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La question migratoire dans les pays nordiques : quel

impact sur leurs systèmes de protection sociale ?


Éric Trottmann
Dans Regards 2023/2 (N° 62), pages 107 à 121
Éditions EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale
ISSN 0988-6982
© EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 92.89.167.97)

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

La question migratoire dans les pays


nordiques : quel impact sur leurs systèmes de
protection sociale ?

Par Éric Trottmann, Administrateur général de l’État honoraire

Administrateur général de l’État honoraire, ayant fait l’essentiel de sa


carrière au service des ministères sociaux, Éric Trottmann réside à
Stockholm où il était, d’avril 2018 à juin 2022, le conseiller régional
pour les Affaires sociales des ambassades françaises dans les pays
nordiques, poste qu’il a également occupé à Budapest, auprès des
ambassades en Hongrie, République tchèque et Slovaquie, de 2007
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à 2011. Ancien élève de l’ENA (promotion 1982), il est diplômé de
l’Institut d’études politiques de Paris (1977).

Résumé

Dans le contexte politique ambiant de montée des populismes, y compris dans la


social-démocratie nordique, cet article resitue ce qu’il en est effectivement de l’im-
portance de l’État-providence et de la question migratoire dans ces pays. Il s’attache
à évaluer l’impact de cette dernière sur les grands équilibres macro-économiques et
sociétaux de ces pays, qui n’est pas forcément celui qu’on avance parfois, en souli-
gnant aussi, au-delà du focus mis en avant par certains sur des accès et des dérives
de communautarismes qui s’y exacerbent à l’occasion, les réussites qui sont aussi à
mettre sur ce plan à l’actif de ces sociétés, en termes de qualité de l’effort fourni en
matière d’intégration, ainsi que le caractère décisif de cette contribution, à la préser-
vation à long terme des systèmes de protection sociale concernés.

• 107
LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS NORDIQUES :
QUEL IMPACT SUR LEURS SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE ?

I- INTRODUCTION
De ce berceau autrefois paisible de l’État-providence que sont les pays nordiques,
parvient de plus en plus souvent ces temps-ci au monde extérieur le tumulte de
guerres de gangs sanglantes entre mineurs issus de l’immigration, liées au trafic
de drogue et d’autodafés du Coran par des réfugiés dévoyés. La question migratoire
s’impose désormais de façon grandissante à leur agenda et semble favoriser paral-
lèlement les partis qui se posent en garants de l’ordre et désignent ces fauteurs de
troubles minoritaires, mais aussi, selon le prisme primaire classique de la responsa-
bilité collective, l’ensemble de leurs communautés qui pourtant, majoritairement, ont
assimilé les valeurs d’ordre tranquille de ces sociétés, comme abusant de la géné-
rosité de leurs systèmes de protection sociale et comme les menaçant. C’est ainsi
que la Suède a pour la première fois de son histoire, porté une coalition soutenue par
l’extrême droite au pouvoir le 18 octobre 2022 et que celle-ci est de retour en Finlande
depuis le 20 juin dernier. Quant au Danemark, sa première ministre sociale-démocrate
semble devoir son pouvoir, au fait d’avoir fait sienne cette analyse politique.
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Qu’en est-il réellement ?

II- 
LES TRAITS FONDAMENTAUX DES SYSTÈMES DE
PROTECTION SOCIALE DES PAYS NORDIQUES
II.1/ L’État-providence nordique

L’État-providence, qui est au cœur de l’identité sociale-démocrate nordique, s’y est


mis en place pour l’essentiel à partir de l’arrivée au pouvoir de celle-ci dans l’entre-
deux-guerres, à une époque où ces pays, à l’exception peut-être du Danemark, étaient
plutôt en proie à une forte émigration depuis le XIXe siècle. Ainsi en Suède, entre 1850
et 1930, 1,5 million de Suédois émigrèrent - soit le tiers de la population suédoise
au cours de cette période - pour l’essentiel aux États-Unis, ce dont a rendu compte
Wilhelm Moberg dans son monumental ouvrage La Saga des émigrants.
Cette protection sociale n’a donc pas été calibrée en fonction de la nécessité de
protéger ces systèmes des risques potentiels liés aux phénomènes migratoires.
La philosophie qui sous-tend le système suédois, mais qui vaut aussi pour les autres,
est celle qui a été formulée par son deuxième premier ministre social-démocrate,
Per-Albin Hansson (1932-1946), le Folkhemmet (le foyer du peuple), dans un discours
prononcé le 18 janvier 1928, appelant à l’avènement en Suède d’une grande « maison
harmonieuse1… où régnerait l’égalité, la bienveillance, la coopération et la solidarité »
et où, en filigrane, la « lutte des classes » serait reléguée aux « poubelles de l’His-
toire », le drapeau bleu et jaune de la Suède se fondant avec le drapeau rouge du
mouvement ouvrier. Certes, le « folk » dont il s’agit, comme le précisent Henrik Berg-
gren et Lars Trädgård dans leur ouvrage La Théorie suédoise de l’amour-individualisme
et confiance sociale dans la Suède moderne, « se réfère en premier lieu au “demos” et
secondairement seulement à l’“ethnos”, c’est-à-dire moins à une Suède définie comme
une communauté ethnique ou raciale, que comme une communauté démocratique »2.

