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Des “ parallélismes sémantiques ” aux universaux de

pensée
Aziza Boucherit
Dans La linguistique 2006/1 (Vol. 42), pages 129 à 140
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0075-966X
ISBN 9782130557227
DOI 10.3917/ling.421.0129
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.51.241.245)

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Des « parallélismes sémantiques » aux universaux de pensée

par Aziza BOUCHERIT

| Presses Universitaires de France | La linguistique

2006/1 - 42
ISSN 0075-966X | ISBN 9782130557227 | pages 129 à 140
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Pour citer cet article :


— BOUCHERIT A., Des « parallélismes sémantiques » aux universaux de pensée, La linguistique 2006/1, 42,
p. 129-140.

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DISCUSSION
Des « parallélismes sémantiques »
aux universaux de pensée
par Aziza BOUCHERIT
Université René-Descartes - Paris 5 - Sorbonne

À propos de Matériaux pour l’étude des parallé-


lismes sémantiques de Michel Masson1.

La question des universaux de pensée, déjà formulée dans la scholastique


médiévale a été/est toujours l’objet de nombreuses et importantes réflexions et
l’idée que les universaux linguistiques constitueraient des unités de sens primiti-
ves liées à l’expérience commune que font les humains du monde est un des pos-
tulats de ces réflexions. Sous cet aspect, il s’agirait en quelque sorte de définir des
propriétés sémantiques communes à toutes les langues révélatrices d’universaux
de pensée qui se manifesteraient linguistiquement.
On connaît bien la position d’André Martinet sur la question des universaux
linguistiques et il n’est pas dans mon intention d’y revenir ici pour la remettre en
cause, mon propos ne s’inscrivant pas dans ce cadre là. On voudrait seulement
s’interroger sur un phénomène linguistique qui conduit à se poser la question de
l’existence d’universaux sémantiques ; il s’agit de la régularité de polysémies ou
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d’associations sémantiques constatées dans une langue et, au-delà, au sein d’une
même famille de langues et, au-delà encore, au sein de plusieurs familles de lan-
gues, et pour lesquelles une explication de type génétique ou aréal n’offre pas de
réponse suffisante.
L’occasion nous en est fournie par la parution de l’ouvrage de Michel Mas-
son, modestement intitulé Matériaux pour l’étude des parallélismes sémantiques et
dont j’aurai dû rendre compte au moment de sa parution en 1999. La richesse
de ces matériaux, les réflexions auxquelles ils entraînent, ne se satisfaisant pas
d’un mince compte rendu cela m’a conduit à présenter cette note pour aborder
plus en détail le phénomène dont il traite.
Ce phénomène, bien connu des linguistes, lexicologues et sémanticiens
notamment, Michel Masson, retenant en cela une expression utilisée, avec le
même sens, par David Cohen (p. 13, n. 1) le nomme « parallélisme séman-
tique ». Il s’agit du fait que, dans les langues, il est courant qu’un « mot
exprime (...) deux valeurs sémantiques différentes et qu’un autre mot se trouve

1. Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 325 pages.

La Linguistique, vol. 42, fasc. 1/2006


130 Aziza Boucherit

aussi exprimer ces deux valeurs » (p. 13). Soit lat. linter et alveus désignant tous
deux « auge » et « canot »2.
Le postulat à la base de l’étude est que ce type de coïncidences n’est pas for-
tuit, et le projet de Michel Masson [dorénavant MM] est de montrer que
l’enregistrement systématique et méthodique de ces parallélismes, puis leur inter-
prétation, livreront des informations qui intéressent aussi bien « l’étymologie, la
lexicologie, la psychologie, la sociologie ou la linguistique générale » (p. 30). En
conséquence de quoi il est légitime que les parallélismes sémantiques soient cons-
titués en objet d’étude.
L’ouvrage à la base de cette note est organisé en trois parties principales.
Une Introduction (p. 13-34) permettant d’apprécier en quoi il est intéressant
d’étudier les parallélismes sémantiques et informant des recherches antérieures
en ce domaine. Un Inventaire de mots (p. 35-97), portant essentiellement sur
les langues sémitiques (surtout l’arabe), en rapport avec la notion de « couler »
(« choix... purement circonstanciel », p. 34) et constitué de 87 entrées3 ren-
voyant à environ 400 mots. Une Exploitation de cet Inventaire (p. 99-292)
visant à montrer que les parallélismes relevés ne sont pas fortuits, qu’ils fournis-
sent des informations de nature diverse ; et qui montre qu’à partir de rappro-
chements, entre eux, des mots associés dans un premier temps à la notion de
« couler », se manifestent de nouveaux parallélismes constituant un faisceau de
réseaux sémantiques susceptibles d’ « éclairer sur des aspects du fonctionnement
profond de la pensée des locuteurs et sur leur civilisation » (p. 295). L’étude
s’achève, non par une conclusion, que MM « proscrit » tant la recherche, mal-
gré l’abondance des données, lui semble « embryonnaire », mais par un Bilan
et perspectives (p. 293-296), qui résume clairement sa démarche et ouvre la
voie à un ensemble de recherches dont les parallélismes sémantiques sont le
point de départ. En fin de volume sont présentés trois Index des mots cités : le
premier (p. 303-317) concerne les langues chamito-sémitiques, le deuxième
(p. 318-320) les autres langues, le troisième (p. 321-325) se rapporte aux mots
cités dans l’Inventaire. L’ouvrage est complété par une bibliographie
(p. 297-303) renvoyant à environ 125 auteurs. L’étude est d’une grande clarté,
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solidement documentée et toute une série de renvois intrapaginaux guide le lec-
teur dans le labyrinthe des parallélismes sémantiques analysés. Entrer dans ce
labyrinthe en se laissant aller au gré des associations proposées est une belle
aventure. On pourra être déconcerté par ce voyage au cœur des mots mais le
fait même qu’il donne à « [i]magine[r], un dictionnaire où l’auteur se serait mis
en tête de faire ressortir les relations, associations sémantiques entre les
entrées » donne heureusement à penser aux linguistes. Cela étant, pour bien
comprendre le problème posé il convient de reprendre une à une les trois gran-
des parties de l’ouvrage.

