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Faut-il individualiser les droits sociaux ?

Henri Sterdyniak
Dans Regards 2023/2 (N° 62), pages 35 à 45
Éditions EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale
ISSN 0988-6982
© EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 92.89.167.97)

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Faut-il individualiser les droits sociaux ?1

Par Henri Sterdyniak, Économiste à Sciences Po

Ancien élève de l’École polytechnique et de l’ENSAE, ancien


administrateur de l’INSEE, Henri Sterdyniak a été économiste à l’OFCE
et à Science Po.
Il a enseigné à l’université Paris-Dauphine. Il a fondé les Économistes
Atterrés.
Il a publié de nombreux articles sur les questions macroéconomiques,
sur les politiques budgétaires et monétaires, sur les politiques
fiscales et sociales, sur les questions européennes.
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La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement 2.

L
e système fiscalo-social doit choisir son unité de base. Le système français est
foncièrement familial. C’est la famille qui constitue l’unité d’imposition ou de droit
à prestation d’assistance. La société reconnaît le droit des personnes à se marier
(ou à se pacser), à fonder une famille, à mettre en commun leurs ressources. Ce droit
a été étendu aux personnes de même sexe. La société considère que les membres de
la famille mettent en commun leurs ressources et se les partagent équitablement.
Cette conception descriptive de la famille solidaire est aussi normative : les personnes
mariées se doivent assistance ; les parents doivent assurer à leurs enfants le même
niveau de vie que le leur ; c’est la base de l’obligation alimentaire, des pensions alimen-
taires et des pensions de réversion.
Certains (et certaines) préconisent l’individualisation du système fiscalo-social.
Ce serait à chaque personne que la société reconnaîtrait des droits, à chaque personne
qu’elle imposerait de contribuer aux dépenses publiques. La société ne tiendrait pas
compte des choix de vie familiaux des individus, choix qui seraient uniquement privés ;
l’autonomie de chaque personne serait proclamée. Le choix entre individualisation et
familialisation peut être considéré comme politique. Certes, une société ne comportant
que des adultes pourrait choisir de privilégier l’autonomie individuelle. Mais, l’exis-
tence des enfants (25 % de la population) ne laisse guère le choix. La société a besoin
d’enfants pour perdurer et les enfants ont besoin d’une famille, dans l’idéal une famille
stable, avec deux parents (reconnus socialement comme tels, indépendamment du
lien biologique). La société doit reconnaître la famille qui reste la base de notre société.
De leur naissance à leur entrée dans la vie active (entre 18 et 23 ans maintenant),
les enfants sont à la charge de leurs parents, charge financière certes, mais aussi

1 Cet article résume et met à jour : Sterdyniak, H. : « Contre l’individualisation des droits sociaux », Revue de
l’OFCE, juillet 2004.
2 Article 10 du préa+mbule de la Constitution de 1946.

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FAUT-IL INDIVIDUALISER LES DROITS SOCIAUX ?

lourdes charges en termes de soin, d’éducation, de temps et de soucis ; la société


