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Le « déficit d’empathie » d’Emmanuel Macron ?

Quand la
presse décrypte les émotions présidentielles…
Eva Chaussinand
Dans Mots. Les langages du politique 2023/2 (n° 132), pages 137 à 148
Éditions ENS Editions
ISSN 0243-6450
© ENS Editions | Téléchargé le 16/02/2024 sur www.cairn.info via CERIST (IP: 193.194.76.5)

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Mots. Les langages du politique
132 | 2023
Les mots du vote de la Rome antique à la Révolution
française

Le « déficit d’empathie » d’Emmanuel Macron ?


Quand la presse décrypte les émotions
présidentielles…
Emmanuel Macron’s “empathy deficit”? When the press decodes the presidential
emotions...
¿«Déficit de empatía» de Emmanuel Macron? Cuando la prensa descifra las
emociones presidenciales…

Eva Chaussinand

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/mots/32196
DOI : 10.4000/mots.32196
ISSN : 1960-6001

Éditeur
ENS Éditions

Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2023
Pagination : 137-148
ISSN : 0243-6450
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Référence électronique
Eva Chaussinand, « Le « déficit d’empathie » d’Emmanuel Macron ? Quand la presse décrypte les
émotions présidentielles… », Mots. Les langages du politique [En ligne], 132 | 2023, mis en ligne le 02
janvier 2026, consulté le 21 août 2023. URL : http://journals.openedition.org/mots/32196 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/mots.32196

Tous droits réservés


Le « déficit d’empathie »
d’Emmanuel Macron ?
Quand la presse décrypte
les émotions présidentielles…

Eva Chaussinand
Doctorante en langue et littérature françaises, ENS de Lyon, IHRIM –
3LA

En nous appuyant notamment sur les articles du Monde parus sous le


premier mandat d’Emmanuel Macron, nous entendons montrer par cette
étude qu’entre la dénonciation polémique du « manque d’empathie » d’un
président jupitérien et la mise en scène démagogique d’un politique qui
« joue la carte de l’empathie » auprès de son peuple, la presse française
n’a eu de cesse d’interroger l’image d’Emmanuel Macron à l’aune de cette
capacité d’identification aux sentiments d’autrui, repère de notre société
et de ses discours.
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Mots-clés : empathie, Macron (Emmanuel), discours, presse,
politique

Emmanuel Macron’s “empathy deficit”? When the press decodes


the presidential emotions...
Mostly based on the newspaper articles published in Le Monde during
Emmanuel Macron’s first term, this study aims to show that between
the controversial denunciation of the “lack of empathy” of an “imperial”
president and the demagogic demeanour of a politician who “plays the
empathy card” with his people, the French press has constantly ques-
tioned Emmanuel Macron's image against his capacity to identify with
the feelings of others, an ability which is a benchmark of our society and
its rhetoric.
Keywords: empathy, Macron (Emmanuel), speech, press, politics

¿«Déficit de empatía» de Emmanuel Macron? Cuando la prensa


descifra las emociones presidenciales…
Basándose principalmente en los artículos publicados en el periódico
francés Le Monde a lo largo del primer mandato de Emmanuel Macron,

Mots. Les langages du politique • 132 • juillet 2023 pages 137 — 148
este estudio intenta destacar que, entre la denuncia polémica de la «falta
de empatía» de un presidente endiosado y la escenificación demagógica
de un político que se «juega con la empatía» por su pueblo, la prensa
francesa ha seguido analizando la imagen de Emmanuel Macron y su
capacidad de identificarse con los sentimientos de los demás, referente
de nuestra sociedad y de sus discursos.
Palabras claves: empatía, Macron (Emmanuel), discurso, prensa,
política

Dans un portrait d’Emmanuel Macron publié en octobre 2017 dans le Guardian,


l’écrivain Emmanuel Carrère rapporte une étrange anecdote. Il décrit un pré-
sident qui ne « transpire pas »1, suivi dans les rues brûlantes de l’île Saint-
Martin par une équipe en nage, dégoulinante de sueur. Il s’agit pour l’écrivain
de dire le surplomb, la hauteur d’un homme, comme extérieur à l’humanité.
Ce n’est pourtant là qu’une variation pittoresque sur l’ensemble des tropes et
expressions déployés depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir pour
exprimer son appartenance à un autre règne que celui du commun des mor-
tels. On parle même d’un président « jupitérien »2, métaphore mythologique
qui vient se substituer à l’« hyperprésidence »3 de Nicolas Sarkozy et à la pré-
sidence « normale »4 de François Hollande, et qui décrit à la fois le caractère
impérieux et dominateur d’un pouvoir vertical, et l’appartenance du chef
d’État à une espèce à part, celle des dieux. Ces éléments de langage ont bien
sûr rapidement pris une tournure polémique, afin de dénoncer un président
technocrate, indifférent aux problèmes de ses concitoyens, coupé du peuple et
de ses préoccupations, incarnant donc la crise de la démocratie représentative
que nous connaissons aujourd’hui. On peut penser par exemple à l’expression
« président des ultra-riches » (2019), issue du travail du couple de sociologues
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Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, et qui fait désormais partie de l’in-
terdiscours médiatique. Parmi ces expressions, il s’en trouve une plus surpre-
nante : le « manque d’empathie ».

