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C’EST L’HEURE
DU PETIT-DÉJEUNER ?
RYTHME DES REPAS,
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INCORPORATION
ET CLASSE SOCIALE
Marie-Clémence LE PAPE
Marie PLESSZ
ABSTRACT – French people eat at very regular hours, but how have they learnt
this food rhythm and how do they transmit it to their children? We analyse food
rhythm as a technique of the body. We carried out a qualitative survey on breakfast-
ing practices in the higher strata of the working class and analysed a national nutrition
survey (INCA 2006). The interviewees remember that their parents tried to teach
them to breakfast, all of them try to make their own children eat a breakfast, but
many do not eat a breakfast. Skipping breakfast as a technique of the body may be
adjusted to the family and work constraints that working-class households typically
meet. Some interviewees, who are engaged in upward mobility, have carried out the
« work by themselves on themselves » in order to adopt a technique more consistent
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Les comparaisons internationales consacrées à l’alimentation
des Français ne manquent jamais de souligner à quel point les repas
structurent leur journée et sont pris à des heures régulières (Szalai,
1973 ; Warde, Cheng et al., 2007). En France le rythme alimentaire1
est en effet marqué par une forte synchronie des repas (Saint Pol,
Ricroch, 2012). Le nombre de repas et la régularité de leurs horaires
font l’objet de prescriptions normatives, qui ont été en partie élabo-
rées par la bourgeoisie au xixe siècle puis largement diffusées vers les
classes populaires au début du xxe siècle (Marenco, 1992 ; Aymard,
Grignon et al., 1993).
La norme relativement consensuelle que représente le rythme
des trois repas apparaît comme un support d’intégration sociale.
Ce sont les individus dans une situation économique ou familiale
précaire qui y dérogent le plus (Herpin, 1988 ; Lhuissier, Tichit
et al., 2013). Mais les pratiques alimentaires sont aussi, à l’instar des pra-
tiques culturelles, de bons révélateurs de la position sociale (Grignon,
Grignon, 1980). En partant du repas le moins solidement ancré dans
les habitudes alimentaires, le petit-déjeuner2 (Lafay, Volatier, 2009 ;
Saint Pol, Ricroch, 2012), nous poursuivons l’analyse des enjeux
d’intégration et de distinction sociale que recèlent les pratiques
alimentaires.
Il s’agit d’étudier le processus par lequel le rythme alimentaire
est incorporé, c’est-à-dire appris « par corps » (Bourdieu, 1997).
Dans les travaux sur l’alimentation, la question de l’incorporation a
surtout été étudiée dans une perspective anthropologique et réduite
à l’assimilation des aliments (Fischler, 1990). Notre perspective
est ici différente. Comment concrètement ce modèle alimentaire
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une population spécifique qui entretient un rapport ambivalent
aux normes alimentaires, à savoir les couches supérieures des classes
populaires (Gojard, 2000 ; Régnier, Massulo, 2009). La littérature
sur la stratification sociale, et plus particulièrement sur les milieux
populaires (Siblot, Cartier et al., 2015), les désigne également comme
« les classes populaires intégrées ». Il s’agit généralement d’ouvriers
qualifiés ou d’employés qualifiés en emploi stable, qui se dis-
tinguent des strates populaires les moins favorisées par des conditions
d’existence moins précaires.
Après avoir rappelé les enjeux théoriques et le dispositif méthodo-
logique mis en place, nous montrerons comment l’injonction sociale
à petit-déjeuner est négociée puis appropriée au point de devenir
évidente dans l’éducation des enfants. Puis, nous examinerons ce
qui reste de cet apprentissage chez les adultes et comment le rythme
alimentaire inculqué pendant l’enfance évolue en fonction de la
trajectoire sociale, familiale et professionnelle des individus.
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d’éducation dominent. [...] L’enfant, l’adulte, imite des actes qui ont
réussi et qu’il a vu réussir par des personnes en qui il a confiance et qui
ont autorité sur lui. L’acte s’impose du dehors, d’en haut, fût-il un acte
exclusivement biologique, concernant son corps.
(Mauss 1936, p. 8).
En ce sens, la maîtrise et la transmission des techniques du corps
propres à une société, voire à une position sociale, contribuent à
l’intégration sociale. De ce point de vue la technique du corps ne
relève pas simplement d’une « règle technique », c’est aussi une « règle
morale » pour reprendre la distinction durkheimienne (Durkheim,
1924)3. Son respect conduit certes à satisfaire un besoin du corps
(dans le cas de l’alimentation), mais aussi à manifester l’appartenance
et la position sociale :
Cet acte est poursuivi dans une série d’actes montés chez l’individu
non pas simplement par lui-même, mais par toute son éducation, par
toute la société dont il fait partie, à la place qu’il y occupe.
(Mauss, 1936, p. 10).
Près de cinquante ans plus tard, Pierre Bourdieu accentue le
lien entre incorporation et stratification sociale en soulignant que
l’habitus s’inscrit dans les corps et devient un puissant marqueur de
la position sociale :
Nous apprenons par corps. L’ordre social s’inscrit dans les corps
à travers cette confrontation permanente [...]. II faut se garder de
sous-estimer la pression ou l’oppression, continues et souvent inaperçues,
de l’ordre ordinaire des choses, les conditionnements imposés par les
conditions matérielles d’existence, par les sourdes injonctions et la
« violence inerte » (comme dit Sartre) des structures économiques et
sociales et des mécanismes à travers lesquels elles se reproduisent. Les
injonctions sociales les plus sérieuses s’adressent non à l’intellect mais au
corps, traité comme un pense-bête.
(Bourdieu, 1997, p. 204)
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devient dépositaire de la position et de la trajectoire sociales, il semble
également souscrire à l’idée de Marcel Mauss que les pratiques, une fois
incorporées, deviennent une « seconde nature » difficile à modifier.
C’est cette idée que Muriel Darmon discute dans son enquête
prenant pour objet les anorexiques. Elle montre que, dans leur cas,
des pratiques alimentaires incorporées sont désapprises par un « travail
de soi sur soi », qu’elle lie à des visées d’ascension sociale :
Lors de l’examen des pratiques corporelles et culturelles, on a fait
apparaître l’orientation vers l’excellence sociale du travail anorexique de
transformation de soi.
(Darmon, 2008, p. 283).
Ce travail sur le corps, qui vise à se distinguer, n’est pas spéci-
fique aux anorexiques. Elle retrouve le même travail chez des person-
nages historiques ou littéraires qui ont acquis leur réussite sociale
grâce à un intense travail sur leur façon de se vêtir, de se tenir, de
parler (Darmon, 2001). Dans cette perspective, le travail de soi serait
en quelque sorte un cas particulier d’incorporation d’une technique
du corps, quand l’acteur mène lui-même le travail d’incorporation
et vise, au-delà de l’objectif technique retenu par Marcel Mauss, à
adopter des techniques du corps des dominants, plus légitimes.