doit en tenir compte. L’élevage des enfants est un esclavage volontaire. À partir du
moment où deux personnes décident d’élever des enfants, leur autonomie, en tant
qu’individu, est obligatoirement mise en cause. La société leur demande d’assumer
les conséquences de ce choix, légalement par l’obligation alimentaire, mais aussi en
fait en leur assurant le même niveau de vie qu’à eux-mêmes. Le partage équitable des
revenus à l’intérieur de la famille est à la fois la réalité effective et la norme sociale,
plutôt qu’un schéma où chaque parent garderait pour lui son salaire tandis que les
enfants ne vivraient que des prestations sociales, pratique qui seule pourrait justifier
l’individualisation. Une situation où les parents élèvent conjointement leurs enfants
est préférable à une situation où ceux-ci seraient à la charge de leurs seules mères,
tandis que les pères seraient déchargés de toute responsabilité.
Par ailleurs, une majorité de personnes souhaitent vivre en couple (comme en
témoignent les manifestations pour « le mariage pour tous ») et élever des enfants. La
société reconnaît ce souhait en reconnaissant le mariage (et le pacs), en contribuant,
dans une certaine mesure, aux charges de l’élevage des enfants. La famille reste la
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base de nos sociétés (selon l’INSEE, en 2020, 84 % des résidents en France vivent en
couple ou en famille).
En même temps, les couples deviennent instables ; le nombre de divorces, comme
celui de familles monoparentales, augmente ; de nombreux enfants vivent dans
des familles recomposées. La société doit tenir compte de cette évolution, même si
celle-ci a de lourdes conséquences du point de vue social ; un divorce plonge souvent
la femme et les enfants dans la pauvreté. La société doit aider fortement les femmes
seules avec enfants, même si cette situation n’est pas souhaitable (et, de ce point de
vue, l’ouverture de la PMA aux femmes seules est problématique).
Le débat entre individualisation et familialisation masque en fait une divergence
profonde sur la famille. Pour certains et certaines, la famille est une survivance du
modèle patriarcal, basée obligatoirement sur la domination de l’homme sur la femme.
La déconstruction de la famille (et du couple) est nécessaire pour développer l’auto-
nomie des femmes. L’individualisation des droits sociaux et de la fiscalité participerait
à cette déconstruction. Pour nous, la famille est une composante fondamentale que
la société doit prendre en compte. Elle est, par définition, nécessaire pour élever les
enfants. Même si jadis, elle était souvent inégalitaire, elle évolue vers une association
égalitaire, permettant à deux personnes d’exprimer leur affection et leur solidarité, de
déclarer partager leurs ressources entre eux et avec leurs enfants. Sur le modèle de la
famille classique avec deux parents et des enfants, la société doit aussi reconnaître les
couples sans enfants et surtout aider les familles monoparentales. La familialisation
permet d’aider spécifiquement les familles en difficulté, donc les familles monoparen-
tales ; elle réduit les pertes de niveau de vie résultant de la rupture du couple et de ce
point de vue favorise l’autonomie.
Pour d’autres, d’inspiration libérale, l’individualisation des droits sociaux devrait
inciter les femmes mariées à travailler, à ne pas se reposer que la garantie illu-
soire qu’apporte le mariage. L’individualisation se traduirait alors par une baisse des
droits sociaux des femmes mariées (fin des pensions de réversion et des prestations
compensatrices, hausse des impôts des couples mono-actifs). Cependant, le taux d’ac-
tivité des femmes est déjà élevé en France. Faut-il essayer de l’augmenter en rédui-
sant le niveau de vie des femmes mariées ?

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Les droits sociaux doivent tenir compte des familles telles qu’elles existent,
sachant qu’il existe une tension, qui doit être gérée entre les droits familiaux et des
droits individuels, entre la solidarité familiale et la solidarité sociale.
Classons les droits sociaux en trois catégories : les droits universels, les assu-
rances sociales, les prestations d’assistance, sachant que la répartition entre ces caté-
gories est elle aussi un choix social, sujet à tensions.

I- DES DROITS UNIVERSELS


Les droits universels bénéficient à tous de sorte que la question de leur individua-
lisation ne se pose pas. C’est le cas du droit à l’éducation et maintenant, grâce à la
protection universelle maladie, du droit à la santé.
Le champ de ces droits fait l’objet de choix sociaux. En ce qui concerne l’éducation,
si l’école maternelle est gratuite, ce n’est pas le cas de la garde des très jeunes enfants
(jusqu’à 3 ans), qui devrait être pris en charge par un service public universel et gratuit,
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ce qui favoriserait l’emploi des femmes et le développement des enfants. De même,
l’extension des activités extra-scolaires gratuites est souhaitable.
En ce qui concerne la santé, le repli de l’assurance-maladie fait que le recours
à des complémentaires santé est maintenant indispensable. Les ménages les plus
pauvres bénéficient certes d’une complémentaire santé solidaire, gratuite (en dessous
d’un certain plafond de ressources) ou peu coûteuse (jusqu’à un autre plafond) ; les
salariés ont droit à une complémentaire santé, mise en place par l’entreprise et
couvrant leur famille ; les retraités doivent en supporter pleinement le coût. Ce double
système, assurance-maladie/complémentaire santé, est source de coûts supplémen-
taires, sans améliorer vraiment la gouvernance des soins. Là aussi, étendre le droit
universel en intégrant les dépenses actuellement couvertes par les contrats respon-
sables devrait être envisagé.
Les allocations familiales ont aujourd’hui en France un statut ambigu, qui font que
l’on peut hésiter à les classer comme prestations universelles. Elles dépendent du
nombre d’enfants dans la famille (nulle pour un enfant, 72 euros par mois par enfant
pour une famille avec deux enfants, 108 euros par enfant pour une famille avec trois
enfants, 182 euros par enfant supplémentaire), ce qui est justifiable si l’objectif est
de maximiser le revenu par tête des familles sous contrainte budgétaire : les familles
ont d’autant plus besoin d’être aidées qu’elles ont beaucoup d’enfants3. En 2014, elles
ont été réduites pour les familles au-dessus d’un certain niveau de revenu, alors
que pour ces familles, elles étaient déjà d’un montant très faible par rapport à leur
revenu. Surtout, les allocations familiales ne prennent en charge qu’une part faible,
et de plus en plus, du coût d’un enfant ; elles ne sont, au mieux, indexées que sur les
prix et non sur les salaires4. En 2023, le revenu médian par unité de consommation
devrait être de l’ordre de 2 166 euros par mois ; un enfant représentant en moyenne
0,35 unité de consommation, son coût moyen est de l’ordre de 750 euros ; dans le cas
d’une famille à deux enfants, les allocations familiales n’en représentent que 10 %.