2. Tous les exemples cités sont de l’auteur ; pour ne pas gêner la lecture je n’ai pas
fait de renvoi aux pages où ils figurent, la consultation des Index permet de les retrouver
facilement.
3. Dans l’Inventaire, les entrées sont numérotées de 1 à 85 mais avec les entrées figu-
rant sous les numéros 6 bis et 8 bis, il y a bien 87 entrées.
Des « parallélismes sémantiques » aux universaux de pensée 131

INTRODUCTION

Dans l’Introduction, il est proposé un bref historique (p. 21-30) des travaux
ayant abordé les parallélismes sémantiques. On signalera à ce sujet que la syn-
thèse présentée fait bien ressortir que si ce phénomène a déjà retenu l’attention
de nombreux chercheurs (Ullmann, Guiraud, Maizel, Palache, Dietrich mais
aussi, plus ponctuellement, Bréal ou Jastrow, cf. bibliographie), la recherche le
concernant se caractérise par « la dispersion et le cloisonnement... et reste...
insaisissable, erratique, embryonnaire » (p. 29). Et, tout en rapportant quel a été
l’apport de chacun, il est clair, à la lecture de ces quelques pages, que MM
cherche à remédier à cet état de fait tant il considère que la réflexion en ce
domaine est fondamentale sous deux aspects, au moins, déjà entrevus, mais par-
tiellement seulement, par ses prédécesseurs : « L’étymologie et... la psychologie
dans ses rapports avec les faits de langue » (p. 14).
Pour l’étymologie, cela semble d’évidence. En effet, lorsqu’il n’est pas possible
de retracer l’évolution d’un mot par les moyens linguistiquement éprouvés, le
recours aux parallélismes se révèle de bonne méthode car il « permet de limiter la
subjectivité et d’augmenter le degré de probabilité d’une hypothèse étymologique »
(p. 16) : c’est donc un moyen de se prémunir contre des étymologies hasardeuses ou
fantaisistes. De manière complémentaire, il offre au lexicographe la possibilité de
regrouper ou scinder des entrées de dictionnaire sur la base de parallélismes mis en
évidence. Ces propositions reposent sur le fait « qu’une même forme [linter par
exemple] renvoie à la fois [à “auge” et “canot”]... ne signifie rien, [mais] que deux
formes [linter et alveus] le fassent devient remarquable » (p. 15). Ce constat « remar-
quable », justifié statistiquement par Guiraud pour le français4, envisagé comme
« accessoire indispensable de la linguistique comparative » par Maizel5, MM
l’exploite systématiquement et le pose à la base de toute sa démarche, pour consoli-
der la recherche étymologique certes, mais surtout, nous semble-t-il, pour tenter
d’ « éclairer le fonctionnement de la pensée ou des mentalités » (p. 17). D’une part,
parce que, selon lui, ils laissent « supposer [qu’il existe] dans les populations où ils
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ont été élaborés une disposition d’esprit à associer certaines notions de façon privi-
légiée » ; d’autre part, parce que « certaines associations transcendent les langues et
fonctionnent en quelque sorte, sinon comme des universaux, du moins comme des
tendances universelles » (p. 17) ou « sont réservées à des civilisations données et
éclairent donc leur psychologie et leur culture » (p. 18).
Selon MM, un tel « cheminement [associatif] (...) peut correspondre soit à
une démarche mentale réalisée indépendamment par des usagers de deux lan-
gues données, soit, s’il est établi que les deux langues ont été en contact, à une
production originale des locuteurs de l’une d’elle imitée (par calque) par les locu-
teurs de l’autre. Mais il reste que dans les deux cas, la coïncidence n’est pas for-
tuite » (p. 15-16).
Les parallélismes seraient donc des révélateurs de « démarches mentales »
qu’il conviendrait de retracer et leur étude est aussi conçue comme une contri-
bution à la sémantique générale. MM rejoint là la question des universaux

