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Présentation d’ouvrages
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Accueillons cette nouvelle publi- véritable base (undercurrent) à ma vie.
cation, ouvrons-lui nos pages, rarement Quant à ce que cela veut dire, cela reste
les livres qui nous arrivent sont porteurs plus vague que jamais ; mais, en tout
d’une telle fraîcheur de pensée, d’une cas, c’est parfois extrêmement excitant,
plume si fructueuse. Les lignes s’en- et parfois extrêmement désagréable. Par
chaînent sans jamais céder à la langue de conséquent je peux dire de façon certaine
bois, à d’inutiles théories, au contraire, qu’il se passe quelque chose. Le Prof.
chacune est d’une large générosité. lui-même est un homme très affable et sa
Pour montrer la richesse de ce performance d’artiste éblouissante. Prati-
livre je propose la lecture de deux de quement, chaque séance est bâtie comme
ses chapitres, le septième et le huitième un tout organique et esthétique. Parfois
– « James et Alix sur le divan de Freud » et l’effet dramatique est absolument stupé-
« James et Alix deviennent traducteurs de fiant. Pendant la première partie de la
Freud ». Nous sommes sidérés par la rapi- séance, tout est flou, une vague allusion
dité avec laquelle Freud confond intérêt par-ci, un mystère par-là, – puis, peu à
personnel et travail clinique. Henriette peu, cela prend consistance. On sent des
Michaud commence par la descrip- choses terribles se dérouler à l’intérieur
tion d’un long voyage vacancier d’Alix de soi, et on n’a aucune idée de ce qui se
et James, composé de plusieurs courts passe ; puis il commence à vous donner
parcours : ils déposent leurs bagages dans une toute petite indication, alors une
une pension dénichée par James où le chose s’éclaire, puis une autre et enfin on
couple découvre une chambre modeste, saisit toute une série de phénomènes ; il
une nourriture médiocre, aux prix inac- vous pose encore une question, vous lui
cessibles à la majorité des Viennois. Mais donnez une dernière réponse – et tandis
un endroit central pour leur analyse avec que toute la vérité se dévoile ainsi à vous,
Herr Professor. Dès leur arrivée, James le Prof se lève, traverse la pièce jusqu’à la
Strachey s’annonce auprès de Freud. sonnette et vous reconduit à la porte.
Ils conviennent d’une rencontre pour Voilà ce qui arrive lorsque cela se passe
le 4 octobre 1920 au 19 de la Bergasse. bien. Mais certaines fois, on reste allongé
Concernant les suites de cette rencontre, toute la séance avec un énorme poids
un mois plus tard, le 6 novembre, James sur l’estomac et on est tout bonnement
écrit à son frère aîné, Lytton : incapable d’articuler un mot. Je pense
que c’est ce qui pousse le plus sûrement il ouvre leur premier volume en y inscri-
à y croire. Lorsqu’on sent réellement vant : “To the Thoughts and Words of
cette “résistance” comme quelque chose
de physique à l’intérieur de soi, on en SIGMUND FREUD
tremble littéralement pendant tout le This Their Blurred Reflection
reste de la journée 1. » Is Dedicated by its Contriver 4”
Plus tard, ce même Strachey écrira
dans sa préface à la Standard Edition, en Luiz Eduardo Prado de Oliveira 5
se référant à son épouse Alix et à lui- en collaboration avec
même : « Voilà près d’un demi-siècle Hélène Schmitt 6
maintenant que nous avons passé deux
années ensemble en analyse chez Freud
à Vienne, où après à peine quelques
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semaines d’analyse il nous demanda
tout soudainement de traduire un texte
qu’il venait d’écrire – “Ein Kind wird
geschlagen” 2. » Encore en 1924, il n’hé-
sita pas à avoir des phrases fortes sur la
psychanalyse : « Je commence à douter
de ce que quiconque ait été, même ne
serait-ce qu’un tout petit peu, analysé.
