir reconnaître les lettres, les relier souplement et rapi-
dement. Or, nous avons déjà montré que des structurations
fines ne peuvent plus avoir lieu dans un domaine qui est
envahi par des énergies anales non sublimées (ce qui est le
cas chez les enfants encoprétiques). nous allons maintenant
décrire cela de façon plus spécifique pour le processus de
structuration dans la lecture.
– Les parties perdent leur forme et ressemblent à une série
de boules indifférenciées (souvent, il dessine des rangées
de petites boules ou de nuages, qui ressemblent à des peti-
tes boules d’excréments). Marcel est incapable de former
une structure, dans laquelle chaque partie est finement
élaborée. ceci vaut même pour les dessins et les récits.
L’étude psychanalytique de la dyslexie 247

c’est évidemment encore plus prononcé pour les petites


structures des lettres.
– Les fonctions de séparation et de discrimination tendent
à disparaître. il voit sans doute les lettres comme une suc-
cession de petits traits ou de petits ronds entre lesquels il
n’y a plus de différence.
– Les parties n’entretiennent pas de rapports avec le tout.
Dans ses dessins d’une maison, d’un arbre ou d’une per-
sonne, on voit souvent un contour au milieu duquel il a
placé quelques ronds (les fruits ou les branches de l’ar-
bre, les parties du visage ou les fenêtres de la maison).
ceci fait fortement penser à une représentation de l’in-
testin contenant des boules d’excréments. On pourrait
d’ailleurs dire que tout son monde mental est devenu
« fécalisé » : tout est vécu sous le mode d’un grand conte-
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nant (l’intestin), dans lequel il y des tas d’objets indiffé-
renciés et isolés (les excréments).
– La rigidité et l’isolation jouent un grand rôle.

2/ Fixation et obsessionnalisation de la régression anale


Marcel est encore un enfant jeune qui garde une cer-
taine mobilité : il n’y a pas encore de carapace caractérielle
défensive et une stabilisation des mécanismes de défense.
Toutefois, il connaît des périodes pendant lesquelles la situa-
tion totale parait se rigidifier dans le sens obsessionnel. ceci
est un phénomène intéressant qui éclaire l’évolution de beau-
coup de dyslexiques graves qui n’ont pas reçu un traitement
approfondi. quand on voit ces enfants à l’âge de 10 ans, on
se trouve devant un tableau extrêmement rigide. il devient
extrêmement difficile de leur apprendre à lire, ils oublient
continuellement les mots ou les lettres, l’analyse/synthèse est
un calvaire. Pendant certaines périodes, nous avons vu un
tel phénomène chez Marcel : ce n’était plus la simple inon-
dation de ses fonctions psychiques par des énergies anales
non sublimées, cela devenait beaucoup plus compliqué. On
voyait des confusions et des complications interminables. sa
façon de dessiner peut clarifier ce que nous voulons dire :
Marcel dessine des rues et des rails. Au début, la structure
est encore assez claire : nous voyons quelques grands cer-
cles et deux rues droites. Après, il commence à compliquer
248 Pierre Vereecken