4. Structures étymologiques du lexique français, Paris, Larousse, 1967, p. 58, cité par MM,
p. 27.
5. Puti razvitia kornevogo fonda semiticeskix jazykov, Moscou, cité par MM, p. 27.
132 Aziza Boucherit

sémantiques que se sont posés, à diverses époques et dans diverses traditions, des
philosophes, des logiciens ou des linguistes, et qui a connu un renouveau dans les
années 1950 du siècle dernier avec les premières tentatives de traduction auto-
matique (certaines d’entre elles se donnant notamment pour tâche la construc-
tion de « langues intermédiaires » pour atteindre l’ « universel ») et le développe-
ment des travaux portant sur le traitement automatique du sens et des
recherches cognitives (parmi lesquelles certaines théories postulent des univer-
saux et des primitives sémantiques). Sans aborder ces problèmes au plan théo-
rique, la mise au jour par MM de phénomènes linguistiques qui les sous-tendent
contribue à alimenter la réflexion et, permet d’entrevoir une méthode pour éta-
blir méthodiquement ces parallélismes sémantiques et les exploiter.

INVENTAIRE

Pour l’Inventaire, MM se situe entre deux extrêmes. D’un côté, il considère


qu’il y a lieu de multiplier les relevés car « le recours aux parallélismes tire sa
force du nombre » (p. 30). De l’autre, il restreint son champ d’application car,
même s’il pense, qu’ « [à] la limite, il faudrait faire le relevé de tous les paral-
lélismes en tenant compte de toutes les langues et en tirer les conclusions dans
tous les domaines envisagés » (p. 30, gras = A.B.), il sait que ce ne peut être
l’œuvre d’un seul chercheur6.
Cet Inventaire, réalisé à partir de dictionnaires, ne porte que sur les langues
sémitiques7 et ne retient que des parallélismes constitués de lexèmes dont l’un des
termes se rapporte à la notion de « couler » et présentant le même consonan-
tisme. Notons toutefois qu’en se fondant sur le consonantisme des lexèmes exa-
minés, MM ne postule pas que les termes composant le parallélisme constitué
sont de même racine8. Dans l’incertitude, le recours aux parallélismes séman-

6. L’usage de l’outil informatique, que n’a pu utiliser MM, aurait sans doute été d’une
grande utilité mais n’aurait pas résolu pour autant l’ensemble des problèmes complexes sou-
levés par une telle recherche.
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7. En fait, les trois quarts, au moins, concernent l’arabe. Le quart restant porte, pour
l’essentiel, sur d’autres langues sémitiques : judéo-araméen, hébreu, akkadien, des langues
d’Éthiopie (guèze, tigriña, tigré), le sudarabique moderne (jibbali, soqotri) ; des renvois sont
fait au berbère (kabile, avec un -i- selon la graphie utilisée par Masson) et aux langues
indo-européennes (latin, russe, anglais, allemand, sanskrit, grec, français et quelques autres).
8. Rappelons que dans les langues sémitiques l’ensemble du lexique (excepté quelques
particules et les « mots outils ») est organisé selon le principe du croisement de deux entités
abstraites, la « racine » et le « schème » en rapport d’inclusion, ce croisement produisant
une base à laquelle s’adjoignent divers indices grammaticaux. La racine (en inventaire
ouvert dans la langue) est une séquence constituée de phonèmes, dont le nombre, la nature
et l’ordre sont invariables ; la plupart des racines sont triconsonantiques, mais le nombre
des racines quadriconsonantiques et biconsonantiques, n’est pas négligeable ; une partie
importante de l’ouvrage (p. 239-292) est d’ailleurs entièrement consacrée aux racines bicon-
sonantiques. Le schème (en inventaire fermé), de forme également invariable, est en
quelque sorte le « moule » dans lequel se « coule » une racine. La racine désigne une notion
générale, le schème en délimite le sens. Tout lexème appartient donc à une classe caracté-
risée par son schème dans lequel s’insère une racine et, c’est la conjonction des informa-
tions portées par le schème et la racine qui lui donne son sens. Voir : Jean Cantineau, « La
notion de “schème” et son altération dans diverses langues sémitiques », Sémitica, III, 1950,
p. 73-83 ; « Racines et schèmes », Mélanges William Marçais, Paris, Adrien Maisonneuve,
1950, p. 119-124 et David Cohen, « Racines », À la croisée des études libyco-berbères. Mélanges
offerts à Paulette Galand-Pernet et Lionel Galand, Comptes rendus du Groupe linguistique d’études
chamito-sémitiques, GLECS, supplément 15, Paris, Geuthner, 1993, p. 161-175.
Des « parallélismes sémantiques » aux universaux de pensée 133

