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20/09/2019 09:58
THE TRIBUTE
L’HOMMAGE
LE TRAVAIL DU TRÉPAS
cet élan dionysiaque qui fait que « la vie semble soudain s’exalter » et
ce « feu d’artifice final » n’est pas sans nous exaucer. S’il faut mourir, et il
126 le faut bien, autant mourir, osons, le feu au cul. Je n’ai jamais vraiment
compris pourquoi cette convocation d’une énergie instinctuelle tumul-
tueuse, d’une force universelle primordiale qui envahit puis déborde le
sujet, avait autant fait florès chez les praticiens et, depuis, chez tous ceux
qui travaillent, pensent, créent autour de la fin de vie. L’assurance d’une
élation terminale nous réconforterait-elle ? Mourir ivre nous soulagerait-il
de la rencontre avec la mort ? « La lumière avait remplacé la mort » écrit
Tolstoï aux dernières lignes de sa grande nouvelle La mort d’Ivan Ilitch 8,
le mystère de notre fin exhortera-t-il toujours cette lumineuse épiphanie ?
Convoquerait-on l’ivresse dionysiaque pour éviter le tremblement mais
aussi la fascination de la mort sèche 9 ?
M. de M’Uzan écrit aussi : « L’analyse est pourtant le meilleur moyen de
ne pas manquer cette activité psychique essentielle, ce dernier travail
que tout être doit accomplir au cours de ce passage qu’est littéralement
le trépas » (1977, p. 184). Car d’après lui, « profondément, le mourant
attend qu’on ne se soustraie pas à cette relation, à cet engagement réci-
proque qu’il propose presque secrètement, parfois à son insu, et dont va
dépendre le travail du trépas. En fait, il s’engage, en vertu de ce que j’ima-
gine comme une sorte de savoir de l’espèce, dans une ultime expérience
relationnelle. Par là, il surinvestit ses objets d’amour, car ceux-ci sont indis-
pensables à son dernier effort pour assimiler tout ce qui n’a pas pu l’être
jusque-là dans sa vie pulsionnelle, comme s’il tentait de se mettre complè-
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8. L. Tolstoï, La mort d’Ivan Ilitch (1886), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997.
9. J. Allouch, Érotique du deuil au temps de la mort sèche, Paris, EPEL, 1995.
attention, plus, admiration. Il faut lire cet entretien avec Dominique Cupa,
dans le cadre du Carnet PSY, à la rentrée 2008, pour un dossier sur
la psychosomatique contemporaine 10. Dominique Cupa interroge M. de 127
M’Uzan sur ce fait que la rencontre analytique avec la mort d’un être a
souvent retenu son attention. La réponse de M. de M’Uzan est éclairante :
« Parmi les patients que j’ai suivis qui étaient mortellement atteints, à
brève échéance, j’ai distingué deux catégories : il y a d’une part ceux qui
ne veulent pas mourir, et d’autre part ceux qui veulent continuer à vivre.
Ainsi, un homme souffrant d’un cancer de l’œsophage dont l’issue était
fatale, ce qu’il savait, m’a demandé si j’acceptais de le prendre en psycho-
thérapie analytique, mais par téléphone car il habitait à l’étranger. La cure
a duré trois mois. Eh bien songez que, à la toute fin de sa vie, alors que
sa femme devait tenir le combiné pendant nos échanges, il s’interrogeait
avec moi sur le sens du souvenir d’un soulier à boucle d’argent. Je pense
à tel autre patient. Il savait qu’il allait mourir. À un certain moment où il
exprime son désespoir, je lui ai dit : “Mais on n’est pas là pour geindre, on
est là pour travailler !” et il m’a confirmé : “C’est vrai !” Dans le “travail du
trépas” je cite encore une patiente qui me dit : “Ce n’est pas moi qui suis
malade, c’est l’autre, mais ne croyez pas que je suis schizo.” Nous avons
là, l’illustration de la mise en œuvre d’un clivage qui se met au service
du psychosexuel. Je pense encore à une patiente souffrant d’un cancer
inopérable. Elle venait avec en tête son refus de mourir. Il était parfois
difficile de faire évoluer le “je ne veux pas mourir” en “je veux continuer de
vivre”. »
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LE TRANSFERT
10. D. Cupa, « Entretien avec Michel de M’Uzan », Le Carnet PSY, 127(5), 2008, p. 43-49.
11. M. de M’Uzan, De l’art à la mort, op. cit.
12. Le texte référé date de 1937. Freud a 81 ans quand il écrit cette forme de méditation rétrospective,
aux accents bien pessimistes ; il quitte Vienne en 1938 et meurt à Londres, en 1939.
LA CHIMÈRE
L’INQUIÉTUDE PERMANENTE
19. F. Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1982), Paris, Christian Bourgois éditeur, 1988.