Au moins, moi, dans tous les cas, je ne l’ai
pas été 3. » Je termine ce compte-rendu en
rappelant un seul élément oublié par
Henriette Michaud, la dédicace faite par
James Strachey, son principal éditeur, à
cet ensemble que sont les vingt-quatre
volumes de la Standard Edition, en effet
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est devenue, l’enfer c’est rien à côté »… ces patients en eux, dans leur chair. Ils
Nous lecteurs occidentaux basculons sont les victimes et les témoins d’une
dans un monde tragique, d’une tragédie « horreur qui glace le sang et la pensée ».
bien réelle qui nous revient par la voix L’analyste écrit aussi : « La cruauté des
du témoignage de celui qui l’a vécu, et se scènes rendues visibles dans les mots
constitue ainsi témoin. confronte à ce que la psyché ne peut ins
Deux grands axes de l’ouvrage crire dans son sillon. Les récits sidèrent,
se suivent, alternativement et parfois bouleversent, révoltent et donnent la
conjointement : le premier interroge la nausée. Le corps de l’analyste devient
barbarie au plus près des réalités géo le réceptacle du cru, de l’inassimilable. »
politiques, de la guerre (en Syrie) et de la A.-L. Stern racontait comment au
clinique. Le second ose questionner notre retour du camp d’Auschwitz, elle est
place et notre fonction d’analyste dans allée voir des analystes. Un premier,
cette clinique du réel aux prises, comme puis un deuxième… Aucun n’a voulu la
pour tout citoyen, avec les images des croire, l’un lui a même répondu qu’elle
informations médiatisées. était complètement folle. Il a fallu qu’elle
L’analyste face à cette clinique nous arrive enfin chez Lacan pour que l’hor-
offre son propre témoignage avec une reur vécue comme une réalité objective
grande authenticité : celle du doute et et non psychique puisse être écoutée et
de l’angoisse qui peut nous saisir quand entendue. Plutôt que de se refermer sur
le réel de l’histoire se fait entendre dans le déni de la parole de l’autre, pour se
le cadre analytique. H. Abdelouahed protéger soi-même peut-être, plutôt que
ose avouer par exemple sa peur avant de dénigrer le discours du patient et s’en-
l’arrivée de certains patients et confie ne fermer dans une passion de l’ignorance,
plus savoir à quoi s’accrocher quand la Lacan a su en tirer un savoir non pas sur
parole ne charrie plus de signifiant, mais mais de ce réel et élaborer sa théorie de
que de l’impensable et de l’insuppor- l’objet a et du signe qui ne trompe pas
table. Autrement dit, quand les mots ne (cette fumée qui sort des camps…).
désignent que des choses qui sont des H. Abdelouahed, dans cette filia-
corps, des corps morts, brûlés, torturés, tion au travail d’A.-L. Stern, va aussi
violés. interroger la destruction, la destruction
de l’humain dans l’homme, celle de la
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la calamité, la discorde que la tentation)
est ici particulièrement fine et riche. Laurence Croix,
Avons-nous besoin de ces mots maître de conférences à l’université
comme le suggère le politologue de Nanterre, ufr spse, attachée au
G. Kepel pour désigner la mort arti- crpms, ihss, université Paris-Cité,
sanale des barbaries orientales et d’un psychanalyste, 18 bd de la Guyane,
autre, Shoah, pour désigner la mort F-94160 Saint-Mandé ; lcroix@orange.fr
industrielle de la barbarie nazie ?
Avec l’auteure, nous dirons briè-
vement ici que nous pouvons parler de
ces boucheries ancestrales et artisanales
qui nourrissent l’histoire de l’humanité,
d’un pays, d’un peuple ou d’une famille
sans avoir besoin d’un mot singulier.
La barbarie est une spécificité humaine.