effroyablement la structure, de sorte qu’il n’y a plus moyen


d’en sortir. il y a une tendance à la répétition stéréotypée : il
ajoute des rues et encore des rues, il dessine une série inter-
minable de petits traits pour signifier les rails. Les rues, les
chemins de fers et les signaux se croisent et se recouvrent.
chaque direction dans un sens est annulée par une direction
dans un autre sens (ambivalence et annulation obsession-
nelles). Toute orientation spontanée, toute compréhension
immédiate est devenue impossible et a été cachée sous un
réseau inextricable de complications. ceci ressemble forte-
ment au tableau de la névrose obsessionnelle organisée. À ce
moment, il ne s’agit plus d’un simple défaut de structuration,
qui fait que la perception reste fixée à un stade immature et
peu organisé. il y a maintenant une pseudo-structuration qui
rend la vraie structuration encore beaucoup plus difficile.
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Pendant ces périodes, Marcel faisait des confusions tena-
ces avec des lettres qu’il connaissait pourtant bien. chaque
explication, au lieu d’éclaircir la situation, ne servait qu’à
l’embrouiller davantage. ce sont des phénomènes de ce genre
qui font le désespoir du ré-éducateur !
– La dé-structuration du moi et de la relation objectale
1/ il y a un effritement de la relation objectale. Marcel
ne se sent plus en relation agréable et vivante avec une per-
sonne. ce que l’autre fait ne l’aide pas, ne lui donne pas
un sentiment de réconfort, mais ne fait que l’embrouiller
davantage. L’introjection du bon objet a échoué. Alors, il
est en proie à toutes sortes d’expériences archaïques dans la
relation objectale. il se sent assailli de représentations objec-
tales menaçantes. il communique parfois des fantaisies para-
noïdes à l’institutrice : « vous allez me manger, vous voulez
me pincer à mort ». Les expériences pénibles de bronchop-
neumonie et la solitude dans la clinique pendant sa première
année ont sans doute joué un grand rôle.
2/ La faiblesse de la relation objectale avec la personne
entière facilite le repli sur l’objet partiel (l’excrément). La
libidinisation excessive des mots et des lettres devient ainsi
possible.
3/ Je voudrais avancer encore une autre hypothèse.
Toutefois, je n’en suis pas entièrement sûr, puisque les
L’étude psychanalytique de la dyslexie 249

arguments psychanalytiques ne sont pas entièrement convain-


cants et que d’autres interprétations sont possibles. quand
un contenu mental est désinvesti, quand il n’est plus appuyé
sur l’introjection des bons objets, par une bonne base des
neutralisations et par l’expérience de l’amour intériorisé, il
ne parvient pas à se maintenir. On pourrait dire qu’il n’a plus
de « force d’être », qu’il ne trouve plus de place dans l’exis-
tence et dans l’Être. Pour pouvoir exister, le contenu mental
doit pouvoir se fonder sur une base solide. il doit avoir un
lien avec l’Être : pour cela, une relation vivante (et intério-
risée) avec une autre personne est nécessaire. c’est une des
causes pour laquelle Marcel ne parvient pas à retrouver une
lettre ou un mot qu’il vient de lire il y a une minute. c’est à
cause de cela qu’il doit répéter plusieurs fois la même lettre
du mot « kat » (chat) : k… k… k… La lettre n’a pas de point
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d’appui, « elle n’a pas de sol sous les pieds ». Marcel doit
s’y agripper continuellement pour qu’elle ne disparaisse pas
dans le néant. Le phénomène de « tomber dans le trou » est
en partie dû à cela. nous ne sommes donc pas loin de cer-
tains états psychotiques et de certaines expériences du néant
et de l’abîme dont parlent les philosophes existentialistes.
Tustin (1989) a décrit des mécanismes de ce type chez cer-
tains névrosés, qui présentent des barrières autistiques.

– une première phase pendant le rétablissement


de la lecture
À partir de la troisième année du traitement, il commen-
çait à montrer certains progrès dans la lecture. nous allons
décrire ce processus par une séance de ré-éducation.
Le pédagogue lit avec Marcel qui, après quelques moments,
retombe dans les difficultés que nous venons de décrire. il ne par-
vient à déchiffrer le mot « zoon » (fils). Le pédagogue dit calme-
ment : « Regarde bien la première lettre ». Marcel essaie très fort,
mais il se trompe. Le pédagogue dit calmement en s’adressant à
lui : « Tu la connais ». Avec difficulté, Marcel trouve le mot. La
même chose se répète pour les mots suivants. Marcel doit alors
lire le mot « maan » (lune). il le lit mais on a l’impression qu’il
ne comprend pas le mot. Le pédagogue lui demande d’une façon
simple et naturelle, comme dans une conversation de la vie quo-
tidienne : « Tu connais ce mot ? ». Marcel dit d’abord non, mais
soudain il se rend compte qu’il s’agit de la lune et il l’explique.
250 Pierre Vereecken

