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La prise en charge orthophonique du bégaiement chez

l'enfant avant 5 ans


Patricia Oksenberg
Dans Contraste 2014/1 (N° 39), pages 307 à 326
Éditions Érès
ISSN 1254-7689
ISBN 9782749240879
DOI 10.3917/cont.039.0307
© Érès | Téléchargé le 22/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 77.205.142.147)

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La prise en charge orthophonique


du bégaiement chez l’enfant avant 5 ans
Patricia Oksenberg

Résumé
La prise en charge de l’enfant d’âge préscolaire est souvent associée à des conseils
parentaux de baisse des pressions éducatives et sociales. Lorsque le bégaiement
est apparu chez le petit enfant depuis moins de six mois, il y a de grandes chances
que l’accompagnement parental suffise à faire baisser les tensions dans la parole
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du petit enfant et aussi à améliorer la qualité de l’échange en famille et à l’école
maternelle. Cependant, lorsque le bégaiement est apparu depuis plus de six mois
ou parfois pour des raisons inconnues, l’accompagnement parental ne suffit pas.
Il faut alors proposer aux familles une thérapie du bégaiement. L’approche peut
être indirecte, concernant alors des modifications dans la communication fami-
liale, ou directe et dans ce cas des techniques de fluence adaptée au petit enfant
sont proposées.
Mots-clés
Bégaiement, âge préscolaire, accompagnement parental, thérapie directe, thérapie
indirecte.

Patricia Oksenberg, orthophoniste, enseignante à Paris VI, 70 bis, rue Édouard-Vaillant


92300 Levallois ; patricia.oksenberg@orange.fr

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L
e bégaiement est un trouble de la communication qui ne se
manifeste que lors d’une interaction linguistique. C’est en
quelque sorte « l’autre » qui fait bégayer (Shapiro, 1999).
L’enfant d’âge préscolaire, lorsqu’il invente des scenarii avec ses jouets
et leur parle, ne bégaie pas.
C’est pour cela que la rééducation est une thérapie de la parole mais
c’est aussi permettre au patient d’échanger avec autrui de façon natu-
relle.
Le petit enfant va être envisagé dans sa globalité.
Pendant de nombreuses années l’accompagnement parental a été la
seule thérapie proposée en France pour aider les enfants d’âge présco-
laire qui bégaient. En résumé, les conseils aux parents étaient de relâ-
cher les pressions aussi bien éducatives que sociales et de mettre
l’accent sur la communication. Ce traitement visait à modifier le
comportement des parents.
Ces conseils sont toujours les bienvenus mais il convient de permettre
aux parents d’aider aussi l’enfant à avoir une parole plus fluide, de
façon plus concrète.
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La recherche internationale a comparé les différentes techniques de
fluence pouvant être utilisées, ciblant encore mieux le traitement à
proposer aux enfants d’âge préscolaire. Nous pouvons en France nous
les approprier et les adapter à nos pratiques.
Les parents participent à la thérapie et une relation thérapeutique
doit être établie avec la famille dès la première consultation.

Le bégaiement, trouble complexe


L’enfant d’âge préscolaire qui bégaie est déjà capable d’expliquer la
gêne ressentie lorsqu’il s’exprime et qu’il ne peut pas aller au bout de
ses idées et de ses émotions. Si on le lui demande, il sait dire dans
quelle situation de parole il bégaie le plus. C’est souvent en famille et
très souvent avec la mère que le petit enfant bégaie le plus. Sans doute,
la parole est moins fluente parce que l’enfant parle plus volontiers de

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lui-même ; le contenu de son discours étant moins neutre qu’à l’exté-


rieur de la famille, cela engendre du bégaiement. Ce qui inquiète les
parents en général, ce ne sont pas les disfluences en elles-mêmes, mais
tout le comportement que cela génère chez le tout-petit, mouvements
accompagnateurs de la face ou des membres, tristesse ou refus de
continuer à parler.
Les parents ont besoin qu’on les écoute et qu’on les accompagne pour
aider leur enfant.