Si tout crime contre l’humanité doit
être reconnu comme un crime d’excep-
tion (depuis la loi de Badinter qui l’a
substitué au parricide comme crime
d’exception), c’est bien pour tenter de
préserver justement l’humanité. Le mot
Shoah désigne non pas une horreur plus
horrible qu’une autre, mais un meurtre
de masse, toujours inédit, par sa tech-
nicisation, un crime contre l’humanité
industrialisé.
Impensables, inimaginables sont
les horreurs qui ont eu lieu et se pour-
suivent en Syrie, en Afghanistan, et
dans tant d’autres pays. Ici l’auteure
ne les évite pas et les traite dans une
seconde partie chapitre après chapitre
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fertile, un livre en six chapitres aussi soli- recueilli dans un camp de réfugiés en
dement argumentés à l’intérieur d’eux- Allemagne, émigré en Israël, avant de
mêmes qu’entrelacés entre eux. Sinon passer quelque temps à Paris et de partir
voyons déjà les titres de ses chapitres : s’établir définitivement à New York.
I – Confusion de langues : Freud, Sa vie, composée d’un amoncellement
Ferenczi et Pankejeff ; II – Limites et d’incidents qui s’empilent sans jamais se
actualité de la technique active ; III – La résoudre, sert à Kupermann pour étudier
Verleugnung : le démenti et les dimen- et discuter le concept de « traumatisme »
sions relationnelles du traumatisme ; chez Ferenczi : « On sait que les victimes
IV – Le tournant de 1928 et les principes de traumatismes psychiques ne trouvent
d’une éthique du soin en psychanalyse ; pas souvent de ressources pour repré-
V – La néocatharsis et la voie sensible senter leur vécu, et ont dès lors recours
de la perlaboration ; VI – Conclusion. à la modalité de la “monstration” en
Dès le début de son livre, pour présence de quelqu’un de significatif
discuter la confusion de langues, syn pour essayer de témoigner, à travers la
tagme définissant ce qu’il faut bien figurabilité (Darstellung), la douleur que
reconnaître comme un concept proposé leur évoque le souvenir irreprésentable »
par Ferenczi, Kupermann évoque la (Kupermann, p. 91).
cure analytique de Sergueï Pankejeff, Cette permanente vivacité clinique
l’homme aux loups, montrant comment fait que ce livre est conseillé à la lecture
Freud est le premier à employer la tech- sans modération. Il procurera un intérêt
nique active qui, pourtant réapparaîtra de lecture similaire à ce que nous
des années plus tard, comme une inven- pouvons deviner comme un intérêt de
tion du seul psychanalyste hongrois. l’écriture pour son auteur. Finalement, la
Plus loin, l’auteur s’intéresse égale- question « pourquoi Ferenczi ? » au-delà
ment au « cas Didier », patient présenté de la réponse « parce que Ferenczi »
aurait eu comme repartie : « Parce que
1. Psychanalyste, professeur à l’Institut de Winnicott, parce que Lacan, parce que
psychologie de l’université de São Paulo nous. »
( usp ), président du groupe de recherches Peu à peu, Kupermann nous aura
Sándor Ferenczi.
montré la psychanalyse contemporaine
2. Préfacé par Jean-François Chiantaretto,
traduit par Fernando Aguiar. comme issue des échanges entre Freud et
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Luiz Eduardo Prado de Oliveira, raines autour du genre, des transiden-
Psychanalyste, Membre d’Espace tités, des changements de genre et/ou de
analytique, professeur émérite sexe au niveau psychique, social, légis-
de psychopathologie, latif et physiologique.
université Paris-Diderot, L’ouvrage est plaisant à lire dans
107 rue Mouffetard, F-75005 Paris ; la diversité et l’ordonnancement des
ledprado@gmail.com chapitres qui surprend au départ mais
met la pensée du lecteur en mouvement
en apportant au fil de la lecture des infor-
mations rigoureuses, des présentations
cliniques d’adolescents et des articula-
tions théoriques extrêmement claires.