tiques est d’ailleurs posé (p. 100, n. 19) comme un moyen de déterminer si ces
termes sont, ou non, de racine identique.
Concrètement, un parallélisme est constitué, au moins, de deux binômes ; un
binôme est constitué de deux termes ; l’un des termes est nécessairement « un
verbe signifiant “couler” ou un synonyme proche... [ou] dans certains cas... un
nom désignant un objet notoirement liquide (pluie, mer, cours d’eau) » (p. 35) ;
le consonantisme des termes rapprochés est identique. Le terme se rapportant à
« couler » est appelé terme central, celui dont il est rapproché est dit terme afférent.
Deux critères sont donc constants : le sémantisme du terme central, le consonan-
tisme des deux termes rapprochés. Le relevé effectué livre un ensemble de
400 mots classés en 87 rubriques. Une série de renvois interrubriques signale les
parallélismes représentés dans plusieurs rubriques9.
Soit la rubrique no 1 pluie (lire : le terme central est un verbe signifiant « cou-
ler », ou un de ses synonymes, le terme afférent est « pluie »). Elle contient 17 binô-
mes, soit 17 consonantismes différents, se rapportant pour 15 d’entre eux à
l’arabe et rapprochant des langues différentes (c’est une réserve que je fais, j’y
reviendrai par la suite) pour les deux derniers10 :

Terme afférent : « pluie » Terme central : « couler »


Ý Ý
ura:q « pluie forte » ariqa « laisser suinter »
bagr « pluie forte » bagara « arroser le sol »
hamra « ondée » hamara « verser (eau) »
matar « pluie » matara « inonder »
qatr « pluie » qatara « couler goutte à goutte »
raTa:T « pluie fine » raTTaT « laisser couler (sang, pluie) »
sakb « pluie continue » sakaba « verser, couler »
tull « pluie » talla « humecter » (« mouiller » en guèze)
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Il était prévisible que les parallélismes constitués aboutissent, pour certains,
à des rapprochements sémantiques pour le moins inattendus. C’est le cas, par
exemple, des rubriques no 8 bis serpent :

Terme afférent : « serpent » Terme central : « couler »


qatara « couler goutte à goutte »
quta:ri: « serpent noir »
qatr « pluie »
talla « humecter de rosée »
till « serpent »
tull « pluie »

9. Pour la rubrique no 7, il manque le nom des langues des exemples cités.


10. Ne sont cités, pour illustration, que quelques binômes de mots arabes [dorénavant
ar.]. La notation phonétique est conforme à l’API, sauf : occlusive glottale = [,] ; pharyngale
sonore = [?] ; pharyngale sourde = [h] ; vélaire spirante sonore = [û] ; vélaire spirante
sourde = [h] ; interdentale sonore = [£] ; interdentale sourde = [*] ; un point souscrit note
l’emphase. Ce n’est pas tout à fait celle retenue par MM (voir p. 10).
134 Aziza Boucherit

ou no 34 voler, dérober :

Terme afférent : « voler » Terme central : « couler »


silt « voleur » salata « vider une coupe »
hatala « verser (larmes) »
hitl « voleur »
hatl « pluie incessante »
wazza:b « voleur adroit » wazaba « couler »

Comme rapprochements surprenants, on peut également citer, au hasard ou


presque, les rubriques concernant des noms d’animaux rapides (no 48) ou des
verbes signifiant devancer (no 50), briller (no 55), mentir (no 83).
Ainsi, malgré la constante du terme central cet ensemble se révèle quelque peu
hétéroclite. Pour l’ordonner, MM propose, avant l’Inventaire lui-même, un
tableau synoptique (p. 38-40) regroupant entre eux les sens des termes afférents
avec renvoi au numéro de la rubrique où ils sont mentionnés. Le classement
obtenu « reste nécessairement subjectif » (p. 36) mais il a le mérite de rendre
lisible quelque chose qui apparaîtrait sinon comme un tas de mots. Ainsi, en ne
retenant que les grandes catégories, ce tableau synoptique montre que le terme
afférent peut renvoyer à :
1 / Un référent liquide, que ce soit un objet liquide ( « pluie », « lait », « résine,
poix » ) ou des réalités en relation avec un objet liquide ( « récipient », « embar-
cation » ).
2 / Un référent non liquide « assimilé à un liquide qui se déverse » (p. 39). Le
déversement est « assimilé » à un mouvement ; le mouvement lui-même est, à
son tour, envisagé selon deux critères :
— « mouvement dont est spécifié le point d’appui » (p. 39) qu’il soit horizontal
(« coulisser », mais aussi « voler, dérober » ?) ou vertical (« descendre » mais
aussi « perle » ?) ;
— mouvement « sans spécification ». Là encore, MM « distingue deux cas selon
que le référent qui se déverse est envisagé, ou non, comme issu d’une
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source » (p. 39) : on y trouve d’un côté « marcher vite », de l’autre « briller ».
C’est dans la seconde catégorie que l’on relève les rapprochements les plus
déconcertants et que l’on pourrait envisager une autre classification. MM ayant
souligné que, tout en obéissant à une certaine logique, la sienne était « nécessaire-
ment subjective », je ne la contesterai pas. Je ferai cependant quelques suggestions.
1 / Retenir la distinction entre noms et verbes des termes afférents. Envisagée
(p. 36), mais non retenue, elle s’avère pourtant pertinente : il n’y a quasiment pas
de verbes dans la catégorie référent liquide (2/22), alors que dans la catégorie réfé-
rent non liquide le rapport s’inverse (29/53). Encore convient-il de noter que dans
la catégorie référent liquide, les rubriques contenant des verbes sont, dans leur très
grande majorité, des cas où le représentant de la notion de « couler » a deux
sens et sous cet aspect il serait intéressant de s’interroger systématiquement sur
ce qui les distingue. Ainsi, les rubriques no 5 : dara « traire » + « ruisseler » et
no 26 : nasaha « avoir bu beaucoup » + « arroser abondamment », présentent des
couples de verbes qui se distinguent respectivement par le trait « causatif / non
causatif » et « interne/externe ».
Appliqué à la catégorie référent non liquide ce critère aurait également fait
apparaître que les noms (34/53) renvoient davantage à du « statique » : « vête-
Des « parallélismes sémantiques » aux universaux de pensée 135