1. Emmanuel Carrère, « Orbiting Jupiter: my week with Emmanuel Macron », The Guardian,
20 octobre 2017, https://www.theguardian.com/news/2017/oct/20/emmanuel-macron-orbiting-
jupiter-emmanuel-carrere (consulté le 9 juin 2022). Nous traduisons.
2. L’expression apparaît dans un entretien pour le magazine économique Challenges donné par
Emmanuel Macron lors de sa première campagne présidentielle : « Macron ne croit pas au
“président normal, cela déstabilise les Français” », Challenges.fr, 16 octobre 2016, https://
www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-
crois-pas-au-president-normal_432886 (consulté le 13 septembre 2022).
3. Ce néologisme a été popularisé par la presse afin de désigner l’omniprésence de Nicolas
Sarkozy au cours de son mandat, aussi bien sur le plan médiatique que dans l’ensemble des
décisions politiques. Charles Jaigu et Bruno Jeudy pouvaient alors titrer : « Nicolas Sarkozy,
l’hyperprésident », Le Figaro.fr, 21 juin 2007, https://www.lefigaro.fr/politique/2007/06/21/01
002-20070621ARTFIG90222-nicolas_sarkozy_s_engage_personnellement_sur_tous_les_fronts_
et_invite_sa_majorite_a_l_audace.php (consulté le 13 septembre 2022).
4. Durant la campagne présidentielle de 2012, François Hollande promet d’être un « président
normal », humain et proche du peuple, reprenant même l’expression lors du débat télévisé de
l’entre-deux tours qui l’oppose à Nicolas Sarkozy : « j’avais évoqué une présidence normale »,
Vie publique.fr, 2 mai 2012, https://www.vie-publique.fr/discours/184977-debat-televise-entre-
mm-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-et (consulté le 13 septembre 2022).

138 Eva Chaussinand


Empathie : origines, définitions, usages discursifs

Ce substantif accompagne très souvent les descriptions d’Emmanuel Macron,


pour dire en négatif son « manque d’empathie », qualité proprement humaine,
dont l’absence supposée chez le président semble le séparer encore plus du reste
de la société. En effet, l’empathie est définie par le Petit Larousse illustré (2010)
comme la « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il
ressent », ou par le Petit Robert de la langue française (2022) comme la « faculté
de s’identifier à quelqu’un, de ressentir ce qu’il ressent ». Fondement d’un lien
à la fois cognitif et affectif vers autrui, elle nécessite une relation d’égalité, de
symétrie, apparemment inaccessible à un président au- dessus de la mêlée.
L’absence d’empathie du chef d’État est ainsi devenue un cliché de langue, qui
apparaît régulièrement dans les médias, que ce soit à la télévision, à la radio, sur
les réseaux sociaux5, et plus particulièrement dans la presse écrite, sur laquelle
on concentrera cette analyse.
L’emploi du mot empathie dans ce contexte politique peut cependant
nous étonner, notamment au regard de son histoire et de sa définition6. Il
s’agit en réalité d’un terme extrêmement récent en langue française, apparu
il y a à peine soixante ans, et encore absent de certains dictionnaires, comme
du Trésor de la Langue Française. Empathie est à l’origine un néologisme de
langue allemande. Il est attesté pour la première fois en 1873 sous la forme Ein-
fühlung, composé du préfixe ein « dans » et du verbe fühlen « ressentir », dans
la thèse du philosophe Robert Vischer. Le mot désigne alors la projection de
sentiments humains dans la nature, dans le cadre des débats qui avaient cours
au xixe siècle en philosophie de l’esthétique. Le penseur allemand Theodor
Lipps a ensuite fait passer le concept de la philosophie à la psychologie, le
redéfinissant comme moyen d’accès à l’intériorité d’autrui. Par calque linguis-
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tique et emprunt de racines grecques savantes, le mot Einfühlung a été traduit
en 1909 en anglais par empathy, par le psychologue Edward Titchener. Enfin,
l’une des premières attestations du terme empathie en français se trouve dans
la traduction d’un article du psychanalyste américain Ralph Greenson, en 1961.
Après une longue histoire en philosophie, en psychologie et en psychanalyse,
le mot est entré dans la terminologie des sciences humaines puis des sciences
cognitives. Depuis les années 2000, il a quitté ces lexiques de spécialité pour
intégrer le vocabulaire courant. Il connaît du même coup une extraordinaire
extension d’usage. Comme le souligne Jacques Hochmann dans Une histoire
de l’empathie (2012, p. 11), le mot a envahi les conversations quotidiennes, mais
aussi la langue du management, du marketing, de la médecine, ou de l’éduca-
tion. Il sature enfin le traitement médiatique de la politique française, avec,
comme on l’a évoqué, un succès fulgurant pour parler d’Emmanuel Macron.
Comment le terme empathie, désignant d’abord un mécanisme psychologique
de partage émotionnel, est-il si vite devenu un mot de critique politique, reflet

