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L'ANOREXIE DES JEUNES FILLES : UN SYMPTÔME CONTEMPORAIN

Emmanuelle Borgnis Desbordes

Groupe d'études de psychologie | « Bulletin de psychologie »

2013/6 Numéro 528 | pages 499 à 512


ISSN 0007-4403
DOI 10.3917/bupsy.528.0499
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2013-6-page-499.htm
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bulletin de psychologie / tome 66 (6) / 528 / novembre-décembre 2013 499

L’anorexie des jeunes filles : un symptôme


contemporain
BORGNIS DESBORDES Emmanuelle*

« Dans tout homme qui parle l’absence de


l’autre, du féminin se déclare [...]. L’avenir
appartiendra aux sujets en qui il y a du
féminin » (Barthes, 1977, p. 20).

L’anorexie de la jeune fille débute, la plupart du 1948) : traitement contraignant, inquiétant aussi,
temps, à l’adolescence, à un moment où, sur et dans mais traitement subjectif quand même (Lacan,
le corps, vient s’inscrire la différence, à un moment 1974a). Nous soutenons qu’à la période de l’adoles-
où le rapport à l’autre sexe vient prendre une certaine cence et, plus précisément, de la puberté, le symp-
consistance, à un moment où vacille l’assise symbo- tôme de l’anorexie a une réelle fonction pour les
lique du sujet. Confrontée à l’altérité, les appuis jeunes filles, période d’autant plus délicate que les
symboliques et les identifications imaginaires idéaux de minceur, voire de maigreur, sont particu-
peuvent ne plus suffire à soutenir l’édifice subjectif, lièrement valorisés à notre époque. L’anorexie
auquel le sujet se trouve contraint – soit « localiser la névrotique ou « anorexie vraie de la jeune fille »
jouissance qui traverse le corps » (Lacadée, 2007). (Dewambrechies-La Sagna, 2006) est à distinguer de
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L’anorexie n’est pas tant un trouble comportemental l’anorexie psychotique, qui n’a sans doute pas la
(TCA) à éradiquer, qu’un symptôme structural à même signification, mais qui, finalement, se
interroger dans sa fonction et sa signification. Il ne conforte, également, des idéaux contemporains.
s’agit pas, pour autant, de négliger les conséquences L’anorexie de la jeune fille névrotique se met en
médicales de la mise au pas du corps, puisque le place avec la puberté – le surgissement d’une étran-
risque vital est très souvent engagé. Aussi, avant de geté dans le corps – et se fixe en raison de la consis-
rééduquer le comportement – la pente rééducative tance aujourd’hui donnée à des codes et des idéaux
est la plus usitée dans nos pratiques contempo- toujours plus imaginaires (Waysfeld, 2013).
raines –, il s’agit de donner la parole au sujet, un sujet Aujourd’hui, les sujets s’orientent de ces codes. Il
qui ne la prend pas aisément, un sujet qui a renoncé à s’agit de saisir ces nouveaux montages subjectifs qui
dire l’angoisse, qui le traverse de part en part, afin ne s’orientent pas du désir mais de ce que Lacan
qu’il puisse dire la fonction que l’anorexie revêt pour nomme la jouissance.
lui. Les jeunes filles anorexiques se montrent, durant À l’heure actuelle, le vacillement symbolique ne
les premiers mois de suivi, généralement très silen- suffit plus à ordonner le rapport de chaque sujet au
cieuses, voire mutiques, et toute tentative de les sortir monde qui l’entoure, en revendiquant une place
de ce montage un peu vite les rend agressives. dans le lien social. Le sujet se façonne un corps
L’anorexie suppose donc, d’emblée, un mode de factice à la mesure des nouveaux idéaux ; ce corps
positionnement, dans la relation clinique, tout à fait construit de toute pièce, ne dit rien du sujet (dési-
singulier : garantir une présence, sans forcer la prise rant), si ce n’est son impasse. Si l’anorexie a une
de parole. L’orientation psychanalytique nous donne fonction, qui renvoie à une histoire toujours singu-
des repères précieux sur la question transférentielle lière et portée par d’intimes signifiants, elle pour-
et la question du désir de celui qui s’engage à rece- rait bien être, aujourd’hui, le symptôme d’une
voir des patients, non sans lien avec ce que la moder- modernité qui peine à donner une place à chacun
nité et les nouvelles modalités du lien social propo- (Borgnis Desbordes, 2012).
sent aujourd’hui. Cette orientation nous amène à
considérer l’anorexie névrotique comme un symp-
* Laboratoire de psychopathologie et clinique psycha-
tôme, soit le signe d’une souffrance subjective liée à nalytique, EA 4050, Université Rennes 2, Place du
une impossibilité à dire, mais, aussi et déjà, le signe recteur Henri le Moal. CS 24307, 35033 Rennes Cedex.
d’un « traitement du réel par le symbolique » (Lacan, emmanuelle.borgnis-desbordes@uhb.fr
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LE MONTAGE ANOREXIQUE et très soutenant pour elle ; il attend dans la salle


