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EN ORTHOPHONIE
Sous la direction de Thierry ROUSSEAU
(UNADRIO)
TOME II
PRISE EN CHARGE ORTHOPHONIQUE
DES TROUBLES DU LANGAGE ÉCRIT
PRÉFACE
L’orthophonie est une discipline jeune qui s’est construite progressivement, souvent de manière intuitive grâce
au génie clinique de certains praticiens. Elle s’est également enrichie des connaissances de nombreuses autres
disciplines, en particulier la médecine mais aussi la psychologie, les sciences du langage ou encore les sciences de
l’éducation.
Cette diversité des apports scientifiques et cliniques, cette position au carrefour de plusieurs professions, ont
parfois créé une difficulté d’identification des professionnels mais ont aussi fait l’originalité, la singularité et sans
doute la richesse de l’orthophonie.
Malgré cela, inévitablement, des orthophonistes, dans leur pratique, se sont heurtés à des questions sans répon-
se, à des cas n’entrant pas dans les modèles théoriques proposés, à des moyens d’investigation insuffisants, à des
solutions thérapeutiques anormalement inefficaces ou au contraire à des tentatives opérant de façon surprenan-
te. Quelques-uns ont alors cherché les réponses, soit dans une démarche de praticien-chercheur, soit en intégrant
des équipes de recherche d’autres disciplines. Ainsi, progressivement, tant au niveau de l’évaluation des troubles
que de leur prise en charge, une connaissance spécifique, purement orthophonique a vu le jour, riche à la fois
des acquis des sciences connexes mais aussi des acquis de l’orthophonie elle-même.
C’est avec l’idée de rassembler ces connaissances et l’objectif de théoriser une pratique que j’ai voulu réaliser cet
ouvrage collectif, pensant que c’était mon rôle en tant que président de l’Union Nationale pour le Développement
de la Recherche et de l’Evaluation en Orthophonie (UNADREO). Pour se faire, une équipe de recherche (ERU 9),
dont j’ai assuré la direction, a été créée, rassemblant tous les co-auteurs à qui il a été demandé de rédiger un
chapitre sur un thème qui correspondait à un libellé de la nomenclature des actes professionnels des orthophonistes
ou du décret de compétence, l’objectif étant de couvrir l’ensemble du champ thérapeutique de l’orthophonie.
Il a été également demandé de mettre l’accent sur l’aspect thérapeutique et non sur l’évaluation.
Une large autonomie a été accordée aux auteurs qui devaient partir des troubles pouvant avoir été relevés lors
de bilans orthophoniques et proposer, à partir de là, les solutions thérapeutiques orthophoniques possibles.
Les auteurs devaient, en fait, tenter de répondre à ces 4 questions :
• quelles sont les solutions thérapeutiques face à telle pathologie ? ples différentes approches
• pourquoi choisir cette approche ? ples références théoriques
• comment agir concrètement ? pla pratique clinique
• quels résultats espérer ? pl’évaluation des pratiques
Il leur était bien sûr fortement conseillé d’être le plus exhaustif possible : en orthophonie, comme dans la plupart
des autres disciplines de soins, il n’existe que rarement une possibilité thérapeutique unique. Chaque auteur de-
vait éviter de ne présenter que sa pratique personnelle mais il est bien évident que l’exhaustivité et l’impartiali-
té sont difficiles dans ce genre d’exercice. Des choix ont forcément été faits, à commencer par le choix, que j’as-
sume, des auteurs : tous ont une compétence reconnue, notamment par des travaux antérieurs, dans le sujet qu’ils
ont traité, ils sont quasiment tous chargés d’enseignement et un certain nombre est engagé dans une équipe de
recherche. Par ailleurs, et même s’ils sont nombreux à avoir suivi parallèlement une autre filière universitaire, 33
des 37 co-auteurs sont orthophonistes et tous ont une pratique professionnelle de clinicien.
Chaque auteur a souvent lui-même fait des choix plus ou moins volontaires, chacun ayant une pratique préfé-
rentielle qui risque immanquablement de transparaître. Je ne suis pas intervenu à ce niveau, laissant à chaque
auteur la responsabilité de ses orientations, j’ai simplement veillé à ce qu’elles soient étayées et qu’elles aient une
assise théorique ou clinique suffisante.
Qu’il me soit donc permis de remercier chaleureusement tous les auteurs à qui je suis bien conscient d’avoir de-
mandé un gros travail mais qui se devait d’être fait. L’orthophonie arrive à maturité : même si elle ne renie pas
être la petite fille de la médecine, la petite soeur de la psychologie et la cousine germaine de l’éducation, elle est
désormais capable d’être autonome. Tous les auteurs ont bien montré la spécificité de l’approche thérapeutique
en orthophonie, certes souvent issue d’une pratique intuitive enrichie d’une connaissance multidisciplinaire mais
désormais alimentée par une réflexion des orthophonistes eux-mêmes sur leur pratique clinique qu’ils ont codifiée
et qu’ils soumettent au crible de l’évaluation scientifique, en étant en particulier à travers une collaboration avec
l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES) dont l’UNADREO est l’interlocuteur
privilégié. Tout ceci aboutit à l’élaboration d’un savoir propre à l’orthophonie qui a pour objet le développement, le
rétablissement ou le maintien des capacités de communication orales et écrites des individus. C’est la définition même
d’une science, d’une science orthophonique qui a besoin de se développer, de s’enrichir, de progresser
perpétuellement grâce, notamment, à l’existence d’une recherche officielle en orthophonie et ce, d’abord et
avant tout, dans l’intérêt des personnes touchées dans leur outil de communication qui doivent avoir la garantie
que les professionnels à qui elles demandent de l’aide sont issus d’une discipline qui dispose des meilleurs moyens
pour mettre en œuvre une thérapie adéquate.
De nombreuses pierres ont déjà été posées pour l’élaboration de cette science orthophonique, cet ouvrage vient
sceller l’édifice.
Thierry Rousseau
Président de l’UNADREO
LES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES EN ORTHOPHONIE
TOME II
PRISE EN CHARGE ORTHOPHONIQUE
DES TROUBLES DU LANGAGE ÉCRIT
SOMMAIRE
I – INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
II – UN PEU D’HISTOIRE
A – L’apparition du phénomène et du terme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
B – Et aujourd’hui ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
VI – CONCLUSION ............................................................................................................... 57
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I – INTRODUCTION
Encore une énième publication sur la ou les dyslexies …
Qu’est-ce qui va encore être écrit cette fois-ci ?…
"Encore les mêmes théories "nébuleuses", certes bien argumentées, bien référencées, encore les mêmes études bien "statistisées"
qui sont sûres que …, qui démontrent que …, mais qui n’aident guère les praticiens, les rééducateurs, que sont avant tout (?)
les orthophonistes dans leur travail quotidien de rééducation avec les personnes en difficulté avec l’écrit …"
Voilà une remarque de collègues orthophonistes que j’entends assez fréquemment pendant les pauses des forma-
tions, congrès, colloques professionnels, auxquels je participe et qui ont pour thématique centrale les troubles
développementaux du langage écrit ou "dyslexies développementales" (Van Hout, Estienne, 1994).
Cette remarque renvoie bien entendu à des attentes vraisemblablement insuffisamment comblées.
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Et c’est là que se rencontre le "bric-à-brac" de F. Ramus. Car, en matière de "dyslexie(s)", les interrogations et
les recherches sont nombreuses :
• quand est apparu ce terme ?
• dans quelle(s) sciences ou dans quelle(s) disciplines ?
• quelle(s) significations recouvre ce terme ?
• quelle(s) définitions sont proposées et par qui ?
• quels professionnels s’occupent aujourd’hui de dyslexie(s) ?
• et de quelle(s) manière(s) ?
Ce sont ces questionnements qui permettent d’approcher ce phénomène complexe à travers différents points et
points de vue :
• son histoire,
• ses approches définitoires, liées à différents "ancrages" théoriques,
• des pratiques rééducatives,
• la difficulté d’évaluer ces pratiques.
II – UN PEU D’HISTOIRE
La première question qui peut se poser est celle de la date d’apparition, dans la littérature, du terme même de
"dyslexie", question qui en entraîne immédiatement deux autres :
• dans quel(s) champ(s) disciplinaire(s) est-il apparu ?
• à quoi ce terme renvoie-t-il ? (à quelle réalité fait-il référence ?)
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2 - 1915-1937 : les travaux de S. T. Orton
Quelques années plus tard (1939), le Docteur Orton, neurologue américain, étudie environ trois mille cas de
"troubles de lecture spécifiques" (qu’il préfère au terme de dyslexie) et met en évidence leur survenue familiale
ainsi que leur fréquence plus importante chez les garçons.
Les troubles, qu’Orton rattache à un mode de perception visuelle perturbée entraînant des confusions et inversions
de lettres, seraient liés à une anomalie de dominance hémisphérique (latéralité mixte ou croisée).
Son hypothèse et les méthodes de rééducation qu’il propose sont bien accueillies par les pédagogues, et débouchent
sur la notion de troubles "instrumentaux" : troubles de la perception visuo-spatiale, de l’orientation latérale,
dominance manuelle gauche.
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5 - Les modèles développementaux du langage écrit
Entre 1970 et 1980, les progrès accomplis dans le domaine de la neuropsychologie de l’adulte, pour ce qui
concerne les troubles de la lecture par lésion cérébrale acquise, permettent la différenciation de sous-types de dyslexies
acquises : dyslexie visuelle, dyslexie de surface, dyslexie profonde (J. Marshall et F. Newcombe, 1973) et
l’élaboration de modèles cognitifs de la lecture chez le lecteur-scripteur adulte compétent (Coltheart, 1978,
Morton et Patterson, 1980, pour les voies d’assemblage et d’adressage).
La conception unitaire de la dyslexie, déjà mise en cause par le courant instrumental qui avait pressenti la diversité
des processus intervenant dans la lecture, s’effondre, en particulier avec la distinction chez l’enfant de différentes
dyslexies de développement (E. Boder) : dyslexie dysphonétique, dyslexie dyséidétique, dyslexie mixte.
C’est surtout avec l’apparition des modèles développementaux de la lecture, expliquant les mécanismes d’entrée
dans l’écrit chez l’enfant ordinaire, selon le développement normal des aptitudes lexiques en stades qualitatifs
(U. Frith, 1986), que peuvent alors être plus précisément différenciés les troubles du développement du langage
écrit (lecture et écriture) en termes de difficultés d’accès à telle ou telle stratégie : dyslexie phonologique, dyslexie
de surface, dysorthographie de surface. Pour ce qui concerne ces dyslexies dites "développementales", N. Geschwind
et A. Galaburda montrent, dans les années 1980, que le syndrome de dyslexie est souvent lié à un dysfonction-
nement neuronal (anomalie de migration des neurones – avant la naissance – dans le lobe temporal gauche, au
niveau du planum temporale, intervenant dans le codage phonologique).
Cet aperçu historique rapide des troubles de la lecture, depuis leur mise en évidence chez l’enfant à la fin du XIXe
siècle jusqu’aux travaux contemporains de la psychologie cognitive depuis la fin du XXe siècle, nous montre
combien la qualification, la description, la définition de ces difficultés restent complexes.
Le retour sur l’histoire présente aussi l’intérêt de nous renseigner sur les professionnels qui se sont intéressés à
ces difficultés : des médecins tout d’abord puis des pédagogues, très rapidement rejoints par des psychologues
et par d’autres professionnels dont la discipline a commencé à émerger et à se construire dans le courant du
XXe siècle : des orthophonistes.
B - ET AUJOURD’HUI ?
Une étude de la littérature scientifique sur "la dyslexie" permet de se rendre compte qu’elle est encore aujourd’hui
sujette à controverses. Mais qu’est-ce qui permet, au juste, d’affirmer qu’une étude est reconnue comme
"scientifique" ?
La notion même de "scientificité", me semble-t-il, doit être interrogée. Que veut dire "significativement moins
bon" ? Que, pour la mesure de la capacité C, le groupe constitué par des personnes dyslexiques a obtenu une
moyenne de résultats inférieure à celle obtenue par le groupe de personnes contrôle ? Mais une objection peut
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tout de suite être soulevée : parmi les personnes dyslexiques, il suffit qu’un pourcentage seulement d’entre elles ait
obtenu de très faibles résultats sur la capacité C pour que tout le groupe de personnes dyslexiques soit
considéré comme "moins bon" pour la capacité C que le groupe contrôle. Avec un pareil résultat, il me semble
difficile de conclure quoi que ce soit, à moins d’étudier les données individuelles, qui, si elles sont suffisamment
fiables, risquent de mieux renseigner que les moyennes des groupes constitués.
2 - Le problème de la "comorbidité"
Par ailleurs, même si l’ensemble des personnes dyslexiques faisant partie d’une étude donnée présente un déficit de
la capacité C, cela ne signifie pas pour autant que le déficit de la capacité C est la cause des difficultés en lecture. En
effet, il est possible qu’une cause X entraîne simultanément un déficit de la capacité C et des troubles
dyslexiques.
C’est justement le problème posé par le phénomène de la comorbidité : est-ce que les troubles dyslexiques peuvent
être considérés comme des troubles purs, c’est-à-dire se rencontrant seuls, isolés, en dehors d’autres difficultés ?
Ou, au contraire, les troubles dyslexiques observés se rencontrent-ils concomittament à d’autres troubles ou
difficultés, c’est-à-dire par exemple en association avec des troubles moteurs, auditifs, visuels ? De nombreuses
recherches en sciences cognitives mettent en effet en évidence que des troubles sensorimoteurs se retrouvent dans
beaucoup de troubles développementaux comme les dysphasies, les dyspraxies, l’autisme, les troubles d’attention.
Mais là encore, en la matière, c’est le regard que portent ces sciences sur les objets qu’elles construisent et
définissent, les "troubles développementaux", qui les amènent à envisager les manifestations dyslexiques de la
manière qu’elles proposent.
C’est pourquoi, afin de se rendre compte des perspectives scientifiques d’approches de la ou des dyslexie(s),
est-il nécessaire d’étudier les définitions qui en ont été et en sont proposées, d’abord dans des ouvrages courants,
usuels, puis dans des ouvrages spécialisés. Cet éventail définitoire permettra d’exposer succinctement les manières
d’envisager la ou les dyslexie(s) et les références théoriques proposées étayant les différents modes d’intervention
en matière de rééducation des troubles du langage écrit.
En schématisant, les recherches les plus récentes sur la/les dyslexie(s) se répartissent en deux tendances principales :
• la "théorie phonologique" considère que la/les dyslexies est/sont un trouble spécifique à la parole,
• l’autre tendance, représentée par les théories du traitement auditif et les théories magnocellulaire et cérébelleuse,
envisage la/les dyslexie(s) comme un syndrome aux manifestations multiples dans les domaines sensoriels et
moteurs.
A - DICTIONNAIRES USUELS
Le dictionnaire Nouveau Petit Robert donne respectivement de la dyslexie et de la dysorthographie les définitions
suivantes : "trouble de la capacité de lire, ou difficulté à reconnaître et à reproduire le langage écrit",
"trouble dans l’acquisition et la maîtrise des règles de l’orthographe (en l’absence de déficiences intellec-
tuelles)".
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Dans le dictionnaire de Paul Emile Littré, il n’existe pas d’entrée ni de mention du terme "dyslexie", pas plus
que du terme "dysorthographie".
Dans l’Encyclopédie Universalis (1990), Jean Bergès propose :
"Le concept même de dyslexie est fort discuté. Il peut servir à qualifier les difficultés ou les altérations de l’ap-
prentissage du langage écrit, en dehors des simples retards dans l’"acquisition" de la lecture. Selon cette concep-
tion, la dyslexie n’est pas une déviation d’un processus évolutif, mais un handicap, une incompétence à apprendre à
lire, une incapacité élective : son caractère isolé, détaché de tout autre trouble de l’apprentissage ou de toute pertur-
bation neurologique ou affective, porte à en faire une affection autonome, voire héréditaire. Mais, plutôt que comme
ce handicap dont on a fait une "maladie du siècle", la dyslexie peut être considérée comme la traduction d’un dysfonc-
tionnement de la fonction symbolique : elle marque, au niveau du décryptage du langage écrit, une infirmité plus
générale du symbolique. Dès lors, sa problématique s’inscrit dans la difficulté à "intégrer" les symboles de l’écriture en
tant que tels, à croiser les critères afférents de la fonction visuelle avec les éléments auditifs et articulatoires de la
parole. Il s’agit d’une altération de la fonction de lire ou de la "transcription". On comprend par là que chacun de ces
critères et de ces canaux afférentiels puisse être partie prenante dans la dyslexie, en dehors des fonctions intégratives
elles-mêmes."
B - OUVRAGES SPÉCIALISÉS
En 1968, en Europe, des experts réunis en collège, sous l’égide de la Fédération Mondiale de Neurologie,
proposent la définition suivante :
"trouble de l’apprentissage de la lecture survenant en dépit d’une intelligence normale, de l’absence de
troubles sensoriels ou neurologiques, d’une instruction scolaire adéquate, d’opportunités socioculturelles
suffisantes ; en outre, elle dépend d’une perturbation d’aptitudes cognitives fondamentales souvent d’origine
constitutionnelle. "
Cette définition par exclusion, qui précise surtout ce que n’est pas la dyslexie, fera l’objet de nombreuses critiques
dans la mesure où la présence de troubles associés ne permet pas aux enfants qui les présentent de bénéficier
d’une aide appropriée.
Aux Etats-Unis, c’est un vote du Congrès, en 1960, puis une loi publique en 1970, qui reconnaissent la dyslexie
comme un trouble spécifique des apprentissages du langage écrit reposant sur "un écart significatif entre
réalisations scolaires en lecture et possibilités intellectuelles mesurées par le QI", l’exclusion de causes expli-
quant cet écart constituant un autre critère diagnostique majeur (troubles de perception sensorielle, problèmes
psychiatriques, pathologies neurologiques lourdes, manque d’opportunité scolaire suffisante, manque de stimu-
lations socioculturelles).
Cette définition rejoint celle de la "World Federation of Neurology" (Fédération Mondiale de Neurologie), et
pose les mêmes questions : qu’est-ce qu’une "opportunité scolaire suffisante" ? qu’est-ce qu’un "manque de stimu-
lations socioculturelles" ? de quels "problèmes psychiatriques" s’agit-il ? qu’est-ce qu’une "pathologie neurologique lour-
de" ? D’autant plus qu’en 1975 sont alors évoquées la possibilité de handicaps multiples et la possibilité
d’une coïncidence avec un milieu socioculturel peu favorable.
Dans le Vocabulaire de sciences cognitives, paru en 1998, J.-E. Gombert propose la définition suivante :
"En ce qui concerne les dysfonctionnements de l’apprentissage, des progrès notables ont été faits quant à la connaissance
des dyslexies développementales : ces troubles strictement limités à la lecture (et à l’orthographe), indépendants de
l’intelligence et des conditions sociales et (ou) affectives."
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"Le diagnostic d’un trouble des apprentissages est porté lorsque les performances du sujet à des tests standardisés, passés de
façon individuelle, portant sur la lecture, le calcul ou l’expression écrite sont nettement au-dessous du niveau escompté, comp-
te tenu de son âge, de son niveau scolaire, et de son niveau intellectuel. Les problèmes d’apprentissage interfèrent de ma-
nière significative avec la réussite scolaire ou les activités de la vie courante qui nécessitent de savoir lire, compter ou écri-
re. Plusieurs approches statistiques peuvent être utilisées pour déterminer si la différence est significative. Nettement au-dessous
se définit généralement par une différence de plus de deux écarts-types entre les performances et le quotient intellectuel.
Une différence moins importante (c’est-à-dire entre un et deux écarts-types) est parfois retenue, particulièrement dans
les cas où la performance d’un sujet au test de quotient intellectuel peut avoir été perturbée par un trouble associé des pro-
cessus cognitifs, par un trouble mental prémorbide, ou une affection médicale générale, ou encore par le contexte eth-
nique ou culturel. Si un déficit sensoriel est présent, les difficultés d’apprentissage doivent être supérieures à celles habituellement
associées à ce déficit. Les troubles des apprentissages peuvent persister à l’âge adulte."
Quant à l’Organisation Mondiale de la Santé, dont le siège est à Genève, c’est dans la section des troubles du
langage oral et/ou écrit que le système de Classification Internationale des Maladies et problèmes de santé
connexes (CIM 10) place les "troubles spécifiques du développement des acquisitions scolaires". Ces troubles
sont présentés comme des troubles dans lesquels "les modalités" habituelles d’apprentissage sont altérées dès les
premiers stades du développement, l’altération n’étant pas seulement la conséquence d’un manque d’occasion
d’apprentissage ou d’un retard mental et n’étant pas due à un traumatisme cérébral ou à une atteinte cérébrale
acquise. Ces troubles comprennent les "troubles spécifiques de la lecture", de l’acquisition de l’orthographe,
de l’acquisition de l’arithmétique et le trouble mixte des acquisitions scolaires dans lequel il existe à la fois une
altération significative du calcul et de la lecture ou de l’orthographe, non imputable exclusivement à un retard
mental global ou à une scolarisation inadéquate.
En France, pour l’ANAES (Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé), le Service des
Références Médicales publie, en septembre 1997, le constat, fait par le groupe de travail constitué pour établir
des recommandations pour la pratique clinique sur le thème de l’indication de l’orthophonie dans les troubles
du langage écrit chez l’enfant, qu’il n’existe pas de consensus sur la définition des "troubles du langage écrit"
chez l’enfant :
"Ceci s’explique par l’existence de plusieurs théories concernant l’apprentissage et par une approche plurifactorielle et
pluridisciplinaire de ces troubles. Il existe de nombreux tests diagnostiques dont aucun n’a été validé. En France, la
littérature ne comporte aucune étude de sensibilité, de spécificité et de reproductibilité de ces tests diagnostiques."
En l’absence de définition consensuelle, le groupe de travail a retenu les caractéristiques diagnostiques définies
pour le diagnostic des troubles des apprentissages dans le DSM IV, proches de celles adoptées par l’Organisation
Mondiale de la Santé dans la CIM 10, et a donc proposé, respectivement pour les "troubles de l’acquisition du
langage écrit" et pour les "troubles spécifiques de l’acquisition du langage écrit", les définitions suivantes :
• "difficulté durable dans la progression de l’acquisition du langage écrit chez l’enfant"
• "déficit durable et significatif du langage écrit qui ne peut s’expliquer par une cause évidente".
Cette contribution n’a ni l’objectif ni la prétention de faire un historique détaillé des points de vue précis sur le phé-
nomène des "dyslexie(s)". Il faudrait pour cela rendre compte plus précisément de différentes orientations :
psychoaffectives, psychocognitives, neuropsychologiques, neurologiques, ou d’autres encore.
Elle vise surtout à rendre compte de différentes approches proposées en matière de rééducation, intéressant le
domaine de l’orthophonie, et principalement dans cette partie en langue française :
• en essayant de présenter (certainement, hélas, trop rapidement) ces approches,
• tout en les situant historiquement,
• en développant les hypothèses théoriques ayant conduit la démarche méthodologique de leurs auteurs respectifs,
• en exposant leurs démarches respectives,
• et en interrogeant leurs intérêts et leurs limites.
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IV – DES PRATIQUES CLINIQUES
A - HÉTÉROGÉNÉITÉ, DIVERSITÉ
Comme le rappelle Françoise Estienne, logopède et philologue, dans l’article qu’elle consacre à la rétrospective
des courants de l’Ecole française s’occupant de "thérapies" du langage écrit : "la multiplicité et la diversité des
approches ne signifie pas forcément richesse ni efficacité. Chacun privilégie une dimension particulière en ignorant ou
en rejetant les autres d’où un constat peu réjouissant : le flou, la longueur, la fantaisie et le peu d’efficacité des traite-
ments, leur manque de rigueur au niveau du contrôle." (Van Hout et Estienne, 1994)
Là encore la manière dont sont nommés, en français, les modes d’intervention concernant les troubles du lan-
gage écrit est révélatrice des conceptions envisagées :
• orthopédagogie (Rosenblum, 1950),
• pédagogie curative (Debresse, 1959),
• orthopédagogie psychothérapique (Cahn et Mouton, 1967),
• pédagogie relationnelle du langage (Chassagny, 1970),
• rééducation psychothérapique (Lobrot, 1975),
• orthologie ou psychothérapie passive (Delaunay, 1977),
• thérapies spécialisées du langage écrit (Mucchielli-Bourcier, 1978).
La plupart de ces termes, comportant ou non les préfixes : "ortho-" et "psycho-", termes relevés dans la littérature et
paradoxalement tous regroupés sous celui englobant et générique de "thérapies" du langage écrit par
F. Estienne (Estienne, 1994), renvoient principalement à deux domaines : la "pédagogie" et la "psychothérapie", mais
étonnamment peu à celui de la médecine ou de la santé, à l’exception de la qualification "curative" s’appliquant à la
pédagogie prônée par Debresse ou, effectivement, aux "thérapies" explicitement nommées par Bourcier.
Jusqu’aux années quatre-vingts du siècle dernier, une brève revue, bien entendu non exhaustive, de la littératu-
re nous montre que les interventions concernant les troubles du langage écrit sont donc envisagées comme re-
levant essentiellement soit de pédagogies spécifiques, soit de psychothérapies.
Sur le terrain, les manières d’intervenir auprès des enfants en difficulté avec l’écrit, sont généralement liées aux
représentations que se sont construites et que se construisent les professionnels qui s’y intéressent :
• représentations des troubles dyslexiques,
• représentations des origines qu’ils leur supposent (étiologie),
• représentations du concept d’écrit (lecture-écriture).
En fonction de la façon dont sont envisagées les difficultés relatives à l’écrit, différents modes d’intervention au-
près des personnes en difficulté sont donc proposés :
• les modes d’intervention liés aux approches symptomatiques,
• les modes d’intervention liés aux approches psychothérapiques,
• des modes d’intervention particuliers.
A l’exception des travaux d’Orton (cf 1 – A – 2) qui s’est intéressé à de nombreux cas d’enfants dyslexiques de
langue anglaise, il ne s’agit ici que de présenter les principaux écrits d’auteurs de langue française ayant proposé des
modes d’intervention auprès d’enfants dyslexiques.
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◆ Les approches d’Orton et Gillingham (Orton, 1925)
Après avoir observé de nombreux enfants dyslexiques et les avoir soumis à des présentations répétées et ultra-
rapides de mots écrits, Orton fait le constat que les enfants ne reconnaissent toujours pas mieux ces mots écrits
et qu’ils se comportent comme s’ils les rencontraient pour la première fois. Il décide alors d’enseigner à ces
enfants le transcodage phonologique des lettres ou groupes de lettres, en vue d’obtenir la fusion (le terme psycho-
cognitiviste correspondant aujourd’hui employé est l’assemblage) en unités phonologiques de plus en plus larges
jusqu’à l’oralisation des mots entiers.
Son interprétation des troubles dyslexiques est neurologique, l’étiologie étant liée à une compétition interhémisphé-
rique (cf I – A – 2).
Orton envisage et décrit trois modes d’"entrée" dominants et préférentiels dans le langage écrit : visuel, auditif,
kinesthésique, le recours à chacun d’entre eux faisant l’objet d’une analyse pour chaque enfant en difficulté, et
l’activité kinesthésique (l’enfant trace du doigt la lettre en même temps qu’il oralise le son correspondant) est
systématiquement employée, avec l’hypothèse qu’elle favorise les associations visuo-auditives dans l’apprentissage
des mises en correspondance graphèmes-phonèmes.
Cet enseignement se déroule de manière progressive et systématisée, en partant des unités les plus simples (lettres)
pour parvenir aux plus complexes (groupes de lettres et mots entiers).
L’adulte dit à haute voix le nom de la lettre présentée isolément sur un carton à l’enfant, lui en demande la
répétition, puis il émet le son produit par la lettre et en demande la répétition à l’enfant. Ensuite des exercices
de correspondance graphèmes-phonèmes sont proposés, l’adulte prononçant un son et l’enfant devant dire le nom
de la lettre correspondante, et réciproquement, l’adulte oralisant le nom d’une lettre et l’enfant devant produire le
son correspondant.
La production écrite est très rapidement sollicitée : l’adulte écrit la lettre tout en expliquant la manière "correc-
te" de la tracer, et tout en oralisant son nom. L’enfant trace la lettre du doigt puis la copie en l’écrivant tout en
oralisant son nom. Le recours à la réalisation d’associations auditivo-kinesthésiques répétées (geste de traçage du
doigt, oralisation) permet à l’enfant la reproduction de la lettre de mémoire.
Orton propose une progression systématisée allant de voyelles isolées (exemples : a, i) présentées dans une
couleur déterminée, associées ensuite à des consonnes de base présentées dans une couleur différente de celle des
voyelles (introduction de syllabes simples), et en veillant à éviter la présentation simultanée ou rapprochée dans
le temps de lettres dont les correspondants phonémiques ne se distinguent que par un seul trait articulatoire
(exemple : le voisement), de lettres "en miroir" (dont la forme est la même mais l’orientation différente).
L’adulte demande à l’enfant de lire à haute voix des mots écrits dont les syllabes écrites sont présentées séparément
(exemple : Ma-ry), puis il est invité à réaliser lui-même la segmentation des mots écrits en syllabes (découpage).
Sont ensuite présentés, de manière de plus en plus rapide, des ensembles de lettres non signifiants dont est de-
mandée la prononciation immédiatement "fusionnée", pour passer progressivement à des mots écrits signifiants,
dont des mots dits "irréguliers" (dont l’oralisation ne correspond pas à l’application stricte de correspondances
graphémo-phonémiques), ces mots écrits étant pourvus de soulignages distinguant les zones d’irrégularité.
En plus des vingt-six lettres de l’alphabet présentées de manière isolée, avec leur nom et leur(s) contrepartie(s)
phonémique(s), sont également enseignés des groupements de lettres formant des sons uniques (quarante-qua-
tre pour la langue anglaise), comme les diphtongues par exemple, que l’enfant doit progressivement mémoriser
en vue de leur prononciation automatisée.
Cette approche consiste donc en un enseignement particulier du code écrit d’une langue alphabétique (l’anglais),
qui prend en compte les éventuelles difficultés spécifiques d’apprentissage de ce code (confusions entre des pho-
nèmes et/ou des lettres), puisque l’enseignement est d’abord fondé sur des unités de base de l’écrit, en insistant
sur la différenciation entre le nom des lettres et le son produit par les phonèmes leur correspondant.
Il se déroule en deux temps, en allant du plus simple au plus complexe :
• construction d’un "lexique" graphémique, phonétique et syllabique stable,
• possibilité d’accès à des structures écrites plus larges et signifiantes : les mots écrits et leur signification.
Il s’agit avant tout de "déconditionner" les enfants en difficulté avec l’écrit de leur stratégie de "devinement lié
au contexte", en centrant l’apprentissage sur la reconnaissance d’unités de l’écrit de plus en plus larges, c’est-à-
dire en faisant se développer ce qui est aujourd’hui nommé en psychologie cognitive de la lecture : l’adressage.
19
Cette approche, qui se défend d’être une "méthode" au sens normatif du terme, se veut avant tout un ensemble
de procédés rééducatifs qui doivent être adaptés à chaque enfant.
Il n’empêche qu’elle se présente surtout comme une forme particulière d’enseignement du code écrit, qui n’a, à
ma connaissance, pas fait l’objet d’adaptation dans les pays de langue française.
Ces modes d’intervention reposent globalement sur l’idée que les enfants présentant des troubles dyslexiques ont
des difficultés à établir (voire n’établissent pas du tout) de rapports entre les éléments constitutifs de la parole
dite et entendue (les sons) et les éléments qui les représentent (les lettres). Pour employer la terminologie issue
des récentes recherches psycho-cognitivistes de la fin du XXe siècle, ils ne mettent pas en correspondance rapide,
automatisée et non "coûteuse" au plan cognitif, les graphèmes (lettres et/ou groupes de lettres) avec les phonèmes
les représentant, et réciproquement.
Les connaissances de l’époque reposent surtout sur des observations descriptives des difficultés rencontrées :
les difficultés voire l’incapacité de mise en correspondance des lettres et des sons qui ne permettent pas aux en-
fants en difficulté de déchiffrer le code écrit.
Il s’agit alors de trouver des moyens d’aider ces enfants à s’approprier autrement le fonctionnement du code écrit.
Il s’agit aussi d’inventer et de construire des moyens, des "techniques" leur permettant de gérer les difficultés
qu’ils rencontrent, dans ce que les récents travaux psycho-cognitivistes nomment les processus de "bas niveau"
de traitement de l’information écrite modélisant les deux voies (assemblage et adressage) indispensables à la
mise en place et au fonctionnement des mécanismes d’identification des mots écrits (Baccino et Colé, 1995).
A cet endroit, il nous semble tout de même intéressant de souligner que, dès la seconde partie du XXe siècle,
et sans les connaissances dont nous disposons aujourd’hui grâce aux découvertes des dernières années en psycho-
logie cognitive et en psycholinguistique concernant les modélisations de mécanismes d’identification et de
production des mots écrits, l’accent avait déjà été mis, certes de manière uniquement hypothétique, sur
l’importance de la compréhension et de l’appropriation du fonctionnement du code écrit, par des auteurs
s’intéressant aux difficultés de lecture rencontrées par certains enfants : Suzanne Borel-Maisonny, Marie de
Maistre, Andrée Bourcier.
En effet, les connaissances disponibles à l’époque montrent déjà l’importance de la taille des unités de traitement
et d’analyse de la parole dite et entendue (les phonèmes) indispensables à la mise en place du système de
correspondances lettres-sons propres à une langue de type alphabétique : "Une oreille normale perçoit les
différences acoustiques qui caractérisent les phonèmes. Chez les dyslexiques, il s’agit d’une déficience de la perception
auditive, qui ne leur permet pas d’analyser de façon suffisamment exacte et précise les sons du langage parlé pour saisir
correctement le système de leur production écrite" (De Maistre, 1970). Déjà, donc, émerge l’intuition de la nécessité
de maîtrise du principe alphabétique pour l’acquisition des codes écrits propres aux langues alphabétiques,
intuition érigée aujourd’hui en certitude par la production de nombreux travaux et études (Alegria, Lecocq,
Sprenger-Charolles, Gombert, Fayol, 1993).
Rappelons toutefois que cette compréhension et cette maîtrise du système de correspondances graphèmes-pho-
nèmes, si elle est bien reconnue aujourd’hui nécessaire et indispensable au traitement de l’information écrite sous
l’aspect identification des mots écrits, n’est toutefois pas suffisante pour approcher l’acte ou l’activité complexe
qu’est la lecture.
20
Rappelons aussi par ailleurs que cette maîtrise du code écrit, qui peut de prime abord sembler simple à des adul-
tes lecteurs-scripteurs compétents ayant déjà une expérience de l’écrit ancienne de plusieurs années, est en réali-
té une affaire très complexe de symbolisation, de construction et d’appropriation.
Envisager le code écrit d’une langue alphabétique comme un système de mises en correspondance lettres-sons
et sons-lettres, c’est l’envisager comme un système symbolique de représentations de symboles, c’est-à-dire que
pour s’approprier ce système, les enfants-apprenants sont contraints à une double symbolisation : le premier
niveau de symbolisation leur permet de comprendre que les objets et phénomènes du monde environnant
(présents et non présents sous leurs yeux) sont représentés par des objets dits et entendus (des mots), le second
niveau de symbolisation que ces objets-mots peuvent être découpés en petites unités sonores (les phonèmes) et
soumis à un autre système de représentation : des lettres ou des groupes de lettres qui, assemblées dans un
ordre déterminé, composent des mots écrits.
Partant de l’hypothèse que les enfants présentant des troubles dyslexiques ne parviennent pas à accéder à ce second
niveau de symbolisation, les méthodes d’intervention liées à des représentations symptomatiques des difficultés,
présentées par les auteurs suivants : Borel-Maisonny, de Maistre, Bourcier, proposent donc des formes de
"ré-apprentissage" de l’écrit, essentiellement composées d’une progression planifiée d’exercices allant du plus
simple au plus complexe.
Méthode Borel-Maisonny
Ayant, dès le début du XXe siècle, étudié la phonétique avec l’abbé Rousselot, Suzanne Borel-Maisonny, au départ
philologue et phonéticienne, s’intéresse expérimentalement à la rééducation des personnes sourdes et des enfants
atteints de troubles du langage. Avec le Docteur Veau, chirurgien s’occupant de la réparation de divisions
palatines, elle poursuit son travail d’expérimentation clinique en développant une éducation phonétique pour
les personnes opérées de division palatine. Elle est aussi influencée dans son travail de recueil d’observation de
faits par ses échanges avec le Docteur E. Pichon, pédiatre, philologue et psychanalyste.
C’est dans les deux tomes publiés en 1951 sous le titre "Langage oral et écrit" qu’elle détaille sa méthode
d’apprentissage de la lecture et de rééducation du langage écrit pour enfants dyslexiques et dysorthographiques,
que nous présentons ici de manière (nous l’espérons, pas trop abusivement) résumée.
Madame Borel-Maisonny propose une méthode d’apprentissage ou de "ré-apprentissage" qui peut être quali-
fiée de "phonético-gestuelle", étant donné que chaque lettre (graphème simple) ou groupe de lettres (graphème
complexe) est présenté à la personne en difficulté en étant d’emblée associée, non pas au(x) nom(s) la ou les
désignant dans l’alphabet, mais à la fois au son (phonème) lui correspondant dans la parole (dans les mots dits,
prononcés) et à un geste symbolisant la ou les lettres.
21
La progression s’opère en plusieurs temps successifs, regroupant des catégories nommées "leçons", chaque étape
ne succédant à la précédente que lorsque les acquis la concernant semblent fixés (cette condition fait l’objet de
"révisions" à chaque nouvelle leçon) :
Il s’agit d’abord d’obtenir la reconnaissance, l’identification de chaque graphème (simple ou complexe) en
l’associant aux son et geste correspondants. Voici des exemples concernant les premières leçons proposées par
Madame Borel-Maisonny :
• leçon 1 : f,s, ch, v, j, z, l, r, m, n, a, o, u, e, é, i, y,
• leçon 2 : a, am, on, om, oi, oin,
• leçon 3 : ou, p, t, k,
• leçon 4 : au, eau, in, im, yn, ym,
• leçon 5 : b, qu, h, ai, ei, lettres "muettes" en position finale (e, s, t, ent, x,d),
• leçon 6 : et, ez, ed, eh, er.
Les associations (consonne-voyelle) sont présentées assez rapidement, les consonnes étant écrites dans une
couleur différente (bleue) de celle des voyelles (rouge), le rééducateur traçant un trait entre la consonne et la voyelle
et en désignant du doigt le "passage" de l’une à l’autre. Nous pouvons noter que les premières consonnes proposées
représentent des constrictives sourdes et sonores, des liquides et des nasales, dont la production oralisée sous
forme de phonèmes permet une tenue donc une durée plus longue que celles caractérisant les occlusives, et
elles sont donc supposées plus aisément "perceptibles" ou repérables, identifiables, par les apprenants. Des asso-
ciations de trois lettres : voyelle entre deux consonnes (exemple : f-a-l), groupe diconsonantique suivi d’une voyelle
(exemple : fr-a), sont proposés, de même que des exercices en tableaux (bal, bar, cal, car, cra, vra), des diphton-
gues-sons voyelles (exemple : oi, oin), des consonnes "spéciales" (c, g), des sons complexes (ail, eil, euil, ouil, etc.).
Dès le début, des productions écrites peuvent être demandées, et la réversibilité est aussi rapidement envisagée,
avec des syllabes écrites de structure (voyelle-consonne).
Au étapes concernées, sont signalées les difficultés auxquelles peuvent se heurter certains apprenants, confusions
de "forme" (exemples : t-f, i-j) ou confusions de "son" (exemples : oi-a, é-i).
Selon Suzanne Borel-Maisonny, cette méthode s’adresse essentiellement à des enfants jeunes mais peut être
également partiellement employée avec des enfants plus âgés présentant d’importantes difficultés en matière de
lecture-écriture, ou encore avec des enfants présentant un déficit intellectuel : "Disons, à titre d’indication, que
la rapidité d’assimilation des trente leçons de cette annexe peut varier de six semaines (enfants doués) à deux ans
(enfants très retardés)" (Borel-Maisonny, 1951, 1985 : 22).
Parallèlement à ses attitudes et propositions d’ordre pédagogique (méthode d’apprentissage de la lecture),
Madame Borel est aussi sensible aux conduites d’ordre psychologique qui caractérisent le comportement des
enfants en difficulté avec l’acquisition de la lecture, enfants qu’elle qualifie de "présumés dyslexiques" : "Cet établis-
sement dans l’échec en fait des cancres qui se désintéressent de tout effort, s’habituent aux remontrances après s’en être
révoltés, quelquefois affectent une attitude d’indifférence ou se taillent des succès auprès de leurs camarades en organisant
la dissipation… mais ils ne lisent pas mieux pour cela." (Borel-Maisonny : 51), à leurs souffrances et à celles de leurs
parents et de leurs enseignants.
Elle suggère donc d’utiliser, avec des adaptations, sa méthode de lecture dans des séances de rééducation indivi-
duelles, afin d’aider les enfants présumés dyslexiques, à entrer dans l’écrit par des "réussites" d’acquisition, même
minimes.
Plusieurs aspects, relatifs aux conduites respectives des protagonistes de la situation, me semblent intéressants dans
la manière, présentée par Madame Borel, de procéder avec des enfants présentant des troubles dyslexiques :
• elle sollicite la présence de la mère pendant ces séances de rééducation, même si ce n’est qu’à titre de simple
observatrice : "s’il est possible de garder à la leçon l’enfant et sa mère, dire à celle-ci d’écouter et de regarder en se taisant
et sans se permettre de manifestation d’aucune sorte",
• elle remet en cause l’infaillibilité de l’adulte vis-à-vis de l’enfant et reconnaît des savoir-faire à l’enfant : "Dire
à l’enfant qu’on n’a pas su jusqu’ici tenir compte de ses difficultés et qu’il va désormais comprendre et réussir"
(Borel-Maisonny : 51),
22
• à partir d’une méthode et de modèles généraux, elle défend l’idée de la nécessité de s’intéresser à chaque
enfant de manière individualisée et prône la nécessité d’étude de cas uniques.
Certainement davantage préoccupée par le souci de faire comprendre à ses lecteurs les fondements de sa méthode
d’apprentissage et de rééducation, il est dommage que Madame Borel-Maisonny n’ait pas développé davantage ces
aspects de la situation de relation et d’interaction qu’est la séance de rééducation pour troubles du langage écrit :
• reconnaissance par un professionnel adulte de savoirs et savoir-faire chez l’enfant,
• attribution à l’enfant par ce professionnel de possibilité de réussite, en dépit de ses difficultés,
• possibilité, voire nécessité, de présence d’un tiers (éducateur, père ou mère de l’enfant) pendant la séance de
rééducation avec l’enfant, afin de favoriser chez ce tiers la prise de conscience des difficultés spécifiques de l’enfant
et la suppression de toute attribution hypothétique à l’enfant par ce tiers de manque de volonté ou d’incapacité
liée à un déficit intellectuel (ce qui a pour objectif ultérieur de transformer positivement la relation
malheureusement "déformée" entre l’enfant et ses éducateurs),
• nécessité de s’appuyer sur des hypothèses générales de fonctionnement (des "modèles" théoriques) avec parallèle
nécessité d’adaptation à chaque personne individuelle, en fonction de son histoire, de son environnement, de
ses acquis.
Par ailleurs, il me semble tout aussi important de faire le lien entre les observations précoces de Madame Borel,
concernant les procédés de déchiffrage relatifs au code écrit, et les hypothèses récentes concernant les mécanismes
d’identification des mots écrits, avec les voies d’assemblage et d’adressage : "Quand la reconnaissance des éléments
à assembler est rapide et sans hésitation, on entraîne l’enfant à les prononcer lui-même.", "Les temps de réaction des dys-
lexiques dans la discrimination des phonèmes est extrêmement lent, il ne faut pas l’oublier." (Borel-Maisonny : 55)
Bien entendu, il ne s’agissait à l’époque que d’ "intuitions", de "déclarations", relevant de longues et nombreuses
observations personnelles de comportements d’enfants vis-à-vis de l’écrit et d’expérimentations maintes fois
répétées. Cette façon de procéder, fondée sur le questionnement : "Qu’est-ce qui se passe si l’on fait ceci ou
cela ? ", c’est-à-dire sous la forme d’une hypothèse formulée de manière très rudimentaire, a conduit à des
expériences pour voir, "où le chercheur n’est pas guidé par une vue théorique cohérente et complexe, mais par une cu-
riosité que l’on pourrait comparer à une sorte de flânerie scientifique" (Parot, Richelle, 1998 : 261).
Partant de l’observation des faits de la réalité soumis à des expériences répétées pour en tirer ensuite des résultats et
des conclusions qui, une fois les faits établis, permettent d’imposer un cadre théorique, cette démarche peut être
qualifiée d’inductive. Son "contraire" est la démarche hypothético-déductive qui part, elle, d’une théorie scien-
tifique, à partir de laquelle sont formulées des hypothèses ensuite soumises à des faits du réel, sur la base d’une
méthode d’expérimentation, faits qui confirment ou infirment la théorie de départ.
Pour la seconde démarche, il s’agit donc de confirmer ou d’infirmer une construction théorique. Dans les
expériences pour voir, il s’agit davantage de "curiosité" scientifique, qui permet cependant une ouverture
aux imprévus (puisque la démarche n’est pas parfaitement planifiée à l’avance ni encadrée par une ou des
théorisations données), une réceptivité à l’inattendu, une forme de sérendipité (une "disponibilité curieuse").
Il convient cependant de préciser que, dans la démarche "inductionniste", les faits d’observation et d’expéri-
mentation ne sont quand même jamais établis dans un "vide théorique", puisqu’ils sont toujours recherchés et
recueillis par un chercheur qui a sa propre histoire individuelle inscrite dans le cadre plus général de l’histoire de
sa culture et de sa société et qui est donc influencé, guidé par ces acquis antérieurs dans le choix de ses techniques
d’investigation et dans l’orientation de ses interprétations.