Ainsi, des « techniques du corps » au « travail de soi », plusieurs
concepts sociologiques permettent de penser le processus d’incor-
poration. Cependant, la conception de la stratification sociale sous-
jacente aux analyses des « techniques du corps » et du « travail de soi »
diffère. Dans la tradition durkheimienne, Marcel Mauss s’inscrit dans
une conception relativement pacifiée de la société où l’inégalité des
conditions ne génère pas de conflit. Chez Pierre Bourdieu et chez
Muriel Darmon, la réflexion sur l’incorporation s’inscrit dans une
vision plus conflictuelle de la structure sociale. Pour Pierre Bourdieu
notamment, cette conception de la stratification sociale s’incarne dans
le concept wébérien de domination, en lien avec la notion de distinc-
tion. Celle-ci regroupe toutes les manières de marquer des différences,
d’établir des « barrières » qui excluent les subalternes et qui signifient
la hiérarchie des positions sociales, même à petite distance.
Mais, alors que Max Weber soulignait que les plus modestes
se soucient tout autant que les élites de maintenir leur statut
social (Weber, 1968, p. 393), la distinction est souvent conçue,
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logique, est cependant réducteur : les classes populaires n’ont-elles
pas aussi des stratégies de distinction ? Au-delà des efforts d’ascen-
sion sociale de quelques-uns, les classes populaires n’ont-elles pas
aussi un statut à maintenir ? C’est ce qu’avait suggéré Norbert Elias
en montrant les manœuvres « d’exclusion » dont sont capables les
classes populaires à l’encontre d’autres groupes, perçus et désignés
comme inférieurs (Elias, Scotson et al., 1997).
La distinction propre aux classes populaires intégrées pourrait
notamment résider dans le souci d’être « respectables ». Dans une
enquête récente, Beverley Skeggs (2014) montre, par exemple, que
le souci de « respectabilité » que manifestent ses enquêtées blanches
de milieu populaire renvoie au désir d’être considérées comme un
membre à part entière de la société. Il ne se double pas nécessairement
du désir de rejoindre les classes supérieures. Il s’agit d’abord d’échap-
per au mépris des dominants en respectant des règles perçues comme
communes à toute la société (s’habiller correctement, travailler). Cette
quête de respectabilité, pourrait se jouer en particulier dans l’espace
domestique et notamment au moment des repas. Cette « respectabilité
alimentaire », c’est-à-dire le fait de se conformer aux normes sociales
dominantes, est notée par Claudine Marenco, qui montre comment la
régularité des repas est censée faire écho à la bonne tenue du foyer :
Valeur suprême, vertu cardinale, l’ordre confère à la famille dignité et
considération. [...] Au niveau domestique, l’ordre s’exprime aussi dans la
régularité [...] : régularité des horaires du lever, des repas, du coucher.
(Marenco, 1992, p. 125).
En partant de l’enjeu accordé par les enquêtés au fait de petit-
déjeuner ou non, nous avons souhaité poursuivre cette analyse des
éventuelles stratégies de distinction dans les milieux populaires et
étudier comment cette quête de respectabilité était l’objet d’un
travail quotidien des enquêtés visant l’incorporation de techniques
du corps perçues comme légitimes.
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en particulier rendent difficiles l’application des recommandations
nutritionnelles en vigueur.
Comme le montre son analyse socio-historique (Aymard,
Grignon, Sabban, 1993), le petit-déjeuner est l’élément du rythme
des repas qui s’est mis en place le plus tard. Les repas se sont en effet
fixés dans la journée par un effet de cascade : le décalage du dîner
vers le soir a entraîné la fixation du « déjeuner » vers midi et enfin,
l’apparition ou la stabilisation d’un « premier déjeuner » le matin
(Aymard, Grignon et al. 1993). Dans les manuels de savoir-vivre
passés en revue par Claudine Marenco (1992), le « premier déjeu-
ner », est très rarement évoqué par les prescripteurs. Cela ne signifie
pas qu’on ne mange rien le matin, mais que cette prise alimen-
taire est peu codifiée par les classes supérieures productrices d’écrits
normatifs. Par ailleurs, les statistiques montrent que s’il est presque
toujours pris au domicile, le petit-déjeuner est plus souvent sauté,
mais aussi plus souvent pris seul et moins synchronisé que les autres
repas (Lafay, Volatier, 2009 ; Saint Pol, Ricroch, 2012).
En s’intéressant à une catégorie spécifique, les « petits-moyens »
(Cartier, Coutant et al., 2008), peu qualifiés sans être démunis,
modestes sans être pauvres, on a pris le parti de regarder comment
une partie de la population, occupant des emplois subalternes qui
laissent peu de latitude horaire (Lesnard, 2009), parviennent à
négocier au quotidien avec des principes qui semblent partagés par
l’ensemble de la société mais dont la mise en pratique peut buter sur
des contraintes professionnelles.
L’entrée par les petits-déjeuners se révèle alors particu-
lièrement pertinente car elle permet d’analyser plus généralement
comment se coordonnent les temps du matin et comment les
individus tentent de concilier leurs difficultés quotidiennes avec
l’injonction dominante de manger quelque chose le matin, tout
particulièrement pour les enfants. Nous sommes parties des gestes
les plus familiers, les plus ordinaires, qui n’attirent guère l’attention
du fait de leur caractère quotidien et routinier, dans la perspective
de rendre visibles des modes de vie socialement marqués. En ce
sens, cette recherche s’inscrit dans un renouveau des enquêtes sur
les milieux populaires qui tentent de « tenir ensemble » l’analyse
des situations professionnelles et des conditions d’existence (Siblot,
Cartier et al., 2015).
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l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, ancienne-
ment AFSSA) en 2006.
Pour mener le terrain4, nous sommes entrées en contact, directe-
ment ou par interconnaissance, avec des personnes qui avaient au
moins un enfant de moins de 10 ans et que leur profession situait dans
les couches supérieures des classes populaires : plusieurs coiffeuses,
une factrice, des ouvriers qualifiés, un agent de la sécurité sociale,
mais aussi de petits indépendants de villes de province (buralistes,
boulangers), etc. Nous avons cherché des enquêtés dont le niveau de
diplôme n’excédait pas le bac + 2. Chaque fois que c’était possible
nous avons aussi mené des entretiens avec le conjoint de l’enquêté,
un ou plusieurs de ses parents et des frères ou sœurs, dans l’esprit
des monographies de familles (Weber, Gojard et al., 2003). Nous
avons mené nos entretiens dans trois zones géographiques : la petite
couronne parisienne (4 familles), une ville moyenne de Bourgogne
(7 familles) et une zone rurale du Sud-Ouest de la France (4 familles)5.
Ces quinze monographies nous ont permis de réaliser 43 entretiens6.
Le guide d’entretien abordait l’organisation du matin, du lever au
départ du domicile ; l’organisation domestique autour de l’alimen-
tation (répartition des tâches, approvisionnement, préparation des
repas et règles autour de la prise des repas) ; un volet biographique
sur les petits-déjeuners depuis l’enfance ; un graphe de parenté.
4. Cette recherche a été financée par le département SAE2 de l’INRA. Les auteurs
remercient les enquêtés et leurs familles pour leur disponibilité. Ce texte a bénéficié des
commentaires des membres de l’équipe SOLAL, en particulier Anne Lhuissier, et de ceux
de Diane Rodet.
5. La comparaison entre ces trois lieux d’enquête, qui n’est pas exploitée dans
cet article, nous a permis par ailleurs de réfléchir aux stratégies différenciées d’approvi-
sionnement en fonction du lieu d’habitation.