d’attente, elle le sait. Pour Anouk, le traitement a
La jeune fille anorexique est souvent brillante sur consisté à la déscolariser pour qu’elle quitte le
le plan intellectuel. Elle cherche à être une élève groupe de ses « féroces amies », qui venaient à
exceptionnelle qui force l’admiration de son entou- l’école avec un mètre de couturière pour mesurer la
rage, qui force le regard sur elle. Mais derrière cette taille de leurs cuisses, la séparer progressivement du
quête de reconnaissance, elle est en quête d’une monde des images dans lequel elle était engluée, et
inscription, d’une place dans le lien social. Le lien de lui donner la possibilité de revendiquer sa diffé-
social – dont il est question – est à rapporter à des rence, son originalité, son désir. Le traitement a
consisté, aussi, à venir jusqu’à elle à l’hôpital
conditions de langage, soit ce qui tend à permettre
certaines semaines où elle ne pouvait venir dans un
au sujet de prendre position : « toute formation jeu d’aller-retour, qu’elle notait scrupuleusement sur
humaine a pour essence et non pour accident de son « carnet de bord », jusqu’au jour où elle put,
réfréner la jouissance » (Lacan, 1967). Le rapport enfin, dire que la présence de l’infirmier lui était
aux autres de la jeune fille anorexique est souvent précieuse, un jeune homme attentif. À partir de ce
particulier, car, toute à ses préoccupations de jour, elle se mit à parler et vint déposer à notre
minceur, voire de maigreur, elle se détache progres- cabinet ses « journaux intimes », dans lesquels elle
sivement, s’isole et ne cherche plus, au final, à n’avait de cesse de parler du Prince charmant qu’elle
entrer en relation (Bouvattier, Thibaud, 2011). attendait. Derrière le Prince charmant, il y avait sa
Creusant de plus en plus l’écart entre elle et le peur que personne ne l’attende, ne l’aime, ne lui
parle, question éminemment subjective, mais,
monde qui l’entoure, ce dernier lui devient de plus
surtout, éminemment féminine. Anouk se deman-
en plus opaque dans son organisation et ses codes. dait, désormais, si elle avait le droit (!) de croire aux
Logiquement, elle se dit et se sent incomprise. contes de fées. Cette attente amoureuse, Anouk ne
Isolée, elle passe toute son énergie à se façonner peut en parler à ses amies – qui se moqueraient
une image à la mesure de sa jouissance, un corps d’elle –, alors elle se retire de la scène du monde et
imaginaire construit de toute pièce qu’elle modèle tente de maitriser l’immaitrisable : l’amour, le plus
à l’envie ; le nouvel idéal de l’« écart entre les loquace des sentiments (Musil, 1932, p. 546). Si
cuisses » ne fait que renforcer l’engagement des l’heure n’est plus, en effet, aux contes de fées, il n’y
jeunes filles au « façonnage tendance » de leur a pas de raison de ne pas laisser rêver les jeunes
époque. Les mises en garde médicales ne réfrènent filles ! Il existe des lieux pour soutenir cela.
en rien leur programme.
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Si le sujet, en position masculine, trouve plutôt
Par la restriction qu’elle s’impose, la jeune fille l’objet de son désir dans sa partenaire, le sujet en
anorexique cherche à mettre son corps au pas et à position féminine ne le trouve pas totalement ; c’est
mesurer la maîtrise qu’elle peut opérer sur lui. Si ce qui a fait dire à Lacan que les femmes étaient
l’anorexie commence par un comportement de « pas-toutes » – entendre pas-toutes soumises à
restriction alimentaire, comportement qui trouve cette loi de la castration, à cette loi phallique. Cela
souvent ses origines dans le souhait de s’identifier n’empêche en rien que, dans leur rapport au parte-
aux idéaux d’une époque, et, en cela, s’inscrire dans naire, les femmes peuvent consentir – à condition,
son époque, son ressort dépasse largement le sans doute, qu’elles soient parlées par celui qui les
simple refus de nourriture. Nous soutenons que la aime – à se faire l’objet du désir d’un homme. Ce
jeune fille anorexique refuse de s’inscrire dans la montage, éminemment symbolique, peut sembler
relation symbolique, qui la ferait désirante et, plus en décalage par rapport à ce que la scène du monde
encore, désirée. Si la réalité génitale n’ordonne pas donne, aujourd’hui, en pâture à l’œil : une sexualité
la sexuation 1 des uns et des autres, il n’empêche dévoilée, une pornographie affichée, et une clinique
que la manière, dont chacun s’inscrit dans le désir non plus tant de l’engagement désirant qu’une
de l’Autre et se positionne dans la relation au parte- clinique du passage à l’acte. La réalité – le réel,
naire, est structurée. dirait Lacan – a pris le pas sur le symbolique, pour-
Anouk tant si propice à cerner l’insupportable pour
Anouk a 14 ans, elle est suivie dans un service de chacun.
nutrition et vient, avec l’infirmier du service, en
rendez-vous toutes les semaines. Un suivi auquel
Dans la même logique, l’anorexie masculine a
elle est, d’abord, contrainte, puis consentante, voire fait son entrée sur la scène de la modernité depuis
volontaire. L’infirmier qui l’accompagne est jeune quelques années (10 % des anorexies selon le
dernier recensement de la Haute autorité de santé,
en 2010). La question n’est pas tant à situer du côté
du genre, mais du côté de la sexuation. Désorientés
1. La clinique de Lacan s’oriente de la sexuation et
non plus de la castration (Freud), une clinique qui laisse
quant à leur désir, les sujets ont du mal à renoncer
la possibilité au sujet de se situer côté homme ou côté à la jouissance offerte et, de ce fait, à revendiquer
femme, en dehors de tout déterminisme biologique (voir une position. L’anorexie masculine est, la plupart
Tableau de la sexuation Lacan, 1972c). du temps, psychotique, mais pas seulement : elle
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est aussi, pour certains sujets, une tentative de dire (Lacan). Avec le surgissement de cette étrangeté
« non », là où tout est possible, tout est ouvert, ce dans et sur le corps, surgissement d’un réel (Lacan)
qui n’est pas sans angoisser ces sujets : des jeunes qui prend parure féminine, elle est confrontée à une
hommes mis en cause dans leur virilité et dans les jouissance, sur laquelle elle n’a pas commande,
repérages symboliques propices à leur donner une jouissance au-delà d’elle. Logiquement, elle pense
garantie d’être. pouvoir régler cette jouissance qui la traverse, en
Nous repérons, dans la clinique avec les jeunes intervenant directement sur le corps qu’elle n’a de
filles anorexiques, que se faire l’objet du désir de cesse de remodeler. En maîtrisant, elle cherche à
l’Autre est un engagement problématique ; aussi faire taire cette part excédentaire de jouissance,
tentent-elles, par la maîtrise de la corporéité, encombrante, trop présente, trop réelle.
d’échapper à cette soumission qui tend vite à Revenons à Freud et à ses fondamentaux. Dès
l’angoisse. Être entièrement soumis au bon vouloir 1913, Freud repérait l’importance d’un symbolique
de l’Autre, un Autre qui a perdu les limites symbo- – déterminant la condition humaine, régulant la
liques qui le réglaient, pourrait bien mener le sujet signification phallique –, symbolique ne se confon-
à sa perte. La restriction, que l’anorexique dant avec aucune autre forme de symbolisation : si
s’impose, masque, souvent mal, une envie déme- le mot est le meurtre de la chose (Freud, 1925),
surée de manger et, surtout, une peur que cela ne « pas tout ne passe sous le signifiant » reprenait
s’arrête plus avec toutes les conséquences en Lacan (Lacan, 1969). Tout l’enseignement de
matière de prise de poids, qui pourraient définiti- Lacan, dans les années 1970, se donne, pour visée,
vement l’exclure de la scène contemporaine : « ça de démontrer l’existence d’une jouissance excéden-
pourrait ne plus s’arrêter ! » Le témoignage de taire, échappant à la régulation phallique – sans,
Justine est particulièrement éclairant sur cette pour autant, être une jouissance psychotique. Cette
crainte, sa peur de la rechute vers la crise bouli- jouissance « qui ne passe pas sous le signifiant »,
mique, qui pourrait ne plus s’arrêter (Justine, Lacan la nommera diversement : jouissance supplé-
2007). Face à cette crainte, qui confine à l’angoisse, mentaire, jouissance Autre, jouissance féminine,
elle se trouve contrainte d’échafauder des stratégies une jouissance rencontrée et éprouvée par certaines
– en se restreignant – pour ne pas s’y risquer. Son femmes (Lacan, 1958b). Ce bout de jouissance
envie de manger confine à l’angoisse d’être signe la « position féminine de l’être » (Laurent,
dévorée. Elle se prive pour correspondre, certes, à 1993), bien au-delà de l’anatomie ou de la posture,
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une image contemporaine valorisée aujourd’hui, part non régulée, qui rend une femme toujours un
signe de volonté, de performance et de maîtrise, peu « absente à elle-même » (Millot, 2001). De
mais aussi pour éviter de se confronter à la radicale nombreux écrivains ont pu témoigner de leur
altérité qui la traverse à cette période de la puberté. rencontre avec cette absence : Millot, Martinez,
Elle cherche à masquer le manque, désirant et struc- Duras, Quignard. De la même manière, quand
tural, en intervenant réellement sur le corps propre, Camille Claudel disait à son frère Paul qu’il y avait
ce même corps qui, à cette délicate période de la quelque chose d’absent qui la tourmentait, elle
puberté, échappe à la commande. À force de priva- illustrait remarquablement la rencontre avec cet
tion et de restriction, elle voit et lit sur son corps éprouvé (Arnoux, 2001), qui n’est en rien marque
les signes de son action et s’imagine une maîtrise de « genre », mais signe de « sexuation » (Lacan,
possible – là où, pourtant, il n’en est rien. Cher- 1972c).
chant à maîtriser ce qui ne l’est pas, elle met le Parce que le symbolique n’a pas de prise sur cette
corps, sa pulsion et ses objets, au pas. Les chiffres part d’illimité propre aux femmes (Lacan, 1972c),
des calories et du poids sont ses partenaires quoti- le danger est-il grand pour une jeune fille de
diens, chiffres qui ordonnent ce qui traverse le concéder tout son être à cet « emportement » sans
corps, la différence sexuelle, le « non rapport entre limite, consentement qui peut la mener à la mort ?
les sexes » (Lacan, 1972c), chiffres qui ordonnent « Je pourrais aller comme ça jusqu’au bout de la
la capricieuse « jouissance ». Le corps n’est plus vie (lapsus)... non de la nuit », disait l’une d’elles.
celui de l’enfance ; il porte, désormais, les marques Notre hypothèse est que la jeune fille anorexique
de l’altérité même. névrosée cherche à contrer et cerner cette part de
L’anorexie se met souvent en place en même jouissance qui la traverse, en se créant un corps
temps que la puberté, puberté qui, aujourd’hui, peut factice, véritable miroir de ses idéaux, pour ne pas
surgir très tôt, vers huit ou neuf ans (Jeandel, 2012). céder à un « emportement », qui pourrait bien la
Avec la puberté, la jeune fille rencontre les signes dépasser et sur lequel elle pourrait ne plus avoir
de la féminité sur et dans le corps, signes qui ne commande. En leurs temps, les mystiques recher-
disent pas, pour autant, ce qu’il en sera de la posi- chaient et éprouvaient cette jouissance, et leurs
tion féminine de son être, soit comment elle traver- vécus extatiques étaient, sans doute, l’illustration
sera l’Œdipe et ses vicissitudes (Freud) et, au-delà, la plus brillante de cette traversée, preuve la plus
son inscription dans l’énigmatique désir de l’Autre vivante d’un consentement à se faire l’objet d’un
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emportement amoureux, sans limite. Ces mystiques transférentiel prudent, tel que nous l’utilisons dans