ment coulissant », « objet pendant : végétal/textile » (voir également les adjectifs :


« beau » par exemple) et les verbes à du « dynamique » : « marcher », « des-
cendre », « errer » ou « germer » mais aussi « parler ».
2 / Cette distinction étant établie, et tout en restant dans la logique du clas-
sement proposé, il pourrait être utile de séparer les verbes impliquant le déplace-
ment physique d’un objet dans l’espace (« marcher », « descendre », « errer » ou
« germer »), de ceux n’en impliquant pas ( « mentir » ) ou seulement par méta-
phore plus ou moins évidente (« parler » implique un mouvement de l’air). Puis,
pour les verbes de déplacement, de faire jouer les critères sous-tendus, pour cer-
tains, par le classement de MM : axe horizontal/vertical/latéral, direction (ori-
gine/but), limites/absence de limites dans lesquelles le déplacement s’effectue.
3 / Ensuite, ces critères pourraient être appliqués à l’ensemble des termes cen-
traux pour lesquels on dénombre « plus de 200 consonantismes comportant un
sème signifiant “couler” » (p. 104). Ce serait un moyen d’ordonner ce vaste
champ sémantique. Un autre moyen de l’ordonner (de le restreindre ?) serait,
comme le sous-entend MM, de procéder par étape en isolant chaque langue et,
à l’intérieur de chaque langue, chaque synchronie11. Il pourrait en être de même
pour les termes afférents. Ce serait là un procédé plus sûr pour répondre à l’un des
objectifs de l’étude : faire émerger les associations propres à chaque « culture »
ou « époque », puis celles qui fonctionnent comme des « tendances universelles »
(p. 17-18).
Enfin, je terminerai cet examen par une réserve et une question à laquelle je
ne répondrai pas car elle dépasse de beaucoup les limites de cette discussion.
La réserve porte sur les binômes constitués de termes appartenant à des lan-
gues différentes même si elles sont proches12 et même si, comme l’indique MM
(p. 100) il est tenu compte des correspondances phonétiques. Étant donné le
nombre des parallélismes relevés dans une langue, il ne semble pas utile de les
mêler car cela introduit une variable supplémentaire pour la comparaison. Il
serait, à mon sens, plus probant de procéder par étape en élargissant peu à peu
le champ en distinguant les différents états (synchronie/diachronie), les différents
dialectes d’une même langue, les différentes langues.
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La question concerne plus particulièrement l’arabe et les formes verbales
dérivées (voir, par exemple, les rubriques no 30 : naûaÝa « être sincère » ; « être de
bon conseil » / tanaûûaÝa « donner de la pluie » ou no 50 : insalata « dépasser les
autres » / salata « verser » (contenu d’une coupe). Faut-il les mêler dans les
rapprochements effectués (et du même coup les glissements sémantiques, les
confusions de racines qui ont pu se produire13, sont mis de côté) ou, ce qui serait
préférable, ne faudrait-il pas en faire un traitement spécifique ?

11. Comme il est noté p. 104, l’importance du champ constitué est « une illusion
d’optique (...) En fait, la liste des verbes signifiant effectivement “couler” dans chaque syn-
chronie est évidemment beaucoup plus restreinte. À cet égard, il convient de souligner que
ce qui est signalé comme “arabe” se réfère à un ensemble de variétés linguistiques parfois
fort éloignées les unes des autres dans le temps et dans l’espace et dont les usages pouvaient
être fort différents ».
12. Cf. p. ex., rubriques no 1 : arabe : nazl « pluie » / hébreu nazal « ruisseler » ou
no 26 : tigriña : zallaga « boire beaucoup » / hébreu : zalag « déverser ».
13. De ce point de vue, on peut s’interroger sur deux des binômes de la rubrique
no 65 : ar. sagl « homme généreux », « don » + « grand seau » et sagala « verser » ; salg
« don » et salaga « couler ».
136 Aziza Boucherit