6. Dans certaines familles nous n’avons pas pu interroger la parenté (refus, décès).
Ces monographies, forcément limitées (un ou deux enquêtés), ont été malgré tout rete-
nues pour l’analyse car de fortes différences sont apparues entre la famille de ces enquêtés
« isolés » et celle de ceux qui pouvaient compter sur leur famille élargie.
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légitimité de cette technique du corps. Mais les efforts des parents
pour faire petit-déjeuner les enfants montrent qu’il ne s’agit pas
seulement d’atteindre un objectif technique (répondre à un besoin
physiologique) : il s’agit bien de respecter une norme sociale qui
porte aussi sur le contexte du repas (régularité, présence d’un membre
de la famille). Enfin, les rapports entre les parents et les institutions
qui ont en charge les enfants montrent que les enquêtés sont attentifs
au regard que portent l’école ou la crèche, notamment quand elles
mettent en cause la façon dont leurs enfants sont nourris le matin.
7. http://www.mangerbouger.fr/Manger-Mieux/Que-veut-dire-bien-manger/
Se-reunir-autour-de-repas-reguliers, consulté le 04/02/2016.
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tionnelles, est d’ailleurs largement partagée quand il s’agit des enfants.
Près des deux tiers (63%) des 10 000 matinées de mineurs observées
incluent un produit laitier contre 36% parmi les enquêtés majeurs.
Certaines mères, interrogées dans l’enquête qualitative, ont donné
un biberon de lait à leur enfant jusqu’à un âge avancé : il leur permet
une mesure quasi-scientifique de la quantité ingérée, le « plein » du
biberon (300 ml) symbolisant le « plein » de l’estomac :
– Donc Killian boit un biberon de lait avec du chocolat, Manon,
elle a huit ans donc c’est un bol de lait avec du chocolat, mais elle a été
jusqu’à l’année dernière au biberon. Et puis on s’est dit il faut arrêter
(rires)… et Killian c’est systématiquement un biberon de 300 ml lait
chocolat. C’est vrai que c’est pratique le matin, t’es sûre qu’ils ont eu
leur dose, qu’ils ont plus faim et ils n’en mettent pas partout.
(Carole, assistante maternelle, 2 enfants de 3 et 8 ans, conjoint en
reconversion professionnelle).
Mais l’État n’a pas le monopole de l’action publique et de la
diffusion des normes. Le petit-déjeuner est en outre plébiscité par
de grands groupes industriels qui proposent un nombre croissant
de produits destinés précisément à ce repas. Ainsi Nestlé avait créé
en 1995 un Observatoire du petit-déjeuner. La revue de la Société
française de nutrition, Cahiers de nutrition et de diététique, a publié
deux numéros spéciaux financés par des industriels portant sur le
petit-déjeuner (Nestlé en 1997 et Kellogg’s en 2012). Enfin, les
rapports de l’Observatoire de la qualité de l’alimentation (OQALI)
montrent que les « recommandations de consommation » sont parti-
culièrement présentes sur les emballages des céréales pour petit-
déjeuner (37% des références comportent une recommandation
de consommation « pour un petit-déjeuner équilibré ») ce qui est
moins fréquent par exemple pour les gâteaux (20% des références)8.
Politiques publiques et entreprises privées s’entendent donc sur le
message (le petit-déjeuner est important pour la santé) même s’ils
le diffusent pour des raisons différentes.
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s’autorisent parfois à se distancier des recommandations nutritionnelles
et les populations les plus précaires qui les rejettent au nom des difficultés
matérielles et sociales qu’elles affrontent. Les couches supérieures des
classes populaires pourraient être particulièrement réceptives aux injonc-
tions des politiques nutritionnelles (Régnier, Masullo, 2009) comme
elles le sont aux normes de parentalité (Le Pape, 2009) et aux modèles
d’enfance portés par l’école et les professionnels (Gojard, 2012).
En outre, cette injonction à faire manger les enfants le matin fait
probablement écho à la représentation sociale du corps de l’enfant
dans les milieux populaires. En effet, les normes de corpulence
enfantine varient fortement d’un milieu social à l’autre. Dans les
classes sociales supérieures, le corps idéal enfantin est svelte, tonique,
conforme à « l’apparence d’excellence », qui caractérise également
la corpulence idéale des adultes (Court et al., 2014). Dans nos
entretiens, les enfants minces et graciles ne sont pas perçus de cette
manière et peuvent être, au contraire, source de préoccupation. Les
enquêtés font référence à des normes de corpulence qui sont plutôt
celles des classes populaires, valorisant les « rondeurs de l’enfance
comme signe de bonne santé » (Régnier, Masullo, 2009, p. 765).
Les « petits mangeurs » sont davantage source de préoccupation,
comme on l’analysera plus tard, tandis que les « bons mangeurs »,
joufflus, sont perçus comme de « bonnes natures ». Dès lors, leur
souci pour l’appétit matinal de leurs enfants rend sans doute d’autant
plus légitime à leurs yeux la norme du petit-déjeuner :
– Sarah, elle est toute menue. C’est une petite puce et moi j’ai
toujours peur, quand vous avez une petite fille qui est comme ça une
petite mangeuse, on a toujours peur qu’elle soit en manque de quelque
chose… et c’est vrai que c’est une grande angoisse pour moi de laisser
ma fille partir à l’école le ventre vide.
(Christine, secrétaire, 2 enfants de 8 et 13 ans, conjoint employé viticole).
Mais la norme du petit-déjeuner des enfants n’est pas diffusée
que par les politiques publiques et les techniques de marketing.
Les parents l’ont aussi reçue, dans leur enfance, de leurs propres
parents. Cette transmission des normes alimentaires est particuliè-
rement efficace dans les milieux populaires, l’expérience familiale
constituant une source de référence aussi importante que le savoir
porté par les professionnels (Gojard, 2000). Ainsi, les enquêtés
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déjeune, allez dépêche-toi, dépêche-toi ». Et moi je fais la même chose :
« dépêche-toi, dépêche-toi ».
(Stéphanie, secrétaire, divorcée, 1 enfant de 4 ans).
Nos entretiens avec les ascendants des enquêtés montrent que
cette génération a effectivement essayé d’inculquer la technique du
corps du petit-déjeuner, même si les enfants en grandissant ont pu
échapper à leur contrôle :
– Petits je les obligeais, donc ils mangeaient, ils ont toujours mangé
leur petit-déjeuner avec moi et tout ! Après, quand ils ont grandi, ils ont
arrêté de déjeuner. J’ai eu beau gueuler mais…
(Augusta, agent de sécurité sociale retraitée, mère d’Eva également interrogée
dans cette monographie (et de 2 autres enfants), conjoint ouvrier imprimeur retraité).
Diffusée aussi bien par des campagnes d’éducation nutrition-
nelle que par les emballages des produits alimentaires, ancrée dans la
mémoire familiale des enquêtés, faisant écho à la norme populaire de
l’enfant « bien nourri », la technique du corps qui consiste à prendre un
petit-déjeuner le matin est considérée par les enquêtés comme la seule
légitime pour leurs enfants. L’importance des arguments nutritionnels,
parés de la légitimité de la science, ne doit pas pour autant nous laisser
croire qu’en inculquant cette norme les enquêtés poursuivent simple-
ment un but technique (couvrir des besoins physiologiques).