3 Voir Sterdyniak, H. : « Faut-il remettre en cause la politique familiale française ? », Revue de l’OFCE, n° 116,
janvier 2011.
4 Les allocations familiales pour deux enfants sont passées de 20 % du SMIG en 1950, à 13 % du SMIC en 1983
et 8,5 % en 2022.

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FAUT-IL INDIVIDUALISER LES DROITS SOCIAUX ?

La charge des enfants est donc largement supportée par leurs parents. Le système
fiscalo-social français ne pourrait être individualisé que si les allocations prenaient
en charge la totalité du coût des enfants, cela nécessiterait qu’elles soient fortement
augmentées (vers les 750 euros).

II- DES ASSURANCES SOCIALES

Les assurances sociales (retraite, chômage, accident du travail, prestations mala-


die-maternité de remplacement) sont des droits sociaux liés au salariat (et plus géné-
ralement maintenant à l’activité). Réservées aux personnes ayant cotisé, salaires
différés et socialisés, ce sont logiquement des prestations individualisées5. Il y a
cependant deux exceptions.
L’allocation spécifique de solidarité (qui prolonge l’ARE, les allocations chômage)
est conjugalisée. C’est une prestation intermédiaire entre une prestation d’assu-
rance sociale (il faut avoir cotisé pendant au moins cinq ans et avoir épuisé ses droits
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aux prestations chômage) et une prestation d’assistance : elle n’est pas versée si le
conjoint dépasse un certain niveau de salaire ; par contre, les enfants à charge ne sont
pas considérés. Sa conjugalisation n’est guère justifiable. Il serait logique qu’elle soit
individuelle, comme l’ARE.
Les pensions de réversion, versées au conjoint survivant après le décès d’un ayant
droit à une pension de retraite, constituent un élément important du système français
de retraite. En 2021, elles ont versé 37 milliards d’euros, soit 11 % des pensions de
vieillesse, 1,5 % du PIB6. Les écarts de durée de vie et d’âge au mariage font que 88 %
des bénéficiaires sont des femmes7. La question des pensions de réversion est donc
liée à celles des inégalités femmes/hommes, en matière d’activité, de salaire et donc
de montant de retraite directe.
Les pensions de réversion compensent, en partie, les différences de niveau de
retraite entre les femmes et les hommes. Elles les rendent plus supportables. Mais,
rendre plus supportable une situation injuste permet aussi de la prolonger. Les
pensions de réversion peuvent être considérées comme la survivance d’un modèle
patriarcal périmé, où la femme dépendait du salaire de son mari, comme un avantage
injuste accordé aux femmes mariées. Ce dispositif, qui ne bénéficie pas aux femmes
pacsées, aux femmes ayant vécu en union libre, ou seules, semble de moins en moins
compatible avec l’extension de l’union libre, des divorces et des remises en couple.
Les inégalités de retraites pourraient être réduites en rendant plus facile l’emploi
à temps complet des femmes (par l’extension et la gratuité de la garde des jeunes
enfants, par le partage des congés parentaux) et en luttant contre les différences de
salaires en défaveur des emplois féminins. Reste que ces inégalités persisteront long-
temps et qu’il faut en tenir compte. Peu de mouvements réclament la suppression
immédiate des pensions de réversion (même si de façon contradictoire, ils peuvent
réclamer la fin du quotient conjugal).

5 Ce n’est pas le cas en Belgique où le niveau des prestations chômage et retraite dépend de la situation
familiale, de sorte que ce sont souvent des autrices belges qui prônent l’individualisation.
6 Selon : DREES (2023) : Retraites et retraités.
7 Pour simplifier les expressions, nous supposerons toujours par la suite que le conjoint survivant est l’épouse.