Sur le versant de la connaissance,
l’ouvrage permet de découvrir, pour
partie, l’historicisation des questions de
genre – la non-binarité est culturellement
très ancienne – la législation française
actuelle, les modalités des accompagne-
ments psychiques, médicaux, français
des adolescents pris dans des probléma-
tiques de transidentités.
Au niveau sociétal l’ouvrage inter-
roge la question de l’autodétermination
d’un point de vue individuel et collectif,
comme projet, fantasme, tentative
d’exister ou de trouver un autre destin ;
la multiplication des cases (en l’occur-
rence des identités sexuelles et orienta-
tions sexuelles) en termes d’ouverture
ou d’écrasement du vécu singulier et
3. Lettre de Jacques Lacan à Michael Balint,
de différenciation entre insertion et
« La scission de 1953 », Supplément à Ornicar ?,
n° 7, 1976, p. 119. inclusion concernant les luttes collectives
(mouvements lgbti+, mouvements fémi- telle cette équipe qui prenait soin des
nistes). Il nous ouvre aussi de nouvelles vêtements en latex d’un adolescent,
perspectives concernant la filiation, jusqu’à proposer un contenant (un
l’identité et les identifications notam- coffre), reconnaissance pour que puissent
ment via les hommes qui enfantent ensuite se nommer et s’élaborer ses iden-
(portent et accouchent). tités au départ inconciliables.
Cet ouvrage articule de manière De manière théorique et clinique les
éclairante les théorisations freudiennes auteurs nous transmettent les effets des
et lacaniennes à la clinique de l’ado- cheminements identitaires des adoles-
lescent contemporain. Sa subversivité cents, a fortiori transidentitaires, sur nos
s’entend à bas bruit dans son intransi- propres identifications et notre rapport
geance à nous rappeler l’absence d’un à l’œdipe, du côté de nos affects, nos
savoir sur la question sexuelle, ce à quoi fantasmes, nos mouvements transféren-
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sont confrontés et nous confrontent les tiels et notre écoute.
adolescents. De même il ne cède pas L’ouvrage ouvre à des questions de
sur la complexité des identités qui ne langage, de penser les agirs adolescents
peuvent entrer tout entières dans des comme potentialité de parole jusqu’à la
catégorisations qu’elles soient psychia- proposition de déplier le iel contempo-
triques ou anthropologiques du fait rain en il-après-elle, il-ou-elle, qui réin-
même que l’individu est dans un mouve- troduit mouvement de subjectivation et
ment d’identifications tout au long de différence des sexes.
son existence, et que les identifications Reste ouverte la question d’une
ne peuvent se séparer de la relation à nécessaire différence des sexes, fût-elle
l’autre. non genrée et non binaire, pour accéder
La proposition du concept de corps au manque et à la dynamique désirante.
poétique redonne place au corps dans le Si l’adolescence est un temps privi-
vécu singulier, nous ouvre une revisite de légié pour repérer les mouvements psy
Dolto et introduit une réflexion psycha- chiques, les enjeux du côté du corps et
nalytique sur la honte et la clinique du des identifications, il ne faudrait pas que
regard. Les adolescents sont posés de les enjeux du pubertaire et de la réacti-
manière explicitée et argumentée comme vation de la construction infantile nous
avant tout en quête de vérité et de liberté fassent oublier la complexité du corps
et de fait comme créateurs de savoir. et de la pulsion chez l’adulte.