1 Lire, selon mon interprétation personnelle : « la maison Suède ».


2 Op.cit., page 319.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Cette social-démocratie est donc plutôt un socialisme national, que le national-so-


cialisme qui accédait au même moment au pouvoir en Allemagne. Mais la nuance
n’est peut-être pas totalement dépourvue d’ambiguïté, si l’on songe au titre d’un autre
texte fameux de ce même Per-Albin Hansson, écrit en 1926 : « La Suède aux Suédois
- les Suédois pour la Suède » (Sverige åt svenskarna – svenskarna åt Sverige). Bref, le
travailleur suédois héros de ces temps nouveaux, est avant tout alors un Nordique
de type viking, comme celui qu’a illustré en famille à la même époque en 1927, Olle
Hjortzberg3 et qui trône en majesté dans le hall d’accueil du siège de la confédération
syndicale suédoise des cols bleus, « LO ».
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3 Le même est également l’auteur de l’affiche des Jeux olympiques de Stockholm de 1912, qui évoque
furieusement « les dieux du stade » que célébra en 1936 Leni Riefenstahl.

• 109
LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS NORDIQUES :
QUEL IMPACT SUR LEURS SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE ?

Par conséquent, les systèmes de protection sociale des pays nordiques ont été
conçus pour des sociétés alors homogènes, où le principe de non-discrimination a
toujours été fondamental et qui ne comportent donc que très rarement des disposi-
tions visant à favoriser leurs ressortissants ayant un « native background », par rapport
à ceux au « foreign background », selon la terminologie retenue par leurs instituts
statistiques nationaux, dans la mesure où ce cas de figure était alors inexistant. Les
seules exceptions en la matière, qui s’expliquent plutôt par le caractère universaliste
de ces systèmes, sont relatives aux prestations non contributives, sous conditions de
ressources, d’assurance-vieillesse, invalidité (en cas d’incapacité partielle ou totale
de travail) et survivants, qui sont proratisées en fonction du nombre d’années de rési-
dence depuis l’âge de 15 ou 16 ans, selon les cas, dans ces pays. Ainsi, en Suède, pour
percevoir l’équivalent de notre minimum vieillesse (la garantipension), à 66 ans depuis
cette année, il faut avoir résidé au moins trois ans en Suède et à défaut de quarante
ans de résidence en Suède depuis l’âge de 16 ans, son montant est proratisé. Il en
est de même pour la rente d’invalidité non contributive (garantiersättning), ou pour
la pension de survivant non contributive (garantipension till omställningspension), qui
n’est versée que pendant douze mois et proratisée en fonction des trois à quarante
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années de résidence effectives du défunt.
Des restrictions semblables existent : au Danemark (rente d’invalidité, ou pension
« nationale » (folkepension), sous condition de trois années de résidence à partir de
l’âge de 15 ans pour les ressortissants de l’UE/EEE et Suisse, et de dix ans pour les
autres étrangers, dont les cinq dernières années ; en Finlande (pension nationale et
rente d’invalidité « kansaneläke », à condition de trois ans de résidence à compter
de 16 ans et au taux plein pour 80 % du temps de résidence entre 16 et 65 ans, soit
quarante ans). En revanche, ces conditions de résidence ne semblent pas exister en
Norvège, où le seul critère pris en compte semble être la durée d’assurance. Cela
dit, quand on émigre, sous quelque motif que ce soit, on est généralement jeune, si
bien que les cas où des immigrés sont ainsi susceptibles d’être réellement pénalisés
doivent rester exceptionnels.

II.2/ Les systèmes de protection sociale nordiques, en résumé

Voici en quelques faits et chiffres le cadre de la protection sociale « nordique », où


cohabitent :
 des systèmes beveridgiens, donc essentiellement fondés sur la résidence
(et non l’assurance) et financés par l’impôt, plutôt que par les cotisations,
sauf pour les retraites et l’assurance-chômage contributives ;
 des systèmes universalistes, donc plus simples en termes d’organisation
et de réglementation, sauf là encore, pour les retraites et le chômage
contributifs ;
 des droits aux prestations ouverts sans condition de ressources, pour
l’essentiel ;
 des prestations obligatoires en espèces, gérées par au maximum deux à
quatre agences d’État, selon les pays, voire une seule pour les salariés
en Norvège ;