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Pour certains, la suppression des pensions de réversion inciterait les femmes


mariées à travailler davantage ; elle ferait disparaître la sécurité illusoire qu’elles
leur procurent, sécurité qui peut être remise en cause par un divorce. Peut-on réduire
le niveau de vie de beaucoup de femmes pour augmenter l’incitation au travail de
certaines ? Faut-il utiliser un outil qui joue plus de trente ans après la décision de
non-travail ? Beaucoup de femmes n’ont guère le choix et doivent prendre des emplois
mal rémunérés, à temps de travail partiel contraints.
La pension de réversion est conforme à l’objectif de l’assurance sociale de garantir
aux retraités un niveau de vie proche de celui des personnes d’âge actif, ceci sans
effort d’épargne, sans recours aux marchés financiers. La pension de réversion
permet à l’épouse de conserver son niveau de vie après le décès de son mari ; elle
évite aux couples de devoir prévoir les conséquences financières de la disparition du
mari. De ce point de vue, l’existence des pensions de réversion se justifierait même si
les pensions des hommes et des femmes étaient équivalentes. Cet argument impose
toutefois de repenser le calcul de la pension de réversion en fonction de cet objectif
(soit aux deux tiers de la pension du conjoint décédé moins un tiers de la pension du
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conjoint survivant).
La pension de réversion récompense les couples qui se sont inscrits dans le
mariage. Celui-ci permet à la société de faire des économies de prestations d’as-
sistance ; chaque époux s’engage à assister son conjoint ; il s’engage à verser le
cas échéant une prestation compensatrice définie par une décision de justice. Cette
récompense sociale n’est pas choquante, si elle est ouverte à toutes les formes de
couple. Le pacs ne donne pas actuellement une garantie suffisante d’assistance réci-
proque pour ouvrir le droit à la pension de réversion. Il ne se termine pas obligatoi-
rement par une décision de justice. En sens inverse, les couples non sexuels (deux
sœurs co-habitantes, par exemple) devraient avoir le droit de se donner cette garantie.
Par ailleurs, le développement du non-mariage est préoccupant ; la femme risque de
se retrouver en situation de pauvreté en cas de rupture ou de veuvage. Deux évolutions
sont possibles : soit faire la promotion du mariage ; soit faire évoluer le pacs, de sorte
qu’il donne lieu à un engagement d’assistance et qu’il doit se terminer par une rupture
judiciaire, ce qui permettrait de lui ouvrir le droit à la pension de réversion. Ce ne peut
être le cas de l’union libre, qu’il n’est guère possible d’établir juridiquement (comme le
disait Napoléon : « Les concubins ignorent la loi, la loi ignore les concubins »).

III- DU QUOTIENT FAMILIAL.


Les statisticiens (INSEE, OCDE) considèrent que les familles mettent en commun
leurs ressources ; les besoins de chaque famille sont estimés sur la base des unités
de consommation (UC) : le premier adulte compte pour 1, la deuxième et les enfants
de plus de 14 ans pour 0,5, les enfants de moins de 14 ans pour 0,3 ; le niveau de vie
d’une famille est donc mesuré par le total de ses ressources divisé par son nombre
d’UC8. Les prestations d’assistance au niveau national ou local, la fiscalité utilisent des
échelles plus ou moins proches des unités de consommation.

8 La mesure des UC peut être discutée. On peut, par exemple, penser qu’il conviendrait d’augmenter le nombre
d’UC pour une famille monoparentale en comptant 0,5 pour le premier enfant.