Après trois phrases, le pédagogue ferme le livre et dit : « eh bien


Marcel, qu’est-ce qu’on raconte dans cette histoire ? ». Marcel est
encore perdu dans les schèmes verbaux artificiels et il doit faire
de grands efforts pour en retrouver quelques-uns. Le pédagogue
dit : « que faisait le garçon ? », puis : « Tu as déjà fait une chose
pareille ? ». Marcel raconte alors quelque chose qu’il a vécu.
Marcel doit continuer à lire, et on constate qu’il lit beaucoup
mieux. On sent surtout une bonne ambiance, un contact vivant
entre lui et le pédagogue. il y a un échange naturel, aussi bien
sur le plan des mots que sur le plan des échanges silencieux. « On
est dans le bain ensemble ». Petit à petit, la sensation d’effort
disparaît, une détente bienfaisante s’installe. Les processus psy-
chiques commencent à couler avec souplesse et les lettres se lient
naturellement l’une à l’autre. De temps en temps, Marcel a bien
tendance à retomber dans les mêmes difficultés, mais des petites
interventions du même genre le remettent à l’aise et restaurent le
fonctionnement souple du processus : « Regarde bien la lettre »
ou « Mais si… tu la connais », ou « Regarde encore une fois ».
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nous retrouvons les mêmes phénomènes dans l’écriture : quand
Marcel se perd dans ses difficultés, on peut le mettre en marche
en créant un vrai contact, très simple et très souple. il doit écrire
le mot « dik » (gros). il « tombe dans le trou » et ne sait pas com-
ment commencer (il est probable que c’est à cause du fait qu’il ne
trouve pas la première lettre). Le pédagogue dit : « épelle ». cette
intervention simple, prononcée dans une ambiance de contact,
restaure déjà quelque chose en lui et la première lettre est vite
trouvée. il se trompe de nouveau pour la seconde lettre et met
« ei » au lieu de « i ». il se rend probablement compte qu’il y a
quelque chose qui cloche… et il réfléchit… mais au fond il réflé-
chit dans le vague et il ne sait plus ce qu’il cherche. il « retombe
dans le trou », son esprit ne fonctionne plus. Le pédagogue dit sim-
plement : « quel mot devons-nous écrire ? ». Marcel se ressaisit,
après une petite hésitation il trouve le mot et l’écrit maintenant
sans difficulté. c’est surtout le son et le rythme de la voix qui sont
importants : Marcel sent que le pédagogue est resté vivant, que les
idées lui viennent spontanément et facilement. il sent aussi que le
pédagogue trouve une façon naturelle pour s’approcher de lui,
une façon qui lui convient, qui n’augmente pas son trouble, qui
ne le pousse ou ne l’écrase pas. il entre alors en communication
avec la « vie » du pédagogue, il redevient vivant lui-même et ses
fonctions se restructurent. nous avons constaté ces phénomènes
un grand nombre de fois. Un jour, le pédagogue fait lire Marcel en
compagnie de l’institutrice. celle-ci est étonnée qu’il lise si facile-
ment et dit qu’il n’a jamais lu de cette façon chez elle. Le pédago-
gue lui demande alors de lire avec le garçon : au début elle est un
peu tendue, mais elle a quand même assimilé l’ambiance détendue
qui régnait. À son grand étonnement, Marcel lit maintenant avec
elle aussi bien qu’avec le pédagogue.
L’étude psychanalytique de la dyslexie 251