étaient, la plupart du temps, anorexiques. Nos la rencontre avec les patients psychotiques : un
modernes anorexiques ne seraient-t-elles pas nos soutien par la jouissance et les idéaux plutôt que
mystiques d’hier ? par le désir. Que certains auteurs aient pu parler de
« forclusion de la castration » (Lacan, 1972a) de
« mélancolisation du lien social » (Douville, 2001)
SAINTES ANOREXIES ou, encore, « forclusion généralisée » (Miller,
Les sujets mystiques, des sujets traversés par une 1987), propre à notre modernité, s’entend et se
question engageant le féminin, éprouvaient, sans rencontre dans la réalité clinique et le maniement
pouvoir rien en dire, une jouissance illimitée, qu’ils transférentiel.
supposaient et interprétaient comme étant le signe Si le pouvoir est donné et pris par les idéaux,
de la présence et de l’amour de leur dieu ; cette suffisent-ils à orienter la clinique ? Sans doute pas.
présence, selon Lacan, nous met sur la voie du Ainsi, nous soutenons que ce n’est pas la mode qui
sentiment d’existence : « Il est clair que le témoi- rend anorexique, mais c’est elle qui, en revanche,
gnage essentiel des mystiques, c’est justement de peut être aux commandes de nouveaux idéaux,
dire qu’ils l’éprouvent [cette Autre jouissance] propices à donner une place à chacun. La mode
mais qu’ils n’en savent rien [...]. Cette jouissance dessine les corps et donne en pâture une panoplie
qu’on éprouve et dont on ne sait rien, n’est-ce pas de corps maigres – identiques les uns aux autres –
ce qui nous met sur la voie de l’existence ? » supposés gages d’inscription dans le lien social,
(Lacan, 1972c, p. 78). voire d’existence. Il n’y a qu’à suivre les défilés de
À force de se contraindre à l’ascèse et à mannequins pour comprendre ce que signifie la
l’anorexie, les sujets mystiques éprouvaient un mise en série de corps sans sujet. La maigreur
« sentiment océanique » (Rolland, 1927), auquel ils donne identité factice au sujet, à un moment où il
cédaient volontiers. Catherine de Sienne, mystique cherche à se positionner dans le monde des autres
italienne du XVe siècle, était en adoration devant le et de l’altérité. Ces corporéités faméliques fonc-
Christ en croix et devant ses plaies ouvertes ; elle tionnent comme autant de « corps imaginaires », là
ne mangeait quasiment pas – à l’exception de quel- où le symbolique faut. Par son jeûne, l’anorexique
ques herbes. Lacan attribua « l’anorexie sainte » de tente de se créer une limite symbolique, limite qui
cette époque à l’extension du christianisme – soit ne renvoie, hélas ! en rien à l’ordre social.
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la version divine de l’Autre de l’époque. Mais L’anorexique ne se décide pas de manger comme
sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix ou tout le monde, avec les autres, elle cherche à
Hadejwich d’Anvers, étaient, également, échapper aux exigences alimentaires qui lui sont
confrontés à de tels emportements. imposées et, plus particulièrement, celles de la
mère, qui, logiquement, incarne la mère nourricière
Si l’heure n’est plus aux « anorexies saintes » et
qu’elle refuse. « C’est l’enfant que l’on nourrit avec
aux contemplations, il n’en reste pas moins que
le plus d’amour, qui refuse la nourriture et joue de
l’accroche identificatoire aux nouveaux idéaux de
son refus comme d’un désir (anorexie mentale) »
notre modernité et, notamment, les idéaux de plus
(Lacan, 1958a).
en plus hédoniques, est opératoire, l’objet du désir
de chacun étant supposé à portée de main dans une En ne mangeant plus, la jeune fille anorexique
confusion et un rabattement de l’objet imaginaire impose une coupure sans parole, coupure, qui a
sur l’objet « plus-de-jouir » (Lacan, 1968). Avec valeur de véritable prothèse symbolique ; il s’agit
l’inexistence de l’Autre – la défaillance symbo- bien là d’une coupure sans signifiant. La problé-
lique – c’est la chasse aux objets « plus-de-jouir », matique centrale de l’anorexique est de se trouver
selon l’expression de Lacan, qui devient la règle, imaginairement confrontée à un flot alimentaire
des objets supposés pouvoir palier la déperdition continu, sur laquelle la Verneinung – ou « néga-
de jouissance propre à chacun, du fait de l’avène- tion » – n’a pu initialement s’exercer (Freud,
ment au langage. Dans la réalité – et notre moder- 1925). L’objet du besoin est, donc, logiquement,
nité en propose à l’envi –, le sujet se trouve en prise rabattu sur l’objet du désir, objet qui se régule par
directe avec des objets de satisfaction, qui entre- la prise dans la dialectique signifiante, qui fait, de
tiennent le leurre d’un désir enfin comblé, ce qui ce dernier, un objet situé dans le champ de l’Autre
– de structure – est impossible. Le symbolique symbolique, l’objet cause du désir. À défaut de
manque à réguler le rapport du sujet à son désir régulation au champ du symbolique (Lacan, 1955a)
– souvent traduit par l’expression ramassée d’une le sujet est aux prises avec une jouissance, que le
inexistence de l’Autre –, mais, derrière le leurre signifiant ne peut prendre tout à sa charge, le sujet
entretenu par les nouveaux codes d’aujourd’hui, la refusant cette inscription symbolique.
clinique ne cesse de nous confronter à des sujets L’anorexie met en jeu la question de l’inscription
désarrimés de la chaîne signifiante, désorientés du sujet dans le lien social, soit son rapport à une
quant à leur désir ; pour preuve, un maniement altérité constituante – ce que Lacan, dans les années
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1960, nommait le rapport du sujet au désir de ne va pas bien, elle est à 27 kg, mais sait, aussi, que
l’Autre. La clinique ne cesse d’attester que quelqu’un, en elle, ne veut pas changer. Le régime
l’anorexique se met difficilement en demande, de alimentaire restrictif est parti d’une « broutille », un
peur de faire surgir le désir de l’Autre – « qu’est-ce copain, qui lui parla de son poids et puis sa honte
soudaine. Vient alors sa décision de maigrir. Si, au
qu’il veut ? » – et, en retour, son propre désir – selon
début, elle maîtrise le régime, à un moment donné,
l’acception de Lacan, selon laquelle « le désir de elle ne contrôle plus rien : « je ne ressemblais à rien,
l’homme, c’est le désir de l’Autre » (Lacan, 1951). un tas », puis « au moins maigre, je faisais partie de
La clinique de l’anorexie vient, tout particulière- celles qui pouvaient être choisies », ou encore :
ment, interroger cette dépendance à l’égard de « aujourd’hui je deviens folle, je compte tout, je vois
l’Autre et cette nécessité d’en passer par lui pour du gras partout ! ». Après quelques semaines de
exister dans une aliénation constituante, aliénation silence, semaines où nous ne l’interrogeons jamais
dont le sujet se sépare, à partir du moment où il parle sur son alimentation, mais nous nous préoccupons
en son nom. L’anorexique annule toute altérité, de ses conditions de vie, elle nous dira qu’elle
refuse la séparation, pour jouir isolément d’un corps s’ennuie à la cité U et que « compter [les calories]
ça l’occupe ! ». Nous nous intéressons à cette
parlant, réduit à sa seule corporéité, dans une jouis-
chambre de cité U, qui ne ressemble à pas grand-
sance quasi charnelle. Avoir un corps parlant chose, qui ne cesse de la renvoyer à sa solitude, et
suppose, en effet, d’être pris dans la dialectique de la à ce qui pourrait la rendre plus conforme à ce quelle
demande et du désir, soit une dialectique symbo- aime. Elle semble étonnée et sort de son silence :
lique ; l’anorexique cherche à contourner cette « elle manque de couleurs ». Et puis, contingence,
détermination symbolique. Contournant l’Autre – et la période de Noël arrive et les éclairages dans les
ce qu’il pourrait vouloir pour elle – l’anorexique rues : couleurs et lumières. Flore commence alors à
n’est pas un sujet en demande, mais, bien plus, en parler et fait de nombreux récits sur les noëls de son
position d’objet ; elle se plie aisément à ce montage, enfance, sa nostalgie des noëls de sa grand-mère
laissant l’Autre, sa famille, ses proches, s’acharner à paternelle, de ce qu’elle a perdu (les noëls de
l’enfance, son père parti, qui lui manque tant, etc.),
vouloir son Bien et à demander des traitements pour
tout ce qu’elle aimait tant et qu’elle aimerait
elle. Elle se laisse faire, elle se laisse porter, mais, de retrouver. Après quelques mois de suivi, Flore se
son côté, elle ne cède rien ; elle simule se prêter à ce lance dans un projet tout à fait nouveau de « déco-
jeu. Elle fait de même dans la relation à ceux ration intérieure » pour des appartements contempo-
– médecins, cliniciens – qui engagent avec elle rains, en s’engageant dans une toute nouvelle voie :
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quelque relation thérapeutique. « J’aime tout refondre », nous dira-t-elle, ce à quoi
La prise en charge doit opérer, pour tordre cette nous ne pourrons qu’acquiescer. Flore est,
aujourd’hui, inscrite à l’école d’architecture de
contrainte extrême, qui vise à contourner l’Autre,
Rennes et vient, après quatre ans de suivi chaque
tout en prenant en compte et très au sérieux le mois, me parler de... ses nouveaux projets.
dispositif de traitement mis en place par le sujet
lui-même – soit cette tentative de limiter la jouis-
L’anorexie n’est pas une entité en soi et le
sance en s’imaginant pouvoir se créer un corps de
comportement alimentaire ne suffit pas pour
toute pièce sur lequel elle aurait la maîtrise.
décider de la marche à suivre sur le plan du traite-
L’anorexique ne cherche pas à adresser une
ment. L’anorexie peut survenir à n’importe quel
plainte ; elle ne se plaint pas des symptômes qu’elle
moment de la vie du sujet et doit être lue et inter-
manifeste ou, quand elle le fait, c’est qu’elle
prétée en fonction de la structure psychopatholo-
commence à aller mieux. Les symptômes ont une
gique en jeu – névrose ou psychose. Nous avons
véritable fonction pour elle. Elle tire plutôt satis-
insisté pour dire que l’anorexie revêt une fonction
faction de toutes les tentatives menées par son
toute singulière au moment de la puberté des jeunes
entourage pour la mettre, elle, en demande. Elle ne
filles, moment légitimement angoissant. Ces jeunes
cherche pas à renoncer à son mode de satisfaction
filles anorexiques, angoissées, cherchent à mettre,
mortifère, au-delà d’elle. En revanche, elle y ajoute
par leurs comportements et attitudes pour le moins
cette dimension supplémentaire qui appelle
alarmants, l’angoisse sur l’autre, en l’inquiétant, et
l’angoisse de l’autre – et, notamment, son entou-
le tableau clinique qu’elles présentent l’est souvent.
rage, sa famille, ses médecins, ses camarades –
Dans « l’anorexie vraie de la jeune fille » (Dewam-
appel encombrant, interprété trop souvent comme
brechies-La Sagna, 2006), toute la stratégie du trai-
un trait de perversité : ce trait n’est que le signe de
tement vise à favoriser la perte d’appui de la jeune
la position prise par le sujet, se faire l’objet de
fille sur l’angoisse de l’Autre et la relance de sa
l’Autre, qui jouit de lui, tout en le refusant.
propre position désirante ; la visée est de réabonner
Flore le sujet à son désir. La tâche est d’autant plus ardue
Flore est venue, durant deux ans, régulièrement. que le risque vital est bel et bien en jeu. Se priver
À 17 ans, elle est venue, contrainte par ses parents, de nourriture est une manière d’agir, de trouver une
son généraliste et après avoir fait un séjour de deux voie à suivre, dans le vaste champ de ce qui
mois dans un service de pédiatrie. Flore sait qu’elle échappe au sujet, sa radicale altérité.
504 bulletin de psychologie

