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Didier Houzel
Dans Dialogue 2021/4 (n° 234), pages 73 à 88
Éditions Érès
ISSN 0242-8962
ISBN 9782749272214
DOI 10.3917/dia.234.0073
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Mots-clés Résumé
Éléments alpha, Le placement d’un enfant en famille d’accueil doit se concevoir comme
éléments bêta, fonction un acte complexe tenant compte de la souffrance de l’enfant, de la nature
contenante, protection de ses troubles et des problèmes rencontrés par ses parents. Il ne peut se
de l’enfance, réceptivité réduire à une solution de substitution ou d’attente, mais doit avoir l’ambi-
psychique, travail tion de promouvoir des changements dans le contexte de vie de l’enfant
d’élaboration. et dans son monde interne marqué par les traumatismes qu’il a subis et
favoriser un processus dont la composante psychique répond à la fonc-
tion contenante décrite par le psychanalyste Wilfred Bion, qui s’exerce par
un travail d’élaboration des messages conscients et inconscients émis par
l’enfant. L’auteur, psychanalyste et pédopsychiatre, détaille les composantes
de la fonction contenante : sa composante de réceptivité psychique, qui
permet d’être à l’écoute de la souffrance de l’enfant, et sa composante de
L
transformation en quête de sens de ce qui a été reçu. Deux vignettes
cliniques illustrent cette fonction contenante.
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De tels chiffres devraient mobiliser les énergies depuis les plus hautes
fonctions de l’État jusqu’aux acteurs de terrain, en passant par les
responsables départementaux qui sont maintenant responsables de la
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protection de l’enfance. Or, le rapport de la Cour nationale des comptes,
publié en novembre 2020, souligne qu’il n’en est rien. La protection
de l’enfance fait bien l’objet de discours officiels qui la situent au rang
des grandes causes nationales, mais, sur le terrain, les réalisations sont
loin de répondre aux exigences d’un tel enjeu.
Peut-on être plus clair et plus exhaustif ? Pourtant, tout semble se passer
comme si ni les acteurs de terrain, ni les responsables départementaux
ou nationaux n’appréhendaient clairement ce qui est en jeu pour ces
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enfants déjà gravement éprouvés par l’existence et plus ou moins
brisés dans leur développement psychique par les événements qu’ils
ont connus, les traumatismes qu’ils ont subis et les dysfonctionnements
familiaux dans lesquels ils ont été plongés. N’est-ce pas en grande
partie faute de mieux appréhender les dynamiques déstructurantes
auxquelles ces enfants ont été soumis, de mieux comprendre quelles
dynamiques réparatrices devraient être mises en œuvre et de former
les personnels de terrain à les promouvoir si la protection de l’enfance
dérive trop souvent vers des actions non coordonnées, parfois incohé-
rentes et à l’horizon si incertain ?
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outil thérapeutique. On peut même parler de contemporanéité entre la
naissance de la psychiatrie et celle de l’institution soignante. Je fais
référence, bien sûr, au « traitement moral de la folie » prôné par
Philippe Pinel (1800) à l’aube du xixe siècle. Le médecin responsable
de l’institution – on parlera bientôt d’« aliéniste » avant de l’appeler
plus tard « psychiatre » –, ce médecin n’avait pas pour seule fonction
la gestion matérielle du quotidien et la prescription des traitements
adaptés à chaque malade, il se donnait aussi pour tâche d’éduquer ou
de rééduquer les patients qui lui étaient confiés pour corriger leurs
conduites aberrantes et antisociales et tenter d’en faire des citoyens
adaptés et responsables. Pinel s’inspirait des philosophes que Napoléon
qualifiera d’« idéologues » : Cabanis, Destutt de Tracy, Volney, eux-
mêmes inspirés par le sensualisme de Condillac qui laissait espérer que
l’influence du milieu extérieur suffise à modeler le psychisme humain
à volonté. C’était le même espoir que celui qui animait les révolu-
tionnaires : changer la société pour changer l’homme, éliminer les
perversions et les influences néfastes de la société ancienne qui étaient
censées être l’unique origine des troubles sociaux, mais aussi mentaux.
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cients et des effets de la compulsion de répétition. Le cadre institu-
tionnel n’est pas un moule qui donnerait forme de l’extérieur à la
psyché de ses occupants selon un plan préétabli, c’est la partie stable
ou plutôt stabilisée de l’institution qui entre dans une interaction
dialectique avec le processus qu’il contient.