Ainsi la pornographie et son usage sont En tant que psychologue et psycha-
interrogés sur un versant subjectivant nalyste, travaillant depuis quinze ans
comme tenant lieu de voile à l’impossible avec des adolescents, la lecture de cet
de la vérité du sexe. ouvrage m’a donné les éléments néces-
Des extraits de psychothérapies saires pour informer et orienter de jeunes
analytiques nous enseignent la parti- adultes, m’a outillée de représentations
cularité du travail clinique avec les ado- nouvelles qui me permettent de penser,
lescents, où il s’agit d’entendre, d’accom- et d’entendre, autrement des questionne-
pagner et de penser les agirs comme une ments singuliers sur l’identité sexuelle.
parole adressée qui peut amener à poser En tant que femme qui refuse une
des actes pour signifier l’écoute et/ou assignation à un rôle social en fonction
pour soutenir des processus subjectifs de mon sexe, les questions de masculin
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F-67000 Strasbourg ; urgente et clivante du phénomène trans,
nadinebahi@yahoo.fr D a n y - R o b e r t D u f o u r, p h i l o s o p h e
imprégné de culture lacanienne, nous
apporte cette « clarté décisive », dans un
livre conçu comme un véritable manuel
de désidération. Il questionne ce que
peut produire l’offre de changement de
sexe dans ses conséquences anthropo
logiques, philosophiques et civilisa-
tionnelles. C’est un livre rapide, incisif,
reprenant tous les différents et récents
travaux publiés sur la question, dans
une critique dynamique et une lecture
personnelle, remettant les idées au clair
et les points sur les i. Que ce soit :
- De la confusion imposée aujourd’hui
dans le social entre le sexe (biologique),
renvoyant à la réalité de nature humaine
et le genre (psychologique, imaginaire),
lié à la culture et sa réalité discursive.
Depuis les gender studies nord-améri-
caines inspirées de la French Theory fou
caldienne à partir des années 1968 et
sous l’égide de la pensée de Judith Butler,
un déni de la réalité du sexe biologique,
déterminé génétiquement par le chromo-
some architecte sry présent dans un sexe
et non dans l’autre, s’installe et se répand
dans le monde. C’est la diffusion d’une
croyance pratiquement religieuse, que
le genre supplante le sexe dans la défini-
tion de l’identité d’une personne.
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décourager les futurs candidats au chan- l’adolescence et donc hautement influen-
gement de sexe. Un nouveau Marché çable et manipulable. Quel regard porte-
fructueux s’installe donc sous nos yeux, ront les générations futures sur ces
s’appropriant l’intime et la sexualité, en psychanalystes qui se seront faits acteurs
sidérant les individus dans la promesse de la dérive imaginaire et des manipu-
de les sortir de la fatalité de leur condi- lations idéologiques d’une époque ? La
tion sexuée. Il s’agit pour Dany-Robert « drôlerie » d’une époque qui risque de
Dufour d’une dérévolution néolibérale l’être moins sur le réel de ces corps qui
faussement présentée comme révolu- auront été instrumentalisés, déformés,
tion, brandie par certain·es comme Paul mutilés sans espoir de retour, pour des
B. Preciado. Une révolution nécessaire sujets enfants et adolescents non encore
pour iel. dans une pensée qui assimile déterminés dans leur identité sexuelle et
le régime de la différence sexuelle au leur capacité de dire non ?
capitalisme colonial et aspire à d’autres
modalités d’existence croisant l’homme Cette offre fascinante du change-
à la machine, le vivant à l’inanimé, l’hu- ment de sexe conduit donc l’humain à
main au non-humain. Ne s’agirait-il pas une dépendance technologique totale et
d’une confusion entre pulsion de vie et débouchera, si nous n’y prenons garde,
pulsion de mort ? à une nouvelle définition de l’humanité,
- De la question du discours domi- le transhumanisme à l’horizon, plus ou
nant, nouveau discours du Maître plon- moins lointain.