5. Par exemple, dans une vidéo intitulée « François Ruffin et le manque d’empathie d’Emmanuel
Macron », Brut.media, 6 mars 2019, https://www.brut.media/fr/news/francois-ruffin- et-le-
manque-d-empathie-d-emmanuel-macron-3fa0e7ac-3b74-4c26-b05d-e77cf2f6b635 (consulté
le 13 septembre 2022).
6. Pour des développements complémentaires sur ce sujet, voir Hochmann (2012).

Le « déficit d’empathie » d’Emmanuel Macron ? 139


d’idéologies, porteur de valeurs symboliques, inscrit dans une perspective
profondément conflictuelle ?
On questionnera ainsi la singulière récurrence du mot empathie dans la
presse française, et plus particulièrement dans le quotidien Le Monde7, pour
qualifier Emmanuel Macron, en montrant comment ce terme supplante tous ses
parasynonymes disponibles – identification, sympathie, compréhension, bien-
veillance, compassion, altruisme, ou solidarité. On interrogera la phraséologie
dans laquelle le mot s’inscrit, les expressions lexicalisées ou les collocations qui
l’accompagnent, mais aussi les stratégies discursives et les figures de discours
qui contribuent à son emploi expressif. On se demandera également en quoi
ce mot, pris dans un véritable « moment discursif » (Moirand, 2007, p. 4), se fait
l’indicateur d’une certaine transformation de la politique française, comme
nous y invite Alice Krieg :
Dans sa contribution spécifique à la compréhension des faits politiques
et sociaux contemporains […], l’analyse du discours de presse s’attache à voir
dans quelle mesure certains bouleversements sociaux s’accompagnent de
changements dans le lexique employé par les journaux, ou de déplacements
dans la signification du vocabulaire utilisé. (Krieg, 2000, p. 87)
Empathie est bien selon nous le révélateur d’une évolution dans le trai-
tement médiatique de l’ethos présidentiel, qui accompagne peut- être un chan-
gement concernant le rôle du président aujourd’hui. On évoquera d’abord
les expressions décrivant le « manque d’empathie » d’Emmanuel Macron, qui
viennent traduire en creux les accusations d’arrogance faites au président,
notamment dans le discours rapporté de ses adversaires politiques. On inter-
rogera ensuite les expressions comme « jouer la carte de l’empathie », qui
dénoncent implicitement l’hypocrisie d’un président démagogue, qui mettrait
en scène une fausse proximité avec ses concitoyens.
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Le « problème d’empathie » d’Emmanuel Macron

Dans la presse écrite, c’est l’expression du « manque d’empathie » du président


envers la population française dans son ensemble, et particulièrement envers
les plus vulnérables, qui revient très souvent. Entre « problème de proximité

7. Si nous avons choisi de privilégier le quotidien Le Monde, c’est d’abord en raison de l’accessibi-
lité des archives du journal en ligne, mais aussi de l’ampleur de sa diffusion en France comme à
l’étranger, et de l’image de média « de référence » dont il bénéficie, suivant une ligne éditoriale
qui se veut non partisane. Après avoir effectué une recherche par mots clés sur le site Inter-
net du Monde, nous avons extrait les occurrences du terme empathie associées à la mention
d’Emmanuel Macron qui nous ont paru les plus saillantes, en nous limitant presque exclusive-
ment aux bornes chronologiques du premier quinquennat du président (mai 2017-mai 2022).

140 Eva Chaussinand


et d’empathie »8, « absence totale d’empathie »9, « sans empathie »10, « manque
d’empathie ou de proximité »11, ou « dénué d’empathie »12, l’expression connaît
de nombreuses déclinaisons paradigmatiques, le mot empathie venant com-
pléter divers substantifs, prépositions ou adjectifs qui signalent la privation.
Dans ces occurrences, empathie est fréquemment en emploi absolu, sans com-
plément du nom qui viendrait indiquer le destinataire de l’émotion, procédé
qui essentialise le propos. Ces expressions font ressortir en filigrane les défauts
reprochés à Emmanuel Macron dans les sondages d’opinion, de distance, d’ar-
rogance, voire de mépris, image liée à différents éléments qui forment le cotexte
de nos exemples : son parisianisme, sa classe sociale, ses « petites phrases » par-
fois blessantes, ou encore sa gestion controversée de la crise des gilets jaunes.
Martial Foucault évoque ainsi son « déficit d’empathie politique »13, formule qui
nous paraît particulièrement intéressante, puisqu’« empathie » vient compléter
le nom « déficit », qui appartient au lexique économique. On le retrouve d’ailleurs
dans le titre d’un autre article de la rédaction du Monde qui parle d’un « déficit
d’humanité »14. L’expression « déficit d’empathie » crée donc un raccourci presque
oxymorique, qui opère la transformation d’une qualité humaine en compétence
chiffrée et calculée dans le champ politique. Rien d’étonnant alors à ce que la
vertu d’empathie se donne à lire dans les médias comme un capital à posséder,
qui polarise et hiérarchise le jeu politique, cristallise les rapports de force et les
enjeux de pouvoir, bref, qui organise tout un système d’opposition.