LE RIEN COMME OBJET l’effort, toujours renouvelé, pour se prémunir de


cette jouissance par l’usage de méthodes plus ou
Au début du traitement, l’anorexique donne à moins complexes, portant sur la nourriture (peser
penser qu’elle ne manque de rien, en ne demandant l’aliment, manger tel aliment et pas tel autre, en
ni ne désirant que sur le mode du refus ou de fonction des calories, viser à ne rien garder) ou
l’indifférence. Elle tente, via le symptôme, de se portant sur leur propre corporéité (agitation perma-
séparer de l’objet localisé au lieu de l’Autre, mais nente, excès d’exercices physiques). Ces préoccu-
tout en faisant appel sans cesse à l’Autre en pations obsédantes envahissent le quotidien, tant
l’inquiétant. Elle ne mange d’ailleurs pas rien, pour la jeune fille que pour ceux qui s’occupent
« elle mange le rien », selon l’expression de Lacan, d’elle. La mère est le plus souvent incluse dans le
ce qui, finalement, la nourrit et la sature ! (Lacan, circuit ; elle doit se plier, tout autant que sa fille, à
1956). En inquiétant son entourage en ne mangeant ces mesures impérieuses, dans la mesure où c’est
plus, elle s’assure de sa présence permanente, sans bien au niveau de cet Autre-là que la castration,
pour autant s’engager dans la demande. Elle c’est-à-dire la perte de jouissance, s’est mal effec-
s’assure, ainsi, d’un amour absolu, en se laissant tuée. Le sujet essaie de maîtriser la jouissance par
ravager ; son amour est exclusif, excessif, un amour des opérations mettant en jeu l’intellect et la
à la démesure de la jouissance : « le ravage est pensée, cherchant à cerner au plus près l’objet
l’autre face de l’amour » (Miller, 1998), car, interdit pour mieux le contrôler. Mais cela ne
derrière l’anorexie de la jeune fille, se joue son permet pas complètement de faire taire ce qui est
rapport à l’Autre, à son désir, et consécutivement, « plus fort » que le sujet lui-même, au-delà de lui,
son identification à l’objet de l’Autre, sous la forme là où le symbolique n’a pas de prise : l’errance de
d’un objet à nourrir, avec toute l’angoisse qui peut cette jouissance, non régulée symboliquement
découler pour l’entourage, quand le nourrissage est – phalliquement –, qui prend corps et confronte le
refusé. L’anorexique semble avoir inversé les sujet à un sans limite. L’illimité est, sans doute, ce
rôles ; là où l’Autre maternel tire sa « puissance » qui caractérise le mieux ce moment de la puberté,
du don d’amour qu’elle fait à l’enfant au travers de le sujet se retrouvant aux prises avec un envahis-
sa mission nourrissante – parce que l’objet oral ne sement pulsionnel nouveau, sur lequel pensée et
peut être réduit au simple aliment et que se joue, ruminations ne suffisent pas à traiter. Plus spécifi-
autour de cet objet, un véritable enjeu symbolique quement, les jeunes filles éprouvent, sans pouvoir
entre l’enfant et celle qui le nourrit – l’anorexique
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rien en dire, une jouissance qui leur est propre, et
semble réussir à s’approprier cette puissance en ne qu’elles peuvent choisir de traiter par une anorexie,
mangeant rien. Elle refuse l’objet oral comme don véritable expérience de corps. Comment faire de
de l’Autre, don d’amour, qui ferait passer, à cette expérience de corps un événement de discours
l’arrière-plan, l’objet du besoin. Son refus n’est (Miller, 1999) ?
donc pas simple restriction alimentaire, refus de se
nourrir, mais psychiquement, refus de se laisser L’illimité, qui caractérise la clinique de
nourrir par l’Autre ; elle veut avoir maîtrise sur ce l’anorexie, se retrouve dans le partenariat fréquent
don en l’annulant comme don et en ne gardant de avec la boulimie, cycle dans lequel se succèdent
lui que la seule valeur d’aliment, aliment plus réel deux temps : un premier temps où le sujet maîtrise
que symbolique, objet, à la fois, trop attirant et le plus possible la jouissance – la pulsion et ses
dégoûtant. En refusant l’objet comme don, objets –, au moyen de stratégies défensives et
l’anorexique n’est pas celle qui ne mange rien, elle psychiques élaborées, et un second temps, qui vient
est celle qui mange le rien. Dans cette perspective, en quelque sorte annuler le premier, temps où le
le sujet anorexique met en équivalence le besoin et sujet ne parvient plus à lutter contre la jouissance
la jouissance, une jouissance, qui devrait rester à qui l’envahit et cède : le sujet ingurgite, alors, de
distance. Nous savons que l’objet oral ne tire sa manière compulsive et illimitée, de grandes quan-
valeur, non pas seulement dans sa fonction de tité de nourriture, avant d’aller se faire vomir, seule
répondre au besoin vital, mais, aussi et surtout, de intervention propre à faire limite. Le vomissement
sa valeur symbolique, qui introduit le sujet à la permet un apaisement notoire, car le sujet rejette
dialectique du désir. L’anorexique, elle, rabaisse le l’objet et se débarrasse du trop ; apaisement tempo-
désir à la dimension de besoin et, dans cette opéra- raire, apaisement factice. Par son anorexie, le sujet
tion, « coûteuse » du point de vue du désir, elle tente de perdre l’objet et de régler la castration
identifie le manque, non pas tant au niveau symbo- symbolique. Il impose des restrictions et des priva-
lique qu’au niveau de la nourriture elle-même. tions sur l’objet qui cause son désir, en l’occur-
L’opération est coûteuse, en effet, dans la mesure rence, la nourriture. L’objet, dans l’anorexie, n’a
où sa défense contre la jouissance, qui devrait rester pas été primordialement perdu, il est là, trop là,
à distance, nécessite d’en passer par une mise en réel. Comment accompagner le sujet à céder une
jeu réelle de son corps, de son être et, parfois, de part de cet objet sans pour autant le confronter à la
sa vie. Nous comprenons mieux, à partir de là, perte radicale, à la crainte de sa propre disparition ?
bulletin de psychologie 505