geant le désir du sujet vers le pur besoin
de consommation, dans un déni du Monique Lauret,
ressort sous-jacent : celui du discours Psychiatre, psychanalyste, membre
du capitalisme, dont Lacan a montré, de la spf, Paris, membre de la Fondation
par une simple inversion des places de européenne de la psychanalyse,
l’agent et de la vérité, que ce discours 16 rue Maurice-Fonvieille,
place un individu dans la position illu- F-31000 Toulouse ;
soire de n’être plus divisé. Un discours lauretmonique@wanadoofr
psychotisant qui ne laisse la place qu’au
sujet barré par le signifiant, rejetant la
division subjective et la castration hors
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de Didier Anzieu nous permet en pro ces questionnements. Le texte de Magali
logue de saisir le processus psychana- Ravit nous rappelle René Kaës et ses
lytique de ses enjeux d’enveloppements fonctions contenante (la fonction de
par ses rapports au corps, à l’autre puis réceptacle et de maintien des éléments
à l’ordre symbolique. Denis Mellier déposés) et conteneur (la fonction trans-
introduit ensuite le concept d’enve- formatrice du matériel brut, non symbo-
loppe psychique, dans une perspective lique). L’exemple de Sarah, hospitalisée
critique, réévalué aux problématiques en détention pour infanticide, est boule-
actuelles. versant car il témoigne d’une recherche
Une première partie concerne les désespérée d’accrochages mutuels
souffrances entre corporéité et intersub- concrets (regards, affects, bras), avec la
jectivité. Didier Houzel aborde les résis- nécessité d’un dépôt. Gilles Amado et
tances de chaque patient et ses enjeux à la Dominique Lhuilier resituent ensuite
vie à la mort selon les capacités de méta- la psychopathologie clinique du travail
bolisation de l’analyste. Le lien, entre et du sport, par deux exemples, celui
attachement et enveloppe psychique, de Novak Djokovic qui change de peau
permet à René Kaës de dégager ensuite au vestiaire et celui de Gérard Houiller
la question des enveloppes groupales qui explique ses succès par une réunion
et institutionnelles. Avec les enveloppes matinale quotidienne de l’équipe, entre
ultimes, celles des espaces sociétaux, espaces interstitiels et illusion groupale.
culturels et religieux, politiques, écono- Enfin, la troisième partie débute
miques et écologiques, il discute (p. 52) avec la proposition du regretté Jean-
de « l’impact des méga méta-enveloppes Pierre Pinel, à qui l’ouvrage est dédié par
sur toutes les enveloppes psychiques ». Denis Mellier. Les pathologies narcis-
La deuxième partie de l’ouvrage siques-limites et les enveloppes insti-
regroupe quatre chapitres. Dominique tutionnelles, spécialisées ou ordinaires,
Mazéas aborde avec sensibilité les pre sont questionnées avec les caractéris-
mières formes d’enveloppes par l’émer- tiques de l’enveloppe institutionnelle
gence des processus autistiques, puis selon Didier Houzel (étanchéité, perméa-
elle invite spécifiquement à penser bilité, consistance et élasticité). Lors
l’ajustement respiratoire en séance. Avec d’un groupe d’analyse des pratiques,
Pierre Fédida, elle interroge en séance l’exemple de la passerelle et ses échos
les formes créées en l’air, figurations aux signifiants formels de Didier Anzieu
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loppes corporelles ou groupales et des le politique : un espace de rencontre qui
problèmes d’addiction. L’auteur envi- facilite les échanges et la discussion. L’es-
sage l’enveloppe comme une formation pace commun peut donc se transformer
psychique organisée autour du travail en espace public si autrement investi.
de l’attention, en indiquant les enjeux de Ainsi, à partir du titre, nous voyons
l’accès à l’intersubjectivité. Les éléments clairement que les textes des quatre auteurs
béta seraient à penser tels une anti- vont interroger la place d’un « politique »
enveloppe. La rythmicité conjointe, qui, au lieu de rester « protégé » dans un
vivante, de Victor Guerra apparaît alors lieu, l’Assemblée nationale par exemple,
indispensable des soins psychiques tels redonne à un espace potentiel sa véri-
que ceux portés précocement au bébé table dignité d’espace public, lui reconfère
par son ou ses caregivers, aux fins d’habi sa prérogative de pouvoir politique.