Tout ceci ressemble fort au contact avec la mère pendant


la première année de la vie. il y a une rencontre vivante avec
une mère très compréhensive, qui stabilise l’enfant et lui
permet de vivre un échange spontané. il s’agit d’un contact
très simple avec une grande attention au rythme de l’enfant.
ceci est possible parce que les mauvaises images et les peurs
précoces de la mère ont été analysées. en simplifiant, on
pourrait dire : il y un contact et un échange avec une bonne
mère, de sorte qu’ainsi les lettres peuvent maintenant se tou-
cher, se relier et avoir un échange. cet exemple montre que
certaines expériences de contact très précoces qu’il n’a pas
connues avec sa mère s’installent dans le contact et favori-
sent la lecture.
il y a toutefois un blocage très prononcé. il doit pouvoir
être entièrement passif, être soutenu par le ré-éducateur.
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chaque attitude autonome et active est impossible. Les pro-
cessus d’autonomie et d’indépendance n’ont pas pu se for-
mer. cela ressemble un peu aux cas de psychose symbiotique
chez l’enfant décrits par Margaret Mahler (1963). cette dif-
ficulté a fortement diminué quand l’analyse des expériences
dominatrices, anales et la problématique phallique-œdi-
pienne a été possible.
– Les facteurs qui influencent le rétablissement
du langage, de la lecture et de l’orthographe
1/ L’émergence des fantasmes pulsionnels est primor-
diale. c’est surtout quand les vécus pulsionnels de la phase
phallique-œdipienne sont atteints que l’amélioration en pro-
fondeur devient possible.
2/ Toutefois, on ne peut pas isoler ce niveau-là. il doit
s’accompagner d’importants progrès dans l’équipement
fonctionnel et dans la formation de la pensée. Des nouvel-
les activités mentales se développent : la faculté d’établir des
structures différenciées, la faculté de penser, d’examiner et
de réfléchir. nous avons pu suivre l’émergence de ces nou-
velles tendances chez Marcel pendant plusieurs mois. Dans
ses dessins, nous voyons un intérêt nouveau pour les liaisons
entre les choses : il met en relation les étages de la maison par
des escaliers, il dessine la prise électrique et le fil qui la relie
à l’antenne de télévision, il ne dessine pas seulement le poêle,
252 Pierre Vereecken

mais le relie à la cheminée par un tuyau. Dans le Rorschach,


nous voyons une forte tendance à rassembler les choses et
à les tenir ensemble (ceci est en opposition à la tendance si
fréquente chez les dyslexiques de n’énumérer que des par-
ties isolées) : les personnages se tiennent debout sur le sol, ils
ont un fauteuil pour s’asseoir. Dans la cinquième image du
Rorschach, il voit ensemble la série de bosses et la conçoit
comme un fleuve, enjambé par un pont (il y a même des gens
qui traversent le pont). Un nouveau sentiment pour l’appar-
tenance interne des choses, pour les liens qui les unissent,
pour leurs relations vivantes et pleines de sens, se développe.
quand deux choses sont ensemble, elles ne se détruisent
pas : elles s’enrichissent ! La même transformation peut être
observée dans ses jeux de fantaisie : au lieu de donner une
succession de morceaux isolés, Marcel les relie souplement.
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Tous les événements s’interpénètrent et s’enchaînent pour
former le grand courant de la vie : La reine est en train de
travailler dans le bois. Alors la princesse arrive et elle lui
dit : « ce que ce bois est beau ! ». Maintenant le garde-fores-
tier arrive aussi et demande à la princesse : « qui es-tu ? »
– « Je suis la princesse ». Remarquons les échanges riches
entre les personnes : elles s’adressent l’une à l’autre, elles
communiquent des sentiments.
3/ L’enfant doit développer une attitude objective et neu-
tre, qui n’est pas submergée par des influences pulsionnelles.
ceci s’accompagne de la formation de l’attitude abstraite.
Tout ceci se stabilise après une élaboration suffisante de la
position phallique-œdipienne.
4/ il doit y avoir un renforcement de la structure du moi
et des relations objectales. il doit y avoir une élaboration
suffisante des neutralisations, des structures du processus
secondaire (Freud, 1923) et des capacités relationnelles du
moi : autonomie, activité, capacité de s’exprimer et de mon-
trer ses sentiments.
il me semble que c’est là un domaine qui a été insuffisam-
ment analysé. Marcel a bien profité du traitement, il a fait de
grands progrès aussi sur le plan scolaire, mais la libération
de ses facultés mentales n’a pas été assez profonde. Aussi les
capacités relationnelles du moi et la faculté de montrer ses
sentiments n’ont pas connu un épanouissement suffisamment
L’étude psychanalytique de la dyslexie 253