Signes cliniques du bégaiement


Le bégaiement peut apparaître dès l’âge de 2 ans, au moment où le
langage s’acquiert et se structure et où la relation à l’autre se développe
à travers l’échange oral. La gêne créée par le trouble moteur sera alors
amplifiée au cours des années au fur et à mesure des réactions de l’en-
fant, ce qui pourra engendrer chez le tout-petit une blessure narcissique.
Le bégaiement est un trouble qui présente, dès son apparition, des
symptômes ouverts (c’est ce que l’on voit ou ce que l’on entend lorsque
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l’enfant bégaie) et des symptômes couverts (ce sont les sentiments de
frustration que ressent l’enfant très précocement parce qu’il ne peut pas
dire sa pensée comme il le souhaiterait). Parfois parmi ces symptômes
couverts on se rend compte que l’enfant a déjà des sentiments de honte
associés à sa parole disfluente.
Une petite fille qui est entrée dans l’échange avec moi très facilement
n’a plus voulu dire un mot dès qu’on a évoqué ses soucis de parole. Ces
sentiments de honte restent heureusement assez rares chez les enfants
de cette tranche d’âge, alors qu’ils sont très fréquents à partir de 6 ans.
Dès l’âge préscolaire, tous les signes cliniques observables chez les
personnes qui bégaient peuvent être présents. On peut entendre des
blocages préphonatoires (avant de commencer à parler, juste à l’idée de
devoir parler), mais aussi des répétitions de phonèmes de syllabes ou
de mots.

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La tension au moment de la parole est parfois visible sur le visage de


l’enfant qui perd alors toute mimique. Il arrive que lorsqu’il parle on
observe une dilatation des narines, de l’air passe par le nez signant ainsi
une dystonie au niveau du voile du palais.
Le contact visuel est une habileté de communication qui est souvent
perturbée chez l’enfant qui bégaie. Il cherche ses mots et ne se
concentre plus sur son interlocuteur. Il commence à avoir une phobie
du regard de l’autre car il décrypte dans le regard de ses parents inquié-
tude, tension ou tristesse. L’enfant se prive alors des retours extralin-
guistiques concernant l’échange qui pourraient le rassurer.
Les réactions de l’enfant, observées par les parents, face à ses disfluences
sont diverses : il y a ceux qui tapent du pied, ceux qui disent qu’ils ne
peuvent pas continuer à parler, ceux qui coupent le contact visuel.
Souvent l’enfant a tout d’abord parlé de façon fluente. Tout à coup la
parole semble se dégrader et il se met à faire des efforts considérables
pour sortir certains sons, alors qu’à d’autres moments sa parole est
fluente. Ses réactions sont spectaculaires et anxiogènes pour les parents.
Le caractère imprévisible de ce trouble est déconcertant. Il est impor-
tant de reconnaître la souffrance des parents afin qu’ils ne se culpabi-
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lisent pas d’un trouble dont ils ne sont pas responsables.
D’autre part on sait que ce n’est pas parce que les symptômes semblent
plus sévères que le traitement sera plus long. Ambrose et Yairi (1999)
ont montré que la sévérité du bégaiement n’entre pas en ligne de
compte dans la prédiction d’une récupération plus ou moins rapide
d’une parole fluente à l’âge préscolaire.

Les recherches scientifiques sur le bégaiement


En France, le seul laboratoire de recherche dédié au bégaiement à l’hô-
pital Georges-Pompidou (Paris 15) a été fermé lorsque la chercheuse,
le Dr Marie-Claude Monfrais-Pfwauvadel, a pris sa retraite. Toutes les
références nous viennent donc d’autres pays.

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Apport de la recherche sur les caractéristiques linguistiques


du bégaiement
Une recherche australienne récente menée par Anne Packman et son
équipe (2011) a listé des déclencheurs du bégaiement d’un point de
vue linguistique.
Ce qui est audible chez les enfants qui bégaient est que la durée des
syllabes n’est pas toujours la même à l’intérieur d’un mot ou d’une
phrase, ce qui provoquerait le bégaiement. Pour celui qui écoute, cela
donne une parole hachée, au rythme irrégulier, obligeant à un effort
pour comprendre le sens du message.
Parfois il peut y avoir une corrélation entre l’augmentation de la diffi-
culté linguistique du discours de l’enfant et le bégaiement.

Apport de la recherche en génétique


Il y a un facteur génétique dans le bégaiement mais il ne suffit pas pour
déclencher le trouble. La dernière recherche du Dr Drayna (2010)
montre plusieurs gènes concernés sur le chromosome 12, mais une
recherche antérieure avait montré un gène sur le chromosome 18.
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Ce qui est certain, c’est que lorsque des parents nous apprennent qu’il y
a des personnes qui bégaient dans leur famille, nous pouvons considérer
que l’enfant pour lequel ils s’inquiètent de l’entendre parler avec une
parole disfluente a un facteur de risque à l’installation du bégaiement.
Une des grandes discussions entre les orthophonistes a été de se
demander si le fait de parler de la composante génétique du bégaie-
ment allait entraîner une résignation des parents. Dans ma pratique ce
n’est pas ce que j’observe : génétique ou pas, les parents ne s’y attardent
pas trop. Ils ont souvent réfléchi aux retombées psychologiques de la
situation et veulent aider leur enfant.