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Certains estiment que le quotient familial serait inapproprié, car le revenu ne serait
pas partagé de façon équitable entre les différents membres de la famille. Pourtant,
dans l’immense majorité des cas, parents et enfants partagent le même logement, les
mêmes repas, les mêmes biens durables, les mêmes vacances9. Les parents ont l’obli-
gation d’assurer à leurs enfants le même niveau de vie qu’à eux-mêmes. Les enfants
(et les mères) sont plus protégés dans le système actuel, basé sur cette obligation,
que dans un système individualisé, qui trouverait légitime que chacun des parents
dépense son revenu pour lui-même, sans tenir compte de ses enfants. Il faudrait, au
contraire, renforcer cette obligation, notamment en rehaussant fortement le niveau
des pensions alimentaires.
La mise en cause du quotient familial, l’individualisation, ne permettrait pas d’éva-
luer le niveau de vie des familles pour la fiscalité, le RSA, les allocations logement, les
prestations sous conditions de ressources, les bourses scolaires ; de distinguer entre
la femme seule avec enfants (qu’il faut massivement aider) de la femme en couple, qui
partage les revenus de son conjoint.
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IV- LES PRESTATIONS D’ASSISTANCE
Les prestations d’assistance sont versées aux ménages les plus pauvres pour leur
assurer un niveau de vie minimal. Elles sont familialisées. Ainsi, le RSA (l’ASPA) versé
à un couple est 1,5 fois (1,55) celui versé à une personne seule ; le RSA versé pour un
enfant est de 0,3 fois celui d’un adulte (0,4 fois à partir du troisième enfant). Le niveau
de vie des familles touchant le RSA est donc approximativement le même, quelle que
soit la composition de la famille. Ce choix peut être discuté : la société a choisi de
maintenir le RSA à un niveau relativement faible pour inciter les adultes à travailler,
mais est-il juste de maintenir leurs enfants dans la pauvreté alors qu’ils ne sont pas
responsables de l’absence de ressources de leurs parents ?
Pour ne pas défavoriser les couples mariés ou pacsés, la protection sociale consi-
dère quasi automatiquement que deux personnes co-habitantes partagent leurs
ressources, ce qui entraîne que deux personnes au RSA (à l’ASPA) qui cohabitent
ont des pensions réduites, qu’une personne au RSA ou à l’ASPA perd sa prestation si
elle vit avec une personne à ressources satisfaisantes. De même, une femme seule
avec deux enfants reçoit une aide importante qu’elle perd si elle cohabite avec une
personne à revenu important. C’est légitime pour des prestations d’assistance. Par
contre, cela peut décourager la mise en couple pour les personnes sans ressources.
La CAF est amenée à faire des contrôles que les personnes concernées peuvent
ressentir comme intrusifs. Certaines situations sont ambiguës : faut-il réduire les allo-
cations d’une femme avec enfants qui a une liaison temporaire avec un homme qui
ne contribue en rien aux dépenses des enfants ? La CAF devrait pratiquer une certaine
indulgence dans les cas litigieux. La société est devant un choix délicat : maintenir
un système bien ciblé avec ses difficultés de mise en œuvre ou passer à un système
individualisé, plus simple, mais qui sera obligatoirement moins équitable et soit plus
coûteux, soit moins généreux.

9 Selon Sophie Ponthieux (2012), 64 % des couples mettent totalement leurs revenus en commun (74 % des
couples mariés ; 30 % des couples pacsés, 37 % des couples en union libre) ; la moitié des autres partagent les
dépenses du ménage proportionnellement à leurs revenus.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Le minimum vieillesse (ASPA) comme l’allocation de solidarité d’hébergement,