EXPLOITATION

Quoi qu’il en soit, les nombreuses données livrées par l’Inventaire ouvrent
la voie, selon le projet même de la recherche, à une Exploitation des parallélis-
mes sémantiques sous l’aspect lexico-sémantique d’une part (p. 99-127) et sous
celui des rapports langue/pensée (p. 129-238) d’autre part14.
Sous l’aspect lexico-sémantique, le propos de MM est de restituer « un lien
entre deux sèmes propres à un même signifiant... ou entre deux mots distincts de
même consonantisme » (p. 100) et, puisque les parallélismes ne peuvent être for-
tuits, de faire émerger les relations que tous les termes afférents entretiennent avec
l’hypersème « couler ». Ainsi, pour rendre compte de la relation sémantique
entre les deux sens de : (ar.) hamala « paitre15 librement » + « déverser une pluie
continuelle », MM suppose un « glissement sémantique » entre les deux, sans
qu’il soit possible de dire comment, ni à partir de quel terme s’est effectué ce
glissement. De même pour natafa- « perle » et natafa « dégoutter », MM indique
que l’on peut « admettre la trace d’un processus de “dérivation” – qu’il s’agisse
de translation ou de néologie – et dire alors que les deux termes sont de même
“racine” » (p. 100). Là encore l’orientation ou l’origine (3e terme ?) de la relation
n’est pas forcément décelable. Ce faisant, l’Inventaire fait apparaître que
l’hypersème « couler » est « associé à une soixantaine d’autres sèmes au moins »
(p. 101) et qu’un même consonantisme a des représentants dans plusieurs rubri-
ques, nécessairement liés sémantiquement selon l’hypothèse de MM, même si
« le détail de l’enchainement entre les sèmes ne peut se laisser décrire aisément »
(p. 101). À partir de là, MM considère que le lexicologue examinant des termes
présentant un même consonantisme est justifié de poser que les afférents de
« couler » relèvent d’un même ensemble ; les relations que les termes non afférents,
dits résiduels, entretiennent avec cet ensemble étant envisagées dans un second
temps par une procédure de « récupération » faisant appel à « des parallélismes
extérieurs à “couler” » (p. 139).
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L’hypersème « couler », terme central, étant associé à une soixantaine de termes
afférents, et un même consonantisme ayant des représentants dans plusieurs des
parallélismes établis, il est logique, dans la démarche adoptée, de repérer les
parallélismes dont les termes afférents sont communs afin de mettre en évidence
leurs relations sémantiques. Il se construit alors un vaste ensemble sémantique
dont il est difficile, à vrai dire, de cerner l’unité. Ainsi, l’existence des parallélis-
mes « foule/couler », d’une part, et « tas/couler », d’autre part, permet de poser
un nouveau parallélisme basé sur les termes afférents « foule » et « tas ». On aboutit
alors à une figure triangulaire hiérarchisée « dont les éléments paraissent tou-
jours potentiellement associables » (p. 130, gras = AB) et que MM associe de

14. Pour chacune des parties, l’application des méthodes proposées aux « cas ponc-
tuels » examinés est précédée d’une position du problème ; en outre, une partie (p. 239-292)
de l’Exploitation est consacrée à la démonstration que la démarche proposée peut contri-
buer à la « reconstruction » de consonantismes trilitères et bilitères (voir n. 11 ci-avant). Cette
partie n’entrant pas directement dans le cadre de notre discussion ne sera pas examinée ici.
15. Sans accent circonflexe ; il en va de même pour « enchainement » quelques lignes
plus bas. L’ouvrage de MM est « orthographié conformément aux... recommandations de
l’Académie française (Journal officiel, 6 décembre 1990, annexe 100) ». Voir avertissement
p. 11.
Des « parallélismes sémantiques » aux universaux de pensée 137

la sorte : « couler = déverser un liquide ; foule = déversement d’êtres vivants (envi-