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un véritable cadre psychique qui peut contenir et transformer même
les parties psychotiques des patients qu’il contient. Certes, ce cadre
psychique a besoin d’être inclus et protégé par un cadre contractuel
qui définit l’objectif de l’institution et par un cadre concret qui loca-
lise dans le temps et dans l’espace l’action thérapeutique. Mais les
aspects concrets et contractuels du cadre seraient dénués de sens s’ils
ne servaient à abriter ce que j’appelle un cadre psychique, qui rejoint
ce que Wilfred Bion (1962) a défini comme la fonction contenante
dont le psychisme a besoin dès le début de l’existence extra-utérine
pour se développer.
La fonction contenante
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sens, alors ils se transforment en éléments capables de se lier entre eux,
de prendre sens, donc d’être traités psychiquement. Bion appelle ces
éléments transformés « éléments alpha ». Les éléments alpha ne sont
pas directement observables, ce sont en quelque sorte les briques de
la pensée, c’est à partir d’eux que chacun d’entre nous peut vivre ses
expériences comme ayant un sens, même si ce sens ne nous apparaît
pas immédiatement.
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voir aux besoins élémentaires de son fils tant sur le plan affectif que
sur le plan éducatif. Le motif de la consultation était une encoprésie.
Un suivi pédopsychiatrique s’est mis en place sous forme de consul-
tations thérapeutiques associant Vincent et son assistante familiale.
L’encoprésie a rapidement cédé, jusqu’au jour où, pour des raisons
administratives, la famille d’accueil où Vincent était placé a changé de
statut : d’une gestion par l’administration départementale de l’ase, elle
est passée à une gestion associative assurée par une association agréée
par les autorités départementales. L’organisation de cette association
voulait que les visites de la mère ne se fassent plus chez l’assistance
familiale comme cela avait été le cas auparavant, mais au siège de
l’association.
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sables du placement d’obliger la mère à venir rencontrer son fils au
siège de l’association, dans un lieu qu’elle ne connaissait pas, sans la
présence rassurante de l’assistante familiale de Vincent. Le résultat ne
s’est pas fait attendre : la mère vint de moins en moins souvent aux
rendez-vous fixés pour les rencontres avec son fils et Vincent recom-
mença à souffrir d’encoprésie, il devint distrait et apathique, ce qui se
traduisit par un fléchissement scolaire important – il avait auparavant
de bons résultats.
Christelle est une petite fille née de deux parents malades mentaux
qui se sont rencontrés dans une institution psychiatrique. Elle a été
retirée à ses parents juste après sa naissance à la suite d’un signale-
ment judiciaire émanant du service d’obstétrique où elle est née. Elle
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a été confiée par le juge à l’ase qui l’a placée d’emblée chez une assis-
tante familiale. Les parents tenant à garder le contact avec leur enfant,
il s’est posé le problème de l’organisation des rencontres entre eux et
Christelle et c’est ce qui a justifié la demande de l’assistante sociale
de l’ase qui suivait le placement à une équipe de pédopsychiatrie.
Il était évident, en effet, que ces rencontres devaient être soigneuse-
ment accompagnées et médiatisées de façon à réduire le risque d’un
impact négatif des visites des parents, tous deux souffrant de graves
troubles psychotiques.
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a pu partager avec son père et sa mère de « bons moments », marqués
par des rapprochements affectueux et des jeux.
Le travail de pensée
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lyse du vécu subjectif et intersubjectif, individuel et collectif si l’on
veut démêler les fils embrouillés d’une histoire traumatique et de ses
effets sur le psychisme d’un enfant ? Ce que Freud (1901) a le premier
compris, que les psychanalystes après lui ont approfondi, c’est que
ces vécus subjectifs et intersubjectifs comportent des zones d’ombre
qui les rendent indéchiffrables sur le coup, mais qui peuvent s’éclairer
après coup si l’on respecte certaines conditions et si l’on se donne
la peine de s’interroger, toujours en quête de sens, sur ce qui nous
est apparu d’abord comme incompréhensible, voire insupportable.
Ce qui importe, ce ne sont pas les termes techniques, qui peuvent nous
servir au contraire de paravent, mais la réalité d’un travail de pensée
de l’équipe sur ce qui lui est adressé inconsciemment par les enfants,
souvent sur un mode projectif et qui au premier abord paraît dénué
de sens. Il faut recevoir ces messages comme un matériau à analyser
en toutes circonstances. Souvent, j’ai été témoin d’une tendance des
équipes à réagir sur un mode contre-projectif : « Il fait telle ou telle
chose pour me mettre en colère ! » Dans ces conditions, il n’y a plus
d’espace d’élaboration, plus de sens après coup, on entre dans une
épreuve de force ou dans une ritualisation des échanges comme on
l’observe dans des familles dysfonctionnelles sans voir qu’en arrière-
plan du comportement manifeste de l’enfant s’exprime un discours
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Cela différencie le processus du protocole. Accepter de ne pas savoir
quelle sera la nouvelle étape, ni quand elle se produira n’est pas facile.