Pour ce qui concerne les travaux de Madame Borel-Maisonny, les influences respectives de la formation philo-
logique et phonétique auprès de l’abbé Rousselot, de l’expérimentation clinique auprès du Docteur Veau, des
échanges de connaissances et des confrontations de points de vue avec le Docteur Pichon, pédiatre et psycha-
nalyste, deux qualités essentielles marquent ses recherches : la précision des observations et le souci de rigueur
scientifique, ainsi que le précisent T. Simon, président de la société Alfred Binet, et C. Launay, médecin des
Hôpitaux, dans l’introduction au tome I de Langage oral et écrit : "C’est, partant du réel, l’essai cent fois répété, puis
incessamment modifié au contact des faits, d’un procédé éducatif ou d’un jeu-test qui, finalement, conduit l’auteur à
l’admettre ou à la rejeter de sa pratique. N’est-ce pas ainsi que A. Binet procédait ?" (Borel-Maisonny, 1951).
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Méthode de Maistre
Marie de Maistre, orthophoniste, qui a été l’élève de Madame Borel-Maisonny, est présentée dans la préface de
son ouvrage : Dyslexie, dysorthographie, par le neuropsychiatre Claude Kohler, avec qui elle a longuement
collaboré au plan professionnel, comme une "pionnière" d’une "pédagogie curative" des "troubles de la lecture et
de l’orthographe" (De Maistre, 1970).
Elle inscrit son approche rééducative des troubles dyslexiques dans sa perspective d’approche de la lecture : "Lire
est une activité complexe qui met en jeu des mécanismes auditifs, visuels et moteurs et qui, lorsqu’il s’agira non plus de
connaître seulement des sons, mais de comprendre la signification des mots, demandera la participation de
l’intelligence générale et même fera appel à toute l’expérience de l’individu" (De Maistre, 1970).
Elle propose donc une "méthode d’apprentissage de la lecture phonétique" fondée sur :
• la compréhension du "code de signalisation son-signe visuel" (c’est-à-dire du second niveau de symbolisa-
tion phonème-graphème),
• la "différenciation auditive" des phonèmes,
• la "différenciation visuelle" des graphèmes,
• le respect et la mise en correspondance respective de "l’ordre de succession" des phonèmes dans la parole et
des graphèmes dans le sens gauche-droite de l’écriture,
• la nécessité de "l’évocation aisée" (avec les termes employés aujourd’hui, la mise en correspondance rapide et
automatisée) des phonèmes composant les mots oraux et des graphèmes composant les mots écrits, et leur
correspondant,
• la nécessité aussi de ne pas assimiler la lecture à un "décodage mécanique", en mentionnant l’importance de
la compréhension.
Là encore, l’accent est mis sur la phonétique : "La méthode phonétique est la plus facile et la plus logique pour
l’apprentissage de la lecture d’une écriture alphabétique parce qu’elle fait comprendre à l’enfant le procédé utilisé pour
la reproduction du langage oral." (De Maistre, 1990)
La méthode suit une progression, du plus simple au plus complexe, avec présentation :
• des voyelles et consonnes "simples" (graphèmes simples), exemples : a, é, f, ch, … (les voyelles sont toujours
écrites avec la même couleur, différente de celle des consonnes),
• des digraphes, exemples : ou, in, en, er, …,
• de graphies particulières, exemples : gn, ill, ein, c, g, …
Les phonèmes, représentés par la ou les lettres qui leur correspondent, sont symbolisés à la fois par un dessin
évoquant un bruit (exemples : f (le vent), s (le serpent), …) et par un geste se référant ou au bruit ou à
l’articulation du phonème ou au tracé de la graphie (il s’agit généralement des gestes proposés par Madame
Borel-Maisonny).
Le premier temps, phonétique, considéré par Marie de Maistre comme essentiel dans sa méthode, consiste en
l’émission de chaque phonème avec présentation de ses traits pertinents, de ses mode et lieu d’articulation,
associée à sa représentation graphique et au geste symbolique choisi. L’auteur propose rapidement des associations
écrites consonne-voyelle et voyelle-consonne sous la forme de tableaux où la consonne est séparée d’abord de chaque
voyelle simple par un trait – permettant de représenter leur association dans la syllabe (l’auteur commence d’ailleurs
par une présentation des constrictives en raison de leur possibilité d’allongement de durée d’émission) – puis écrite
à côté de chaque voyelle. C’est en premier lieu la reconnaissance de syllabes écrites, avec demandes d’oralisation
à l’enfant, que travaille cette méthode (correspondances graphèmes-phonèmes). Puis l’enfant écrit les syllabes qui
lui sont proposées oralement (correspondances phonèmes-graphèmes), en vue de l’automatisation des mises en cor-
respondance.
Outre le manuel d’apprentissage de la lecture phonétique, la méthode comporte des cahiers et des fiches de lecture
et d’exercices :
• de structuration spatiale appliquée aux lettres,
• de "jeux de mots" constitués par des substitutions et des soustractions de phonèmes et/ou de syllabes à partir
de structures graphiques.
24
Dans la manière dont Marie de Maistre présente sa conception de l’activité complexe qu’est la lecture : "La com-
préhension de la lecture sera d’autant plus facile que les mécanismes de codage et de décodage nécessaires à ce passage
de l’oral à l’écrit seront automatisés.", est également mentionné le constat, aujourd’hui étayé par de nombreux tra-
vaux psycholinguistiques et psycho-cognitivistes, que la maîtrise du code écrit est indispensable au traitement
des informations écrites (mots, énoncés écrits, textes), en ce sens que des mécanismes d’identification rapides et
automatisés des mots écrits (mécanismes de bas niveau) dans une langue alphabétique permettent de laisser
disponibles les ressources cognitives nécessaires à la compréhension des informations (mécanismes de haut ni-
veau), ce qui n’est pas le cas pour les personnes présentant des troubles dyslexiques.
C’est dans l’ouvrage : Dyslexie, dysorthographie que Marie de Maistre propose sa méthode de rééducation des
troubles dyslexiques.
Comme pour Madame Borel-Maisonny, c’est en fonction des difficultés observées, relatives à certaines des
"opérations mentales" requises par l’activité de lecture :
• "difficultés de différenciation auditive,
• difficultés de différenciation visuelle,
• difficultés à distinguer l’ordre de succession des lettres,
• incompréhension du système d’écriture alphabétique,
• difficultés d’évocation rapide de la réalité symbolisée par les sons lus",
et en fonction des liens supposés entre ces difficultés constatées et leurs possibles origines (notamment des troubles
de la parole ne permettant pas l’analyse de la parole en phonèmes : "Il ne pourra pas associer à des formes sonores
qu’il perçoit mal les formes visuelles que sont les signes graphiques. Il sera incapable d’isoler de la mélodie continue du
langage parlé les phonèmes symbolisés par les lettres. (…) On peut donc prévoir que l’enfant qui présente un retard de
parole sera dyslexique.") (De Maistre, 1970), qu’un plan de rééducation est proposé, s’intéressant à quatre points
:
• "compréhension du code de symbolisation d’un son par un signe graphique,
• correction des troubles de perception auditive,
• correction des troubles de structuration spatiale et temporelle,
• entraînement à la lecture courante".
Le premier point, afférant au "code de symbolisation", concerne une intéressante "initiation phonétique" qui
consiste à présenter les phonèmes en les faisant entendre et articuler séparément, en même temps que leur est
associée la ou les lettres correspondantes permettant leur "reproduction graphique". L’accent est mis sur l’observation
chez le rééducateur et sur l’auto-observation par l’enfant de la position des organes phonateurs, sur l’explication
des modes d’émission et lieux d’articulation.
Marie de Maistre propose une classification des voyelles suivie d’une classification des consonnes (d’abord cons-
trictives, puis nasales et liquides, enfin occlusives), et indique la "manière de procéder" en cas de difficulté, en in-
sistant sur la nécessité de faire répéter maintes fois les exercices : "Le dyslexique a besoin d’entendre les sons, de s’en-
tendre lui-même émettre les sons et de prendre conscience du mouvement articulatoire correspondant. C’est au cours
de ces répétitions que s’éduquent les facultés de contrôle et de discrimination, en même temps que se montent les associations
automatiques entre le son, la lettre et l’articulation." (De Maistre, 1970 : 44), en trois temps ("les trois temps de
Seguin") :
• le rééducateur désigne la ou les lettres, émet lui-même le son correspondant et demande à l’enfant de l’émet-
tre également,
• le rééducateur émet le son et demande à l’enfant de choisir, parmi plusieurs proposées, la ou les lettres correspon-
dantes,
• le rééducateur désigne la ou les lettres et demande à l’enfant d’en émettre le son corrrespondant.
Le second point, "correction des troubles de perception auditive", est très souvent nécessaire en rééducation
car les "déficiences de la perception auditive" caractérisent les troubles dyslexiques.
25
Il s’agit donc de faire associer, par "conditionnement", un geste déterminé à un son donné (gestes
Borel-Maisonny), puis à la ou aux lettres lui correspondant, tout en initiant l’enfant aux caractéristiques de
l’émission des phonèmes en lui faisant observer :
• la position des organes phonateurs,
• la présence ou l’absence de vibrations laryngées,
• la présence ou l’absence de nasalisation,
• le souffle ou l’explosion,
en ayant recours au toucher et au ressenti, en lui faisant placer, par exemple, ses doigts sur le larynx pour percevoir
d’éventuelles vibrations laryngées (voisement), ses doigts sur le nez pour percevoir d’éventuelles vibrations nasales,
etc. Ces caractéristiques des traits articulatoires des phonèmes sont symbolisées au moyen de dessins représentant
la forme de la bouche, l’émission du souffle ou de l’explosion, les vibrations des cordes vocales.
En fonction des confusions observées chez l’enfant, des tableaux de discrimination sont proposés, sous la forme
d’opposition entre des paires minimales ne se différenciant que par un trait pertinent.
Le troisième point nommé : "correction des troubles de structuration spatiale et temporelle", s’appuyant sur
la conviction que "les troubles de la structuration spatiale observés chez certains enfants auraient leur cause dans un
défaut d’organisation corporelle" (De Maistre, 1970 : 57) suggère des exercices d’orientation par rapport au
corps propre de l’enfant, des exercices concernant le schéma corporel (exercices d’imitation, d’appariements
d’images identiques). Ces exercices sont ensuite transposés à des symboles écrits (demi-cercles différemment
orientés) puis à des lettres écrites pouvant prêter à confusion (exemples : u/n, b/d, p/q). Chaque présentation
de lettre est systématiquement associée à l’émission oralisée du phonème lui correspondant et à un geste représen-
tant la forme de la lettre (exemple : pour (n) deux doigts en bas à cheval sur le nez).
Mais depuis la parution des études de Vellutino en 1979, l’hypothèse d’une éventuelle faiblesse "visuo-spatiale"
chez les personnes présentant des troubles dyslexiques (cf les travaux d’Orton sur les troubles instrumentaux
– parmi lesquels figurent les troubles visuo-spatiaux – incriminés dans les troubles dyslexiques) est infirmée
puisque c’est seulement dans des tâches d’appariement visuo-verbal entre des lettres et des phonèmes que les ré-
sultats des personnes dyslexiques sont inférieures à celles de personnes "normolectrices".
Puis Marie de Maistre propose des exercices de "reconnaissance de l’ordre de succession temporelle et spatiale" :
• "exercices sur les successions logiques" (avec des images devant être mises dans un ordre déterminé par l’enfant pour
reconstituer une histoire, activité qui, selon l’auteur, permet à l’orthophoniste, en cas d’erreur de rangement
par l’enfant, de faire émerger l’emploi de termes relatifs au temps et à ma durée : avant, après, d’abord, ensuite,
etc. ),
• "exercices portant sur les successions conventionnelles" (avec des exercices de codage portant sur du matériel non
linguistique : dessins, images, couleurs et sons),
• "correction des inversions de lettres ou de syllabes" reposant sur l’idée qu’il y a un "sens de la lecture", avec des exercices
de reconnaissance de syllabes écrites, simples puis complexes, lettres d’abord éloignées et reliées par un trait,
puis lettres juxtaposées.
De nombreuses études postérieures aux observations de Marie de Maistre (Bakker, 1972) ont surtout mis en évi-
dence que les épreuves d’ordre temporel ne permettaient de différencier "bons" et "mauvais" lecteurs que lorsque
les stimuli utilisés étaient verbaux ou verbalement codifiables.
Par ailleurs, Vellutino a vivement contesté dans ses travaux l’hypothèse d’un "déficit intersensoriel" (difficulté
spécifique à associer des données visuelles et des données auditives), en critiquant les exercices destinés à amé-
liorer les déficits cognitifs mis en évidence par les épreuves expérimentales (Vellutino, 1987). En revanche, tou-
jours selon cet auteur, si les troubles sériels ne sont pas à l’origine de la dyslexie, ce sont bien des troubles de la
"médiation verbale", c’est-à-dire des difficultés à utiliser le langage pour coder certains types d’informations, qui
sont incriminés dans cette "pathologie".
Pour le quatrième point : "entraînement à la lecture courante", Marie de Maistre détaille moins les activités, et
mentionne surtout le recours à des "exercices de langage" comme, par exemple, les "comptes rendus oraux et écrits
des textes lus" ou la "composition de phrases à l’aide d’images".
26
En revanche, la conclusion de la première partie de son ouvrage sur la dyslexie insiste sur la nécessité de "rendre
le dyslexique conscient" de l’analyse de :
• "la chaîne continue du langage parlé, afin d’en isoler les éléments : les phonèmes,
• caractéristiques acoustiques et motrices des phonèmes afin de les différencier,(…)
• l’ordre de succession des phonèmes ou des syllabes dans le temps.",
éléments aujourd’hui nommés "habiletés métaphonologiques" en psychologie cognitive de la lecture.
Méthode Bourcier
A partir des réflexions nées de son travail de rééducatrice, Arlette Bourcier propose, elle aussi, une méthode
d’apprentissage du code phonético-graphique, allant du plus simple au plus complexe, exposée dans son ouvrage
Traitement de la dyslexie. (Bourcier, 1966), et qu’elle présente à la fois comme une méthode d’éducation et de
rééducation des enfants dyslexiques : "méthode permettant de rééduquer ou disons plutôt d’éduquer les enfants
dyslexiques dans le milieu scolaire" (Bourcier, 1966 : 115), tout en précisant que : "L’essentiel étant toujours de
prendre appui sur des bases solides, c’est-à-dire sur ce que sait l’enfant, ne serait-ce que pour lui montrer qu’il a assimilé
certains éléments et n’est donc pas complètement ignorant" (Bourcier : 24).
Cette méthode propose tout d’abord l’apprentissage de lettres isolées écrites (des consonnes) dans une couleur
déterminée par opposition aux autres lettres composant le mot-clé écrit présenté en entier à l’enfant et accompagné
d’un dessin représentatif.
L’enfant est ensuite invité à découper cette lettre dans du carton puis dans de la toile émeri, à passer son doigt
dessus dans le sens indiqué, yeux ouverts puis yeux fermés.
Il lui est encore proposé de construire la lettre en pâte à modeler puis de passer le doigt dessus.
Après cela, l’enfant passe son doigt sur la lettre écrite en grand sur un tableau ou une ardoise, trace la lettre dans
l’espace, et encore sur le tableau, yeux ouverts et yeux fermés, et la trace dans de la sciure de bois.
Enfin, il marche sur la lettre écrite en gros sur le sol en suivant le sens indiqué par le rééducateur. Pour terminer,
l’enfant dessine la lettre en grand caractère puis en caractères de plus en plus petits.
Toutes ces activités autour de la lettre se déroulent en faisant prononcer et/ou chanter le nom de la lettre, exemple :
"Je marche sur le (pé)."
Cette lettre est ensuite incluse dans des syllabes simples, de type (voyelle-consonne) et (consonne-voyelle)
(exemples : ap – pa – pa – ap), puis entourée d’autres lettres simples (exemples : op – pi – opu – api), pour passer
ensuite à des mots entiers simples contenant la lettre-consonne (exemples : pipe – tape – soupe), que l’enfant
est amené à lire et à écrire.
Madame Bourcier propose ensuite des exercices, servant tout autant à l’apprentissage qu’à la rééducation,
envisageant "l’étude de :
• sons simples,
• lettres pouvant changer de mode de prononciation,
• sons simples confondus,
• sons ou de syllabes plus complexes" (Bellone, 2003 : 166-167).
Pour l’étude des "sons simples", l’enfant est invité à découper les lettres composant le son mais en les gardant
simultanément sur une même unité-carton, exemple : (an).
Pour l’étude de "lettres pouvant changer de mode de prononciation", les tableaux présentant les lettres en cou-
leurs différentes selon leur contrepartie phonémique, sont proposés à l’enfant afin de "faciliter l’enregistrement
visuel" (Bellone : 166).
Quant à l’étude des "sons simples confondus", l’hypothèse de Madame Bourcier étant que les confusions se
produisent plus souvent dans le sens droite-gauche que dans le sens haut-bas, des "exercices d’orientation et de condi-
tionnement visuo-moteur au sens gauche-droite" et des "exercices d’attention, de concentration et de gymnastique
mentale" sont proposés à l’enfant, parallèlement à des exercices de reconnaissance et de lecture de "sons mélangés mais
se ressemblant" et de dictée de sons (Bellone, 167).
27
De même que Madame Borel-Maisonny et que Marie de Maistre, Arlette Bourcier a aussi pressenti la nécessité
d’une certaine forme de maîtrise langagière, sans toutefois préciser davantage : articulation, parole, capacités
d’analyse de la structure segmentale de la parole (?), dans l’accès à l’écrit d’une langue alphabétique "Dans ce cas,
il faut, bien entendu, commencer par mettre au point le langage. Il ne sert à rien d’entreprendre une rééducation de
la lecture si le langage n’est pas lui-même bien intégré." (Bourcier, 1966)
Enfin, pour ce qui concerne l’étude de "sons ou de syllabes plus complexes", l’auteur suggère une progression,
non linéaire et constituée de fréquents et nécessaires "retours en arrière", portant sur :
• ce qui est aujourd’hui nommé par la terminologie "traitement séquentiel", exemple : les groupes graphémiques
(car), (cra), (arc),
• les groupes graphémiques (oin) et (ion),
• les groupes graphémiques (ain) et (ein),
• les différentes représentations orthographiques du son [e] : (er), (ez), (ed), (eh), (et),
• les différentes représentations orthographiques du son [è] : (ec…), (ef…), (er…), (et…), (el…),
• les groupes graphémiques (elle), (il), (ille),
• le groupe graphémique (ail / aille),
• les groupes graphémiques (eil / eille), (euil / euille),
tout en précisant que les exercices proposés à l’enfant ne doivent pas reposer sur "l’unique exercice de lecture".
◆ Conclusion
Ces modes d’intervention, en matière de rééducation des troubles du langage écrit, correspondent donc principa-
lement à des modes d’ "enseignement" ou de "ré-enseignement" du code écrit propre à des langues qui peuvent
être essentiellement présentées comme des langues alphabétiques, comme l’anglais ou le français par exemple.
Qu’ils se présentent ou non comme des "méthodes" (cf III – A – 1 : Orton qui défend plutôt le terme d’appro-
che), il n’en reste pas moins qu’il s’agit bien de progressions planifiées d’exercices, allant généralement du plus
simple au plus complexe selon le point de vue des adultes (les rééducateurs) qui les créent et les proposent aux
enfants en difficulté en vue de les faire progresser. Ces exercices d’ "entraînement" répété sont fondés sur la
conviction qu’il s’agit d’erreurs à "réparer" ou de manques à combler (approches qui peuvent être qualifiées de
"symptomatiques").
Du point de vue de Michel Lobrot, les enfants dyslexiques souffrent de perturbations qui sont à la fois les causes
et les conséquences de leurs difficultés à l’école. Il préconise donc de traiter les souffrances psychologiques des
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enfants dyslexiques afin de leur donner la possibilité – jusqu’alors entravée par ces souffrances – d’apprendre ce
qui leur demeurait inaccessible jusqu’au traitement, c’est-à-dire une véritable psychothérapie. Son approche
consiste donc dans une forme de "méthode de rééducation psychothérapique", dans laquelle c’est le "non directif"
qui doit primer, permettant aux enfants d’exprimer leurs goûts et leurs désirs, toute la difficulté consistant à
concilier l’aspect "non-directivité" avec l’aspect "normatif " implicitement contenu dans le terme "méthode".
Pour Claude Chassagny, fondateur de la PRL (Pédagogie Relationnelle du Langage), la priorité est donnée
à la personne en difficulté.
Il décrit ainsi trois phases "thérapeutiques" :
• la "station", pendant laquelle l’adulte écoute et observe l’enfant lors des activités qu’il lui propose (jeux,
manipulations d’objets, de livres),
• la "conciliation", où l’enfant peut solliciter l’aide "technique" de l’adulte,
• l’"expression", où l’enfant se met à lire et à écrire.
Il s’agit avant tout de procurer à l’enfant une entière liberté d’action, qui doit lui permettre de rétablir avec son
environnement matériel et interpersonnel des aspects relationnels antérieurement détérioriés ou jamais établis.
Geneviève Dubois emploie la terminologie "thérapie du langage", dans laquelle c’est la relation thérapeutique
s’établissant entre l’enfant en difficulté et le thérapeute qui va permettre à l’enfant d’acquérir le statut d’acteur
de sa propre parole et de développer son langage de "sujet parlant et écrivant" (Dubois, 1983).
Faisant le choix de ne pas s’occuper des "symptômes" (les troubles du langage écrit), ces approches présentent
le risque de nier toute spécificité aux troubles du langage écrit (notamment aux modes particuliers de stratégies
d’appropriation et de fonctionnement des enfants en difficulté face à l’écrit) en les faisant assimiler à des difficultés
globales de relation de la personne au monde et aux autres. Or l’enfant grandit dans un monde qui a ses lois et
ses normes, et dont l’école et les acquisitions scolaires comme la lecture et l’écriture font partie.
Il semble donc dangereux d’envisager les modes d’intervention auprès d’enfants présentant des difficultés spécifiques
d’appropriation de l’écrit et sur leurs troubles sous un angle uniquement psychothérapeutique ne
s’occupant absolument pas de ces difficultés (voire les niant), comme il semble tout aussi dangereux de les aborder
sous un angle exclusivement symptomatique, en travaillant exclusivement sur les "erreurs" manifestées par les enfants
tout en ignorant l’inscription de leurs conduites dans leur univers affectif et social.
C’est pourquoi certains auteurs : R. Cahn et T. Mouton, C. Chassagny, A. Tajan, et A. Mucchielli-Bourcier, ont
essayé de concilier ces deux points de vue extrêmes, en proposant des modes d’approche à "orientation" psycho-
thérapeutique.
Tajan, auteur de : Pourquoi les dyslexiques ?(1971) et de : Le troisième Père (1973), ne s’intéresse pas aux troubles
eux-mêmes, mais aux personnes qui les manifestent, c’est-à-dire des enfants, et aux regards qu’y portent différentes
29
instances : famille, école, société. Lui aussi insiste sur l’aspect relationnel essentiel dans le mode d’intervention
auprès des enfants dyslexiques.
C. Chassagny, dans sa "méthode des séries ou des associations" (1971, 1977), insiste aussi sur la nécessité de
communication, d’échange, née d’un désir réciproque, entre l’enfant en difficulté et le rééducateur, et prône des
associations ou séries de mots écrits, l’un des deux protagonistes de la situation proposant un mot écrit, à partir
duquel l’autre écrira d’autres mots. L’idée générale est que ces associations correspondent à des projections de faits,
réels ou imaginaires, chaque mot écrit ayant une signification ("valeur dénotative", Estienne, 1994) et un lien
avec les vécus personnels du rééducateur et de l’enfant ("valeur connotative", Estienne, 1994).
Dans Educateur ou Thérapeute (1979), A. Mucchielli-Bourcier distingue deux temps dans les "thérapies spécia-
lisées du langage" auprès des enfants manifestant des troubles dyslexiques : un temps "psychothérapique", un
temps "rééducatif". Il s’agit donc de thérapies spécialisées, de type non directif visant à faciliter la mise en place
de la relation avec l’enfant et de son expression spontanée, thérapies qui présentent cependant la spécificité d’avoir
un but normatif, à atteindre au moyen de techniques précises ne présentant pas d’aspect scolaire ni ne s’intéressant
directement aux "symptômes" ou aux erreurs manifestées par l’enfant.
◆ Conclusion
Ces approches, qui tentent de concilier aspects rééducatifs ou techniques pour l’ "objet" déficient (le langage écrit)
tout en se défendant de s’occuper directement de cet "objet", et aspects psychothérapiques, tout en se défendant
également de pratiquer exclusivement de la psychothérapie, peuvent sembler paradoxales, ambiguës, peu
"délimitées" (Van Hout, Estienne, 1994).
Elles présentent néanmoins l’intérêt de rappeler que les troubles n’existent pas indépendamment des personnes
qui les manifestent, du point de vue des instances familiales, scolaires, sociales, médicales, rééducatives.
Un des problèmes qui se pose en effet à de nombreux orthophonistes, ayant l’habitude de côtoyer dans leur pratique
professionnelle quotidienne des personnes présentant des troubles dyslexiques, est bien d’observer qu’en dépit du
constat de troubles identiques, les personnes affectées ne réagissent pas de la même manière dans leur fonctionne-
ment "ré-appropriatif" de l’écrit, en fonction des exercices techniques de rééducation qui leur sont proposés.
L’hypothèse que ces troubles n’existent pas indépendamment de la personne qui les manifeste, et qui vit avec eux
dans et sous le regard de son environnement familial, scolaire, social, et en fonction de son histoire affective et
sociale, peut tout à fait être retenue.
De même que les troubles dyslexiques n’existent pas indépendamment de l’enfant qui les manifeste, l’enfant n’exis-
te pas seul, de manière isolée, il se développe et se construit en fonction des attitudes et habitudes rencontrées
d’abord dans son milieu familial, puis scolaire et social.
C’est pourquoi il semble intéressant de repenser les modes d’intervention, en matière de rééducation orthopho-
nique, non pas en envisageant seulement la relation, essentielle de mon point de vue, entre l’enfant et
l’orthophoniste, mais aussi en interagissant avec les représentants du "monde" familial et scolaire de l’enfant,
c’est-à-dire sa famille et ses enseignants.
30
• méthodes,
• rééducation,
• lecture.
◆ La partie réflexions-questionnements
Madame Dejong-Estienne évoque les difficultés rencontrées dans sa pratique de logopède auprès d’enfants dits
"dyslexiques", et notamment les limites – à la fois pour certains enfants mais aussi pour les rééducateurs – des
aspects systématisés de méthodes planifiées de rééducation, tout aussi ennuyeuses et peu profitables pour les
uns que pour les autres.
Partant de la critique respective des approches exclusivement "symptomatiques" des difficultés relatives au
langage écrit, souvent envisagées en termes de déficiences à corriger et/ou de manques à combler, et des appro-
ches uniquement psychothérapeutiques qui ne s’occupent pas des troubles relatifs à l’écrit (voire les nient), son
propos la conduit à s’interroger sur la notion même de "rééducation", guidée par son expérience professionnel-
le et humaine en la matière. Elle propose, toujours sous la forme de questionnements souvent métaphoriques,
des suggestions de "réponses" à sa principale question : "Qu’est-ce que rééduquer ?" :
• "réparer l’outil", "aider l’ouvrier à se servir de cet outil",
• "mettre l’enfant dans un état de confiance",
• "dédramatiser la situation d’échec", "prouver à l’enfant qu’il est capable de lire et d’écrire",
• "essayer de comprendre avec l’intéressé pourquoi il y a eu indigestion" (Estienne, 1985 : 31).
Cette présentation générale laisse supposer un programme vaste et ambitieux, tentant de concilier les deux
approches antagonistes précédemment critiquées dans leurs aspects exclusifs : approche exclusivement sympto-
matique et approche uniquement psychothérapique.
C’est toujours sous forme de questionnements destinés à ses lecteurs que l’auteur essaie de rendre plus circons-
crites les grandes lignes de sa proposition définitoire de la notion de rééducation.
Pour l’aspect "rencontre", F. Estienne précise qu’il est indispensable que : "le rééducateur se situe par rapport à
lui-même, qu’il sache qui il est, qu’il soit au clair et à l’aise avec ses réactions, ses désirs" afin de ne pas les imposer
à l’enfant, et que la non-directivité consiste à "rendre à chacun et au groupe un espace de libre expression expression
et de communication spontanée". (Estienne, 1985 : 34) Elle interroge d’ailleurs sur les "connotations " du terme
"rééducateur" : s’agit-il d’un pédagogue ou d’un thérapeute ?, et sur l’identité de " rééduqué ".
En citant de nombreux auteurs, entre autres ceux de l’ouvrage la Liberté d’apprendre : D. Hameline et
M.-J. Dardelin, et C. Chassagny, auteur de Pédagogie relationnelle du langage, le questionnement et la réflexion
se poursuivent au sujet du "rôle précis" et de l’"objectif précis". A ce stade, hormis sa nomination :
"l’objectif langage ", il ne s’agit pas de précisions ni d’explications, mais toujours de questions, vraisemblable-
ment destinées à susciter de réels questionnements et remises en cause chez les lecteurs.
S’inspirant des théories de l’analyse transactionnelle (A.T.), F. Estienne essaie d’approcher la "relation d’égal
à égal" et la notion de "contrat" : "En mettant son Adulte aux commandes, le rééducateur favorisera la mise en
œuvre de l’Adulte de l’enfant qui ne se sentira pas piégé par un Parent trop encombrant, normatif ou insécurisé par
un Enfant farfelu, rebelle ou trop soumis." (Estienne, 1985 : 40)
31
Pour les "principes", l’auteur insiste, à l’appui à nouveau de fréquentes citations d’autres auteurs comme, par
exemple, M. Pagès, A. Lapierre, B. Aucouturier, C. Rogers, P. Watzlawik, sur les notions de : "plaisir et créa-
tivité, décadrage et paradoxe, égalité et réussite", tout en affirmant que le plaisir, né de l’échange partagé qui
initie la créativité, n’exclut nullement le travail, que le paradoxe consiste à oublier le symptôme en se centrant
sur les réussites de l’enfant en l’amenant à "vivre autrement le langage".
Dans l’exposition de cette démarche, d’inspiration nettement psychothérapique (la plupart des citations d’au-
teurs, très nombreuses, en témoigne), un point me semble fondamentalement important – hélas, pas suffisam-
ment développé – : la notion d’égalité (partielle et relative, bien entendu) dans la relation aux savoirs : "il n’y a
pas un rééducateur qui sait et qui sait ce qui est à faire exactement face à un enfant qui ne sait pas et qui attend qu’on
le gave" (Estienne, 1985 : 46), bien que je ne sois pas assurée que tous les enfants venant rencontrer des réédu-
cateurs soient en attente d’être "gavés". En revanche, ce que je retiens d’intéressant dans ce propos concerne la
relation aux savoirs dans la situation particulière d’interaction qu’est la séance de rééducation orthophonique pour
troubles du langage écrit, et qui sera développée ultérieurement en point B.
La première rubrique mentionne des jeux de "création-répétition-imitation" pour lesquels l’auteur suggère
l’emploi de matériel d’abord non-significatif (des logatomes) puis significatif (mots et phrases).
Pour le matériel non significatif, il s’agit, sans les nommer tous, de jeux appelés par exemple :
• "lallation" : chacun à son tour, l’un des partenaires émet des suites de phonèmes vocaliques différents que l’au-
tre répète, puis des suites de syllabes, les exercices d’écoute et de répétition allant du plus simple au plus com-
plexe, avec, dans les suites syllabiques oralisées non signifiantes, des phonèmes consonantiques d’abord iden-
tiques puis différents associés à des phonèmes vocaliques différents, puis des suites syllabiques comportant des
phonèmes consonantiques proches du point de vue de leur mode et/ou de leur lieu d’articulation,
• "recensement" : cet exercice implique le recours à un geste corporel, l’un des partenaires oralisant une suite
non signifiante de syllabes cependant que l’autre représente le rythme d’émission au moyen d’une geste par lui
choisi,
• "appel" : l’un des partenaires réalise, au moyen d’un geste corporel, des battements rythmiques-syllabiques,
cependant que l’autre compose et oralise une suite correspondante au moyen de syllabes oralisées,
• "dénombrement" : l’un des partenaires oralise une suite de syllabes cependant que l’autre oralise le nombre de syl-
labes émises,
• "partition" : pendant que l’un des partenaires oralise une suite de syllabes, l’autre en code le rythme d’émis-
sion par une représentation écrite de signes conventionnels,
• "par l’autre bout" : l’un des partenaires oralise une suite de syllabes et l’autre la répète, d’abord à l’endroit puis
à l’envers,
• "embrouillamini" : l’un des partenaires oralise une suite de mots signifiants juxtaposés, que l’autre doit
repérer et identifier de manière isolée.
Ce dernier exercice annonce le passage à l’utilisation d’un matériel signifiant : mots et phrases. Il s’agit là encore de
jeux de répétition et d’évocation :
32
• jeux de "kim" dans lesquels, à tour de rôle, chaque partenaire oralise un mot cependant que l’autre le répète
et en ajoute un autre avec ou sans consigne de rapport phonétique ou sémantique entre les mots,
• jeux de répétition de mots de structures phonétiques proches (exemple : "pâle, pêle, pile, poule"),
• jeux d’associations d’idées, un partenaire oralisant un mot et l’autre poursuivant en en oralisant un autre
présentant un lien avec le précédent, jusqu’à aboutir à une suite à mémoriser,
• jeux de création d’énoncés conjoints, chaque partenaire oralisant un mot à la suite de l’autre pour composer
un énoncé,
• répétition d’énoncés plus longs : "phrases rimées".
La deuxième rubrique : "de la discrimination à l’analyse" fait également appel à du matériel "non signifi-
catif" et "significatif" (mots, phrases).
Pour le matériel non significatif, il s’agit, selon l’auteur de : "sensibiliser l’oreille à la perception d’un phonè-
me au milieu d’un ensemble, le matériel à discriminer étant de plus en plus difficile".
Qu’il s’agisse de "la bonne note", du "mot de passe" ou de "pas si facile", l’entraînement consiste à faire
repérer à l’enfant dans des suites oralisées de syllabes non signifiantes, ce qui est pareil, c’est-à-dire des phonè-
mes ou des syllabes.
L’intérêt ici est que l’adulte demande aussi à l’enfant de préparer des séries non signifiantes dans lesquels il
devra, lui, repérer ce qui "s’entend pareil".
Les limites en revanche consistent dans le fait que l’auteur n’explique pas comment amener l’enfant, s’il n’y
parvient pas d’emblée, à percevoir l’unité son commune à la série proposée.
De même que pour les exercices d’entraînement qui suivent :
• repérage d’une variation entre deux non mots (ou logatomes), exemples : "soli/moli, valamo/valno",
• repérage d’une syllabe cible émise à plusieurs reprises parmi une suite différenciée de syllabes, et marquage de
ce repérage au moyen d’un geste,
• repérage de la position d’une syllabe cible parmi une suite de syllabes différentes comportant la syllabe cible,
• repérage et comptage du nombre de phonèmes au sein d’une syllabe proposée oralement, exemple : "kra",
• localisation d’un phonème cible au sein d’une syllabe, exemple : "a" de "kra", et représentation codée à l’écrit
des différents phonèmes au moyen de barres horizontales,
• comparaison de paires de suites syllabiques pour l’une desquelles est retranchée ou ajoutée une syllabe (ou plusieurs),
Françoise Estienne semble parier sur l’entraînement à ce type d’activités pour amener les enfants en difficulté à
repérer et manipuler des syllabes et des phonèmes, sans toutefois proposer de manières de procéder ou d’activi-
tés pour amener les enfants à prendre conscience de la notion de syllabe puis de phonème.
L’ensemble de ces jeux correspond à ce qui a été nommé depuis ces dernières années par de nombreux auteurs
de formation psycho-cognitiviste : des activités sur la "conscience phonologique", sans que pour autant ne
soient fournies des propositions d’activités permettant de faire émerger ou se développer le passage du repérage
de l’unité syllabe à celui de l’unité phonème.
Or, s’il est bien acquis aujourd’hui, par différents travaux (Alegria, Sprenger-Charolles, 1995) que la "conscience
phonologique" est indispensable à l’appropriation du code écrit d’une langue alphabétique et que parallèlement
l’enseignement du code écrit d’une langue alphabétique favorise le développement de cette "conscience phono-
logique", il semble fondamentalement important pour les rééducateurs, visant à rééduquer les troubles du lan-
gage écrit et s’appuyant sur le développement de cette "conscience phonologique", de pouvoir avoir recours à
des activités déterminées favorisant la prise de conscience des différentes unités infralexicales (syllabes, phonèmes) et
leur différenciation.
Ces activités de "discrimination" et d’"analyse" se poursuivent sur du matériel "significatif", au niveau des
unités "mot" et "phrase", avec des jeux nommés par l’auteur, par exemple : "le diapason", "la clé",
"les liens", "le remplaçant", "l’autre", "l’invité", dans lesquels il s’agit, à partir de mots proposés oralement, de :
• repérer "certains éléments phonétiques communs", exemples : "cadre, animal, sable, partir",
• repérer la substitution d’un élément, exemples : "val, vol",
• repérer l’ajout ou la suppression d’un élément, exemples : "peur, pleur", "croule, roule",
33
• repérer les "interversions phonétiques", exemples : "mare, rame",
• "prendre conscience de l’individualité des mots au sein de la phrase", c’est-à-dire d’être en mesure de repérer et de
compter le nombre de mots composant une phrase proposée à l’oral,
• fabriquer des phrases à partir de deux mots proposés,
• reconstituer une phrase signifiante à partir de ses éléments-mots proposés dans le désordre.
Enfin, dans la troisième rubrique nommée "de l’oral à l’écrit", des exercices du même ordre sont proposés, dans
un premier temps avec du matériel "non significatif", dans un second temps avec du matériel "significatif",
avec passage au code écrit :
• "on écrit ce qu’on entend",
• désignation de syllabes écrites à partir de syllabes entendues,
• recomposition et écriture de syllabes à partir de phonèmes entendus,
• recomposition de mots à partir de lettres proposées,
• repérage d’une lettre manquante dans des mots écrits lacunaires,
• recomposition de mots à partir de syllabes écrites,
• repérage de groupes graphémiques identiques dans plusieurs mots écrits proposés,
• création de phrases écrites comportant le plus possible de mots commençant par tel ou tel graphème,
• repérage de la fréquence d’apparition de mots écrits dans des textes écrits.
Dans cette troisième rubrique figurent également de nombreux "jeux de lecture et d’écriture", parmi lesquels
sont proposés des exercices visant, par exemple, à :
• "favoriser les mouvements oculaires" "de gauche à droite" et "de haut en bas" à partir de signes écrits, de
chiffres et nombres, de lettres, de mots écrits, à suivre selon les directions et progressions indiquées par l’adulte,
• repérer des groupes écrits non signifiants parmi des mots et non mots écrits proposés,
• grouper des mots en "familles".
Mais des activités de "lecture proprement dite" sont aussi présentés, dont – entre autres – des activités de :
• appariements de mots écrits et d’images correspondantes,
• lecture la plus rapide possible de suites de mots écrits,
• lecture de mots écrits comportant un point de fixation dessiné sous eux,
• repérage dans un texte des signes de ponctuation, de mots déterminés,
• rétablissement de lettres manquantes ou de mots manquants dans des textes écrits,
• remise en ordre de mots écrits pour constituer des phrases cohérentes,
• "repérage de phrases qui sont vraies".
Pour employer une terminologie plus récente, les travaux menés en psychologie cognitive de la lecture parleraient,
par exemple, d’activités portant sur les mouvements oculaires, sur les mécanismes d’identification de mots écrits,
sur le mécanisme de closure, sur les capacités de jugement sémantique.
L’auteur ne le précisant pas, la question qui se pose est de savoir ce qui différencie les "jeux de lecture" des ac-
tivités de "lecture proprement dite" ?
Sans le préciser non plus explicitement, Françoise Estienne propose aussi des activités sur des types de textes
différents, avec des présentations de supports variés : journaux, annuaires, recettes de cuisine, catalogues,
livres de contes, poèmes, dans lesquels l’enfant est amené à chercher des informations.
Pour finir, des exercices d’écriture, au niveau du mot puis au niveau de la phrase, sont suggérés.
◆ Conclusion
Assurément, cet ouvrage constitue un catalogue tout à fait riche et diversifié d’exercices concernant tout autant
l’oral que l’écrit, et à ce titre il représente un grand intérêt pour les rééducateurs pouvant reproduire les sugges-
tions de l’auteur, ou créer à partir de celles-ci. Sa première partie constitue également une intéressante amorce
de réflexion sur la notion même de rééducation.
Le constat de difficultés spécifiques affectant l’ "entrée" dans l’écrit ou les modes de fonctionnement par rapport
à l’écrit, que manifestent certains des enfants qu’accueillent régulièrement des orthophonistes au cours de séances de
rééducation, les amène souvent à remarquer qu’à troubles relativement identiques, les enfants ne présentent pas
34
les mêmes "conduites" de fonctionnement en lecture et en écriture : certains, bien que semblant assez "lents"
dans leur traitement de l’écrit (plus lents en tout cas que des enfants considérés, au regard d’une évaluation
précise, comme "normo-lecteurs-scripteurs"), ont au final des performances quasi-similaires à celles de "normo-
lecteurs", alors que d’autres enfants paraissent rencontrer des difficultés majeures qui les empêchent véritable-
ment de lire et d’écrire.
C’est pourquoi il me semble fondamentalement important, en rééducation, de tenir compte, en plus des troubles
ou difficultés constatées, des conduites des enfants et par rapport à l’objet affecté : "le langage écrit", et par
rapport à leurs troubles eux-mêmes. Ces aspects seront développés au point B du chapitre suivant, présentant
une pratique particulière.
Cependant, avant d’aborder ce chapitre, et toujours dans la perspective de rendre compte des écrits publiés en
France en matière de rééducation des troubles du langage écrit et de leur ancrage théorique, est-il nécessaire de
présenter un type d’approche : la "théorie de la gestion mentale appliquée à la lecture", développée en particu-
lier par France Pagès, dont le point de vue intéresse de nombreux orthophonistes (Van Hout, Estienne, 1994).
Quant à la deuxième étape : "connaître la nature, les caractéristiques, le contenu des évocations" chez la
personne apprenante, en difficulté ou pas, c’est au moyen du "dialogue pédagogique" qu’elle peut être atteinte.
En matière de Gestion mentale, il semble exister deux grands groupes de personnes caractérisées par leurs
modes de "fonctionnements" ou de "gestes mentaux" :
• les personnes qui (re- ?)construisent les informations sous forme d’images,
• les personnes qui (re- ?)construisent les informations sous forme verbale ou sonore.
Par ailleurs, est mentionné, pour certaines d’entre elles, le "besoin d’un ressenti kinesthésique préalable,
inducteur d’évocations visuelles ou auditives".
La terminologie employée fait état de certains "paramètres" : "P1, P2, P3, P4" pour caractériser le recours pri-
vilégié (et même exclusif ) à un type déterminé de procédure, par exemple des personnes sont dites " en
paramètre 2" (P2) lorsqu’elles "codent" ou évoquent les informations sensorielles sous forme de mots oraux,
écrits, de lettres, de chiffres, de symboles, etc. Or, l’hypothèse étant que les apprentissages et/ou les "tâches"
demandées à l’être humain dans le monde sont de natures variées et multiples, une mobilité de pensée est in-
dispensable au sujet dans l’appropriation et la gestion de ces apprentissages et de ces "tâches". Ainsi peuvent s’ex-
pliquer certaines difficultés ou certains troubles, la personne étant cantonnée ou "limitée" à un seul type de
paramètre (ou de procédure) pour l’ensemble des apprentissages et/ou des "tâches" demandées.
La troisième étape, "rééduquer", consiste donc pour le rééducateur à : "suivre pas à pas des itinéraires
déterminés par le profil pédagogique et non par des convictions intimes sur la valeur de telle ou telle
méthode de rééducation". (Van Hout, Estienne : 255)
Pour ce qui concerne les troubles du langage écrit, il n’en reste pas moins que la prise en compte des modes de
fonctionnement des enfants par rapport à l’écrit, c’est-à-dire de leurs "gestes mentaux" personnels mis à jour
au moyen du "dialogue pédagogique", doit cependant être subordonnée aux caractéristiques de l’objet d’appren-
tissage incriminé, plus exactement, ainsi que le précise France Pagès : "à la nature linéaire de l’acte de lire du fran-
çais qui, aussi bien pour un visuel, privilégiant spontanément l’image globale que pour un auditif préférent
36
l’analyse" qui "impose un ordre de lecture allant du phonème à la syllabe, puis au mot et enfin à la phrase".
L’auteur ajoute que : "La grande majorité des dyslexiques, voire des enfants sans problèmes, se trouvent dans l’impos-
sibilité de gérer une telle diversité de tâches", c’est-à-dire : "appliquer un mot parlé à une forme écrite conventionnelle et
non plus seulement à un objet de réalité significatif en lui-même".
C’est pourquoi l’objectif de l’orthophoniste "gestologue" est d’aider les enfants en difficulté à sérier les
problèmes en vue de leur permettre "d’adapter des projets successifs aux différentes phases de l’apprentissage : mot écrit
→ mot parlé, mot parlé → évocation de sens, évocation de sens → mot écrit" pour, au final, "obtenir le lien mot écrit
→ évoqué de sens, sans aucun intermédiaire", l’exposé de cette démarche s’apparentant fort à ce que les sciences
cognitives ont décrit comme la voie d’adressage (l’une des deux procédures d’identification des mots écrits, l’au-
tre procédure étant l’assemblage), toute la difficulté concernant justement "l’évoqué de sens", la polysémie
étant plutôt la règle en matière de langue.
Dans la démarche proposée, France Pagès revient rapidement sur la nécessité de distinguer "l’apprentissage tech-
nique" relatif à l’aspect formel de l’écrit (le code) de "l’accès au sens", considéré comme le but ultime de
l’apprentissage. Elle préconise l’importance de la lecture à voix haute ("si importante pour éduquer l’oreille aux sons
(préparation à l’orthographe)" ainsi que le recours à une "certaine répétition mécanique qui permet la reconnaissance
automatique des formes".