ter le lieu où nous vivons. Redonne, reconfère, car nous savons
Des suites, dans de nombreuses à quel point il s’agit d’une tradition
revues (Psychologie clinique et projec- ancienne, inaugurée par la ville d’Athènes
tive, Dialogue, Divan familial, Revue de et transmise de différentes manières à
psychothérapie psychanalytique de groupe, notre culture occidentale : l’agora repré-
In Analysis, Bulletin de psychologie) sentait cet espace de vie sociale où le
ainsi qu’un livre aux éditions In Press, politique prenait vie. Un espace ouvert
mettront aussi en perspectives critiques et masculin qui venait en contrepoint du
par des élaborations contemporaines foyer, lieu fermé et privatif à connotation
la profonde question de l’enveloppe féminine.
psychique. Revendiquer l’espace public analyse
un phénomène plutôt récent qui date
Romuald Jean-Dit-Pannel, des années 2010 et concerne des pays
Maître de conférences à l’université de cultures différentes : Turquie, Iran,
de Franche-Comté, Égypte, Ukraine… Comme le dit N. Göle,
1 rue Léopold-Frégoli, ce sont des mouvements de protestation
F-25000 Besançon ; et ils « réveillent les agoras et réactua-
romuald.j_d_p@yahoo.fr lisent les maïdans ». C’est une nouvelle
vague d’opposition qui se développe
à partir d’un incident déclencheur : à
Alger, lors de l’annonce de la candidature
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et leur théorie du rhizome, qui met en déterminante de chacun et la responsabi-
évidence les propriétés transversales du lité individuelle dans le destin collectif. »
politique : « À la différence de la racine, Indignation, responsabilité, échange.
une plante qui se développe suivant un N. Göle relate l’occupation de la place, à
axe vertical […], le rhizome se multiplie partir du film Maïdan de S. Loznitsa, où,
de façon horizontale, il est tentaculaire pendant son occupation, les manifestants,
et nomade. La théorie du rhizome vise par une température de - 20 °C, se réunis-
notamment à s’opposer à la hiérarchie saient autour d’un élément essentiel : le
dans le système pyramidal. » feu. La place occupée, le maïdan, devient
Cette horizontalité est sans doute de la sorte le foyer de ces « habitants »
la grande nouveauté à laquelle nous où les barrières entre privé et public s’es-
assistons. Comme le dit R. Rechtman, tompent fortement. On est alors tenté de
l’agglomération linéaire des individus se demander si on ne pourrait pas lire
ne peut aucunement être assimilée cette expérience comme une tentative, de
à l’idée de masse ou de foule suivant quitter le lieu statique du foyer, réservé
un chef suprême – leaderless comme le dans le temps aux femmes grecques, pour
souligne à maintes reprises Y. Cohen. accéder à l’extérieur et au mouvement,
Aucune identification ni annihilation tout en gardant avec soi et bien présent,
dans une pensée et une action venant car emporté sur la place, ce privé, au
d’un ailleurs : « Rien dans ces regrou- fond passablement rassurant, comme si
pements n’évoque la constitution d’une le public devait, pour reprendre toute sa
foule avec son corollaire de passions, de portée, se transformer, en véhiculant et
débordement et d’abandon de chacun en amenant avec lui, une part de l’ancien,
dans le mouvement de la masse. À l’in- une part d’intime.
verse, l’ordre y règne : le respect des
lieux, l’absence d’émeutes, l’exercice de Orsola Sveva Barberis,
la discussion et du débat. » psychologue clinicienne,
Un phénomène nouveau où l’indi- eps Barthélemy-Durand,
vidu n’accepte plus de soumettre son Avenue du 8 Mai 1945, 91150 Étampes,
individualité à celle d’un autre, où l’em- Espace analytique
ploi du « je » ne se transforme jamais en
« nous » et ne prétend pas représenter
les autres ni être représentatif de tous.