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

 des prestations en nature et d´aide sociale (aide alimentaire et aide au


logement) financées et gérées par les collectivités décentralisées (régions
et communes), la santé étant de la compétence des régions et le social des
communes ; :
• Suède : 21 régions et 290 communes,
• Danemark : 5 régions et 98 communes,
• Finlande : 21 comtés (créés en 2023) et 309 communes,
• Norvège : 11 comtés et 356 communes,
 sauf en Norvège, où elle est obligatoire et donc gérée par l’État, une
assurance-chômage contributive facultative, financée exclusivement par
les salariés et gérée par des fonds d’assurance-chômage syndicaux, ou
assurantiels ;
 malgré l’importance extrême des partenaires sociaux, ceux-ci n’y cogèrent
pas la protection sociale légale, seules les retraites complémentaires
conventionnelles l’étant paritairement ;
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 pour les risques autres que le chômage et la retraite, des prestations en
nature, plutôt qu’en espèces ;
 des prestations majoritairement assurées par le public et en régie
publique ;
 une sorte de « revenu universel », pour les jeunes qui étudient, ainsi qu’en
Suède pour toute formation au cours de la vie professionnelle ;
 des systèmes de protection sociale qui ne connaissent pas le déficit, sauf
circonstances très exceptionnelles, ce qui évite la mise en cause des
immigrés sur ce plan, et ciblés en termes de priorités, sur la parentalité et
la dépendance.
 Dépenses publiques en prestations familiales, en pourcentage du PIB :
• Suède et Danemark (en 2017) : 3,4 % ;
• Finlande (en 2017) et France (en 2018) : 2,8 %.
 Dépenses publiques relatives à l’incapacité, en pourcentage du PIB (source :
OCDE) :
• Danemark (en 2019) : 4,9 % ;
• Suède (en 2019) : 3,8 % ;
• Finlande (en 2019) : 3,2 % ;
• France (en 2018) : 1,7 %.

III- 
LA QUESTION MIGRATOIRE EN CHIFFRES, CHEZ LES
NORDIQUES AUJOURD’HUI
La donne a depuis radicalement changé, ces pays étant devenus des pays d’immi-
gration, depuis la fin de la guerre pour le groupe scandinave, ainsi que depuis l’effon-
drement de l’URSS, pour la Finlande.

• 111
LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS NORDIQUES :
QUEL IMPACT SUR LEURS SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE ?

C’est particulièrement vrai pour les pays scandinaves depuis leur accession à la
prospérité, et pour ce qui est de la Suède en particulier, et à un degré moindre pour
la Norvège, au moins jusqu’en 2016, du fait de leur générosité en matière d’asile.
La Finlande pour sa part, est restée encore longtemps un pays d’émigration, essen-
tiellement vers la Suède, du fait des liens très étroits qu’entretiennent ces deux pays
depuis plus d’un demi-millénaire : entre 1960 et 1980, 300 000 Finlandais, majoritai-
rement de la minorité suédophone, y ont émigré. Quant à l’immigration intervenue en
Finlande depuis 1990, elle est à un tiers le fait des finnophones devenus russes en
1940, lors de l’annexion de la Carélie par l’URSS, comme des Estoniens, linguistique-
ment proches des Finnois.
Sur ce plan, les situations sont donc loin d’être homogènes et les pays qui semblent
les plus fermés sur la question ne sont d’ailleurs pas forcément ceux où la population
immigrée est la plus importante numériquement.

Volumes de population dans les pays nordiques


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et ceux dont Extra-
dont
Population l’un des européens
Population ceux de
immigrée (1)/(2) parents au parmi la
totale (1) nationalité
(2) moins est population
étrangère
étranger immigrée (*)

Finlande
5,578 M 441 031 7,9 % 367 417 76 614 38,7 %
(2020)

Suède
10,52 M 2 827 122 26,87 % 865 256 816 209 57,6 %
(2022)

Norvège
5,5 M 979 254 17,8 % 790 497 188 757 52 %
(2020)

Danemark
5,82 M 807 169 15,4 % 614 353 192 816 63,96 %
(2020)

(*) Russie exclue.


Sources : Instituts statistiques nationaux (Finlande : www.stat.fi ; Suède : www.scb.se ; Norvège : wwb.ssb.no ;
Danemark ; www.dst.dk).

Le périmètre considéré par les instituts statistiques des pays nordiques pour
mesurer leur population immigrée englobe les résidents nés à l’étranger, y compris
éventuellement naturalisés (la « première génération »), et ceux nés d’au moins un
parent étranger (la « seconde génération »). Dans le tableau qui précède, seuls les
chiffres pour la Suède incluent également les personnes naturalisées. Pour la France,
le chiffre correspondant est évalué par François Héran à environ 20-21 % au 1er janvier
2022 : 10,3 % de la population au 1er janvier 2022 pour le premier groupe et « des
effectifs… du même ordre de grandeur »4 pour le second groupe.
S’agissant de l’immigration clandestine, par définition, celle-ci est plus hasar-
deuse à cerner, mais si l’on se fie à la perception qu’on peut en avoir visuellement,

4 François Héran, Immigration : le grand déni, page 19, La République des idées, Seuil.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

concernant les personnes en errance ou sans domicile fixe rencontrées dans l’es-
pace public, elle semble plutôt limitée. On peut tenter de l’approcher dans le cas de la
Suède, qui est le pays ayant la plus forte proportion d’immigrés, par une opération de
comptage du même type que celui effectué par le Grand Paris lors de « La nuit de la
solidarité », organisée pendant vingt-quatre heures par les services sociaux de la Ville
de Stockholm, les 25 et 26 septembre 2022 : il y avait alors 2 528 SDF sur la commune
de Stockholm, ce qui à l’échelle démographique du Grand Paris, qui est 2,13 fois plus
peuplé, équivaudrait à 5 384 SDF, alors que la Ville de Paris dispose de 16 000 places
d’hébergement d’urgence et que l’État y finance en outre 57 000 autres places, soit au
total en réalité une proportion 13,55 fois supérieure.