Empathie, discours rapporté et rivalité politique

Dès lors, l’expression du manque d’empathie du président devient une arme


de discrédit dans les discours rapportés de ses adversaires politiques, au sein
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de la polyphonie qui caractérise le discours médiatique. On peut notamment
le constater dans le discours de Marine Le Pen, qu’Emmanuel Macron a dû
affronter par deux fois au second tour des élections présidentielles. Comme

8. Claire Gratinois, « Pour Emmanuel Macron, une ‘‘tournée’’ marseillaise afin de mettre Paris à
distance », Le Monde, 3 septembre 2021, https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/09/03/
pour-macron-une-tournee-marseillaise-pour-mettre-paris-a-distance_6093343_823448.html
(consulté le 9 juin 2022).
9. Jean-Baptiste de Montvalon, « Cécile Alduy : ‘‘Les mots d’Emmanuel Macron se sont retournés
contre lui’’ », Le Monde, 7 décembre 2018, https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/07/
cecile-alduy-m-macron-manifeste-une-absence-totale-d-empathie_5393800_3232.html (consulté
le 9 juin 2022).
10. Solenn de Royer, « Gouvernement Castex : ‘‘Place à de fortes personnalités, identifiées par les
Français’’ », Le Monde, 7 juillet 2020, https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/07/07/
remaniement-place-a-de-fortes-personnalites-identifiees-par-les-francais_6045478_823448.
html (consulté le 9 juin 2022).
11. Bastien Bonnefous, « Pour ses premiers vœux, Macron réaffirme son identité politique et cor-
rige son image », Le Monde, 31 décembre 2017, https://www.lemonde.fr/emmanuel-macron/
article/2017/12/31/pour-ses-premiers-v-ux-macron-reaffirme-son-identite-politique-et-corrige-
son-image_5236390_5008430.html (consulté le 9 juin 2022).
12. Martial Foucault, « Enquête Cevipof : un président ‘‘énergique’’ et ‘‘réformateur’’, mais dénué
d’empathie et trop autoritaire », Le Monde, 5 mai 2018, https://www.lemonde.fr/politique/
article/2018/05/05/enquete-cevipof-un-president-energique-et-reformateur-mais-denue-d-
empathie-et-trop-autoritaire_5294727_823448.html (consulté le 8 juin 2022).
13. M. Foucault, art. cité.
14. « Pour Macron et la majorité, le risque politique du déficit d’‘‘humanité’’ », Le Monde, 6 février
2020, https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/06/pour-macron- et-la-majorite-le-risque-
politique-du-deficit-d-humanite_6028615_3232.html (consulté le 9 juin 2022).

Le « déficit d’empathie » d’Emmanuel Macron ? 141


l’a montré Fabienne Baider (2015), la candidate elle-même utilise l’empathie
comme ressource discursive pour construire sa proximité avec le peuple, et
réciproquement, pour dénoncer la distance entre ses adversaires et le peuple,
l’accusation d’élitisme étant un élément de langage bien connu des rhéto-
riques populistes. Dans un article du Monde d’avril 2022, on trouve ainsi : « La
candidate d’extrême droite a voulu diaboliser le président sortant lors d’un
meeting d’entre- deux-tours, jeudi, en le décrivant comme ‘‘un pouvoir sans
empathie’’ »15. Le raccourci métonymique de la journaliste, qui associe l’animé
« le président » à l’inanimé « pouvoir » et identifie donc l’homme et la propriété,
dévoile la stratégie rhétorique de Marine Le Pen. Selon nous, cette dernière
parle en effet de « pouvoir sans empathie », accolant une qualité humaine à un
nom abstrait, et évitant habilement de nommer son rival, pour mieux l’accuser
implicitement à travers un coup de force présuppositionnel. Marine Le Pen
réutilise fréquemment la même stratégie, reliant par exemple l’absence d’em-
pathie à la France d’Emmanuel Macron, et non à lui directement, comme le
rapporte Ivanne Trippenbach : « La France d’Emmanuel Macron serait, assène-
t-elle, dans un sursaut, ‘‘un monde nomade et liquide’’, régi par la ‘‘loi de la
jungle’’, faite ‘‘de mépris social, d’absence d’empathie et de brutalité’’ »16. On
retrouve cette accusation de manque d’empathie dans le discours rapporté de
nombreux autres adversaires politiques. Ségolène Royal dénonce ainsi un chef
d’État qui « manque totalement d’empathie »17, là où Valérie Pécresse affirme
qu’Emmanuel Macron fait preuve d’un « terrible manque d’empathie »18 : deux
hyperboles, portées respectivement par l’adverbe « totalement » et par l’adjectif
« terrible », pour autant d’attaques ad hominem. En blâmant l’absence d’empa-
thie du président, ses adversaires mettent en scène la déficience morale du chef
d’État pour mieux suggérer en creux leur propre capacité compassionnelle.
Empathie devient ainsi un terme polémique, qui classe les acteurs politiques le
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long d’une échelle axiologique.