riche. Les raisons de cela ne sont pas entièrement claires. il


me semble qu’il y a certaines lacunes dans la technique. Le
traitement a probablement mis trop l’accent sur le proces-
sus primaire. Les élaborations concomitantes dans les autres
régions du psychisme ont été insuffisantes. c’est là une dif-
ficulté fréquente dans les analyses d’enfant. Des auteurs
comme chouvier et guérin (2007) décrivent plusieurs aspects
de cette problématique et indiquent déjà certains chemins
pour y trouver une solution.

cOncLUsiOns

J’ai décrit la dyslexie et la dysorthographie chez deux


garçons qui appartiennent au groupe de dyslexie déjà décrit
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par Zazzo, Ajuriaguerra, borel-Maisonny, galifret-granjon,
stambak, simon et chassagny (1955). ils ont montré que la
dyslexie la plus fréquente est celle qui apparaît dans un cadre
de difficultés du langage. J’ai essayé de décrire de façon plus
approfondie les mécanismes intimes de leur origine et de leur
amélioration graduelle. il y a d’autres constellations de dys-
lexie, mais les mécanismes de base sont assez similaires.
Les conclusions principales sont les suivantes :
1/ il est possible de décrire de façon précise quels mécanis-
mes psychanalytiques bloquent la lecture. La psychanalyse
peut montrer sur le vif comment certaines expériences fan-
tasmatiques et émotionnelles causent un trouble dyslexique.
2/ La psychanalyse montre en certains cas que l’appa-
rition d’un fantasme inconscient cause immédiatement une
libération prononcée de la lecture ou une écriture sans
erreurs (voir le cas de benoît : les facteurs qui déterminent
la dé-structuration et la reconstruction du langage). il est
vrai qu’il ne s’agit là que d’un premier résultat, qui devra
être consolidé par le travail ultérieur. il reste de toute façon
étonnant qu’un tel phénomène arrive !
La psychanalyse peut montrer des faits cliniques qui
restent hors de portée de ce que l’étude neurologique et
organiciste peut atteindre. Les deux modes d’approche ne
se contredisent d’ailleurs nullement. il s’agit d’une problé-
matique très large que la psychanalyse et les neuro-sciences
254 Pierre Vereecken

regardent d’un autre angle et avec un éclairage différent.


ces deux terrains d’étude sont encore très incomplets et
pourraient s’influencer mutuellement. si les chercheurs du
cerveau lisaient attentivement les explications concrètes et
cliniques des analyses d’enfants dyslexiques, ils pourraient
mieux concevoir quels mécanismes cérébraux sont à la base
des observations faites par les analystes d’enfant.
3/ La psychanalyse, faite deux fois par semaine, peut
avoir une influence curative et profonde sur les troubles dys-
lexiques et les difficultés spécifiques de l’apprentissage. en
certains cas, l’amélioration reste limitée. Peut-être que des
difficultés organiques ou la formation défectueuse des cir-
cuits neuroniques à l’époque favorable jouent-elles un rôle.
J’ai quand même l’impression que ce sont surtout certaines
faiblesses de notre technique qui jouent le rôle principal.
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Dr. Pierre vereecken Printemps 2009


Avenue van Put, 37 (b12)
2018 Anvers
belgique

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