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tiens avec les parents révèlent deux autres objectifs, qui font de l’inculca-
tion du petit-déjeuner un enjeu d’intégration sociale. Le premier, c’est
d’inculquer un rythme quotidien aux enfants, souci qui s’exprime
particulièrement quand les parents ont des horaires de travail atypiques.
Il ne s’agit pas seulement de manger pour répondre à un besoin physio-
logique mais également pour s’inscrire dans un temps collectif dont
on partage les règles. Anne, boulangère, qui ne mange rien le matin,
veille cependant à ce que ses enfants déjeunent à l’heure convenue :
– Anne : Je mange pas. J’ai pas envie de manger, alors il faut que je
me force un peu.
– Enquêtrice : Vous vous forcez…
– Anne : Oui, donc je mange un petit quelque chose, mais presque
rien. Parce que sinon… ça va pas, ça dérègle tout. Et pour les enfants,
c’est pareil. Il faut qu’ils déjeunent. C’est dur pour nous parce que le
matin, je sers à la boutique. Donc moi je suis pas là, il n’y a que mon
mari. Mais j’appelle. Je suis obligée de dire « voilà, à telle heure on se
réveille, à telle heure on mange », sinon après c’est l’anarchie... c’est vrai
que, des fois, j’en ai marre... c’est l’heure de manger on mange, c’est pas
l’heure on attend encore un peu, voilà…c’est pénible quoi.
– Enquêtrice : Oui, c’est pas facile.
– Anne : Oui, mais c’est bien d’être réglé… nous, on a une vie
irrégulière, alors c’est vrai que c’est pas facile.
(Anne, boulangère, 2 enfants de 8 et 17 ans, conjoint boulanger).
Le second souci des parents est la commensalité. Le petit-
déjeuner idéal – celui du week-end ou des vacances – est ainsi décrit
comme un moment familial où tout le ménage s’attablerait en même
temps9. Mais au quotidien, ne pas laisser son enfant manger seul
(surtout pendant la petite enfance), lui permettre de prendre son
repas dans le cadre familial, est une revendication maternelle parti-
culièrement prégnante dans nos entretiens10 :
– Moi, je suis là, et quelque part ça me paraît normal. Y a beaucoup
de familles où les enfants doivent se débrouiller seuls le matin. C’est
9. Une enquêtée, qui pense s’éloigner de ce modèle, cite ainsi les publicités pour
la marque Ricoré, où le caractère convivial et familial du petit-déjeuner est valorisé
pour inciter les clients à acheter le produit.
10. L’exploitation de l’enquête INCA 2 confirme d’ailleurs que les enfants, quelle
que soit leur origine sociale, petit-déjeunent rarement seuls. 17,5 % des enfants de 3 à
7 ans prennent le petit-déjeuner seuls. Ce pourcentage augmente avec l’âge : 25 % pour
les 8-12 ans, 53 % pour les 13-17 ans et 56 % au-delà de 18 ans.
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(Carole, assistante maternelle, 2 enfants de 3 et 8 ans, conjoint en
reconversion professionnelle).
Peu de pères insistent autant sur l’importance de cette disponibi-
lité parentale auprès des enfants. Si les mères prennent effectivement
davantage en charge l’organisation du petit-déjeuner des enfants,
les horaires atypiques de nombreux emplois occupés par les classes
populaires (Siblot, Cartier et al., 2015) font qu’elles ne sont pas tou-
jours présentes physiquement le matin. On ne développera pas ici
les différentes stratégies utilisées par les mères pour anticiper ce qui
se passe quand elles ont quitté le domicile familial. Des produits
préalablement disposés sur la table du petit-déjeuner au coup d’œil
ultérieur sur ce qui a été mangé, l’organisation quotidienne montre
qu’elles ont largement intériorisé la norme de la disponibilité mater-
nelle11 (Garcia, 2011) et tentent de contrôler à distance ce temps où
elles ne sont pas présentes (voir également les appels téléphoniques
d’Anne, page précédente). Les pères prennent alors le relais auprès
des enfants, comme chez Romain et Carine, qui gèrent ensemble
un bureau de tabac. Les matins où Carine tient le commerce,
Romain supervise les petits-déjeuners de leurs deux enfants. Quand
il s’occupe d’eux, son souci est la technique du corps dans son
aspect le plus « technique » (que les enfants prennent l’habitude de
manger le matin). Ce qui justifie le relâchement de sa surveillance
pour Jules (l’aîné), c’est que le processus d’incorporation est réussi
(« ça passe facile »), tandis qu’il est en cours d’acquisition pour le
second (Matthias). Romain semble, en revanche, moins enclin que
sa femme à établir des routines matinales:
– Jules, il commence à manger plus le matin que ce qu’il mangeait
avant. Avant c’était une tartine, il finissait pas spécialement. Maintenant
il peut me demander 3-4 tartines quoi, ça passe facile. Jules ça
descend alors que Matthias il est plus lent dans le fait de manger. […]
Encore pour le moment je suis sur le dos de Matthias, mais Jules non,
c’est bon [...] C’est important de bien manger, ça peut être avant
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on a 5 minutes de retard.
(Romain, buraliste et auto-entrepreneur (bricolage, jardinage), 2 enfants de
6 et 10 ans, conjointe buraliste).
Quand aucun parent n’est disponible le matin, les enquêtés ont
recours, autant que possible, à leur « parenté pratique » (Weber,
Gojard, Gramain, 2003), afin que leurs enfants déjeunent dans la
famille élargie à défaut de pouvoir le faire. Florence est surveillante
en collège, son conjoint travaille de nuit. Tous les matins elle habille
ses filles, les conduit en voiture chez sa mère et apporte les produits
du petit-déjeuner (yaourt à boire en flacons individuels et gâteaux au
yaourt qu’elle a confectionnés). Cet approvisionnement quotidien
répond sans doute à la volonté de ne pas peser économiquement sur
sa mère dont les revenus sont modestes, mais il est également possible
de le lire comme une ultime tentative pour garder le contrôle sur
l’alimentation de ses enfants et se conforter dans l’image qu’elle n’est
pas « une mère défaillante » :
– En fait, elles ont quand même le même petit-déjeuner qu’elles
soient ici ou chez ma mère. Donc c’est sûr que c’est pas le top mais c’est
déjà mieux que rien. On ne peut pas me reprocher qu’elles ne mangent
rien le matin.
(Florence, surveillante contractuelle en collège, 2 enfants de 5 et 9 ans,
conjoint technicien dans une laiterie industrielle).
L’analyse en creux des propos de Florence montre le modèle
normatif dominant, à savoir un petit-déjeuner au domicile familial,
en présence des parents. Le « fait-maison », plutôt inhabituel pour
les produits du petit-déjeuner, peut se lire comme une appropriation
personnelle de l’injonction à être une mère « respectable ». L’idée
de « faire soi-même » renvoie à l’imaginaire collectif de la bonne
ménagère et de l’alimentation familiale (Charles, Kerr, 1988) ;
pouvoir s’y rattacher permet à Florence de compenser symbolique-
ment son absence lors du premier repas de ses enfants.