Apport de la recherche centrée sur le tempérament de l’enfant


Une équipe hollandaise menée par M. Bezemer (2012) pense que la
prédiction de réussite et d’échec de la thérapie va être basée sur le

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tempérament de l’enfant. Le tempérament est défini par le terme « réac-


tivité », par opposition à « autorégulation » (capacité à inhiber un
comportement et à apporter des solutions soi-même.)
33 % des enfants d’âge préscolaire réagissent très négativement à leur
bégaiement. Ils sont appelés les « high temperament » en anglais. Ces
enfants-là, ayant donc un tempérament réactif, ont, selon cette cher-
cheuse, plus de risque de développer des problèmes liés au bégaiement
sur le plan des habiletés sociales et des habiletés de communication.
Certains ne vont pas avoir envie d’expérimenter une parole fluente.
L’enseignement du self-control et l’inhibition de l’impulsivité sont
proposés par l’équipe des orthophonistes, dès l’âge préscolaire.
La notion de tempérament a été souvent évoquée au congrès de la
fluence en 2012 (IFA Tours), c’est une nouvelle notion qui intéresse
beaucoup les chercheurs.
Les thérapeutes souhaitent ainsi que l’enfant ait plus tard un meilleur
locus de contrôle, c’est-à-dire une meilleure capacité à ne pas attribuer
la responsabilité de son trouble uniquement à soi-même ou unique-
ment au monde extérieur. Ainsi l’enfant pourra comprendre qu’il peut
agir sur son bégaiement et acceptera l’aide de son entourage.
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Certains enfants d’âge préscolaire sont réactifs et provocateurs, surtout
à l’âge de 4 ans en pleine phase œdipienne. Lorsqu’on apprend aux
parents à améliorer l’échange avec leur enfant, la thérapie avance plus
vite. Il est donc très important que les parents apprennent à leur
enfant dès l’âge préscolaire les habiletés sociales et de communication,
notamment le fait que pour communiquer, il faut que l’autre soit d’ac-
cord et disponible pour écouter.

Facteurs associés au bégaiement


Le bégaiement peut être considéré comme un trouble
de l’oralité
L’oralité participe à l’attachement entre la mère et son bébé (Thibault,
2012).

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L’enfant construit son oralité alimentaire en même temps que son


oralité verbale. Les praxies de déglutition, de mastication, de propreté
orale et celles du langage se construisent en même temps, en utilisant
les mêmes organes et les mêmes zones neurologiques (frontale et parié-
tale) (Thibault, 2010).
On observe parfois, conjointement au bégaiement, des troubles de
l’alimentation, même minimes. Il est vraiment important que les
parents ne mettent pas de tension autour de l’alimentation et qu’ils
acceptent que l’enfant refuse de manger.
Ce n’est pas toujours simple de mettre les parents d’accord sur l’atti-
tude à avoir lorsque l’enfant refuse un plat. Il est important d’ouvrir
la discussion afin de voir quel compromis cette famille va pouvoir
accepter lorsque l’enfant essaie de manipuler ses parents autour de l’ali-
mentation.
Je m’attache à maintenir l’équilibre familial : si on demande aux deux
parents comment chacun souhaiterait que se déroule les repas, on finit
par arriver à trouver des solutions pour alléger l’ambiance. Aucun
parent n’est contre cette idée de repas en famille plus calme.
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Bilinguisme et bégaiement
Les dernières études sur bégaiement et bilinguisme donnent des résul-
tats qui ne sont pas tranchés. En réalité, le bilinguisme réel est défini
par l’utilisation de deux langues de façon alternée et quotidienne. Ce
qui est rarement le cas : l’enfant va utiliser la langue dont il a besoin,
en particulier la langue du pays où il vit, si son parent la comprend.
Le changement de langue entraîne souvent un changement d’attitude
voire de comportement et on est en droit de se demander si le bégaie-
ment ne pourrait pas être majoré par une utilisation différente de la
parole, sans que ce soit le bilinguisme en lui-même qui soit en cause.
Finalement on observe en clinique qu’un enfant qui bégaie mettra
peut-être un peu plus de temps à retrouver une parole fluente si l’on
parle deux langues à la maison. Il est intéressant de discuter avec les
parents pour savoir comment sont réparties les langues.