ASH, ne sont versés en théorie, que si les enfants ne peuvent subvenir aux besoins
de la personne âgée. La solidarité nationale ne joue qu’après la solidarité familiale.
Aussi, ces allocations sont-elles récupérables sur la succession dès qu’elle dépasse
un certain montant.
La prime d’activité est familialisée. Elle fonctionne à la fois comme un supplément
de prestations familiales pour les familles à faibles revenus salariaux qui s’annule
quand les revenus cumulés du couple dépassent une certaine limite et comme une
prime à l’emploi de chaque membre du couple. Une personne n’y a pas droit si son
conjoint a un revenu élevé. Un célibataire au SMIC (1 303 euros brut) a droit à une
prime d’activité de 227 euros, soit un revenu de 1 530 euros, tandis qu’une personne
dont le conjoint gagne trois fois le SMIC n’a pas droit à la prime. En sens inverse, le
gain au travail au SMIC est de 705 euros pour le célibataire (qui perd le RSA et les allo-
cations logement), de 1 056 euros pour la personne dont le conjoint gagne trois SMIC.
La familialisation de la prime d’activité ne réduit pas le gain à l’emploi.
L’AAH est une allocation individuelle. Naguère, son plafond dépendait des
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ressources et de la composition de la famille. Dans le cas d’un couple sans enfants,
le plafond de ressource était de 1 758 euros par mois pour un couple, les salaires du
conjoint étant pris en compte pour 72 %, de sorte que l’allocation s’annulait quand le
revenu du conjoint dépassait 2 442 euros. En août 2022, l’AAH a été déconjugalisée ;
les ressources du conjoint ne sont plus prises en compte. Cela évite qu’une personne
handicapée dépende entièrement des revenus de son conjoint. Cela peut être consi-
déré comme un affaiblissement du caractère familial du système français. On peut,
au contraire, considérer que l’AAH est ainsi devenu un revenu de compensation plutôt
qu’une prestation d’assistance.
Les périodes de la vie ont reculé. S’est ouverte une période de 18 ans (l’âge du bac)
à 23 ans (l’âge médian du premier emploi), où le jeune adulte passe du soutien total
de sa famille à l’autonomie financière. Un jeune adulte n’a actuellement pas un droit
individuel au RSA10, cela étant justifié par deux arguments : l’obligation alimentaire
stipule que les parents doivent subvenir à leurs besoins ; les jeunes ne doivent pas
« s’installer dans l’assistanat ». Les jeunes adultes n’ont de droits que par l’intermé-
diaire de leur famille : supplément du RSA pour les plus pauvres, quotient familial
jusqu’à 20 ans (25 ans pour les étudiants), déduction d’une pension alimentaire. S’y
ajoutent cependant des droits à l’allocation logement pour ceux qui n’habitent plus
chez leurs parents.
Il n’est pas acceptable de laisser un jeune sans ressources, mais qui doit fournir
ces ressources ? Selon le point de vue familialiste, le jeune adulte reste à la charge
de sa famille, sauf s’il appartient à une famille pauvre ; les aides doivent être attri-
buées sous condition de ressources de la famille. Selon le point de vue autonomiste, le
jeune adulte doit être socialement pris en charge, l’aide ne doit plus tenir compte des
ressources des parents. C’est ce que réclament les organisations d’étudiants.
Une allocation d’autonomie versée pendant cinq ans à tous les jeunes serait très
coûteuse ; l’allocation ne peut être réservée aux étudiants qui sont, en moyenne, issus
de classes plus favorisées que les jeunes travailleurs ou chômeurs. Il faut sans doute
se résigner à une cote mal taillée. Les jeunes à la recherche d’un emploi pourraient

10 Sauf dans des cas particuliers : avoir un enfant à charge ou avoir travaillé deux ans à temps plein.

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FAUT-IL INDIVIDUALISER LES DROITS SOCIAUX ?

recevoir une allocation d’insertion, ne tenant pas compte du revenu des parents ni de
la situation familiale, soumise à cotisation retraite, accompagnée d’offres spécifiques
de formations et de stages. Les aides aux étudiants seraient concentrées sur ceux
issus de familles pauvres et moyennes, en augmentant les plafonds de ressources et
le montant des bourses. Les familles aisées continueraient à aider leurs étudiants (en
bénéficiant du quotient familial ou de la déduction au titre de la pension alimentaire) ;
en cas de problème, l’étudiant pourrait faire réclamer cette aide à ses parents par la
CAF.

MARIAGE, PACS, UNION LIBRE


La législation sociale et fiscale a dû s’adapter aux différentes formes de vie en
couple ; elle a abouti à un système disparate mais justifiable. Pour l’impôt sur le
revenu, le pacs équivaut au mariage ; l’union libre, qui n’a pas d’existence légale,
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ne permet pas de faire une déclaration commune. Pour les droits de succes-
sion, le pacs n’équivaut au mariage qu’en cas de testament, donc de la volonté
explicite du conjoint décédé ; l’union libre ne donne aucun droit. Seul le mariage
donne droit à la pension de réversion. Pour les prestations d’assistance (et l’IFI),
les concubins sont censés être financièrement solidaires, de façon à éviter que
les couples mariés (ou pacsés) soient défavorisés par rapport aux couples en
union libre.

V- UNE FISCALITÉ FAMILIALE


En matière de fiscalité, la France pratique le système du quotient familial (QF).
Chaque famille se voit attribuer un nombre de parts fiscales, P ; la société considère
que la famille partage équitablement ses ressources entre chacun de ses membres,
qui ont un niveau de vie équivalent à celui d’une personne seule de revenu R/P ; la
famille est donc taxée comme P personnes de revenu R/P. Ainsi, le traitement fiscal
des familles ne nécessite aucun arbitrage spécifique : le barème des familles se déduit
de celui des personnes seules. La progressivité du système fiscal est la même pour
tous les ménages. Le QF ne fournit aucun avantage spécifique aux familles ; il garantit
seulement que le poids de l’impôt est le même pour des familles de taille différente,
mais de même niveau de vie. C’est une composante nécessaire et logique de l’impôt
progressif.
Remettre en cause le QF serait contraire à la Déclaration des droits de l’homme :
« Chacun doit contribuer aux dépenses publiques selon ses capacités contribu-
tives. » L’impôt doit obligatoirement évaluer la capacité contributive de familles de
composition différente. Les seules critiques au QF, socialement et intellectuellement
recevables, doivent donc porter sur ses modalités et non sur son principe : les parts
fiscales correspondent-elles bien aux unités de consommation ?

