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Que reste-t-il des alternatives pédagogiques et éducatives

en éducation ?
Laurent Ott
Dans Mouvements 2007/1 (n o 49), pages 73 à 81
Éditions La Découverte
ISSN 1291-6412
ISBN 2707150940
DOI 10.3917/mouv.049.0073
© La Découverte | Téléchargé le 14/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 90.59.143.15)

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Que reste-t-il des alternatives
pédagogiques et éducatives
en éducation ?

L’école est moins envisagée comme ouverture sur le monde PAR LAURENT OTT*
extérieur qu’elle ne cesse de se replier sur elle-même. Telle est
la triste réalité qui prévaut depuis plus de 20 ans, en France.
Par un retournement inédit, tout conduit à opposer la
transmission des savoirs à l’éducation et à la pédagogie.
Les éducateurs sont à la fois décriés et soumis aux nouvelles lois
et réglementations régissant de plus en plus étroitement
le monde scolaire. Les parents sont sommés de prendre leurs
responsabilités face aux problèmes éducatifs de leurs enfants
tout en étant qualifiés de démissionnaires. Ainsi, les malentendus
scolaires et les inégalités sociales s’accroissent, à l’école comme
dans les loisirs. Face à ce renoncement éducatif, il existe pourtant
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des alternatives : une pédagogie progressiste, prenant appui
sur le collectif, l’expression et la coopération. Face aux blocages
de l’institution, une stratégie de réappropriation de l’école par
ses propres acteurs est possible.

S i jusque dans les années 1980, on pouvait croire que bon an, mal
an, malgré les résistances et les persistances du passé, les pratiques
éducatives évoluaient dans un sens que l’on pouvait définir par l’ou-
verture sur le monde extérieur, par un accent sur l’expression et l’initiative
des enfants et des jeunes, force est de constater que ce sens a changé.
En effet, depuis 1984 et les instructions officielles d’un ministre qui se
désignait lui-même comme « l’ombre de Jules Ferry », le ton est donné en
ce qui concerne les évolutions et les changements à l’école. Toujours plus
de déni d’éducation, de concentration sur des savoirs qui sont qualifiés de
« fondamentaux », mais qui n’en sont pas pour autant moins réduits, inter-
prétation de la difficulté scolaire ou de la résistance des enfants par le * Éducateur, enseignant
prisme de l’indiscipline ou des manquements parentaux. et philosophe.

MOUVEMENTS N°49 janvier-février 2007 l 73


Le gouvernement des enfants

l On n’en est même plus à défendre des alternatives


mais le droit à l’éducation lui-même
Les ministres et les majorités n’ont cessé de changer, et le mouvement ne
s’est pas inversé, exception faite de la loi d’Orientation de 1989, instituant les
cycles et limitant les redoublements, peu appliquée dans son esprit et depuis
lors rectifiée par Fillon. La morale générale était est la suivante : l’école qui
doit faire face aux nouveaux besoins éducatifs et sociaux des familles et des
jeunes, n’entend pas prendre en compte ces besoins. Au contraire, elle
affirme que son travail est du côté de la transmission des enseignements et
pas du côté de l’éducation, à moins qu’on entende par éducation le contrôle
ou la sanction du comportement jugé
erroné des enfants et le fait d’exiger des
Cette coupure de l’école sur parents qu’ils trouvent des solutions à
la vie et sur l’environnement celui-ci.
Entre-temps, ce mouvement de repli
s’est accompagnée, par le de l’école sur elle-même n’a cessé de se
nourrir d’autres plans et réformes. Le
sentiment, chez les plan Vigipirate, permanent depuis la fin
enseignants, que des années 1980, n’a toujours pas fait la
preuve d’une quelconque utilité dans la
l’environnement social et protection des enfants, mais a été très
efficace pour nuire à la communication
parental était dangereux. des parents et des enfants, pour limiter
les sorties scolaires des petits banlieu-
sards vers Paris, ou encore l’éducation aux transports en commun perpé-
tuellement interdits en région parisienne.
Il faudrait également citer la complexification constante des réglemen-
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tations en matière de séjours hors de l’école, de sorties scolaires (via
Ségolène Royal notamment), ou d’activités physiques et sportives, qui ont
conforté les enseignants dans l’idée que la classe traditionnelle et close est
le dernier espace de sécurité de l’enseignant contres les mises en cause de
sa responsabilité; et encore, pour être vraiment tranquille il faut aussi inter-
dire aux enfants d’aller seuls aux toilettes, de se déplacer en classe ou dans
les couloirs, etc.
Cette coupure de l’école sur la vie et sur l’environnement s’est bien
entendu accompagnée, au fur et à mesure qu’il s’éloignait, par le senti-
ment, chez les enseignants, que l’environnement social et parental était
dangereux et hostile; dès lors les rencontres avec les parents sont souvent
limitées au strict minimum, organisées collectivement lors de grandes
messes comme pour la rentrée des classes, la fête d’école ou la remise
solennelle des bulletins. Les parents sont priés de défiler les uns après les
autres pour écouter les remarques ou les plaintes des enseignants au sujet
de leurs enfants.
Il n’y a pas jusqu’à la toute petite semaine des parents à l’école mise en
place au début des années 2000 par Ségolène Royal, et qui n’avait de toute
façon jamais duré plus d’une journée ou une demi-journée, qui ne soit
devenue lettre morte.