Les efforts déployés par les parents pour se conformer à ce modèle
normatif (donner aux enfants un cadre familial le matin) sont donc
conséquents. Les situations familiales ou professionnelles difficiles le
montrent. Parmi les monographies réalisées, deux enquêtées élèvent
seules leurs enfants. Dans le cas de Sandrine, vie familiale/vie profes-
sionnelle est rendue possible grâce à l’aide apportée par ses parents, chez
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plus du tout. Au début ça allait parce qu’on avait convenu que je faisais
du 8 heures 17 heures tous les jours. Et à la fin, on m’a dit « ben non,
en fin de compte il faut que tu commences à 6 heures du matin. -
OK. Et je fais comment moi? - Eh ouais mais c’est comme ça ». Bon
alors mes enfants, ils devaient partir chez une nourrice... Non c’était
vraiment plus... Et puis la nourrice le matin tôt, la nourrice la journée...
Je me suis dit « c’est bon, j’arrête là ! Je peux plus ! » Et puis j’ai fait un
abandon de poste.
(Dorothée, fleuriste salariée, divorcée, 2 enfants de 6 et 7 ans).
L’importance accordée au contexte de ce premier repas de la
journée n’est probablement pas spécifique et les principes éducatifs
relatifs à la temporalité et à la commensalité sont sans doute largement
partagés dans les classes moyennes et supérieures. Les contraintes
professionnelles qui caractérisent notre population font que l’appli-
cation de ces principes est plus difficile et rendent leurs enjeux plus
perceptibles pour l’analyse sociologique. Pour nos enquêtés dont les
revenus ne permettent pas de recourir à une aide rémunérée pour
les enfants en dehors des horaires standard de travail, l’organisation
domestique et le soutien de la parenté sont des ressources nécessaires
pour permettre aux enfants de manger dans le cadre social que les
normes sociales prescrivent.
Cet attachement au contexte du repas n’est toutefois pas antago-
niste avec un autre principe éducatif, déjà souligné dans les travaux sur
l’alimentation des enfants en milieux populaires (Régnier, Massulo,
2009), à savoir la satisfaction des goûts enfantins. Outre le produit
laitier, certaines femmes interrogées proposent plusieurs alternatives,
soucieuses de voir leur enfant prendre du plaisir à manger le matin12.
Parmi ces possibilités figurent les « classiques » du petit-déjeuner
(tartines, céréales) mais aussi parfois des aliments qui s’éloignent des
recommandations nutritionnelles des produits à consommer le matin
(gâteaux pour le goûter, par exemple) :
– Laurine, elle a des Miel Pops et sa sœur elle a des céréales au
chocolat, des Chocapic. Moi j’ai acheté des Chocapic parce que Laurine
elle a vu la pub, parce que sa copine mangeait cela, donc pourquoi pas,
12. Ce constat ne signifie pas pour autant que les mères ne contrôlent pas les pro-
duits proposés ni qu’elles n’en surveillent pas les quantités consommées.
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impose rien le matin et qu’elles choisissent. Ca peut être des gâteaux,
des Kinder Bueno, c’est elles qui choisissent.
(Fabienne, coiffeuse, 2 enfants de 6 et 13 ans, conjoint gardien de la paix).
La proposition occasionnelle ou régulière de ce type de produits,
non conformes à la liste de ceux classiquement préconisés pour le
petit-déjeuner, pourrait bien distinguer certains de nos enquê-
tés de parents appartenant à des strates sociales plus aisées et plus
éduquées13. Soulignons que les classes supérieures ont été jusqu’ici
surtout distinguées des classes populaires par « l’inculcation d’un
goût aux aliments, conforme aux recommandations nutritionnelles
en vigueur » (Régnier, Masullo, 2009), qui leur serait propre. En se
focalisant sur les aliments consommés, c’est l’attention pour le plaisir
des enfants qui est généralement retenue comme caractéristique de
l’alimentation des enfants dans les milieux populaires, par contraste
avec une « éducation alimentaire », spécifique aux classes supérieures
(Régnier, Masullo, 2009). Or, notre recherche, qui s’intéresse égale-
ment aux circonstances dans lesquelles les aliments sont consommés,
amène à nuancer cette opposition : dans le groupe social étudié,
il existe indéniablement une éducation alimentaire qui passe par le
rythme et le contexte des repas. L’incorporation du petit-déjeuner
aux routines du matin traduit la bonne intégration aux rythmes
sociaux du matin et marque, par là, la respectabilité éducative des
parents qui s’efforcent d’assurer ce cadre.
13. Comme le rappelle Claude Grignon au sujet des normes diététiques, “ce qui est
interdit à tel moment en tel lieu peut être autorisé à d’autres” (Grignon, 2015). S’affranchir
des règles (sociales autant que nutritionnelles) prescrivant ou proscrivant certains aliments
en certaines occasions ne peut cependant être réduit à une opposition binaire entre classes
sociales. Dans la population étudiée, des positionnements différents apparaissent sur ce sujet
et d’autres parents, particulièrement réceptifs à l’argument de la santé, respectent scrupu-
leusement les recommandations qu’ils ont pu entendre sur les produits à consommer au
petit-déjeuner. Ces parents sont cependant ceux qui (par leur niveau de scolarité ou par les
caractéristiques de leur emploi) côtoient le plus les professions intermédiaires et supérieures.
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tés ont été interpellés par ces institutions à propos de ce qui a été
traité comme des déviances dans l’alimentation de leurs enfants. Ces
interactions et la façon dont les parents (de fait, surtout les mères)
y réagissent montrent qu’aux yeux des parents, l’enjeu n’est pas
seulement la santé de leur enfant, mais bien un jugement moral sur
leur capacité à être de bons parents et par-delà une appréciation de
leur statut social.
Christine relate ainsi une discussion avec l’institutrice de sa fille
Sarah. Si Christine oriente la discussion sur l’alimentation de sa
fille, la réponse de l’enseignante renvoie au rôle de mère :
– Elle m’avait dit : « Sarah est souvent fatiguée le matin en ce
moment ». Je lui ai dit « oui, je sais, elle ne mange pas beaucoup le
matin ». Elle m’a dit « oui, mais, il faut la forcer un peu, je sais que c’est
compliqué, mais est-ce que vous prenez parfois le temps de petit-déjeuner
avec elle ? ». Je lui ai dit « écoutez, Madame, je suis sur son dos tous les
matins… Je ne vois pas ce que je peux faire de mieux ».
(Christine, secrétaire, 2 enfants de 8 et 13 ans, conjoint employé viticole).
On voit bien que le rappel institutionnel à la disponibilité mater-
nelle vexe Christine. Tandis que l’institutrice rappelle la norme du
repas comme temps familial partagé, Christine le prend comme un
reproche personnel puisqu’elle y répond en mettant en exergue
son investissement quotidien. C’est son identité de mère qui est ici
blessée. Or, comme le suggèrent plusieurs recherches sur la paren-
talité en milieux populaires, le fait d’être perçu, par les tiers et par
l’entourage proche, comme un « bon » parent constitue pour les
mères un capital symbolique qui vient compenser une plus faible
estime de soi sur le plan professionnel et plus généralement social
(Samuel, 2008, Le Pape, 2009).
Être identifié comme bon parent par les institutions,
notamment par l’école, est une source de respectabilité essen-
tielle pour ces mères. Elles peuvent faire des compromis sur le
respect d’autres normes pour se conformer au rythme alimen-
taire prescrit. Christine laisse, par exemple, manger ses enfants
devant des dessins animés dans l’espoir que sa fille, absorbée par
le petit écran, déjeune malgré tout. Devant l’échec de techniques
14. Sur ce sujet, se référer par exemple à la thèse d’Aurélie Maurice (2014).
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elle a décidé, si elle n’a pas faim, elle ne mangera pas. Du coup, on ouvre
la télé, ça fait partie du truc pour qu’elle déjeune, pour que ça descende.