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Certains reprochent au QF de ne pas profiter aux familles les plus pauvres non
imposables ; de profiter plus aux familles riches qu’aux pauvres11. Cela n’est pas
fondé. La fiscalité ne peut aider les familles pauvres plus qu’en ne les imposant pas.
Les familles pauvres supportent de la TVA (et parfois de la CSG), mais ne payent pas
d’impôt sur le revenu. Elles gagneraient à une extension du poids de l’IR (y compris le
quotient familial) à la place de la CSG ou de la TVA. L’injustice de notre système n’est
pas le quotient familial, c’est que ce seul impôt progressif ne soit pas plus impor-
tant ; c’est le poids des impôts proportionnels (CSG) ou régressifs (TVA) qui ne sont
pas familialisés.
Certains prônent l’individualisation de l’impôt12. Ceci n’est justifié que si les
personnes mariées ne mettent pas en commun leurs ressources et que les parents
n’ont aucune obligation d’entretien vis-à-vis de leurs enfants, que si le mari dépense
pour lui son salaire (3 000 euros par exemple), la femme le sien (1 500 euros par
exemple) et que les enfants vivent des allocations familiales (108 euros par enfant
dans le cas d’une famille à trois enfants). L’impôt ne peut reposer sur une conception
de la famille contraire au droit de la famille et aux pratiques socialement admises
© EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 92.89.167.97)

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et pratiquées. On ne peut supprimer le QF en considérant qu’un couple sans enfants
avec 4 500 euros de salaires et un autre avec trois enfants et 4 500 euros ont les
mêmes capacités contributives. Cela ne serait justifié que si les prestations fami-
liales couvraient le coût des enfants : les allocations familiales, qui devraient être de
750 euros par mois (ou au pire 450) par enfant, soit 35 % du revenu médian (du seuil
de pauvreté) pour leur assurer le revenu médian (pour leur éviter la pauvreté). La
société ne versant pas de telles prestations, les enfants sont à la charge des parents ;
il faut en tenir compte pour le calcul de tous les impôts progressifs13 ; c’est d’ailleurs le
point de vue du Conseil constitutionnel (décision du 19 décembre 2000).
Peut-on envisager un système où le quotient familial serait utilisé pour les pres-
tations et nié pour les impôts ? C’est tout le système fiscalo-social qu’il faudrait revoir.
En tout logique, la fin du quotient familial devrait impliquer celle de l’obligation alimen-
taire et des pensions alimentaires, la fin du quotient conjugal, celle des pensions de
réversion.
Le quotient familial est un élément de la conjugalisation de l’impôt, auquel certains
reprochent de nuire au travail des femmes, de subventionner les couples à revenus
inégaux, d’accepter les inégalités salariales entre les femmes et les hommes14.
L’imposition jointe égalise le taux d’imposition des deux membres du couple. Dans
un couple où les salaires sont fortement différentiés, le taux marginal de la femme
(supposée la moins bien rémunérée) est supérieur à celui auquel elle aurait à faire
face si elle était célibataire. Ceci la découragerait de travailler et la plongerait dans la
dépendance. Passer à une imposition séparée permettrait de diminuer le taux d’impo-
sition marginal des femmes et donc augmenterait leur taux d’activité.

11 Voir, par exemple : Landais, C., Piketty, T. et Saez, Pour une révolution fiscale, Le Seuil, 2011. Le Conseil de la
Famille (2011) écrit : « L’avantage que constitue le quotient familial croît en fonction des revenus jusqu’au
plafond, cette propriété antiredistributive étant souvent soulignée. Il ne bénéficie par ailleurs qu’aux familles
imposables (à la différence des crédits d’impôt). » Le programme de la Nupes propose de « remplacer l’injuste
quotient familial fiscal actuel par un crédit d’impôt que pourraient toucher toutes les familles ».
12 Voir, par exemple, Landais, C., Piketty, T., et Saez, E., op.cit.
13 On ne peut écrire comme Christiane Marty : « La politique fiscale devrait s’en tenir à considérer les revenus
d’une personne pour définir sa faculté de contribuer au budget » (in Faut-il un revenu universel ?, 2017) en
oubliant qu’avoir des enfants à charge diminue cette capacité.
14 Programme de la Nupes : « Mettre fin au quotient conjugal, système patriarcal favorisant les inégalités
salariales entre les femmes et les hommes. »

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FAUT-IL INDIVIDUALISER LES DROITS SOCIAUX ?