IV- UN IMPACT SIGNIFICATIF SURTOUT SUR L’ASSURANCE-


CHÔMAGE ET À UN DEGRÉ MOINDRE, SUR LES POLITIQUES
LIÉES À LA FAMILLE
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Compte tenu du profil de la population immigrée extra-européenne, a priori plutôt
jeune, arrivée depuis les années 2000, celle-ci ne paraît pas susceptible encore, de
peser négativement sur les comptes de la santé ou des retraites.
En revanche, cette même population est handicapée, compte tenu d’un niveau
de qualification souvent moindre, pour s’insérer sur un marché du travail hautement
compétitif et du fait de la barrière de la langue.
Ainsi, en Suède, le taux de chômage parmi la population active des 15-74 ans au
sein de celle-ci s’établissait à 16,1 % en 2022, contre 4,7 % pour la population active
correspondante née en Suède, soit quatre fois plus, pour un taux de chômage qui aura
été en moyenne de 7 % l’an dernier (il s’établissait à 6,3 % en juillet 2023). Parmi ces
chômeurs nés à l’étranger, le taux de chômage était alors de 25 % pour ceux nés en Asie
et de 29 % pour ceux nés en Afrique. Après la crise migratoire de 2015-2016, qui a vu
la Suède accueillir au cours de ces deux années environ 190 000 demandeurs d’asile,
la proportion des chômeurs nés à l’étranger dans le total des chômeurs enregistrés est
passée de 10 % en 2000 à 45,3 % en juin 2023. Enfin, dans le total des chômeurs, le taux
des chômeurs de longue durée est un peu supérieur à 50 %, parmi lesquels la population
née à l’étranger doit être prépondérante. Il convient cependant de relativiser l’impact
financier qui en résulte pour les dépenses de chômage indemnisé, car seuls 53,4 % de
ces chômeurs sont à la charge d’un des fonds d’assurance-chômage, au titre d’un droit
à des allocations contributives et parce que pour bénéficier d’allocations non contribu-
tives, il faut avoir travaillé au cours des six derniers mois en Suède et des douze derniers
mois au Danemark. Aussi, la majeure partie de ces chômeurs d’origine immigrée relève
plutôt vraisemblablement de l´aide sociale à la charge des communes.
Sur le plan de la natalité, la plus grande jeunesse de la population immigrée
extra-européenne en particulier ainsi que les modèles familiaux culturels de référence
de cette dernière jouent logiquement en faveur d’une fertilité plus élevée parmi les
femmes nées à l’étranger, que parmi celles nées dans les pays nordiques, ce qui est
particulièrement perceptible en Suède, avec forcément une incidence sur leur part
dans l’accès aux dispositifs d’aide à la parentalité, proportionnellement plus élevée.
Ainsi, le taux de fécondité des premières se situe à 1,85 en 2021, contre 1,62 pour les
secondes, le taux moyen se situant actuellement autour de 1,7.

• 113
LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS NORDIQUES :
QUEL IMPACT SUR LEURS SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE ?

V- MAIS UN IMPACT EN VOIE DE « NORMALISATION »


Avec une conjoncture qui est redevenue porteuse depuis la sortie de la pandémie
de Covid-19, même si la poursuite de la guerre en Ukraine fait planer des incertitudes
sur son évolution, le chômage reflue, et en Suède il est tombé en juillet 2023 à son plus
bas niveau depuis 2009. Cette évolution se constate aussi bien chez les immigrés, que
dans la population générale, si bien que l’écart du taux d’emploi des 20-64 ans, entre
la population active née Suède, ou à l’étranger, s’est à présent fortement réduit, ce taux
passant de 79,9 % en 2006 à 86 % à présent, pour ceux nés en Suède, tandis que celui
des personnes nées hors de Suède passait sur la même période, de 63,7 % à 75,1 %,
malgré l’ampleur de la vague de demandeurs d’asile absorbée en 2015-2016. Plus
remarquable encore, leur taux d’emploi a réussi à se maintenir et même à progresser
légèrement au cours de cette période et connaît une forte accélération depuis 2020.
Les pénuries d’emploi atteignent actuellement des niveaux records dans la plupart
des secteurs, la population en âge de travailler des 20-64 ans nés en Suède diminuant.
Par conséquent, l’agence de l’emploi suédoise, Arbetsförmedlingen, attribue princi-
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palement à la population née à l’étranger l’amélioration de la population active et de
la population employée. L’institut de la statistique suédois, SCB, estime qu’il faut en
moyenne quatre ans à la population immigrée au titre de l’asile pour s’insérer dura-
blement dans l’emploi.

Évolution des taux d’emploi selon le critère « nés en Suède » vs « nés à l’étranger »

Source : SCB et article du Dagens Nyheter du 11 mai 2023.