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Ce que j’ai observé, c’est que les enfants ont plus de difficultés lorsque
les parents se parlent entre eux une troisième langue, qui n’est la
langue maternelle de personne. Surtout si cela est fait alors que le
parent qui n’est pas français de langue maternelle parle très bien le fran-
çais.
De même, lorsque les parents font donner des cours d’anglais à leur
enfant de 3 ans et reprennent cela à la maison alors qu’il ne s’agit pas
de leur langue maternelle, la thérapie est plus longue.
Je m’interroge évidement sur les éléments psychologiques qui sous-
tendent de telles attitudes : quel affect mettent les parents dans l’uti-
lisation d’une langue à eux que l’enfant entend mais ne doit pas
parler ? Comment les parents envisagent-ils l’éducation de leur enfant
s’ils veulent à tout prix qu’il soit bilingue alors qu’eux ne le sont pas ?
Je rapporterai le cas d’Emma, 2 ans, de mère espagnole et de père fran-
çais. Emma est bilingue espagnol/français et présente un bégaiement
sévère. La mère souhaite ardemment l’inscrire dans une école bilingue
anglais/français pour la rentrée de septembre. Comme on me deman-
dait mon avis, j’ai simplement dit qu’il y avait un risque que l’enfant
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fixe son bégaiement ou un risque que l’enfant ne parle pas un anglais
courant à 3 ans, à eux de voir…
Ma réflexion est que dès que l’introduction d’une langue n’a pas de
sens pour l’enfant, cela va ralentir la thérapie.
Retard de parole et de langage et bégaiement
Le bégaiement transitoire est plus fréquent chez les enfants avec retard
de parole et de langage.
Parfois, rien que le fait de traiter le retard de parole avec précaution,
c’est-à-dire sans travailler l’articulation, fait diminuer et disparaître le
bégaiement. Il arrive aussi que le bégaiement et le retard de parole s’ali-
mentent ; il faut alors traiter les deux pathologies de front.
Les enfants qui bégaient peuvent avoir en outre un développement
phonologique plus tardif et des erreurs atypiques. Un petit Cyprien de

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4 ans présentait une acquisition phonologique parfaite, à part le « on »


prononcé « o », peut-être un réflexe afin de ne pas solliciter le voile du
palais et risquer une tension pouvant faire bégayer.
En ce qui concerne le retard de langage, il peut rendre difficile la
performance motrice en même temps que la construction syntaxique.
Le bégaiement est donc aussi un problème de production du langage
(au-delà du niveau de l’exécution motrice). Il peut être favorisé par les
contraintes linguistiques de la phrase ainsi que par sa complexité
linguistique.
On constate également que de hauts niveaux de compétence langagière
peuvent empêcher une bonne fluence car la maturité motrice est
insuffisante pour accéder à un débit de parole en rapport avec les
compétences linguistiques de l’enfant.

La première consultation : le bilan


Sans action thérapeutique, 75 % des bégaiements de l’enfant d’âge
préscolaire apparus depuis moins d’un an disparaissent spontanément.
En France, le système de santé nous permet de recevoir toutes les
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familles chez lesquelles on suspecte qu’il y a bien un bégaiement chez
leur petit enfant et de donner des conseils sans attendre que le bégaie-
ment s’installe car nous ne savons pas quels sont les 25 % d’enfants qui
risquent d’installer leur bégaiement. Cela évite aussi de passer à côté
d’un trouble associé au bégaiement.
On sait qu’il y a autant de filles que de garçons qui bégaient avant
4 ans, mais que les petites filles ont plus de chances d’arriver sponta-
nément à mettre en place une parole fluente que les petits garçons.
Il faut savoir qu’un enfant de maternelle a 24 % de parole disfluente
en moyenne sans que cela puisse être considéré comme du bégaiement
(2 % en terminale). Ce qui doit inquiéter, c’est un pourcentage de
disfluences plus élevé, la perte de rythme dans la parole et la tonicité
lors des blocages.
Il y a un aspect moteur dans la pathologie du bégaiement : la mise en
place des tensions est très précoce et l’enfant sait vite montrer où il sent