Deux étapes sont décrites dans la rééducation : "déchiffrer" et "passage du déchiffrage à la lecture".
37
teurs comme S. Borel-Maisonny (gestes Borel) ou M. de Maistre (cf III – A – 1). Ce qui diffère, c’est le mode
d’approche par le dialogue pédagogique. Il est dommage que ce dialogue n’ait pu être suffisamment développé
et exemplifié dans l’article proposé par France Pagès.
Pour ce qui concerne les inversions, deux exemples sont donnés par l’auteur. Le premier est celui d’une enfant,
Pauline, ne parvenant pas à distinguer les lettres b et d, pour laquelle France Pagès suggère une modification de
son "discours mental en se donnant des indications plus précises comme : le b de bébé avec sa bosse sur le ventre, d de
dos la bosse dans le dos". Là encore, il est regrettable que l’auteur n’ait pas rendu compte avec davantage de
précisions du "passage" des "gestes mentaux" originels de l’enfant à ceux, vraisemblablement "suggérés", par
l’adulte.
En effet, l’idée de mettre à jour, par une mise en mots, le "fonctionnement" de pensée des enfants en difficulté
(c’est ce que je comprends de la notion de "geste mental") me semble fondamentale pour l’approche des troubles
en rééducation. En revanche, il me semble qu’il y a lieu de s’interroger sur la suite de la conduite, verbale et non
verbale, du rééducateur "gestologue" (en tout cas, telle qu’elle est présentée dans les exemples de cet article), puisqu’il
semble que c’est à nouveau l’adulte qui suggère (impose ?) des modèles d’autres gestes mentaux : "Pauline doit
modifier son discours mental (…). C’est en se donnant des repères verbaux qu’elle arrivera à ne plus confondre." (Van
Hout, Estienne, 1994 : 260).
Peut-être est-il souhaitable d’envisager la poursuite de la conduite du rééducateur en évitant la suggestion d’au-
tres "modèles" de "fonctionnement mental", et en amenant l’enfant à les découvrir lui-même par des "techniques"
d’entretien appropriées ? Je fais ici référence à la notion de "techniques d’aide aux entretiens d’explicitation", qui
seront exemplifiées au point B dans la présentation d’une pratique professionnelle particulière.
Il ne faut en effet pas oublier que l’interprétation et l’analyse des difficultés ou des troubles manifestés par certains
enfants en matière de langage écrit est le fait d’adultes, qui construisent des hypothèses quant à leur étiologie pos-
sible et envisagent des moyens d’y remédier ("techniques", "méthodes"), dans l’objectif, bien évidemment louable,
d’apporter de l’aide aux enfants. Mais, à propos de ces moyens, c’est l’opinion de l’adulte qui prime : eu égard
au constat de "mode(s) de fonctionnement inapproprié(s)" de certains enfants vis-à-vis de l’écrit, les connaissances,
les savoirs spécialisés (en matière de troubles du langage écrit) de l’adulte le conduisent à proposer d’autres modes
de fonctionnement, envisagés selon lui comme plus "adaptés" à l’écrit.
Mais, du point de vue de l’enfant, et dans l’état actuel de ses représentations en la matière, sont-ils réellement
plus "opératoires" ? Est-il en effet certain que le fait d’expliquer à un enfant que la lettre b écrite en script a une
"bosse sur le ventre" et que la lettre d écrite en script a "la bosse dans le dos" soit suffisant en soi pour que l’enfant
s’approprie cette explication d’adulte et la mette en place de manière opératoire dans son traitement de l’écrit ?
Je dois avouer, pour l’avoir expérimentée avec des enfants en difficulté, que cette "conduite" ne permet pas, à
chacun d’entre eux, de différencier des deux lettres de formes voisines. Ce constat ne signifie bien entendu pas
que cette manière de procéder ne "fonctionne" pas, mais qu’au moins qu’elle ne "fonctionne" pas toujours ni
systématiquement avec tous les enfants présentant ce type de difficultés.
Et ce "pas toujours ni systématiquement" amène forcément à s’interroger sur les "attitudes" à faire se dévelop-
per chez le rééducateur qui, face à des troubles du langage écrit souvent similaires, n’entraînent pas systémati-
quement les mêmes "conduites" de lecture et d’écriture chez tous les enfants.
Le constat d’une relative homogénéité des troubles dits "dyslexiques", en termes de description et d’analyse par
l’adulte, est confronté à celui d’une hétérogénéité des conduites des enfants vis-à-vis de l’écrit, et amène à une
remise en cause de l’application de "méthodes" ou de "techniques" uniques qui conviendraient à tous les enfants
en difficulté.
38
rapidement dans sa tête", cependant que le rééducateur les lui cache au fur et à mesure avec une languette de pa-
pier (masquage progressif des mots écrits), il devient alors tout à fait capable de lire vite à haute voix, alors
qu’auparavant son déchiffrage des mots par syllabes était très lent et laborieux.
L’auteur attribue cette capacité de lecture oralisée "fluide" et sans accrocs au fait que le rééducateur, par sa suggestion
et son masquage de mots, a décomposé l’acte de lire pour l’enfant en le plaçant successivement et simultanément
en situation :
• de perception : "l’œil doit parcourir un empan plus ou moins long",
• d’évocation : "Cet empan doit être évoqué c’est-à-dire repris mentalement soit en images ou en discours intérieur
pour être lu avec fluidité. C’est l’évoqué qui est lu et non le perçu.", "En fait l’activité perceptive doit se poursuivre
pendant que le sujet évoque, mais sur l’empan suivant." (Van Hout, Estienne,1994 : 260-261)
Cette description de la démarche, par l’adulte, semble tout à fait recevable, mais il ne faut toujours pas perdre de
vue qu’elle ne constitue que son interprétation, à lui, de ce qui se passe "dans la tête de l’enfant".
En effet, aucun adulte ne dispose, aujourd’hui, des moyens de savoir ce qui se passe dans la pensée d’un enfant
lorsqu’il est confronté à une tâche ou à un apprentissage. Seuls les actes de l’enfant (ce qu’il fait, ce qu’il produit,
dans la réalisation de la tâche) et les dires de l’enfant (ce qu’il dit de ce qu’il fait) peuvent être observés, recueillis,
et interprétés par l’adulte.
Or, en matière de "Gestion mentale" s’intéressant donc aux "gestes mentaux" produits par les enfants lors d’acti-
vités, il est dommage que l’auteur n’ait pu rendre compte plus précisément, dans cette partie, des conduites et des
dires de différents enfants en situation de "perception-évocation". En effet, cela permettrait, d’une part d’étudier
de véritables recueils (corpus) de situations, d’autre part de mettre en évidence la place essentielle d’interlocuteur
et d’acteur de l’enfant dans la situation partagée de "dialogue" et dans le recours à l’"introspection" que prônent
les défenseurs de la Gestion mentale.
Ensuite, pour montrer le passage à la lecture "compréhensive", l’auteur restitue deux exemples de parties de cor-
pus dans la partie intitulée par l’auteur : "une lecture de sens", exemples dans lesquels France Pagès rend comp-
te de la manière dont les "évocations opèrent pour donner le sens". Il s’agit de parties d’entretiens (de parties de
"dialogue") menés avec deux enfants différentes, au cours desquels l’adulte les questionne pour avoir accès à leur
"fonctionnement mental", à la manière dont elles comprennent une partie de texte écrit. Une enfant semblant
procéder par images (visuel), l’autre par discours intérieur, l’auteur en conclut que : "c’est à partir des comparaisons
implicites entre la représentation du perçu et les évocations s’y rapportant que les rapports de sens leur sont apparus." et
que : "la compréhension naît de la confrontation de l’objet perçu à l’évocation qu’on s’en est donnée, avec un souci constant
de sélectionner les indices pertinents, jusqu’à ce qu’apparaissent à la conscience des rapports logiques d’identité (différence-
similitude), de sériation (spatio-temporelle), d’appartenance (inclusion-exclusion)." (Van Hout, Estienne, 1994 : 263).
Et l’auteur propose donc la démarche suivante pour amener les enfants à une "lecture compréhensive" :
"- mettre le sujet en PROJET de comprendre,
- donner le texte à lire (PERCEPTION),
- faire gérer ce texte (EVOCATION),
- faire des VA et VIENT entre le perçu et l’évoqué".
Dans les deux exemples de parties de dialogue proposées, c’est l’adulte qui assure des relances (poursuite du dia-
logue) en oralisant des parties de l’énoncé écrit : il s’agit de l’oralisation de mots écrits rassemblés par lui et faisant
sens pour lui, qui "conduisent" l’évocation des enfants et les "guident" vers la (une ?) compréhension possible
de l’énoncé écrit. Il semble donc s’agir d’une évocation "guidée" par l’adulte (qui peut tout à fait relever d’un
des rôles du rééducateur), mais c’est aussi par l’adulte que s’opère la "sélection des indices pertinents" (et non par
les enfants eux-mêmes). Par ailleurs, il y a lieu de s’interroger, dans les propos tenus par l’auteur, sur la façon dont
"apparaissent à la conscience" les différents "rapports logiques" permettant de mener à la compréhension. D’un point
de vue constructiviste, c’est surtout par des mises en situation d’expérimentation que les enfants construisent
eux-mêmes des rapports logiques, ces rapports logiques n’étant pas soudainement "révélés" à leur conscience, à
moins d’en expliquer le comment et le pourquoi.
39
◆ Conclusion
Dans ce qu’expose France Pagès dans l’article qu’elle consacre à la Gestion mentale appliquée à la situation de
rééducation orthophonique pour troubles du langage écrit, et qu’elle décrit comme : "une véritable phénomé-
nologie au service de l’apprentissage", de nombreux aspects semblent présenter un intérêt pour les rééducateurs :
- la place accordée au "dialogue", c’est-à-dire à l’entretien avec les enfants en difficulté, en vue de les aider,
par
- une démarche introspective, c’est-à-dire de questionnement et de réflexion sur leur propre manière de
procéder dans une activité donnée,
- le recours à l’évocation, c’est-à-dire un "retour réflexif sur".
Cette manière particulière d’approcher les difficultés et les personnes en difficulté mérite sans doute d’être
observée et étudiée, en vue de laisser encore davantage de place à l’écoute des enfants et d’analyser, en séances
de rééducation, les conduites cognitivo-langagières, des enfants en difficulté et des rééducateurs.
5 - L’approche neurolinguistique de Gisèle Gelbert s’appliquant aux troubles "de type aphasique"
Dans la préface qu’elle consacre à l’ouvrage de Gisèle Gelbert : Lire, c’est vivre. Comprendre et traiter les troubles
de la parole, de la lecture et de l’écriture (1994), Caroline Eliacheff présente l’auteur comme une neurologue et
une linguiste.
Le résumé au verso de l’ouvrage situe la population et le type de difficultés auxquels l’auteur s’intéresse : "Ils ont
entre 9 et 90 ans et, bien qu’ayant été scolarisés, ils ne savent ni lire ni écrire. Parfois même leurs lèvres articulent des
mots qu’ils ne comprennent pas. Pourtant, aucun accident n’a endommagé leur esprit. Leur souffrance est ailleurs :
ils sont malades du langage."
Il me faut cependant préciser d’emblée que, de mon point de vue, certains des termes employés dans ce résumé me
semblent prêter à confusion, en particulier le terme "esprit", que j’ai cru comprendre assimilé à celui de
"cerveau".
En effet, dans cet ouvrage, Gisèle Gelbert retrace des exemples et des étapes de son travail de "rééducation apha-
siologique", à la fois avec :
• des enfants, des adolescents et de jeunes adultes "non-lecteurs", qui "ne peuvent absolument pas lire" ni "ne
peuvent absolument pas transcrire sous dictée, ni même souvent écrire spontanément" (Gelbert, 1994 : 17),
et qui n’ont subi aucune lésion au niveau d’une zone cérébrale spécialisée dans le langage,
• mais également avec des personnes aphasiques adultes (ayant généralement subi un accident vasculaire cérébral)
présentant, elles, des troubles dits "acquis" du langage oral et/ou écrit, puisque survenant bien après
l’enfance généralement considérée comme la période essentielle d’acquisition du langage, et par opposition aux
troubles du langage dits "développementaux" survenant, eux, au cours du développement langagier.
Parmi les personnes manifestant des difficultés langagières, dont les parties d’études de cas sont exposées par
Madame Gelbert, certaines d’entre elles ont donc bien des lésions cérébrales visibles sur des images radiologiques
de leurs cerveaux, par tomodensitométrie (TDM) ou résonance magnétique (IRM) : l’auteur précise qu’il
s’agit bien alors de "troubles aphasiques".
D’autres, en revanche, – parmi lesquelles des enfants, des adolescents, et de jeunes adultes – ne présentent, tou-
jours selon l’auteur, aucune lésion décelable par imagerie cérébrale, et présentent, des "troubles de type aphasique ".
Cette distinction étant posée, mais non encore explicitée, intéressons-nous à la démarche "aphasiologique" de
Gisèle Gelbert.
◆ La démarche neuro-linguistique
Avec des personnes adultes cérébrolésées
C’est à partir d’expériences cliniques, de situations de travail vécues avec des personnes adultes cérébrolésées et
présentant des troubles aphasiques, que Gisèle Gelbert met son schéma à l’épreuve. Durant des séances de
travail avec ces personnes, l’auteur découvre intuitivement que certaines mises en "situations linguistiques"
particulières entraînent des "court-circuitages" des trajectoires de son schéma, à partir desquels semblent se
rétablir spontanément certaines réalisations antérieurement impossibles : ainsi, telle personne peut à nouveau
écrire, telle autre copier, telle autre encore déchiffrer à haute voix.
G. Gelbert observe et étudie donc des "dysfonctionnements" ou des absences de fonctionnements lors de la
réalisation de certaines activités demandées aux personnes en difficulté de langage : répétition, lecture, copie,
écriture sous dictée, etc.
Elle constate que certaines "mises en situation" particulières découvertes intuitivement entraînent la possibilité
de réaliser à nouveau telle activité langagière antérieurement impossible, et cherche alors une mise en adéqua-
tion avec les "compartiments" et "circuits" décrits dans le schéma des fonctions linguistiques.
Lorsque la confrontation avec la modélisation théorique du schéma des fonctions linguistiques paraît opératoire,
les exercices réalisés dans les mises en situation particulières sont alors nommés : "exercices privilégiés", et sont
réutilisés avec d’autres personnes.
Par exemple, l’auteur mentionne une personne présentant, à la suite d’un accident vasculaire cérébral, une
"aphasie de Wernicke" entraînant différents troubles du langage, à l’oral comme à l’écrit, et notamment l’impos-
sibilité de copier des mots écrits. G. Gelbert rend compte de la mise en situation particulière ayant permis de
redonner à cette personne la possibilité de copier, en décrivant l’attitude du "rééducateur" et les exercices
employés : en silence, sur une feuille, l’auteur écrit sous les yeux de la "patiente" une phrase en caractères cursifs
larges tout en répartissant les mots écrits sur trois ou quatre lignes. Sur la même feuille, elle lui demande ensuite
d’écrire sous sa dictée (la consigne : "Je vous dicte" étant répétée à chaque mot) chacun des mots de la phrase
énoncés dans un ordre aléatoire en désignant précisément du doigt l’endroit de copie face à chacun des mots
précédemment écrits par elle-même.
La patiente, jusqu’alors en échec de copie, parvient alors à copier "tout à fait correctement", ce qui, selon
G. Gelbert, s’explique par le fait qu’"elle ne se rend absolument pas compte qu’il s’agit d’une activité de copie", étant
donné qu’elle a écrit en "pseudo-dictée" ou en "copie ignorée".
Mais quels "processus" peuvent expliquer cette réalisation de copie à nouveau possible ?
Toujours selon l’auteur, c’est : "à partir d’une représentation mentale orale (suscitée par notre proposé oral de dictée)"
qu’il y a : "une création suggérée du graphisme (par l’offre d’un modèle), en escamotant la représentation mentale
graphique (de la patiente)", l’exercice réalisant : "une relance ou hypersaisie du geste graphique effecteur externe
(…), par hypersaisie du résultat (le modèle laissé sous les yeux)" (Gelbert, 1994 : 48-49).
41
Le postulat explicatif de l’auteur est donc qu’à partir du mot proposé oralement, c’est le modèle proposé par le
rééducateur : le mot écrit ("hypersaisie du résultat"), qui "guide" "la main qui va écrire (geste graphique effec-
teur externe)".
En référence au schéma des fonctions linguistiques, cette mise en situation particulière (mot oral dicté tout en
désignant le mot écrit modèle à reproduire) "force la virtualité du circuit virtuel n°1 (du "proposé oral" à la "repré-
sentation mentale orale") ce qui le rend à nouveau fonctionnel", le graphisme étant rendu à nouveau possible par
"court-circuitage" de la "représentation mentale graphique" au moyen, à la fois, de la prégnance de la "représen-
tation mentale orale" et de "l’hypersaisie du geste graphique effecteur externe".
Ces constats de "re-fonctionnement" font inférer à l’auteur deux notions essentielles pour elle en situation de
rééducation :
• la "disposition à syllaber",
• la "potentialité d’écrit portée par l’oral",
qu’elle fait figurer dans son schéma au niveau du "compartiment moyen", la première étant située dans la
"représentation mentale orale", la seconde étant représentée par un "circuit suspenseur".
Sur la base de considérations phylogénétiques : "L’aptitude à la syllabation est une disposition naturelle de l’homme
(…) On peut imaginer qu’au temps de la création de l’écriture, la conjonction de deux démarches s’est faite. L’analyse
de la chaîne parlée au niveau de la syllabe (la plus petite unité isolable spontanément) a mis en évidence des sons dont
la substitution l’un par l’autre pouvait entraîner des changements de sens (mât, rat, pas, las, cas, chat, etc.). Cet isole-
ment des "phonèmes" est le premier "acte phonologique". Puis il s’est avéré indispensable de pérenniser cette analyse et
de la transmettre : la potentialité d’écrit qui est dans l’oral s’est exprimée via la création de l’écrit." (Gelbert, 1994 :
52-53), l’auteur cherche à démontrer que l’écrit est déjà dans l’oral, ce qui semble plausible pour les langues
dites alphabétiques, ou encore syllabiques, mais qui interroge quant aux langues dites logographiques ou idéo-
graphiques (pour lesquelles le système d’écriture ne présente aucun lien avec l’oralisation).
Cette conviction fait ajouter à l’auteur, dans le schéma des fonctions linguistiques, au niveau du "compartiment
moyen", un ensemble nommé "épellation" enclavé à la fois en "représentation mentale orale" et en "représentation
mentale graphique", permettant de rendre compte du fait que des personnes présentant des troubles aphasiques,
incapables de lire (déchiffrer et comprendre) et d’écrire, ont cependant la possibilité d’épeler aisément "un long
proposé oral", sans erreur.
La démarche de Gisèle Gelbert est donc d’étudier des "comportements linguistiques" pathologiques (chez des
personnes adultes, après lésion cérébrale), et de les faire changer en référence à une modélisation théorique de
fonctionnements linguistiques "ordinaires" ou "normaux", tout en se défendant de "vouloir faire de(s) corréla-
tions avec les réseaux ou les circuits neuronaux" (Gelbert, 1994 : 57), contrairement, nous pouvons le supposer,
à ce que visent certains travaux de recherche en matière de neurosciences.
Comme l’auteur le précise elle-même, s’impose peu à peu en elle l’idée que cette modélisation des fonctions
linguistiques : "devait être celle du langage "normal" en français et sans doute dans les langues indo-européennes,
l’hypothèse "universelle" n’étant pas pour autant exclue".
Et c’est auprès d’enfants en très grande difficulté – voire en impossibilité – de lecture-écriture, ayant été diagnos-
tiqués comme présentant également des troubles "de type aphasique" qu’elle poursuit son raisonnement et
affermit ses convictions, à partir des dysfonctionnements linguistiques observés chez ces enfants "non lecteurs"
mis en relation avec la modélisation hypothétique des fonctions du schéma.
Avec des enfants, des adolescents, de jeunes adultes, présentant des troubles "de type aphasique"
Exposant le cas de Simon, un enfant de 11 ans ayant participé à une "rééducation orthophonique bien menée
pendant cinq ans" (sur la base d’un apprentissage par la méthode phonético-gestuelle de Suzanne
Borel-Maisonny) mais ne parvenant toujours pas à "déchiffrer la moindre syllabe", présentant par ailleurs des
"altérations de type "retard de parole"", des troubles "dysarthriques", et une impossibilité de comprendre des mots
écrits, G. Gelbert formule l’hypothèse diagnostique de "troubles de type aphasique", sur laquelle elle va
fonder son intervention thérapeutique, en situant le(s) dysfonctionnement(s) sur le schéma des fonctions
linguistiques et en cherchant à le(s) réduire. Selon l’auteur, après son mode d’intervention thérapeutique :
42
"Simon a pu lire et transcrire dans des délais raisonnables (six mois pour installer le mécanisme, un an pour le conso-
lider – l’entretien ultérieur de la lecture étant un problème d’une autre nature)". Hélas, pour la fin des propos
tenus : "l’entretien ultérieur de la lecture étant un problème d’une autre nature", Madame Gelbert ne s’explique
pas davantage.
De la même manière qu’avec certaines personnes aphasiques adultes, en demandant à l’enfant "d’écouter et de
suivre des yeux", Madame Gelbert procède elle-même à la lecture à voix haute et syllabée d’un texte tout en
marquant à l’écrit la segmentation syllabique. Elle enregistre ensuite des phrases courtes prononcées de manière
"ordinaire" puis syllabées en marquant les syllabes au moyen de frappés de crayon sur le bureau, tout en sollici-
tant l’écoute de l’enfant.
En effet, à partir de l’hypothèse que Simon présente le déficit spécifique d’une "anomalie de la disposition à
syllaber", l’auteur vise à rétablir cette disposition à syllaber en "représentation mentale orale", à partir d’exercices
systématiques et répétés, modélisés par l’adulte rééducateur.
Dans un premier temps, il s’agit donc, pour l’enfant, d’écouter de courtes phrases émises oralement par l’adulte
et enregistrées au magnétophone : "dites normalement à deux reprises, puis une troisième fois en les syllabant avec
accompagnement d’un frappé du crayon", et de "taper en même temps que la syllabation frappée de la troisième
version", ou encore de répéter ensuite la phrase de mémoire en frappant les syllabes (Gelbert, 1994 : 75).
Ensuite l’adulte présente à l’enfant un texte écrit, qu’il segmente en syllabes sous ses yeux tout en le prononçant.
Puis l’adulte enregistre sa propre voix syllabant le texte écrit. Puis, réécoutant l’enregistrement, il écrit, sous le
regard de l’enfant et sous sa propre dictée, le texte segmenté en faisant apparaître les syllabes au moyen de
doubles barres. Enfin, en repassant encore une fois l’enregistrement syllabé, l’adulte demande à l’enfant d’écrire
le texte sous son propre modèle écrit syllabé.
C’est ainsi que l’auteur "marque la prééminence de l’oral sur l’écrit", en faisant parcourir le "circuit suspenseur" et
en mettant "de l’oral dans l’écrit".
Ultérieurement, l’enfant est invité à "transcrire" en dehors du modèle de l’adulte.
Ces exercices sont répétés, d’abord deux fois par semaine, puis une fois, et après "cent vingt séances", "Simon lit
et écrit".
Ainsi que G. Gelbert le précise elle-même : "Simon n’est jamais sollicité à participer activement à la réédu-
cation ; une certaine passivité est même indispensable ; il doit accepter de suivre les consignes, ni plus, ni
moins. Je n’utilise jamais les processus classiques d’apprentissage impliquant la participation active de l’enfant et une
progression par une approche échec/réussite, utilisant la mémoire activée par la répétition, ni par les transferts d’ap-
prentissage." (Gelbert, 1994 : 75)
Je crois comprendre dans cette remarque – mais peut-être interprété-je les propos de l’auteur de manière
inappropriée – que les modes d’intervention, en matière d’apprentissage, faisant la part belle à la répétition
d’activités, améliorées par essais-erreurs en sollicitant la participation de l’enfant, ne sont pas opératoires du
point de vue de Gisèle Gelbert, et procèdent de mises en "conditionnement" inopérant.
De mon point de vue, il y a bien entendu lieu de s’interroger sur l’attitude, rencontrée parfois en situation de
rééducation orthophonique, de rééducateurs qui proposent (imposent ?) leur(s) propre(s) mode(s) de fonction-
nement aux enfants en difficulté qu’ils accueillent, en leur soumettant des "modèles" de fonctionnement à
reproduire. Mais ce que décrit Madame Gelbert elle-même de ses modes d’intervention me semble fort y
ressembler.
Elle a d’ailleurs souvent recours au terme "classique" pour décrire tout mode d’approche ou d’intervention ne
relevant pas de ses convictions ni de ses modélisations, qu’il s’agisse d’"orthophonie classique" ou de "processus
classiques d’apprentissage", hélas non décrits, non expliqués, non "spécifiés" : seule la méthode phonético-
gestuelle de S. Borel-Maisonny est mentionnée (Gelbert, 1994 : 58), après une rééducation orthophonique,
"bien menée" selon le jugement de l’auteur, mais ayant paradoxalement échoué puisqu’elle n’a pas permis, à son
terme, à Simon l’accès à la lecture ni à l’écriture.
43
◆ Conclusion
La démarche "aphasiologique" de Gisèle Gelbert s’adresse donc à des enfants, adolescents, ou jeunes adultes,
"non-lecteurs" et "non-transcripteurs", porteurs de "troubles de type aphasique" (mais sans lésion décelable
à l’imagerie cérébrale), pour lesquels, selon l’auteur, le "fonctionnement neurolinguistique est le même que celui des
patients aphasiques adultes et sera donc soumis au même abord rééducatif et thérapeutique" (Gelbert, 1994 : 18).
Il s’agit donc d’une démarche particulière :
• fondée sur le modèle du "schéma des fonctions linguistiques" élaboré par son auteur,
• indiquée seulement dans le cas où un diagnostic de "troubles de type aphasique" a été établi par un médecin
neurologue, en l’absence, comme le précise l’auteur, de toute lésion cérébrale visible,
• qui invite à la pratique d’exercices systématisés et répétés ayant pour but de réduire les dysfonctionnements
langagiers observés lors des tentatives d’exécution de certaines tâches : "parole spontanée, écoute et compré-
hension, répétition, lecture muette, lecture à voix haute, copie, dictée, texte spontané".
En effet, les chercheurs de différentes sciences et/ou disciplines (sciences du langage, sciences de l’éducation,
sciences cognitives, orthophonie, psychologie, neuropsychologie, neurosciences) éprouvent encore aujourd’hui
44
bien des difficultés à circonscrire et à définir ces "troubles du langage écrit", en dépit de récentes données
issues notamment de la psychologie cognitive et de la psycholinguistique.
Ces difficultés concernent, encore aujourd’hui, la définition des troubles et leur(s) étiologie(s), qui sont fonc-
tion, ainsi que les propos tenus dans l’introduction de ce chapitre ont essayé d’en rendre compte, de la manière
dont ils sont envisagés.
Si le problème majeur de la définition de ces troubles et de leur(s) étiologie(s) prête encore à de vives discussions
et controverses, que dire des manières d’y remédier ?
Le rapport sur les "Indications de l’orthophonie dans les troubles du langage écrit chez l’enfant" établi par
l’ANAES en septembre 1997 mentionne que : "Les stratégies thérapeutiques sont nombreuses : aucune
étude prospective comparative de qualité concernant ces stratégies n’a été identifiée par nos méthodes
d’analyse de littérature."
Et pourtant, comme en témoigne la présentation – non exhaustive – de certains d’entre eux (cf III – A – 1 –
2 – 3 – 4 – 5), les modes d’interventions semblent nombreux et diversifiés.
En tant qu’orthophoniste rencontrant régulièrement des personnes en difficulté avec l’écrit, les observations
recueillies dans ma pratique quotidienne de rééducation, me conduisent en tout cas à faire le constat que,
contrairement à ce que la description relativement "homogène" des difficultés pourrait laisser supposer, leurs
conséquences sont très hétérogènes, tant pour ce qui concerne l’appropriation et/ou de la "gestion" de l’écrit
par les enfants affectés qu’en ce qui concerne leurs comportements cognitivo-langagiers.
Pour ce qui concerne les pratiques en matière de rééducation orthophonique, ce constat amène naturellement
à s’interroger sur les attitudes professionnelles, et plus particulièrement les "attitudes langagières", à mettre en
place pour aider au mieux chaque enfant ou chaque personne concerné à gérer ses difficultés, et à envisager
d’éventuels changements de perspective à la fois sur le statut des partenaires en présence et sur les modes
d’intervention de l’orthophoniste.
◆ Les hypothèses en matière de code écrit, de "mécanismes d’identification des mots écrits"
C’est ainsi qu’avec le développement, dans les années quatre-vingts du siècle dernier, des modèles génétiques
de la lecture (Coltheart, 1978 ; Morton et Patterson, 1980), et plus particulièrement du modèle développe-
mental d’Utah Frith (modèle du développement normal des aptitudes lexiques (Sprenger-Charolles, 1992)), a
été formulée la notion de "mécanismes d’identification des mots écrits" (avec deux procédures ou voies
d’assemblage et d’adressage) permettant de rendre compte du fonctionnement du code en matière d’écrit, fonc-
tionnement concernant des mécanismes dits de "bas niveau" de traitement de l’information écrite (Ellis,
1984).
Ce point de vue, ne prétendant en aucun cas rendre compte de l’activité complexe qu’est la lecture, est très inté-
ressant, puisqu’il s’intéresse aux origines possibles des difficultés ou troubles précédemment décrits.
L’hypothèse centrale étant que, dans une langue dite "alphabétique" comme le français ou l’anglais par
exemple, les mots écrits sont un codage des mots dits, les difficultés observées peuvent être expliquées par des
difficultés d’analyse de la structure segmentale de la parole. De manière simplifiée, lorsqu’un enfant éprouve
des difficultés à segmenter un mot proposé oralement en unités phonémiques (en "sons"), il ne parvient pas à
appliquer à chacun des phonèmes constitutifs du mot les graphèmes (lettres ou groupes de lettres) leur
correspondant.
45
Ces difficultés semblent concerner la qualité de perception et de représentation des sons de la parole, c’est-à-
dire des phonèmes, et leur mise en correspondance rapide et automatisée avec leurs unités "équivalentes" à l’écrit,
c’est-à-dire les graphèmes, et affectent le transcodage graphémo-phonologique et phonémo-graphémique.
Ainsi que des recherches dans le domaine de la psychologie cognitive de la lecture ont pu le mettre en éviden-
ce, trois habiletés sous-jacentes à la mise en place des mécanismes d’identification et de production des mots écrits
constituent un préalable indispensable à l’acquisition et à la maîtrise du code écrit (Content, 1984, Alegria, 1989) :
• les capacités d’analyse de la structure segmentale de la parole (permettant de décomposer les unités "mots" à
l’oral en leurs unités constitutives, qu’il s’agisse des syllabes, des attaques et des rimes, des phonèmes) ou capacités
"métaphonologiques",
• les habiletés de perception de la parole (permettant de se construire des représentations stables et exactes des
éléments de la chaîne parlée),
• la mémoire phonologique de travail (permettant le stockage en mémoire à court terme des unités de l’oral).
En séances de rééducation orthophonique pour troubles spécifiques du langage écrit (troubles "dyslexiques"),
il est donc recommandé de faire pratiquer aux enfants des exercices d’entraînement des capacités d’analyse de la
structure segmentale de la parole (des exercices de "conscience phonologique") et de maintien de l’information
phonologique en mémoire de travail (Lecocq, 1992), en vue d’améliorer leurs procédures d’identification et de
production de mots écrits.
Ces mises en évidence de types précis de dysfonctionnements, situés et mis en relation avec une modélisation
de fonctionnement hypothétique de reconnaissance et de production des mots écrits, me paraissent fondamen-
talement importantes pour l’évaluation des troubles du langage écrit, étant donné qu’elles permettent de dégager une
spécificité à ces troubles.
46
mieux en lecture étaient ceux manifestant les meilleures habiletés métaphonologiques avant et au tout début
de l’apprentissage de la lecture (Sprenger-Charolles, 1992), la voie indiquée en rééducation pour les enfants en
difficulté avec l’écrit semble donc le développement de ces capacités dites "métaphonologiques".
La syllabe
Puisque la syllabe est considérée comme l’unité de base de perception de la parole étant donné que sa repré-
sentation acoustique est plus stable que celle du phonème, une intervention envisageable en rééducation
consiste à travailler dans un premier temps au niveau de la syllabe, de son repérage et de son individualisation
par l’enfant dans des mots dits à haute voix et proposés par l’adulte, tout en ne perdant pas de vue que le
passage à la représentation écrite de la syllabe ne se fera probablement pas sans poser de difficultés : la présence
du fameux "e" muet dans des mots amène à les segmenter à l’écrit par exemple en 2 syllabes (exemples : luge,
fête, chauve) alors qu’une seule syllabe est repérée à l’oral.
Dans l’éventualité où la segmentation des mots oraux en syllabes est possible, comment, ensuite, parvenir à un
découpage infrasyllabique, c’est-à-dire en unités de taille inférieure à la syllabe ?
Et sur la base de quelles unités pertinentes, étant donné que l’appropriation du code écrit dans une langue
alphabétique comme le français passe par la mise en correspondance rapide et automatisée des graphèmes avec
leur(s) phonème(s) correspondant(s) et réciproquement ?
Cependant, une mise en garde s’impose d’emblée : pour une personne n’ayant jamais été soumise à un appren-
tissage formalisé de la lecture-écriture dans une langue alphabétique, l’identification des unités "phonèmes"
dans les mots n’est pas une tâche facile, puisque le phénomène de coarticulation empêche souvent d’isoler et
de repérer parfaitement chaque unité phonémique. L’unité "phonème" doit en effet être constituée comme
invariant pour être rapidement identifiable, alors qu’une de ses caractéristiques est justement d’être soumis à
des variations en fonction des autres phonèmes qui l’entourent.
La question est donc de savoir s’il convient de privilégier d’emblée le découpage des syllabes en attaques et
rimes, ou au contraire directement en phonèmes, mais également de savoir de quelle(s) manière(s) aider
l’enfant à procéder pour qu’il accède à ce découpage infrasyllabique ou intrasyllabique.
Dans une perspective de "segmentation" de l’oral (en vue de sa mise en correspondance avec l’écrit), l’utilisa-
tion de la comparaison de mots monosyllabiques qui riment comme, par exemple : "soeur, meurt, leur"
pourrait présenter l’intérêt de permettre le repérage des unités linguistiques intrasyllabiques que sont l’attaque
47
et la rime, à condition que l’enfant ait été au préalable confronté à un certain repérage des rimes, au travers de
comptines, de poèmes ou de chansons, et qu’il y ait été sensible.
De plus, de ce point de vue, les unités linguistiques intrasyllabiques que sont l’attaque et la rime pourraient
représenter un moyen d’accès, un passage aux unités "phonèmes".
Car, en effet, à partir du repérage de la rime, il est ensuite envisageable de travailler sur l’attaque : dans le cas
où l’attaque correspond à un seul phonème, le découpage de 2 mots comportant la même rime mais une
attaque différente, permettrait, à travers la comparaison des 2 mots, de distinguer deux "débuts" ou attaques
de mots différents, donc deux phonèmes différents qui pourraient donc être isolés et identifiés.
Par la suite, en sachant qu’à l’intérieur de groupes diconsonantiques comme : "fr, vr, pr, br, tr, dr, cr, gr, fl, pl,
bl, cl, gl, sp, st, sc" (et en particulier pour ceux commençant par une occlusive de durée d’émission courte
pouvant difficilement être prolongée, contrairement à celle des constrictives), l’enfant a du mal à individualiser
chaque phonème, il lui serait peut-être plus facile d’accéder à chacun d’eux en lui donnant la possibilité de
comparer deux attaques diconsonantiques ne différant que par un seul phonème, à l’intérieur de mots mono-
syllabiques ayant la même rime, en lui proposant des couples de mots oraux comme, par exemple : "frise/crise",
"frime/crime", "fraîche/crêche", puis en lui proposant des couples de mots oraux ne différant que par le second
phonème du groupe diconsonantique initial, exemples : "franc/flan", "plan/prend", "gland/grand".
De ce point de vue, les unités linguistiques intrasyllabiques que sont l’attaque et la rime pourraient donc repré-
senter un moyen d’accès, un passage aux phonèmes.
A propos de la pertinence pour les enfants, en français, du repérage des unités intrasyllabiques que sont l’attaque
et la rime, mes observations en situation de rééducation me conduisent à constater qu’il semble bien plus aisé,
pour un grand nombre d’enfants en difficulté avec les "habiletés métaphonologiques" d’accéder au repérage de
phonèmes, directement à partir de la syllabe, mais pas dans n’importe quelle condition.
En effet, les tentatives de mise en place de ce type d’ "exercices d’entraînement" au repérage de la rime et/ou
de l’attaque n’ayant souvent pas "abouti" en séances de rééducation, j’ai essayé une autre voie d’approche
consistant dans un premier temps à proposer aux enfants deux phonèmes (que j’écris successivement et sépa-
rément sous leurs yeux) et à leur demander d’en réaliser la fusion à l’oral sous la forme d’une syllabe à dire à
haute voix (dont j’assure pour ma part la réalisation écrite, à côté ou en dessous des deux graphèmes précédents),
ce que beaucoup d’entre eux font sans difficulté, semble-t-il, en particulier en commençant par la fusion de
phonèmes dont la durée d’émission peut être artificiellement allongée, comme celle des constrictives sonores
et sourdes, des liquides, des nasales et des voyelles.
Après m’être assurée que la segmentation de mots oraux en syllabes distinctes ne leur pose pas de problème,
nous essayons de repérer dans deux mots oraux que je propose dans un premier temps, la syllabe finale, pas
forcément identique, exemple : "tu-lipe, sou-coupe", mais dont le dernier phonème est le même. Nous procédons
alors à une "distorsion" ou à une "déformation" de l’aspect prosodique de ces mots oraux, en essayant un mode
de segmentation non "naturel", non "spontané", qui permet de mettre en exergue le phonème final sous la
forme d’une syllabe "artificielle" dotée d’un (e) audible, exemple : "tu-li-pe, sou-cou-pe". Cette pratique s’appuie
sur des travaux de recherche en phonétique et en didactique du français qui ont mis en évidence que
"l’important est plus souvent à la fin qu’au début et que la proéminence prend généralement la forme d’un allonge-
ment" (Guimbretière, 1994 : 35).
◆ Conclusion
L’intérêt développé par ce type d’approche ne doit donc pas faire oublier que l’analyse est faite uniquement par
l’observateur de l’enfant en difficulté. Il ne s’agit donc que d’hypothèses fabriquées par l’observateur, qui rendent
certes bien compte du mode de production de certaines difficultés et de leurs origines, mais qui malheureuse-
ment ne renseignent pas toujours suffisamment sur d’autres difficultés ni sur la manière d’y remédier.
Et même lorsqu’il s’agit de tenter de remédier à ces difficultés, en tout cas pour ce qui me concerne – je ne peux
en effet pas parler à la place d’autres collègues orthophonistes – dans ma pratique professionnelle, combien de
fois me suis-je trouvée confrontée à ce que j’appelle mes insuffisances…
48
En effet, en proposant, à des enfants différents manifestant les mêmes difficultés, des activités (par exemple sur
l’analyse de la structure segmentale de la parole, sur le traitement séquentiel de la parole), j’ai pu constater que
les conséquences du travail effectué en commun n’étaient pas du même ordre pour chacun(e). En effet, pour
certains enfants, des exercices d’entraînement, passant généralement par l’imitation, semblent bien "fonction-
ner", et ceux-ci paraissent s’approprier la ou les compétences leur faisant défaut. Mais, pour d’autres enfants, ce
n’est pas le cas.
Ces observations en situation de rééducation et mes lectures dans le domaine de l’écrit me conduisent donc à
adhérer à la remarque de J.-P. Jaffré : "En l’état actuel des connaissances, le message qu’un linguiste de l’écrit peut
adresser aux psycholinguistes qui décrivent et théorisent l’acquisition de l’écrit est le suivant : l’écriture n’a jamais été
une phonographie "pure" qui associerait de façon systématique et bi-univoque des phonèmes, ou des syllabes, et des
caractères, ou des lettres, même si dans certaines sociétés, passées et présentes, elle s’en approche parfois. Il serait donc
surprenant qu’une notion aussi marquée que celle de "conscience phonologique" puisse rendre compte, à elle seule et
de façon prioritaire, de l’acquisition de l’écrit." (Jaffré, 1993 : 35)
Mais les personnes (enfants ou adultes) en difficulté sont-elles en mesure de dire, de mettre en mots, de formuler leur
manière de procéder en matière de langage écrit ?
49
◆ Changement de perspective sur le(s) mode(s) d’intervention de l’adulte
En constatant que les propositions d’exercices – dont j’étais, moi l’adulte, à l’origine de la modélisation et du
mode de fonctionnement – n’entraînaient pas les mêmes effets positifs en matière de traitement de l’informa-
tion écrite chez tous les enfants que j’accueillais, je me suis tout naturellement questionnée sur mes modes d’in-
tervention, sur mes attitudes – notamment langagières – vis à vis de ceux qui semblaient progresser nettement
moins efficacement que d’autres.
Je me suis donc intéressée à la notion d’ "imitation", puisqu’il me semblait que certains enfants, par imitation
de ce que je pouvais proposer, s’appropriaient assez rapidement des connaissances et des modes de fonctionne-
ment en matière d’écrit, alors que d’autres très peu, voire pas du tout.
Je me suis alors inspirée des écrits de L.S. Vygotski dans le remarquable ouvrage Pensée et Langage, consacré à
la notion de développement, Vygotski pour qui le processus d’imitation chez l’être humain n’est pas une activité
purement mécanique : "l’enfant ne peut imiter que ce qui est dans la zone de ses propres possibilités intellectuelles."
(Vygotski,1934/1997 : 352), Vygotski qui ajoute par ailleurs que : "Pour imiter, il faut que j’aie une certaine
possibilité de passer de ce que je sais faire à ce que je ne sais pas faire." (Vygotski : 353)
Et comment passer de l’état de "je ne sais pas faire" à celui de "je sais faire" ? Vygotski propose comme mode
d’approche la notion de "zone prochaine de développement" ou de "zone proximale du développement", en entendant
par là que c’est par la collaboration avec un autre qu’un enfant peut faire plus que ce qu’il parvenait à faire seul,
tout en précisant : "pas infiniment plus, mais seulement dans certaines limites, étroitement définies par l’état de son
développement et de ses possibilités intellectuelles". (Vygotski : 353)
Mais de quelle(s) façon(s), sous quelle(s) forme(s) envisager cette "collaboration" entre l’adulte et l’enfant ? En
établissant une relation verbale particulière (des entretiens-échanges langagiers) donnant à l’enfant la possibi-
lité de réfléchir à sa manière de procéder en matière d’écrit.
50
Envisager ainsi la relation entre l’adulte et l’enfant sous la forme d’une collaboration, dans laquelle chaque
partenaire construit grâce à l’autre des savoirs et des savoir-faire, s’inscrit dans les perspectives piagétienne et
vygotskienne pour lesquelles ce ne sont pas les manques, les lacunes, les insuffisances, qui caractérisent la
pensée enfantine mais au contraire ses potentialités de développement.
En me référant donc aux travaux de Piaget et de Vygotski, selon lesquels c’est de l’activité de l’enfant qu’il faut
partir pour expliquer sa pensée et c’est essentiellement par le dialogue que s’engagent les démarches cognitives,
et en prenant en compte les observations relatives aux travaux de J. Tamine-Gardes et de C. Bonnet sur la
connaissance et la conscience du langage chez l’enfant (Bonnet, Tamine-Gardes,1984), c’est par le dialogue
avec des enfants âgés au moins d’environ 7-8 ans que je cherche à initier des démarches cognitivo-langagières,
sous la forme d’entretiens-échanges langagiers, à partir de ce qu’ils font.
En effet, pour J. Piaget : "L’instinct social ne se développe que tard sous des formes nettes." (Piaget, 1923 : 168),
et pour L.S. Vygotski : "Selon les observations que Piaget a faites sur la vie sociale à la Maison des Petits de Genève,
c’est seulement à 7-8 ans qu’apparaît chez les enfants le besoin de travailler en commun." (Vygotski : 92)
J’envisage donc l’étayage comme un processus déclencheur d’activité : l’étayage de l’adulte permet à l’enfant
de faire avec lui ce qu’il n’aurait pas pu faire seul, en particulier par l’intervention du langage qui amène
l’enfant à une prise de conscience de sa propre activité, en essayant en premier lieu de favoriser cette prise de
conscience.
Dans ses interrogations multiples sur les rapports entre enseignement, apprentissage et développement chez
l’enfant, Vygotski met en avant les dimensions cognitives et subjectives des apprentissages. Il soulève le
problème des rapports entre les "concepts quotidiens" ou "spontanés" (c’est-à-dire les formes de pensée chez l’enfant
qui se développent par ses activités pratiques et ses expériences de vie quotidienne, influencées par les interac-
tions avec son entourage et son milieu familial, sous forme de "significations de mots" (1997 : 272)) et les
"concepts scientifiques" (qui se forment dans le processus d’assimilation d’un système de connaissances apporté
à l’enfant par l’enseignement), et pense que "c’est à l’âge scolaire que nous devons élucider ce qui caractérise les
concepts quotidiens de l’enfant." (1997 : 300), c’est-à-dire pas avant 7-8 ans.
La présentation qui suit rend compte d’un èreentretien-échange langagier avec une enfant : Céline, âgée de
7 ans 1/2 et scolarisée en Cours Elémentaire 1 année, que j’accueille de manière hebdomadaire en séance de
rééducation, en raison de ses difficultés à l’écrit, et ne constitue, étant donné l’état de ma recherche, qu’une
proposition d’ébauche de démarche rééducative en matière de troubles du langage écrit.