Quant au Danemark, avec un taux de chômage enregistré qui est tombé à 2,8 %
en juillet 2023, il paraît difficile d’imaginer que la population immigrée pèse fortement
sur ce plan, actuellement.
Il en va de même concernant la fécondité. À l’occasion du « Jour de la Famille »,
le 15 mai dernier, le bureau régional d’information des Nations unies pour l’Europe a
publié un communiqué intitulé « Les taux de fécondité des pays nordiques en chute
continue ». D’après l’INED, l’indicateur conjoncturel de fécondité de ces pays se situait
en 2021 à : 1,72 pour le Danemark, 1,67 pour la Suède, 1,55 pour la Norvège et 1,46

114 •
DÉCEMBRE 2023 • N°62

pour la Finlande, à comparer à 1,84 pour la France. Toutefois, l’institut de la statistique


suédois (SCB), dans une publication du 7 avril 2022, relève qu’en ce qui concerne le
taux de fécondité des femmes nées en Suède, après dix années de déclin continu,
celui-ci vient de repartir à la hausse en 2021 et cette tendance semble se maintenir
en 2022. A contrario, celui des femmes nées à l’étranger ne cesse d’évoluer à la baisse
depuis 2015, et ce, là encore, malgré le très fort afflux de demandeurs d’asile de 2015-
2016, passant de 2,2 en 2015 à 1,85 actuellement.

Taux de fécondité par pays de naissance des mères, en Suède, entre 2000 et 2021
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Note : « Foreign born » nées à l’étranger, « Native born » nées en Suède

VI- LE « MODÈLE DANOIS » VA-T-IL VRAIMENT FAIRE ÉCOLE,


AU-DELÀ DES DISCOURS ?
Au Danemark, le type « Dame de fer » paraît plutôt bien porté, qu’il s’agisse de
la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, ou de l’actuelle
première ministre, Mette Frederiksen. Cela doit être le côté britannique des Danois,
qui dans l’UE ont toujours été aussi très frileux contre tout transfert de souveraineté
ou menace contre celle-ci, ayant obtenu des opt-out concernant l’euro, la citoyen-
neté européenne, la coopération policière et judiciaire et en matière de politique de
défense commune, jusqu’à ce qu’ils finissent par y renoncer sur ce dernier point, par
un nouveau référendum organisé en 2022, à la suite de l’agression de la Russie contre
l’Ukraine. Mme Frederiksen tient sur l’immigration des propos qui « décoiffent »
pour une sociale-démocrate, tels que : « avoir pour objectif politique “zéro deman-
deur d’asile” » et « faire en sorte qu’aucun demandeur d’asile n’ait envie de venir
au Danemark ». Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, elle expulse périodiquement
des demandeurs d’asile syriens vers leur pays d’origine, considérant que Damas, ou
Alep, y sont des villes « sûres » et s’emploie à négocier, jusqu’ici sans succès, avec le
Rwanda ou l’Érythrée, un accord en vue d’y transférer les demandeurs d’asile, pour y
procéder dans ces pays à l’examen de leurs demandes.
À ce titre également, son précédent gouvernement - dont le ministre de l’Immi-
gration et de l’Intégration, à l’époque, était Mattias Tesfaye, qui a pour père un réfugié
éthiopien du Tigré - a maintenu la réforme de l’aide sociale « kontanthjaelp », mise
en place peu auparavant par le précédent gouvernement de centre droit, applicable

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LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS NORDIQUES :
QUEL IMPACT SUR LEURS SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE ?

théoriquement à l’ensemble de la population, y compris les nationaux danois, mais