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les blocages dans son corps. Lors du premier bilan, beaucoup d’enfants
d’âge préscolaire désignent leur cou lorsqu’on leur demande de
montrer où ils sentent que les mots se bloquent lorsqu’ils parlent. Ce
geste nous fait comprendre que les laryngospasmes sont vraiment
ressentis par le petit enfant. Parfois de tout petits enfants expliquent
leurs stratégies pour ne pas bégayer. Jules, 5 ans, a expliqué sous le
regard interloqué de ses parents comment il se mettait à déglutir pour
arrêter le blocage.
Le petit enfant qui sent les tensions motrices peut assez rapidement
inverser le réflexe de décontraction des muscles de la face au moment
des blocages et ainsi provoquer du bégaiement.
Le bégaiement est au départ une atteinte motrice de la parole qui
devient un trouble de la communication.
Une étude australienne menée par Packman et son équipe (2011) sur
l’anxiété associée au bégaiement montre que les réactions négatives des
parents vont contribuer à augmenter l’anxiété des jeunes enfants qui
vivent alors, à cause de leur bégaiement, des expériences négatives. On
comprend bien alors que le fait d’aider les parents à réagir au mieux va
aider l’enfant à être moins réactif à son bégaiement et à pouvoir parler
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sans penser en permanence aux disfluences éventuelles.
La première attitude à avoir lors de cette première consultation est
d’écouter les parents raconter le bégaiement de leur enfant et ce que
cela génère au sein de la famille.
Une information concernant le bégaiement et la communication est
donnée aux parents.
Ensuite, des conseils de relâchement des tensions aussi bien dans les
attitudes de communication que dans les exigences parentales vont être
évoqués lors de la première consultation. On peut associer quelques
petits exercices de fluence que les parents proposeront à l’enfant chaque
soir.
Ces conseils ne sont pas des principes éducatifs mais font partie du
traitement du bégaiement. L’orthophoniste s’attachera d’ailleurs à
modifier le moins possible la dynamique familiale.

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Dans beaucoup de cas, la famille nous apprend un mois après ce


premier entretien que le bégaiement de leur enfant a disparu. Nous
demandons alors aux parents de continuer à appliquer les conseils de
communication qui ont le plus aidé leur enfant à sortir de son bégaie-
ment pendant encore quelques mois, et si après ce temps l’enfant reste
fluent, aucun suivi ne sera proposé.
Parfois, ces conseils donnés lors du bilan ne suffisent pas à faire dimi-
nuer le bégaiement de l’enfant. Il faut alors proposer un suivi compre-
nant dans certains cas des techniques de fluence.
Les thérapies proposées sollicitent le cerveau pendant la période d’ap-
prentissage. Elles peuvent être indirectes, c’est-à-dire sans apprentissage
de techniques de fluence : les modifications porteront spécifiquement
sur la communication familiale ; ou directes, avec modification de la
fluence de l’enfant en proposant de petits exercices de fluence adaptés
au petit enfant et à ses parents.
On peut aussi combiner les deux approches. C’est en général ce qui est
fait en France.
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Le suivi proposé à l’enfant et à ses parents
Déroulement des séances
Le suivi consiste en séances avec le père ou la mère, en alternance si
possible, et l’enfant. Faire venir l’enfant à intervalles réguliers avec l’un
de ses parents est déjà thérapeutique en soi. C’est très souvent le seul
moment où l’enfant a trente minutes de l’attention d’un de ses parents
centrée sur lui.
Le regard de son parent qui le voit jouer, réussir, être complimenté, est
réparateur. Les enfants utilisent les regards différemment. Certains
souhaitent que l’orthophoniste les regarde jouer : ils utilisent le regard
du thérapeute pour être le témoin de la bonne entente avec l’un des
parents. D’autres veulent que l’un des parents soit là pour les regarder
jouer avec leur orthophoniste.

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CONTRASTE 39 ■ Orthophonie chez le jeune enfant

Le regard du thérapeute est largement décrit par Winnicott qui


explique combien il est thérapeutique pour l’enfant. Il nous dit que
lorsque le jeune enfant tourne son regard vers le visage de sa mère, il
se voit lui-même. Si la mère ou le père ne laisse rien transparaître de
ses émotions de peur que l’enfant y perçoive de la tristesse, ou s’il lui
montre son anxiété face à sa parole, que va-t-il se passer pour l’enfant ?
Pour Winnicott, le rôle du thérapeute est de donner à l’enfant ce regard
qui n’est pas présent chez la mère.
Dans le cadre du bégaiement, il est important de restaurer chez les
parents, qui ne sont pas pathologiques mais juste choqués par la parole
de leur enfant, le regard bienveillant qui va permettre au petit garçon
ou à la petite fille d’entrer dans l’échange.
Pour l’enfant qui a décrypté sur le visage de ses parents des expressions
d’étonnement, de stupeur même parfois et de tristesse, voir son père
ou sa mère s’émerveiller devant lui va lui permettre d’entrer dans la
communication avec plus de légèreté. Ce regard bienveillant du parent
qui assure son amour à l’enfant est extrêmement réparateur.
Le regard de l’orthophoniste durant la séance peut être alors le témoin
de quelque chose d’indicible mais qui se transformera et pourra alors
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être dit.