En général ils regardent Piwi, c’est la chaîne des…voilà, on regarde pas
les clips, on regarde pas les infos, vraiment du dessin animé.
(Christine, secrétaire, 2 enfants de 8 et 13 ans, conjoint employé viticole).
Consciente que cette pratique pourrait être critiquée par
certains15, Christine précise qu’elle allume la télévision pour une
« bonne » raison, pour « que ça descende ».Elle ajoute également
qu’elle choisit les émissions regardées, se prémunissant par avance
contre le préjugé de la « mauvaise mère » qui laisse ses enfants regar-
der des émissions inadaptées.
Augusta et sa fille Eva ont toutes les deux pris des mesures pour
modeler le petit appétit de leurs enfants et le rendre conforme aux
attentes des institutions. Ainsi, Augusta se souvient d’avoir demandé à
son médecin de famille de prescrire un sirop pour sa fille cadette, désor-
mais adulte, afin de « lui ouvrir l’appétit » parce qu’elle ne mangeait
rien et pleurait tous les midis à la cantine, où l’on forçait les enfants à
finir leur assiette. Eva qui est la fille aînée d’Augusta a été « convoquée »
par la psychologue de la crèche pour des raisons très proches :
– Elle mangeait rien à la crèche et j’avais été convoquée par la psy de la
crèche pour voir le souci. Elle mangeait que le pain à la crèche, que le pain
[...la psy] m’avait dit « ne vous inquiétez pas, il ne faut pas rentrer dans
le jeu de la confrontation à l’alimentation. Ça viendra ». Elle me disait
« elle est en bonne santé, il ne faut pas se prendre la tête ». J’ai essayé
d’étaler un petit peu ses pâtes sur une petite table, elle venait en manger
des froides, c’était là, elle venait, elle mangeait, elle repartait. Et c’est
vrai que maintenant, elle commence un peu à goûter à tout.
(Eva, agent de la sécurité sociale, 3 enfants de 4, 10 et 12 ans, conjoint
technicien de maintenance RATP).
La psychologue affirme que la santé de l’enfant n’est pas menacée
mais le « ça viendra » dit bien que les habitudes alimentaires dominantes
devront prévaloir au final. De même, si Eva semble rassurée sur le plan
15. Plus tard dans l’entretien, elle fera à l’enquêtrice un commentaire en ce sens
précisant que sa belle-sœur, professeur des écoles, regardait d’un mauvais œil cette habi-
tude matinale. Enfin, conclura-telle, « les miens ne sont pas comme eux (ses neveux), qui
se lèvent tout le temps de table, sans avoir rien mangé ».
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et Eva (proposer une prise alimentaire continue) consistent au final à
s’affranchir de certaines normes diététiques dominantes16 pour mieux
respecter une autre norme (faire manger son enfant), qui elle, met en
jeu leur statut de mère respectable dans des interactions sociales, au sein
des institutions qui accueillent leurs enfants.
Ainsi, les parents sont interpellés et jugés à travers le rythme
alimentaire incorporé par leur enfant, même s’ils sont également
capables de négocier les injonctions normatives qui leur sont adres-
sées. Les techniques du corps inculquées relèvent donc d’un registre
à la fois technique et moral, car elles renvoient aux responsabilités
éducatives des parents, qui sont une source importante de légitimité
sociale pour les classes populaires (Schwartz, 2012 ; Siblot, Cartier,
Coutant, Masclet et al., 2015). Légitimées par les différentes instan-
ces (publiques, commerciales et familiales) qui les diffusent, ces tech-
niques du corps deviennent un lieu où s’évaluent la respectabilité et
donc le statut social des couches supérieures des classes populaires.
Cet enjeu identitaire et statutaire concerne plus les femmes, en tant
que mères, que les hommes. Mais si l’alimentation des enfants revêt
des enjeux identitaires forts, d’autres stratégies de distinction, dont
l’analyse du petit-déjeuner est encore révélatrice, se jouent égale-
ment à l’âge adulte.
16. Les normes diététiques actuelles valorisent, en effet, le contrôle de soi (à travers
son alimentation), de son corps, de ses sensations physiques.
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rythme alimentaire pourtant ancré dans leurs habitudes du matin
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Tableau 1 : Manger au petit-déjeuner parmi les adultes
de l’enquête INCA 2, odds-ratio
Distribution
Odds-ratio
(% colonne)
Âge
18-39 ans (réf) 37,5
40-59 ans 42,1 1,86***
60 ans et + 20,4 2,81***
Sexe
Homme (réf) 41,4
Femme 58,6 1,88***
Situation familiale
Célibataire 21,2 0,65**
Couple sans enfant 29,1 1,04
Couple + enfant(s) (réf) 25,2
Famille monoparentale 6,1 0,38***
Ménage complexe 18,5 0,59***
Groupe socioprofessionnel
Artisan commerçant agriculteur 3,9 0,68
Cadre supérieur (réf) 9,4
Profession intermédiaire 16,4 0,89
Employé 22,4 0,53**
Ouvrier 12 0,43***
Retraité 22,6 0,71
Autre inactif 13,3 0,69
Enquêtés qui mangent le matin (%) 77,5
N de jours 18 361
N de sujets 2 623
* p<0.05, ** p<0.01, *** p<0.001
Régression logistique tenant compte du plan de sondage (Stata 13, commande
svyset).
Données : Enquête INCA 2 (2006) échantillon des adultes. L’enquête INCA 2
de l’ANSES repose sur un carnet alimentaire que les enquêtés tiennent pendant
7 jours consécutifs. Pour chaque journée ils disposent de 6 pages (petit-déjeuner,
collation, déjeuner, collation, dîner, collation) dans lesquelles ils doivent noter
ce qu’ils ont mangé et bu.
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Le caractère socialement construit de ces faims et dégoûts
matinaux s’accentue encore quand on constate que certains enquê-
tés juxtaposent deux rythmes alimentaires insérés dans des rythmes
sociaux distincts. C’est le cas d’Antoine qui décrit l’impossibilité
physique d’avaler autre chose qu’un café noir les jours de semaine,
mais apprécie un petit-déjeuner copieux pendant le week-end ou
les vacances :
– Antoine : Donc je m’occupe de mes médicaments d’abord, et
tout de suite dans la foulée, café. On a une machine Senseo, t’appuies
sur la petite tasse, mais moi je remets de l’eau froide parce que je déteste
le café chaud. Mon café il faut que je le boive tout de suite. Dans la
foulée je reprends un deuxième, voilà.
– Enquêtrice : tu manges quelque chose ?
– Antoine : Rien. C’est une habitude, bon j’ai pas faim, je peux
rien manger, ça m’écœure et puis j’ai pris cette habitude de pas manger.
Il y a qu’en vacances que je mange. Je ne sais pas pourquoi… c’est le
fait de se dire on a le temps et puis… voilà on est en vacances, on sort
le pain de mie, on prend le beurre, voilà… ça me donne faim, et puis
en semaine bon ben non.
(Antoine, en reconversion professionnelle après avoir occupé divers postes
dans la restauration, 2 enfants de 3 et 8 ans, conjointe assistante maternelle).