74 l MOUVEMENTS N°49 janvier-février 2007


Que reste-t-il des alternatives pédagogiques et éducatives en éducation ?

Aujourd’hui c’est l’éducation elle-même qui est décriée et mise en


danger. On ne cesse d’entendre que celle-ci « ne marcherait pas » comme
si tous ces êtres humains qui composent la société n’étaient pourtant pas
la preuve du contraire...
Mais rien n’y fait, les éducateurs ne sont décrits ou soutenus par les
médias qu’en tant que « dépassés », « agressés », « impuissants ». Si au
contraire, ils affirment être en mesure de faire leur travail, s’ils ont des pro-
jets, des demandes et une ambition, et si, pire encore, ils disent qu’ils
aiment leur travail et estiment leurs élèves, ils sont alors dénoncés comme
de dangereux laxistes ou des démagogues et se font traiter de tous les
noms par des associations sur-médiatisées du type Sauvez les lettres ou
SOS éducation, dont la première prétend camper à gauche.
Le message en tout cas passe bien: l’éducation, c’est fini, ce qui compte,
c’est de pénaliser les enfants le plus tôt possible pour leur bien, car « pré-
venir c’est guérir »; la prévention c’est la répression, l’éducation c’est le tri
et le repérage des difficultés; l’exclusion, c’est de l’intégration à temps par-
tiel. Tout est dans son contraire, la « novlangue » scolaire, digne du 1984 de
George Orwell, est passée aujourd’hui dans le langage courant.
Cela faisait déjà longtemps que les métiers de l’éducatif avaient perdu de
leur prestige, mais au moins, on y appréciait une certaine liberté pédago-
gique et relationnelle. Aujourd’hui, la pression et le contrôle s’accentuent
sur tous les éducateurs; les exigences d’une culture nouvelle de l’évalua-
tion vient légitimer l’introduction de méthodes, de pratiques de contrôle et
l’imposition de « bonnes pratiques obligatoires » jusque chez les ensei-
gnants. Petit à petit, les éducateurs au sens large ne sont plus en charge de
la conception, de la réalisation et de l’évaluation de leur action, mais au
service de plans, de programmes, dont les tenants et les aboutissants leur
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échappent. Peu à peu, insensiblement, ils deviennent les exécutants de
leur propre activité. Le pire est sans doute que peu s’en plaignent; la res-
triction des libertés a en effet la vertu de limiter l’angoisse ou la culpabilité
face à un travail plus complexe même s’il est plus passionnant encore.
Certains enseignants rêvent encore de reconquérir un prestige social
perdu, fût-ce au prix de donner en échange à leurs élèves et aux parents une
image épouvantable de « barbares ». C’est évidemment dérisoire puisque ces
mêmes enseignants donnent en même temps une image impuissante et dou-
loureuse de leur métier qui ne contribue pas à redorer leur blason.
l Les enfants entre abandon et pénalisation
Ce tableau serait déjà désespérant s’il était limité à l’école, mais il faut l’étendre
à l’ensemble de l’environnement de l’enfant; ce même mouvement de repli sur
des objectifs internes ou comportementaux a affecté également l’ensemble des
institutions de loisirs, sportives ou de culture qui lui sont destinées. Pour le dire
simplement, si l’offre d’activités spécialisées, techniques et médiatisées n’a jamais
été aussi riche et variée qu’aujourd’hui, elle s’adresse toujours aux enfants qui
sont en mesure d’être présentés, accompagnés, inscrits par leurs parents, en
mesure de trouver du sens à ces activités et de ne pas manifester dans ces struc-
tures des demandes éducatives fortes du côté de la relation ou de la règle.