Contrairement aux (souvent habituelles) transcriptions orthographiques, dont les conventions mentionnent –
entre autres – les numéros des tours de parole, la durée des pauses dans et entre les tours de parole, les inter-
ruptions lexicales, la présente transcription orthographique a été choisie de manière volontairement "simplifiée" :
• les lettres A et E indiquent respectivement les interventions langagières de l’adulte et de l’enfant,
• le crochet [ marque un chevauchement dans la parole,
• les parenthèses ( ) indiquent que certains éléments ne sont pas articulés,
• les caractères spéciaux < > précisent un comportement d’un des locuteurs, ce afin d’en faciliter la lecture en
faisant se centrer le lecteur sur le contenu des échanges.
Cet entretien-échange langagier est ouvert par l’orthophoniste (l’adulte A) qui cherche à se renseigner sur le niveau
de prise de conscience par l’enfant (E) de ses difficultés :
A. Alors Céline, j’aimerais que nous nous intéressions un peu toutes les deux aujourd’hui [
E. oui [
A. à deux lettres qui t’embêtent un peu
E. oui
A. est-ce que tu pourrais me dire de quelles lettres i(l) s’agit ?
E. de b et de d et de p et de q
A. d’accord, si tu veux bien, nous allons commencer par b et d ?
E. oui
Tentant d’amener l’enfant à "réfléchir" sur ses savoirs et ses savoir-faire, l’étayage langagier de l’adulte démarre
avec une suggestion : l’orthophoniste propose à Céline de faire, c’est-à-dire d’écrire les lettres dont il est question
et qui posent problème, car le procédural (ce que l’enfant fait et sait faire, mais dont il n’est pas forcément
conscient) permet déjà, à condition de leur en donner la place, de faire émerger des questionnements de l’enfant
sur son faire :
A. est-ce que tu aurais la gentillesse de les écrire ?
E. oui… < au moment où Céline va s’exécuter, elle formule une demande > en lettres attachées ou …
A. alors … comme tu veux toi …
52
Céline écrit les lettres b et d en cursives, sur la feuille devant elle, et l’adulte poursuit son questionnement
étayant :
A. lorsqu’elles sont écrites comme ça, est-ce que tu les mélanges ?
E. euh … oui … euh, non
A. d’accord, et puis c’est surtout quand tu les reconnais dans des livres - c’est ce que tu m’avais expliqué la
dernière fois - que tu les mélanges ?
E. oui
A. et elles sont écrites comment quand elles sont écrites dans les livres ? tu pourrais m(e) montrer ?
E. c’est quand e(lles) sont écrites comme ça < à côté des lettres b et d précédemment écrites par elle en
lettres cursives, Céline écrit les lettres d et b en script >
A. bien … c’est quand elles sont écrites comme ça
Par ses reformulations et ses demandes de confirmation sur sa propre manière de procéder, l’adulte amène
l’enfant à réfléchir sur ce qu’il fait et initie la mise en mots par l’enfant sur sa façon de faire.
A. si j(e) comprends bien, quand elles sont écrites comme ça, tu ne les mélange pas ? < l’adulte montre avec
son index les lettres b et d écrites par Céline en cursives >
E. non
A. et quand elles sont écrites comme ça, tu les mélanges ? < l’adulte montre avec son index les lettres d et
b écrites par Céline en script >
E. oui
A. est-ce que tu pourrais m(e) dire comment tu fais pour arriver à faire la différence entre ces deux-là
<l’adulte désigne du doigt les lettres d et b en script >
E. ben parce que euh … ben le b euh il a un ventre qui est devant et p(u)is euh le d il est derrière
A. d’accord
L’orthophoniste revient sur les dires de l’enfant (déclaratif), en essayant de lui faire retrouver la situation, le
moment, les circonstances, d’où ils sont issus. Ce faisant, l’adulte initie une ébauche d’entretien d’explicitation,
avec une mise en évocation (Vermersch, 1994) :
A. est-ce que tu t(e) souviens si quelqu’un t’a expliqué ça, cette histoire du ventre ?
E. oui, c’est la maîtresse …
A. d’accord … la maîtresse vous a parlé d’une histoire de ventre … avec les lettres b [
E. et d [
A. et d
E. ouais, elle les a écrits sur une feuille alors
A. d’accord … est-ce que tu t(e) rappelles comment elle a fait … la maîtresse … quand elle les a écrits sur
une feuille ?
E. laquelle feuille ?
A. alors je n(e) sais pas … ça s’est passé en classe ?
E. mais c’est quoi déjà une feuille ? …j(e) sais p(l)us…
A. c’est toi qui m’as dit c’est quand elle les avait écrits sur une feuille …
E. oui …
A. oui … est-ce qu’elle avait une façon particulière, la maîtresse, de les écrire quand elle les a écrits sur une
feuille ?
E. ben quand elle les a écrits sur une feuille ben euh ben e(lle) elle mettait euh … elle écrivait euh … <
Céline montre les d et b écrits en script >
A. tu peux m(e) montrer comment elle faisait ?
E. < Céline écrit la lettre d en script > elle montrait en attaché ça s’écrivait comme ça … < Céline écrit la
lettre d en cursive juste en dessous du d script qu’elle vient d’écrire >
A. hm hm …
E. le d le b ben i(l) s’écrivait comme ça < Céline réitère les gestes d’écriture avec la lettre b d’abord en
script puis en cursive >
53
A. hm hm
E. pour pas s’mé pour pas qu’on se confonde que euh que ça c’est un b et ça c’est un d < Céline désigne succes-
sivement les lettres b et d en script avec son feutre >
A. d’accord
L’adulte reconnaît et met en mots (formule et reformule) le savoir-faire de l’enfant et lui demande ensuite de le
mettre en œuvre à travers un exercice qu’il propose :
A. ça veut dire … que le moyen … que tu as trouvé … pour faire la différence … entre le b et le d … < l’or-
thophoniste montre les lettres en script > c’est d(e) les écrire … en d(e)ssous en attaché c’est ça ?
E. oui
A. ben ça m(e) paraît une excellente idée
E. ouais
A. est-ce qu’on pourrait essayer euh d’appliquer euh cette tactique …
E. cette tactique de quoi ?
A. c’est une tactique de Céline ça hein ? < grand sourire et mine épanouie de l’enfant > cette tactique … à
des syllabes …écrites dans des livres … des syllabes en [b] et des syllabes en [d] … donc avec des b et avec
des d ?
E. < Céline acquiesce par un mouvement de tête >
A. est-c(e) que tu veux bien qu’on essaie ?
E. oui
A. d’accord
Après chaque désignation par l’adulte d’une syllabe écrite en script contenant un b ou un d et après chaque
oralisation proposée par l’enfant, l’orthophoniste lui demande systématiquement confirmation de ce qu’il vient
de dire, sous la forme : "tu en es sûre ?", ce qui a pour but de contribuer au temps d’appropriation des savoir-
faire conscientisés de l’enfant.
Les mises en mots étayantes de l’adulte ont pour objectif de favoriser l’émergence de verbalisations métaprocé-
durales de la part de l’enfant et sa découverte de sa propre manière de procéder ainsi que sa capacité à la
formuler :
A. pas sûre … comment tu peux faire pour en être sûre ?… est-c(e) que toi tu peux l’écrire ?
E. euh … oui
A. montre-moi …
E. < Céline écrit la lettre b en script > co(mme) ça …
A. en entier …
A ce moment précis, l’orthophoniste s’attend à ce que Céline écrive la lettre a à côté du b pour former la syllabe
(ba) dont l’identification par l’enfant n’était pas certaine. Mais Céline écrit la lettre b en cursive à côté du b en
script. Comme l’a fait remarquer Jean Piaget : "Comment voulez-vous avec notre esprit d’adulte savoir ce qui sera
intéressant ? Tandis que si on suit l’enfant partout où il vous répond d’une manière imprévue, au lieu de le guider
avec des questions prévues d’avance, alors on trouve du neuf …". (Bringuier, 1977 : 45), il est souvent très inté-
ressant d’accepter la grande part d’improvisation qui caractérise les situations d’entretien avec des enfants.
A. d’accord … donc pour être sûre … qu’il s’agit bien … de la syllabe
E. [b] ba
A. (ba) … qu’est-ce que tu as fait … toi ?
E. eh ben moi j’ai …
A. sur ta feuille …
E. ben moi j’ai écrit d’abord euh … c(e) qui avait écrit en lettres euh … script et après j’ai écrit en attaché
A. d’accord … merci beaucoup Céline … tu m’as bien aidée
54
◆ Conclusion
La présentation de cette démarche se veut avant tout une amorce de réflexion sur une pratique particulière en
situation de rééducation orthophonique auprès d’enfants en difficulté avec l’écrit, pratique professionnelle qui
prend appui sur deux concepts bien connus en psychologie du développement : l’étayage et la prise de conscience,
qu’il me semble très intéressant "d’essayer" en situation de rééducation.
Cette pratique professionnelle se situe résolument du côté de l’interaction, de la relation verbale, qui s’établit
entre des individus ayant déjà chacun des savoirs et des savoir-faire, et que leur rencontre amène à modifier, à
reconstruire et à coconstruire, car, pour reprendre les paroles de Régine Delamotte-Legrand : "La personne
apprenante n’étant pas seule au monde, mais en relation permanente avec les autres, ce sont ces relations qui forgent
la conscience, les savoirs, l’autonomie et la liberté de chacun." et : "comprendre l’autre oblige à éclairer son sens à soi."
(Delamotte-Legrand, 1997 : 112)
V – LE PROBLÈME DE L’ÉVALUATION
DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES
55
En effet : "Les thérapies du trouble du langage écrit sont nombreuses et diverses. Tant que l’on ne dispo-
sera pas d’études de bonne qualité méthodologique, avec des effectifs suffisants de malades, comparant les
stratégies thérapeutiques, il ne sera pas possible de proposer une ou des méthodes de rééducation"
(ANAES, 1997).
Fondée sur un modèle médicalisé, cette analyse met en évidence le fait que l’évaluation de l’efficacité de l’or-
thophonie est difficile, et que les recommandations reposent sur un "faible niveau de preuve scientifique".
De ce point de vue, il existe en effet :
• peu d’études longitudinales sur l’évolution naturelle des troubles du langage écrit,
• peu d’études comparant différentes interventions avec l’absence de soins ou des soins dits "placebo", compa-
rant différentes techniques entre elles,
• peu d’études sur des stratégies comparant le nombre total de séances de soins, la durée des séances ou leur
fréquence : "Les quelques données disponibles proviennent essentiellement des pays anglo-saxons où la
pratique des soins est différente" (ANAES, 1997).
Dans la mesure où la situation particulière de "séance de rééducation orthophonique" met en présence des per-
sonnes, des questionnements éthiques se posent inévitablement :
• Comment envisager de mener une étude comparant deux groupes d’enfants pour lesquels une évaluation au-
rait diagnostiqué des troubles dits "dyslexiques" (en supposant qu’ils aient pu être appariés en fonction de di-
vers facteurs : âge, sexe, niveau de difficultés, etc.), en proposant des interventions aux enfants d’un groupe,
sans rien proposer aux autres ?
• Comment décider de ne pas proposer d’intervention à des enfants ayant été "diagnostiqués" comme présentant
des "troubles dyslexiques", en les laissant se débrouiller avec ces difficultés ?
• Comment décider de ne proposer qu’un nombre défini de séances d’intervention "calibrée" (en termes de du-
rée, de "méthode de rééducation", par exemple) à certains individus alors que d’autres se verraient soumis par
exemple au double de ce nombre ?
• Comment comparer des "méthodes" entre elles en sachant que ces "méthodes", aussi "calibrées" (en nombre, en
durée, en fréquence, de séances) puissent-elles être, impliquent bien évidemment le déroulement d’une inter-
action, d’une relation, entre deux personnes : le "rééducateur" et le "rééducable" ?
• Comment faire accepter, par le "rééducateur" et par le "rééducable", dans la relation duelle qu’est très sou-
vent la situation de séance de rééducation orthophonique, un tiers observateur-évaluateur dont la présence même
risque sans doute de modifier l’interaction et les conduites des partenaires ?
• A partir de quel moment le "rééducable" est-il considéré comme "rééduqué" ? par qui ? comment ?
(c’est-à-dire sur la base de quels critères ?)
Ces questionnements permettent de se rendre compte que, si le groupe de travail de l’ANAES sur les "Indications
de l’orthophonie dans les troubles du langage écrit chez l’enfant" estime qu’il est : "nécessaire et urgent de déve-
lopper en France la recherche et l’évaluation des pratiques professionnelles en orthophonie", celles-ci sont :
"difficiles car il y a des obstacles techniques ou organisationnels. Les populations traitées ne sont pas toujours
homogènes : les outils d’évaluation ne sont pas tous standardisés et n’ont pas fait l’objet d’études de vali-
dation dans la population concernée."
Alors, eu égard aux multiples obstacles techniques et institutionnels, et en prenant en compte des considérations
éthiques essentielles, quel(s) types ou quel(s) mode(s) d’évaluation des pratiques professionnelles envisager en
matière d’orthophonie ?
Peut-être – sans doute même – est-il nécessaire d’approcher autrement la notion même d’évaluation en matiè-
re de pratiques professionnelles ?
56
Et pourquoi pas de manière moins directe ou moins "frontale", en sollicitant la réflexion et la participation
active de ceux et celles dont les attitudes, conduites, ou même "méthodes" de rééducation seront l’objet de cette
évaluation ?
De quelle manière ?
Cette démarche a été amorcée à travers la réalisation de deux mémoires de fin d’études (Bot, 2003, Hittinger,
2004) pour l’obtention du Certificat de Capacité en Orthophonie, auprès d’orthophonistes d’une région fran-
çaise, la Lorraine, respectivement en 2003 et en 2004.
Ces deux recherches successives, respectivement menées par deux ex-étudiantes de l’Université de Nancy I, Mu-
riel Bot (2003) et Anne-Laure Hittinger (2004), avaient pour thématique centrale commune d’établir un état
des lieux des pratiques orthophoniques concernant l’évaluation initiale des troubles développementaux du lan-
gage écrit. L’outil méthodologique de la première recherche a été un questionnaire auto-administré, celui de
la seconde des entretiens individuels semi-dirigés réalisés auprès des professionnels antérieurement
questionnés ayant accepté une interview ultérieure.
Ces travaux de recherche ont permis de mettre en évidence le fait que, pour des professionnels, se trouver dans
un premier temps interpellés par des questionnements sur leurs pratiques (au moyen d’un questionnaire auto-
administré) puis se trouver, quelques mois plus tard, à nouveau placés en situation d’en parler, les avaient
amenés à s’interroger non seulement sur le domaine en question (recherche et appropriation de connaissances
et de savoirs pour les troubles du langage écrit et leur évaluation) mais aussi sur ses attitudes et conduites de
"rééducation" (ce qui, aux dires recueillis, aurait entraîné des changements, des modifications, des appropriations
de savoir-faire en matière d’orthophonie).
Les outils d’investigation que représentent le questionnaire et l’entretien semi-dirigé semblent donc avoir
permis aux orthophonistes questionnés et interviewés un "retour réflexif" sur leurs pratiques, une prise de
conscience de leurs modes de fonctionnements professionnels, une forme d’"objectivation" quant à ces
pratiques.
Cette démarche nouvelle en matière d’évaluation des pratiques professionnelles, outre qu’elle présente l’avan-
tage de permettre aux professionnels de ne pas se sentir "jugés" par une instance extérieure (puisqu’eux-mêmes
sont acteurs de l’évaluation), semble ouvrir des perspectives intéressantes dans ce domaine, notamment celle de
rendre l’"auto-évaluation" partie prenante de la notion même d’évaluation.
VI – CONCLUSION
Ainsi que les différents points soulevés au cours de ce chapitre ont pu les mettre en évidence, les questionnements
sont encore nombreux en matière de troubles du langage écrit, qu’il s’agisse de leur évaluation ou de leurs
"rééducation(s )" et/ou "prise(s) en charge" et/ou "thérapies".
Comme l’introduction de ce chapitre l’avait annoncé, la description d’un objet (ici, les troubles développe-
mentaux du langage écrit) dans un domaine déterminé renvoie à la construction qu’en élaborent les acteurs
professionnels (chercheurs, praticiens) de la discipline concernée (ici, l’orthophonie). Cette "construction" se
réalise à la fois à partir de perspectives théoriques et de données de recherches, mais aussi à partir des expériences
issues des interventions cliniques des professionnels.
De manière synthétique, actuellement, trois champs théoriques peuvent rendre compte des "troubles dévelop-
pementaux du langage écrit" (Niederberger, 2000) :
• la psychologie cognitive et la neuropsychologie, dans lesquelles les troubles sont considérés comme résultant
du développement déficient d’une ou de plusieurs composantes cognitivo-langagières (compréhension du
langage oral, étendue du lexique et capacités d’accès au lexique, compétence à segmenter la chaîne parlée en
mots, syllabes et/ou phonèmes, connaissance et maîtrise du code phonographique, empan et fonctionnement
de la mémoire de travail) intervenant dans l’activité de la lecture-écriture (Rieben, Perfetti, 1989, Fayol et
coll., 1992),
57
• le constructivisme, reposant sur les théories de Jean Piaget, dans lequel les troubles sont considérés comme
des difficultés ou incapacités de la part de l’enfant de modifier les représentations erronées qu’il s’est cons-
truites du fonctionnement du système de lecture-écriture de la langue qu’il parle et s’approprie (Fijalkow,
Liva, 1993),
• le socio-cognitivisme, s’intéressant aux pratiques socio-culturelles de la lecture-écriture, dans lequel les trou-
bles sont considérés comme des incapacités (de la part des enfants) à se représenter les fonctions de l’écrit et
à se projeter/construire comme futur lecteur (Chauveau, Rogovas-Chauveau, 1994).
Ces conceptions différentes des troubles du langage écrit ont des incidences sur les "pratiques rééducatives"
orthophoniques, dans la mesure où les professionnels envisageant les troubles du langage écrit sous tel ou tel point
de vue théorique s’y réfèrent dans leurs interventions. Dès lors, comment nommer ces "interventions" ? séances
de "rééducation orthophonique" ? avec ou sans "méthode" de rééducation ? "thérapies" ? " prises en
charge" orthophoniques ? "thérapeutiques orthophoniques" ?
Du point de vue constructiviste, dans lequel l’accent est mis sur les capacités que l’enfant a su développer
davantage que sur ses lacunes ou ses manques, et qui vise, au cours des séances de "rééducation" à réorganiser
le "fonctionnement langagier de l’enfant sur le plan de la modalité écrite" (Niederberger, 2000), en amenant l’en-
fant à mettre à jour les représentations qu’il s’est construites de notre système de lecture-écriture – conceptions
considérées comme erronées ou non suffisamment performantes par l’adulte qui les a évaluées –, l’intérêt est
bien évidemment la valorisation de l’enfant en tant que "constructeur" et "acteur" étant donné qu’il est
investi par l’adulte rééducateur du statut de détenteur de savoirs et de savoir-faire, qu’il sera néanmoins amené
à modifier au cours de ses rencontres avec l’adulte. Ce type d’intervention présente également des limites :
• De quelle manière amener l’enfant à verbaliser, à mettre en mots la manière dont il procède en matière
d’écrit ?
• Quelles sont les "capacités" métacognitives et métalangagières requises pour ce faire ?
• Le professionnel qu’est l’orthophoniste dispose-t-il de savoirs et de savoir-faire suffisants pour guider ce type
d’intervention ?
Le point de vue socio-cognitiviste, qui met en avant les aspects sociaux et culturels de la lecture-écriture
(diversité des pratiques, variation en fonction des situations de communication et des buts poursuivis par le
lecteur-scripteur, influence de l’environnement socio-culturel, familial et scolaire, sur les représentations que se
construisent les enfants de la lecture-écriture, modifications des représentations en fonction de l’âge) et qui
58
postule l’existence d’un lien interactif entre capacités en lecture et capacités de représentations : "ces
dernières" contribuant "au moins en partie aux difficultés rencontrées par certains apprenants" (Niederberger,
2000), pose la question de la nécessité et/ou de l’utilité d’une intervention spécifique en la matière dans le
cadre de l’intervention orthophonique sous la forme d’une partie du travail de "rééducation" accordant un
temps et/ou une place à l’évaluation par l’orthophoniste au sens que chaque enfant construit progressivement
de son apprentissage/appropriation de l’écrit. Là encore existent des limites, notamment celle consistant pour
l’adulte rééducateur à se laisser aller à une simple (?) conversation avec l’enfant. Et là encore, c’est la formation de
l’orthophoniste en termes de savoirs et de savoir-faire, formation initiale et formation continue, qui permettra
de les circonscrire.
Proposant chacune des regards différents sur l’apprentissage ou l’appropriation de la lecture-écriture et de ses
difficultés, présentant chacune des intérêts mais aussi des limites, les trois perspectives théoriques évoquées
ci-dessus doivent se concevoir, non pas de manière exclusive, mais au contraire complémentairement nécessaire, dans
les démarches d’intervention orthophonique auprès des enfants ou des personnes en difficulté avec l’écrit.
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62
CHAPITRE II
La rééducation des troubles spécifiques
d’acquisition du langage écrit
SOMMAIRE
I – INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
II – RAPPELS THÉORIQUES
A – Données actuelles sur le langage écrit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .65
B – Expériences d’entraînement préventif pour les enfants à risque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
C – Méthodes d’entraînement intensif pour les enfants avec des troubles sévères de la lecture . . . . . . 66
D – Importance de l’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
IV – LA RÉÉDUCATION DE LA LECTURE
A – La rééducation de la procédure d’assemblage..................................................................................................................................... 69
B – La rééducation de la procédure d’adressage .......................................................................................................................................... 72
V – LA RÉÉDUCATION DE L’ORTHOGRAPHE
A – L’orthographe phonétique ...................................................................................................................................................................................... 76
B – L’orthographe lexicale ................................................................................................................................................................................................. 76
C – L’orthographe grammaticale ................................................................................................................................................................................ 78
D – Le récit écrit ......................................................................................................................................................................................................................... 78
63
VI – EVALUATION DES TRAITEMENTS
A – Evaluation pré et post rééducation ................................................................................................................................................................ 79
B – Description des rééducations............................................................................................................................................................................... 79
C – Le temps des rééducations ..................................................................................................................................................................................... 79
D – L’efficacité à long terme ........................................................................................................................................................................................... 80
64
I – INTRODUCTION
Peu d’ouvrages traitent de la rééducation orthophonique des troubles spécifiques d’acquisition de la lecture et
de l’orthographe.
La difficulté vient du fait que pendant longtemps cette rééducation a été empirique et qu’il était difficile d’en
transcrire les éléments. Depuis, l’orthophonie a évolué et, avec l’apport de la neuropsychologie et des neuro-
sciences, elle se fonde maintenant sur des modèles de fonctionnement du sujet normal. Dans bien des cas la
théorie est venue confirmer les pratiques. Cette réflexion permet de mieux comprendre les troubles des enfants
en connaissant mieux le fonctionnement normal d’acquisition de la lecture et de l’orthographe. Elle permet
d’envisager différemment la rééducation.
II – RAPPELS THÉORIQUES
A - DONNÉES ACTUELLES SUR LE LANGAGE ÉCRIT
La lecture se caractérise par l’identification des mots écrits et a pour but final la compréhension du message.
Les connaissances actuelles sur l’acquisition de la lecture (Ehri, 1998, Share et Stanovich, 1995) suggèrent que
le développement du stock orthographique (permettant la reconnaissance rapide des mots) est dépendant de
compétences de décodage phonémique. Toutefois, certains enfants ont des difficultés à acquérir ce stock visuel,
lesquelles sont indépendantes de ce décodage, comme le précisent plusieurs études (Bowers et al, 1994, Olson
et al, 1997). Concernant la compréhension, certains enfants sont en difficulté du fait de leur mauvaise identi-
fication des mots, mais aussi parce qu’étant mauvais lecteurs, ils n’ont pas eu comme les autres toutes les
opportunités d’acquérir des stratégies de compréhension de textes (Brown et al, 1986).
Beaucoup d’auteurs s’accordent à dire que les troubles de la lecture sont causés par un déficit dans le traitement
des éléments phonologiques de la parole (Liberman et al, 1989), comme le démontrent des tâches de conscience
phonologique, de mémoire auditive à court terme, de rapidité d’accès à une information phonologique stockée
en mémoire à long terme et certaines formes de perception de la parole.
En particulier, les performances en conscience phonologique et en dénomination rapide influencent la vitesse
d’acquisition des premières compétences en lecture (Wagner et al, 1997). Wolf et al (2000), discutent le fait
que des déficits dans la vitesse de dénomination d’une part et dans le traitement phonologique d’autre part,
sont des déficits distincts et dissociables dans le développement de la parole et du langage. Selon cette hypo-
thèse, les auteurs distinguent trois sous-groupes de mauvais lecteurs caractérisés respectivement par des déficits
phonologiques, des déficits en vitesse de dénomination et une combinaison des deux déficits. Les enfants avec
le double déficit présentent les formes les plus graves de troubles du langage. La vitesse de dénomination est
conceptualisée comme un ensemble complexe de sous-processus attentionnels, perceptifs, conceptuels,
mnésiques, phonologiques, sémantiques et moteurs (articulatoires), nécessitant que les temps d’exécution de
chaque composant soient rapides. Le déficit en vitesse de dénomination visuelle, qui se traduit par des diffi-
cultés dans l’accès rapide aux noms des symboles visuels et dans leur évocation, peut expliquer l’échec dans
l’acquisition des compétences d’identification rapide des mots isolés.
Une piste intéressante actuellement sur les explications de la dyslexie est celle de la perception catégorielle des
sons. En effet, plusieurs études ont montré que les dyslexiques étaient moins catégoriels que les normolecteurs,
c’est-à-dire qu’ils auraient des difficultés de catégorisation des sons en classes phonologiques. Ils ont une moins
bonne discrimination des différences entre catégories et une meilleure discrimination des différences intra-
catégorielles. Ceci indiquerait que les dyslexiques auraient des difficultés dans l’acquisition des précepts phoné-
miques (Sprenger-Charolles et Colé, 2003), ce qui a été confirmé dans plusieurs études. Ce déficit de
perception catégorielle est à mettre en relation avec d’autres résultats qui suggèrent que les dyslexiques auraient
également un déficit de segmentation perceptive (Carré et al, 2000, Messaoud-Galusi, 2003).
65
B - EXPÉRIENCES D’ENTRAÎNEMENT PRÉVENTIF POUR LES ENFANTS À RISQUE
Torgesen (2002) fait l’analyse de plusieurs études portant sur des approches d’enseignement pour les enfants à
risque de développer des troubles sévères d’acquisition de la lecture. Il conclut que celles qui sont les plus explicites
et intensives sur la dimension phonémique ont le plus fort impact sur les progrès en lecture de ces enfants à
risque.
Ainsi l’étude de Brown et Felton (1990) évalue deux conditions expérimentales sur des populations d’enfants
dont les compétences en traitement phonologique sont inférieures au 16ème percentile. La première approche
est orientée sur le code, c’est-à-dire sur les correspondances lettres-sons et les stratégies de fusion, alors que la
seconde approche est orientée sur le contexte, c’est-à-dire qu’on apprend aux enfants à utiliser les indications
contextuelles et les sons dans les mots pour confirmer les hypothèses contextuelles.
Les enfants sont suivis par groupes de 8 durant les deux premières années du primaire. A la fin de la deuxième
année, les enfants du groupe ayant suivi la méthode contextuelle ont des résultats inférieurs à ceux ayant suivi
la méthode orientée sur le code, en lecture de mots, décodage phonémique et compréhension.
Une autre étude de Torgesen et al (1999) évalue 4 conditions d’instruction. La première (PASP : Phonological
Awareness plus Synthetic Phonics) travaille explicitement la conscience phonologique en utilisant les indica-
tions articulatoires plus une pratique extensive en décodage phonétique décontextualisé. La seconde (EP :
Embedded Phonics) aborde explicitement les sons en mettant l’accent sur les applications à la lecture et à l’écriture
de texte, en parallèle à l’acquisition d’un vocabulaire visuel. La troisième condition est un soutien en classe
normale et la dernière condition est le groupe contrôle sans traitement.
Les enfants sont suivis en individuel, 4 fois par semaine pour une durée de 20 minutes, pendant 2 ans et demi,
en commençant en dernière année de maternelle.
Les résultats en lecture en fin de seconde année montrent des différences significatives entre groupes, en faveur
du groupe PASP.
Les conclusions de l’analyse des études de Torgesen (2002) sont qu’un enseignement préventif intensif pour les
enfants à risque de troubles d’apprentissage peut ramener leurs compétences moyennes en lecture de mots dans
la norme. Ces conclusions sont tirées d’une série d’études de prévention (Torgesen et al, 1999, Foorman et al,
98, Vellutino et al, 96). Mais il note que même dans les meilleures conditions, certains enfants gardent de
faibles compétences en lecture en fin d’intervention. Il évalue cette population "résistante" aux méthodes d’en-
seignement intensif et préventif, entre 4 et 6%.
66
Donc, comparativement, le programme EP entraîne plus la lecture et la compréhension de textes entiers que
ADD, alors que le programme ADD entraîne plus la conscience phonémique et les compétences de décodage
phonémique que EP.
Il faut noter que ces deux programmes ont incorporé les principes dont l’efficacité a été prouvée pour les
enfants ayant des troubles d’apprentissage de la lecture (Swanson, 1999), que sont les opportunités d’entraîne-
ment et un accompagnement individualisé, les indications systématiques sur les stratégies appropriées et le
travail sur la segmentation et la fusion des sons dans les mots.
Les programmes se déroulent tous les jours, dans des sessions de 50 minutes pendant 8-9 semaines suivies de
8 semaines d’entraînement à la généralisation, une fois par semaine en classe. Les résultats sont relevés pendant
le temps de l’intervention et sur un temps de deux ans après la fin de l’intervention.
Les résultats montrent des progrès substantiels et stables en lecture sur les deux ans de suivi, et qui sont similaires
pour les deux programmes. Un peu plus d’un tiers des enfants restent en dessous de la moyenne en ce qui
concerne leurs performances de décodage, et leurs possibilités de lire des mots avec exactitude dans un texte.
Plus de la moitié sont en dessous de la moyenne en identification de mots sans l’aide du contexte. Globalement,
environ deux tiers des enfants normalisent leurs résultats selon la mesure considérée. La moitié des enfants
suivis ont atteint la moyenne en compétences de lecture à la fin de la période de suivi et 40% sont retournés
dans l’enseignement général au bout d’un an. Toutefois, la fluence de lecture reste réduite.
Ainsi, les deux méthodes donnent des résultats similaires en utilisant des principes d’intervention comme : un
enseignement explicite de la conscience phonologique, du décodage phonémique et de la reconnaissance
visuelle des mots. Elles insistent également sur des routines de correction pour les stratégies d’identification des
mots et donnent aux enfants beaucoup de temps de pratique.
On peut penser qu’il est plus difficile de rétablir de bonnes compétences chez des enfants présentant des trou-
bles sévères d’acquisition de la lecture, que de prévenir les troubles chez des enfants repérés comme étant "à
risque" de développer des difficultés d’acquisition du langage écrit. En ce sens, Torgesen (2002) envisage
plusieurs raisons à l’inefficacité relative des enseignements spécialisés pour des enfants avec des troubles sévères.
Les programmes d’éducation spécialisée tendent à stabiliser le déficit plutôt qu’à y remédier. Les raisons en
seraient que les interventions dans de telles classes ne sont pas assez intensives ni assez individualisées. Elles ne
portent pas suffisamment sur le décodage phonémique et la conscience phonémique. Elles n’apprennent pas
de stratégies de compréhension.
Il semble donc nécessaire pour tous ces enfants, même ceux placés dans des établissements spécialisés, qu’une
prise en charge rééducative individuelle soit rapidement mise en place.
D - IMPORTANCE DE L’ÉVALUATION
Les cliniciens sont maintenant convaincus de la nécessité de l’évaluation comme préalable à toute rééducation.
Quand un enfant se présente pour des difficultés d’apprentissage, il faut pouvoir cerner leur nature, leur intensité,
leurs répercussions sur le fonctionnement général et scolaire de l’enfant.
Le temps de l’évaluation, avec en préalable l’entretien avec les parents et l’enfant, permet de se faire une idée
de la souffrance, de l’entrave que cela représente dans la scolarité, mais aussi de savoir comment ces difficultés
sont vécues tant à l’école qu’à la maison.
Cette évaluation permet de préciser le diagnostic en déterminant quel est le dysfonctionnement à l’origine des
troubles présentés par l’enfant. Il est à ce stade nécessaire d’évaluer les troubles de l’enfant en évaluant ses
compétences dans les domaines qui sous-tendent la lecture (traitements perceptifs visuel et auditif, mémoire
verbale à court et long terme, attention, notamment visuelle). L’évaluation déterminera quelles sont les procé-
dures déficientes l’empêchant d’accéder à l’identification des mots, pourquoi ces procédures n’ont pas pu se
développer, quelles compétences requises pour cela ne sont pas bien maîtrisées, quelles sont les stratégies que
l’enfant ne s’est pas approprié pour traiter correctement le langage écrit, en lecture ou en transcription. Cette
évaluation, en référence aux modèles de lecture et d’écriture qui spécifient les connaissances et mécanismes
cognitifs sous-tendant ces activités, permettra d’envisager des hypothèses de rééducation.
67
III – LA RÉÉDUCATION ORTHOPHONIQUE
A - LES LIMITES DES MÉTHODES
Concernant la rééducation orthophonique, les recommandations de l’ANAES (1997) portant sur le nombre et
la fréquence des séances de rééducation ne peuvent être précises : "La revue de la littérature n’a pas identifié
d’étude permettant de proposer un nombre et une fréquence de séances fondées sur un niveau de preuve".
Faute de mieux, le groupe de travail recommande une fréquence de 2 à 3 séances en début de traitement.
Alors que plusieurs publications font état de prises en charge des diverses pathologies adultes, la littérature est
très peu abondante en ce qui concerne la prise en charge des pathologies développementales. C’est ainsi que
concernant la méthode de rééducation des troubles du langage écrit développementaux, l’ANAES ne peut que
recommander une coordination entre les intervenants, "la revue de la littérature n’ayant pas permis de recom-
mander une méthode plus qu’une autre". Tout reste donc à faire concernant l’évaluation des rééducations.
Nous n’avons pas la prétention ici de présenter des "méthodes" de rééducation, car il est évident pour tout
clinicien que le problème est complexe et que l’adaptation au sujet est primordiale. La rééducation ne peut se
limiter à l’application d’une méthode, mais doit être construite pour chaque enfant, compte tenu de ses difficultés
et doit être adaptée en fonction de son évolution.
Les rééducations orthophoniques sont avant tout individuelles, ce qui permet à l’orthophoniste de s’adapter
spécifiquement au trouble de chaque enfant, mais aussi à son niveau cognitif, à ses compétences préservées, à
sa personnalité, à ses stratégies. L’enfant est un tout dont il faut tenir compte et qui ne se limite pas à ses troubles.
Pour de mêmes troubles, d’intensité comparable, les enfants réagiront différemment et nécessiteront des réédu-
cations différentes.
Les orthophonistes sont très impliqués dans la rééducation des troubles du langage écrit de l’enfant. Car même
si l’école prend conscience que parmi les enfants en difficultés d’apprentissage certains présentent un trouble
spécifique, la pédagogie à elle seule, aussi performante soit elle, ne permettra pas à ceux-ci de faire des acquisi-
tions au même rythme que leurs pairs. Une intervention rééducative est donc nécessaire.
Une des difficultés des rééducations du langage, tant oral qu’écrit, est que l’enfant gardera toujours des déficits,
à des degrés et avec des conséquences variables tant sur sa vie scolaire, que sociale et plus tard professionnelle.
La récupération totale n’est pas la règle. Il va donc falloir que l’enfant s’adapte à ses difficultés, et que, cons-
cient de celles-ci, il ait des stratégies de compensation ou de contournement.
Les études ont montré l’efficacité de l’entraînement de la conscience phonologique sur l’acquisition de la lecture.
Chez des enfants chez qui elle est très déficiente, voire absente, l’accent sera mis, en rééducation, sur son dévelop-
pement.
68
L’apprentissage des correspondances entre graphies et phonies peut poser problème chez certains enfants du
fait :
• de la proximité visuelle de certaines lettres comme m et n, de l’importance de l’orientation spatiale comme
seul signe distinctif comme t et f, u et n ou encore b et d.
• de la proximité auditive de certains sons avec comme seul trait distinctif le voisement, comme t et d, f et v.
• de la conjonction de ces deux caractéristiques, visuelle et auditive, pour certaines correspondances : p et b
(orientation spatiale et voisement)
• de la conversion qui paraît très aléatoire de certaines associations de graphies (oi, ai…), dans lesquelles on
n’entend aucun des deux sons représentés
• de la multiplicité des formes écrites pour un seul son : o-au-eau, ain-ein-in
• de la nécessité d’apprendre des règles contextuelles pour certaines conversions s (s ou z), g (g ou j), c (s ou k).
Or, tant que ces notions ne sont pas assimilées et que les conversions ne sont pas automatisées, l’enfant ne
pourra utiliser de façon efficace la voie de lecture par assemblage. N’ayant en début d’apprentissage aucun autre
moyen à sa disposition pour identifier les mots (car il ne possède pas encore de stock orthographique), il n’arrive
pas à développer l’identification des mots. En effet, la procédure d’assemblage permet un auto-apprentissage
de la lecture en ce sens que les représentations orthographiques des mots s’acquièrent essentiellement à l’occasion
des multiples rencontres et tentatives de décodage phonologique des mots.
Certains auteurs (Valdois et al, 2003) défendent l’hypothèse de troubles visuo-attentionnels chez des enfants
présentant des dyslexies de surface, et ce en l’absence de trouble phonologique. Ces troubles visuo-attention-
nels empêcheraient la constitution du stock orthographique et ne permettraient pas à l’enfant d’identifier rapi-
dement les mots en lecture ni de produire leur orthographe exacte en transcription.
Ainsi, il apparaît clairement que la rééducation des troubles de la lecture chez l’enfant nécessite au préalable une
évaluation fine de leurs déficits, pour leur apporter la rééducation la plus ciblée possible et donc la plus efficace.
IV – LA RÉÉDUCATION DE LA LECTURE
Pour des raisons de clarté de l’exposé, nous séparerons lecture et orthographe, mais il est évident que les deux
compétences sont travaillées en parallèle, puisqu’elles se développent en interaction.
La conscience phonétique se développe au moment de l’apprentissage de la lecture, avec qui elle entretient des
relations réciproques. Il faut en effet avoir conscience que les mots sont constitués de sons pour apprendre à
lire, mais réciproquement, le fait de découvrir la lecture dans un système alphabétique montre l’existence
69
d’unités phonétiques. C’est donc dans cette réciprocité que se construit la conscience phonétique, et c’est
pourquoi elle est toujours à travailler, chez l’enfant dyslexique, avec un support visuel et en parallèle avec
l’apprentissage des conversions graphies-phonies.
Pour pallier les difficultés des enfants dyslexiques dans le développement de la conscience phonétique, il faut
utiliser des supports visuels et/ou kinesthésiques, car leur canal auditif est peu performant.
Beaucoup de matériel de rééducation existe pour travailler les différents aspects de la conscience phonologique.
Aussi ne détaillerons-nous pas ici tous les exercices possibles, mais rappellerons les étapes d’un tel travail :
• comparer des rimes, en trouver de nouvelles,
• découper les mots en syllabes,
• comparer les syllabes dans les mots, trouver des mots partageant ces mêmes syllabes,
• manipuler les syllabes : en enlever, en ajouter, en substituer,
• repérer et identifier les sons,
• manipuler les sons dans les mots : en enlever, en ajouter, en substituer.
70
Résumé : L’apprentissage des conversions graphies-phonies chez l’enfant dyslexique nécessite l’apport
de supports autres qu’auditifs, car les entrées auditives sont souvent défaillantes. Il faut utiliser le
visuel (gestes Borel, dessins rappelant le bruit du phonème ou la forme de la bouche pendant la
production), le kinesthésique (faire sentir les vibrations laryngées ou associer un mouvement
corporel). Il faut toujours y associer la graphie pour fixer l’association lettre-son.
3 - L’apprentissage de la fusion
Les exercices de reconnaissance des graphies et ceux de conversion se font parallèlement à l’apprentissage de la
fusion des sons en syllabes, car une fois que les enfants auront conscience et connaissance des sons, il faut qu’ils
les fusionnent pour aboutir à une forme phonologique permettant l’identification des mots.
Cet apprentissage se fait sur des syllabes directes (CV) et indirectes (VC), pour aborder par la suite les syllabes
complexes (CCV et CVC). Les fusions peuvent être travaillées d’abord à l’oral, ce qui soulage l’enfant de la
tâche de conversion des lettres et groupes de lettres en sons : on donne les deux sons à l’enfant, il les maintient
en mémoire un court temps, le temps de les fusionner en syllabes.
A l’inverse, on travaillera l’analyse segmentale de la parole en faisant identifier à l’enfant les sons contenus dans
une syllabe entendue. Cette compétence, appelée conscience phonétique est indispensable pour développer la
transcription. Faire ce travail à l’oral soulage l’enfant d’une autre tâche qui est l’évocation de la graphie
correspondante au son identifié, nécessaire ensuite dans la transcription.
Mais bien sûr, lire nécessite de combiner toutes ces étapes successives, en respectant le sens gauche – droite de
la lecture, en segmentant correctement les groupements de lettres qui seront ensuite traduits en sons, lesquels
après fusion seront maintenus en mémoire jusqu’au décodage du mot entier. Chaque syllabe sera donc ensuite,
selon le même principe, fusionnée avec la syllabe précédente, maintenue en mémoire. De la rapidité avec
laquelle toutes ces opérations seront effectuées, dépendra l’accès au sens, par comparaison de la forme phono-
logique ainsi découverte, avec une forme phonologique stockée en mémoire à long terme et qui est associée à
un sens. Plus ces opérations seront automatisées, moins la mémoire à court terme sera mobilisée, ce qui est impor-
tant chez des enfants chez qui elle est souvent déficitaire.
L’entraînement se fera donc d’abord sur des syllabes, simples et complexes, puis sur des mots et des non mots
de longueur croissante. On utilisera au début des étayages visuels (digraphes ou trigraphes en couleurs, traits
entre les syllabes) pour aider l’enfant à traiter les informations visuelles et puis ces "béquilles" seront progressi-
vement enlevées. Pour solliciter l’accès au sens, on pourra réaliser des séries de mots et non mots que l’enfant
devra identifier par assemblage et dire s’ils existent ou non.
Il devra ensuite à son tour écrire des mots et des non mots et les faire lire à l’orthophoniste.
Résumé : les compétences de fusion, comme celles de segmentation sont indispensables pour accéder à la
lecture et à la transcription par la procédure d’assemblage. Elles nécessitent toute une série de traitements
perceptifs auditifs et visuels et une grande quantité d’informations à stocker en mémoire de travail. Mais
c’est aussi leur utilisation automatique qui conduira l’enfant vers une lecture moins coûteuse en énergie
cognitive, accédant plus facilement au sens, et permettant également la constitution du stock orthographique.
4 - L’accès au sens
L’accès au sens par la procédure d’assemblage est long et soumis à l’exactitude de la mise en œuvre de toutes les
étapes décrites ci-dessus pour découvrir la forme phonologique représentée par la succession des lettres, ainsi
qu’au temps de traitement des indices visuels et auditifs.
Quand l’enfant a identifié et fusionné les syllabes constituant le mot, il fait correspondre cette forme phono-
logique à celle des mots stockés en mémoire, ce qui nécessite un stock lexical constitué et une phonologie
expressive pas trop déviante, sinon les mots ne seront pas reconnus.
Le temps d’identification des mots par cette procédure est théoriquement proportionnel à leur longueur.
Toutefois, bien souvent, l’enfant est capable d’activer un certain nombre de mots possibles, à partir d’un décodage
partiel du mot, ce qui peut aboutir à des productions fausses, que normalement l’enfant corrigera en fonction
du contexte.
71
Il convient dans le cas d’utilisation excessive de l’anticipation, d’encourager l’enfant à poursuivre son transco-
dage pour augmenter ses chances d’activer le bon mot dans son stock, de mieux utiliser les indices visuels et de
longueur pour limiter les erreurs.
Résumé : l’accès au sens par la procédure d’assemblage ne peut survenir que quand le transcodage des
lettres en sons et la fusion des sons sont achevés ou tout du moins suffisamment avancés pour permettre
d’activer le bon mot en minimisant le risque d’erreurs. Il ne s’agit là que de la compréhension des mots
isolés, indispensable au processus de compréhension des textes, mais non suffisant, car d’autres
paramètres sont alors en jeu (compréhension syntaxique, contextuelle…)
72
L’épellation oblige l’enfant à porter une attention particulière à chaque lettre du mot, et lui permet de se sensi-
biliser à la longueur du mot, à repérer les irrégularités, les lettres muettes. Certains enfants sont gênés par la
forme visuelle du mot qu’ils analysent mal, alors que l’épellation, qui leur donne des indications auditives, les
aide à la mémorisation de la séquence des lettres.
En regardant ainsi toutes les lettres, on peut attirer l’attention de l’enfant sur le fait que certains mots contiennent
plusieurs fois la même lettre (par exemple derrière comporte 3 e et 3 r). Mélanger les lettres et les remettre dans
l’ordre pour former un mot fait apparaître certaines particularités des mots et sensibilise l’enfant à l’importance
de la séquence.
Les mots ainsi appris doivent ensuite être repérés dans un texte (l’enfant les entoure avant que l’adulte ne l’aide
à lire les phrases), ce qui nécessite la reconnaissance visuelle. La lecture à haute voix de ces mots permettra de
s’assurer de l’association entre forme visuelle, lexique phonologique de sortie et système sémantique. L’enfant
sait qu’il doit utiliser une stratégie de lecture globale pour tous les mots entourés (puisqu’ils ont été visuelle-
ment appris) et donc regarder le mot en entier, sans se limiter aux deux premières lettres, comme souvent dans
le transcodage par assemblage. Cela favorise déjà l’entraînement à la flexibilité dans l’utilisation des deux voies
de lecture, car l’enfant doit passer d’une stratégie par assemblage pour les mots inconnus à une stratégie par
adressage pour les mots appris.