Approche indirecte
Les approches indirectes consistent à modifier en douceur les attitudes
de communication en famille. Pour cette approche, aucun exercice de
fluence ne sera proposé aux parents. Ainsi, apprendre aux parents à
respecter des temps de silence afin que leur enfant puisse avoir l’oppor-
tunité de répondre me paraît essentiel. Certains, pour lesquels ces temps
de silence sont anxiogènes, prendront un peu plus de temps afin d’ex-
périmenter au cours de séances la douceur de la communication
lorsqu’elle n’est pas frénétique et aussi d’entendre leur enfant initier
l’échange.
Une petite Charlotte de 3 ans venue à la consultation avec des parents
très bavards, mettant tout en mots, se coupant l’un l’autre la parole et

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répondant très vite à la place de leur enfant, n’a pas pu dire un mot
lorsque je me suis adressée à elle de façon « officielle ».
J’avais demandé au préalable aux parents de ne pas intervenir du tout
durant cet entretien. Mais Charlotte n’avait pas l’habitude que ses
parents se taisent. Dans ce silence, elle se tortillait, tout comme sa mère
d’ailleurs qui avait du mal à supporter que sa fille ne réponde pas et de
ne pas pouvoir la stimuler comme d’habitude.
Le bain linguistique dans lequel la maintenait sa mère d’habitude m’a
fait penser à l’expression « allaitement relationnel » dont parle Bernard
Golse, psychiatre à l’hôpital Necker (Paris).
Je libérai rapidement l’enfant de cet entretien ; elle se mit alors à faire
un dessin et me l’offrit. Avant même que j’aie commencé à établir un
contact visuel avec l’enfant, la mère s’écrie : « Merci ma chérie, comme
c’est gentil d’offrir ce dessin à la dame ! » « Mais madame, ai-je dit, c’est
à moi de dire cela, vous ne me laissez aucune chance. »
Aucune chance. Ces mots sont sortis tout seul, aucune chance d’entrer
en relation avec Charlotte, aucune chance pour Charlotte de se sevrer
de ce bain linguistique. « C’est pareil pour votre enfant, elle n’a aucune
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chance de parler si vous répondez à sa place. Alors lorsque c’est très
important, elle force et elle bégaie. »
Les parents sont restés sans voix et la suite de la consultation m’a paru
plus sereine. La seule consigne jusqu’à la fois suivante fut qu’ils laissent
à leur enfant le temps d’entendre « l’écho mental » de leurs questions,
de ne pas se précipiter pour répondre à sa place ou réagir à sa place en
cas d’émotion.
J’espère que cette consultation leur permettra de « voir ce qu’ils
n’avaient pas vu », selon l’expression de M. Elkaïm, psychiatre à
Bruxelles. Leur silence bienveillant à cette proposition me laisse espérer
qu’ils ont compris.
On demande donc aux parents de modifier la façon de parler à l’en-
fant et de modifier certains paramètres de leur parole. On peut parfois
proposer aux parents de parler moins vite à leur enfant.

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CONTRASTE 39 ■ Orthophonie chez le jeune enfant