Pourtant, le taux d’activité des femmes de 25-55 ans est relativement satisfaisant
en France. En équivalent taux plein, le taux d’activité des femmes était, en 2019, infé-
rieur à celui des hommes de 16,7 points en France, contre 15,6 en Suède, mais 20,8
points dans la zone euro, 22,6 points au Royaume-Uni, 25 points en Allemagne, 28
points aux Pays-Bas.
Le gain au retour au travail est beaucoup plus fort pour les femmes mariées (qui
ne souffrent que d’un supplément d’impôt) que pour les femmes seules (qui perdent
le RSA et les allocations logement). L’imposition séparée n’aurait aucun impact dans
les situations où les effets désincitatifs seraient les plus forts. L’effet quotient fami-
lial compense souvent l’effet quotient conjugal. Une femme gagnant 2 000 euros par
mois est mariée à un homme qui en gagne 4 000. Sans enfants, son taux marginal
correspond à celui d’une célibataire gagnant 3 000 euros. Avec deux enfants, son taux
retombe à celui d’une célibataire gagnant 2 000 euros ; avec trois, à celui d’une céli-
bataire gagnant 1 500 euros. En fait, les femmes mariées travaillent d’autant moins
qu’elles ont d’enfants, donc que leur taux d’imposition marginal est faible.
L’imposition séparée aboutirait à augmenter l’impôt des couples à revenus inégaux.
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Ce n’est pas légitime si ces couples partagent équitablement leurs revenus, en parti-
culier pour l’élevage des enfants. Faut-il encourager fiscalement l’homogamie ?
Certains avantages donnés aux ménages peuvent être considérés comme des
dépenses fiscales. C’est le cas pour la part supplémentaire à partir du 3e enfant, qui
ne correspond pas à un nombre supplémentaire d’UC et pour la non-imposition des
prestations familiales. Ces dispositifs favorisent les plus riches parmi les personnes
considérées. Cependant, les bénéficiaires de ces dispositifs sont aussi les personnes
qui perdent le plus en niveau de vie relatif en ayant des enfants. Ces dispositifs ne
font que compenser (partiellement) la faiblesse des prestations familiales pour les
classes moyennes. Globalement, le système fiscalo-social ne compense pas le coût
de l’enfant ; les familles nombreuses sont celles qui perdent le plus en niveau de vie
relatif par rapport aux couples. Les familles nombreuses et les familles bi-actives, où
les parents (et surtout les mères) jonglent avec leurs horaires pour s’occuper de leurs
enfants tout en travaillant, ne sont pas les favorisées du système. L’imposition des
prestations familiales comme la remise en cause de la demi-part supplémentaire à
partir du 3e enfant devrait être accompagnée d’une forte revalorisation des prestations
familiales.
Les personnes vivant seules, les vrais célibataires, sont défavorisées par le
système du QF puisqu’elles n’ont droit qu’à une part fiscale, alors qu’elles devraient
en avoir 1,33 si le couple en a 2. La même injustice persisterait dans un système
individualisé. Cela justifiait que jadis les veuves (ou veufs) avaient droit à 1,5 part.
Donner 1,33 part aux vrais célibataires serait plus conforme aux UC, mais ne serait
possible que si l’on pouvait les distinguer des concubins. Peut-on faire confiance aux
contribuables pour déclarer honnêtement leur situation, vrai célibataire ou vivant en
couple ?

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Conclusion

L’individualisation de la fiscalité et des prestations sociales refuserait de recon-


naître la solidarité familiale et le partage des revenus au sein des familles. Elle rédui-
rait la pertinence de la redistribution effectuée par le système fiscalo-social. Elle
devrait s’accompagner de la suppression de l’obligation alimentaire, des pensions
de réversion et des pensions alimentaires. C’est un choix qui nuirait à beaucoup de
femmes et d’enfants, sauf si elle était accompagnée d’une forte hausse des allocations
familiales, qui est peu probable actuellement, compte tenu des objectifs de réduction
des dépenses sociales. Le système français doit rester basé sur la familialisation ; il
devrait cependant évoluer : extension des droits universels (service public et gratuit
de la petite enfance, activité extra-scolaire), hausse des prestations familiales, refonte
des prestations aux 18-23 ans.
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