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veut dire que …. Je me suis levée, habillée, j’ai fait le ménage, je déjeune
pas, je m’en vais à 6 heures et demie.
– Enquêtrice : Donc tu fais du ménage le matin ?
– Virginie : Oui. Ça doit être fait. Je ne supporterais pas, voilà je
ne supporterais pas que ma maison soit pas propre, non, c’est hors de
question.
– Enquêtrice : D’accord, quand tu dis le ménage qu’est-ce que tu
veux dire concrètement ?
– Virginie : Poussière, balayer, la serpillière, j’étends le linge, machin
et tout ça et après je réveille les enfants.
(Virginie, aide-soignante en maison de retraite, 2 enfants 13 et 17 ans,
conjoint ouvrier menuisier).
Partir au travail en laissant un chez-soi propre et rangé, même à
une heure où la plupart des Français qui prennent un petit-déjeuner
n’ont pas commencé à manger (Saint Pol, Ricroch, 2012) traduit
la force de cette règle morale aux yeux de Virginie (« ça doit être
fait »). L’ordre matériel est ici une métaphore de l’ordre domes-
tique. On retrouve cette quête de respectabilité qu’évoque Beverly
Skeggs (2014) et qui sonne comme une injonction supérieure
à celle de prendre un petit-déjeuner solide. On peut émettre
l’hypothèse que, pour Virginie, l’habitude de ne pas prendre de
petit-déjeuner permet de faire face plus facilement à de fortes
contraintes familiales et/ou professionnelles que les ressources
pécuniaires d’un ménage des classes populaires ne permettent pas
toujours de contourner (par exemple, le recours à une femme de
ménage serait trop onéreux).
Pour les hommes, les conditions d’emploi sont un impératif
incontournable car c’est l’espace central où se jouent leur identité
sociale et leur respectabilité. Antoine, cité plus haut, a cessé de
prendre un « vrai petit-déjeuner » suite à un changement radical de
mode de vie. Il débute sa carrière professionnelle lorsque ses parents
achètent un restaurant en région parisienne, et que toute la maison-
née (Antoine, sa mère) se mobilise autour de cette nouvelle entre-
prise familiale :
– Chez mes parents, il y avait tartine, pain, beurre, confiture… bon
on est originaire de la Franche-Comté donc on prenait de la cancoillotte
le matin en plus. C’était un vrai petit-déjeuner, vraiment… table de la
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le petit-déjeuner. On passait chacun notre tour, en vrac. Un bol de café,
debout, et puis c’est tout, on prenait même du Nescafé, donc c’était le
truc qui était déjà pressé.
(Antoine, en reconversion professionnelle, 2 enfants de 3 et 8 ans, conjointe
assistante maternelle).
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importance.
Ainsi, ne rien manger de solide le matin est une technique
du corps bien ancrée dans la culture alimentaire des « classes
laborieuses », parce que particulièrement adaptée aux modes
de vie de populations qui ne maîtrisent pas leurs horaires de
travail. Les horaires contraints, décalés ou simplement matinaux
sont, en effet, un élément récurrent des emplois subalternes
(Lesnard, 2009 ; Siblot, Cartier et al., 2015). Pouvoir se conten-
ter d’un café, ou être capable de partir le matin à jeun, peut dès
lors être vu comme une compétence. Il s’agit d’habituer son
corps à « tenir le coup » (Antoine) afin de pouvoir prendre en
charge d’autres activités, qui permettent de se maintenir intégré
dans le tissu social. Car il s’agit avant toute chose de maintenir
son statut social que ce soit par un intérieur jugé digne, par des
enfants « bien élevés », ou par le travail rémunéré même dans
des conditions très contraignantes.
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il fallait qu’il mette de l’eau froide dans son café, moi je fais pareil et on
le prend debout tous les deux.
(Antoine, en reconversion professionnelle, 2 enfants de 3 et 8 ans, conjointe
assistante maternelle).
Ce n’est pas seulement le même goût (mêmes aliments, même
mode de préparation) qui est incorporé. La posture du corps est
également identique. Debout devant le plan de travail de la cuisine,
les individus prennent une pause éphémère avant de faire face aux
injonctions de la vie quotidienne :
– Je fais comme ma maman, quand j’y pense, en fait. Levée six
heures, je descends, je bois mon café vite fait. Je le prends debout. Je suis
toute seule… le moins de lumière possible, j’allume ma petite lumière
au-dessus de la hotte et vraiment le moins de lumière possible et mon
café, c’est tout. Je sais que ma maman, être toute seule, avoir la paix, elle
aimait bien ça aussi.
(Sandrine, femme de ménage dans un hôtel, 2 enfants de 7 et 14 ans,
conjoint employé viticole).
De ce point de vue, plutôt que de voir l’échec des parents à
inculquer durablement le rythme alimentaire légitime, il faudrait
souligner l’intériorisation par les enfants d’autres techniques, plus
adaptées aux circonstances de leur vie d’adulte : ces techniques peu
légitimes ont été apprises sans être enseignées, incorporées sans être
mises en œuvre dans l’enfance, mais peuvent être réactivées bien
plus tard.
En outre, le rythme alimentaire incorporé n’est pas figé. Le
corps peut désapprendre et réapprendre une technique du corps. La
trajectoire d’Eva, dont le mari Bruno espère bientôt être nommé
chef d’équipe à la RATP, montre bien comment elle s’est peu à
peu approprié la norme légitime du petit-déjeuner « complet », dans
le cadre d’un régime amincissant. Elle oppose son rythme alimen-
taire « d’avant », sans unité de temps ni de lieu, au plaisir qu’elle
prend désormais à manger le matin, suivant les prescriptions de son
régime :
– Avant je partais, je mangeais des gâteaux dans la voiture, ou je
déjeunais pas le matin. Et depuis trois ans que j’ai fait Weight Watchers,
il fallait manger le matin. Et un coup salé, un coup sucré. Donc salé j’ai
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ans je m’y suis mise, et maintenant, voilà : je peux plus partir sans avoir
mangé - ben disons que si je suis pressée ou si je pars plus tôt parce
qu’on a rendez-vous je vais pas déjeuner à ce moment-là - mais voilà :
maintenant j’aime bien déjeuner.
(Eva, agent de la sécurité sociale, 3 enfants de 4, 10 et 12 ans, conjoint
technicien de la RATP en train de devenir chef d’équipe).
Le fait qu’Eva continue parfois de sauter le petit-déjeuner
montre qu’elle est cependant capable d’activer l’une ou l’autre des
techniques du corps selon les circonstances.
Certains hommes disent également s’être remis à manger le
matin, sous la pression de leurs épouses. Ainsi Angélique a poussé
son mari Boris, maçon, à manger un « vrai » petit-déjeuner le matin.
Elle a intégré les messages nutritionnels sur l’énergie qu’apporte ce
repas. Mais elle se situe également dans une perspective d’ascension
sociale qui passe par son mari. Factrice, elle pense devoir attendre
longtemps une promotion au sein de La Poste tandis que Boris est
salarié dans l’entreprise de maçonnerie de son père, qu’il pourrait
reprendre avec elle dans quelques années :
– Boris : Au début, j’en prenais pas vraiment, c’est venu après, en
2003/2004.
