Arnaud Deroo

À la crèche aussi
Arnaud Deroo, Propos recueillis par Éléonore de Vaumas
Dans L'école des parents 2017/1 (N° 622), pages 48 à 49
Éditions Érès
ISSN 0424-2238
DOI 10.3917/epar.622.0048
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 48 Interview
Dossier
Arnaud Deroo

à la crèche aussi
La bien-traitance fait progressivement son entrée dans
les structures collectives d’accueil des tout-petits, sous
l’impulsion de spécialistes comme Arnaud Deroo. Ce
consultant en éducation psychosociale et psychanalyste
s’intéresse au bien-être des bébés et des professionnels.

Q
u’est-ce qu’une crèche
bien-traitante ?
Une crèche bien-traitante est une
structure où l’enfant est en sécurité dans
tous les sens du terme. Le mot bien-trai-
tance a émergé dans les années 1990 à la
suite de l’élargissement de l’Opération
© D.R.
au sol, pour stimuler sa motricité libre et
l’encourager à faire des découvertes. Plus
tard, il doit pouvoir jouer librement, pas
seulement lorsque l’éducateur le décide.
Je me méfie beaucoup des crèches qui se
vantent de proposer de multiples activités
aux enfants. Cet argument séduit souvent

Arnaud
Deroo
Formé en analyse
transactionnelle et en
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pouponnières déclenchée par Simone Veil, les parents, qui souhaitent que leur enfant
en 1980, en réaction à un film de Danielle soit stimulé, mais ce n’est pas un gage de
Rapoport et Janine Lévy1, qui a révélé des qualité. Dans certaines structures, trop

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psychanalyse jungienne,
longtemps éducateur
de jeunes enfants dans
des structures d’accueil
collectif, ce consultant en
éducation psychosociale
est responsable d’un
service de petite enfance
à Lambersart (59).
1. Enfants en
pouponnière demandent
assistance (Service
du film de recherche
scientifique, 1978).
2. C’est-à-dire
à une figure
d’attachement.
L’enfant a besoin
d’attachement,
de sécurité, de stabilité
et de continuité
pour grandir.
3. Auteure de Vivre
en crèche : remédier
aux douces violences
(éd. Chronique sociale,
2003).
maltraitances dans les structures accueillant
les petits enfants. Aujourd’hui, la plupart
des crèches travaillent dans une logique de
bien-traitance. L’ensemble de l’équipe par-
ticipe à des analyses pluridisciplinaires qui
contribuent au renouvellement des pra-
tiques ; chaque enfant est confié à un(e)
ou deux référent(e)s2 à l’écoute de ses
besoins et qui entretient un lien de
confiance avec la famille ; l’espace est conçu
de manière à ce que l’enfant puisse se
déplacer en toute sécurité, soutenu par le
regard bienveillant du personnel.
Comment aménager au mieux
cet espace ?
L’aménagement de l’espace répond au
besoin d’autonomie de l’enfant. Bébé, on
le met le plus souvent possible sur un tapis,
rares, les enfants peuvent, par exemple,
aller faire de la peinture tout seuls, sans
attendre qu’on leur propose. L’idée est
d’éveiller puis d’entretenir leur curiosité,
leur désir d’apprendre, leur créativité. Ce
qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de
règles. Mais, si ces dernières tiennent
compte des besoins de l’enfant, il n’a
aucun mal à les respecter.
Certains lieux d’accueil sont-ils
« maltraitants » ?
Les crèches sont suffisamment surveillées
pour qu’il n’y ait pas de maltraitance,
heureusement ! Cela dit, c’est une erreur
d’opposer maltraitance et bien-traitance.
J’ai maintes fois été témoin de ce que
Christine Schuhl3, éducatrice de jeunes
enfants, appelle des « douces » violences :