15. Ivanne Trippenbach, « À Avignon, Marine Le Pen érige son ‘‘barrage’’ contre Emmanuel Macron
au second tour de la présidentielle », Le Monde, 15 avril 2022, https://www.lemonde.fr/election-
presidentielle-2022/article/2022/04/15/a-avignon-marine-le-pen-retourne-le-barrage-contre-
emmanuel-macron- au-second-tour- de-la-presidentielle_6122235_6059010.html (consulté le
9 juin 2022).
16. Ivanne Trippenbach, « À Arras, Marine Le Pen appelle le ‘‘peuple de France’’ à se lever au
second tour de la présidentielle contre le ‘‘mépris’’ d’Emmanuel Macron », Le Monde, 22 avril
2022, https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/22/a-arras-marine-
le-pen-appelle-le-peuple-de-france-a-se-lever-au-second-tour-de-l-election-presidentielle-contre-
le-mepris-d-emmanuel-macron_6123196_6059010.html (consulté le 9 juin 2022).
17. Sylvia Zappi, « ‘‘Macron pensait que j’allais rester dans mon coin et me taire’’ : Ségolène
Royal de nouveau à l’assaut de la présidentielle », Le Monde, 22 janvier 2020, https://
www.lemonde.fr/politique/article/2020/01/22/segolene-royal-de-nouveau-a-l-assaut-de-la-
presidentielle_6026767_823448.html (consulté le 9 juin 2022).
18. « Après l’interview d’Emmanuel Macron, Edouard Philippe se dit favorable à la vaccination obli-
gatoire, Valérie Pécresse est ‘‘indignée’’ », Le Monde, 5 janvier 2022, https://www.lemonde.fr/
politique/article/2022/01/05/apres-l-interview-d-emmanuel-macron-edouard-philippe-se-dit-
favorable-a-la-vaccination-obligatoire-valerie-pecresse-est-indignee_6108283_823448.html
(consulté le 8 juin 2022).

142 Eva Chaussinand


Un nouvel ethos présidentiel

L’importance de ce mot dans les médias reflète en réalité des bouleversements


socio-politiques récents que les politologues ont pu démontrer, soulignant que
l’empathie est devenue une qualité attendue des acteurs politiques aujourd’hui.
Christian Le Bart (2009, 2018, 2021) a par exemple décrit la transformation, voire
le renversement du rapport aux émotions et de l’ethos des présidents sous la
Ve République. On est en effet passé d’une norme de sang-froid, incarnée par
de Gaulle, Mitterrand, ou Giscard d’Estaing – où le président devait incarner
l’autorité, la distinction, la maîtrise des émotions, la distance et la retenue, bref
un surplomb considéré comme le gage de sa capacité à prendre des décisions
rationnelles – à une injonction croissante à l’empathie, à la proximité, à la
démonstration authentique voire pathétique d’émotions plus directes et indivi-
dualisées. Cette évolution a d’ailleurs été corroborée par la montée en puissance
de la médiatisation de la vie politique, qui valorise l’expressivité et la dramati-
sation. Si, auparavant, le scandale résidait dans la sensiblerie du chef d’État, il
est désormais dans son insensibilité potentielle. La recevabilité des émotions
présidentielles est donc mise en scène dans les commentaires médiatiques de la
vie politique, permettant aux journalistes, aux citoyens et aux autres acteurs de
la classe politique de se faire juges de l’exemplarité ou de l’inaptitude sentimen-
tale du président, comme on l’a vu avec le procès fait au « manque d’empathie »
d’Emmanuel Macron. Christian Le Bart et Myriam Revault d’Allonnes affirment
tous deux que ce tournant empathique daterait du mandat de Nicolas Sarkozy,
premier dirigeant à fonder ses réformes politiques sur les histoires individuelles
de victimes de faits divers ou autres catastrophes, et premier chef d’État à
raconter sans détours ses échecs de parcours, sa vie privée, ses fragilités, dans
l’espoir de gagner la sympathie des Français en soulignant sa ressemblance
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avec eux. Depuis, le leitmotiv présidentiel est devenu « je peux gouverner parce
que je suis comme vous », corrélat de l’imagination démocratique moderne qui
nous met tous à égalité, nous donne la notion du semblable, et donc le goût de
l’empathie. Ainsi, c’est désormais la capacité à l’empathie qui fait la légitimité
du président et qui fonde son droit à gouverner (Revault d’Allonnes, 2007,
p. 143). La compassion est devenue une figure imposée du présidentialisme
médiatique, et même un « devoir régalien »19. Marion Ballet écrit quant à elle
que l’empathie est devenue « un argument politique » (2012, p. 23), dans le cadre
d’une véritable « frénésie victimaire et compassionnelle ». Président lors des
attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, François Hollande a malheureu-
sement eu de multiples occasions de déployer cette grammaire médiatique
de l’empathie. Emmanuel Macron, en revanche, se débat avec les accusations
d’insensibilité qui le visent, et tâche donc de réparer son image. L’empathie est
alors au cœur d’une stratégie de communication qui a pour but de rééquilibrer
la balance entre l’ethos de crédibilité et l’ethos d’identification qu’il entend
incarner. Lorsque les médias relaient ces tentatives, le terme empathie est