qui vise en fait très clairement les immigrés extra-européens, soupçonnés d’abuser
du système de protection sociale danois. Celle-ci conditionne l’accès à cette aide à une
résidence préalable au Danemark ou dans un pays de l’UE/EEE/Suisse, d’une durée
qui a été portée par le gouvernement de Mme Frederiksen de sept ans au cours des
huit dernières années, à neuf ans au cours des dix dernières années, et à y avoir
travaillé au cours de cette période au moins deux ans et demi. Au bout de douze mois
de perception ininterrompue de cette aide, les intéressés doivent pouvoir justifier avoir
effectué au moins 225 heures de travail « ordinaire » au cours de l’année précédente.
Pour ceux dont la durée de résidence est inférieure, a été créée une « allocation d’au-
tonomie et de rapatriement, ou allocation de transition » (selvforsøgelses - og hjemre-
jseydelse eller overgangsydelse), dont le montant est inférieur, et soumise à la même
condition de durée de travail en cas de prolongation.
Les sociaux-démocrates danois justifient ce positionnement sans état d’âme
en matière migratoire, par le souci de préserver le haut niveau de l’État-providence
au Danemark.
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Ce nouveau cas d’école est considéré avec un intérêt croissant par certains respon-
sables politiques d’autres pays européens, y compris son voisin, le nouveau premier
ministre suédois, Ulf Kristersson qui, bien que leader d’un parti « bourgeois », contrai-
rement à son homologue danoise dont le parti est ici qualifié de « rouge », selon la
terminologie locale, a lors de sa première visite au Danemark découvert avec fascina-
tion l’« agence du rapatriement » (Hejmrejsestyrelsen) créée par sa collègue le 1er août
2020, déclarant que la Suède avait décidément beaucoup de « retard » sur ce plan.
Dans la foulée, sa ministre des Migrations (son prédécesseur était lui, également
ministre de l’Intégration), Maria Malmer Stenergard, du même parti « modéré » de
tendance conservatrice, a présenté les nouvelles priorités de son gouvernement
soutenu par le parti d’extrême droite des Suédois démocrates (SD), qui n’y participe
cependant pas, lors d’une conférence de presse le 24 janvier 2023, au démarrage de
la présidence suédoise de l’UE, qui était co-animée par le leader des SD au parlement,
Henrik Vinge, lequel a déclaré que la Suède ambitionnait désormais de devenir « le
pays le moins attractif d’Europe »5.
Pour ce faire, l’accord dit « de Tidö », qui régit le programme de travail de l’ac-
tuelle coalition gouvernementale, prévoit notamment que la Suède n’appliquera plus
en matière d’asile que les règles minimales prévues par le droit international ou euro-
péen. Dans la pratique, cela ne devrait pas fondamentalement changer la donne pour
la Suède, les seuls points où elle semble actuellement plus généreuse concernant
les regroupements familiaux de demandeurs d’asile, pour lesquels elle accorde la
même durée qu’au demandeur d’asile, alors qu’elle pourrait se limiter à trois ans et
parce qu’elle n’exige pas que les membres de famille soient couverts par une assu-
rance-santé, comme elle en aurait la possibilité. De même, elle ne procède pas non
plus au regroupement des demandeurs d’asile dans des centres de transit, comme la
possibilité en est prévue par les directives européennes, mais l’accord de Tidö a acté
qu’il en serait ainsi à l’avenir.

5 « La Suède veut devenir ”le pays le moins attractif d’Europe » pour dissuader les demandeurs d’asile », article
du 25 janvier 2023, de la correspondante du Monde dans les pays nordiques, Anne-Françoise Hivert.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Pour lutter contre l’immigration de main-d’œuvre à bas coût, afin de rendre celle-ci
plus coûteuse pour les recruteurs et espérer ainsi inciter les immigrés au chômage à
combler les emplois non pourvus, le gouvernement a fait voter fin novembre dernier
une loi relevant le salaire mensuel minimum pour l’introduction de main-d’œuvre étran-
gère de 13 000 SEK actuellement (1 120 euros) à 80 % du salaire médian (34 200 SEK,
soit 2 980 euros), soit 27 360 SEK (2 383 euros), ce qui correspond à une augmentation
de 110 %. Cette loi a été également votée par les sociaux-démocrates, dans la mesure
où ceux-ci avaient prévu quant à eux, dans les mois qui ont précédé le changement de
gouvernement, de porter ce minimum à 30 000 SEK. Cette loi ne sera pas rétroactive
et s´applique depuis le 1er novembre. Les employeurs, aussi bien publics (les régions
et les communes sont chargées de la santé et du social) que privés et Irene Wennemo,
la directrice générale de Medlingsinstitutet, l’agence nationale de médiation en cas de
conflits dans l’application des conventions collectives, qui est aussi chargée de contri-
buer à des processus de fixation de salaires adéquats, doutent de l’effet de substitution
attendu et craignent que cela n’aggrave encore les difficultés de recrutement, alors
que les pénuries de main-d’œuvre se font sentir dans de nombreux secteurs, dont
ceux de la santé et des soins. Ils font valoir que les employeurs ne se lanceraient pas
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dans des processus compliqués visant à recruter des employés compétents à l’autre
bout de la terre s’ils pouvaient les trouver sur place, et qu’au contraire ces mêmes
recrutements contribuent à la création d’emplois supplémentaires. D’après ce qu’in-
diquent les chiffres de Medlingsinstitutet, il semblerait que ce nouveau plancher soit
aussi supérieur à ce que prévoient plus d’une centaine de conventions collectives sur
les 500 existantes. Face à cette levée de boucliers, le gouvernement envisage d’intro-
duire des dérogations pour certains secteurs par rapport au nouveau plancher prévu.
Quant au ministre de l’Emploi, Johan Pehrson, chef du parti libéral (L), il a déclaré
que le gouvernement avait chargé une commission d’enquête de lui remettre des
propositions d’ici janvier prochain, afin qu’un projet de loi puisse être soumis pour
débat au parlement à l’été prochain, visant à pouvoir contraindre les chômeurs à
déménager vers des régions même difficiles, en termes de conditions de travail et de
vie, comme la Laponie, où de nombreuses opportunités d’emploi se font jour.
En Finlande, pays qui regarde souvent vers la Suède, le nouveau gouvernement
issu des élections de la mi-juin dernier, de même tendance que son homologue
suédois, envisage des mesures de même nature, mais qui pourraient être encore plus
draconiennes.
On le voit, la voie de l’asile n’a pas le vent en poupe, ce qui paraît en fait au moins
autant imputable à l’absence d’accords de principe sur une répartition équitable des
intéressés entre États membres au sein de l’UE, qu’à l’air du temps xénophobe. Cette
fixation paraît toutefois largement fantasmatique, dans la mesure où depuis 2015,
le nombre de demandeurs d’asile accueillis dans les pays nordiques est en chute
libre : d’après Eurostat, il était en 2021 quasiment nul au Danemark et en Finlande,
et de 11 425 en Suède d’après SCB (contre plus de 100 000 pour la France), chiffres
qu’il convient évidemment de rapporter aux populations totales des pays comparés.
En 2022, sur un total de 141 428 permis de séjour accordés en Suède, il est remonté
à 16 825, ce qui ne représente que 6,4 % des permis de séjour accordés par Migra-
tionsverket, auxquels il faut bien sûr ajouter 47 566 Ukrainiens accueillis au titre de

