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Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe.

Ses
discours décryptés par la machine
La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2021,
344 p.
Dominique Desmarchelier
Dans Mots. Les langages du politique 2023/2 (n° 132), pages 169 à 173
Éditions ENS Editions
ISSN 0243-6450
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Mots. Les langages du politique
132 | 2023
Les mots du vote de la Rome antique à la Révolution
française

Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe. Ses


discours décryptés par la machine
La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2021, 344
p.

Dominique Desmarchelier

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/mots/32302
DOI : 10.4000/mots.32302
ISSN : 1960-6001

Éditeur
ENS Éditions

Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2023
Pagination : 169-173
ISSN : 0243-6450

Référence électronique
Dominique Desmarchelier, « Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe. Ses discours décryptés par
la machine », Mots. Les langages du politique [En ligne], 132 | 2023, mis en ligne le 01 juillet 2023,
consulté le 21 août 2023. URL : http://journals.openedition.org/mots/32302 ; DOI : https://doi.org/
10.4000/mots.32302

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Tous droits réservés
Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe. Ses discours décryptés par la ... 1

Damon Mayaffre, Macron ou le


mystère du verbe. Ses discours
décryptés par la machine
La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2021, 344
p.

Dominique Desmarchelier

RÉFÉRENCE
Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe. Ses discours décryptés par la machine. La
Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, coll. « Monde en cours », 2021, 344 p.

1 Ce projet ambitieux – comparer les 100 plus grands discours du président Macron à un
millier de discours prononcés par l’ensemble des présidents de la V e République –
débute, comme il se doit, par une partie méthodologique, exposée en 50 pages sous le
titre « Macron ex machina ». La signification de ce titre, selon l’auteur, est de
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« révéler Macron » à partir des résultats obtenus par la logométrie « qui permet de
mesurer les discours » (p. 50) et l’intelligence artificielle « qui permet d’apprendre les
discours » (p. 51). Si les travaux sont nombreux sur l’utilisation de différents logiciels
de traitement des données textuelles (Labbé, 1990 ; Marchand, 2007 ; Mayaffre, 2012 ;
Leblanc, 2007 ; Lebart, Pincemin et Poudat, 2019), le croisement avec l’intelligence
artificielle (IA) paraît, en revanche, plus récent. Pour en avoir fait la remarque à
l’auteur, on notera que l’expression consacrée Deus ex machina est employée au théâtre
depuis l’antiquité grecque pour signaler l’intervention d’une divinité dans l’intrigue
dramatique… ce qui nous éloigne de résultats sortant de la machine.
2 L’ouvrage est ensuite divisé en trois parties constituant le corps de l’analyse : la
naissance, 70 pages couvrant la période 2017-2020 ; la généalogie, 110 pages dressant
l’évolution des discours et leurs emprunts, de de Gaulle à Macron, en passant par
Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande ; l’actualité,

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dernière partie traitant en 160 pages des thématiques proprement macroniennes.