MOUVEMENTS N°49 janvier-février 2007 l 75


Le gouvernement des enfants

Les centres de loisirs, petit à petit, face à une demande croissante de


garde et d’activités valorisées en provenance des classes moyennes qui
ont de moins en moins de temps pour leur vie familiale, se ferment de
plus en plus aux enfants dont les parents ne travaillent pas. Il ne reste
plus à ces derniers que des animations ponctuelles et sans lendemain que
les municipalités mettent en place pour agrémenter leur bulletin munici-
pal ou pour lutter contre la peur des « étés chauds » (programmes « Villes
Vies Vacances »).
On ne parle même pas des enfants dont les parents ont des problèmes
administratifs, de papiers ou financiers (pas de quotient familial…), qui ne
peuvent même plus bénéficier de la cantine, de l’étude, des garderies, des
sorties et séjours, et qui vivent des périodes de solitude et d’isolement
exorbitantes, notamment en été.
L’animation généraliste de proximité et ouverte à tous est partout en
régression alors que fleurissent des dispositifs sur-spécialisés dans le
domaine du sport, de la culture ou du soutien scolaire; mais qu’en est-il
des enfants qui cherchent juste des adultes disponibles pour établir des
relations durables avec eux? Ceux-là ne sont toujours pas pris en compte.
Auparavant il était courant et même normal qu’un enfant qui ne trouvait
pas dans sa famille ou dans son appartement suffisamment de vie ou d’oc-
cupation puisse rechercher à l’extérieur une immersion sociale. Il s’agit main-
tenant d’un délit potentiel, sous le coup, dans certaines villes, certains quar-
tiers, d’arrêtés divers. La solitude dans les chambres, dans les appartements
trop petits, ne dérange personne et qu’importe si les accidents domestiques
constituent la première cause de mortalité des enfants en France.
l Les parents entre sous-traitance et réquisition
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Les institutions traditionnelles ignoraient les parents ; l’école française
s’était même construite dans le souci de les tenir éloignés, dans un rapport
de rivalité d’influence. Dans les années 1980, on s’est mis à trouver de la
vertu à ceux que l’on avait exclus. Par un curieux retournement de situa-
tion ce sont les parents qui apparaissaient comme seuls capables d’ap-
porter la solution aux problèmes éducatifs des enfants et des jeunes dans
la société urbaine d’aujourd’hui.
L’école, quant à elle, ne supporte pas de devoir faire face elle aussi aux
conséquences des mutations sociologiques qui affectent la famille et la
société européennes: précarisation, ruptures en séries, isolement de certains
parents vis-à-vis de tout réseau familial étendu, exclusion de nombreux
parents hors de toute vie économique, sociale, culturelle et politique.
Les enfants ne peuvent pourtant, hier comme aujourd’hui, que recher-
cher tout naturellement à l’école ce qui leur fait le plus défaut dans leur
famille ; seulement, ce n’est plus la culture, c’est la socialisation. Leur
déception étant à la hauteur de leurs espoirs et de leurs attentes, le surin-
vestissement des premiers temps se mue fréquemment en incompréhen-
sion, en ennui puis en rejet, d’autant que les enfants qui attendaient le
plus d’accompagnement éducatif de la part de l’école sont souvent ceux
qui sont évidemment pointés comme les plus en difficulté scolaire. Les