• 117
LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS NORDIQUES :
QUEL IMPACT SUR LEURS SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE ?

la protection temporaire (33,6 % du total), contre 29,3 % d’autorisations de travail et


10,3 % de visas étudiants. Après la vague d’Ukrainiens en 2022, le total des permis
délivrés au premier semestre 2023 paraît devoir marquer une diminution générale
en 2023, les permis de travail revenant, comme les années antérieures à 2022, en
première position à 38,7 %, suivis par le regroupement familial à 22,5 %, puis l’asile en
incluant les Ukrainiens à 17,45 % et les étudiants à 15,5 %.
On le voit donc aussi, l’immigration de main-d’œuvre continue en fait à un rythme
soutenu, dans tous ces pays en proie aux pénuries de main-d’œuvre, du fait du vieillis-
sement démographique croissant. Cette situation est encore plus marquée au Dane-
mark où, en 2022, les nouvelles entrées au titre du travail sont en augmentation de
24 % par rapport à 2021, ce qui est le nombre le plus élevé depuis que cette statis-
tique a été mise en place en 1997 et où le nombre de permis de travail délivré à des
non-UE, qui s’est élevé à 21 000, est en augmentation de 40 % par rapport à l’année
précédente. Au total, 176 300 personnes, soit un quart des détenteurs de permis de
résidence, le sont à titre professionnel. Dans la pratique, les gouvernements actuels
de ces trois pays membres de l’UE, compte tenu de leur orientation politique, sont
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contraints d’être à l’écoute des patronats locaux, qui sont une composante impor-
tante de leurs électeurs, lesquels poussent fortement pour alléger au maximum les
contraintes administratives en matière d’introduction de main-d’œuvre. C’est ainsi
qu’en juin 2022, le gouvernement de Mme Frederiksen a dû se résoudre, au grand dam
sans doute de sa base électorale, dont les membres de la grande confédération syndi-
cale FH, à abaisser le salaire annuel minimal pour le recrutement de travailleurs non
européens, de 60 229 euros à 50 414 euros, soit 4 201 euros par mois, ce qui même
en tenant compte du coût de la vie au Danemark, reste une rémunération attractive.
Il est intéressant de relever à cet égard que les patronats locaux contestent cet
empiétement de leurs gouvernements en matière de fixation de salaires, compétence
en principe exclusive des partenaires sociaux et il est intéressant de relever à cet égard
que, a contrario, ces mêmes gouvernements livrent par ailleurs des batailles farouches
au niveau européen pour s´opposer à la fixation de salaires minima européens, au nom
de ces mêmes principes.

VII- EN RÉALITÉ, CE QUI FRAPPE AVANT TOUT SUR CE PLAN,


COMPARATIVEMENT À CE QUI PEUT PRÉVALOIR AILLEURS
LE PLUS SOUVENT, CE SONT LES REMARQUABLES
MOYENS MIS EN ŒUVRE POUR ASSURER UNE
INTÉGRATION RAPIDE
Cela est particulièrement notable sur le plan linguistique. Ainsi, en Suède, les
communes ont l’obligation d’offrir à tous les immigrés en situation régulière, là
encore sans condition de ressources, un accès gratuit à un programme d’apprentis-
sage du suédois, spécialement conçu pour les étrangers, SFI (Svenska För Invandrare,
« suédois pour les étrangers »), puis au programme plus avancé SVA (Svenska Andra
språk, « suédois seconde langue »), à raison d’environ sept heures par semaine et
ce aussi longtemps que nécessaire. Là encore, l’actuel gouvernement estime que la
Suède est trop généreuse et envisage donc d’en réduire la durée à quatre ans, qui

118 •
DÉCEMBRE 2023 • N°62

pourraient être exceptionnellement prolongés d’un an. Il en va de même au Danemark,


où les étrangers en situation régulière ont droit, à la charge des communes, à cinq ans
de cours de danois gratuits. En revanche, l’équivalent n’existe pas en Norvège, ni en
Finlande. Néanmoins, dans ces 2 pays, il existe des sites pour faciliter l’intégration des
étrangers, qui sont accessibles au minimum en anglais. En Finlande, ce site6 est même
accessible, en dehors des deux langues nationales et de l’anglais, en : russe, estonien,
ukrainien, français, espagnol, turc, chinois, farsi et arabe.
De même en Suède, la plupart des sites des institutions sanitaires, sociales et
d’emploi sont accessibles dans les dix, voire seize langues des principales commu-
nautés immigrées, et il en va de même pour les principales campagnes d’information
d’intérêt général (cela a été en particulier le cas, lors de la pandémie de Covid-19).