Pourtant c’est la condition pour laisser la place à l’aspect processuel
du développement psychique et de sa guérison. Il ne s’agit pas d’une
évolution linéaire, mais plutôt d’une évolution en spirale passant par
des progressions et des régressions. Il faut un intense travail d’élabo-
ration de l’équipe pour évaluer correctement cette évolution et ne pas
prendre une régression nécessaire pour une aggravation ou l’émer-
gence d’une souffrance psychique inévitable pour une éclosion
symptomatique à réprimer. Cet intense travail suppose des moments
fréquents d’élaboration collective qui doivent être scrupuleusement
respectés et auxquels tous les membres de l’équipe doivent participer.
Trop souvent les réunions de synthèse organisées dans les institutions
ne sont qu’un lieu d’échange d’informations sans place pour un véri-
table travail d’élaboration. C’est pourtant ce travail d’élaboration qui
définit la qualité de l’institution. Je souligne l’importance de ces temps
privilégiés où tout ce qui est vécu avec les enfants au sein de l’insti-
tution fait l’objet d’une mise au travail d’une co-pensée de l’équipe
soignante sans obstacle hiérarchique ni tabou. Une certaine forme de
solidarité, respectueuse de la personnalité de chacun des membres
de ladite équipe, est la condition de base de ce travail institutionnel.
Conclusion
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L’expérience montre que la fonction contenante doit s’inscrire dans
un cadre bien défini qui peut contenir un « objet commun » à tous les
membres de l’équipe, quelles que soient par ailleurs les formations
des uns et des autres et leurs références techniques ou théoriques.
« Objet » a ici le sens abstrait de l’addition d’un but commun et des
moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. La science est fondée sur
un objet commun : l’intelligibilité du monde qui nous environne et les
moyens à mettre en œuvre pour la démontrer. L’action thérapeutique
doit se fonder sur un objet commun plutôt que sur des convictions, qui
peuvent être partagées par plusieurs, mais restent cependant soumises
au choix individuel de chacun. La psychanalyse, selon moi, définit un
objet commun : l’exploration du monde interne et les moyens d’en
expliciter le sens latent. Est-ce cela qui manque aux acteurs de terrain
et aux responsables de la protection de l’enfance ? Quand la Cour des
comptes vient à juste titre dénoncer « l’insuffisante coordination des
différents acteurs au niveau national ou local » (Cour des comptes,
2020, p. 123), elle aurait pu ajouter « l’insuffisante prise en compte du
monde interne de l’enfant et de la nécessité de “contenir” ses angoisses
pour l’aider à se réparer et à renouer avec un processus de développe-
ment qui s’est trouvé plus ou moins entravé ».
Bibliographie
Bick, E. 1963. « Notes sur l’observation de bébé dans la formation psychana-
lytique », dans Les écrits de Martha Harris et d’Esther Bick, Larmor Plage,
Éditions du Hublot, 1998, 279-294.
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Bion, W.R. 1962. Aux sources de l’expérience, Paris, Puf, 1979.
Bleger J. 1981. Symbiose et ambiguïté, Paris, Puf.
Cour des comptes. 2020. La protection de l’enfance, [en ligne] www.ccomptes.fr.
Freud, S. 1901. « Sur la psychopathologie de la vie quotidienne », dans
Œuvres complètes psychanalyse, vol. V, Paris, Puf, 2012.
Namer, A. 2011. L’institution. Entre fait clinique et illusion, Larmor Plage,
Éditions du Hublot.
Pinel, P. 1800. Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou
la manie, Paris, Caille et Ravier.
Keywords Abstract
α elements, β elements, Fostering a child must be conceived as a complex action taking into account
child welfare, containing the child’s suffering, the nature of his/her disorders and the difficulties his/
function, psychic her parents have encountered. It cannot be reduced to just a substitution
receptivity, working or a temporary solution, but must meet the ambition to further changes
through. within the context the child is living in and within his/her internal world
marked by the traumas traversed. The psychological component of this
process of change meets what the psychoanalyst Wilfred Bion described
as a containing function. This involves working through the conscious
and unconscious messages the child conveys. The author, a psychoanalyst
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