L’objet n’est pas symbolique, mais réel : il ne se pas tant d’une clinique du symbolique, d’une
ne range donc pas dans la série des objets qui clinique de l’altérité, que d’une clinique de l’objet,
causent le désir – les objets agalmatiques –, mais plaçant le sujet dans une position hors discours :
compte parmi les objets matérialisables (Chaumon, « le discours impuissant à appareiller la jouissance
2004). La thèse de Lacan se déduit de cette logique dans une chaine signifiante qui l’articulerait au lien
psychique en jeu dans l’anorexie, à savoir que le social n’est plus d’aucun secours pour ces adoles-
sujet mange le rien. L’anorexique se nourrit du cents » (Lacadée, 2007, p. 49). Le sujet, dans cette
manque qui, justement, lui fait singulièrement clinique là, ne prend pas la parole en son nom,
défaut. Le sujet donne à penser qu’il ne manque de n’oppose rien au désir de l’Autre (famille, parents,
rien, en ne demandant ni ne désirant que sur le mère), sauf à se faire leur objet d’angoisse, posi-
mode du refus ou dans une certaine indifférence. tionnement qui l’apparente au fonctionnement
Tel est le paradoxe propre au fonctionnement mélancolique.
psychique névrotique : tenter, via le symptôme, de Si l’anorexique n’est pas en demande – engage-
se séparer de l’objet localisé au lieu de l’Autre, ment désirant – elle est, en revanche, tout à fait
mais tout en faisant sans cesse appel à l’Autre, en loquace sur les mesures qui pourraient lui permettre
l’inquiétant. Cela permet, au sujet, de s’assurer de d’aller mieux – en référence à ce que les autres
l’Autre – précisément de l’amour de l’Autre – mais veulent pour elle (reprise de poids, relance du désir,
avec le prix à payer du symptôme et d’un certain restauration de l’image du corps, reprise des rela-
isolement dans le lien social. tions sociales...) – sur l’avenir radieux qui l’attend.
L’anorexique ne s’invente pas quelque fiction
DÉSABONNÉE AU DÉSIR imaginaire, à laquelle elle finirait par croire, elle se
situe hors du lien social (Lacan, 1936). Il s’agit de
L’existence du sujet tourne essentiellement déplacer la question du refus, du point de vue
autour de ces préoccupations obsédantes, au point, phénoménologique, à un refus qui serait structural,
d’ailleurs, de fréquemment envisager l’anorexie un refus de l’Autre, qui viserait donc le rapport du
comme un symptôme relevant d’une névrose sujet à sa jouissance. L’anorexique cherche à
obsessionnelle, où la ritualisation, la maîtrise par limiter la jouissance qui traverse le corps sans point
la pensée, sont particulièrement investies. d’arrêt, là où le symbolique désarrimé manque à
L’anorexique sait tout, tout sur la diététique, tout réaliser cette tâche. En se situant hors-discours
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sur l’alimentation ; elle a même un tas de théories. (Lacan, 1936), elle tente de créer de l’absence,
Elle sait, au gramme près, combien elle pèse. création risquée, puisqu’elle peut perdre pied, toute
emportée par une jouissance de l’être qui la met en
Justine abîme. Se rendre absente à elle-même peut lui
« Il y en a qui comptent l’argent. Moi je compte redonner une position de sujet qui parle, même si,
les calories. Certains alignent les pièces de monnaie,
très souvent, c’est pour ne rien dire... Ce hors-
j’aligne la valeur énergétique des aliments qui me
pénètrent, tâche plus vitale encore que celle de les discours n’est pas, pour autant, psychotique, même
avaler. Je dis pénétrer, on pense sexe. Je réponds si la clinique de la mélancolie compte, parfois, des
oui, c’est ça. Avez-vous déjà eu l’impression qu’on anorexiques et que ces dernières montrent combien
vous viole ? L’avez-vous vécue ? J’ai l’impression la question de la signifiance de leur être d’existence
que la nourriture va me manger toute crue. Et, au leur est totalement indifférente.
lieu de la laisser couler en moi, d’en aimer chaque
bouchée, j’ai fermé ma bouche et mon cœur. Au
À l’heure où la jeune fille rencontre les marques
début, c’était comme un jeu, un défi que je me serais réelles de la féminité, elle tente de cerner une jouis-
lancé à moi-même. Peut-être une façon de connaître sance qui prend corps et dont elle n’a pas la
mes propres limites. Ce qui est sûr, c’est que jamais commande ; à défaut, elle tente de maîtriser, par la
je n’aurais imaginé en arriver à cet extrême. Tout à signifiance, ce qui n’en relève pas. Elle illustre
l’heure je me suis pesée – je me pèse tous les jours, parfaitement ce que la clinique du féminin atteste :
même si je n’ose l’avouer à personne – je fais pas de signifiant pour dire « La femme » ou encore
38 kg 200. Il y a un an à la même époque, je pesais la formule lacanienne : « La femme n’existe pas »
55 kg et je mesurais (disons que je mesure toujours, (Lacan, 1975a). Le corps, qui se met à parler réel-
je ne rapetisse pas, Dieu merci !) 1 m 70. C’est à
lement à l’adolescence, la confronte à un désir
mon retour des États-Unis que cette espèce de
frénésie s’est installée » (Nelson, 2008).
qu’elle cherche à annuler en permanence. C’est,
donc, logiquement, par le corps, par sa tentative de
Ce savoir lui est complètement inutile mais, en maîtrise et par sa signifiance, que l’anorexique
revanche, peut lui être particulièrement utile pour pense pouvoir régler la jouissance qui la traverse :
ne pas guérir. L’anorexique peut être prolixe, dire tentant de la réguler elle est prise à son propre
en abondance des choses convenues, réciter des piège, féminin. Si l’anorexique peut se faire
phrases toutes faites ; finalement, parler pour ne causante sur les choses du corps, elle se mure dans
rien dire. En cela, la clinique de l’anorexie ne relève le silence, dès qu’il s’agit de parler d’elle. La
506 bulletin de psychologie