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Que reste-t-il des alternatives pédagogiques et éducatives en éducation ?

malentendus scolaires dès lors se multiplient; les parents qui font le plus
naturellement confiance à l’école, qui lui délèguent bien volontiers toute
autorité, se voient rapidement taxés de démissionnaires.
Au même moment, les enfants qui étaient les plus en attente d’un
accompagnement éducatif et d’une éducation à la vie se voient ren-
voyer une image de plus en plus négative d’eux-mêmes et de leur
milieu. Élèves peu valorisants, difficiles à
gérer dans un modèle scolaire classique, ils Les enfants qui étaient
sentent rapidement qu’ils ne sont ni sou-
haités, ni désirés par une institution qui les plus en attente d’un
peu à peu les présente péjorativement
comme « décevants ». accompagnement éducatif
Le point de rupture sera bien entendu au et d’une éducation à la
collège, quand une double contrainte
inédite pèsera sur ces jeunes sous la forme vie se voient renvoyer une
d’un message contradictoire: « Tu n’as rien à
faire ici, tu ne sais même pas lire », dira le image de plus en plus
prof. « Tu n’as pas intérêt à manquer ne négative d’eux-mêmes et
serait-ce qu’un cours, sinon tes parents
seront prévenus et auront des ennuis », de leur milieu.
ajoute à présent le conseiller d’éducation.
Les parents suivent exactement le même
chemin; si en maternelle ils se présentent encore volontiers, car rien de défi-
nitivement péjoratif n’est encore renvoyé sur eux et leur enfant, au fur et à
mesure de la scolarité, ils s’éclipsent car ils savent que l’espoir s’épuise et que
l’accueil qu’ils vont recevoir, les relations qu’ils peuvent établir, ne seront plus
basés que sur l’inégalité des partenaires, la contrainte et l’injonction.
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Le paradoxe plus frappant se trouve dans le fait que les parents avaient
pourtant bel et bien changé ; en tant que directeur d’école, je me dois
témoigner du fait qu’ils sont de plus en plus nombreux à réclamer de
l’aide dans la vie de tous les jours, car ils se rendent bien compte que leurs
enfants ont des besoins auxquels ils ne peuvent répondre. Or, le plus sou-
vent ils n’en trouvent pas. Les aides éducatives administratives volontaires
(AEMO administratives départementales) sont très longues à obtenir et
nécessitent des arguments solides. Du reste, lorsqu’on en bénéficie, elles
se limitent à de trop rares visites et entretiens, et à pratiquement aucun
accompagnement direct de l’enfant dans sa vie de tous les jours
Des parents pourtant plus ouverts, plus confiants, plus demandeurs vis-
à-vis des institutions, sont ainsi sans cesse renvoyés à leurs responsabili-
tés et à leur solitude quand ils ne sont pas tout simplement convoqués ou
enrôlés de force pour venir soutenir… les institutions scolaires
défaillantes ; voilà le genre de grands malentendus que connaît notre
époque et qui ne cessent de se multiplier.
Les institutions, les politiques et bien souvent les travailleurs éducatifs
eux-mêmes croient encore trop souvent à « la magie parentale », et qu’il
suffirait que les parents prononcent quelques formules bien senties pour
que les difficultés scolaires, les conflits, les problèmes des enfants et des