L’ouvrage s’achève sur la liste du millier de discours du 13 juin 1958 au
31 décembre 2020, consultés et traités au moyen du logiciel Hyperbase 1.
3 Le chapitre « Naissance » rappelle les conditions particulières qui ont permis au
candidat Emmanuel Macron de remporter l’élection présidentielle. L’absence de
François Hollande, d’Alain Juppé et de Manuel Vals, la disqualification de
François Fillon, ont alors ouvert un « boulevard politique » (l’expression est de l’auteur)
à ce candidat jusqu’alors inconnu. L’hypothèse avancée est que le macronisme est une
dynamique avant d’être des thématiques. Le nom de baptême de son parti, « En
marche ! », choisi en avril 2016, illustre parfaitement cette idée. L’auteur, dans une
parfaite prétérition, rappelle néanmoins l’importance du point d’exclamation et
surtout des initiales EM. Il faudra attendre le 8 mai 2017, une fois l’élection gagnée,
pour que ce parti devienne « La République en marche ! » : « Les discours de Macron […]
s’appuient volontairement davantage sur l’énonciation (la façon pour le locuteur de
marquer sa présence) que sur l’énoncé (le contenu propositionnel ; ce qui est dit). » En
d’autres termes, nous nous trouvons face à une rhétorique de dicto, plutôt que de re.
4 L’auteur, à ce sujet, semble confondre l’argumentation ad hominem qu’il oppose à la
rhétorique ad rem. Mais il admet volontiers à l’occasion d’un entretien personnel que la
rhétorique n’est pas son domaine de prédilection. Plus pertinent nous semble la
remarque concernant la fréquence du mot projet, et surtout du connecteur parce que
(qui n’est pas une particule). L’accent est mis sur cette « rhétorique de l’explication ».
Sur ce dernier terme, on pourra, avec Oswald Ducrot (Ducrot et Groupe Mu-1, 1975), se
demander s’il s’agit bien d’explication ou de justification énonciative. Le passage cité –
« Ce projet, je veux que vous alliez le faire gagner PARCE QUE c’est notre projet » – en
constitue une parfaite illustration. L’auteur rappelle l’influence de Paul Ricœur sur le
futur candidat. La conséquence avancée par certains serait que Macron « tiendrait un
discours plus philosophique que politique, plus éthique que diplomatique, plus
mystique qu’idéologique » (Couturier, 2017). Le chapitre s’achève sur des analyses
factorielles des correspondances (AFC) issues d’Hyperbase qui font clairement
apparaître que les cinq mots les plus fréquents sont : projet, transformation, transformer,
renouvellement et réconcilier.
5 La deuxième partie propose une approche généalogique. À partir des résultats observés
dans la comparaison des discours de l’ensemble des présidents de la V e République,
Damon Mayaffre s’attache à décrire les nombreuses traces d’interdiscursivité. « Toute
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prise de parole est traversée par d’autres prises de paroles. » Le recours à l’intelligence
artificielle (IA) appliquée au corpus présidentiel de 1958 à 2020 a ainsi permis à la
machine de « parler le de Gaulle (phrases longues, plutôt nominales), le Mitterrand
(phrases courtes, plutôt verbales, avec le je et le moi) ou encore le Sarkozy (un lexique
fort et une syntaxe faible) », selon l’expression de l’auteur.
6 Première surprise, la machine (p. 124) place Macron au centre d’un arbre hyperbase
figurant les distances calculées entre les différents présidents. L’influence des
présidents qui l’ont précédé se traduit par un taux d’inspiration discursif, lié le plus
souvent à la proximité temporelle : Hollande ou Sarkozy sont plus fréquents que
Giscard ou Mitterrand. Il n’en demeure pas moins que Pompidou, par sa richesse
lexicale, inspire plus Macron que Giscard. De même, la fréquence d’usage des termes
peuple, destin, souveraineté relie de façon manifeste Macron à de Gaulle (figures 21 et 22,
p. 31). Toutefois, la proximité avec Giscard – ils sont tous deux énarques et inspecteurs

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des Finances – conduit l’actuel président à recourir à ce que Christian Delporte a


baptisé l’« ENAlangue », forme particulière de langue de bois, aseptisée, technique, sur
un registre professoral. « Macron explique plus qu’il ne cherche à convaincre, enseigne,
plus qu’il n’arrive à persuader ». Cette pseudo-rhétorique se traduit par des structures
nominales à enchâssement (p. 158), dans lesquelles les compléments du nom
s’enchaînent et se superposent : « La valorisation du système national de données de
santé ». Dans ces constructions nominales interviennent également des
nominalisations (l’expression d’une action par un substantif, plutôt que par un verbe).
En témoigne l’exemple suivant : « La loi d’orientation des mobilités, présentée hier en
Conseil des ministres après une intense phase de concertations propose une partie de
ces solutions qui seront à construire sur le terrain » (p. 160). Cette stratégie
« d’esquive » offre peu de prise sémantique et limite, par là même, toute controverse.
7 L’auteur étudie ensuite le rôle important des pronoms personnels. On découvre ainsi
que le recours fréquent au « je » rapproche Macron (je sais) de Mitterrand (je pense) et
de Sarkozy (je veux). Cette remarque n’empêche cependant pas le président de recourir
également au « vous » et au « nous », reprenant l’équation bien connue : « je » +
« vous » = « nous ».
8 Ce parcours généalogique aboutit à une conclusion attendue : c’est un discours
patchwork (pour reprendre le terme de l’auteur, p. 236), dans lequel Macron penche
inévitablement à droite. Ce qu’il emprunte au style mitterrandien, c’est son côté
intellectuel et non son positionnement politique. En revanche, l’influence des grandes
figures de la droite républicaine française, du général de Gaulle à Sarkozy, est
manifeste, malgré le souhait du président Macron de se situer « au milieu » de ses
prédécesseurs.
9 La dernière partie est consacrée aux thématiques proprement macroniennes. Elles sont
caractérisées par une pensée en acte, souvent motivée par l’actualité. L’élection de
Trump, les remous du Brexit, la crise des Gilets jaunes en 2018-2020, celle du Covid en
2020, sans parler des évènements récents non abordés dans l’ouvrage, comme
l’invasion de l’Ukraine par la Russie, tout concourt à orienter les discours vers quatre
domaines principaux : l’économique, le sociétal, le social et le régalien. L’analyse factorielle
des correspondances (AFC) permet ainsi de mettre en évidence les 200 substantifs les
plus utilisés. Dans le domaine économique, c’est le syntagme « rêve productif » qui
interpelle les observateurs et les conduit à qualifier ce discours de néo saint-simonien. Ce
paradoxe, chez Saint-Simon, d’être à la fois (en même temps) pré-libéral et pré-socialiste
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convient au président, même si c’est la dimension libérale qui semble dominer chez lui.
En est la preuve la sur-représentation des mots innovation et numérique dans le corpus
macronien. Pour lui, comme pour Saint-Simon, le développement des nouvelles
technologies doit constituer le moteur de progrès sociaux. Si les chemins de fer ont
facilité la création de réseaux au XIXe siècle, on peut voir dans l’Internet
l’aboutissement d’une économie en réseaux.
10 C’est ensuite le terme société qui sera omniprésent, non seulement durant la campagne
présidentielle de 2017, mais encore, tout au long de son mandat. Qu’il s’agisse de
« projet de société », de « volonté générale de changement de société », ce terme est
immédiatement associé à la notion « d’égalité entre les hommes et les femmes ».
L’insistance dans les discours sur le drame des violences physiques ou des violences
psychologiques dont les femmes sont victimes distingue très clairement Macron de tous ses
prédécesseurs.