Affiche de promotion des formations à la connaissance de la société suédoise et à


la vie pratique, à l’initiative de la région de Stockholm, dans les principales langues
de l’immigration récente : somalien, tigriné, farsi et arabe, ainsi bien sûr qu’en
suédois et anglais.
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Il en va aussi ainsi de manière frappante en matière d’accès à des logements


sociaux toujours décents et qui ne sont jamais sinistres, même dans les banlieues les
plus défavorisées.

6 Pour la version française : www.infofinland.fi/fr

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LA QUESTION MIGRATOIRE DANS LES PAYS NORDIQUES :
QUEL IMPACT SUR LEURS SYSTÈMES DE PROTECTION SOCIALE ?

VIII- EN DÉFINITIVE, MÊME S’IL Y A DES RATÉS, L’INTÉGRATION


NE MARCHE PAS SI MAL QUE ÇA DANS LES PAYS
NORDIQUES

A priori, compte tenu des défis à surmonter en termes de langues, comme de


rudesse du climat, les pays nordiques ne paraissent pas la destination la plus évidente
pour s’enraciner, quand on songe aux pays d’origine qui sont à la source actuellement
des phénomènes migratoires.
Et pourtant, les exemples sont nombreux, célèbres ou anonymes, d’intégrations
réussies dans les pays nordiques, que l’on pourrait citer. Résidant en Suède, ceux qui
me viennent à l’esprit sont Suédois et j’en retiens trois, emblématiques, parmi eux :
Jilla Mossaed, Jacques Kangulungu Mwepu et Ahmed Abdirahman.
La première est l’une des sept femmes membres de l’Académie suédoise, qui en
compte dix-huit et décerne le prix Nobel de littérature, et la seule d’origine étrangère :
elle est née à Téhéran.
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Le second est né en RDC et arrivé il y a vingt-cinq ans, à l’âge de 33 ans, comme
réfugié en Suède, qu’il avait choisie comme terre d’asile, en songeant à Dag Hammars-
kjöld, qui avait été assassiné dans son pays, et à Olof Palme, pour son combat contre
l’apartheid. Il est maintenant le directeur de la prison la plus importante de Suède,
celle de Kumla à Närke, dans la région d’Örebro, au centre de la Suède.
Le troisième, 38 ans, est arrivé de Somalie à l’âge de 7 ans, encore analphabète.
Il est aujourd’hui, comme fondateur de la fondation Global Village et de « La Semaine
de Järva », qu’il a également fondée dans une des banlieues immigrées du nord de
Stockholm, qui est une sorte de grand évènement alternatif de « La Semaine d’Al-
medalen » fondé par Olof Palme, qui se tient le mois suivant, sur l’île de Gotland, très
courue l’été, une des personnalités médiatiques les plus en vue de ce pays, au point
qu’on le surnomme « Ahmed Svensson » (patronyme équivalent à notre Dupont).
Au cours de « sa semaine », il réussit à faire venir pour débattre en public, comme
c’est aussi le cas à Almedalen, des leaders de tous les partis qui siègent au Riksdag (le
parlement), y compris du parti Suédois démocrates (SD), ainsi que des dirigeants de
grandes entreprises et des intellectuels.

IX- CONCLUSION
Les pays nordiques ne sont pas sans défauts, mais gagnent à être mieux connus
que la caricature qui en est parfois donnée, en matière d’exemplarité pour les efforts
qu’ils déploient pour intégrer les « nouveaux venus », comme l’exprime précisément le
terme souvent employé en Suède pour désigner les immigrés : newcomers.
En tout état de cause et contrairement à ce qui fonde l’argumentaire des sociaux-dé-
mocrates danois, les migrants que les Nordiques ont accueillis, détiennent sans doute
une « clé » de la sauvegarde de leurs systèmes de protection sociale, compte tenu du
vieillissement démographique en cours dans nos pays de la sphère OCDE.

120 •
DÉCEMBRE 2023 • N°62

La Suède d’aujourd’hui : l’affiche de l’équipe du personnel du supermarché ICA


de Vårberg, une des banlieues les plus défavorisées de la région de Stockholm.
Ils s’appellent notamment : Sergen, Mina, Marija, Niklas, Divar, Kim et Karin.
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Références

Héran, F., Immigration : le grand déni, mars 2023, La République des idées, Seuil.
Berggren, H., & Trädgårdh, L. : The Swedish theory of love - Individualism & Social Trust
in modern Sweden, 2022, University of Washington Press.
Sejersted, F., The Age of social democracy - Norway & Sweden in the 20th century, 2023,
Princeton University Press.
Ther, T., The outsiders – Refugees in Europe since 1492, 2019, Princeton University
Press.
Site du CLEISS : www.cleiss.fr

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