MOUVEMENTS N°49 janvier-février 2007 l 77


Le gouvernement des enfants

enseignants disparaissent. Cette croyance se mue rapidement en incom-


préhension et en exaspération; « puisque cela leur serait si facile, pense-t-
on, il est vraiment inadmissible qu’ils ne fassent rien ».
Bien entendu les parents ont compris ou tout au moins, sentent, eux, que
leur autorité, si elle existe, ne subsiste que s’ils n’en abusent pas; qu’elle a
été déjà passablement érodée par toutes les étapes antérieures de la scola-
rité et qu’ils ne souhaitent pour rien au monde que les conflits scolaires de
leurs enfants ne se muent en conflits familiaux supplémentaires.
Du reste, cette passion récente des institutions scolaires pour les parents
n’est restée que formelle: réunions collectives, convocations par des admi-
nistratifs, temps rares et courts de concertation, orientés et limités à la
recherche de solutions aux problèmes scolaires;
pour le reste, l’école, fidèle aux grands mouve-
Des parents pourtant plus ments économiques mondiaux, sous-traite.
Les parents dépassés sont vite renvoyés sur
ouverts, plus confiants, les services d’aide aux élèves RASED, dont les
plus demandeurs vis-à-vis effectifs et les possibilités d’intervention directe
n’ont fait que décliner ces 15 dernières années,
des institutions, sont et dont il ne reste comme fonction que de
rechercher des orientations hors circuit normal
ainsi sans cesse renvoyés ou de faire le point sur les démarches théra-
à leurs responsabilités peutiques, paramédicales ou éducatives exté-
rieures… à la charge des parents.
et à leur solitude. Les Programmes de réussite éducative vien-
nent parachever dans cette configuration une
logique de sous-traitance; les élèves en diffi-
culté relèvent-ils encore de l’école? On en doute. C’est aux parents de
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prendre en charge la résolution des difficultés et d’envoyer leurs enfants vers
des programmes municipaux extérieurs; la contrainte se rapproche du foyer
au moment où le collège, l’école, espèrent pouvoir renvoyer une nouvelle
fois les difficultés des enfants et des familles sur un dehors bien illusoire.
La pénalisation des familles se concrétise chaque jour davantage. Encore
peu appliquée dans les faits car inadaptée à la réalité des situations, ça ne
l’empêche pas d’être de plus en plus présente dans les discours politiques
et médiatiques qui tournent en rond, réclamant ou projetant à l’envi… des
mesures déjà existantes comme la mise sous tutelle ou la suspension des
allocations familiales, les amendes ou autres stages parentaux.
La nouvelle loi de Prévention de la délinquance fait carrément du maire
le nouveau potentat des familles ; sur lui convergent à présent tous les
pouvoirs de juger et d’appliquer nombre de peines; il est dorénavant pour
les parents et les enfants celui qui tient les clefs de la cantine, des loisirs,
des sorties, des aides municipales, et, bien souvent, du logement, du droit
de visite de la famille étrangère, entre autres. De la même manière, il
pourra désormais dans des délais très brefs rappeler à l’ordre, demander
la suspension des allocations familiales, exiger les réparations financières
qu’il juge appropriées et intervenir sur les travailleurs sociaux qui sont pré-
sents dans les foyers.

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Que reste-t-il des alternatives pédagogiques et éducatives en éducation ?