sagé de façon imperfective) ; tas = déversement d’êtres non vivants (envisagé
habituellement dans son aboutissement, c’est-à-dire perfectivement » (p. 130).
On remarquera, au passage, que la distinction posée se fonde sur les notions de
« dynamique », foule, et « statique », tas ; mais on remarquera aussi, les définitions
sémantiques étant souvent sujettes à contre-exemple, que même si ce n’est pas
élégant, on peut parler d’un « tas de gens », « un tas de gens étaient là mas-
sés... », statiques, certes, mais vivants. Cela étant, « tas » et « foule » « envisagés
comme une manifestation de la notion de “couler” » lui seraient subordonnés et
entretiendraient entre eux une relation plus étroite « qu’avec d’autres sèmes eux
aussi liés à “couler” » (p. 130).
On voit ici se dessiner l’extraordinaire réseau de relations que tous les ter-
mes inventoriés sont susceptibles d’entretenir ; constitué d’ensembles et de
sous-ensembles hiérarchisés formant des sous-réseaux eux-mêmes hiérarchisés, ce
réseau est organisé selon les rapports qu’entretiennent, à un premier niveau, les
termes afférents avec le terme central et, à différents niveaux, les termes afférents entre
eux, sans oublier ceux que l’on peut établir en tenant compte des termes résiduels,
c’est pourquoi, de proche en proche, on peut rapprocher « couler/
courir/autruche ». Et, si ce rapprochement semble étrange il est possible de faire
l’hypothèse que « rien ne permet de prouver que ce sème [= » couler «] n’a
jamais été présent [et de dire] que c’est peut-être le hasard qui l’a fait disparaître
des attestations dont nous disposons » (p. 137) ou, pour les termes résiduels, « qu’il
s’agit d’un afférent de l’ensemble qu’on a dégagé mais on ne peut le prouver
faute d’un parallélisme, ou bien [que] le mot appartient à un ensemble homo-
phone totalement différent du premier ; ou bien [qu’]il s’agit d’un emprunt »
(p. 138).
Le plus déconcertant pour ceux qui pourraient être troublés par ces rap-
prochements, est que cette démarche, minutieusement décrite et illustrée
(p. 129 sq.), retient par sa logique basée, d’une part, sur le postulat que les paral-
lélismes ne peuvent être fortuits et sur le fait que les mots rapprochés présentent
un même consonantisme16 (fait propre aux langues sémitiques) et, d’autre part,
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sur un certain nombre de suppositions (voir ci-dessus) que l’on ne peut rejeter
a priori.
Face à ces réseaux de relations sémantiques, il s’agit alors d’essayer de
démêler l’enchevêtrement des associations d’idées qui leur aurait permis de se
constituer. De ce point de vue, si MM souligne fréquemment dans ses commen-
taires que ses propositions sont à prendre avec « les plus grandes précautions » et
qu’il ne faut pas « trop solliciter les données », il n’en émet pas moins des hypo-
thèses. Ainsi, l’existence du sous-ensemble « foule/tas » dans l’ensemble « cou-
ler » « pourrait être considéré comme la trace d’un enchainement de pensée
assez élémentaire qui pourrait se matérialiser en une formulation du type “la
foule peut se comparer à un écoulement ; le tas peut se comparer à un écoule-
ment ; et, simultanément, la foule est donc une sorte de tas, le tas est une sorte
de foule et, inversement, l’écoulement est aussi une sorte de tas et/ou de foule” »
(p. 131).

16. Ce fait est propre aux langues sémitiques mais on pourrait envisager une autre
base pour des langues ne présentant pas ce type d’organisation du lexique.
138 Aziza Boucherit

« écoulement sans retenue »

source non précisée source précisée

abstrait concret objet personne (ou personnification)


= abondance = récipient + jugement de valeur

non vivant vivant positif négatif


= tas = foule = don = malheur
= éloquent = dissolu
= vain
= mentir
Par rapport au terme central, ici « couler », la hiérarchie mise en évidence par les
faisceaux de relations issus des parallélismes « pourrait correspondre au fait que
certains éléments mentaux entretiendraient entre eux des relations plus étroites
qu’avec d’autres » (p. 134). Ainsi, pour le triangle « couler/donner / vain »
(p. 132 sq.), l’ « enchaîinement hiérarchisé » aboutit au schéma suivant :
Cette organisation qui refléterait les relations plus étroites que des éléments
mentaux entretiendraient entre eux peut aussi « correspond[r]e à un jeu
d’associations beaucoup moins logique où les rapports entre les termes pour-
raient être non de subordination mais de contiguïté et de ressemblance du type
« l’abondance est un peu comme un tas (ou comme une foule mais aussi comme
un don et elle peut n’être pas étrangère au malheur) » et/ou « le malheur est un
peu comme un tas mais aussi un don, etc. »... Il est probable que les glissements
sémantiques se sont faits au coup par coup mais certaines orientations auront été
favorisées par des dispositifs mentaux en quelque sorte comparables aux
préjugés » (p. 135).
En fait, par un raisonnement de simple logique ou de bon sens, il y a tou-
jours un cheminement [= dispositif mental] qui permet une association. À cet
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égard on peut lire (p. 160 et 161) comment, par une série de déductions,
appuyées par les consonantismes des termes rapprochés, les rapprochements sont
effectués :
massa « sucer »,
mussa-, musa:s « le meilleur d’une chose »,
puis :
mašša « sucer (un os) »,
mašš « excellente chose » ; mišš « petit lait »,
puis encore que « meilleure partie d’une chose » est un afférent de « extraire » et
de « couler » ; puis encore que « l’action de sucer constitue aussi un cas particu-
lier d’extraction » ; puis encore que « “le meilleur” (et “petit lait”) se réfèrent très
probablement à une opération de filtrage ». Mais, la consultation des
pages 143 sq., auxquelles il est renvoyé pour soutenir le raisonnement basé sur
cette « opération de filtrage », fait apparaître que ce raisonnement est lui-même
le résultat d’une interprétation du sémantisme d’autres rapprochements qui
aboutissent à associer « couler / le meilleur » d’une part :
Des « parallélismes sémantiques » aux universaux de pensée 139