jouissance, qui ne se régule pas entièrement par le clinique rencontre dans cette passion pour le rien
symbolique, ne s’épure pas au champ de l’Autre et de l’anorexie ou pour le fort-da mélancolique
l’habite tout entière ; elle creuse alors, en elle, ce (exalter/détruire) propre à l’usage compulsif de
trou, opération réelle, à défaut d’en avoir eu l’expé- l’objet toxique. Ici, cette façon de pouvoir sidérant
rience symbolique. Intervenant réellement sur le de l’objet sans médiation sur le sujet, est à peine
corps – un corps et sa jouissance, qui pourrait bien désigné par ce terme d’addiction quand bien même
échapper à sa commande – elle tente de mettre de addiction veut dire que quelque chose est figé,
la limite à une jouissance qui en est dénuée. Elle quelque chose se répète de la vie psychique du
existe, dans l’opération même qu’elle engage, jeune, soit en termes d’anesthésie du psychisme,
confondant sujet et objet, livrant son être à une part soit en termes de pouvoir de déferlement des
d’elle-même radicalement étrangère. Si impressions sensorielles et des associations
l’anorexique se satisfait, un temps, de contrôler sa verbales » (Douville, 2001). Ou encore : « La posi-
corporéité – manière, pour elle, de maitriser tivation de l’objet sous le pouvoir duquel il se place
l’image dans le miroir, de peur qu’elle ne lui fait que le jeune se fixe à un lieu qui n’est plus
échappe – elle finit par ne plus rien contrôler du celui de la perte, quitte à repousser, sans relâche et
tout ; le signifiant devient inapte à contrôler la dans une pseudo-perte, ce dit objet dans l’errance
jouissance. Et quand elle ne contrôle plus, elle est infinie d’un point repoussé au lointain. L’errance
en proie à une jouissance, à la fois « étrangère » et s’épanche dans l’infini lorsqu’il ne se produit pas
« familière », jouissance vertigineuse dans laquelle de sanction symbolique, quitte, au demeurant, à ce
elle s’abîme. Ce n’est donc pas sans raison que que le sujet, dans des effondrements dépressifs qui
l’anorexie est plutôt féminine et qu’elle engage le peuvent se prolonger si aucune parole adulte ne
sujet sur une pente mortifère. Dans ses vient faire mouche, mesure le caractère dérisoire
« Complexes familiaux », Lacan parle de de l’objet et se sente aspiré par un vide, un trou,
l’anorexie comme une « forme extrême de suicide un vertige auquel l’objet devenu dérisoire ne peut
différé » (Lacan, 1936). Le sujet s’abandonne à la plus faire pièce » (Douville, 2001).
mort, poussé par cette part de jouissance qui lui L’inflation des anorexies, aujourd’hui, nous
échappe ; désabonné à son désir, le sujet s’aban- amène, légitimement, à interroger le lien social, ses
donne sans angoisse. Les différents critères actuels coordonnées, l’inscription symbolique de chacun et
du DSM donnent les signes cliniques de cet la désorientation, peut-être plus grande – au nom
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abandon : l’amaigrissement, « la peur intense de de l’idéal, mais, aussi, au nom de l’amour – des
prendre du poids ou de devenir gros, malgré une jeunes filles. Si nombre de jeunes filles se recon-
insuffisance pondérale », « l’altération de la naissent comme « anorexiques » et vont chercher,
perception du poids ou de la forme de son propre dans certains groupes communautaires, une
corps », « l’influence excessive du poids ou de la réponse qui leur permette de fonctionner sociale-
forme corporelle sur l’estime de soi, ou déni de la ment, à partir de ce trait identificatoire qu’est
gravité de la maigreur actuelle », l’aménorrhée devenu leur symptôme, il n’en reste pas moins que
(DSM IV, 2004). la problématique de l’anorexie se situe bien au-delà
de ce simple trait identificatoire (Recalcati, 2005).
Ne trouvant pas d’accroche symbolique pour
L’ÉPOQUE CONTEMPORAINE
limiter la jouissance qui les traverse, elles se lais-
ET SES INCIDENCES CLINIQUES
sent tout emportées par leur projet au point de s’y
Jouir isolément et sans entrave est le mot d’ordre anéantir.
de la modernité, mot d’ordre qui ne peut se Si nous insistons pour dire que l’anorexie est une
confondre avec quelque autorisation à désirer, loin des figures de la jouissance, une jouissance qui
s’en faut. Le « pousse-au-jouir », propre à notre peine à trouver limitation, c’est qu’elle est, à la
époque, relève d’un impératif surmoïque de jouis- fois, appel de jouissance, au-delà du phallus – une
sance, qui ne permet pas, au sujet, de trouver à jouissance Autre (Lacan, 1972c) – et mode
s’inscrire dans le lien social. Pris dans l’étau d’objection à la défaillance symbolique généra-
contemporain, certains sujets prennent la voie du lisée, si propre à notre époque (Richard, 2011). Les
corps pour traiter le réel auquel ils ont affaire, en cliniciens ne peuvent ignorer la subjectivité de leur
se passant de l’Autre. Plutôt que de se laisser époque et les nouveaux modes de jouir contempo-
aspirés par le vide symbolique auquel ils ont rain : « Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut
affaire, certains sujets prennent la voie du corps et rejoindre à son horizon la subjectivité de son
de sa maîtrise, pour trouver place dans le monde époque » (Lacan, 1953, p. 321). La société contem-
des autres. L’anorexie est corrélative d’une poraine pousse à se satisfaire du premier objet à
« mélancolisation du lien social » (Douville, 2001). portée de main – un pousse-à-jouir sans entrave –
Douville en parle en ces termes : « Donner à l’objet et à rejeter tout manquement. Ce faisant, est
le pouvoir de régner en maître est bien ce que la occultée la dimension de perte, inhérente à
bulletin de psychologie 507

l’humain, le manque au fondement de la dimension À l’époque contemporaine, le vagabondage des


symbolique. Quelques sujets – aux prises avec le images – à défaut de semblants – n’est pas sans
féminin – se mettent au service de cette cause incidences. La position anorexique est, alors, aussi,
absolue et folle, qui est d’entretenir une jouissance une manière de faire objection au « pousse-à-faire »
– par elle-même éprouvée, mais ignorée – au nom l’homme généralisé, au « tous pareils ». L’anorexie
du nouvel idéal contemporain. Mais là où vient s’inscrire dans une société, dans des discours,
l’anorexique pense prendre position, soutenir en rapport avec les idéaux d’une époque : qu’elle
revendication, elle peut, aussi, se perdre, toute place est, aujourd’hui, laissée aux jeunes filles ? À
entière, dans la cause défendue. quels semblants peuvent-elles encore avoir accès ?
Les femmes, dans notre modernité, n’ont, jamais, Quel rapport au partenaire est soutenable et
été si peu Autre à elles-mêmes, identifiées qu’elles soutenu ? Quel esthétisme des corps est porté à
sont à de féroces figures, qui se succèdent et qui l’idéal ? Les patientes anorexiques psychotiques
les éloignent de ce qu’elles pourraient désirer et trouvent, elles, dans la dérégulation contemporaine
être, cette absence qui féminise (Barthes, 1977). À des rapports et des jouissances, de quoi nourrir leur
l’ère de l’universalisation des rapports et du déli- extrémisme. Seule, la mort vient faire limite à leur
tement des liens sociaux, la modernité est en panne folle jouissance.
de semblants, semblants utiles, nécessaires, essen- À suivre de nombreuses jeunes filles anorexi-
tiels aux femmes, semblants qui peuvent donner ques, ce qui apparaît rapidement est leur insatiable
consistance à être là où le signifiant manque à dire demande d’amour quand elles commencent à
leur être de femme et, au fond, à dire le non-rapport prendre la parole, des sujets qui n’ont de cesse de
sexuel. Pour certaines femmes, quand les semblants demander : « demander le sujet n’a jamais fait que
vacillent, c’est toute leur existence qui est remise ça, il n’a pu vivre que par ça et nous prenons la
en question et tout leur être qui se met en abîme, suite », avançait Lacan (Lacan, 1958a, p. 617). S’il
l’arrimage phallique ne suffisant pas à limiter s’agit de prendre en compte leur demande, il ne
l’errance. Il existe, bel et bien, une clinique au s’agit, certainement pas, d’alimenter plus encore le
féminin – un féminin, qui ne se confond en rien ravage auquel elles ont affaire pour la plupart. Pour
avec une féminité de fait – qui se vit et s’éprouve les femmes « l’amour ne va pas sans dire » (Lacan,
non sans rapport avec la subjectivité d’une époque. 1974b), un dire qui a fonction de limitation et de
Cette clinique vient attester que l’une des figures régulation, un dire qu’elles appellent du lieu de
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du lien social, l’amour (Barthes, 1977), est en l’Autre et auquel elles aspirent de leur vœux. Si
panne de ses semblants (Miller, 1997). elles ne savent pas ce qu’elles veulent, elles savent
qu’elles ont à consentir à se faire « tenantes du
AIMER ABSOLUMENT désir » pour un partenaire, partenaire, qui peut leur
donner « semblant de subsistance » et faire rempart
Certaines femmes sont animées d’une volonté de à l’absolutisation de leur jouissance. Dans le sémi-
jouissance, qui les pousse à la limite du représen- naire « Encore » (Lacan, 1972c), le signifiant du
table, là où le sens échoue à endiguer l’absence manque dans l’Autre est, certes, ce qui oriente la
qu’elles peuvent rencontrer (Borgnis Desbordes, jouissance féminine – côté féminin de la sexua-
2011). Cette possible rencontre avec le réel ne tion – mais, aussi, le terme qui rassemble l’amour
relève pas de quelque disposition féminine, mais dont il est le but, le désir, dont il est la cause et la
d’une « position féminine de l’être » (Laurent, jouissance qu’il aimante. Le signifiant du manque
1993), qui les pousse au-delà de toute signification. dans l’Autre est l’indice du réel comme impossible,
La question n’est pas tant de savoir ce qu’une dont Miller relève que l’amour peut y faire
femme peut bien vouloir du point de vue de son suppléance. L’amour peut faire suppléance au
désir, que de saisir les semblants auxquels elle a rapport sexuel qu’il n’y a pas, à condition qu’il
recours pour tenir posture féminine dans le monde n’ait aucune ambition de vérité – trompeuse – et
des autres, de l’Autre, de ses partenaires, de ses qu’il donne indication quant au réel en jeu :
symptômes. L’Autre vorace, auquel l’anorexique a « l’amour, au service de la psychanalyse, c’est
affaire, l’annule comme sujet et la désabonne à l’imaginaire pris comme moyen pour que s’écrive
l’inconscient. Le sujet trouve, alors, ses conditions le rapport du réel au savoir » (Lacan, 1973). Pour-
d’existence d’une jouissance de l’être – ou jouis- quoi l’appel à l’amour absolu serait-il propre aux
sance de corps – sur laquelle le signifiant peine à femmes ? Une femme donne consistance encore et
avoir une prise. L’anorexie de la jeune fille – quand encore à l’Autre de l’amour, là où elle a justement
elle n’est pas psychotique – ne relève pas de affaire à un vide d’être, un vide auquel elle peut
quelque refus de la féminité ou des insignes de la faire choix de s’abandonner (Quignard, 2011). Cet
féminité ; elle cherche, bien plus, à trouver ancrage, abandon, cette tentation au dépouillement, n’est pas
là où le signifiant manque à dire l’être féminin et sans rappeler les vécus extatiques (Martinez, 2011).
à trouver limitation à la jouissance qui la traverse. S’abandonner sans réserve à ce qui vous emporte,
508 bulletin de psychologie