L’école des parents janvier-février-mars 2017 N°622

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tous ces petits gestes et petites phrases en
apparence anodins que l’on adresse à l’en-
fant sans en mesurer l’impact psycholo-
gique. Le moucher par surprise, coincer
le bavoir sous l’assiette de sorte qu’il ne
puisse plus bouger ou lui dire qu’il pue
parce qu’il a fait caca, etc. Les profession-
nels de la petite enfance sont censés
connaître les conséquences de ces gestes
et paroles blessantes et les éviter. Mais c’est
loin d’être évident dans toutes les crèches,
notamment dans celles où les équipes ne
sont pas habituées à penser leur pratique.
Tous les parents adhèrent-ils au projet
d’une crèche bien-traitante ?
Certains parents continuent de croire que,
pour donner toutes les chances à leur
enfant d’affronter le monde, il faut l’élever
à la dure. Les éducateurs et les auxiliaires
de puériculture doivent les amener à réflé-
chir sur ces croyances. C’est pour cela que
l’implication des parents dans le fonction-
nement et la réflexion pédagogique de la
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structure d’accueil est fondamental.
Aujourd’hui, les connaissances en neuros-
ciences affectives et cognitives ne nous
permettent plus d’éduquer les enfants
comme il y a une vingtaine d’années. Ces
connaissances démontrent l’importance
d’une relation bien-traitante, qui fasse
appel à la joie, à l’attachement, à l’amour
et non plus à des jeux de pouvoir sur l’en-
fant. Au cœur de cette relation, le lien
parent-enfant est essentiel à la construction
psychique du tout-petit.
Le risque, avec un référent unique,
c’est qu’il s’attache à l’enfant…
Certains professionnels pensent, à tort,
qu’ils n’ont pas le droit de s’attacher. L’idée
n’est pas de remplacer le parent, mais d’être
une autre figure d’attachement pour l’en-
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Interview 49
fant. On parle d’ailleurs généralement Ouvrages :
d’attachement professionnel, ce qui sup-
pose que les attitudes de l’adulte soient
pensées, réfléchies. Cela n’exclut pas de
ressentir de l’affection pour l’enfant, mais
en conservant, autant que possible, une
neutralité bienveillante. Cet équilibre pré-
caire demande une remise en cause
constante de la pratique, voire, ponctuel- Heureux en crèche.
Un projet de coéducation
lement, un avis externe. La présence d’un parents-professionnels
tiers, psychologue ou consultant en édu- (éd. Chronique sociale,
2012).
cation, pour observer, accompagner ou
Abécédaire de
recadrer, s’il le faut, peut en effet se révéler la bien-traitance
bénéfique. Les messages passent mieux en multi-accueil :
guide pratique
lorsqu’ils émanent de quelqu’un d’exté- (éd. Chronique sociale,
rieur à la structure. 2014).
L’accueil de la petite
enfance. Un regard
N’en demande-t-on pas trop aux humoristique
professionnels de la petite enfance ? pour donner à réfléchir
la bien-traitance
Un(e) auxiliaire de puériculture passe par- (éd. Chronique sociale,
2017).
fois trente-cinq heures par semaine avec
des bébés ou des tout-petits ; il/elle doit
aussi trouver le temps et l’énergie de se
former, de participer à des réunions avec
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les parents, d’analyser les pratiques… Bref,
son emploi du temps est très chargé et il/
elle court un risque majeur d’épuisement.
Car cette profession, qui demande d’être
contenant et sécurisant, exige énormément
de présence, une attention psychique de
tous les instants. L’enfant a besoin d’un
adulte passionné et passionnant. Qui puisse
aussi répondre à ses besoins personnels de
sécurité, d’attention et de reconnaissance.
Les enseignants s’absentent pour des jour- À lire :
Accueillir, de Myriam
nées pédagogiques. Pourquoi les profes- David, Sylviane
sionnels de la petite enfance ne pour- Giampino, Danielle
Rapoport, Elisabeth
raient-ils pas disposer de temps pour « se Rigaux, Geneviève
nourrir » par des lectures, des conférences, Spiesser (éd. éres, coll.
« 1001 BB », 2015.
des formations ? Il reste encore du chemin Bien-traitance, un trait
à parcourir pour faire respecter nos métiers. d’union à conquérir,
Propos recueillis par de Danielle Rapoport
(éd. éres, coll.
Éléonore de Vaumas « 1001 BB », 2014).
N°622 janvier-février-mars 2017 L’école des parents
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