Il faut savoir qu’un enfant de 5 ans a un débit de parole moitié


moindre qu’un adulte. Si on parle trop vite, le modèle proposé est
impossible à réaliser pour lui. Des parents venus avec un petit garçon
de 3 ans ont remarqué que le fait de ralentir leur débit de parole
lorsqu’ils s’adressaient à lui était ce qui l’aidait le plus. Ce n’est pas
toujours le cas, et c’est pourquoi il faut proposer plusieurs modifi-
cations aux parents qui pourront, s’ils constatent les bienfaits de
certaines, ne garder que celles-là.
Les petits enfants qui bégaient ont besoin d’avoir des modèles de
parole faciles et clairs afin de pouvoir reproduire le modèle sans effort.
En effet, puisque la capacité motrice du petit enfant ne lui permet pas
de parler à la vitesse d’un adulte, l’imitation du parent devient impos-
sible si le modèle proposé est excessivement rapide.
La modélisation est primordiale, et il faut d’abord modéliser pour les
parents afin que les parents apprennent à modéliser eux-mêmes à la
maison pour leurs enfants.
Le jeu utilisé lors de l’approche indirecte
Jouer, c’est très sérieux, car on y parle de soi.
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Winnicott disait que la psychanalyse était le jeu le plus sophistiqué du
XXe siècle. Et que pour que le jeu soit thérapeutique, il fallait que le
thérapeute s’amuse lui aussi.
Le fait de jouer avec son patient, mais aussi avec le parent de son
patient, va permettre une ambiance de légèreté propice à la mise à
distance du symptôme et à l’acceptation du bégaiement.
L’acceptation est maintenant au cœur de beaucoup de programmes de
thérapie dans les pays anglo-saxons. Accepter son bégaiement, accepter
l’aide, pour pouvoir accepter le traitement.
J’ai rencontré une mère qui n’a pas accepté mon aide alors que son fils
(5 ans) expliquait très bien quand il bégayait et à quel point cela le
gênait. Elle m’a dit qu’elle était sûre d’y arriver toute seule. Elle seule
pourrait venir à bout du bégaiement de l’enfant. Sans jouer.

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Il est évident que dans ce contexte, je ne pouvais aider son enfant. Je


me demandais bien ce que j’allais retirer à cette mère si je m’occupais
de la fluence de son fils. Il me brûlait de proposer à la maman de voir
un psychothérapeute, mais je doutais avoir les bons arguments pour
elle car je ne comprenais pas bien son fonctionnement psychique.
J’ai adressé un petit mot à la pédiatre qui avait conseillé le bilan et qui
connaissait bien la famille, en m’abstenant bien entendu de tout juge-
ment. Je sais qu’elle fera le relais.
Utilisation du motherese lors de l’approche indirecte
On va demander aux parents de raconter une histoire à leur enfant en
adoptant le ton « nourrice » appelé aussi « motherese » ou « mamanais »
en français. La prosodie n’est pas plate, elle est variée. La prosodie du
conteur donne du sens au discours pour l’enfant (Esposito, 2010).
Anna Esposito, chercheuse italienne, démontre que si l’expression du
visage d’un parent est triste alors que le message parlé est gai, le cerveau
de l’enfant décrypte cela comme de la tristesse.
Le pédiatre américain Thomas Brazelton est à l’origine d’une expé-
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rience appelée le « steel face » qui prouve qu’un bébé ne supporte pas
d’être confronté à un visage d’adulte figé.
Or le visage d’un parent déprimé ou stupéfait par le bégaiement de son
enfant peut présenter une hypomimie ou absence d’émotion affichée.
Ceci engendre de l’anxiété chez le tout-petit. Il sera intéressant alors de
rassurer les parents afin qu’ils n’aient plus ces mimiques de tristesse car,
comme le dit le psychiatre Olivier Revol, des parent rassurés sont des
parents rassurants.
Lors du récit en motherese, dans ce moment de plaisir partagé, les
mimiques des parents sont tout à coup restituées et agréables pour l’en-
fant qui se sent alors détendu et apte à écouter l’histoire sans tensions
motrices.

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CONTRASTE 39 ■ Orthophonie chez le jeune enfant

Des programmes de thérapies indirectes ont été créés, voici


un programme anglais et un programme américain
Le programme du centre Michael Palin à Londres (PCI, Parents Child
Interaction) est centré sur des vidéos d’interactions linguistiques des
parents avec l’enfant. Des séances de débriefing sont proposées aux
parents afin de regarder ce qu’il va être possible de modifier dans la
communication avec leur enfant.
Le programme des « demandes et capacités » (États-Unis) enseigne aux
parents à adapter leurs demandes aux capacités de l’enfant. La parole
devient efficace quand les demandes correspondent aux capacités de
l’enfant (demandes des parents, mais aussi de l’enfant lui-même, s’il
renonce à parler trop vite par exemple).
Approche directe
Lors de cette approche, des techniques de fluences sont proposées aux
parents.
Les méthodes directes essaient de réduire les déclencheurs de bégaie-
ment que sont principalement un débit de parole trop rapide, des
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attaques dures dans la prononciation des phonèmes, une absence de
pause entre les unités de sens.
Elles font aussi travailler l’auto-écoute de l’enfant qui est souvent
perturbée chez le sujet qui bégaie. L’auto-écoute est ce qui nous permet
d’ajuster notre parole au moment où l’on parle. L’imagerie du cerveau
montre que la zone stimulée pour l’auto-écoute est grosse comme un
pamplemousse lorsque le sujet non bègue parle, alors qu’elle est de la
taille d’une cerise chez le sujet qui bégaie.
Programme Lidcombe
En Australie, le programme Lidcombe a été créé : il propose d’aider
l’enfant à ajuster sa parole sans lui demander d’en modifier les paramè-
tres (Onslow, Packman, Harrison, 2003). C’est une méthode directe
mais l’accent n’est pas porté sur les paramètres de la parole. Les parents
devront faire des commentaires verbaux lors d’un jeu structuré avec