ne serait-ce pas là la clef de l’extase, renversement à avancer sur l’échiquier de la relation à l’autre.
d’une détresse en laissé-être, de l’instase à Comment séparer le sujet de ce corps pris comme
l’extase ? (Millot, 2001). Ce renversement ne peut objet de jouissance, dont l’Autre jouit à l’envi ?
s’opérer que sur fond de consentement, consente- Comment la réintroduire à la dialectique désirante,
ment de l’être en l’amour, acquiescement au entre don et demande ? L’appel à l’Autre de la
manque. demande est appel à l’Autre de l’amour, qui ne va
L’anorexie de la jeune fille ne relève pas de pas sans dire (Lacan, 1974b).
quelque refus de la féminité ou des insignes de la
Camille
féminité ; elle cherche, bien plutôt, à trouver Camille est une adolescente de 14 ans, que nous
ancrage là où le signifiant manque à dire l’être recevons dans un service de pédopsychiatrie ; ses
féminin et à trouver limitation à la jouissance, qui parents l’adressent au service pour un problème
la traverse. Si le signifiant manque à la faire toute cutané, un eczéma géant, qui recouvre tout son
femme, les occasions ne manquent pas de la rendre corps, eczéma qui a résisté jusque là à toutes les
toute « âmoureuse ». Aux prises avec une jouis- thérapeutiques et qui ne masque que très mal une
sance qui la dépasse – au-delà de la limite phal- anorexie passée jusque là sous silence. Alors que
lique – la femme en passe par une demande tous s’acharnent à traiter le corps – et plus particu-
d’amour, qui n’est rien d’autre qu’une demande lièrement la peau – Camille maigrit sans que
personne ne s’en soucie vraiment. Camille dit
d’être.
qu’elle n’a jamais beaucoup mangé et que de
L’anorexie vient répondre aux impasses de la nombreux aliments la dégoutent : « à peine
civilisation, qui s’accompagne de la mise au rencart commencé le repas, j’ai plus faim, j’en peux plus ».
de la division subjective, et qui laisse libre champ Elle dit ne plus supporter les repas familiaux qui
à la prolifération d’une jouissance exigeante et durent des heures, selon une tradition familiale, ne
capricieuse qui désoriente et déshumanise. Les plus tenir sur sa chaise au bout d’un moment, vouloir
femmes, dans notre modernité, sont identifiées à hurler, vouloir partir, vouloir vomir : « j’ai envie de
de féroces figures, qui se succèdent et qui les éloi- leur vomir dessus ». Elle se plaint, alors, plus préci-
sément, des rythmes alimentaires fixés par sa mère :
gnent de ce qu’elles pourraient désirer et être, de
« tous les lundis la même chose, tous les lundis de
l’absence qui féminise (Barthes, 1977) : elles n’ont toute la vie ! ». Chaque jour est marqué d’un menu
jamais été si peu Autre à elles-mêmes, nécessité fixé par la mère, un menu qui n’est pas sans rapport
impérieuse pour les rendre « âmoureuses » (Leguil, avec ce qui fait plaisir au père de Camille, des plats
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2009). L’amour peut faire suppléance au « rapport lourds et en sauce : « ça me dégoûte, je peux plus ».
sexuel qu’il n’y a pas » (Lacan, 1972c), à condition Camille mange de moins en moins durant les repas,
qu’il n’ait aucune ambition de vérité – trompeuse –, fait valoir, auprès de sa famille et, notamment, sa
mais qu’il donne indication quant au réel en jeu. mère, que son état de fatigue physique ne lui permet
L’amour, à l’heure actuelle, est en panne de plus de venir avec eux à table. Alors, Camille mange
semblants, et les jeunes filles orphelines de tout entre les repas, en cachette, des sucreries en grande
quantité : « je me gave de sucre, ras-la-gueule et je
mythe. Pour certaines femmes (Lacan, 1958b),
fonce avec mes bouteilles d’eau aux toilettes ».
quand les semblants vacillent, c’est tout leur être Camille vomit. « Quand il n’y a pas de sucre, je
qui s’abîme. Dans ce grand mouvement de la civi- mange rien. » Camille ne mange pas rien, elle mange
lisation, il n’y a pas de raison que leur aspiration « le rien » dans une jouissance qui a pris corps et
– leur vouloir dire, tout autant que leur vouloir qui la mène vers le décharnement : « Je pourrais
être –, ne s’en trouve ébranlée et ne les mène sur aller comme ça jusqu’au bout de la vie... non, de la
des voies dangereuses, en raison de la jouissance nuit. » Le sujet élève l’objet oral à la dimension du
errante, qui les habite, qui leur « ex-siste » (Miller, rien et en fait un objet à part entière ; cet objet, elle
2002). Ainsi, la clinique de l’anorexie pose, plus y tient, elle ne veut pas y renoncer et l’aliment
particulièrement, une question féminine, non pas demeure l’objet qui cause le désir. Camille ne cède
rien, elle lutte. Elle s’est construite un corps
du côté d’une phallicisation en défaut, mais de son
« brûlant », un corps, qui n’est plus qu’une peau,
au-delà, son abîme ordinaire (Millot, 2001). une boursouflure. Mais il alimente la jouissance de
Ainsi, ce n’est sans doute pas un hasard si les l’Autre. En effet, elle dit vivre la nuit (« je vis dans
anorexiques sont plutôt des femmes : la position l’ombre ») sa peau ne la laissant jamais tranquille,
anorexique n’est pas une position de refus de la l’empêchant de trouver le sommeil. Camille s’est
féminité, mais une tentative de traiter la jouissance toujours plainte de sa mère, qui n’avait de cesse que
féminine, qui échappe à la signifiance, à la diffé- de donner des rythmes au quotidien – imposant des
rythmes de repas, surveillant les rythmes de
rence. L’anorexique tente de nouer le réel avec le
sommeil et notant les rythmes menstruels de sa fille
symbolique, véritable tentative de traitement de la depuis leur apparition. L’aménorrhée de Camille est
jouissance excédentaire. L’anorexique – névrosée – apparue assez rapidement. Après quelques mois de
est aux prises avec une « jouissance » désarrimée, suivi, après la prise de conscience de Camille d’un
qui signe la position féminine de son être. rapport entre ses poussées d’eczéma et la période du
L’anorexique n’a que le corps – et ses jouissances – mois, elle se sépare de ce que lui impose sa mère,
bulletin de psychologie 509