« quintessence, élite, « couler,


meilleure partie d’une chose » couler à travers un filtre »
ar. rayyiq « la meilleure partie ; très beau » ar. ïara:qa « verser (de l’eau) »
rayq « ondée »
héb. salul « pur, clair » héb. salal « s’engloutir »
héb. nofet « miel pur » ar. nofa: « verser de l’eau »
guèze notuf « raffiné » héb. notap « dégoutter »

puis de « extraire / le meilleur » d’autre part :

« quintessence, élite, meilleure


partie d’une chose » « extraire »
ar. sula:la- « quintessence (+ vin pur) » ar. salla « extraire »
ar. maûra- « élite, objet de choix » ar. maûara « dégarnir, tarir »
ar. ûula:sa- « quintessence (+ beurre clarifié) » héb. ûalas « extraire »
ûa:lis « pur »
ar. naqa:wa- « quintessence » ar. naqa: « extraire (moelle) »
naqi:- « pur »
ar. nasi:l « mondé (orge) » ar. ïansala « extraire »
ar. nuûba- « quintessence » ar. naûaba « extraire
en arrachant »

d’où il ressort que « la quintessence est envisagée comme le résultat d’une opéra-
tion d’extraction » (p. 144).
Mais, les termes inventoriés n’étant pas l’objet d’une analyse en « sèmes », si
l’on entend par là « trait sémantique minimal dégagé par opposition », le(s)
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trait(s) supposé(s) être à la base de l’association ayant produit le glissement
sémantique n’est / ne sont pas mis en évidence. Et, de fait, que l’on pose des
rapports de subordination, de contiguïté ou de ressemblance, tout ou presque
contribue à considérer que les parallélismes sont le résultat de glissements séman-
tiques qui relèvent d’une démarche reflétant des cheminements de la pensée qui
seraient, eux-mêmes, la trace de dispositifs mentaux. Partant, la mise au jour
d’une organisation des parallélismes permettrait « d’affiner la classification et
l’intelligence des trajets sémantiques » (p. 138) propre à une notion donnée
d’abord, à d’autres notions ensuite et, de notion en notion, d’ « hypersème » en
« hypersème » dirait MM, d’aboutir à des « primitifs » qui « nous éclairer[aient]
sur des aspects du fonctionnement profond de la pensée des locuteurs et sur leur
civilisation » (p. 295) et ce, pour une langue, puis des langues apparentées ou
non car, l’hypothèse est que les cheminements associatifs, sans être nécessaire-
ment tout à fait les mêmes sont du même type d’un groupe de locuteurs à
l’autre.
Au début de cette discussion, j’ai souligné combien il me semblait
qu’au-delà des apports certains, au plan linguistique, de l’étude des parallélismes
sémantiques, la démarche de MM était symptomatique de son intérêt pour la
140 Aziza Boucherit

« psychologie des peuples ». Avec toute la prudence que ce sujet mérite, cela est
annoncé au début de l’étude et affleure tout au long de l’ouvrage. Mais de ce
point de vue, et comme le souligne MM, « pour aboutir à un résultat concluant,
il faudrait multiplier les attestations de parallélismes dans toutes les langues et en
réaliser une sorte de cartographie » (p. 20) pour que, de cette étude, jaillissent
des indices sur « les structures de l’imaginaire » et la « symbolique » (p. 20). « De
proche en proche, il apparaîtrait sans doute que l’étude des parallélismes est
indissociable de celles des topoi, des proverbes, des idées reçues et pourrait donc
enrichir la réflexion sur la psychologie mais aussi sur l’ethnologie, la sociologie,
l’histoire des religions et la littérature » (p. 21).
Cette recherche en abyme et l’horizon infini, ou presque, devant lequel elle
nous place, outre qu’elle peut donner le tournis, suscite des interrogations sur les
rapprochements suggérés car « personne ne peut poser les limites de l’usage
métaphorique ni connaître a priori les alliances sémantiques qu’établit chaque
culture »17. On peut alors se demander si, de proche en proche, en appliquant
cette démarche toute unité n’est pas susceptible d’être associée à une autre. La
question demeure mais il faut souligner qu’en ouvrant ce « chantier » (p. 33
et 293), MM est le premier, à ma connaissance, à avoir exploré avec l’attention
qu’ils méritent les parallélismes sémantiques (Comment expliquer ces coïnciden-
ces ? Comment traiter les données rassemblées ?) et à livrer, grâce au systéma-
tisme de sa démarche, d’importants résultats au plan lexical. Car il faut dire le
remarquable travail de dépouillement effectué ; il constitue une extraordinaire
base de données, pour les sémitisants, mais aussi pour les spécialistes d’autres
langues. Certes, de loin en loin, on peut avoir quelque hésitation à suivre
l’auteur dans ses interprétations et Michel Masson souligne lui-même les limites
de son travail (p. 295), mais il ne fait pas de doute que les auteurs de travaux sur
les universaux sémantiques gagneraient à consulter son ouvrage car il leur four-
nit des faits, nombreux, leur permettant d’alimenter leur réflexion théorique.

17. David Cohen, « Racines », op. cit., p. 162.


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