Éditorial. Quelle éthique pour l’intelligence artificielle ?

Alain Thomasset
Dans Revue d'éthique et de théologie morale 2020/3 (N° 307), pages 7 à 9
Éditions Éditions du Cerf
ISSN 1266-0078
ISBN 9782204138086
DOI 10.3917/retm.310.0007
© Éditions du Cerf | Téléchargé le 29/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 92.184.96.46)

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 Éditorial
Quelle éthique
pour l’intelligence
artificielle ?

L’intelligence artificielle (IA) envahit peu à peu nos vies, souvent

de manière imperceptible et pourtant de plus en plus prégnante.
Qu’il s’agisse des assistants personnels intelligents, des logiciels
de recherche, de la domotique, de la reconnaissance faciale ou
de l’aide au diagnostic médical, sans parler de la logistique des
transports, de la robotique, de l’usage des drones militaires, ou
encore dans la finance, la police ou l’éducation, l’IA s’insinue
partout. Elle fascine et inquiète à la fois. Depuis la victoire au
jeu d’échecs de Deep Blue contre Kasparov en 1997, et celle au
jeu de go, d’AlphaGo contre Fan Hui en 2015, ses succès sont
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devenus célèbres. En même temps, les interrogations éthiques
se sont multipliées : en dehors des inquiétudes alimentées par la
science-fiction sur ses menaces pour l’humanité (voir Skynet et
Terminator), les réflexions tendent à se concentrer sur la concep-
tion des algorithmes qui peuvent déjà avoir des conséquences
importantes sur notre quotidien. Ces processus de calcul et de
résolutions de problèmes à la base des IA sont en effet particuliè-
rement opaques et peuvent produire des biais, des discriminations,
susciter des visions du monde, sans que nous soyons toujours en
mesure d’ouvrir la « boîte noire » qui les fabrique.
Déjà le rapport Villani au gouvernement, publié en 2018, indiquait
la nécessité d’un effort d’explicabilité et de contrôle des algorithmes.
Il soulignait l’importance d’une formation adéquate des chercheurs,
ingénieurs et entrepreneurs qui contribuent au développement de l’IA,
afin de « les sensibiliser, dès le début de leur formation, aux enjeux
éthiques liés au développement des technologies numériques ». Il
constatait qu’« aujourd’hui cet enseignement est quasiment absent
des cursus des écoles d’ingénieurs ou des parcours informatiques des
universités, alors même que le volume et la complexité des problé-
matiques éthiques auxquelles ces futurs diplômés seront confrontés

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ne cessent de croître »1. Depuis lors et à la suite de ce rapport,

un Comité National Pilote d’Éthique du Numérique a été créé en
décembre 2019, sous l’égide du CCNE. Si l’IA offre de multiples
possibilités de développement économique, social ou éducatif, elle
suscite des questions qui doivent être posées dès la conception de ces
machines. De même, leur effet mérite d’être examiné sur l’emploi
et l’organisation du travail, sur la protection des données person-
nelles, sur la responsabilité humaine dans les décisions vitales qui
incluent des systèmes autonomes (police, armée, assurance, justice,
transport…), sur les risques d’accroissement des inégalités ou des
discriminations (du fait des biais cognitifs dans les données recueillies
à la base de leur fonctionnement).
C’est un premier panorama de l’ensemble de ces questions que
ce numéro de la RETM veut offrir à ses lecteurs. Nous avons fait
appel à celles et ceux qui sont parmi les meilleurs spécialistes de ces
sujets (dont la dimension technique est indéniable) pour expliquer
et analyser ces enjeux qui pour beaucoup restent obscurs. L’article
d’Isabelle Linden nous donne une première approche pour comprendre
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ce qu’est une IA, ses techniques, ses caractéristiques et examiner les
questions qui se posent depuis le point de vue d’une spécialiste de
l’informatique. De son côté, Pierre Geydier ouvre la « boîte noire »
et analyse la fabrication des « données » qui servent à la « formation »
des IA. Il en montre le risque de manipulation politico-sociale ainsi
que celui du réductionnisme qui accompagne cette ingénierie sociale.
Sur le sujet d’actualité de la conception et l’usage des véhicules
autonomes, Jérôme Perrin, étudie les dilemmes éthiques qui surgissent
de la décision en face d’un risque d’accident et suggère à cet égard
une éthique de responsabilité et de sollicitude. L’IA commençant à
envahir l’activité industrielle, avec pour objectif idéal l’image d’une
usine connectée et robotisée, Peter Warrian effectue une étude de cas
à partir d’une mine canadienne et fait apparaître les conséquences
d’une robotisation des camions de transport sur l’emploi et l’organi-
sation industrielle. Quant à Jean-Marc Moschetta, il s’interroge, en
théologien, sur la possibilité d’assimiler ces machines intelligentes
à des « personnes artificielles » et sur leur place dans la création et

1. Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle. Pour une stratégie nationale et
européenne, rapport pour le premier ministre Édouard Philippe, publié en mars 2018, p. 22.

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 Quelle éthique pour l’intelligence artificielle ?

le salut offert par le Christ. Enfin, Paolo Benanti dessine l’esquisse

d’une « algor-éthique » qui vise à introduire des principes éthiques
dans la conception des algorithmes à la base du fonctionnement des
IA. En annexe est publié ici « l’appel de Rome pour une éthique de
l’IA », dont l’initiative revient à l’Académie Pontificale pour la vie
et dont les premiers signataires sont le président de Microsoft, le
vice-président d’IBM et le directeur général de la FAO.
Dans la rubrique des Varia, plus brève que de coutume, est présenté
un article de Bruno Vandenbulcke, qui a reçu le prix de l’ATEM
2020 des jeunes chercheurs en éthique, pour l’originalité, la rigueur
et la pertinence de sa recherche pour aujourd’hui. Il formule une
pensée éthique et théologique sur la réalité des couples homosexuels
chrétiens et sur les chemins d’une vie évangélique à partir de leur
condition baptismale.
Alain Thomasset, sj
Rédacteur en chef de la RETM
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