19. Patrick Garcia, « En rendant hommage à Johnny Hallyday, Emmanuel Macron montre qu’il
a entendu l’émotion publique », Le Monde, 9 décembre 2017, https://www.lemonde.fr/idees/
article/2017/12/09/en-rendant-hommage-a-johnny-hallyday-emmanuel-macron-montre-qu-il-
a-entendu-l-emotion-publique_5227060_3232.html (consulté le 9 juin 2022).

Le « déficit d’empathie » d’Emmanuel Macron ? 143


cette fois employé dans le cadre d’expressions mi-polémiques mi-ironiques,
qui mettent en doute l’authenticité des affects du président, et suggèrent à
demi-mot qu’Emmanuel Macron serait en réalité un Machiavel de l’empathie.

« Jouer la carte de l’empathie » : l’émotion comme stratégie


de communication

Dans ce cadre, c’est l’expression récurrente « jouer la carte de l’empathie », sou-


vent remontée dans la titraille des articles de presse20, qui a particulièrement
retenu notre attention. Cette locution verbale permet aux journalistes de jouer
sur le point de vue énonciatif du discours, en suggérant que l’empathie serait
bien une stratégie, une ruse politique d’Emmanuel Macron, et donc en laissant
penser que cela pourrait n’être qu’hypocrisie ou simulacre. Alain Rabatel (1998)
définit le point de vue comme l’expression linguistique d’une perception sub-
jective, y compris quand on ne trouve a priori pas de marque de subjectivité
dans le discours. Dans les articles de presse, le journaliste est censé obéir à
une certaine neutralité énonciative, signalée par l’effacement de la première
personne. Cependant, des expressions comme « jouer la carte de l’empathie »,
ou bien, dans l’exemple suivant, le verbe au conditionnel « il aurait », ainsi que
la locution adverbiale modalisatrice « sans doute » trahissent un point de vue
ironique voire critique sur la fausse empathie supposée du président :
Le jeune président clivant et quelques fois cassant des débuts aurait
laissé place à un dirigeant davantage attentif aux autres. Un homme
« humain » et « affectif », qui aurait « acquis beaucoup plus de respect pour
chacun ». « Sans doute que je suis plus sensible à certaines choses que je
ne l’étais avant », a-t-il assuré, promettant de montrer à l’avenir davantage
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d’« indulgence et de bienveillance ». Disant avoir « appris » de ses « erreurs »,
il est même allé jusqu’à avouer « mieux aimer » les Français, dans l’espoir,
sans doute, que l’inverse soit également vrai.21
Pour reprendre les mots de Patrick Charaudeau (2006, p. 3), on passe
ici de la visée de « crédibilité » médiatique, qui sous-tend la transmission
d’informations fiables au citoyen, à la visée de « captation », plus polémique
et dramatisante, qui cherche à conquérir le lecteur, à faire penser plutôt qu’à
faire savoir. Dans les articles du Monde, on va même de « jouer la carte de
l’empathie » à « jouer l’empathie »22, puis à « surjouer l’empathie »23, avec le

20. Par exemple : Alexandre Lemarié, « Emmanuel Macron, le presque candidat, joue sur TF1 la
carte de l’empathie avec les Français », Le Monde, 16 décembre 2021, https://www.lemonde.
fr/election-presidentielle-2022/article/2021/12/16/presidentielle-2022-sur-tf1-le-presque-
candidat-emmanuel-macron-joue-la-carte-de-l-empathie-avec-les-francais_6106243_6059010.
html (consulté le 8 juin 2022) ou Mathilde Siraud, « Dans la Creuse, Emmanuel Macron joue la
carte de l’empathie », Le Point, 24 janvier 2022, https://www.lepoint.fr/politique/dans-la-creuse-
emmanuel-macron-joue-la-carte-de-l-empathie-24-01-2022-2461815_20.php#11 (consulté le
8 juin 2022).
21. A. Lemarié, art. cité.
22. Claire Gratinois, « Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron se projette dans un second tour face
à Marine Le Pen », Le Monde, 4 avril 2022, https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/
article/2022/04/04/presidentielle-2022-emmanuel-macron-se-projette-dans-un-second-tour-
face-a-marine-le-pen_6120428_6059010.html (consulté le 9 juin 2022).
23. Cédric Pietralunga et Olivier Faye, « Mort de Jacques Chirac : Emmanuel Macron loue ‘‘une cer-
taine idée de la France’’ », Le Monde, 27 septembre 2019, https://www.lemonde.fr/disparitions/