– Angélique : C’est moi qui lui ai fait la guerre pour qu’il prenne
un petit-déjeuner, parce qu’il a un travail physique et qu’on a pas mal
de boulot en perspective pour les années à venir.
(Angélique, 32 ans, factrice et Boris, 32 ans, maçon, un enfant de
16 mois).
Certains enquêtés ont donc appris ou réappris une technique
du corps au gré de leur trajectoire sociale. Ceux qui ont adopté
le petit-déjeuner se situent sur une trajectoire sociale ascendante,
suggérant qu’ils adoptent une technique du corps plus en accord
avec leur statut social atteint ou visé. À ce stade de l’analyse, la diffé-
rence entre technique du corps et « travail de soi sur soi » s’atténue
tant l’incorporation d’un nouveau rythme alimentaire, qu’il soit plus
ou moins légitime, s’apparente à un effort. Toutefois, contraire-
ment à l’anorexique qui se fait violence pour adopter un rythme
alimentaire inédit (Darmon, 2008), nos enquêtés ont été socialisés
aux deux techniques du corps, l’une transmise de façon explicite, par
l’éducation parentale et scolaire, l’autre transmise silencieusement,
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Conclusion
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le regard porté par les institutions (école, crèche) sur ce travail parental
est aussi important à leurs yeux, notamment pour celles qui se sont
fortement investies dans l’éducation alimentaire de leurs enfants.
Mais arrivés à l’âge adulte, bon nombre des parents interrogés
ont, eux, abandonné le petit-déjeuner. Comme le confirme l’exploi-
tation statistique de l’enquête INCA 2, la pratique qui consiste à ne
rien manger le matin est plus fréquente dans les milieux populaires
que dans les autres milieux sociaux. Est-ce que l’incorporation
aurait échoué ? Nous soutenons qu’il n’en est rien. Les enquêtés
ont probablement appris, en même temps que la technique du corps
explicitement inculquée aux enfants, la technique du corps silen-
cieusement pratiquée par leurs propres parents, leurs proches, leur
classe sociale ; une technique du corps qui leur permet de s’ajuster
à leurs conditions d’existence. Cette technique du corps en rupture
avec les normes dominantes devient, paradoxalement, à l’âge adulte,
une ressource possible pour maintenir son propre statut social, en
rendant le rythme alimentaire compatible avec les contraintes profes-
sionnelles et familiales qui sont les leurs. Toutefois, ce n’est pas
uniquement sous la contrainte de leurs conditions de vie et d’emploi
que nos enquêtés de classe populaire ont modifié leur rythme alimen-
taire comme on l’a constaté chez ceux et celles qui se mobilisent
dans un projet d’ascension sociale et modifient profondément leur
rythme alimentaire pour (ré)-adopter des pratiques conformes aux
recommandations nutritionnelles en vigueur.
En conclusion de Devenir anorexique, Muriel Darmon (2008)
soulignait que Marcel Mauss avait surtout vu la profonde inertie des
techniques du corps, mais qu’il était également nécessaire d’étudier
dans quelles conditions les acteurs pouvaient apprendre ou désap-
prendre des techniques du corps. Notre examen du petit-déjeuner
dans les classes populaires nous a permis de progresser sur ce point :
le « travail de soi sur soi » n’est pas réservé à des cas extrêmes (que
sont les ascensions sociales spectaculaires ou les anorexiques) mais est
aussi visible dans les « petites mobilités », typiques des populations
que nous avons étudiées.
Dans cet article, nous nous sommes intéressées au rythme alimen-
taire plutôt qu’aux aliments, nous avons étudié ce que font les parents
quand ils essaient de transmettre une technique du corps tout autant
qu’au résultat de cette transmission à l’âge adulte. Cette stratégie
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fait, l’importance que les parents enquêtés accordent au cadre du
petit-déjeuner montre qu’ils voient l’éducation alimentaire comme
l’inculcation de règles sociales, qu’ils s’efforcent de transmettre à leurs
enfants malgré des contraintes objectives indéniables. De même, le
rythme alimentaire – y compris lorsqu’il repose sur deux repas par
jour – mobilise des techniques du corps qui permettent aux adultes
interrogés de conserver les acquis de leur position sociale, qui les
distinguent, selon eux, des catégories sociales les plus précaires. De
ce point de vue l’un des apports de cet article est de montrer que
les milieux populaires aussi mènent un travail sur le corps, travail qui
n’est généralement analysé que dans les classes sociales supérieures,
et que ce travail sert le même enjeu dans les deux cas : maintenir son
statut social.
Marie-Clémence Le Pape
Centre Max Weber, UMR 5283, université Lyon-II/CNRS, France.
marie-clemence.lepape@univ-lyon2.fr
Marie Plessz
Centre Maurice Halbwachs, UMR 8097
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Revue de Synthèse
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••• Tome 136 / Numéro 1-2, 2015
Philosophie et mathématique
Rédacteur en chef : Éric Brian
Sommaire
PRÉSENTATION
Charles Alunni
BACHELARD ET LES MATHÉMATIQUES
Charles Alunni : Gaston Bachelard face aux mathématiques
René Guitart : Gaston Bachelard et la pulsation mathématique
Revue de synthèse Frédéric Patras : Construire les mathématiques dans l’imagination
Tome 136 - Numéro 1-2, 2015 Mario Castellana : La rêverie anagogique dans les enjeux du surrationnel
2015. Env. 300 p. Broché. Andrea Cavazzini : Althusser/Bachelard : une coupure et ses enjeux
ISBN 978-2-7430-2080-4
IN MEMORIAM
Prix : 49 €
Pierre-François Moreau, David Wittmann : Bernard Bernier (1943-2015)
Disponible en librairie PROBABILITÉS
et sur abonnement Jean-Pierre Cléro : Lois et règles dans l’Essai en vue de résoudre un
problème de la doctrine des chances de Thomas Bayes
Abonnements : Éric Brian : Économètres, vos probabilités sont proches de leur fin !
Lavoisier Économistes, cherchez un nouveau monde !
Abonnement Revue de Synthèse VARIA
14 rue de Provigny,
Peter Schöttler : From Comte to Carnap Marcel Boll and the Beginnings
94236 Cachan cedex, France
of French Neo-Positivism
Tél. : +33 (0)1 47 40 67 68
Fax : +33 (0)1 47 40 67 02 REVUE CRITIQUE
E-mail : abonne.synth@lavoisier.fr René Guitart : Deux problèmes en vue d’une épistémologie transitive
des mathématiques
Direction et rédaction :
Fondation « Pour la Science » COMPTES RENDUS
Centre international de synthèse Philosophies mathématiques
45, rue d’Ulm - F-75005 Paris
Tél. : +33(0)1 44 32 26 55
Fax : +33(0)1 44 32 26 56 La Revue de synthèse a été fondée en 1900 par Henri Berr. Elle est
E-mail : revuedesynthese@ens.fr aujourd'hui une revue de référence internationale dans le domaine de
l'histoire, de la philosophie et des sciences sociales qui cherche à
www.revue-de-synthese.eu promouvoir un dialogue interlinguistique dans ces domaines.
www.springer.com/11873 Chaque numéro propose un dossier thématique qui fait le point sur l'état
de la recherche et sur les débats les plus actuels dans ses domaines de
prédilection. Le dossier s'accompagne d'éléments connexes : revues
critiques, chroniques de la recherche, compte rendus