D’autres exercices permettent d’entraîner à la reconnaissance des mots : par exemple en incluant des mots dans
les successions de syllabes sans sens, sans segmentation, ou en travaillant sur des grilles de mots cachés. On peut
également demander à l’enfant de reconnaître le mot cible parmi plusieurs formes proches.
2 - L’utilisation de la morphologie
Les enfants dyslexiques ont des difficultés bien connues dans le traitement phonologique. Leurs performances
de segmentation morphologique, à l’oral, sont aussi globalement inférieures à celles des enfants de même âge
et la modification phonologique d’un mot à l’autre, de la même famille, les pénalise (c’est-à-dire quand on ne
retrouve pas exactement la forme phonologique de la base, comme dans sourd/surdité, ou jardin/jardinier, au
contraire des mots dans lesquels la base est totalement préservée sur le plan phonologique comme coiffe/coif-
feur/coiffer). Toutefois la différence de performance n’est plus significative si on compare les enfants non plus
à ceux de même âge chronologique, mais de même niveau de lecture (Colé, Casalis, 2004).
Elbro et Arnbak (2000) ont mené une expérience d’entraînement à la conscience morphémique, qui s’est avérée
bénéfique pour les enfants suivis en tout petits groupes (de un ou deux). Les effets ont été notés en reconnais-
sance de mots et en compréhension, mais étrangement pas pour les mots complexes morphologiquement. Ceci
peut être expliqué par un effet positif sur les concepts de mots en tant qu’unités de signification. Il y a également
eu un transfert sur la transcription.
L’entraînement semble donc indépendant des compétences phonologiques, ce qui est une voie de remédiation
possible pour l’enfant dyslexique.
On peut donc entraîner les enfants sur la base de la morphologie des mots, en leur faisant reconnaître des mots
qui ont une base commune, des intrus qui bien que partageant des lettres communes ne sont pas de la même
famille. La construction de mots à partir d’une base sera également à entraîner en faisant par exemple découvrir
les mots des différentes catégories reliées à cette base : neige/neiger/enneigé/enneigement/déneiger…
La sensibilisation aux affixes, préfixes et suffixes, permettra à l’enfant de mieux identifier les mots et de mieux
comprendre la construction de ces mots.
73
Ce repérage de la base en lecture soulagera l’énergie cognitive nécessaire à la reconnaissance du mot, car une partie
du mot sera alors identifiée.
Résumé : les enfants dyslexiques ont beaucoup de difficultés à acquérir un stock orthographique d’en-
trée. L’utilisation de la morphologie, en leur permettant de comprendre la construction des mots et
familles de mots, leur donne des indices de repérage des bases, pour faciliter la reconnaissance des
mots. Cette utilisation de la morphologie s’avère bénéfique, avec des transferts en transcription. Elle
n’est pas dépendante de la phonologie, souvent déficitaire chez l’enfant dyslexique.
Résumé : La rééducation doit permettre à l’enfant de reconnaître rapidement des ensembles de lettres,
c’est à dire d’utiliser une perception auditive et visuelle rapide, avec une association visuo-auditive,
des patrons de segmentation sublexicale pour les groupements de lettres les plus fréquents. Ceci
permet d’acquérir une fluence au niveau orthographique, qui aura pour conséquence une meilleure
fluence dans la reconnaissance du mot. Au niveau lexical, il faudra s’assurer des compétences d’évo-
cation lexicale et renforcer le développement sémantique. En effet, la reconnaissance de mots est facilitée
par la connaissance sémantique. Le travail portera donc sur l’utilisation du vocabulaire, sur la
compréhension de la lecture et sur l’expression.
74
4 - L’accès au sens
Le but final de la lecture est bien évidemment l’accès au sens. Il faut pour cela que l’enfant ait automatisé les
tâches de décodage et puisse rapidement avoir des représentations mentales des situations décrites.
Les enfants qui ont des difficultés dans l’identification des mots, ont moins d’entraînement en lecture que les
autres. En conséquence, ils n’ont pas les mêmes opportunités de développer des stratégies de lecture et développent
des attitudes négatives envers la lecture. Ils sont ainsi coupés de sources d’informations et de connaissances,
alors qu’ils sont déjà faibles en compétences verbales.
La compréhension de la lecture est influencée par la connaissance du contexte, par l’appréciation de la structure
du texte, par la capacité à appliquer des stratégies de compréhension de lecture, par la motivation et l’intérêt, et
tout cela en plus des compétences d’identification de mots (Torgesen, 2000). Il se peut donc que les enfants
dyslexiques aient des difficultés de compréhension des textes lus.
Les études sur les expériences d’entraînement qui rapportent les meilleurs résultats en compréhension sont
celles dans lesquelles les enfants ont eu un enseignement explicite des capacités de décodage phonémique, ainsi
que dans les stratégies de compréhension, et qui ont eu beaucoup d’opportunités pour s’engager dans des activités
de lecture porteuses de sens, et ce sous haute supervision de l’enseignant (Foorman et al, 1998).
Si les enfants ont des difficultés à saisir le sens de l’écrit, on peut mettre en scène des petits textes lus pour qu’ils
prennent conscience des éléments porteurs de sens dans le texte écrit.
Il faut également faire anticiper les suites possibles à l’histoire, en demandant à l’enfant ce qui pourrait arriver
ensuite, alors même qu’on n’a pas lu la fin du texte. Ceci lui donne un rôle actif dans la lecture et soutient sa
compréhension.
Comme les enfants dyslexiques gardent longtemps des difficultés dans les processus d’identification de mots,
il faut leur donner des stratégies de repérage à l’intérieur du texte, pour qu’ils puissent rapidement retrouver
l’indication dont ils ont besoin. On surligne les éléments importants, annote en marge de la lecture… Ceci est
d’autant plus important que l’enfant est scolarisé dans les grandes classes, étant donné la quantité des documents
écrits à traiter. Une relecture exhaustive serait trop coûteuse pour eux.
Résumé : Au-delà du développement des compétences d’identification de mot, il ne faut pas perdre de vue
que le but à atteindre en rééducation est que l’enfant dyslexique accède à un niveau de compréhension écrite
en rapport avec son niveau de compréhension orale. Il est donc important de toujours évaluer ses compé-
tences de traitement du langage oral et de favoriser ses stratégies de compréhension écrite.
V – LA RÉÉDUCATION DE L’ORTHOGRAPHE
La capacité orthographique est la capacité qui permet d’associer les concepts linguistiques et les traces
graphiques. Elle suppose la mise en oeuvre d’opérations cognitives et linguistiques qui aboutissent à la
construction du lexique orthographique.
Les deux procédures décrites dans l’acquisition de la lecture sont également celles qui permettent à l’enfant
d’acquérir l’orthographe lexicale.
L’acquisition de l’orthographe est plus difficile que celle de la lecture : elle nécessite des savoirs linguistiques
spécialisés, des procédures de traitement orthographique et une mise en mémoire. De plus, il faut utiliser
plusieurs stratégies simultanées, en un même point. Il faut donc que certaines d’entre elles soient automatisées
pour libérer l’énergie cognitive nécessaire à l’activation des autres.
La transcription de phrases nécessite, outre la production de l’orthographe correcte des mots, plusieurs opérations
supplémentaires : segmenter la phrase en mots, trouver l’orthographe adéquate des mots et des homophones
non homographes, appliquer les règles grammaticales.
Frith (1985) s’est intéressée aux relations entre la lecture et l’orthographe. Chacune de ces deux compétences
est tour à tour un stimulateur pour le développement de l’autre. Ainsi, la procédure logographique est d’abord
appliquée en lecture avant d’être adoptée en transcription. En revanche, la médiation phonologique est d’abord
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développée en transcription avant d’être utilisée en lecture. Enfin, la procédure orthographique est utilisée en
lecture avant d’être transférée en transcription.
Le modèle connexionniste décrit les connexions possibles entre le code orthographique (qui constitue le
langage visible, écrit) et le code phonologique (langage oral) : il existe une connexion entre le mot entier et le
code phonétique, entre le mot entier et le code sémantique, une connexion entre la lettre et le code phonémique
et entre le groupe de lettres et le code syllabique.
Ce sont ces différentes connexions qui peuvent donc être déficitaires chez l’enfant dysorthographique et qui
demandent à être rééduquées par la prise en charge orthophonique.
A - L’ORTHOGRAPHE PHONÉTIQUE
D’après les données développementales, il est évident que le développement de la conscience phonologique
affecte d’abord la qualité de la transcription avant d’être utilisée en lecture. La transcription nécessite comme
pour la lecture, plusieurs étapes avant d’aboutir à une production correcte sur le plan phonétique. Dans le cas
d’un mot inconnu ou d’un non mot, l’enfant doit en faire l’analyse auditive et la segmentation en sons, y faire
correspondre les lettres, respecter le lien entre perception auditive temporelle et transcription séquentielle
spatiale (dans le sens gauche-droite), et réaliser le geste graphique permettant l’inscription de la trace sur la
feuille.
Il est donc utile en rééducation de travailler précocement sur la transcription. Le déficit de la conscience phono-
logique a longuement été décrit chez l’enfant présentant des troubles d’acquisition de la lecture. Ce trouble
intervient doublement dans l’altération des capacités orthographiques. En effet, la conscience phonologique est
un composant de l’acquisition de l’orthographe et la lecture sert d’entraînement pour le développement de l’or-
thographe en permettant l’acquisition des représentations orthographiques lexicales.
Le développement de la conscience phonétique permet à l’enfant de faire l’analyse des mots en sons pour
ensuite associer le son avec la ou les lettres correspondantes (forme graphique).
Dans l’entraînement à la transcription, il faut dans un premier temps faire épeler les sons perçus. L’enfant fera
ensuite correspondre les lettres correspondantes aux sons ainsi identifiés. Au départ, il peut être utile d’utiliser
des lettres mobiles pour ne pas surcharger l’enfant avec l’évocation de la forme graphique correspondante au
son identifié (il lui suffira de la reconnaître) et ne pas lui demander une tâche supplémentaire qui sera celle de
l’acte graphique.
La transcription de mots simples et de non mots, fait prendre conscience à l’enfant du code alphabétique en
utilisant l’aspect phonographique de la transcription.
Mais n’utiliser que la phonétique ne permet de transcrire que 50% des mots de la langue française. L’enfant
doit donc également se constituer un stock orthographique, lui permettant de transcrire correctement tous les
mots. C’est un apprentissage visuo-orthographique. Il ne semble toutefois pas que les enfants dysorthographiques
aient un déficit de mémoire visuelle, qui pourrait expliquer les difficultés rencontrées dans la mémorisation de
ces formes orthographiques. (Castles et Coltheart, 1996, Sprenger-Charolles et al, 2000).
B - L’ORTHOGRAPHE LEXICALE
1 - La constitution du lexique orthographique
L’orthographe en français ne se limite pas à la transposition phonographique. Elle doit répondre à un certain
nombre de règles, qui sont fixées une fois pour toutes et que l’enfant doit donc respecter. Pour ce faire, il doit
avoir encodé un certain nombre de formes orthographiques. Or cette constitution du lexique orthographique
est souvent très difficile.
76
L’acquisition du lexique orthographique implique une interaction constante entre les différents domaines
linguistiques spécialisés (phonologie, morphologie, syntaxe…). Les interfaces logographique et phonogra-
phique sont les premières à se mettre en place, plus tard suivies par les interfaces morphologique et syntaxique.
Le mot écrit est d’abord une image perçue visuellement et le lexique orthographique se construit à partir des
empreintes visuo-graphiques laissées dans le cerveau. A la suite de cela, des facteurs métagraphiques ancrent
chaque unité dans un réseau d’analogies. La régularité des mots est un atout dans cet apprentissage, puisque
l’orthographe peut être retrouvée par la procédure d’assemblage (répond aux lois générales régulières de
transposition phonographémique). La fréquence d’emploi favorise également l’apprentissage.
Pour correctement transcrire un mot, l’enfant doit en respecter la forme phonographique et sémiographique.
En effet, la plupart des mots véhicule des informations phonologiques et d’autres relatives aux propriétés
morphologiques de la langue.
La maîtrise de la procédure d’assemblage est utile pour orthographier les mots réguliers.
Il faut également posséder des informations lexicales, morphologiques, qui permettent de déduire les lettres
muettes. Par exemple grand se termine par un "d" à cause de grande. Les compétences lexicales seront
travaillées en créant, à l’oral, des familles de mots, en cherchant les mots ayant les mêmes bases. Cette activité
nécessite également la mise en jeu de la procédure d’assemblage car il faut que l’enfant puisse identifier le son
final dans grande, qui lui indiquera la lettre muette de grand.
L’enfant peut également utiliser les analogies pour retenir des séquences de lettres fréquentes. Il apprendra ainsi
que les mots qui se terminent en [o] s’écrivent généralement "eau" comme chapeau, rideau… et que les mots
terminés par [sion ]s’écrivent "tion" comme opération, solution, apparition…
Mais parfois la seule possibilité est de mémoriser les séquences de lettres, notamment pour les mots irréguliers,
d’où certains outils comme "l’orthographe illustrée" de Valdois.
Le plus difficile est d’apprendre les mots dont l’orthographe ne semble correspondre à aucune règle régulière.
Ainsi, pour ceux-là, il faut utiliser la mémoire visuelle. On fait ainsi épeler le mot à l’enfant, avec le support
visuel du mot écrit, ou on lui épelle. On est ainsi sûr que l’enfant a porté son attention sur chaque lettre. On
attire également son attention sur les particularités du mot (lettres doubles, lettres muettes…). On peut le faire
écrire ce mot en le copiant (sur papier ou ordinateur), ce qui permet de consolider l’image orthographique à
travers le geste d’écriture.
On lui demande ensuite de maintenir ce mot en mémoire et d’en garder la trace visuelle. Pour entretenir cette
trace et s’assurer de sa permanence, on interroge l’enfant sur : quelle est la deuxième lettre, la dernière,
combien y a –t-il de "e" dans le mot…, ce qui oblige l’enfant à réactiver la trace pour répondre aux questions.
On peut même faire épeler le mot à l’envers car ainsi l’enfant ne peut utiliser des stratégies d’assemblage phoné-
tique, mais bien de repérage visuel.
On demande ensuite à l’enfant d’épeler à son tour le mot, sans support visuel.
Puis vient la transcription du mot, sur papier ou sur clavier. L’intérêt du clavier est de donner également des
traces kinesthésiques (spatiales) qui pourront être stockées en mémoire.
Ainsi, l’enfant apprend les séquences de lettres constituant le mot. Il est parfois utile d’étayer l’enfant pour qu’il
utilise le repérage phonétique pour soulager sa mémoire visuelle (notamment pour les parties des mots qui sont
régulières). Ceci renforce la flexibilité d’utilisation des deux procédures.
Le mot appris devra être souvent revu et son image renforcée. Il faut toujours y associer le sens et en rappeler
la phonologie.
Pour automatiser l’utilisation du mot appris, il faut entraîner à son évocation, dans des situations des plus au
moins contraintes. Souvent l’enfant a du mal à activer son stock constitué et il est nécessaire de lui dire que
c’est un mot qu’il connaît pour qu’il retrouve son orthographe dans le lexique orthographique de sortie. Il faut
attirer l’attention sur l’évocation du mot oral et en faciliter l’accès à partir de la mémoire à long terme, puis
consolider l’association du code du nom avec l’image orthographique.
C’est pourquoi on fait, par exemple, d’abord transcrire le mot sous dictée, puis écrire le mot dans des phrases
à trous, sans donner la forme phonologique puisque l’enfant doit lui-même retrouver le mot manquant, puis
le transcrire dans une phrase spontanée puis dictée, où là, l’enfant doit gérer beaucoup d’autres dimensions,
liées à la transcription de tous les éléments de la phrase.
Certains moyens mnémotechniques sont également utilisés : il faut alors veiller à ce que la mémorisation du
moyen donné ne soit pas trop lourde pour l’enfant.
77
2 - La transcription des mots dans la phrase
Une grande différence entre la lecture et la transcription est que dans la production écrite l’enfant doit marquer
la segmentation des mots, que l’on ne perçoit pas de façon évidente à l’oral. Cette segmentation nécessite que
l’enfant possède un lexique orthographique et des compétences métalexicales, mais également des compétences
grammaticales (connaissances des homophones, segmentation avec l’, les…). Il est souvent utile de faire compter
les mots au préalable pour vérifier l’identification des différents éléments de la phrase.
La mémoire de travail est très impliquée dans la transcription de phrases puisque l’enfant doit maintenir en mé-
moire tous les mots, le temps de les écrire.
C - L’ORTHOGRAPHE GRAMMATICALE
L’orthographe grammaticale nécessite un apprentissage explicite et l’enfant doit mémoriser un grand nombre
de règles. En début d’apprentissage, l’application de ces règles nécessite un effort conscient important, coûteux
en ressources attentionnelles. En transcription, l’enfant se trouve en situation de multitâches : mémoriser les
segments à écrire (en transcription sous dictée), segmenter les mots, récupérer la représentation orthographique
(parfois revenir à une analyse phonétique si le mot n’est pas connu), tracer les mots (acte graphique), appliquer
l’orthographe grammaticale. Il faut donc qu’une partie de ces étapes soit automatisée pour que l’enfant puisse s’ap-
pliquer à la tâche la plus difficile, qui demande le plus d’attention et de réflexion : l’orthographe grammaticale.
Du fait de leur diversité et complexité, il faut plusieurs années à l’enfant pour acquérir les règles grammaticales.
Celles-ci comportent des marques visuelles, non audibles (comme le pluriel des verbes du 1er groupe :
"ils mangent" qui n’est pas différent sur le plan auditif de "il mange"), et des marques auditives (comme "ils
dorment", les liaisons "leurs amis", les changements de déterminants (le/la devient "les")). Certaines notions
sont maîtrisées très tardivement, comme la façon d’orthographier les marques en é et è à la fin des verbes.
Résumé : L’application des règles grammaticales nécessite la connaissance de ces règles, mais aussi une
réflexion sur la phrase, une connaissance de la structure des phrases. L’enfant doit donc être déchargé
de la réflexion sur l’orthographe des mots pour s’attacher à l’analyse grammaticale. C’est pourquoi
l’acquisition de l’orthographe grammaticale prend de longues années.
D - LE RÉCIT ÉCRIT
La production de texte met en jeu un certain nombre de processus, comme réfléchir au contenu, choisir les
idées et les organiser (activités de planification), sélectionner les termes et les structures syntaxiques (activités
de formulation) et écrire en gérant les activités oculo-grapho-motrices (activités de transcription). Au cours de
la transcription sont également mises en jeu les activités de relecture et de révision (corrections). A ce sujet, il
convient de noter que l’enfant dysorthographique a beaucoup de mal à se relire et que quand il le fait, il ne sait
pas toujours se corriger. C’est pourquoi il est important de l’entraîner à ces tâches de relecture. Cela passe par
une prise de conscience de ce que sont ses erreurs, ses points faibles, afin qu’il puisse les rechercher. Il faut égale-
ment organiser sa relecture car il ne pourra en une seule fois corriger toutes ses fautes.
Il n’est pas rare qu’un enfant relisant son écriture manuscrite ne trouve pas l’erreur portant sur un mot, alors
que si le mot est écrit sur traitement de texte, il repère plus facilement que "d’habitude" le mot n’est pas écrit
ainsi ("d’habitude" faisant référence aux rencontres précédentes de ce même mot, sous la même forme d’im-
primerie, c’est-à-dire dans les livres).
78
L’intérêt de l’informatique est également, dans les tâches de récit, de soulager l’enfant de l’acte graphique et de
pouvoir utiliser le correcteur orthographique. Par ailleurs, le récit ainsi produit ne comporte pas de rature, ce
qui est valorisant pour l’enfant.
Résumé : La production de récit est souvent une tâche très ardue pour les enfants dysorthogra-
phiques, car beaucoup de processus sont en jeu, de l’idée à la trace écrite, de la conception à la réali-
sation. Les compétences expressives sont sollicitées, chez des enfants qui restent souvent maladroits
dans leur expression orale et qui cumulent ensuite les difficultés de réalisation écrite.
79
car on sait qu’un enfant qui présente des troubles d’apprentissage de la lecture et de l’orthographe est à grand
risque d’échec scolaire. La diminution rapide de ses difficultés lui permettra de suivre une scolarité ordinaire et
évitera que l’écart ne se creuse avec ses pairs. Il faut lui permettre rapidement d’utiliser en classe ses compétences
en langage écrit pour pouvoir apprendre.
L’idéal serait donc de permettre à l’enfant d’accéder à une rééducation intensive en début de traitement et
quand la gravité des troubles le nécessite.
Des pauses dans la rééducation sont possibles, pour éviter la lassitude de l’enfant (et de l’orthophoniste) et
permettre ainsi de voir si l’enfant est capable de généraliser ses acquis dans la situation scolaire. Le moment de
l’arrêt de la rééducation est toujours un problème difficile à gérer. Puisque les troubles ne disparaîtront jamais
totalement, quand considérer que le travail rééducatif est terminé ? Quand l’enfant a atteint un niveau suffisant
pour suivre sa scolarité ? Quand il ne progresse plus ? Quand il n’est plus motivé ? Autant de facteurs qui sont
à prendre en compte. Mais il faut que les orthophonistes soient conscients qu’il faut donner à l’enfant suffi-
samment d’autonomie pour pouvoir apprendre, sans rééducateur, et que les performances obtenues par les
enfants ne nous paraîtront jamais suffisantes. Il faut apprendre à l’enfant à s’adapter, avec ses troubles, et non
penser le "guérir" totalement.
On peut également se demander s’il y a un âge pour apprendre à lire, car se pose encore de nos jours, malheu-
reusement, le problème d’enfants diagnostiqués tardivement et qui à 9-10 ans ne savent toujours pas lire alors
qu’ils sont intellectuellement efficients. L’expérience nous montre qu’il est encore possible de les rééduquer à
cet âge pour leur donner la possibilité de devenir lecteur, mais leur avenir scolaire est bien évidemment lour-
dement entravé.
VII – CONCLUSION
Nous avons tenté de décrire la complexité et la diversité des aspects de la rééducation orthophonique des enfants
porteurs de troubles spécifiques du développement du langage écrit. Cette approche ne revoit pas de façon
exhaustive tous les types de traitement possibles, chacun ne pouvant parler que de sa propre pratique. Elle ne
veut en aucun cas prétendre être la voie unique de réflexion, ni le modèle incontournable de rééducation. Elle
est un essai de réflexion à partir de l’analyse neuropsychologique des troubles et de l’apport des sciences cognitives à
la compréhension des troubles présentés par les enfants. Elle est également très empreinte de la pratique clinique
des auteurs, confrontés au quotidien aux difficultés des rééducations.
Nous restons persuadés que la rééducation orthophonique est un art. Toujours en pleine évolution, les techniques
rééducatives ont leur importance dans cette rééducation, mais celle-ci ne se limite pas à cela. Elle dépend de la
personnalité et de la créativité des rééducateurs, du comportement et de l’adaptation de l’enfant.
L’art de notre profession consiste à sans cesse rechercher le juste équilibre :
• équilibre entre les attentes du rééducateur et les compétences de l’enfant : il ne faut pas demander à l’enfant plus
qu’il ne peut produire, tant sur le plan cognitif qu’attentionnel, et respecter le rythme de ses apprentissages,
• équilibre entre les attentes des parents et les possibilités de l’enfant, tant actuelles que sur un plus long terme,
• équilibre entre les deux voies de lecture pour permettre à l’enfant une utilisation flexible et fonctionnelle des
procédures lui permettant d’accéder à une lecture fluente.
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• équilibre entre le visuel, l’auditif, le sémantique et le moteur (articulatoire),
• équilibre entre les compétences acquises et les stratégies d’utilisation,
• équilibre entre la nécessité de la rééducation, celle du travail scolaire et les activités de sa vie d’enfant. Il ne faut
pas oublier que ces enfants ont aussi besoin d’activités ludiques, sportives… comme tous les enfants de leur
âge. C’est pourquoi, autant que possible, il faut privilégier les rééducations sur les temps scolaires et non sur
les temps de loisirs, même si nous restons conscients des difficultés que cela pose aux parents (pour les accom-
pagnements), mais aussi pour les enseignants (pour la conduite de leur groupe classe),
• équilibre entre la rééducation orthophonique et la pédagogie à l’école, pour que l’enfant puisse généraliser ses
acquis et trouver ses repères,
• équilibre entre la difficulté d’apprendre et le plaisir d’apprendre. L’orthophoniste se doit de faire dépasser des
obstacles à l’enfant, de l’accompagner dans ces apprentissages, sans lui éviter toute confrontation à la difficulté,
mais en lui redonnant confiance en ses possibilités.
Que les rééducations deviennent des moments de découverte et de plaisir partagé avec l’enfant : c’est
tout l’art de l’orthophonie.
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82
CHAPITRE III
Rééducation des troubles de l’écriture
SOMMAIRE
I – INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
II – LA RELAXATION
A – La détente générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
B – Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .90
83
84
I – INTRODUCTION
L’écriture, moyen privilégié de représentation de la pensée et du langage est tributaire de la connaissance des
lettres de l’alphabet. Les orthophonistes s’entendent pour définir la dysgraphie de la façon suivante : trouble de
langage écrit affectant le geste graphique et l’aspect formel de l’écriture. Tout enfant éprouve des difficultés au
début de l’apprentissage de l’écriture. Chez l’enfant dysgraphique, ces difficultés persistent de façon patholo-
gique ; il développe alors des efforts compensatoires importants entraînant crispations crampes et
fatigue.L’étiologie de ce trouble est variable et multifactorielle. Toutefois, suffit-il de dire que l’enfant écrit mal
pour dire qu’il soit dysgraphique ? Les auteurs considèrent quatre aspects pour évaluer les difficultés de l’écriture
qui sont : la prise de l’espace, c’est-à-dire la façon dont l’écriture s’installe sur la feuille ; le trait, c’est-à-dire la
coulée d’encre, son débit, sa continuité, sa fermeté ; la forme des lettres, le mouvement : l’écriture progresse-t-elle
vers la droite, est-elle stagnante ou régressive. L’enfant "dysgraphique", droitier ou gaucher est selon la formu-
lation posée au cours des recherches expérimentales conduites à l’hôpital Henri-Rousselle "l’enfant dont la
qualité de l’écriture est déficiente alors qu’aucun déficit neurologique ou intellectuel n’explique cette défi-
cience." Ce trouble ne commence donc à prendre un visage qu’au-delà de la période d’apprentissage, c’est-à-
dire à partir de 7-8 ans. Toutefois, au cours de notre expérience, nous avons vu beaucoup d’enfants qui sont en
phase d’apprentissage car l’écriture occupe une place importante dans les acquisitions du CP et parce-que nous
avons constaté des modifications importantes pour le graphisme au moment du passage de la maternelle au CP.
L’écriture est à la fois un mode d’expression et un mode de communication.
II – LA RELAXATION
Nous pensons que la relaxation peut être utilisée chez la plupart des enfants dysgraphiques notamment chez
les enfants qui présentent des perturbations de la représentation et de l’utilisation du corps ou encore des signes
de mauvaise adaptation tonico-motrice et émotionnelle (instabilité, réactions de prestance, inhibition, hyper-
controle avec hypertonie), comme l’a écrit Auzias (1970).
A - LA DÉTENTE GÉNÉRALE
Il s’agit de la relaxation de Schultz adaptée à l’enfant. Elle permet à celui-ci par le détour de la diminution de
la tension musculaire de se sentir plus à l’aise dans son corps et aussi dans sa relation avec le rééducateur. La
relaxation est habituellement pratiquée en début de séance et elle précède les exercices graphiques. Un niveau
mental normal semble être un facteur favorable. Schultz l’indique d’ailleurs : la relaxation exige comme les
autres thérapies" un certain degré de compréhension et d’intelligence sans lesquelles aucun travail n’est
possible".
C’est la raison pour laquelle nous entreprenons la relaxation seulement avec des enfants âgés de 8 ans. Au
dessous de ces âges, il ne s’agit pas de relaxation véritable, mais de "mise en situation de détente", les bras étant
"tout mous", détente utilisable ensuite pour l’écriture selon de Ajuriaguerra, Auzias et Denner (1971).
Aussi, quels que soient les troubles graphiques observés nous pouvons essayer de mettre en place des séances de
relaxation ; cette dernière permet rapidement une situation qui s’éloigne du système scolaire ; bien souvent au
début de la prise en charge, nous ne pouvons pas entreprendre d’exercices graphiques car l’enfant refuse
d’écrire; il est mal à l’aise. Il est bon d’amener cette position sans que l’enfant s’en rende compte.
85
◆ Recherche de la notion de lourdeur et de la notion de chaleur
Consigne : on demande à l’enfant de rechercher la sensation de lourdeur segment par segment puis la sensa-
tion de lourdeur généralisée à l’ensemble du corps ; voici l’ordre selon lequel est recherchée la lourdeur : bras
dominant, l’autre bras, jambes ensembles ou séparément selon les cas, dos, épaule du côté dominant, l’autre
épaule, nuque, mâchoire, paupières, ensemble du corps, c’est ce qu’on appelle la généralisation. On passe théo-
riquement au segment suivant lorsque la lourdeur est acquise au niveau du segment sur lequel l’enfant s’est
d’abord concentré. Cependant, d’une façon générale,nous cherchons à suivre la "progression naturelle" de l’en-
fant en lui demandant au départ quel est le segment qu’il sent être le plus lourd, (de Ajuriaguerra et coll., 1971).
Dans certains cas, il est possible de se référer à la position naturelle que l’enfant utilise pour écrire ; il s’agit de
la position assise.
On invite l’enfant à s’asseoir et on poursuit ces moments de détente, Voici ce que propose les auteurs précédents :
détente de l’abdomen, respiration assise, bras reposant sur les jambes ; relaxation assise, bras reposant sur la table.
Les "reprises" : sont pratiquées par l’enfant. Elles consistent en flexion-extension des avant-bras puis des jambes,
mouvements précédés d’une respiration profonde, puis pratiqués en rythme avec cette respiration (Schultz, 1958).
Notre pratique nous permet de remarquer que nous pouvons faire des ponts avec l’écriture dès cette étape de
la rééducation ; l’enfant peut rester allongé ou bien il est assis sur le sol ou sur une chaise mais il reste éloigné
du plan de travail ; voici d’autres activités que nous relatons succinctement :
◆ Exercices
Prendre une balle en mousse, la serrer, la presser et relacher, faire la même chose avec une poupée de chiffon et
un stylo.
Pratiquer des exercices de contraction et de détente ;
Inspirer et serrer la main, expirer et détendre les doigts.
L’enfant prend un stylo puis on fait la même chose ; inspirer et on prend le stylo ; au moment de l’expiration,
on contracte l’abdomen et on fait une grande trace sur le papier. Nous associons en permanence l’image du
ballon de baudruche qui se dégonfle pour le temps de l’expiration. A cette étape de la relaxation, il ne s’agit pas
de proposer plus d’activités écrites, mais nous sensibilisons l’enfant à une certaine rigueur ; ainsi le début de la
contraction du ventre (expiration) doit correspondre au début de la trace laissée sur le papier, par conséquent
nous travaillons déjà le temps du "départ" qui, rappelons-le, est très important en écriture puisque l’enfant doit
commencer son premier mot à partir d’une marge rouge et il doit écrire sur la ligne de base (ligne violette) ; nous
reverrons ces donnéesultérieurement.
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◆ La détente selon d’autres auteurs :
Thoulon-Page
Revenons à la détente psychomotrice qui permet à l’enfant d’éliminer ses tensions et d’améliorer la gestion de
son énergie pour permettre à l’écriture de trouver son rythme propre selon Thoulon-Page (2001). L’auteur
insiste sur l’importance de la concentration. La relaxation aide à la concentration. C. Thoulon-Page précise que
"se concentrer", c’est être capable de faire attention, d’écouter, de retenir, d’adapter le geste à ce que conçoit le
cerveau, de maintenir l’effort aussi longtemps que nécessaire. La relaxation libère les résistances, elle développe
la force intérieure de l’enfant en installant en lui des repères et des ancrages. Elle canalise l’énergie et donne de
l’assurance. Certains rééducateurs font porter les premières séances uniquement sur la relaxation générale et la
relaxation du geste. Il est bon, en tout cas, que chaque séance commence par au moins 5 minutes de relaxa-
tion, générale ou dynamique, selon les enfants et selon la formation du rééducateur. C.Thoulon-Page suggère
aux futurs professionnels de pratiquer une technique de relaxation (Schultz,Yoga, sophrologie...) pour une
meilleure efficacité.
Dominique Massin, psychographologue, graphothérapeute en Belgique précise qu’il est bon d’utiliser une
méthode de relaxation que l’on sent bien ; peu importe laquelle ; ceci est valable tout au long de la rééduca-
tion avec un enfant qui a des difficultés en écriture, on utilise des techniques que l’on s’est appropriées et on
fait sans cesse appel à la créativité.
Revenons aux aspects techniques de la relaxation en elle même. Le rééducateur parle doucement, sur un tempo
volontairement bas et lent pour mettre d’emblée l’enfant en confiance.
Andrée Schlemmel.
Selon Andrée Schlemmel (1999), après ces moments de détente, on invite l’enfant à représenter avec la pein-
ture ce qu’il a ressenti. On peut réaliser ces deux temps au cours d’une même séance de rééducation. Cet auteur
amène l’enfant à exprimer ses émotions par le biais des couleurs. Le bambin essaie de reproduire un arc en ciel,
les arbres ; on le questionne sur les couleurs utilisées. Par exemple, pour l’arc en ciel, où placerait-il le bleu, le
vert etc ?
R. Brunner et Rheimart.
Nous nous sommes inspirées d’autres auteurs comme R. Brunner. Cet auteur donne toute l’importance à la prise
de conscience de la main. L’enfant prend conscience de la main, de sa main, il l’apprivoise, surtout si celle-ci supporte
beaucoup de connotations péjoratives : en effet l’enfant dysgraphique, parfois, dote sa main de mauvais pouvoirs,
"c’est la mauvaise main qu’il faut punir, c’est un mauvais outil." Brunner amène progressivement l’enfant à de
meilleurs repérages en passant par la main et en passant par l’aspect "vécu", "senti", "agi".
Ainsi, il incite l’enfant à plier sa main voire plier les doigts sur la paume ; l’enfant plie le pouce puis l’index puis
le majeur, etc.
La relaxation provoque au début une attitude passive, ce qui n’exclut pas d’ailleurs de petites manifestations
d’instabilité. Nous indiquons au début du traitement et nous rappelons par la suite à l’enfant qu’il aura à jouer
un rôle actif.
87
◆ Formules verbales utilisées
Schultz
Nous utilisons par exemple une formule analogue à celle que Schultz indiquait pour les enfants : "Je vais
t’apprendre quelques exercices qui te permettront de te débarrasser toi-même de tes difficultés en écriture.
Lorsque tu écris, tu contractes ton bras et tes doigts, alors je vais t’apprendre à te détendre toi-même, quand
tu le voudras." Selon le training autogène de Schultz (1958).
L’invitation au calme.
La formule "je suis au calme" ou "tout à fait calme", accompagne en sourdine tous les exercices de Schultz. Elle
est formulée intérieurement en fonction de représentations paisibles (d’ordre visuel, ou kinesthésique) qui
"ont des résonances émotionnelles positives et qui facilitent la modification progressive de l’état général." Ajuriaguerra
(1971). Ainsi on peut dire à l’enfant : "Tu penses à une image tranquille et calme" ou "tu es étendu sur une
plage, le sable est doux et chaud, les vagues font un petit bruit régulier, elles montent et elles descendent comme
ta respiration." Beaucoup de méthodes de relaxation utilisent la mer comme image, celle-ci incite à la détente.
Geneviève Manent
Ainsi Geneviève Manent (1998) compare la respiration à un mouvement qui relie l’intérieur à l’extérieur dans
une alternance semblable aux flux et aux reflux incessant de la mer. Les enfants doivent d’abord "découvrir"
leur respiration. On utilise les paroles suivantes, par exemple : "Assieds-toi sur ce tabouret bas, le dos bien droit,
les pieds à plat sur le sol, les mains posées sur les genoux, paumes en l’air. Tu te laisses bercer par ta respiration,
sans la forcer. Ecoute-toi respirer... L’air froid et sec entre par tes narines, pénètre dans ta gorge, descend dans
tes poumons. Quand il ressort, il est chaud et humide... Est-ce que tu sens ce froid à l’inspiration, et cette
chaleur à l’expiration ? Dès que l’air est rentré, il ressort ; dès qu’il est sorti, il rentre à nouveau, comme le jour
succède à la nuit et la nuit succède au jour... Est-ce que tes narines respirent aussi bien l’une que l’autre? Place
ta main droite sur ta poitrine. Tu la sens se soulever régulièrement. Respire bien calmement..."
C. Thoulon-Page ajoute que nous pouvons présenter à l’enfant un petit miroir, pour qu’il voie la buée laissée
par son souffle.
Lui donner une paille et de l’eau, pour qu’il observe les bulles faites à l’expiration, et leur taille selon la quantité
d’air rejetée ; ou bien, on donne à l’enfant une bougie et on lui fait observer l’incidence de son souffle sur la
flamme.
L’enfant prend ainsi conscience de sa capacité à mobiliser en lui une énergie de force ou une énergie de calme,
et à passer de l’un à l’autre par un acte conscient.
L’enfant apprend à diriger son souffle à l’intérieur de son corps par la respiration abdominale.
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◆ Exercices
Utilisation d’un objet :
Nous gardons alors la position du lotus et on propose au jeune patient de tenir des objets dans sa main tout en
fermant les yeux; il serre ainsi des objets mous comme un coussin, des objets en métal comme un bijou. Tout
en gardant les yeux fermés, l’enfant essaie de deviner le nom de l’objet. On finit par lui donner un stylo ; il
essaie de le définir, est-ce que c’est agréable au toucher, est-ce que c’est rugueux, on prendra soin de varier les
outils scripteurs (les craies, le crayon de papier, le porte-plume, les stylos courts, etc.). A ce stade, il s’agit de
se familiariser avec le "stylo" d’une tout autre manière; on appréhende l’objet en le tatant, en le caressant, ce
contexte est bien éloigné de celui que connait l’enfant dans le contexte d’écriture. Puis progressivement, on
invite l’enfant à ouvrir les yeux, il regarde avec étonnement les objets variés. On peut avoir par exemple : une
éponge, un dé, une gomme, une fourchette, une petite balle en mousse, un anneau, un petit verre, un stylo ;
il faut toujours placer un objet scripteur dans la liste ; on donne ensuite à l’enfant une feuille de papier. A ce
stade, on le questionne "que vas-tu faire avec cette feuille ?"
Si l’enfant n’a pas d’idées, on lui propose l’activité suivante : tu mets tous les objets sur la feuille et tu vas essayer
de faire une trace avec chacun d’entre eux ; tu ne garderas que ceux qui font une trace très nette; ce genre d’activité
amuse l’enfant ; il y a un côté insolite à essayer d’écrire avec une éponge ou avec un dé !
On peut compléter cette situation. Nous nous sommes amusées à prendre des photos, des clichés au moment
où l’enfant tenait une éponge pour écrire et après coup on lui demande de dire ce qui est insolite sur la photo.
Avec ces activités que nous avons testées, nous faisons travailler nos repères ; le cerveau a mémorisé qu’il ne
pouvait pas écrire avec n’importe quoi ! Et matériellement, ce n’est pas possible, non plus, d’écrire avec certains
objets. L’enfant même s’il refuse d’écrire, admet au moins qu’on ne peut le faire qu’avec des objets qui lais-
sent une trace sur le papier. C’est un temps de détente associé à un temps de déduction.
Il se peut qu’à la question : "que vas-tu faire avec cette feuille", l’enfant dise "je vais dessiner"; il a en effet une
feuille et un outil pour écrire ; il se peut également qu’il ne dise rien et qu’il se mette à dessiner ou à écrire.Nous
nous rendons compte, alors, que la relaxation peut suffir pour réconcilier l'enfant avec l'outil scripteur.
• Ardoise et respiration.
Nous pouvons associer le temps de la trace laissée sur l’ardoise au temps de l’expiration ; l’enfant est assis en
tailleur, ou en position du lotus et il commence la trace en même temps qu’il commence l’expiration, il
commence la trace en même temps qu’il rentre le ventre. L’enfant gonfle son ventre comme un ballon et il se
dégonfle lentement ; on commence alors le trait ; l'orthophoniste indique le signal de départ en frappant dans
les mains par exemple ou bien on fait une légère pression sur la main du jeune patient ; tous les gestes utilisés
doivent être rassurants.
La position adoptée par le rééducateur est en principe la suivante : assis à côté de l'enfant.
B - CONCLUSION
Notre analyse nous permet de constater que ces précédentes expériences mettent très bien en valeur les
5 syndromes graphiques qui permettent de classer les enfants dysgraphiques selon Ajurriaguerra, à savoir :
• Les raides, caractérisés par la raideur, la tension, la crispation ; ainsi avec l’exercice de l’ardoise l’enfant ne
contrôle pas son geste et il fait un trait rapide qui est rarement horizontal.
• Les mous, caractérisés par le relâchement et l’irrégularité ; le trait sur l’ardoise au moment de l’expiration est
plutôt tremblé et il est peu appuyé.
• Les impulsifs, caractérisés par la rapidité du geste, les heurts, le mauvais contrôle ;
Nous avons, il faut l’avouer, des difficultés à faire la différence entre la classe des raides et celle des impulsifs si
on s’en tient à cette activité du trait sur l’ardoise, il a parfois la même allure !
• Les maladroits, caractérisés par les retouches, la mauvaise qualité du trait ;
• Les lents et précis, caractérisés par l’excès de structure, la mauvaise qualité du déroulement si l’on regarde
attentivement. Peugeot (1979) précise dans son ouvrage que la classification en "maladroits" est arbitraire,
puisque la maladresse règne partout, et de plus, les syndrômes sont rarement isolés, il y a souvent une asso-
ciation de syndromes.
Ce qui importe par conséquent, c’est d’essayer des activités. Si l’enfant accepte, on peut commencer très
rapidement les techniques liées à la rééducation de l’écriture proprement dite. Si l’enfant refuse, on recom-
mence au cours des séances suivantes la relaxation.
A - LA MÉTHODE OLIVAUX
La méthode de R. Olivaux vise à dédramatiser le problème et à acquérir ou à développer la détente psychomotrice
nécessaire à l’écriture et indispensable à sa rééducation. Elle insiste également sur l’importance de la respiration
et des exercices graphiques rythmés. Des rappels très explicites pourront être trouvés dans le mémoire d’ortho-
phonie d’Anne-Marie Osbild. Osbild (2001).
Anne-Marie Osbild rappelle les principes fondamentaux de la méthode Olivaux, ainsi, ce dernier ne s’attaque
pas directement au symptôme qu’est l’écriture, il suggère de passer par des formes simples "pré-scripturales"
neutres qui offrent une continuité souple (en effet, si on passait tout de suite par l’écriture,on risquerait de
mobiliser la tension et de renforcer les résistances.) R. Olivaux résume de la façon suivante l’objectif à atteindre
avec la rééducation orthophonique : "le reconditionnement de l’écriture(impliquant son déconditionnement
préalable), c’est-à-dire de la motricité graphique et de la communication écrite qu’elle supporte, s’opère par
l’établissement d’un terrain psychomoteur nouveau, grâce à l’incorporation détendue, rythmée de formes
simples et neutres et à leur représentation mentale, avec l’aide d’une culture physique spécifique."
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Rappelons que l’écriture, c’est une trace laissée sur le papier ; c’est en quelque sorte comme si l’enfant se regar-
dait dans un miroir, il voit au fur à mesure qu’il écrit des "formes" qu’il apprécie ou bien qu’il rejette. Nous
nous rendons compte qu’il faut une bonne organisation des doigts autour de l’outil scripteur pour bien écrire
et même si l’enfant semble présenter une bonne agilité de la partie distale, les différents auteurs proposent des
exercices gestuels ou graphiques qui peuvent être la base de la rééducation. Ils ont pour but le développement
musculaire et l’assouplissement.
1 - Exercices gestuels
Dans son ouvrage, l’auteur présente différents exercices d’assouplissement du bras, du poignet ou de la main ;
◆ Etirement et détente.
Il s’agit de l’épreuve "du bras mort." On reste debout ; on soulève le bras de l’enfant en lui demandant de le
laisser tomber "comme s’il était mort".
Nous profitons de ce moment pour animer chaque bras en alternance ; il s’agit alors de faire des rotations
autour de l’épaule; on éxécute des grands cercles avec le bras droit et on propose à l’enfant de dire ce qu’il fait
en même temps qu’il éxécute le mouvement ; il s’ agit d’actes perfectifs que nous vous proposons d’utiliser tout
au long de la rééducation.
• L’enfant énonce ce qu’il fait. Cela nous permet d’apprécier le vocabulaire temporo-spatial utilisé par l’enfant.
Ce dernier peut dire par exemple : "je monte le bras devant moi et je me dirige vers le haut, je l’envoie vers
l’arrière, je le ramène le long du corps."
L’enfant peut dire encore :"j’envoie mon bras droit vers la gauche, puis je l’amène vers le haut, il redescend à
droite, je le place le long du corps. Il s’agit bien sûr d’observer si les termes utilisés, notamment ceux de droite
et de gauche correspondent bien à la direction des mouvements. C’est l’occasion d’observer, aussi, si le jeune
patient est bien latéralisé. Nous travaillons ainsi les notions spéciales si importantes pour l'écriture et pour la
mise en page.
nous vous incitons également à reprendre chaque exercice les yeux fermés ; ceci permet de libérer le geste.
• L’enfant exécute le mouvement puis il le reproduit les yeux fermés.
Après le mouvement large des bras, nous enchaînons avec des petites rotations de la main autour du poignet,
puis l’enfant réalise des petits cercles avec les doigts et nous insistons tout particulièrement sur la souplesse de
l’index et du majeur ; le bambin réalise des "ronds" dans l’espace dans le sens sénestrogyre sens anti-horaire,
allant de la gauche vers la droite. C’est une manière d’aborder l’écriture de lettres dans l’espace et nous
commençons toujours par la lettre O qui rappelle bien sûr le cercle.