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La prise en charge orthophonique du bégaiement chez l’enfant avant 5 ans

leur enfant. Ce programme ne demande aucun changement dans la


communication des parents.
Les orthophonistes français sont souvent mal à l’aise avec les
programmes ne prenant pas en compte les caractéristiques de la
famille, ni la créativité générée par l’interaction de l’orthophoniste avec
la famille. C’est pourquoi il est, à mon sens, important de combiner
les approches.
La parole prolongée
Pour cette technique appelée en anglais « prolonged speech », on
demande aux parents et à l’enfant d’allonger les voyelles, de ralentir le
débit de parole et de faire des pauses. Elle permet aussi à l’enfant de
prendre conscience des processus de la parole lorsqu’elle est fluente.
Néanmoins elle ne donne pas une parole naturelle. Elle sert à s’en-
traîner mais ne sera pas reprise dans le discours normal.
Un petit Timothée dont la maman utilisait la parole prolongée dans un
jeu lui a tout à coup demandé pourquoi elle parlait comme un
méchant cow-boy ! La maman a ainsi compris qu’il fallait qu’elle cesse
cette manière de parler dans laquelle son enfant ne la reconnaissait pas
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et qui finissait par devenir anxiogène. En demandant en séance à la
maman de reproduire ce qu’elle faisait chez elle, il est apparu qu’elle
était totalement amimique, en plus de la parole très lente.
L’intérêt de cette technique réside dans le fait qu’on ne peut pas
bégayer avec un débit de parole aussi lent. Ainsi, l’enfant dont le
bégaiement est sévère aura l’occasion de s’entendre parler en étant
fluent. Les parents, qui entendent aussi leur petit enfant parler sans
bégaiement, reprennent espoir.
Les marionnettes de David Shapiro
Le thérapeute et l’enfant ont une marionnette à la main et la font
parler à tour de rôle.
Le thérapeute prévient l’enfant que sa marionnette risque de bégayer
et qu’il faudra l’aider. L’enfant va prendre le rôle de thérapeute de la

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CONTRASTE 39 ■ Orthophonie chez le jeune enfant

marionnette de son orthophoniste et il découvre ainsi des techniques


de fluence sans qu’il y ait eu besoin de les nommer.
L’échange entre l’orthophoniste et l’enfant est très amusant et le rire
surgit souvent, entraînant une détente du parent présent et de l’enfant.
Ainsi un enfant qui ne pouvait pas dire ce qu’il sentait quand il
bégayait a fait dire à sa marionnette que ses mots se bloquaient dans
sa cravate. Cette façon imagée de décrire les spasmes laryngés nous a
tous réjouis et a permis au petit Ilies de parler de sa parole sans avoir
peur de choquer sa mère.
Parole douce
La tendance actuelle est d’apprendre aux parents et à l’enfant à parler
avec une parole aux contours articulatoires doux.
On insiste aussi beaucoup sur la notion de naturel, afin de ne pas
donner à l’enfant un modèle trop artificiel que parents et enfants
abandonneraient très vite. C’est donc une parole qui pourra être
utilisée par l’enfant au quotidien.

Conclusion
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Chez l’enfant d’âge préscolaire qui bégaie, la plasticité cérébrale est
importante. L’accompagnement parental aide bien l’enfant, mais si cela
ne suffit pas, il ne faut pas hésiter à proposer un suivi qui va permettre
à la famille et à l’enfant de lâcher les pressions mises sur la parole et de
restituer dans les familles un échange harmonieux favorisant une
communication naturelle, une parole sans tension, et le plaisir de
l’échange.
S’il n’y a pas d’autres troubles associés, la thérapie peut être rapide et
nécessite peu de séances.

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La prise en charge orthophonique du bégaiement chez l’enfant avant 5 ans

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