144 Eva Chaussinand


préfixe intensif qui renforce le champ lexical accusateur du théâtre et de la
fausseté. On retrouve également la métaphore guerrière qui a tant marqué le
quinquennat d’Emmanuel Macron24, avec l’expression « faire assaut d’intérêt
et d’empathie »25. En mettant sur le même plan un terme militaire et un affect
humain, cette collocation presque oxymorique se fait ironique et critique
envers un président qui utilise la compassion comme un moyen pour gagner la
bataille de l’opinion, au lieu de la vivre sincèrement. Ce combat métaphorique
se voit même mis en scène à travers un parallélisme de construction, au sujet
du débat de l’entre- deux tours entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen : « à
lui l’empathie et la proximité, à elle la bataille des chiffres du chômage, de la
balance commerciale ou de la dette publique »26. Ici, le jeu sur les locutions
prépositionnelles « à lui » et « à elle », indiquant la possession, dit implicitement
le caractère purement rhétorique et antagoniste de l’empathie déployée. De
fait, les médias soulignent fréquemment l’écart supposé entre l’empathie
authentiquement ressentie par le chef de l’État, et celle qu’il affiche par ses
gestes ou exprime par ses paroles. Si l’émotion intime du président nous est
inaccessible, les médias réagissent à l’émotion montrée, celle qui s’inscrit
dans son corps, par le rire, les larmes, ou les gestes, et à l’émotion dite27, celle
que l’on reconnaît à certaines marques linguistiques dans ses discours. On
le voit dans un article du Monde daté de mai 2021, avec, dans le chapeau, le
syntagme prépositionnel à l’infinitif « le président de la République cherche à
montrer son empathie [nous soulignons] avec la ‘‘France inquiète’’ », ainsi qu’à
travers l’expression « il assure [nous soulignons] tirer une empathie avec ces
territoires »28 qui contient un verbe de parole. Dès lors que gestes et paroles
sont en jeu, l’accusation de fausseté devient possible, puisque les affects ne
sont qu’extériorisés. Ainsi, l’expression de la rédaction du Monde, d’« empathie
affichée »29, ou celle d’« illusion de l’empathie »30 dans le titre d’un article de
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L’Obs, dénoncent explicitement l’absence de sincérité d’Emmanuel Macron.

article/2019/09/27/mort-de-chirac-macron-loue-une-certaine-idee-de-la-france_6013227_3382.
html (consulté le 9 juin 2022) et Elsa Dorlin, « Macron, les femmes et l’Afrique : un discours de
sélection sexuelle et de triage colonial », Le Monde, 30 novembre 2017, https://www.lemonde.fr/
afrique/article/2017/11/30/macron-les-femmes- et-l-afrique-un-discours-de-selection-sexuelle-
et-de-triage-colonial_5222794_3212.html (consulté le 9 juin 2022).
24. Pour des développements complémentaires sur ce sujet, voir Bardiès (2020).
25. Cédric Pietralunga, « En Bretagne, Emmanuel Macron répond aux critiques sur les migrants »,
Le Monde, 22 juin 2018, https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/06/22/en-bretagne-
macron-repond-auxc-critiques-sur-les-migrants_5319477_823448.html (consulté le 9 juin 2022).
26. Claire Gratinois et Ivanne Trippenbach, « Le débat de l’entre-deux-tours de l’élection présiden-
tielle, nouveau rendez-vous manqué pour Marine Le Pen, étouffée par un Emmanuel Macron
offensif », Le Monde, 21 avril 2022, https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/04/21/le-
debat-d-entre-deux-tours-de-l-election-presidentielle-nouveau-rendez-vous-rate-pour-marine-
le-pen-etouffee-par-un-emmanuel-macron-combatif_6123047_823448.html (consulté le 9 juin
2022).
27. Pour plus de précisions sur la distinction entre émotion dite et émotion montrée et sur les
divers modes de sémiotisation de l’émotion, voir Micheli (2014).
28. Olivier Faye, « En campagne, Emmanuel Macron raconte ‘‘sa’’ France », Le Monde, 26 mai
2021, https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/05/26/en-campagne-emmanuel-macron-
raconte-sa-france_6081543_823448.html (consulté le 9 juin 2022).
29. « Macron diplomate, la méthode et le discours », Le Monde, 30 mai 2018, https://www.lemonde.
fr/idees/article/2018/05/30/macron-diplomate-la-methode-et-le-discours_5306928_3232.html
(consulté le 9 juin 2022).
30. Véronique Radier, « Emmanuel Macron donne l’illusion de l’empathie, mais en réalité, il n’en fait
qu’à sa tête », L’Obs, 5 mars 2022, https://www.nouvelobs.com/idees/20220305.OBS55316/
emmanuel-macron-donne-l-illusion-de-l-empathie-mais-en-realite-il-n-en-fait-qu-a-sa-tete.html
(consulté le 9 juin 2022).