elle accepte de perdre la jouissance et prend la S’autoriser à prendre en charge une patiente
parole. Elle pourra venir parler de son désir et de anorexique suppose de se défendre de toute position
son être femme à travers ce réel du corps – les de demande. La visée du suivi est de relancer le
règles – qui vient, pour elle, signer la féminité. Si désir, en séparant le sujet de sa place d’objet de
l’absence de règles lui a permis une certaine « tran- jouissance de l’Autre, dans lequel il a logé tout son
quillité », Camille n’est pas sereine quant à cette être, stratégie qui nécessite un maniement de la rela-
question ; ses règles lui manquent, parce que leur tion à l’autre particulier : obtenir, du sujet, qu’il
absence montre que quelque chose « cloche » dans consente à demander qu’il engage son désir et sa
sa féminité. Tant que Camille était sous le contrôle parole. Alors, seulement, apparaissent des effets
de sa mère, elle était « tranquille », mais thérapeutiques. Dans la mesure où l’anorexique a du
aujourd’hui, où elle parle en son nom, cette absence mal à parler en son nom, à engager sa parole, il y a
la trouble. Nous inciterons Camille à se saisir de lieu de penser un dispositif qui le lui permette. Dans
cette question sur son être-femme, en consultant un la clinique de l’anorexie, il s’agit d’orienter la cure,
gynécologue, un gynécologue qui ne soit pas celui non pas du côté du sens, ce qui ne ferait que nourrir
de sa mère, mais un autre de son choix : « Comment le symptôme, mais du côté du hors sens, qui permet
à la jeune fille de ne plus se situer dans le droit fil
voulez-vous que je puisse parler de ça au gynéco-
de sa jouissance, mais de se déplacer au fur et à
logue de ma mère, c’est glauque ! » Elle ira
mesure que le signifiant traite le réel auquel elle a
consulter une femme et retiendra de cette consulta-
affaire. Par là-même, elle peut retrouver un rapport
tion médicale « l’importance de la régularité des
authentique à la parole, elle ne parle plus pour ne
cycles pour être une femme ». Accepter le retour de
rien dire, mais engage son être dans ce qu’elle dit ;
ces menstruations par la consultation médicale elle renoue la jouissance illimitée au signifiant.
devait permettre à Camille de vectoriser son désir,
non pas de ce qui oriente sa mère, mais d’une ques-
tion propre, dégagée de toute brûlure : que signifie LA SOLUTION ANOREXIQUE
être une femme ? Camille sait, désormais, que son
corps parle et que ça ne concerne pas que la peau ;
Qu’elles soient mystiques, anorexiques ou
d’ailleurs, l’eczéma, qui s’estompe sur le corps, tend
mélancoliques, ces sujets, en position féminine,
à se localiser sur la tête, mettant à mal sa certitude
première « j’ai ça dans la peau, pas dans la tête ». montrent, par leurs conduites sublimes ou sympto-
Aujourd’hui, elle dit « j’ai décidé d’être une femme matiques, qu’il existe un autre moyen que la
régulièrement », nouant réel et symbolique. Après production hystérique pour limiter la jouissance
(Borgnis Desbordes, 2011). Un moyen qui ne soit
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des mois de suivi, Camille se met au théâtre,
commence à envisager son avenir sous le regard de pas du registre de l’objet a, de la jouissance phal-
l’Autre... Elle veut s’investir dans l’hôtellerie ; c’est lique, du signifiant, et qui, pourtant, puisse contenir
sa nouvelle « idée » et elle y tient. « Il y a plein le lien ravageur à la mère. Ce ravage, qu’elle
d’aliments que j’aime pas et surtout les sauces et les cherche à traiter, elle le recherche, tout autant
viandes. Mais les servir aux autres ça ne me dérange qu’elle l’éprouve. De quel ordre est donc cette
pas. » Elle fait, alors, le choix de changer d’école à substance qui empêcherait, voire limiterait le
la rentrée suivante et de sacrifier ses amies – avec ravage ? Lacan nous donne une indication à propos
qui elle est en miroir – pour cette nouvelle cause. du sujet qui subsiste pour moitié de la rature, c’est-
Camille mange régulièrement, sans excès ni restric-
à-dire de la lettre (Lacan, 1971). Il ne s’agit donc
tion. Après un déplacement de différents lieux du
pas, dans ce cas, du registre du signifiant propre au
corps, ses plaques d’eczéma ont fini par disparaître ;
elle dort beaucoup mieux. Elle n’a qu’une préoccu- symptôme, lequel viendrait diviser l’hystérique. Ce
pation, les traces, les cicatrices laissées par l’eczéma n’est pas le signifiant, mais la lettre – et, en l’occur-
sur sa peau. Elle est préoccupée par son image, mais rence, l’écriture – qui fait barrage au ravage, ainsi
une image qu’elle donne à voir aux autres, une que Duras le formulait : « seule l’écriture est plus
image dans laquelle elle dit se reconnaître un peu forte que la mère » (Mahjhoub-Trobas, 1993). La
plus, pas tout à fait. Elle se plaint de ne pas faire jouissance de l’Autre est interdite à l’homme par
tout comme les autres, de ne pouvoir se maquiller. la castration, par la fonction de l’objet a et du
Alors que nous avions rarement vu son visage, fantasme qu’il détermine. Chez la femme, elle n’est
puisqu’elle laissait pendre ses cheveux longs devant, pas interdite, mais peut être limitée par la lettre,
comme un écran, elle vient désormais les cheveux par l’écriture (Adler, 1998). Chez l’anorexique,
attachés : « ça fait plus propre » – c’est la jouissance comme chez l’inédique (anorexie mystique), il ne
en excès, qui est souillure. Et puis, elle attire notre
s’agit pas tant de produire un objet a, en jouant de
attention sur un point de suture qu’elle a au bord de
son refus comme d’un désir, que de jouer de son
la lèvre ; elle a le souvenir de la douleur ressentie
lorsque le chien l’a mordue, alors qu’elle avait 5 à corps-déchet, comme d’une lettre, qui viendrait
6 ans : « le chien a été piqué, on m’a endormi avec faire barrage au ravage de la mère. « Le corps réel
un masque, je croyais que j’étais aspirée dans le est à évacuer au nom d’un idéal de corporéité, une
tuyau ». Ce point de suture a valeur de véritable image corporelle réduite à un pur trait distinctif »
point de capiton, où se localise la jouissance du (Freymann, 1992). L’anorexique se fait signifiant
sujet, trace de son être vivant désormais. de l’évanouissement du sujet – qu’elle confond
510 bulletin de psychologie

avec sa disparition (Barillé, dans Andreas-Salomé, transfert c’est de l’amour qui s’adresse au savoir »
2010). Face à la mère, elle interpose son évanouis- (Lacan, 1959, p. 146). Une manœuvre est à opérer
sement et son anorexie, pour que le rien, comme dans le transfert avec l’anorexique, pour que
objet a, puisse se perdre du regard, pour que du l’amour engagé – et non saturé – accède au désir,
désir puisse se soutenir. Le fading de l’anorexique pour que le sujet passe du désir de savoir au désir
(Guingand, 204) tente de se faire avec le rien d’être. L’anorexique, et, en cela, elle rejoint la
comme objet a, qui se présentifie dans la forme la mystique, croit en l’amour absolu qui lui donne
plus épurée, la plus réelle, du corps : un objet a consistance d’être ; elle ne vise pas tant à décom-
incarné, matérialisé, réduit à une lettre. pléter l’Autre, qu’à viser l’Un (Miller, 2011), tenta-
L’anorexique produit, par son corps, une lettre, qui tive risquée de limiter la jouissance tout en
traite – en la limitant – cette jouissance errant et l’alimentant. Il y a une nécessité à opérer sur la
dévastatrice. Elle tente de dessiner, de sculpter, un jouissance illimitée, afin de rendre possible un
littoral entre la vie et la mort, illusion folle de la travail analytique, qui peut amener le sujet à trouver
beauté d’un corps-déchet, qui la maintiendrait dési- un autre appui, au-delà de la nourriture, à construire
rante, sans qu’elle ait à perdre toute la jouissance. un savoir subjectivable (Cosenza, 2008).
L’anorexique produit de la lettre par le jeûne.
L’aliment, lui, est resté aux confins de la Chose,
CONCLUSION
das Ding (Lacan, 1959). Par le jeûne, l’anorexique
mange son propre corps, réduit à la Chose et trans- À l’heure actuelle, le vagabondage des images ne
forme ce déchet, qu’est devenu le corps, en lettre, donne aucune consistance aux êtres et ne propose
qu’elle soumet au regard de l’Autre et, notamment, aucun semblant qui vaille. Comment donner à la
de la mère, lettre qui coupe, lettre qui tente inscrip- jeune fille anorexique l’amour qu’elle réclame – et
tion : une matérialité, qui ne serait pas du l’objet qu’il n’y a pas – et, ainsi, évite qu’elle ne
semblant ! Au fond, par son jeûne, l’anorexique rejoigne nos mystiques d’autrefois, qui n’avaient de
tente de créer une limite symbolique à la jouissance cesse d’échafauder un dieu à la démesure de leur
qui la submerge. L’anorexique cherche à se créer jouissance ? Aujourd’hui, à défaut de dieu, la jeune
une prothèse symbolique : un sinthome. En ne fille n’a que le sacrifice du corps et de son être à
mangeant plus, elle impose une coupure sans proposer sur l’autel de la modernité, la cause amai-
parole, coupure sans signifiant. Comment la réin- grissante – valorisée et déterminante – étant le
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troduire au langage de son désir ? Par l’amour et nouveau leitmotiv. Il y a un enjeu éthique et poli-
le transfert, elle peut trouver son signifiant. En tique à faire valoir le non rapport entre les sexes
effet, si le désir relève du sens, l’amour, lui, relève – soit la non complémentarité des sexes et des posi-
du vide (Lacan, 1977). Si l’amour relève de tions sexuées – et faire valoir la singularité d’une
l’inconsistance, les voies qu’il emprunte font « position féminine de l’être », qui se distingue de
montre de son usage possible – véritable tout positionnement subjectif et qui ne se révèle que
semblant – se déclinant différemment, selon dans certaines dispositions langagières et de jouis-
l’inscription dans l’un ou l’autre des côtés de la sance. Soutenir cet enjeu, pour les cliniciens, parti-
sexuation. Si, côté masculin, l’amour est corrélé au cipe d’un acte civilisateur et permet, au sujet, de
fantasme, côté féminin, l’amour est corrélé au s’autoriser à vouloir ce qu’il désire, rendant possible
signifiant du manque dans l’Autre. Cet amour-là son inscription dans le lien social et sa rencontre
est convoqué dans les « conditions d’amour » avec un partenaire : participer à réinventer, en
propres au transfert dans la cure analytique : « le permanence, un lien social qu’il n’y a plus.

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