◆ Les marionnettes
"Les coudes sont posés sur la table, les avant-bras sont bien verticaux, les mains à hauteur du visage,on fait
exécuter aux mains un demi-tour complet", Olivaux (1971).
Les mouvements gestuels ont l’intérêt d’amplifier le geste ; ce sera la même chose par la suite avec l’outil
scripteur : nous utiliserons de grands formats de feuilles sur lesquelles nous écrirons avec l’enfant.
Mais à la réflexion, nous vous suggérons de travailler les différents exercices en opposition ; tout comme vous
avez abordé la notion de tension-détente au moment de la relaxation, nous vous suggérons de développer
successivement au cours de la même séance ; assouplissement du geste, maîtrise du geste.
• assouplissement du geste : il s’agit de grands mouvements, amples, qui rendent l’enfant audacieux dans ses tracés.
• maitrise du geste : le travail est plus difficile, car il faut un geste fin, qui doit savoir se limiter, s’arrêter, suivant
les consignes données.
Ainsi, dans l’espace, on effectue, avec l’index, un grand rond puis on en effectue un plus petit, tout de suite,
juste derrière. Cette pratique des différentes activités permet à l’enfant de s'adapter, de développer la souplesse
du geste et sa précision.
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◆ L’exercice des oiseaux
Les mains sont appuyées paume contre paume à hauteur du visage, on soulève les coudes comme si on battait
des ailes puis on "décolle" progressivement les paumes, les premières phalanges, les deuxièmes phalanges.
◆ Griffes du chat
L’auteur nous présente également les "griffes du chat"; ce mouvement ne concerne que les doigts ; l’enfant tend
puis rétracte le plus possible en serrant le poing.
◆ Pianotage
Nous vous conseillons l’exercice du pianotage :
Le sujet ne fait travailler que ses doigts ; ces derniers reposent sur une table comme si l’enfant jouait du piano ;
il utilise alternativement les deux mains et il pianote du pouce à l’auriculaire, de l’auriculaire au pouce ; l’en-
fant peut s’amuser à compter en même temps ; nous pouvons apporter plusieurs variantes à cette activité.
L’enfant revient au pouce avant d’appuyer sur un autre doigt ; exemple : pouce-index, pouce-majeur, pouce-
annulaire, etc. Nous vous suggérons, pour cette activité, de cacher les mains de l’enfant dans un deuxième
temps ; vous prenez une feuille de papier A4 et vous la placez horizontalement sur les mains de l’enfant ; ce
dernier pianote sous la feuille. Vous pouvez observer les réactions suivantes : le sujet peut être décontenancé dès
qu’il ne voit plus ses mains ; l’enfant est déstabilisé, il n’ose plus pianoter.
• Cacher les mains de l’enfant est une variante que vous pouvez utiliser au moment des exercices graphiques
proprement dits : cela permet notamment de travailler le rythme de l’écriture, la rapidité du geste ; en effet,
quand le jeune patient trace des lettres sous une feuille, il se détache de la raideur du geste ; il est moins
concentré sur la lettre, par conséquent, il est moins crispé.
• L’exercice de pianotage prend encore plus de valeur s'il est réalisé sur un piano.
L’enfant est enthousiaste par la mélodie qui en ressort.
Si l’enfant est hypotonique, on lui demande de faire du bruit avec ses doigts, en frappant la table.
Cet exercice permet d’introduire une petite balle en mousse dans la paume de l’enfant ; puis le jeune patient
pétrit la balle en mousse alternativement avec la main droite et avec la main gauche. Nous avons également
essayé de serrer une vieille balle de tennis un peu moins dure ; l’enfant essaie de serrer, il prend conscience de
sa force ; nous en profitons pour renforcer cette activité avec de jeunes patients hypotoniques. La balle de tennis
étant plus dure que la balle en mousse, elle permet au bambin de tester des différences de pression.
Sans vouloir entrer ici dans une analyse détaillée, nous vous proposons d’utiliser d’autres matières comme la
pâte à modeler ou bien un petit coussin de sable, ainsi que le préconise le "bon départ".
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◆ Coupes simples
Le mouvement se rapprochant le plus du mouvement naturel de l’écriture ; plusieurs critères sont alors pris en
compte ; on accorde de l’importance, dans un premier temps, à l’exécution correcte de cette forme simple. Les
critères : régularité de la dimension, vitesse, pression sont importants.
Ces divers exercices préparent l’étude des guirlandes, base principale du travail de rééducation.
"La guirlande est composée de plusieurs formes simples liées ; sa valeur temporo-spatiale est celle d’un mot.
C’est essentiellement avec des guirlandes que seront travaillées la précision, la pression et la respiration
rythmée". On exécute une guirlande en comptant et l’on compte sur les pointes, à la fin de chaque coupe. On
aborde ainsi le rythme de l’écriture mais l’enfant doit trouver son propre rythme.
L’auteur présente ensuite des variations sur les coupes simples :
Il s’agit d’aligner le modèle de 4 ou 5 coupes dans un ordre croissant ou dans un ordre décroissant, de proposer
des emboitements ou de donner à l’enfant un dessin avec des tuiles : ce sont plusieurs coupes superposées.
L’auteur présente également des variations sur les guirlandes :
On alterne par exemple un grande coupe une petite coupe que l’on lie ;
Olivaux suggère de terminer avec la même sorte de coupe qu’il a commencé :
• Si on commence par une grande coupe, on termine la guirlande par une grande coupe.
• Si on commence par une petite coupe, on termine la guirlande par une petite coupe.
Le développement de la rapidité.
L’auteur travaille les paramètres par opposition et sous forme dictée avec l’enfant ; c’est-à-dire que nous inci-
tons le jeune patient à tracer une coupe lente, une coupe rapide, une coupe rapide, une coupe lente. Le rythme
moyen indiqué par le rééducateur (environ 4 secondes pour une guirlande de 4 coupes) est retenu, puis on
propose de représenter une guirlande plus lente que la précédente et une guirlande plus rapide que la précédente.
Olivaux constate que plus l’écriture s’accélère, plus elle tend à s’amplifier.
Nous abordons, alors, le déconditionnement dans les exercices : amplification et accélération.
On exécute une guirlande lente-grande, suivie d’une guirlande rapide petite et inversement.
Le développement de la pression.
Le technique de rééducation est la même : on utilise une pression progressive du trait sur des coupes ; l’auteur
ne développe pas trop les outils employés. Il cite simplement : tous les exercices de pression s’exécutent au
crayon(noir tendre ou de couleur) ; on part d’une guirlande très légère et l’on progresse de la façon la plus
nuancée possible vers une guirlande très appuyée.
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Puis on lui propose de se représenter mentalement une guirlande et pour cela on invite le jeune patient à fermer
les yeux et on lui dit : "tu dessines la guirlande dans ta tête". Certains enfants se représentent difficilement une
guirlande si ils ne la matérialisent pas à l’écrit.
Le dernier temps fort de cette approche thérapeutique est le passage à l’écriture mais Robert Olivaux insiste
bien sur le fait que les formes pré-scripturales doivent être bien maitrisées, les coupes et les boucles étant les
formes pré-scripturales les plus importantes ; on les utilise au début de la rééducation pendant 3 à 6 séances et
ces formes pré-scripturales ont été travaillées sur les plans de la vitesse, de la pression avec association de la
respiration controlée.
On dit à l’enfant qu’il va "dessiner" (et non écrire) quelques lettres.
Pour les coupes, Olivaux choisit les lettres suivantes :
i, t, r, u ; uit tut itui ritu ect... (sous forme cursive )
Les mêmes exercices seront utilisés avec les autres formes pré-scripturales ;
Les arceaux. Nous aborderons rapidement cette forme. Cette dernière se retrouve dans les lettres : m, n, p, v.
La coupe ouvrait vers le haut, l’arceau ferme, recouvre.
L’auteur Robert Olivaux propose un exercice récapitulatif qui peut être utilisé pour le travail de la vitesse et de
la pression. L’enfant réalise ainsi des séries de guirlandes de plus en plus longues en faisant alterner coupes et
arceaux sans déplacement de l’avant-bras à l’intérieur d’une guirlande ; c’est le poignet qui assure le pivot.
Les autres lettres issues des arceaux sont les suivantes : h, m, n, p, v, w.
Les mots comme "nuit" et "minimum" sont travaillés.
L’auteur rappelle, à cette occasion, que le "coloriage sans déborder" contribue, chez l’enfant, au développement
de la maîtrise graphomotrice.
Les formes pré-scripturales comme les vagues et les ronds sont des formes que nous utilisons tous en tant que
thérapeuthes dans notre quotidien.
Nous aborderons ici une donnée fondamentale du geste graphique : il s’agit de réaliser un rond en tenant
compte du SENS SÉNESTROGYRE c’est-à-dire ANTIHORAIRE (sens inverse des aiguilles d’une montre),
mouvement que l’on trouve au départ de 6 lettres : a c d g o q.
Robert Olivaux ajoute à cette étude "x" et "s" ; et il précise que de nombreuses lettres sont abordées à présent ;
nous pouvons alors constituer de nombreux mots.
Les "escargots" et les boucles seront les dernières formes pré-scripturales qui seront abordées au cours de la
rééducation de l’écriture.
En conclusion, Olivaux rappelle que l’évolution favorable dépend de la motivation du patient et de la régula-
rité des exercices faits à la maison. Ceux-ci ne devront jamais dépasser 10 minutes par jour et, de plus, ce ne
sont pas des devoirs.
Nous prendrons soin de rappeler ces notions aux parents et il faudra souvent être redondant. En conséquence,
il faut bien préciser aux parents qu’ils ne doivent pas apprécier ou juger de l’exécution de ces exercices. Ils n’ont
pas à dire : C’EST BIEN ou C’EST MAL. Pour ce faire, nous leur rappelons que pendant les années de mater-
nelle, ils ont vu les dessins de leurs enfants, ils se sont sans cesse extasiés devant les "chefs-d’oeuvre" de leur
bambins et à aucun moment ils n’ont dit : "C’EST MAL mon chéri".
L’arrivée de l’écriture et son apprentissage au CP est liée à une appréciation : TU ÉCRIS BIEN ou TU ÉCRIS
MAL. L’enfant est alors déstabilisé par ce changement radical de discours et il se sent dévalorisé. C’est la
personne toute entière qui est atteinte au travers de l’écriture car l’écriture, comme la voix, c’est la manifes-
tation de soi, une trace, une mémoire laissée au regard des autres, laissée à l’appréciation d’autrui. De
plus, le support joue un rôle important dans le domaine de l'écriture et l'enfant de 6 ans doit s'habituer
à un support qui diffère beaucoup entre la grande section de maternelle et le CP. En maternelle il s'agit
de la feuille blanche ou bien des gros carreaux ; au CP l'interligne est plus étroit pour s'approcher de
l'interligne seyès connu de tous les enfants.
De plus, l’auteur insiste sur le fait qu’il ne faut pas suivre à la lettre sa méthode; il faut oser réinventer à chaque
fois. "L’organisation d’une séance doit être très souple tant en ce qui concerne l’ordre des exercices que leur
durée ; ce qui importe c’est ordinairement d’en faire, d’écrire un peu et de parler ou de dessiner.Un texte dicté
de quelques mots à 10 lignes selon l’âge,permet de comparer l’évolution d’une fois à l’autre et éventuellement
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d’indiquer la rectification d’une forme ou d’un mode de liaison,mais il doit rester avant tout comme un témoin
hebdomadaire servant à faire le point."
Nous avons constaté que l’amélioration de l’écriture s’accompagnait souvent de l’amélioration des résul-
tats scolaires voire notamment de l’amélioration de l’orthographe. L’attention peut être plus soutenue ;
le sujet qui manquait d’assurance prend confiance en lui et les relations avec la famille et avec l’entourage
sont plus sereines.
C’est la raison pour laquelle, nous développerons plus particulièrement la méthode de J. de Ajuriaguerra et
Auzias. Car comme l’affirme Peugeot (1979) : "Il est souhaitable,quand on le peut et quand l’enfant est motivé,
de faire une rééducation de l’écriture qui s’appuie sur une technique instrumentale et apporte une aide à l’en-
fant en dehors de la difficulté même profonde dont la dysgraphie peut parfois être le symptôme.
Nous envisagerons ainsi successivement les méthodes préparatoires, la rééducation de l’écriture proprement dite.
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Nous ne développerons pas ici la détente générale et les techniques de relaxation ; en effet, nous avons déjà
consacré une partie pour cette pratique.
Nous rappellerons simplement que la relaxation apporte des résultats satisfaisants dans le domaine de l’écriture :
utilisée au début de la rééducation, elle met l’enfant en confiance ; elle permet une relation de qualité entre le
rééducateur et l’enfant car celui-ci est détourné du milieu scolaire. Elle favorise la diminution des phénomènes
douloureux au cours de l’écriture, et amène une détente générale. Elle améliore aussi les possibilités d’attention
et de concentration de l’enfant. Parallèlement, on assiste à la diminution des réactions émotionnelles et des
réactions de catastrophe.
Consignes : De Ajuriaguerra et Auzias précisent qu’il faut demander à l’enfant de dessiner ce qui lui plait ; il
peut choisir son instrument et son format de papier, c’est la raison pour laquelle nous mettons à sa disposition
les principaux outils utilisés et un choix de papier de dimension variée.
But de l’exercice :
La peinture et le dessin libre seront utilisés à chaque séance de rééducation pour les enfants dont l’âge est inférieur
à 9 ans ; au-delà de cet âge, il faut que l’enfant aime peindre.
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• Consigne suivante : peinture libre et commentaires verbaux.
C’est une étape transitoire vers l’intégration du langage écrit ; l’enfant est souvent enthousiaste face au fait de
devoir expliquer ce qu’il a dessiné; il enrichit son langage, il précise l’image et l’explicite.
Il faut préciser que nous utilisons le dessin notamment dans deux cas :
• quand l’enfant refuse de peindre,
• quand l’enfant utilise facilement le pinceau et qu’il peut commencer à manier des instruments plus difficiles
comme le crayon de couleur, la plume ou encore le stylo à bille.
• Consigne suivante : illustration d’une histoire inventée par l’enfant, à la peinture ou avec le dessin.
On demande à l’enfant de raconter une histoire sous forme de trois tableaux avec un début, un milieu et une
fin et l’enfant écrit ce qui se passe. J. de Ajuriaguerra (1971) précise qu’à ce stade, il faut que l’enfant s’exprime,
peu importe le degré de perfection avec lequel il y parvient. Chemin faisant, la technique "des histoires"
permet d’aborder le sens de l’écriture ; ainsi, on raconte une histoire de gauche à droite, on écrit de gauche à
droite.
Là encore, les auteurs insistent sur le fait que l’enfant peut écrire où il veut. Ils proposent la formule suivante :
"tu écris pour que ça fasse joli avec la peinture".
Personnellement, nous nous sommes aperçues que lorsque l’enfant est à ce stade : c’est à dire qu’il est capable
d’ajouter un texte pour commenter sa peinture, il est capable d’entendre quelques remarques que nous
pouvons lui apporter sur la mise en page, la composition d’un texte, les rapports entre l’image et le récit.
On peut très bien utiliser un dessin réalisé au cours d’une séance et le réexploiter à la séance suivante pour
poursuivre l’histoire.
• Consigne suivante : dessin libre illustrant une histoire sous forme de bande dessinée.
Dans cette technique, le même instrument est généralement employé pour le dessin et pour l’écriture du texte.
J. de Ajuriaguerra et M. Auzias précisent que l’écriture doit respecter certaines caractéristiques :
- Elle est généralement petite de façon à cadrer avec le dessin.
- Elle doit être lisible et la dimension des lettres dépend de la phrase écrite.
- On utilise la technique "ballon" que les enfants apprécient pour faire sortir les paroles de la bouche
des personnages.
Dans cette première partie des exercices picto-graphiques, l’enfant représente quelque chose de concret, une réalité
qui existe pour lui. L’expression sera plus abstraite avec les exercices d’arabesques que nous verrons plus loin.
Le paragraphe suivant pourrait également correspondre au travail réalisé par le psychomotricien mais on sait
que la motricité fine joue un rôle capital pour la rééducation de la dysgraphie. Nous sommes donc amenés en
tant qu’orthophonistes à modifier les mauvaises positions du buste, du bras, du poignet, de la main qui peuvent
gêner l’avancée du bras vers la droite, mauvaises positions qui peuvent être à l’origine de la dysgraphie.
97
C’est donc l’occasion, de s’attarder, avec les techniques picto-graphiques sur la détente motrice, l’amélioration
de la posture et des positions, la maîtrise du geste, la restructuration tonique.
L’enfant accepte d’autant mieux les remarques et les "corrections" que celles-ci sont données dans un cadre
créatif et artistique : celui de la peinture.
Ainsi, le sujet peint en position debout. Ceci permet une bonne visualisation de l’ensemble de la feuille de
papier et une aisance du mouvement que nous n’aurions pas en position assise.
L’enfant doit présenter son buste face à la table.
Nous sensibilisons le jeune patient à la prise de conscience de l’axe corporel, en demandant un bon équilibre du
corps sur les jambes et nous profitons pour apporter quelques informations sur la respiration costo- abdominale.
De plus, toutes les activités que nous utilisons pour la rééducation de la dysgraphie entrent dans un projet
global, c’est la raison pour laquelle nous faisons retrouver à l’enfant des sensations qu’il a découvert au moment
de la relaxation.
L’enfant doit peindre en tenant le bras en état de relâchement musculaire, c’est-à-dire l’épaule abaissée, le coude
le long du corps, l’avant-bras fléchi et on essaie de rechercher la lourdeur du bras.
La recherche de la lourdeur de la main est fondamentale : elle permet de corriger les poignets fixés en exten-
sion : c’est-à-dire que le poignet est fixé, la main remonte alors vers le haut ; l’enfant crispe alors les doigts sur
le pinceau et écrase la brosse.
Nous veillerons également à faire "participer" la main qui ne peint pas ; il s’agit souvent de la main gauche. En
effet, les auteurs J. de Ajuriaguerra, M. Auzias et A. Denner (1971) ont observé une inertie du bras gauche chez
l’enfant dysgraphique.
Le pinceau doit être tenu en position voisine de la verticale ; il est fixé entre le pouce et l’index, il repose légè-
rement sur le majeur, sans crispation et sans effort. On corrige ainsi les mauvaises positions de doigts : en voici
quelques exemples : tenue du pinceau entre l’index et le majeur ou bien entre le majeur et l’annulaire ; nous
avons souvent observé la prise de l’outil entre le pouce et l’index sans participation du majeur. Cela entraîne
souvent une finesse du trait. Cette même finesse du trait peut-être observée avec la prise du pinceau entre la
pince formée par le pouce et index-majeur.
Pour observer une belle écriture, il faut que le majeur serve de support ;
On corrige la distance entre la prise du pinceau et le bout du pinceau. Ainsi, le manche doit être saisi à
mi-hauteur, c’est-à-dire à l’endroit où il commence à changer de diamètre.
De cette observation, nous tirons la conclusion suivante : Il faut exagérer le geste, exagérer la modification
de la tenue de l’outil, exagérer la dimension de la feuille pour se recentrer progressivement vers la tenue
de l’outil attendue.
La pression exercée sur le manche du pinceau doit être légère.
La feuille de papier est placée sur un plan horizontal en dessous du niveau du coude de l’enfant.
Il faut que l’enfant puisse mouvoir son bras librement au-dessus de la feuille de papier. Cela nécessite que la
table sur laquelle repose le papier soit de hauteur inférieure à la hauteur du coude de l’enfant. De plus, la position
horizontale est arbitraire mais elle correspond à celle que l’enfant rencontrera pour l’acquisition de l’écriture.
Enfin, on va vers l’abstraction du trait avec l’arabesque. Ainsi, la suppression de l’objet à représenter permet
la liberté totale du geste. Il faut certes insister sur le fait que nous allons du trait le plus épais au trait de plus
en plus fin au moyen d’un instrument de plus en plus fin ; C’est à dire que nous utilisons dans un premier
temps le pinceau puis nous allons utiliser le crayon de couleur puis le stylo à bille.
L’arabesque est un trait continu réalisé dans un premier temps, en levant le moins possible le pinceau. Le jeune
sujet remplit ainsi toute la feuille, avec un rythme régulier, sans chercher de signification au tracé avec un
nombre limité de couleurs.
Le nombre de couleurs est fixé à trois. L’emploi d’un grand nombre de couleurs disperserait son attention et
empêcherait l’enfant de se concentrer sur son trait.
Il ne saurait être question dans notre chapitre d’exposer tous les détails de la technique des arabesques que vous
trouverez chez de Ajuriaguerra.
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Nous proposons donc :
• arabesques au pinceau,
• arabesques au crayon de couleur.
On apportera les précisions suivantes : on réduit le format de la feuille de façon à la ramener à un format de la
feuille de papier A4. On utilise toujours trois couleurs.
On ajoute l’emploi de la feuille de carbone, placée sous la feuille de dessin et permettant d’enregistrer la pression
du tracé ;
L’enfant trouve, en principe, très amusante l’idée d’utiliser le papier carbone. Il peut lui-même controler ses
résultats et se corriger.
Avec l’arabesque, nous abordons un élément nouveau à savoir encourager le sens dextrogyre qui est le sens
anti-horaire ; il s’agit de commencer son tracé en allant vers la gauche ; nous insistons notamment avec les
enfants gauchers de façon à donner à leur tracé la direction propre à l’écriture.
Nous pouvons faire également des :
• arabesques à la plume ; puis nous passons au
• remplissage d’une page par taches colorées sans signification, à la peinture.
Il serait facile de comparer cet exercice avec le coloriage, activité qui plaît beaucoup aux bambins, mais le
remplissage sera de plus en plus organisé.
La consigne donnée à l’enfant est la suivante : "remplir la feuille de taches de couleur, sans s’occuper de repré-
senter quelque chose de précis, en laissant libre cours à son imagination et en faisant quelque chose de joli."
Avec ce type d’activité, on travaille le vocabulaire spatial, on indique pour chaque tracé le point de départ et le
point d’arrivée. Ce sont les actes perfectifs que nous avons vus précédemment puisqu’on incite l’enfant à dire
précisément ce qu’il fait au moment où il le fait. Par exemple :
"je commence mon trait en haut et je finis en bas en faisant aller le pinceau vers moi".
Nous commençons à sensibiliser le jeune patient avec la forme des lettres, ainsi on peut rapidement faire à ce
sujet des rapprochements avec le sens des lettres : le "p" se fait en commençant par une oblique, puis on va de
haut en bas, etc.
Les auteurs précisent que l’enfant peut remplir ses taches avec toutes autres formes graphiques : des points, des
guirlandes, des arabesques, des hachures, des lettres, des phrases même.
Nous vous proposons les variations suivantes : en dehors des arabesques, vous pouvez partir de thèmes, par
exemple : LES VETEMENTS.
Vous dessinez sur une feuille le contour d’un pantalon, d’un maillot, d’une robe et l’enfant exécute le remplis-
sage : il remplit alors une surface limitée. Ainsi, l’occupation de l’espace peut se faire à l’aide de lignes verti-
cales, horizontales. On peut varier avec des ronds, des points, ect.
On peut pratiquer également "l’évitement".
On trace un quadrillage sur une feuille et le sujet doit tracer des verticales, des horizontales, sans toucher les
axes. On peut jouer sur la longueur du trait et sur son épaisseur. (fin, gros).
On peut aussi proposer une forme à éviter. Par exemple, "le ballon de baudruche" : il s’agit de ne pas le crever.
Nous utilisons beaucoup, par ailleurs, l’idée de LA VOITURE QUI AVANCE sur la route ; l’enfant doit tracer
le chemin de l’auto en évitant les accidents ; ou bien, il repasse sur les pointillés.
Cette partie s’achève avec : Le récit.
Le but est d’associer un texte et un dessin. On profite de cette activité pour varier les instruments scripteurs de
plus en plus fins comme le stylo à bille et la plume. J. de Ajuriaguerra, M. Auzias, A. Denner proposent d’as-
socier des notions de mise en page et de composition à ce niveau de rééducation. Ils précisent par exemple que
le dessin peut correspondre à des lettres majuscules décorées. A ce stade, on ne s’attarde plus à l’aspect moteur ;
toutes les mauvaises habitudes de la prise de l’outil ont dû être corrigées ; il faut que l’enfant puisse se concen-
trer sur "l’aspect formel" de son écriture et sur le message qu’il désire transmettre.
Pour la composition et la mise en page d’un texte, les auteurs demandent à l’enfant de choisir un texte, ce
dernier doit en faire une composition illustrée, équilibrée et harmonieuse dans la page.
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Puis on travaille la vision de loin ; c’est-à-dire que l’on place le résultat obtenu sur un plan vertical et on
demande à l’enfant de le regarder de loin et de l’apprécier.
Sont alors pris en considération :
• la dimension des lettres,
• l’orientation des lettres,
• la variation de pression,
• la tenue de ligne,
• l’écartement entre les lignes et l’écartement entre les mots.
Nous obtenons alors une impression d’ensemble de la TRACE écrite.
A ce propos, pour la notion de trace, nous nous sommes inspirées de la pédagogie de L’IPERS (1999).
Le sujet laisse une trace sur la feuille, il a donc eu l’intention de laisser ou de composer une marque qui signe
sa présence.
On rappelle à l’enfant qu’il a été amené à utiliser son corps : la trace est donc toujours écrite et elle n’est pas
concevable sans la participation du corps ; on insiste auprès de l’enfant en lui disant qu’il laisse une trace, il se
démarque : "de la place retrouvée à la trace écrite".
De plus, quand l’enfant parvient au stade de récit, il a 9 ans environ ; nous n’avons bien sûr pas les mêmes
exigences avec un enfant de 6 ou 7 ans.
Nous abordons à présent les techniques suivantes :
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Ajuriaguerra note que le jeune sujet qui éxécute son tracé légèrement, avec un geste sûr, rythmé et souple libéré
du freinage des syncinésies et dans un contexte de positions adaptées a tiré pleinement profit des tracés glissés.
(J.de Ajuriaguerra, l’écriture de l’enfant, op.cit., tome 2, p.89). L’auteur conclut que dans ces exercices, les
mouvements de progression demandés sont plus amples que ceux nécessaires à l’écriture. Le recours à l’ampli-
fication du geste avant de travailler le même geste à une échelle moindre est une des constantes de la méthode.
L’agrandissement des gestes facilite et prépare des gestes plus réduits et de" forme" générale (ibid., p. 91).
En conclusion, ces méthodes préparatoires auxquelles nous avons facilement recours et qui sont la détente
générale, les techniques picto-graphiques, les techniques scripto-graphique suffisent parfois à rééduquer une
dysgraphie.
Elles ont pour but, nous le rappelons d'après ces chercheurs de modifier le fond tonico-moteur et les modes
d’expression de l’enfant dysgraphique. Elles provoquent un changement d’ensemble à partir duquel un travail
plus fin sera possible dans un deuxième temps.
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On demande successivement au jeune patient :
• de placer sur son rectangle (situé au-dessous du modèle) le point de départ D,
• de tracer la lettre en allant vers la gauche tout en passant vers le haut, sans lever le crayon ; les auteurs propo-
sent de guider la main de l’enfant au début,
• de recommencer sur un rectangle vide, mais sans modèle,
• de recommencer la lettre sans modèle et sans rectangle.
Pour cette séquence, nous réutilisons les actes perfectifs et le jeune sujet commente son geste selon la technique
utilisée par Madame Borel-Maisonny : "on commence à droite et en haut, on tourne vers la gauche en
montant, on descend, etc."
A cela, il faut souligner que J. de Ajuriaguerra pense qu’il faut marquer un temps d’arrêt sur le point de départ ;
d’autres auteurs s’y opposent car ils considèrent que cela coupe l’élan du mouvement de l’écriture.
Pour les enfants qui ont des difficultés à utiliser le stylo à ce stade de la rééducation, nous leur proposons de
repasser sur la lettre avec le doigt, avec l’index, (ou bien on réutilise un outil intermédiaire comme un morceau
de laine ou bien une corde).
Les autres lettres sont apprises de la même façon et on utilise un commentaire verbal qui s’appuie sur des termes
spatio-temporels et qui s’adapte à la forme de chaque lettre.
Remarques générales.
On pourrait s’imaginer que l’étude des lettres une à une est rébarbative. Les enfants y apportent au contraire
beaucoup d’intérêt. Il suffit de ne pas les "freiner" avec des instruments difficiles à manipuler, et de ne pas
exiger une exécution parfaite au départ. Comme le précise Madame Borel-Maisonny : "il n’y a pas lieu, à
chaque séance, de faire des répétitions trop nombreuses du même exercice, ni des séries d’une même lettre, en
petite dimension; ou l’enfant sait faire une lettre ou il ne sait pas."
Si le jeune patient ne sait pas faire la lettre, on refait des exercices d’orientation et de structuration.
Les auteurs proposent de simplifier les lettres mais nos nombreux échanges avec les enseignants de classe de CP
indiquent qu’il existe une rigueur de l’apprentissage pour chaque lettre ; il faut que l’élève mémorise le plus
rapidement possible le modèle de chaque lettre. Il doit le copier dans un premier temps.
A ce propos, nous rappelons que la leçon d’écriture se présente dans la plupart des classes de la même manière
depuis de nombreuses années.
L’enseignant écrit la lettre étudiée en rouge dans la marge et les bambins essaient de reproduire rigoureusement
avec leur crayon la lettre sur la ligne. Il répète la lettre.
L’instituteur présente une liaison avec la lettre étudiée ; il introduit ensuite de temps à autre la lettre étudiée
dans un mot.
Voici le moment venu de lier les lettres entre elles pour composer des mots et les mots sont ensuite intégrés
dans des phrases. L’enfant éprouve un réel plaisir à écrire de premiers mots ou de premières phrases et on insistera
sur le fait que les premiers mots écrits ne sont pas obligatoirement copiés ; ils peuvent l’être dans le cas, bien
sûr, ou il s’agit de jeunes enfants qui ont 5 ou 6 ans et qui ne peuvent pas écrire d’unité significative
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spontanément. Quand l’enfant est plus âgé, dès 7 ans, on essaie de lui faire vivre l’écriture comme un mode
d’expression personnel.
A la suite de ces observations, nous pourrions supposer que la rééducation des lettres une à une est fastidieuse
mais les enfants y accordent au contraire beaucoup d’intérêt.
De plus, les auteurs précisent qu’il ne faut pas faire des répétitions du même exercice ; ni de séries d’une même
lettre en petite dimension ; ou l’enfant sait faire une lettre ou il ne sait pas.
C’est dans cette perspective, que nous vous proposons deux techniques de travail que nous mettons rapidement
en place :
• Il s’agit du "tirage au sort". On présente aux enfants deux boîtes ; dans chacune d’elle figurent les lettres que
l’on souhaite faire copier sur les cartons. Dans la première boîte, on met par exemple toutes les lettres qui se
situent dans la zone médiane : il s’agit des voyelles a, e, i, o, u et des consonnes : c, m, n, r, s, v, w. Elles mesu-
rent de 1 à 3 mm de haut selon la dimension de l’écriture ; dans une écriture régulière, elles ont approximative-
ment toute la même taille. Dans la deuxième boîte, on écrit chaque lettre haute sur un carton ; il s’agit de b,
d, h, k, l, t.Ces lettres se placent à la fois dans la zone médiane et dans la zone supérieure.
On propose à l’enfant de tirer alternativement une lettre dans une boîte ; c’est le modèle qu’il essaie de copier
puis il tire une lettre dans l’autre boîte. Nous utiliserons cette technique "du tirage au sort" avec les liaisons.
Dans une troisième boîte, nous pouvons placer les lettres basses g, j, p, q, y, z...
Elles se situent dans la zone médiane et dans la zone inférieure.
• L’autre technique ressemble à un mémory :
Toutes les lettres sont écrites individuellement sur des cartons ; elles sont retournées face cachée sur la table ;
le jeune patient en retourne une et il essaie de la copier.
Plus tard, avec une certaine habitude, il pourra regarder la lettre et il la retournera face cachée sur la table : il
devra la refaire de mémoire;
◆ Le problème de la liaison.
La liaison caractérise l’écriture cursive ; elle permet la rapidité et la souplesse de l’écriture.
Dans un premier temps, le jeune patient apprend à lier entre elles toutes les lettres d’un mot simple et court
ne posant pas de problèmes particuliers de liaisons ; exemple : on choisit des mots ou on ne doit pas relever le
crayon et on précise à l’enfant qu’il doit prendre son élan, sans hésiter, sans lever la plume.
Voici quelques exemples : fleur, belle...
Nous vous suggérons de fabriquer des listes de mots pour lesquels il n’est pas nécessaire de relever le stylo.
Le moment est venu pour nous de faire un lien entre écriture et orthographe avec l’étude des liaisons ; en effet,
beaucoup d’enfants présentent des soucis de soin, des achoppements sur une lettre, des difficultés à lier deux
lettres difficiles ; nous mettons facilement cela sur le compte de l’orthographe, mais si on retravaille la qualité
du graphisme, nous nous apercevons que l’orthographe s’améliore très rapidement.
Compte tenu des multiples facteurs qui interviennent pour relier les lettres et fort de notre expérience, nous
vous proposons, au cours de la rééducation, de mettre l’accent sur l’association de deux lettres, notamment de
vérifier la distinction :
au, ou ; on repère effectivement souvent la confusion de ces deux graphies ; la correction d’une bonne liaison
pourrait éviter sans doute la surcharge des erreurs : lien entre dysgraphie et dysorthographie.
Il nous faut insister sur la liaison des diconsonnantiques quand il s’agit d’une consonne suivie de la liquide / r /
Exemple : or, oe, os, vr, ve.
La technique de travail que nous préconisons pour l’étude de ces liaisons délicates est toujours le tirage au sort :
(T. A. S). On présente à l’enfant deux boîtes ; dans chacune d’elles figurent les lettres que l’on souhaite faire
assembler, copier, individuellement sur des fiches cartonnées et nous pouvons travailler ainsi la liaison ; le jeune
patient prélève deux lettres et il réalise l’association :
Exemple : ra
Ainsi, avec deux lettres tirées, nous pouvons réaliser deux liaisons : ar ou ra
Avec deux lettres tirées, nous pouvons réaliser quatre liaisons : aa ou rr ou ra ou ar.
Nous utilisons ensuite le même principe du "T. A. S" pour le travail de la liaison de trois lettres et nous appro-
fondissons parallèlement la connaissance des graphies complexes. Il suffit d’ajouter une boîte : l’enfant pioche
une lettre dans trois boîtes différentes et il essaie de les lier : les combinaisons sont plus riches.
En voici un exemple : nous avons un carton avec /o/, un carton avec / i/ un carton avec /n/ et nous travaillons
les liaisons suivantes :
oin, noi, oni, ion, etc...
C'est l'occasion d'approfondir la connaissance des groupes phonétiques complexes si importants dans notre
pratique quotidienne.
Exercices
Nous vous proposons ci-dessous d’autres exercices pratiques qui peuvent compléter l’exécution de la liaison; il
s’agit de :
• La copie de mots :
Les auteurs précisent qu’au cours de cet exercice, on a la satisfaction de constater une plus grande aisance des
enfants pour réaliser les liaisons; en outre, on remarque une amélioration logique de la vitesse d’éxécution.
• Le jeu "feu rouge, feu vert" est bien apprécié de la plupart des enfants.
On code les mots à recopier pour situer les lettres qui réclament une levée du stylo. Ce sont en particulier les
lettres à structure ronde et le / s /
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On propose la consigne suivante :
Feu rouge : on s’arrête
Feu vert : on continue
On déduit facilement les endroits où la continuité est possible.
Voici quelques exemples : sous /balle/ on met le feu rouge sous le /a/.
Sous /rude/ on met le feu rouge sous le /d/
Sous /écureuil/ on met le feu rouge sous le /c/
Pour les mots suivants par exemple :/belle/ /fruit/prune/juillet/ il n’y a qu’un feu vert.
On n’oubliera pas de préciser que les accents et les points seront ajoutés après l’écriture du corps du mot.
Voici des exercices familiers que vous utiliserez pour d’autres types de rééducation, mais leur efficacité a été
prouvéé dans le domaine de la dysgraphie :
• Le réinvestissement
La liaison /br/ est étudiée. On cherche quelques mots qui comportent cette liaison et on les écrit :
Exemple : brioche, brouette, arbre, etc.
• Le tableau à double entrées : on écrit par exemple deux lettres sur la ligne horizontale et deux lettres sur la
ligne verticale et on réalise la liaison à l’intersection.
◆ Dextrogyrité et simplification.
"Dès qu’un individu a un bon niveau", disait Hélène de Gobineau (1958), "et qu’il écrit beaucoup, il trans-
forme l’écriture acquise en la simplifiant et en accentuant les formes dextrogyres, c’est-à-dire en supprimant du
tracé calligraphique les mouvements revenant vers la gauche pour les projeter vers la droite." Le mouvement
revenant vers la gauche est gênant ; les exercices de guirlandes en /u/ et les sinusoïdes doivent donc toujours se
dérouler avec un mouvement en avant.
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IV – PROBLÈME DE L’ENFANT GAUCHER
1 - Le sens graphique
Le mouvement naturel du bras de l’enfant qui écrit est l’écartement horizontal, de l’axe corporel vers l’exté-
rieur : ainsi le gaucher est prédisposé à l’inversion du sens graphique.
On donne à l’enfant gaucher les moyens de se repérer au tableau, sur le cahier et sur les fiches de travail.
2 - La propreté
Contrairement à l’enfant droitier, le gaucher a la main scriptrice qui suit le crayon. Le balayage exercé par la
main salit alors ce qui vient juste d’être écrit.
Nous suggérons aux parents de procurer à l’enfant un instrument de bonne qualité dont l’encre sèche rapidement.
A ce propos, nous rappelons que le stylo à plume et le stylo à bille ont été autorisés, pour tous les enfants à
l’école primaire, par la circulaire numéro 65-338 du 3-09 1965 parue au bulletin officiel de l’EN du 30-09-1965.
3 - La posture
Notre orientation de l’écriture se faisant de la gauche vers la droite, le droitier n’éprouve pas de difficultés à
déplacer son bras vers l’extérieur. Il n’est pas gêné par l’axe du corps. Pour le gaucher, le coude vient se bloquer
contre le thorax, celui-ci subit la progression vers la droite.
Il faut donc décaler la feuille, le cahier, nettement à gauche et on place la feuille un peu en hauteur.
4 - Le feed-back
Simultanément, le gaucher masque de la main ce qu’il est en train d’écrire : on assiste alors à une auto-pénalisation
de la coordination oculo-manuelle. Pour y pallier, certains enfants se lèvent légèrement pour avoir la possibilité
de contrôler ce qu’ils écrivent. Ils regardent au-dessus de leur main scriptrice.
D’autres jeunes sujets placent leur main au-dessus de la ligne en "cassant " le poignet.
On suggère d’incliner la feuille vers la gauche ou vers la droite.
5 - Le modèle
Nous nous sommes inspirées du même auteur pour recueillir toutes ces données nous les avons trouvées très
pertinentes. A propos du modèle, que la main soit au-dessus ou au dessous de la ligne, elle cache plus ou moins
le modèle,écrit à gauche par l’enseignant.
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On propose d’écrire le modèle en haut et à droite, au bout de la ligne. Cette précaution respecte en plus le sens
graphique : on explique à l’enfant gaucher que le modèle est un but à atteindre.
En principe, nous le rappelons, le modèle de l’enseignant est écrit en rouge dans la marge.
Que l’on soit droitier ou gaucher, la référence au modèle sera permanente.
6 - Les inversions
Pour comprendre ces inversions, il faut se référer à Zazzo (1962) et Lurçat (1974, 1983, 1984). Ils parlent du
sens du tracé et ils l’appellent : ductus.
Certains sens du tracé sont spécifiques à la main droite, d’autres spécifiques à la main gauche, par exemple lors-
qu’il s’agit de tracer un rond.
L’enfant gaucher a tendance à tracer le rond dans le sens des aiguilles d’une montre, soit dans le sens horaire.
Cela est préjudiciable à la réalisation des lettres dont la structure est ronde (a, c, d, g, o, q). et surtout à leur
liaison avec la lettre précédente.Nous vous renverrons au chapitre des liaisons.
Il faut donc bien vérifier le sens de l’acquisition des automatismes, en particulier le tracé sénestrogyre du cercle.
Si la connaissance de la latéralité manuelle est importante, il ne faut pas pour autant négliger l’incidence
de la dominance latérale de l’œil. Quand l’œil directeur est le gauche, l’enfant à tendance à déplacer son
regard de droite à gauche. On peut alors craindre des perturbations au niveau du sens graphique.
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Voici une autre question posée fréquemment par les parents :
"Mon enfant écrit à l’envers ; il forme ses lettres à l’envers. Que faire ?"
Il faut faire préciser aux parents si il s’agit du sens du tracé de la lettre ou bien si il s’agit de l’écriture en miroir.
On sait qu’un certain nombre d’enfants gauchers écrivent spontanément "en miroir" vers 5-6 ans.
Généralement, le rétablissement du sens correct s’opère, sans rééducation, sous le simple effet de l’apprentissage
de l’écriture. On rassure ainsi les parents et ces mêmes remarques sont valables pour la même question posée
par un parent d’un enfant droitier. Chez quelques enfants, cependant, l’écriture "en miroir" garde une certaine
prégnance ; une aide est alors utile. Auzias (1970).
A - DU DESSIN À L’ÉCRITURE
Marchal (1994), orthophoniste, utilise les intéractions entre le dessin et l’écriture. Elle pense que la rééducation du
graphisme peut s’inspirer du dessin spontané de chaque enfant, ce dernier gardant ainsi l’initiative créatrice qui
est la sienne. Pour cela, elle a analysé de nombreux dessins d’enfants avant et pendant l’apprentissage de l’écriture.
Les graphies sont traitées chacune isolément. L’enfant peut les reproduire et les mémoriser sans difficulté car il
a déjà acquis la praxie nécessaire à leur réalisation dans le dessin spontané. La complexité de cette méthode
réside en l’analyse minutieuse des dessins spontanés pour dégager des règles adaptées à chaque enfant.
C - UTILISATION DE L'ORDINATEUR
L'utilisation de l'ordinateur et du traitement de texte peut être un "bon tremplin" au moment de la rééduca-
tion de l'écriture.
L'enfant éprouve toujours du plaisir et manifeste un intérêt à construire un texte avec l'ordinateur. De nomb-
reux thèmes peuvent être abordés : la lettre, un poème, la fin d'une histoire, un portrait, un dialogue, un télé-
gramme, etc.
L'enfant imprime son travail et il peut en faire une correction manuscrite avec l'aide du rééducateur.
Pour clôturer avec toutes ces techniques, on n'oubliera pas de mentionner également les exercices de
graphismes très bien développés par Françoise Estienne.
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VI – LA RÉÉDUCATION DE L’ÉCRITURE LIÉE AUX ORIGINES
DE L’ÉCRITURE
Pour aider un enfant qui éprouve une véritable aversion pour l’écriture et qui refuse d’entrer dans l’écrit, nous
nous sommes interrogées sur le "BESOIN" de l’écriture; il faut en effet créer un besoin pour redonner une
nécessité à l’écriture. En conséquence, nous avons considéré les origines de l’écriture et l’on remarque alors que
l’homme a éprouvé le besoin de compter.
Tout commence vers 3500 avant notre ère, en Mésopotamie. Là, les céréales poussent, les fruits mûrissent vite,
les troupeaux se multiplient dans les prés ; voilà pourquoi, les dirigeants de cette région font des calculs ; Ils
tiennent leurs comptes : 120 sacs de blé, 92 d’orge... Mais leur mémoire leur joue souvent des tours, ils
oublient, mélangent l’orge, le blé, la laine et ne savent plus où ils en sont ; Nous vous renvoyons à de nomb-
reux ouvrages qui relatent les origines de l’écriture entre-autre : Koenig (1990) : Les tournants de l’histoire du
monde. Vers 3300 avant Jésus-Christ, "La naissance de l’écriture". L"auteur précise donc, que pour compter,
les dirigeants décident de façonner dans une boule d’argile des billes, des cônes, des cylindres ; ce sont les
CALCULI, qu’ils manient avec adresse. Ainsi, ils comptent les moutons, préparent les calculi nécessaires, les
enferment dans une boule d’argile sur laquelle ils roulent leur sceau-cylindre. Désormais, un peu partout à
travers le pays les boules et calculi circulent. Puis les Mésopotamiens imaginent de dessiner directement sur la
boule fraîche les calculi ; Une bille devient un gros point, un cône, un triangle... Les encoches remplacent alors
les calculi ; une autre évidence apparaît : Pourquoi graver une boule ? Elle glisse, elle roule. Un peu plus tard,
ils l’applatissent définitivement et forment ainsi une tablette, plus ou moins grande selon les besoins.
Nous utiliserons déjà ces éléments au cours de notre rééducation avec notamment les enfants qui refusent d’écrire.
Avoir de la pâte à modeler ou de l’argile ; prendre un exemple de la vie courante ; l’enfant veut par exemple symbo-
liser le temps qui passe et il veut compter les jours ; dans un premier temps, il pétrit bien la pâte à modeler ; il en
fait une boule et il essaie de creuser un petit trait avec un cure dent par exemple. Ce trait représente un jour ;
vous pouvez choisir d’autres supports comme de la pâte à tarte ; ces nouveaux supports plaisent beaucoup aux
enfants.
On pourrait nous faire le reproche d’utiliser des techniques dédiées aux ergothérapeutes ou aux psychomotri-
ciens, c’est la raison pour laquelle nous prenons la précaution de limiter ces séances.
Dès que l’enfant est à l’aise, on se reporte à des activités liées à l'écriture.
Et pour faire un parallèle avec les origines de l’écriture, nous proposons d’utiliser les chiffres.
On compte alors le nombre de traits sur notre boule de pâte à modeler ou d’argile, il y en a 7. Cela correspond
à 7 jours ou à une semaine. L’enfant essaie d’écrire le chiffre 7.