Le « déficit d’empathie » d’Emmanuel Macron ? 145


L’empathie du président ne serait donc que rhétorique, comme le suggère
enfin Mariette Darrigrand, analysant les nouveaux éléments de langage d’Em-
manuel Macron, « Cette colère, je la ressens… », « Notre pays, je l’aime… »31,
etc., marqués par des dislocations anaphoriques particulièrement solennelles,
comme une pure éloquence empathique, potentiellement trompeuse. Si l’on
s’éloigne ici du discours journalistique pour commenter les stratégies discur-
sives du chef d’État lui-même, c’est pour montrer comment l’instrumentali-
sation médiatique du manque d’empathie d’Emmanuel Macron, révélatrice
d’un changement récent dans l’ethos présidentiel attendu, conduit ce dernier
à extérioriser une émotion qu’il n’éprouve peut- être pas. Cette idée peut nous
permettre de comprendre pourquoi, durant sa campagne de 2022, le pré-
sident est passé du slogan « avec vous » à « nous tous ». Le pronom personnel
« vous » exclut le « je », tandis que le « nous » l’inclut : avec son nouveau slogan,
Emmanuel Macron rétablissait une forme d’empathie avec le peuple français.
Enfin, dans une allocution destinée à rendre hommage à la reine Élisabeth II,
au lendemain de son décès, le chef de l’État déclarait au sujet de la monarque :
« sa sagesse et son empathie nous ont aidés à tracer une voie au milieu des aléas
de l’Histoire des soixante- dix dernières années »32. En insistant tout particuliè-
rement sur cette qualité, Emmanuel Macron amorce le transfert du terme du
discours de commentaire journalistique vers le discours politique lui-même,
prenant acte de la force pragmatique du mot et des représentations sociales
positives qui y sont associées.
Ainsi, empathie semble être devenu le mot d’ordre du traitement média-
tique de la politique présidentielle sous le quinquennat d’Emmanuel Macron.
Dans tous les emplois que l’on a parcourus, on peut remarquer la diversité des
compléments susceptibles d’être associés au substantif, ainsi que la multitude
des cooccurrents qui l’accompagnent, souvent en coordination – proximité,
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compréhension, humanité, humilité, intérêt, etc. Ce phénomène démontre
bien qu’empathie est employé dans ce contexte comme un terme particulière-
ment polyvalent et fédérateur, qui tend à attirer à lui et à surplomber un grand
nombre de parasynonymes ou mots associés renvoyant au partage émotionnel.
Si le terme semble, en langue, posséder une définition relativement simple et
consensuelle, cette notion abstraite se voit entourée d’un grand flou séman-
tique sitôt qu’elle est employée en discours et qu’elle trouve des applications
référentielles. Empathie fait donc partie d’une classe de termes ainsi définie
par Maurice Tournier :
[Une] catégorie de mots et d’expressions qui rendent plus manifeste
que d’autres la carence des dictionnaires de définitions. Ce sont ceux et
celles qui se trouvent dans leur emploi soumis sans recours aux situations
d’hétérogénéité, c’est- à-dire aux conflits de pouvoir qu’elles recèlent, et
aux différentes stratégies, c’est- à-dire aux processus symboliques mis en
œuvre dans ces conflits. Ces termes sociaux ne possèdent ni l’angle vif

31. Mariette Darrigrand, « Emmanuel Macron a tenté de renouer avec un ‘‘vous’’ égalitaire », Le
Monde, 12 décembre 2018, https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/12/emmanuel-
macron-a-echoue-a-creer-un-nous-inclusif_5396421_3232.html (consulté le 9 juin 2022).
32. Vie publique.fr, 9 septembre 2022, https://www.vie-publique.fr/discours/286232-emmanuel-
macron-09092022-elisabeth-ii (consulté le 16 septembre 2022).

146 Eva Chaussinand


des désignants de choses concrètes ni l’arête sûre des signes scientifiques.
Ils sont des espèces d’espaces sémantiques, flous, fluents et fluctuants, où
viennent s’inscrire les actes qu’ils servent. (Tournier, 1993, p. 279)
Dans les articles de presse, le terme empathie permet ainsi d’accompa-
gner la redéfinition contemporaine du rôle présidentiel à l’aune d’une capacité
compassionnelle, nouvelle forme d’incarnation politique en rupture avec la
culture républicaine. La montée en puissance d’une rhétorique de l’émotion
et de la proximité en politique peut également s’observer à travers d’autres cli-
chés de langue devenus omniprésents dans les médias, comme écoute, terrain,
quotidien, contact, dialogue, participation, les vraies gens, etc., qui mériteraient
aussi une analyse et témoignent de la lexicalisation discursive généralisée d’un
paradigme de l’empathie.

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