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11 Lorsqu’il aborde la question sociale, c’est principalement aux retraités qu’il s’adresse.
Rien d’étonnant à cela puisqu’ils ont constitué la base de son électorat, tant au premier
qu’au second tour de l’élection. Mais l’observation des cooccurrents de retraités établis
par Hyperbase laisse apparaître plusieurs erreurs stratégiques relevées par l’auteur.
Première erreur, grammaticale, il est surprenant de parler « des » ou « aux » retraités
au futur, alors que cette population attend des réponses immédiates à ses difficultés
quotidiennes. Deuxième erreur, énonciative, une opposition entre un « je » présidentiel
et un « ils » impersonnel, moins valorisant qu’un « vous ». Troisième erreur, lexicale
celle-là, l’univers des mots gravitant autour de « retraités » est truffé d’« efforts », de
« taxe », de « cotisation », ou de « chiffres ». Quatrième erreur enfin, les « retraités »
sont qualifiés de « modestes » ou d’« aisés », de « gros » ou de « petits », oppositions qui
sont aux antipodes d’une volonté de réconciliation des Français.
12 Enfin, dans son rôle régalien de président de la République, Macron témoigne d’un
attachement indéfectible à l’Europe. Dès sa campagne, en 2017, puis tout au long du
quinquennat, cet engagement sera souligné. Si une certaine volonté européenne n’était
pas absente des discours de ses prédécesseurs depuis 1958, là encore, le recours à
Hyperbase laisse clairement apparaître une inversion des priorités depuis 2017
(figure 57, p. 286). De plus, dans la liste des cooccurrents d’Europe : « souveraineté »,
qui arrive au premier rang, est suivie par « valeur », « projet », « union », « ambition »,
termes qui traduisent la volonté du président de s’inscrire dans la continuité de son
premier mandat.
13 L’ouvrage s’achève sur cinq paragraphes débutant par « Macron. L’intelligence
artificielle ». Hommage à sa réelle intelligence ? « Le plus intelligent peut-être de nos
présidents. » Compliment ou critique à peine déguisée ? « Macron parle parfois pour ne
rien dire. […] Son aisance rhétorique et l’intelligence de son discours n’ont pas
d’équivalent dans le corpus depuis 1958. » Ultime défi, afin de tester les capacités
créatives de l’algorithme d’intelligence artificielle, l’auteur propose au lecteur le
« discours que le président prononcera à la fin 2021 ou au début de l’année 2022 pour
annoncer sa candidature à l’Élysée pour un second mandat ». À chacun de juger sur
pièces…
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BIBLIOGRAPHIE
COUTURIER Brice, 2017, Macron. Un président philosophe, Paris, Éditions de l’Observatoire.

DUCROT Oswald et GROUPE MU-1, 1975, « Car, parce que, puisque », Revue romane, t. X, n o 2,
p. 248-280.

LABBÉ Dominique, 1990, Le vocabulaire de François Mitterrand, Paris, Presses de la Fondation


nationale des sciences politiques.

LEBART Ludovic, PINCEMIN Bénédicte et POUDAT Céline, 2019, Analyse des données textuelles, Québec,
Presses de l’université du Québec.

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Damon Mayaffre, Macron ou le mystère du verbe. Ses discours décryptés par la ... 5

LEBLANC Jean-Marc, 2007, Analyses lexicométriques des vœux présidentiels, Londres, ISTE Éditions.

MARCHAND Pascal, 2007, Le grand oral. Le discours de politique générale de la V e République, Bruxelles,
De Boeck.

MAYAFFRE Damon, 2012, Nicolas Sarkozy. Mesure et démesure du discours (2007-2012), Paris, Presses de
Sciences Po.

NOTES
1. Hyperbase est un logiciel libre produit par l’UMR 7320 « Bases, Corpus, Langage » et
développé par Étienne Brunet et Laurent Vanni.

AUTEURS
DOMINIQUE DESMARCHELIER
Linguiste
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