Il nous a paru intérressant de proposer dans un deuxième temps, un temps de reflexion et d ‘explication des
origines de l’écriture. Il faut alors utiliser des mots simples avec les enfants de façon à capter leur attention.
Nous nous sommes inspirées du livre de Massin (1992).
On a éprouvé le besoin d’écrire pour conserver une trace écrite de la parole car comme le dit le proverbe,
les paroles s’envolent, les écrits restent. L’écriture, c'est comme une mémoire. Il est possible que l'homme ait
dessiné sur les parois des grottes préhistoriques avant même d’articuler des sons car il n y a que 6000 ans que
l’homme a inventé l’écriture alors qu’il est apparu sur la terre, il y a quelque chose comme deux millions d’an-
nées. La forme d’écriture la plus ancienne s’appelle la pictographie. Les Indiens de l’Amérique du nord par
exemple, utilisent des pictogrammes ce qui veut dire-dessins peints-
Mais toi aussi, petit enfant, tu te sers de pictogrammes.
Votre séance s’oriente alors vers la recherche de pictogrammes de la vie courante.
Par exemple, avant de traverser une rue, tu fais bien attention, et si tu vois deux petits personnages côte à côte,
de face et éclairés en rouge, tu attends que ce soit ton tour,
Tu trouveras encore des pictogrammes sur la porte vitrée des magasins pour dire entrée ou sortie dans les ascen-
seurs,sur les portes des toilettes pour indiquer le lieu des hommes et celui des femmes mais tu trouveras ces
pictogrammes principalement dans des endroits comme les gares et les aéroports que fréquentent davantage des
gens qui ne parlent pas forcément notre langue et qui évitent de chercher leur chemin grâce à ces dessins
parlants. Massin (1992).
109
L’enfant cherche alors dans sa mémoire des pictogrammes de la vie courante. S’il n’en trouve pas, on l’aide.
Vous pouvez utiliser des supports différents mais pour ce genre d’activité une grande feuille blanche et des
feutres conviennent parfaitement.
Personnellement, nous utilisons beaucoup pendant nos séances la formule du petit sac dans lequel nous
piochons une consigne à écrire, un mot à représenter. Il peut s’agir aussi d’un cube comme les cubes gigognes ;
c’est une manière rapide de rendre l’activité attrayante ; Dominique Massin, graphologue et graphothérapeuthe
nous fait part de ses activités qu’elle a aussi développée en partant des écritures anciennes à nos jours.
Elle propose aux enfants et aux adolescents d’inventer leur écriture, leur alphabet.
Sous forme de jeu, l’enfant tire une lettre au sort, exemple : S’il choisit alors un mot qui commence par S, Il
choisit le mot soleil et il invente un pictogramme !
110
qui s’appelaient aleph et beth (ou encore alpha et bêta ont donné naissance au mot "alphabet". Massin précise
que d’autres lettres montraient un poisson, un serpent, un oeil, une bouche, une tête ; avec le temps, ces
lettres se sont tellement transformées qu’on a peine parfois à y retrouver les choses qu’elles voulaient repré-
senter ; et à la longue, les lettres ont fini par prendre une forme géométrique.
• Comme le suggère l’auteur dans son ouvrage, on permet à l’enfant de reconstituer l’alphabet composé de 26
lettres en n’utilisant que des bâtons et des cercles. C’est facile pour le I et le O ; mais il faut chercher un peu
pour G et R.
• Prenons ensuite l’exemple du mot "roue"; on explique que l’on va introduire le dessin que représente le mot
dans le mot, et en utilisant une de ses lettres ; ainsi avec le O on dessine une roue, On dit à l’enfant : "tu peux
t’amuser ainsi à transformer telle ou telle lettre d’un mot et faire en sorte qu’on comprenne,rien qu’en la
voyant ce que signifie le mot en question.N’importe quel mot peut s’y prêter avec un peu d’imagination ! Le
V de "vase"(ou de verre) a la forme de l’objet en question ; le M de "montagne" aussi, le "x" de ciseaux le T
de "marteau".
• Ces séances de rééducation sont des séances charnières ; elles mêlent à la fois le dessin et l’écriture de la lettre
et elles peuvent précéder des séances-type d’écriture de chaque lettre que nous avons vues avec Ajurriaguerra.
Avoir une belle écriture, c’est une notion esthétique ; on a souvent tous le même regard face à une écriture
correcte ou bien face à une écriture instable ; on répète à l’enfant qu’il doit pouvoir se relire ; s’il ne peut pas
lire ce qu’il a écrit lui même, ce sera encore plus difficile pour un étranger. On rappelle qu’on écrit pour
communiquer, c’est à dire pour transmettre des informations à des gens qui sont éloignés dans l’espace mais
aussi dans le temps.
111
L’intérêt de la calligraphie est de travailler le rythme de l’écriture ; John Lancaster met l’accent sur la bonne
position à adopter pour réaliser de la calligraphie ; on peut adopter un plan de travail horizontal, sur une table
ou bien on place un écritoire sur les genoux, inclinée à 40-45 par rapport au plan de travail. L’enfant doit être
assis sur une chaise sans bras ou sur un tabouret.
• En calligraphie, on utilise souvent la plume que l’on trempe dans l’encre. Un calligraphe prend toujours
quelques minutes pour s’exercer à dessiner traits et lettres avant de commencer son travail.
• on peut fixer les objectifs de la première séance vers la recherche des "pleins" et des "déliés" Cette notion a
totalement disparu dans l’enseignement de l’écriture.
VIII – CONCLUSION
Nous souhaitons conclure par la citation suivante : "il n’y a pas de rééducation standard, il n’y a surtout pas de
dysgraphie, il n’y a que des enfants dysgraphiques". (Tajan, op. Cit., p.95). Il faut donc suivre les désirs de
l’enfant et ses refus, connaître ses centres d’intérêts, utiliser des méthodes de rééducation différentes. Mais le
choix de la méthode n’est pas tout car, comme le souligne Ajuriaguerra : "Notre attitude peut les amener (les
enfants) à avoir davantage confiance en eux, et c’est là un point qui peut être au moins aussi important que
tous les exercices techniques que l’on peut entreprendre. Les professionnels qui suivent l’enfant jouent un rôle
essentiel, c’est la raison pour laquelle, il nous paraît nécessaire de souligner que nous pouvons faire de la préven-
tion dans le domaine du graphisme. Nous faisons un travail en amont quand nous voyons un enfant de mater-
nelle pour un retard de langage, par exemple ; nous profitons de ce moment privilégié pour observer le dessin
spontané, la tenue de l’outil scripteur, l’appétence pour le dessin ou pour l’écriture. Si en grande section de
maternelle, nous observons une mauvaise tenue du crayon, des lettres immenses, écrites en script majuscules,
nous sensibilisons les parents à la réduction de l’écriture. De plus, il faut que l’enfant sache écrire son
"prénom", "maman" et "papa" en écriture cursive. Et en cours préparatoire, nous proposons de prendre en
charge des enfants dès le premier trimestre, quand la grosseur du trait et le rythme ne correspondent pas aux
attentes de l’enseignant même si ces enfants sont en période d’apprentissage, il ne s’agit donc pas d’enfants
dysgraphiques.
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113
114
CHAPITRE IV
Rééducation des troubles du calcul
et du raisonnement logico-mathématique
SOMMAIRE
I – INTRODUCTION ............................................................................................................ 117
115
IV – LA RÉÉDUCATION NEUROPSYCHOLOGIQUE DES TROUBLES DU CALCUL
ET DU TRAITEMENT DES NOMBRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .149
116
I – INTRODUCTION
La nomenclature en orthophonie comporte la mention "dyscalculie" et depuis 1992, sur la demande de nomb-
reux orthophonistes, celle ci s’est élargie à "dyscalculie et troubles du raisonnement logico-mathématique",
énoncé répondant mieux aux difficultés rencontrées par les enfants ou adolescents consultant pour des trou-
bles en mathématiques.
Les cadres de référence sont multiples lorsqu’il s’agit de décrire les troubles et leur ancrage étiologique, on peut
à cet effet consulter le dossier réalisé par Legeay et Morel (2003).
Des théories rivales coexistent et Meljac (2002) évoque les divergences parfois spectaculaires sur le plan des
recommandations qui en découlent.
Les compétences en mathématiques s’élaborent de façon précoce au carrefour des champs cognitif et affectif.
Elles constituent ainsi une fonction supérieure résultant de la synthèse de tout un ensemble de codéterminants
développementaux. Ces bases développementales concernent tout autant la maturation neurologique et soma-
tique, que le développement des fonctions langagières et psychomotrices, que le développement affectif (Raysse
et coll.,1997).
Dans ce contexte est posée la question de la "spécificité" des troubles développementaux d’apprentissage des
mathématiques. Ils sont un symptôme d’étiologie souvent complexe et multifactorielle dont il faut préciser le
sens dans l’environnement de l’enfant. Bideaud et coll (2002), après avoir réuni les contributions actuelles sur
le développement des activités numériques chez l’enfant, concluent que toute intervention didactique, en
formation initiale ou dans le cadre des remédiations, repose obligatoirement sur une théorisation des condi-
tions contextuelles, sociales et culturelles, "susceptibles d’induire ou d’entraver l’évolution individuelle"
(Bideaud et coll., 2002).
Lorsqu’on s’attache à comprendre les conduites des enfants en grandes difficultés et que l’on est face à la nécessité
de construire une rééducation, il est important de choisir, avec toutes les conséquences que cela comporte pour
l’enfant, ce sur quoi portera l’intervention. F. Duquesne (2002) s’interroge sur la centration de la remédiation :
doit elle développer les mécanismes déficients ou au contraire enseigner les contenus de connaissance
manquants ?
Les orthophonistes s’intéressent depuis longtemps à la rééducation logico-mathématique.
Francine Jaulin-Mannoni en est incontestablement à l’origine. Lors de ses études d’orthophonie, elle était déjà
inscrite à l’Institut de Psychologie de la Sorbonne. Puis, au début de son exercice d’orthophoniste, elle reprit
des études de psychologie et passa successivement le diplôme de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et une thèse
de troisième cycle. À ce moment-là, elle publia Pédagogie des structures logiques élémentaires (1973) et
L’apprentissage des sériations (1974), immédiatement suivis de : Le pourquoi en mathématique (1975).
Déjà complètement spécialisée dans la prise en charge des difficultés cognitives, son interrogation première en
faisant travailler les enfants concerne les fondements de ses certitudes logiques : "puisque je suis convaincue
que deux et trois font bien cinq, qu’est-ce qui m’autorise cette conviction ?" (Jaulin-Mannoni, 1999).
Jusqu’à la fin de sa vie, en 2000, Francine Jaulin-Mannoni n’a cessé de travailler à la formation d’orthopho-
nistes et de formateurs ; parallèlement, ses recherches en logique se sont poursuivies pour aboutir à la parution,
en 1999, de La sirène et le dragon, vaste ouvrage ayant pour origine la réflexion sur les différences entre les
raisonnements justes et les raisonnements faux. Durant de longues années, elle a occupé quasiment seule le
paysage de la rééducation logico-mathématique en France.
Après la publication de La genèse du nombre chez l’enfant, Piaget et Szeminska (1941), la théorie piagétienne
est en effet restée, durant près de quarante ans, la référence de base de l’évaluation diagnostique et de la rééduca-
tion des dyscalculies. Les travaux de Gelman et Galistel (1978) sur la procédure de comptage et l’élaboration
des modèles neuropsychologiques du traitement des nombres et du calcul (Mc Closkey, 1992) ont apporté
d’autres éclairages sur la compréhension du développement des compétences numériques et des dyscalculies.
Un grand nombre de laboratoires de recherche développe des modèles d’explication du fonctionnement du
calcul et des opérations.
Il est à noter que, face aux chercheurs confinés dans cette élaboration de modèles au détriment d’un regard sur
les aspects pathologiques, ce sont les orthophonistes eux-mêmes qui, oeuvrant avec des sujets autres qu’épis-
témiques, se sont attelés à la tâche et proposent chaque année plus de formations aux praticiens désireux
117
d’investiguer ce vaste domaine. Ces orthophonistes ne sont pas sans connaître les nombreux travaux et les
recherches théoriques actuelles, mais essaient sans cesse d’adapter leur pratique aux avancées théoriques d’une
part, aux particularités des difficultés cognitives qu’ils rencontrent, d’autre part.
On dispose de batteries d’investigation (voir bibliographie) et l’on s’accorde dans l’ensemble à penser que l’aide
à fournir à un enfant ne constitue pas une réédition de l’instruction reçue en classe. Mais, entre les interven-
tions exclusivement dirigées sur telle ou telle procédure et celles qui ont pour ambition d’élucider les obstacles
émotionnels fermant ou détournant les chemins développementaux, l’écart est considérable.
Nous proposons au lecteur plusieurs approches développées par des orthophonistes ou des psychologues. Ces
approches se situent pour une grande partie d’entre elles dans des cadres de référence théoriques constructiviste,
neuro-constructiviste, cognitiviste, psychopédagogique ou neuropsychologique.
Les inscriptions théoriques des entrées constructiviste, neuro-constructiviste et cognitiviste sont entre autres
piagétienne et néo piagétienne.
Les approches psychopédagogiques, en partie référencées par leurs auteurs comme issues de travaux de l’Ecole
de Genève, développent des arguments concernant les modalités des mécanismes d’apprentissage et des
réflexions sur le sujet apprenant.
L’entrée neuropsychologique s’inscrit dans le courant de modèles neuro-fonctionnels.
Les textes ont été rédigés soit par les auteurs eux-mêmes soit après rencontre des personnes par Marylène Stroh.
Nous ne prétendons pas être exhaustives, mais nous avons recensé ici les contributions dont le but était en
premier lieu de s’adresser à des orthophonistes.
1 - Fondements théoriques
Les réflexions théoriques qui sous-tendent les pratiques des rééducateurs émanent des travaux de recherche de
Francine Jaulin-Mannoni, orthophoniste et docteur en psychologie.
Pour mieux comprendre les comportements des sujets présentant des pathologies sérieuses dans le domaine des
apprentissages en mathématiques, elle s’est inspirée :
• des travaux d’Epistémologie Génétique de Jean Piaget sur le développement de la connaissance chez l’enfant
et l’étude des filiations de structures,
• des ouvrages de phénoménologie de :
Edmund Husserl qui a cherché à saisir la structure transcendante de la conscience et a critiqué la logique
traditionnelle Maurice Merleau-Ponty qui a défini la démarche psychologique qui fonde la pratique scientifique,
• des traités de logique de l’Antiquité à nos jours.
118
Cela l’a amenée à rédiger de nombreux ouvrages dont le dernier : "La Sirène et le Dragon" résume quarante
années de recherches et de découvertes dans les domaines de la logique, de la philosophie, des sciences
humaines et de la didactique.
2 - Mise en pratique
C’est pour transmettre le résultat de ses réflexions, qui l’ont amenée dans le domaine thérapeutique à mettre
au point des techniques de rééducation basées avant tout sur le raisonnement (en s’appuyant sur les structures
du réel), que Francine Jaulin-Mannoni a créé en association avec Bernadette Gueritte-Hess et Danielle Saadia,
le GEPALM.
Elle s’est entourée de collaborateurs aux activités professionnelles diverses qui, au fil de ces trente dernières
années, ont enrichi ses pratiques rééducatives et didactiques et élargi les domaines explorés.
C’est ainsi que la formation, initialement conçue pour les orthophonistes, s’étend maintenant aux enseignants,
aux psychomotriciens, aux psychologues et à toute autre personne confrontée aux troubles des apprentissages.
3 - Approche thérapeutique
L’approche thérapeutique des praticiens formés au GEPALM s’étend au-delà du traitement des troubles de la
dyscalculie telle qu’elle est définie actuellement par l’Organisation Mondiale de la Santé et certains courants de
pensée universitaires. Elle n’adhère pas à une définition de la dyscalculie qui reposerait sur une analyse neuro-
psychologique des troubles. Au GEPALM, le terme de "dyscalculie" ne peut s’entendre dans son sens restreint
de "trouble du calcul" et on ne peut faire l’économie d’examiner les structures logico-mathématiques face à un
sujet qui présente des troubles du calcul.
Tous les sujets, quel que soit leur niveau intellectuel, ou leur pathologie (d’origine neurologique, génétique,
comportementale), qui souffrent d’un trouble du développement du raisonnement logico-mathématique
peuvent bénéficier des procédés visant avant tout à faire acquérir un outil personnel de pensée qui favorise les
apprentissages en toutes circonstances.
L’expression "logico-mathématique" fait référence au fonctionnement des structures de pensée en lien avec les
structures du réel. L’expression "structures de pensée" rend compte des constructions inférentielles qui, à
chaque instant, nous permettent de coordonner nos connaissances et nos actions de manière pertinente.
Construit entièrement par le raisonnement, le domaine mathématique est un lieu privilégié de l’expression des
structures de pensée. L’expression "structures du réel" reprend les termes utilisés par Piaget. Elle est réservée aux
structures qui sont déterminées par des lois soumises aux contraintes du monde physique. L’enfant construit
ses évidences en traitant les problèmes que lui pose le monde physique. Dans de nombreux cas, il suffit de faire,
dans le contexte où les lois sont déterminées par les propriétés du réel, des exercices fondés sur les principes de
travail systématique des structures logiques pour que le sujet accède à la connaissance des lois en même temps
qu’au traitement des univers qui leur sont soumis.
Néanmoins, ce ne sont pas les manipulations ou les expériences qui organisent la pensée, c’est la pensée qui,
confrontée à ces expériences, s’organise pour résoudre les conflits engendrés par les contraintes du réel.
La tâche du rééducateur va donc consister à l’aider à consolider les bases trop fragiles de son édifice cognitif.
Cela exige une connaissance approfondie :
• des filiations de structure qui sous-tendent chaque domaine exploré,
• des carences que des déficits spécifiques dans un domaine ou un autre entraînent,
• de l’analyse des facteurs de mobilité et de réversibilité de la pensée,
• des techniques à utiliser pour parvenir à la capacité d’intérioriser les actions, de coordonner les points de vue,
d’anticiper le résultat des actions, de déduire et de généraliser.
Le professionnel formé au GEPALM est capable d’inventer des activités qui ne sont pas centrées sur l’appren-
tissage de contenus mais sur la mobilité de processus mentaux. Le matériel construit avec l’enfant, sous une
forme ludique, est toujours prétexte à réfléchir. Les activités sont donc judicieusement choisies en fonction des
constructions logiques à développer chez le sujet, compte-tenu de la spécificité de ses troubles et de sa personnalité.
119
Elles mobilisent son intérêt parce qu’elles s’inscrivent pour lui dans du sens. Elles permettent que se développent
des compétences spécifiques pour l’appropriation des savoirs scolaires. Les pièges du placage et du condition-
nement sont ainsi évités.
4 - Principes de rééducation
D’une manière générale et dans tous les domaines, notre travail s’appuie sur :
• l’exploration systématique de l’univers de travail
• des activités combinatoires qui stimulent la mobilité de pensée
• la coordination et la dissociation des points de vue
• l’introduction d’énigmes à propos d’éléments cachés ou d’éléments manquants, en vue d’amener aux déduc-
tions
• le traitement de "je suis sûr que oui", "je suis sûr que non", "je ne peux pas savoir", pour arriver aux raison-
nement par hypothèses.
• La réponse active qui, au moins autant que la réponse verbale, nous indique à tout instant le niveau de raison-
nement auquel se situe l’enfant.
Ce type de travail permet d’accompagner l’enfant tout au long de la construction de son raisonnement, de la
maternelle au collège… ou au-delà.
Les premières activités rééducatives portent sur ce qui fonde l’édifice cognitif d’un sujet, c’est-à-dire :
• la structure de classifications
• la structure de sériations
• les conditions d’invariance des quantités continues et discontinues
• la construction de l’espace et du temps.
A propos des classifications :
"Mettre des objets ensemble est une activité précoce de l’enfant. Elle s’appuie sur la comparaison des objets
entre eux et sur l’analyse de leurs ressemblances, de leurs différences, de leur équivalence ou de leur complé-
mentarité." (Vergnaud, 1983).
Cependant, ce n’est pas parce qu’un enfant est capable d’effectuer des classements qu’il peut utiliser toutes les
propriétés de la structure de classifications.
Une classe peut se définir :
• soit par l’énoncé du critère qui a présidé à sa création ; par exemple : classe E des éléments x, tels que x est
une voyelle de l’alphabet français. C’est la définition en compréhension.
• soit par l’énumération des éléments qui la composent ; la classe E comprend les voyelles : a, e, i, o, u, y. C’est
la définition en extension.
Le plus souvent, les classes sont dites disjointes parce qu’elles ne possèdent aucun élément commun . Par
exemple : la classe des poissons et la classe des insectes.
Mais on peut trouver des situations d’intersection de classes. Par exemple : un ouvrier parisien fumeur appar-
tient à la fois à la classe des ouvriers, à la classe des personnes qui habitent Paris et à la classe des personnes
qui fument. On parle alors de classes multiplicatives.
En ce qui concerne le travail rééducatif des classes multiplicatives : on se dote d’un univers constitué d’élé-
ments mobiles représentant toutes les réalisations possibles d’une multiplication de classes ; au cours de
nombreuses activités sont traitées les coordinations et les dissociations de points de vue pour parvenir à la
synthèse de l’extension et de la compréhension. Un dédoublement analytique des classes à l’aide de "traces"
permet des activités déductives.
On peut aussi trouver des situations d’inclusion de classes. Par exemple : la classe des caniches est incluse dans
la classe des chiens, elle-même incluse dans la classe des animaux. On parle alors de classes additives.
Si l’essentiel des propriétés de la structure de classifications n’est pas assimilé, un sujet ne pourra pas
comprendre l’aspect cardinal du nombre.
Il ne pourra pas non plus comprendre ce qu’est une soustraction, puisqu’il ne peut envisager que ce qu’on a
enlevé et ce qui reste étaient inclus dans le tout initial.
120
Il ne pourra pas utiliser à bon escient des mots tels que quelques, dont, sauf…
A propos des sériations :
Les sériations sont un cas particulier des relations d’ordre. Les évidences que doit se forger un sujet sur ces rela-
tions portent sur leurs propriétés d’antisymétrie et de transitivité.
Une définition non rigoureusement mathématique, mais plus conforme à l’intuition quotidienne consiste à
dire qu’une relation est antisymétrique si l’existence conjointe de cette relation entre x et y d’une part et y et x
d’autre part est impossible.
Par exemple, si Jean est plus grand que Paul, Paul ne peut pas être plus grand que Jean (d’où Paul est plus petit
que Jean).
Une relation est transitive si, à chaque fois qu’elle existe conjointement entre x et y et entre y et z, alors elle
existe nécessairement entre x et z.
En ce qui concerne les sériations : ayant construit avec l’enfant un matériel qui se prête à l’exploitation d’une
relation définie (par ex. "cache/ne cache pas"), des activités de parcours exploratoires de la série en tous sens,
de comparaisons de un à tous, de tous à un ou 2 à 2, d’exploitations de "traces", construisent les évidences qui
permettent de comprendre les propriétés d’antisymétrie et de transitivité de la relation.
Un sujet qui ne maîtrise pas la structure de sériations ne pourra pas comprendre l’aspect ordinal du nombre,
comparer des quantités physiques, chercher un mot dans un dictionnaire ou se repérer dans la chronologie des
événements.
Viennent ensuite des mises en situation spécifiques pour construire le nombre, travailler le sens des opérations
arithmétiques, travailler la compréhension et la résolution de problèmes.
Le praticien formé aux techniques du GEPALM aura le souci d’installer l’enfant dans une démarche opératoire,
et de rendre la pensée de l’enfant ou de l’adolescent réversible.
• Opérer, c’est accomplir une action, réaliser une transformation.
• Une opération nécessite trois termes et la combinaison de deux de ces termes en détermine un troisième et
un seul.
Au couple (a, b) correspond c.
+ - x :
Par exemple : (10,5) p 15 (10,5) p 5 (10,5) p 50 (10,5) p 2
Il y a un état initial, une transformation, un état final.
"La réversibilité est la capacité d’exécuter une même action dans les deux sens du parcours, en ayant cons-
cience qu’il s’agit d’une même action." (Piaget J. 1949).
La réversibilité opératoire qui est l’inversion simultanée d’une opération directe en opération inverse est une
action intériorisée intervenant dans de nombreux raisonnements en arithmétique ;
Si a+b=c alors b+a=c c-b=a c-a=b
Une addition détermine toujours une autre addition et deux soustractions et la connaissance d’une de ces
quatre égalités permet de retrouver les trois autres.
Il en va de même pour la multiplication et son opération inverse, la division. Ce sont des systèmes fermés qui
tournent sur eux-mêmes et qui peuvent être difficiles pour les enfants car ils sont complètement réversibles.
Les enfants qui n’ont pas une pensée mobile et qui n’ont pas été entraînés à travailler simultanément les opéra-
tions directes et leurs opérations inverses éprouvent de grandes difficultés à résoudre certains problèmes.
• Par exemple, beaucoup d’entre eux peuvent aisément calculer le périmètre d’un rectangle en appliquant la
formule : P=(L+l)x2, mais ils sont incapables, s’ils connaissent le périmètre et la largeur de déduire qu’il ne
faut pas diviser le périmètre par deux et soustraire la largeur pour retrouver la longueur.
Ces mêmes enfants ne peuvent inventer d’eux-mêmes un problème où il s’agit de trouver l’état initial ou la
transformation.
Une certaine mobilité rétroactive de la pensée et un travail simultané des opérations directes et de leurs
inverses sont nécessaires pour acquérir la réversibilité opératoire.
Lorsqu’il lui paraît que le sujet est en mesure d’assimiler les apprentissages scolaires, le rééducateur élargit son
domaine d’intervention et applique nos techniques à la mesure des quantités physiques, à la géométrie, au
schème de proportionnalité, et, si besoin est, à ce qui est enseigné au collège.
121
Le praticien familiarisé à nos actions rééducatives, obtient, le plus souvent, des résultats encourageants. Des
exemples peuvent en témoigner. Les praticiens formés au GEPALM y arrivent souvent par des moyens quelque
peu détournés, puisque, depuis longtemps déjà et sous l’initiative de Bernadette Gueritte-Hess, le GEPALM
organise des stages pratiques dans des classes.
5 - Témoignages
À la fin de son année en grande section de maternelle, A. ne fait pas grand-chose de ce qu’on attend de lui : il
parle peu, ne participe pas aux activités collectives, refuse de se servir d’un crayon ou d’apprendre certaines
comptines. Une proposition de le maintenir en maternelle est donc faite aux parents qui semblent bien que
cette solution n’aidera pas A. à sortir de ses difficultés (qu’ils ne nient pas).
Un bilan approfondi permet d’établir ce qui ne va pas : capable de réussite normale voire supérieure à la
moyenne dans certains domaines, A. présente un important retard de structuration de l’espace et du temps.
Une prise en charge spécifique, qui semble bien convenir, est mise en place. A. se montre gai, de plus en plus
loquace et entreprenant et au bout de quelques mois, la maîtresse peut évaluer ses acquisitions sur le plan
scolaire. Bien sûr, il a encore de sérieuses difficultés et le travail rééducatif devra être poursuivi, mais la ques-
tion de l’intégration en milieu scolaire ne se pose plus.
C. est arrivé au cours moyen sans jamais redoubler de classe, mais au prix de quel soutien de la part de sa
maman ! Depuis qu’il est au cours préparatoire, elle refait avec lui tout le programme scolaire, apprend toutes
les leçons, les "fait réciter" jusqu’à ce que cela "rentre". Elle est à bout de souffle et de ressources et C. aussi.
Au bilan, il présente le cas typique de l’enfant qui n’a aucune autonomie de pensée, se tournant systématique-
ment vers sa mère avant de répondre à une question, ou disant "je... ne sais pas", "je... n’ai pas appris",
"j’ai... oublié".
Grâce à un domaine qui ne met en jeu aucune connaissance "encyclopédique" ou "scolaire" et qui ne s’appuie
que sur les acquis suffisamment solides de l’enfant, le raisonnement se construit peu à peu. Il prend de l’assu-
rance, s’autorise à poser des questions, à faire des propositions. Il est méconnaissable aussi bien à l’école (dit
son maître) qu’à la maison (disent les parents). Actuellement en cours moyen deuxième année et malgré le
travail qui reste à faire, C. entrera en sixième à la rentrée prochaine dans des conditions normales. Il sait s’or-
ganiser, il a un niveau normal de compréhension, et si l’orthographe et les tables de multiplication ne sont pas
ses points forts, il est capable de se tirer honorablement de la plupart des problèmes qui lui sont posés.
An. avait 18 ans lorsqu’elle a consulté pour la première fois. Autiste mais non mutique, elle suivait une classe
de quatrième par correspondance et avait des difficultés de plus en plus envahissantes de compréhension,
d’expression écrite de mathématiques et d’adaptation. Elle avait l’air renfrogné et ne desserrait pas les dents.
Elle appréhendait visiblement beaucoup le bilan, qu’elle vivait comme "une évaluation de ses capacités
scolaires" qu’elle savait pertinemment très faibles. Elle s’est peu à peu détendue, sentant que je m’intéressais
plus à sa démarche qu’à ses connaissances ou à ses performances. Tranquillisée par le support proposé "c’est un
peu des trucs de gamin, ça va aller", elle a pu montrer à la fois ce qu’elle savait faire et ce qui lui était difficile.
À la fin de cette première entrevue, c’est elle-même qui demandait à revenir "pour chercher comment on pour-
rait continuer ce jeu ".
6 - Conclusion
Ce que nous venons de présenter est très succinct et très incomplet au regard de ce que comporte une prise en
charge sérieuse des troubles d’organisation de la pensée dont les conséquences apparaissent dans de nombreux
échecs scolaires.
La rigueur de la démarche enseignée au GEPALM permet :
• d’une part, d’éviter l’écueil qui consiste à s’acharner à essayer de faire comprendre à quelqu’un une notion au-
dessus de ses outils mentaux,
• d’autre part, d’élever ces outils mentaux par des techniques appropriées jusqu’à ce qu’ils atteignent le niveau
nécessaire pour être disponibles, non seulement dans la compréhension de la notion considérée, mais aussi
pour celle de toute notion demandant le même niveau de structures de pensée.
122
"Plus qu’un enseignement et a fortiori une méthode, la formation dispensée au GEPALM se présente comme
un catalyseur réveillant une disponibilité intellectuelle et construisant des aptitudes générales".
Jaulin-Mannoni
1 - Dynamique de la rééducation
Notre démarche de rééducation est ancrée dans les recherches se définissant dans le courant de pensée de la
psychologie génétique constructiviste. Citons entre autres : Piaget (1941, 1949, 1956), Inhelder et Cellérier
(1992), Schmid-Kitsikis (1985), Gibello (1995), Ramozzi-Chiarottino (1980), …
2 - Démarche de rééducation
La démarche de rééducation se construit à partir de l’analyse des observations obtenues lors du bilan orthopho-
nique. Lors des épreuves du bilan logicomathématique, sont recueillies les conduites effectives de l’enfant et ses
conduites langagières. Nous considérons que l’ensemble de ces observations révèle le fonctionnement cognitif
de l’enfant.
◆ L’analyse des conduites recueillies est menée sur les trois aspects suivants :
a : Les observations logico-mathématiques
Elles sont constituées essentiellement des conduites recueillies lors d’épreuves piagétiennes permettant l’explo-
ration des activités logiques. Nous investiguons la construction des invariants (les conservations des quantités
discontinues ou continues), les élaborations imagées (représentation mentale de transformations), les construc-
tions notionnelles (sériations, classifications, combinatoire).1
L’investigation des constructions notionnelles permet de renseigner l’orthophoniste sur l’activité logique
exercée par le patient, sur sa cohérence logique et sur sa propre construction du réel. Les épreuves proposées
ont donc deux objectifs ; d’une part la manifestation de constructions de notions particulières référées à chaque
groupe d’épreuves, d’autre part la dynamique plus générale de la pensée.
Cette analyse menée sur les deux points logico-mathématiques et langagiers nous conduit à signifier les diffi-
cultés en mathématiques (c’est sous ce terme que la plupart du temps les enfants arrivent en consultation)
comme des pannes dans plusieurs domaines ; nous en proposons quelques unes :
1
on peut se reporter au bilan proposé par Schmid-kitsikis (1999)
124
• Panne dans l’utilisation du langage dans sa fonction d’identifier ce qui ne varie pas ; dans celle d’expliquer
pourquoi on obtient tel ou tel résultat après telle ou telle action ; dans celle d’argumenter par des lois
(Vergnaud, 1996).
• Panne à mettre de l’ordre dans le monde environnant.
Le monde qui nous entoure est rangé dans notre tête selon des critères qui nous sont personnels peut-être et
également des critères aussi qui appartiennent à notre société. L’enfant va devoir saisir ces critères, porter diffé-
rents regards sur le même univers, c’est ce qu’on appelle la mobilité de la pensée.
• Panne à réaliser des coordinations.
Ce n’est pas le fait de manipuler uniquement, ou de faire, qui va permettre à l’enfant de tirer profit de ses
actions ; il va lui falloir, coordonner et extraire des lois pour aller plus loin dans sa démarche de construction
de représentations internes. "Les coordinations sont à la base de l’activité de penser. Par exemple et en parti-
culier celles nécessaires à la construction de l’objet essentielle à la constitution des notions nécessaires à la
structuration des connaissances" (Doudin et Paunier, 1989). Carole, 14 ans, doit sortir d’un matériel de cartes
certaines d’entre elles pour que l’énoncé "Tous les lapins sont bleus" soit représenté sur la table. Elle sort tous
les lapins et tous les bleus. L’orthophoniste lui demande de dire ce qu’elle devait faire : "prendre tous les lapins
et tous les bleus", l’orthophoniste lui demande de relire l’énoncé : "tous les lapins sont bleus", la jeune fille le
lit et dit : "c’est bien ce que j’ai fait !".
• Panne à exprimer des liens de causalité ; panne dans l’expression des transformations qui relient des états
(Dolle et coll., 1989).
Dans les arguments avancés par ces jeunes, on note des énoncés en référence à l’agir : "comment tu sais que
c’est comme ça ?" "parce que c’est ce que j’ai fait" "comment tu pourrais expliquer à ton copain comment tu
as trouvé ?" "je lui dirais de faire comme moi".
• Panne sur le réglage de l’inclusion des parties dans un tout.
"Considérons un quadrilatère…", Alors c’est un carré annonce fièrement Julien 14 ans, les démonstrations
seront fausses ; dans sa tête l’élève ne voit que le carré, il ne peut appréhender la nécessité de recourir à des
propriétés pour démontrer la figure.
• Panne sur la construction des invariants fondamentaux.
Ces enfants ne peuvent être assurés que par le toucher de la permanence des propriétés des objets, de celle des
éléments constituant des collections. …Comme si la main n’avait pas passé le relais à la pensée et ils ont
largement dépassé l’âge où cela est toléré.
• Panne en maths et un rapport au nombre incertain.
La permanence des quantités non numériques puis numériques, puis la certitude que tout nombre est
composé de parties nécessairement plus petites que le tout sont des notions très souvent non établies.
• Panne dans les apprentissages scolaires et difficulté dans la construction de la temporalité.
La capacité à se rappeler, à organiser, ordonner, anticiper les représentations liées au temps ainsi que celle
d’utiliser le lexique qui s’y réfère est entravée chez certains enfants (Gibello, 1984).
125
• Repérer comment il réalise des inférences :
- à partir de données directement accessibles par les sens ?
- à partir de données coordonnées entre des données partiellement accessibles et des données recher-
chées dans ses connaissances ?
- à partir de coordination d’inférences ?
• Repérer comment il construit des raisonnements par équivalence, par implication signifiante, par implication
logique.
Ces différents repérages nous permettent, de manière transversale, d’observer l’enfant dans sa capacité de
décentration.
Cette analyse du fonctionnement cognitif nous permettra de comprendre comment l’enfant fonctionne en
pensée, c’est-à-dire, soit sur un mode figuratif, soit sur un mode opératif.
3 - Le cadre de la rééducation
Nous considérons important de formaliser les conditions de mise en place des situations rééducatives. Elles font
parties de l’ajustement du professionnel à la problématique dans laquelle les troubles du raisonnement sont
envisagés.
126
◆ La fonction des objets
• Les objets aident à la mise en place de la fonction opérative (un des piliers de la représentation psychique des
objets – l’autre étant la fonction figurative : évocation des traces sensorielles des objets sous forme d’images).
• Ils sont prétextes à la sollicitation des processus d’anticipation et de rétroaction.
• Ils aident à la représentation dans la mesure où on va parler d’eux, ou on va avoir à signifier les transforma-
tions.
◆ Le langage de l’orthophoniste
• Il est en cohérence avec les faits et ne véhicule pas d’implicite.
• Il est en ajustement avec la pensée de l’enfant.
◆ Le langage sollicité
Au cours des situations, l’enfant fait l’expérience d’un certain nombre de possibles langagiers.
Les situations proposées portent en elles des sollicitations qui permettent à l’enfant d’avoir besoin de recher-
cher dans sa langue les mots qui vont permettre de traduire les situations jouées et travaillées.
L’enveloppe langagière de l’orthophoniste s’accroche à ce qui est vécu (cohérence faits – discours) : les actions
de l’enfant deviennent dicibles et le langage sert d’argumentation pour poursuivre sur d’autres actions.
Les situations sont porteuses d’utilisation de mots de liens, de flexions verbales, de déterminants ; de repères
spatiaux, temporels (travail implicite sur la conjugaison) ; de quantificateurs ; de relatives : qui, que, dont, les
termes qui qualifient les relations ; de la négation ; des conjonctions de coordination, des connecteurs par
exemple dans les arguments de déduction : donc, peut-être, mais…
Elles permettent des changements de registres langagiers suivant le moment de l’énonciation, suivant le besoin
d’une communication orale ou écrite.
2
en partie inspirée des travaux de F. Jaulin-Mannoni, "La sirène et le dragon", éditions L’Harmattan, 1999
127
En conclusion :
Les interventions de l’orthophoniste ont pour but d’amener l’enfant :
• à développer une nouvelle façon de considérer les choses qu’il a perçues jusque là, ou comprises sous une
certaine forme (décentration),
• à réaliser, par conséquence, des élaborations mentales dans une fonction de lien et véhiculées par du langage
dans sa dimension noétique,
• à donner sens aux contenus des connaissances et des apprentissages scolaires.
Nous terminerons en ajoutant que d’une part pour approfondir la compréhension des troubles du raisonnement
logico-mathématique rencontrés par les enfants et adolescents et d’autre part améliorer les propositions de
rééducation, il nous paraît important de développer les relations avec les professionnels psychologues ou
psychiatres. Réfléchir ensemble pour aller au-delà des renseignements chiffrés tel le QI et au-delà d’une
approche neuro-instrumentale, à notre avis, trop réductrice des processus impliqués dans la compréhension des
troubles présentés par les enfants. Il nous paraît plus que fondamental de plaider pour une analyse de la dynamique
de l’ensemble du fonctionnement de l’enfant dans laquelle troubles et symptômes sont reliés à l’histoire fami-
liale et individuelle. "Le sujet, en tant qu’être animé de désir, de subjectivité, de contradiction, ne pouvant se
réduire à tel ou tel de ses symptômes ou de ses fonctions quelle qu’en soit la grille de lecture et difficultés ou
troubles pourront alors être replacées dans un contexte plus large que celui dans lequel ils ont émergé"
(Voyazopoulos, 2003).
128
Je m’intéresse à la façon dont les enfants s’y prennent lorsqu’il s’agit pour eux de s’adapter à une situation
nouvelle. Car c’est précisément à cette occasion qu’ ils cherchent à créer un "accord" avec le réel. Cet accord
qu’ils construisent avec le réel est évidemment relatif dans le sens où il n’est jamais définitif ; cet accord ils le
transforment sans cesse ; ils le font évoluer jusqu’à une nouvelle forme "d’accord" et ainsi de suite. Alors la
méthode consiste à suivre cette évolution des mises en accord pour la raconter comme un processus en cours
de formation. Et j’essaie de raconter ce processus comme le déroulement d’une histoire dont le sens émerge très
progressivement.
◆ Processus-habitudes
Cependant, il est presque impossible de suivre ces déroulements si l’observateur attend par avance des formes
connues, c’est-à-dire des réponses ou des stratégies appartenant soi-disant à des niveaux d’âge. Autrement dit,
lorsque la conduite d’un enfant paraît superflue, déviante, hors sujet, il est plus probable qu’il s’agit d’une
faiblesse de l’observateur qui ne connaît pas suffisamment le fonctionnement de la pensée de l’être humain
plutôt que d’une erreur ou d’un échec de l’enfant.
En effet, les habitudes fonctionnelles que l’enfant invente ne sont que transitoires et ne peuvent être immédia-
tement considérées comme des erreurs. Ce sont des étapes dans le processus d’adaptation. Alors, si nous nous
ne sommes pas persuadés de l’importance qu’il y a à laisser libre cours à ces habitudes fonctionnelles transi-
toires, nous condamnons l’être humain à ne jamais penser par lui-même. Si nous lui expliquons tout ce à quoi
il peut s’attendre, si nous l’avertissons, le prévenons de tous les obstacles qu’il risque de rencontrer, pour le
protéger avec bienveillance, nous l’installons sans le vouloir dans un monde de certitudes mais nous le rendons
aveugle ou prisonnier d’activités que nous avons pré-organisées pour lui.
Je vais essayer de montrer comment l’activité biologique se prolonge et se transforme en activité cognitive.
Nous le savons tous, l’enfant agit d’abord, sans aucune conscience, par réflexes hérités mais aussi et dans le
même temps, sous l’effet des sollicitations du milieu. Mais ses organes sensoriels sont déjà préparés à percevoir
selon un mode particulier qui est la capacité à percevoir des différences. Les particularités des organes senso-
riels orientent beaucoup les réceptions de sensations et créent des habitudes sensorielles, des habitudes à
ressentir telle ou telle autre propriété physique d’objet quelconque. Cette modalité détermine les modes de
rencontre avec le réel et en conséquence, les connaissances que nous avons du réel. Elle porte en elle tout le
dynamisme fondateur de l’activité cognitive.
◆ Mise en relation par différenciations : l’amorce d’un dynamisme fondateur de l’activité cognitive
La perception de propriétés différentes de la part de l’enfant crée inévitablement un mouvement d’aller et
retour ; une sorte de besoin de retrouver par tâtonnement une sensation familière perdue à cause d’une sensa-
tion nouvelle rencontrée. En effet, on trouve dans ces activités qui conduisent l’enfant d’un objet à l’autre, les
habitudes de comparaison. Et l’activité de comparaison est celle qui fait surgir une chose de la multitude parce
que cette chose est différente d’une autre et cette autre là, parce qu’elle est différente de la première. Cette acti-
vité de comparaison est celle qui permet l’identification de la chose et en conséquence qui caractérise la chose
est en fait son identité. C’est comme cela que commence le processus des mises en relation par différenciations,
à cause de "l’éprouvé" de sensations différentes avec émergence d’identifications qui servent de points d’appui
pour de nouvelles mises en relation.
Par exemple, lorsque le bébé touche quelque chose et qu’il ne reconnaît pas, il est étonné mais il devient plus
apte à reconnaître une sensation familière, l’instant suivant. Inversement lorsqu’il reconnaît, il renforce son
aptitude à ne pas reconnaître ce qui n’est pas familier. Les deux choses finissent par acquérir un statut et une
existence propre, chacune parce qu’elle est différente de l’autre et précisément chacune pour sa spécificité. Ce
fonctionnement créateur de l’identité des choses, est aussi créateur de l’identité de soi.
Plus le bébé diversifie ses activités, plus il augmente les risques d’erreurs et plus il est confronté à lui-même car
il est étonné à de très nombreuses reprises, de ne pas obtenir le tableau escompté. Alors il finit par s’observer
en train d’agir. Ce sont les nécessités du moment qui le contraignent à concevoir d’abord l’action et ensuite le
tableau, comme un prolongement de l’action.
129
Ainsi l’identité de soi est la prise en compte de l’action propre. Et la prise en compte de l’action propre naît de
son inefficacité. C’est lorsque l’action ne réussit plus qu’elle commence à exister pour l’enfant.
Le sens que l’enfant est en train de construire est celui d’un ordre chronologique nécessaire ou une temporalité.
Un ordre que l’on appellera logique, c’est-à-dire : anticipation d’une situation, mises en oeuvre d’une action,
résultat.
2 - La remédiation cognitive
Rappelons tout d’abord qu’il ne saurait y avoir de remédiation cognitive sans un diagnostic préalable précis
consistant à analyser le fonctionnement de la pensée des enfants. La remédiation cognitive opératoire est née
de l’observation et de l’expérimentation. Elle se fonde sur les procédures naturelles que les enfants mettent en
oeuvre pour construire les structures de l’activité de connaissance. La pratique clinique quotidienne nous a
permis de comprendre le fonctionnement organisateur de la pensée dont nous allons approfondir certains
aspects qui sont devenus les invariants méthodologiques de la remédiation.
130
◆ Du sujet épistémique au sujet concret
D’une manière générale, l’organisation des structures cognitives correspond à un réglage de leur fonctionne-
ment. Il s’agit d’ailleurs d’un processus qui se génère grâce à l’activité du sujet. C’est le fruit de ses interactions
avec les objets. L’organisation fonctionnelle puise sa vie dans la répétition des actions transformatrices. Elle se
pérennise en se nourrissant de ses propres productions, c’est-à-dire des actions adaptées. Sur le plan cognitif,
un équilibre est une adéquation entre les moyens que le sujet met en oeuvre et le but qu’il doit atteindre.
Le processus de recherche de l’équilibre par le sujet a un grand pouvoir explicatif. Ce sont les processus de
recherche d’équilibre qui assurent la continuité fonctionnelle grâce à laquelle s’élaborent des structures
nouvelles et différentes. De plus, l’étude portant sur la régulation des activités du sujet, révèle inévitablement
l’organisation de la structure elle-même. Observer la genèse de ses constituants ainsi que celle des liens qui les
réunissent en un système complexe et cohérent, c’est entrer dans les processus d’autorégulation, donc d’équili-
bration de la structure d’ensemble. L’analyse des conditions d’équilibration revient donc à définir l’organisa-
tion et à comprendre l’émergence des nouvelles connaissances à partir des anciennes.
L’enfant qui agit, introduit inévitablement une transformation dans une situation, et crée ainsi un état. Pour
qu’ il parvienne à comprendre que certaines particularités de cet état résultent des actions qu’il a lui-même exer-
cées, il faut qu’il puisse le comparer à l’état initial (avant transformation). Autrement dit, cela revient à effec-
tuer des abstractions empiriques (lecture perceptive portant sur les configurations). La mise en relation des
deux états se fait donc à partir des ressemblances et différences remarquées par l’enfant. Si le milieu le sollicite
à trouver les raisons de ces changements, le sujet est conduit à évoquer les transformations dont il est respon-
sable. Partant, il extrait de ses actions les particularités correspondant à celles de l’état considéré ; aussitôt, les
deux situations initiale et finale se trouvent définitivement liées par l’action transformatrice.
Notre pratique clinique nous révèle qu’au niveau préopératoire ainsi qu’à celui des opérations concrètes, l’en-
fant parvient à la coordination consciente de ses actions à partir des erreurs qu’il connaît. Toutefois, pour que
celles-ci soient bénéfiques, il faut éviter de le laisser s’enfermer dans des tâtonnements désordonnés qui l’épui-
sent et le découragent. Par des suggestions, verbales ou en actions, nous favoriserons un va-et-vient permanent
entre les situations initiale et finale. C’est ainsi que l’enfant construit les mécanismes mêmes de la déduction.
Or déduire, revient à tirer de l’exercice des actions transformatrices, par des constatations successives, l’expli-
cation de ce qu’elles produisent.
131
En effet, la conjonction des deux modalités facilite tantôt le repérage du chemin restant à parcourir jusqu’à
l’accession à telle ou telle période charnière (lecture synchro-diachronique), et tantôt la synthèse et la
compréhension des progrès accomplis par l’enfant depuis le début de la remédiation ou depuis quelque autre
étape (lecture diachro-synchronique).
La technique repose donc sur un dosage minutieux des questions entraînant des déséquilibrations en vue de
rééquilibrations possibles. Le fait de provoquer des déstabilisations peut paraître paradoxal, par rapport à ce
qui a été dit lors de la présentation de la méthodologie générale. En fait, la remédiation comporte deux étapes
essentielles qu’il ne faut pas confondre. L’une est relative à la problématique générale de l’exercice proposé et
l’autre, plus délicate, succédant à la première, concerne toutes les régulations nécessaires à la construction de
schèmes procéduraux nouveaux. Or, nous savons qu’en devenant complémentaires, ces derniers s’associent
pour constituer un schème d’assimilation permettant la maîtrise du problème posé.
Autrement dit, chaque fois que les enfants sont en période d’accommodation, donc de régulations, le réédu-
cateur se trouve dans une phase d’analyse synchronique des procédures mises en oeuvre par les sujets.
L’étape suivante situe le praticien dans une période d’analyse diachronique des acquisitions. Pour trouver
la juste progression des difficultés, il doit tenir compte du palier d’équilibration atteint par les enfants.
Procédures utilisées
Praticien –"Est-ce qu’on a pareil beaucoup de jetons, ou est-ce que moi j’ai plus ou moins que toi ?"
Enfant-"Moi j’ai plus parce que j’en ai six"
P-"Et moi alors ?"
E-"Toi t’en as 4".
P-"Comment ça se fait ?"
E-"J’ai compté, à chaque fois".
P-"Qu’est-ce que je dois faire pour en avoir pareil que toi ?"
E-"Je t’en donne encore".
P-"Combien tu dois m’en donner ?"
E-"Encore un".
Régulation synchro-diachronique.
Nous permettons à Patrice de relier les deux états initial et final par une action d’adjonction favorisant l’appli-
cation du schème de composition additive.
P-"Combien j’en ai déjà ?"
E-"Quatre".
P-"Si tu m’en donnes encore un, ça fait combien ?"
E-"Alors, t’en as quatre... (Il ajoute un jeton derrière l’écran) et cinq". (Amorce du counting-on). Ah ! Je t’en donne
encore un autre ; alors cinq... et six. Voilà t’en as pareil que moi".
Nous levons l’écran. Il constate avec satisfaction l’équivalence des deux ensembles. Nous répétons l’expérience
plusieurs fois en modifiant les quantités manquantes.
132
Régulations et rééquilibrations du sujet et progrès effectués.
Chaque exercice se caractérise par le même type de procédures. Patrice parvient à équilibrer les deux collections
par itération de l’unité. Toutefois, il réussit à anticiper le nombre de jetons absents et effectue une coordination
entre la quantité manquante et celle qu’il doit rajouter. Le comptage des éléments se fait un à un, lentement.
Chaque adjonction donne lieu à l’évocation de la quantité nouvellement atteinte et ainsi de suite (abstractions
pseudo-empiriques).
Régulation diachro-synchronique.
Les expériences précédemment effectuées ont conduit cet enfant à comprendre que la réunion choix d’un
certain nombre d’éléments finis par former un tout. L’intérêt de ces exercices est d’avoir permis un renforcement de
la permanence de l’objet solide et des quantités discrètes ou discontinues. Ainsi, concevoir l’existence d’une
quantité facilite la construction de la notion d’invariance par la différenciation de deux types d’interventions
possibles, l’une relative à sa forme et ses dimensions et l’autre portant sur l’adjonction ou la suppression d’une
partie de l’ensemble. De fait, chaque sou pourra clairement être défini comme étant égal à la somme de ses
parties.
Nouvelle problématique.
Une boule de pâte à modeler est soumise à transformations. Nous invitons Patrice à la morceler et à considérer
toutes les parties.
Procédures utilisées.
P-"Alors qu’est-ce que tu vois ?"
E- "Plein de petites boules".
P-"Comment tu peux faire pour retrouver la grosse boule ?"
E-"Je les remets toutes ensemble, c’est facile".
Toutefois, nous lui demandons d’ajouter les boulettes une à une. Il constate ainsi l’augmentation du volume
de la boule à vue d’œil. Nous recommençons le morcellement.
P-"Est-ce qu’il y a pareil de pâte que quand c’est en boule ?"
E-"Ah oui, c’est pareil".
P-"Comment tu peux être sûr que c’est exactement pareil beaucoup de pâte ?"
E-"T’as bien vu, quand on remet toutes les petites boules, ça fait le même gros pépère ; regarde !". Il effectue la trans-
formation inverse et déclare :
E-"T’as vu, ma boule, elle est pas plus grosse qu’avant".
133
Régulations et rééquilibrations du sujet.
L’exercice est repris avec deux boules, tel dans l’examen opératoire. Cette fois, Patrice affirme en plus la trans-
formation inverse.
"Comment tu pourrais faire pour prouver à un autre petit garçon qu’il y a pareil beaucoup de pâte que dans l’autre
boule ?". Patrice semble d’abord déstabilisé, outre les arguments d’identité quantitative et de compensation, il
parvient finalement à reconstruire la boule pour la comparer à l’autre (renversabilité). Cette annulation de la
transformation initiale le conduit au premier état. Toutefois, il tourne et retourne les deux boules comme s’il
voulait vraiment se convaincre de leur équivalence quantitative. Il dit enfin :
"moi, je pense qu’il y a pareil parce que tu vois bien que c’est pareil gros, comme tout à l’heure".
Analyse diachro-synchronique.
Nous assistons donc à une nouvelle dynamique intégrative des connaissances. Il retrouve l’état initial, à partir
de l’état final. De fait le lien causal conscient s’exprime à nouveau et se nourrit des succès de ses applications,
par une vérification constante des résultats de l’action. L’action est considérée comme la relation essentielle des
deux états (initial et final). Cela constitue une nouvelle organisation dynamique de la pensée. Son émergence
fonctionnelle est représentée par ce mouvement circulaire dans lequel chaque rétroaction enrichit et nourrit les
schèmes procéduraux nouvellement établis. Cela exprime la coordination des états et démontre la clôture
opérationnelle du système cognitif parvenu à un palier d’équilibration.
Conformément aux invariants méthodologiques de la remédiation, nous favorisons ensuite la transposition de
cette nouvelle forme cognitive à des situations-problèmes dont le degré de complexité demeure identique, véhi-
culant en revanche des contenus différents. Nous passons ainsi des quantités physiques continues aux quantités
numériques pour parachever la construction du nombre cardinal.
Notre activité professionnelle nous a offert un terrain d’expérimentation privilégié où se sont succédé près d’un
millier de sujets dont l’âge varie entre trois et vingt ans. Progressivement, les enseignements tirés de nos multi-
ples tâtonnements sont venus affiner nos connaissances en matière de remédiation.
Grâce à une observation synchro-diachronique, nous avons pu mettre en évidence les micros régulation néces-
saires à la construction de schèmes procéduraux élémentaires, tout en apprenant à régler le degré de complexité
des problématiques proposées. À travers elle, nous avons constaté le rôle primordial des abstractions pseudo
empiriques dans la prise de conscience (1) des propriétés inhérentes aux actions (lien causal conscient), (2) de
la coordination des états, des transformations (renversabilité), ainsi que celui des abstractions réfléchissantes,
généralisant les schèmes nouveaux et aboutissant à la construction des rapports de réciprocité (réversibilité
opératoire).
En suivant les étapes conduisant aux opérations logiques, nous avons donc défini un niveau d’analyse diachro-
synchronique. C’est ainsi que la genèse de l’organisation cognitive est devenue le paradigme de la remédiation
opératoire.
Nous voulons retenir quelques directions cliniques. L’application progressive des compétences nouvellement
acquises à des domaines variés montre clairement l’intérêt d’un apprentissage intégratif. On comprend l’impor-
tance de l’aide que le milieu peut apporter aux enfants. Sans réaliser les coordinations d’actions à leur place, il
est possible d’utiliser chaque palier préalable à la construction d’une structure comme le tremplin pour l’ache-
minement vers d’autres paliers d’équilibration. Mais chaque innovation doit pouvoir être transposée d’une
situation à l’autre afin qu’elle acquière une cohérence généralisable.
134
D - LES REMÉDIATIONS DES SCHÈMES PERTINENTS PROPOSÉES PAR CLAIRE
MELJAC, PSYCHOLOGUE (APPROCHE CONSTRUCTIVO-COGNITIVISTE)
Claire Meljac est psychologue de formation, docteur en psychologie. Son intérêt de longue date pour le nombre
l’a conduite, après la publication de son premier ouvrage Décrire, agir, compter. L’enfant et le dénombrement
spontané. Paris, PUF, à élaborer un instrument d’évaluation, l’UDN (Utilisation Du Nombre), dont la dernière
version, l’UDN 2 est parue en 1999, avec la collaboration de Gilles Lemmel.
Claire Meljac a dressé, à plusieurs reprises, l’éventail des remédiations et prises en charge possibles en dyscalculie,
mais jusqu’à présent, n’avait pas développé d’outils qui lui soient propres.
Dans un chapitre d’un tout récent ouvrage : Bideaud et coll. (2002), Meljac et Charron questionnent l’aide à
apporter à un enfant empêché dans son développement numérique. Ils évoquent tout d’abord les différents
obstacles s’opposant à une avancée fructueuse des programmes susceptibles de favoriser le développement
numérique : multiplicité des cadres de référence entraînant des divergences sur le plan des recommandations,
aspects pathologiques mis entre parenthèses dans la plupart des travaux de recherche le plus souvent centrés sur
le déroulement du développement "normal", outils d’évaluation susceptibles d’aider à déterminer des zones de
fragilité demeurant "à l’état embryonnaire" et ne permettant pas de repérer les "microchangements".
1 - Principes
Toute remédiation met en relation deux personnes dans un contact privilégié. Meljac et Charron exposent les
principes généraux qui modulent leur travail et s’articulent les uns aux autres dans un réseau serré avec des liaisons
réciproques, ce qui justement caractérise les élaborations procédant d’une démarche constructiviste.
135
Alterner les centrations sur les concepts et sur les procédures.
Il convient de savoir repérer ces deux moments, celui où le travail doit se centrer sur le concept et celui où le
travail doit privilégier les algorithmes.
◆ La rupture de développement
Au cours du développement numérique, la pensée de l’enfant est en recherche, il lui arrive de "brouillonner",
c’est-à-dire d’échafauder des schèmes de plus en plus complexes dont la validité demeure pour lui longtemps
incertaine. L’enfant passe alors inévitablement par des ruptures, phases où il s’avère capable de "réussir dans une
tâche A et, dans le même temps, incapable de réussir dans une tâche B pourtant censée…mettre en œuvre les
mêmes compétences." Cette rupture de développement semble être souvent un passage obligé dans le déve-
loppement de certaines tâches du domaine numérique. Illustrons avec l’exemple de Vivian, âgé de 6 ans, l’ob-
servation d’une telle rupture.
Cet enfant est en CP et commence à présenter des difficultés à propos des apprentissages numériques. Vivian
se trouve face à 7+2. Il répond en associant aux doigts de la première main le premier nombre et aux doigts de
la seconde le deuxième nombre, comme il en a l’habitude. Il lève les 5 doigts de sa main gauche et dit : "7",
puis deux doigts de sa main droite et dit "2", puis recompte tous les doigts levés et donne comme résultat "7".
La conception qui est erronée dans ce schème est la pseudo-nécessité qui impose la correspondance stricte entre
un terme et une seule main.
Le rééducateur propose alors à l’enfant de réaliser ce même calcul avec des billes, ce qui permet à l’enfant de
ne pas se tromper. Le premier schème décrit ici est dit "dangereux" car il aboutit à l’échec. Cet insuccès trop
fréquemment répété peut conduire à un étiolement de la pensée logico-mathématique en raison de la frustration
systématique qu’il engendre. Pour cet enfant, le problème A :faire des additions avec des billes n’entraîne pas
l’utilisation du schème dangereux, il est donc optimal. En revanche, si aucun matériel n’est fourni, il peut y
avoir concurrence entre les deux schèmes. Il faut que Vivian approfondisse la connaissance des domaines de
validité des procédures qu’il utilise (ici, on ne peut faire ce type d’additions avec les doigts que pour des
nombres inférieurs à 5).
136
◆ Utilisation de l’analyse décisionnelle des schèmes en construction dans le cadre de la remédiation
A partir du modèle décrit ci-dessus, et à l’occasion d’une erreur conceptuelle commise par l’enfant dans une
tâche donnée, il s’agira de repérer à quel niveau se situe l’enfant de façon à orienter les actions de remédiation.
La démarche d’investigation parcourt les branches d’un arbre de décision diagnostique. Bien entendu, en vertu
des principes cités précédemment, les actions de remédiation visant à construire le schème pertinent et à le
mobiliser avec succès précèderont celles visant à inhiber le schème dangereux.
3 - Conclusion
Les actions de remédiation proposées dans le cadre de cette analyse constituent des détours pédagogiques pour
construire et renforcer le schème pertinent. Pour l’analyse diagnostique et pour la remédiation, le praticien
s’inspirera des épreuves exposées dans la littérature ou reconsidérera "avec un regard de psychologue les
épreuves fournies par les manuels scolaires".
En effet, pour les auteurs de ce modèle, Meljac et Charron, la remédiation est l’apanage du psychologue. Ils
estiment que les travaux fondamentaux dans le domaine du développement numérique relèvent sans ambiguïté
de la psychologie. Seuls ceux-ci peuvent se montrer garants de cet héritage et faire valoir un point de vue
constructiviste spécifiquement centré sur la nature des interactions entre un enfant dans sa globalité et des
contenus de connaissance. C’est donc à eux seuls qu’il revient de prendre en charge de telles pathologies.
137
E - LES RÉÉDUCATIONS DES DYSCALCULIES PROPOSÉES PAR
ALAIN MÉNISSIER, ORTHOPHONISTE (APPROCHE NEURO-CONSTRUCTIVISTE)
Pour se forger un outil de travail, il a paru nécessaire à Alain Ménissier d’aller investiguer plusieurs champs
théoriques. Ceux-ci ne l’ont pas mené à un outil rééducatif, mais l’ont amené à réinscrire en premier lieu l’acte
rééducatif dans une globalité. Bien au-delà des méthodologies, le rééducateur se doit de s’approprier une
méthode. "C’est la théorie qui détermine ce que nous pratiquons" Ménissier (1997). En effet, si une théorie
peut se définir comme une explication dont les faits s’imbriquent, alors elle donne un sens aux faits et permet
d’organiser des éléments qui, au départ, a priori, semblent désorganisés. Mais ce chemin s’organise en double
sens, il est à la fois regard sur le chemin suivi, donc constatatif, et regard sur le chemin à suivre, donc normatif.
Pour suivre ce chemin, nous avons besoin d’élaborer des modèles. Ces modèles sont à rechercher ailleurs que
dans le champ rééducatif.
138
• La psychologie cognitive, en particulier Fayol et son apport dans le domaine du nombre et de la numéra-
tion. Pour Ménissier, la psychologie cognitive occupe une fonction référentielle dans la pratique quotidienne.
Il s’agira de distinguer les compétences et les performances. Les premières sont constituées d’un ensemble de
capacités organisées et ne peuvent être inférées qu’à partir des performances. Ces dernières "restent soumises
aux contraintes propres aux situations et ne sont, de ce fait, que le reflet amoindri des compétences."
Ménissier (1997).
• La neuropsychologie et plus particulièrement le modèle de traitement numérique issu de la neuropsychologie
cognitive chez l’adulte M. Closkey et coll.( 1985) et adapté à la dyscalculie développementale par Sokol et
col. (1994) permet de sélectionner les différentes composantes impliquées et de définir un lexique très particulier
à cette manipulation de chiffres et de nombres.
139
Ce temps de fonctionnement est un temps privilégié pour que s’opèrent des micro changements. La notion
de micro-changement décrite par l’école post-piagétienne de Genève Inhelder, Cellérier peut se mettre en
parallèle avec les propositions de l’analyse systémique. Lorsqu’on a un système et que l’on en change un
élément, si l’organisation n’est pas changée, le système n’en sera pas perturbé. Par contre, si une des relations
du système est changée, alors c’est le système dans son entier qui sera changé. Il en ressort deux éléments :
d’une part, la nécessité d’être en-dehors du système pour pouvoir le changer, d’autre part si on trouve le bon
moment pour changer ce "petit peu", la "pars pro toto" est modifiée, la partie pour le tout, et par là même
l’ensemble du système. Il s’agit de montrer à l’enfant que les choses ne sont pas inéluctables, que cela peut
changer très vite. Etre au plus près de ces micro-changements, c’est pouvoir partir d’un bilan pour lier l’éva-
luation au travail. C’est se fixer des objectifs de rééducation, puis devenir attentif à tous ces petits riens ; c’est
la rencontre du présent inédit, on rebondit sur ce que dit l’enfant sans forcément savoir où l’on va.
• l’idée de re-mémorisation et de réflexion, comme actualisation des connaissances et des représentations et
comme réflexion sur elle-même,
• l’idée de référence avec quatre passages entre la dimension initiale de rééducation et le postulat de discipline
spécifique :
- notre discipline se doit d’être défendue par les rééducateurs qui la pratiquent,
- la rééducation doit maintenant se construire une méthodologie,
- il convient d’installer une circulation des acquis théoriques entre les professionnels,
- le rééducateur doit se préoccuper de la visibilité de la rééducation, repérer les micro-changements sans
perdre de vue la globalité de la rééducation.
• l’idée de récursion et de bouclage de la récursion : il s’agit penser les boucles de régulation, de reconnaître les
interactions et de les contrôler,
• l’idée de recherche et de re-marque : il est nécessaire d’effectuer un va-et-vient entre théorie et pratique dans
le double mouvement de penser sa pratique et de pratiquer son savoir.
L’idée de re-marque indique que le chemin est à construire à chaque moment, à nous d’épurer jusqu’à la
naïveté l’instant de rééducation, sans oublier que le chemin et la méthode sont à construire à chaque moment.
Rééduquer, c’est refuser la sécurité tranquille du connu. L’essentiel n’est pas dans le "toujours plus", il est bien
au contraire dans la banalité, au sens littéral du mot. Arriver à cette simplicité est l’aboutissement de l’acte
thérapeutique.
Matériel proposé
Pour Ménissier, la question n’est pas de savoir avec quoi l’on travaille, mais comment l’on travaille, comment
l’on pratique pour placer l’enfant en situation de construire les outils qui lui manquent. Il estime qu’à une
époque où l’on est en mesure de posséder de bons outils, tout matériel devrait être conçu avec un support
théorique préalable. C’est en accord avec sa théorie de l’instrument qu’il a construit du matériel de rééducation.
Les jeux de l’âne, Ménissier (2000) ( Activités Numériques Elémentaires). Le dénombrement est une activité
mentale complexe, dont il convient de prendre en compte deux types de modalités : celles qui sont liées à la
compétence, inobservable et indépendante des conditions de réalisation, et elles qui sont liées à la performance,
soumise aux contraintes propres à une situation. La performance se situe toujours à un niveau inférieur à la
140
compétence et l’habillage pédagogique entraîne des performances très différentes chez un même enfant.
Ménissier propose des exercices permettant des dénombrements de collections disposées de différentes façons
pour favoriser l’émergence des stratégies de réussite de l’enfant. Il s’agit d’aider l’enfant à gérer son activité dans
le déroulement du dénombrement d’une collection donnée. "En lui facilitant la tâche en diminuant les
contraintes liées à la performance, on tend à se rapprocher des compétences effectives de l’enfant et récipro-
quement, en ajoutant certaines contraintes, on amène l’enfant à dépasser son niveau actuel de performance. Le
matériel aide l’adulte à guider l’enfant dans la "zone proximale de développement" chère à Vigotsky Ménissier
(2000). Les jeux numériques s’attachent à développer une tâche qui paraît, à priori, très élémentaire : le pointage.
Le pointage s’effectue de deux façons : soit avec le doigt, soit avec le regard. Dans les deux cas, l’enfant doit
repérer et conserver en mémoire ce qui a été pointé pour ne pas le pointer à nouveau. Certaines dispositions
favoriseront ce repérage alors que d’autres le gêneront.
Point d’interrogation, logiciel de rééducation des problèmes additifs et soustractifs.
Ce logiciel a été conçu à partir de la typologie des problèmes additifs présentée par Fayol (1990), des facteurs
de formulations soulevés par Fayol et Abdi (1986) et des six grandes catégories de relations additives décrites
par Vergnaud (1981).
L’auteur y a donc fait intervenir de nombreux critères intervenant dans la réussite d’un problème tels que
• la structure sémantique des problèmes,
• l’ordre d’introduction des données,
• l’emplacement de la question,
• l’emploi de termes linguistiques spécifiques,
• le temps des verbes utilisés,
• la pertinence des informations à traiter.
A partir de 110 problèmes de base, Point d’Interrogation permet d’en réaliser potentiellement plus de 700. Il
offre au praticien la possibilité de contrôler chaque situation-problème par la maîtrise de l’inconnue à trouver
selon que l’on donne à rechercher un état ou une transformation, par la maîtrise de l’opération mentale suivant
le type de problème choisi (changement, combinaison, comparaison …).
Le logiciel, permet d’autre part une souplesse d’utilisation par le choix laissé au praticien de construire chaque
problème en tenant compte de la place de la question, la présentation en ordre chronologique, en aléatoire ou
de la présence de distracteurs. De nombreuses recherches en psychologie cognitive du calcul menées ces vingt
dernières années ont montré l’importance de ces facteurs dans la traduction des données d’un problème. Ces
problèmes peuvent être présentés à des enfants de cours élémentaire et de cours moyen, comme à des adolescents
et à des adultes.
141
Qu’est-ce qu’ apprendre ? Qu’est-ce que comprendre ? Qu’est-ce que penser ? Qu’est-ce que raisonner ?
Autant de questions que nous nous posons sans cesse en tant que rééducateur, devant l’enfant, qui se trouve en
face de nous pour des difficultés en mathématiques.
Notre rôle est de décrypter les raisons de cette incapacité à penser "bien".
Si, à l’heure actuelle, les élèves ayant des difficultés en lecture, écriture ou orthographe sont dépistés couram-
ment dans le milieu scolaire et adressés pour un traitement, il n’en est pas de même sur le fait d’échouer en
mathématiques. La notion d’évidence aveugle tellement celui qui est à l’aise dans ce domaine, qu’il est bien
difficile pour tout un chacun, qu’il soit enseignant ou parent, d’oublier ce qui "crève les yeux" pour s’introduire
dans la pensée de l’enfant afin de suivre ses raisonnements et "ses non-fonctionnements". Elle est bien là sa
souffrance.
Par voie de conséquences apparaît, décuplée, l’importance de notre attitude et de notre capacité d’adaptation,
lors d’un bilan, pour que chaque épreuve soit vécue comme une réussite.
Pour nous la question est bien la suivante : est-il possible d’apprendre à raisonner ? Est-il pensable de réédu-
quer ces enfants présentant un réel désordre dans l’organisation de la pensée logique ?
Chez eux, l’édification de leur raisonnement ne se construit pas sur des évidences. Ils tentent désespérément de
faire fonctionner leur mémoire, mais il n’y a aucune mesure entre le fait de raisonner et celui de se souvenir. Ils
ne sont pas aptes à s’approprier les savoirs dispensés à l’école, au collège ou au lycée. Ils n’ont pas pu, seuls, se
forger leur outil de pensée.
Un artisan, s’il veut réaliser une oeuvre, a besoin d’outils. Or Francine Jaulin-Mannoni parlait "d’outils logico-
mathématiques".
La tâche du rééducateur va donc consister à aider le patient à organiser ou à consolider les bases trop fragiles
de son édifice cognitif.
Cela exige de nous une connaissance approfondie :
• des filiations de structures qui sous-tendent chaque domaine exploré,
• des carences qu’entraînent dans un domaine ou un autre des déficits spécifiques,
• de l’analyse des facteurs de mobilité et de réversibilité de la pensée chez le sujet,
• des techniques à utiliser pour parvenir à la capacité d’intérioriser les actions, de coordonner les points de vue,
d’anticiper le résultat des actes accomplis, de déduire et de généraliser.
Bernadette Gueritte-Hess est une professionnelle formée au GEPALM ; elle est donc capable d’inventer des
activités qui ne sont pas centrées sur l’apprentissage de contenus, mais sur la mobilisation de processus
mentaux. Les activités sont judicieusement choisies en fonction des constructions logiques à développer chez
le sujet, compte-tenu de la spécificité de ses troubles et de sa personnalité. Elles mobilisent son intérêt parce
qu’elles s’inscrivent pour lui dans du sens. Elles permettent que se développent des compétences nécessaires à
l’appropriation des savoirs scolaires. Les pièges du placage et du conditionnement sont ainsi évités.
Bernadette Gueritte-Hess a exploré les contenus scolaires avec cette centration sur la capacité de l’enfant à
mobiliser des processus mentaux. Déjà dans son ouvrage publié avec Michelle Bacquet, Le Nombre et la
Numération, Pratique de rééducation (1982), elle se penchait sur l’échec en calcul et, constatait que, chez les
enfants que nous recevons en rééducation, le sens du nombre n’est pas acquis et la numération jamais construite,
entraînant l’échec dans la lecture et l’écriture des nombres, une peur panique à la vue des chiffres, l’échec dans
la technique et la compréhension des quatre opérations.
Ces auteurs ont alors élaboré de multiples exercices pour préparer l’accès au sens du nombre.
Nous allons exposer ici un exemple sur la division-partage pratiquée avec des enfants de maternelle.
142
◆ DIVISION PARTAGE (maternelle) "Journée pas de jaloux"
Matériel : les enfants ont un sac avec 4 bonshommes en plastique de même taille et 12 cartes.
1ère consigne : "Vous distribuez des cartes à tout le monde, (à tous les bonshommes) et pas de jaloux, tout le
monde est pareil".
Quand les enfants ont distribué leurs cartes, on leur demande de se mettre des œillères avec leurs mains et de
regarder les bonshommes un par un pour voir si il a pareil que les autres.
- celui-là, "il a combien ? Réponse : 3 et à côté ? Réponse : 3…
Tout le monde a-t-il pareil ? Réponse : oui
2ème consigne : "On enlève un bonhomme, on le met sur sa chaise, et on distribue les cartes, et pas de jaloux,
tout le monde a pareil".
3ème consigne : "On enlève encore un bonhomme", on le fait pareil pour les deux.
4ème consigne : "On enlève encore un bonhomme", l’autre bonhomme aura toutes les cartes. Il n’y en a qu’un.
143
Il est à l’évidence essentiel de comprendre que les mouvements de pensée s’appliquent à toute réflexion, qu’elle
soit d’ordre langagière, pratique ou théorique, et que la résolution des problèmes posés en calcul ou en mathé-
matiques ne sont qu’un cas particulier. Le raisonnement est par définition abstrait, et même si les problèmes
ressemblent souvent à un pseudo-concret, il est nuisible de faire croire aux enfants qu’on le résout en partant
du concret. Comme dit Francine Jaulin-Mannoni, "l’abstrait n’est pas un concret dépouillé".
Seul un test clinique est réellement utile à l’orthophoniste. L’orthophoniste est confronté à des personnes en
difficulté et il doit les comprendre dans ce qu’elles ont de singulier, poussant aussi loin que possible son analyse
pour en déduire le traitement.
Au niveau théorique, Hélène Koppel se réclame de Jean Piaget (elle fit des études à l’institut Jean-Jacques
Rousseau à Genève avec Piaget et Inhelder, puis à la Sorbonne avec Piaget et Gréco), de G. Guillaume et de
Denise Sadek (pour la mise en évidence des mouvements de pensée à la base de la langue).
◆ Un test clinique
L’auteur cherche, avec ce test, à déterminer si l’enfant a atteint un stade d’opérations mentales lui permettant
de résoudre les problèmes posés par la pratique du calcul. Ensuite il s’agira de découvrir le champ propre de ses
difficultés pour pouvoir y remédier. Les épreuves proposées investiguent plusieurs domaines :
• organisation spatiale,
• organisation temporelle,
• nombre,
• réversibilité et déductions,
• langage,
• automatismes,
• notion de recherche.
144
◆ Orientations possibles de la rééducation à la suite du test
À la suite du test, sont travaillés successivement les domaines précédents où l’enfant est en difficulté. Hélène
Koppel préconise, de façon transversale, les points suivants : parfois il faut savoir perdre du temps pour en
gagner et ne pas hisser un enfant à un stade qu’il aurait pu acquérir seul un peu plus tard. Il s’agit de mettre
l’enfant en position telle qu’il puisse découvrir ou inventer.
Citons un exemple : épreuves des ronds (environ sept ans) :
Vers le milieu d’une bande de papier on dessine un rond rouge, puis trois ronds bleus.
Devant l’enfant on place la bande sous un livre uni, on la fait glisser et on demande à l’enfant de deviner de
quelle couleur sera le rond qui viendra le premier.
On tire dans l’autre sens et on pose la même question.
145
Tout en se situant dans le plan spatial, cette épreuve porte avant tout sur la réversibilité. Si l’enfant échoue, il
semble important de lui faire prendre conscience des différences de points de vue, d’abord dans des aspects
parfaitement concrets. L’observation des côtés "pile et face" est assez évidente et permet très vite à l’enfant de
saisir que, si l’objet est situé entre lui et l’adulte, chacun voit une autre face de la pièce, du dé, de l’ours ou de
la maison. À partir d’un dessin montrant par exemple une maison avec des branches d’arbres qui dépassent,
l’enfant se représentera ce que peut voir un personnage situé de l’autre côté.
Hélène Koppel inclut l’éducation mathématique dans l’éducation plus générale du langage. Cette éducation
plus générale du langage n’est bien sûr possible qu’après une analyse rigoureuse des difficultés de l’enfant.
Comme l’affectivité et l’intellect sont les deux faces d’une même force toujours à la recherche d’un nouvel équilibre,
la rééducation sera la construction rigoureuse d’un système de pensée, appliquée aux intérêts, goûts et passions
de chaque enfant, qu’ils soient "naturels" ou découverts dans la joie du partage.
146
C - LES RÉÉDUCATIONS DES DIFFICULTÉS DANS LES APPRENTISSAGES
MATHÉMATIQUES CENTRÉES SUR LES STRATÉGIES D’APPRENTISSAGE
ET LES CARACTÉRISTIQUES PERSONNELLES DE L’APPRENANT PROPOSÉES
PAR FRANCE PAGÈS, ORTHOPHONISTE FORMÉE À LA GESTION MENTALE
1 - Présentation de la Gestion Mentale
La Gestion Mentale, mis au point par Antoine de La Garanderie (1982) est sûrement la démarche d’apprentissage
la plus connue, et donc en conséquence, la plus amplement critiquée par les scientifiques parmi les techniques
proposant des procédures proprement pédagogiques et visant au développement de l’enfant. Elle est basée sur
un ensemble de considérations philosophiques et aussi, sur l’expérience personnelle de l’auteur, atteint de
quasi-surdité infantile.
La gestion mentale consiste en une démarche de travail qui donne à l’enfant les moyens de réussir. Au rééducateur
comme au patient, elle apporte des informations pertinentes sur les raisons du problème, et autorise ainsi des
choix thérapeutiques adaptés à la situation. Elle consiste en un travail mental, réelle prise de conscience d’une
intériorité. En effet, c’est par l’introspection que l’enfant découvre les modalités de sa pensée au travail, en
évalue la pertinence et, se fondant sur la découverte de ressources ignorées jusque-là, s’y adapte.
Le concept-clé d’Antoine de La Garanderie est celui d’images mentales (à majorité visuelles, ou bien auditives,
selon les sujets). Ces images mentales qui conduisent de la perception à la conceptualisation sont indispensa-
bles à la mémorisation et à la compréhension. La gestion mentale doit conduire l’apprenant à utiliser au mieux
ces deux modalités sensorielles.
2 - La démarche
◆ Le profil pédagogique
La recherche des processus familiers de pensée permet d’établir un profil pédagogique ; celui-ci servira de guide
tout au long de la rééducation. Ce travail de reconnaissance des moyens mentaux que se donne l’enfant est en
lui-même thérapeutique puisqu’il l’engage dans une démarche de reconnaissance de son identité cognitive. On
va aider l’enfant à quitter le domaine extrinsèque du résultat pour celui, intrinsèque, des évocations par
lesquelles il reprend les informations reçues.
147
portera donc sur le geste lui-même, c’est-à-dire sur l’enchaînement des évoqués. Sera visé l’élargissement de
cet imaginaire en l’inscrivant dans la durée de l’existence de l’enfant et dans son appartenance à une commu-
nauté. Comme le souligne France Pagès dans le colloque "orthophonie et gestion mentale" du 24 octobre
1995, par son action structurante sur le cognitif, la Gestion Mentale apaise et influence positivement l’affectif.
• projet de confrontation entre objets perçus et évoqués afin d’en dégager des rapports logiques dans le geste
mental de compréhension. Les liens entre la mémorisation et la compréhension — réflexion sont puissants.
Ils obligent certains sujets à apprendre avant de comprendre et d’autres à comprendre pour pouvoir
apprendre.
• projet de retour en évocation sur ses acquis dans le geste mental de réflexion.
• projet de perception de l’univers pour en dégager les aspects inédits dans le geste mental d’imagination.
L’orthophoniste qui travaille en gestion mentale sait qu’elle doit aider l’enfant à se constituer des champs de
référence dans les deux sources d’inspiration de l’homme : la nature et les oeuvres humaines. Le rééducateur
proposera des rencontres avec la langue à travers les plus belles pages de notre littérature. Les enfants découvri-
ront la force créatrice des mots grâce aux images mentales qu’ils font naître.
◆ Rééduquer la dyscalculie
Prendre en compte l’activité mentale de l’élève aux prises avec une tâche d’apprentissage, lui permette d’en
devenir conscient pour qu’il en ait la maîtrise ; lui proposer de la modifier pour qu’il devienne performant, tout
cela s’applique bien entendu à la dyscalculie et, en amont, à l’enseignement des mathématiques. Armelle
Géninet (1998) a beaucoup écrit sur la Gestion mentale en mathématiques. France Pagès, commence, elle, à
adapter les contenus et les enseignements de la Gestion mentale à la rééducation des dyscalculies. Elle estime
que l’acte mental de compréhension s’effectue dans les mêmes formes, qu’il s’agisse d’abstraction mathématique
ou de tout ce qui est lié à la vie quotidienne. "Cependant, la spécificité de l’objet mathématique impose des
contenus évocatifs différents car il faut sortir de la représentation matérielle pour gérer des signes en y appli-
quant des liens logiques".
Considérons l’exemple qu’elle cite comme difficulté du passage de la réalité à l’abstraction. Soit la notion de
décimètres. Les contenus mentaux que cette notion suscite varient suivant les habitudes évocatives. Il faut
apprendre à déshabiller le réel pour penser avec des évoqués mathématiques afin d’en extraire plus facilement
les liens logiques. Mais l’objet mathématique résiste souvent à la pensée, du fait de ses nombreuses caractéris-
tiques. France Pagès qualifie ainsi l’objet mathématique :
• il n’existe que dans notre tête : la droite définie par Euclide n’est ni la représentation du cahier, ni la ligne
droite que j’observe dans la réalité, c’est une classe d’équivalence,
• il est un objet complexe fait d’un ensemble de relations : "3" nomme un lien que j’opère entre trois objets et
non les objets eux-mêmes,
• il cache son histoire : quand on écrit 10, on a d’abord compté 9, ajouté une unité, réuni 10 unités pour en
faire une dizaine, ce que l’on signifie par un 1 à gauche pour noter la dizaine et un 0 à droite pour l’unité,
• il oblige parfois à dissocier le vu du dit : je vois trois 1 quand j’écris 111 et quand je le parle, je n’emploie
jamais le mot un,
• il oblige à dissocier le vu du pensé : je vois écrit la fraction 2/3 qui nomme une part de gâteau et dans ma tête
je dois partir du gâteau, le couper en trois et en prendre deux parts,
• il implique souvent une construction mentale inhabituelle. Si je dis 3 cm, je vois une longueur de 3 cm. Si
je dis 3 cm2, je ne dois pas faire un carré de 3 cm de côté parce que le mot carré n’étant pas un adjectif mais
un nom, ne fusionne pas avec le nom centimètre,
• les codes utilisés sont souvent polysémiques : lorsque je dis 3 fois 3, le premier 3 parle de cubes, le deuxième
parle de rangées ou de colonnes ou de l’acte de répétition.
Dans toute rééducation, il s’agit d’abord d’enseigner les gestes mentaux, puis de créer des situations qui vont
nécessairement obliger l’enfant à utiliser les bons gestes mentaux.
Beaucoup d’enfants dyscalculiques sont plutôt des "verbaux" qui ne voient rien, qui se parlent, et dans les
mathématiques, il y a beaucoup de choses à voir. Il convient donc de relire l’énoncé avec eux, de leur demander
de se "remettre dans la tête", de les inciter à se parler d’abord sans chercher à voir.
148
Par exemple, au niveau de l’apprentissage de la numération, les enfants très "visuels" gèrent dans l’espace et il
faudra qu’ils comprennent la relation d’inclusion des 10 unités à la dizaine. Il faudra qu’ils apprennent à penser
la dizaine comme étant à la fois 10 et une dizaine. Pour les enfants "auditifs" on se situera au niveau du geste
mental dans la temporalité : d’abord j’en ai un, j’en ai deux, j’en ai trois... j’en ai 10, j’ai une dizaine. Ces
enfants vont être incités à fabriquer la dizaine mentalement. La manipulation est nécessaire aux enfants qui
peuvent y sélectionner soit des indices spatiaux, soit des indices temporaux. Le rééducateur incite l’enfant
"visuel" à revenir sur ce qu’il a fait, l’enfant "auditif" à penser au résultat, pour obliger la pensée à ne pas
toujours être dans un même système, puisqu’on a tendance à fonctionner dans des habitudes évocatives alors
que ce qui signe l’intelligence, c’est précisément la capacité d’adaptation.
◆ Evaluation de l’outil
Le développement ou la rectification d’une imagerie visuelle d’appoint, assez proche de celle utilisée en langage
écrit par de la Garanderie, pourrait améliorer les capacités de calcul. "Certains troubles en calcul, où des
patients ont établi une ligne visuelle de représentation des numérosités défectueuses, bénéficierait favorable-
ment du rétablissement d’une ligne de représentation normale", selon Meljac (citant Butterworth, 1999).
Mais la pratique de l’outil Gestion Mentale qu’est le "dialogue pédagogique" est aussi un moyen d’investiga-
tion des difficultés de compréhension des mathématiques au sein de la classe. Elle permet aussi à l’enseignant
de reconsidérer sa pratique pédagogique en repérant les directions dominantes qu’il a installées dans ses
pratiques de classe et en les ajustant à un plus grand nombre d’élèves (Armelle Géninet, 1998).
149
Nous pouvons évoquer ici une proposition thérapeutique, exposée par L. Girelli, neurologue autrichien, dans
le même ouvrage. L’auteur expose la rééducation du transcodage numérique, la rééducation des capacités de
calcul, la rééducation de la résolution des problèmes. Ces rééducations sont menées par ré-entraînement des
procédures de calcul altérées. Les interventions thérapeutiques ont principalement consisté à présenter aux
patients des tâches numériques et de calcul analogues à celles utilisées en diagnostic clinique. Il apparaît que
les programmes de rééducation futurs devraient inclure des tâches plus écologiques : manipulations d’argent
pour composer une somme donnée ou rendre la monnaie, par exemple. L’auteur estime que le recours à de
telles tâches et à du matériel concret peut faciliter la généralisation des effets thérapeutiques à des situations
réelles, ce qui constitue le but ultime d’un programme de rééducation.
Enfin, les tentatives de rééducation se sont jusqu’à présent focalisées sur les troubles du transcodage numérique
(Deloche et coll., 1989) et les troubles du calcul (Girelli et coll, 1996), et, parmi ceux-ci, ce sont les troubles
de la connaissance arithmétique simple qui ont été les plus étudiés.
À l’heure actuelle, aucune direction précise quant à la manière de traiter les différents troubles pouvant s’ob-
server dans la pratique clinique ne peut être fournie par la neuropsychologie.
150
raisonnement opératoire. L’accent est mis sur l’anticipation, la réflexion, la compréhension des différentes
actions et leurs conséquences.
Il enrichit son vocabulaire mathématique et met du sens à tout ce qu’il fait. Tout est fait pour utiliser les images
mentales et leur évocation.
A partir de six planètes, leurs habitants ( les Astromens, les Bouboules, les Concombres, les Castagnettes et les
Mégrils ) vont vivre des aventures qui entraîneront le sujet à réfléchir à partir de petites scènes sur les notions
d’addition, soustraction, différence, multiplication et division.
Association d’énoncés/textes/scénari, compréhension d’énoncés, résolution de problèmes et la bonne action
sont les 4 grands chapitres de ce logiciel.
• Par exemple, dans "Résolution de problèmes", on propose un petit scénario dans lequel une partie est cachée
pour que le patient trouve soit a+b=?, soit a+?=c, soit ?+b=c pour l’addition et de même pour toutes les autres
opérations.
• Dans "Association d’énoncés/textes/scénari", un même problème pourra être abordé en partant du scénario
pour trouver l’opération ou le texte correspondants, mais également on pourra démarrer de l’opération pour
aboutir au texte ou au scénario et ainsi de suite.
• Dans "compréhension d’énoncés", le sujet est invité, à partir d’une histoire écrite, à dire si oui ou non il pour-
rait répondre à des questions, s’il a les éléments pour trouver une réponse sans pour autant la donner ; c’est
en quelque sorte un tri d’informations qu’on attend de lui.
• Dans "La bonne action", l’enfant doit réfléchir à l’action qu’il a vue à l’écran. A-t-on ajouté, enlevé, répété
ou partagé ?
Chaque domaine propose une multitude de situations variées afin que l’enfant ne se retrouve pas dans un
travail fastidieux, répétitif et stérile. Aucun résultat "scolaire" n’est attendu ; seules comptent la compréhension
des situations et leurs implications. Le rapport au sens est constant.
Ce logiciel apporte une aide complémentaire à la rééducation grâce à sa présentation extrêmement ludique qui
passionne l’enfant et grâce à ses nombreux paramétrages qui permettent une grande souplesse et une adapta-
tion maximale.
Le patient navigue dans un univers imaginaire à travers cet outil qui fait la transition entre tout le travail réédu-
catif de manipulation indispensable et les problèmes mathématiques qu’il doit résoudre à l’école.
VI – CONCLUSION
Nous aimerions conclure avec Pierre Dessailly, logopède en Belgique, qui pose "la délicate question de la
légitimité, de l’opportunité et de la spécificité de notre intervention" (1999).
Il pose quelques questions structurantes que l’on ne pourra plus contourner dans les années à venir :
Qui doit prendre la décision de l’intervention d’un rééducateur ou d’un thérapeute en cas de difficultés d’ap-
prentissage en calcul ? Si ces difficultés avaient été prises à temps, des mesures de remédiation pédagogique
appropriées n’auraient-elles pas été suffisantes ?
Un certain nombre d’échecs ne pourraient-ils pas être évités par un enseignement des mathématiques davantage
centré sur l’individualisation des apprentissages, en prenant en compte les stratégies cognitives personnelles à
chaque enfant ?
Quelles sont les compétences souhaitables pour un orthophoniste spécialisé dans la prise en charge des difficultés
ou troubles en mathématique ?
Les orthophonistes sont au quotidien assaillis de ces questions ; "en quête d’un minimum d’identité et d’efficacité
professionnelles", ils "n’ont pas renoncé à s’interroger sur les finalités de leur mission et sur la fonction qu’ils
remplissent dans le champ psycho-médico-social."
Pierre Dessailly souligne la nécessité de concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, ceci au moyen
d’une démarche constructive et opérationnelle établie sur la base d’un langage commun.
Bien sûr, nous pensons comme lui qu’il n’existe pas une "dyscalculie", "mais des enfants, tous différents,
présentant des difficultés toujours singulières qu’il importe d’aborder avec d’infinies précautions".
Nous avons en perspective la transformation progressive du rapport au savoir de l’enfant, sans laquelle aucune
rééducation orthophonique ne saurait être.
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