On est passé d’un maire qui était en charge des problèmes de la Cité à
un maire qui est en charge de gérer des « familles difficiles » ; une police
des familles, en quelque sorte.
l Pourquoi pratiquer une pédagogie différente aujourd’hui ?
Un tel constat pose la question de la pédagogie. Est-elle aujourd’hui
autre chose qu’un luxe inutile? Je suis persuadé pour ma part, comme tant
d’autres enseignants qu’on n’entend presque jamais dans les débats sur
l’école, qu’il n’en est rien et que la pédagogie, loin de faire partie du pro-
blème, propose une alternative crédible et nécessaire à l’accroissement des
problèmes sociaux autour de l’école.
Il est possible de faire de l’école un lieu de paix et de ressources pour
les enfants et les parents d’un quartier. Pour l’avoir pratiqué et vécu, je
peux témoigner qu’une école respectueuse de l’autorité des enfants et des
familles est une école naturellement paisible où les enfants trouvent la
sécurité affective et effective pour pouvoir travailler.
Le renoncement éducatif que nous sommes en train de vivre voudrait
nous convaincre de la qualité des écoles des centre-villes et des beaux
quartiers, sans parler des écoles dites « grandes ». Les politiques de quotas,
les nouvelles mesures choquantes de monsieur de Robien, qui permettent
aux élèves repérés comme meilleurs « d’avoir le droit » (le privilège ?) de
quitter leur école de quartier, leurs frères et sœurs, leurs camarades comme
une récompense est une insulte! Ce sont les écoles de nos quartiers qui doi-
vent devenir grandes et cela est possible en pratiquant une pédagogie res-
pectueuse de l’expression de chacun. Non, les enfants de nos villes et de
nos quartiers ne sont pas des sauvages, et leurs parents ne sont pas des bar-
bares démissionnaires. Tous ont soif d’école et de justice. Beaucoup de pro-
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blèmes de comportement viennent de l’imposition d’un système scolaire
sécuritaire et pénalisant absurde et contre-productif: le rang porte le chahut
comme la nuée porte l’orage. Les enfants qui s’ennuient et sont rejetés entre
eux dans la cour, sous le regard éloigné et dépersonnalisé des adultes (en
attendant les caméras), finissent en effet, un jour ou l’autre, par se battre.
Après avoir appliqué les méthodes Freinet à tous les niveaux de l’école
élémentaire, en ZEP, en REP et ailleurs, dans le « neuf quatre » et dans le
« neuf un », je me dois de dire, de redire et de crier: « Oui, tout cela marche
et avec tous! » Dans mes classes, les enfants travaillent par eux-mêmes, de
leur propre volonté ; ils circulent seuls dans l’école et sans se mettre en
danger. Ils savent utiliser ordinateurs, scanneurs, appareils photos, camé-
ras, et apprendre aux autres à le faire pour réaliser leurs projets sans que
ce matériel ne se détériore anormalement.
Dans mon école, les parents peuvent entrer et passer des grilles qui ne
sont pas fermées; ils peuvent inopinément donner un coup de main à un
groupe d’enfant qui prépare une tarte ou un gâteau en autonomie, ou
encore tenir la bibliothèque, proposer un atelier de couture, de peinture, etc.
Perdre son temps en évaluations savantes, c’est surtout perdre du temps
vis-à-vis de la relation directe avec ses élèves. Vous voulez savoir où en
sont vos élèves ? Et bien demandez-leur. Passez du temps à parler avec

MOUVEMENTS N°49 janvier-février 2007 l 79


Le gouvernement des enfants

eux, au travail, dans la cour, dans la


La rupture aujourd’hui entre ville. Dialoguez. Vous en saurez
une école traditionnelle et une beaucoup plus et beaucoup plus
honnêtement qu’à partir d’informa-
école émancipatrice ne passe tion « arrachées » par des tests ano-
nymes et froids. Travaillez en classe
plus par la question de multi-âges même où cela n’est pas
l’individualisation des nécessaire. Préférez une classe à
deux, trois, quatre niveaux, car cette
apprentissages. Bien au classe se mettra naturellement au tra-
vail et prendra tout aussi normale-
contraire, c’est le collectif qui ment soin de ses membres.
semble aujourd’hui réprimé, Ne vous mettez pas face à vos
élèves, à briser sans arrêt leurs aspira-
dénié et non traité à l’école. tions quand celles-ci ne vous parais-
sent pas coller aux programmes.
Aidez-les au contraire à valoriser leurs projets d’apprentissage et vous verrez
que ces enfants que l’on disait passifs, démotivés et opposants vont devenir
des chercheurs acharnées qui ne voudront plus sortir après 16 heures 30!
Hélas, les enseignants, les éducateurs qui cherchent en pédagogie sont
perpétuellement dévalués, brimés par leur administration et leurs chefs.
Alors que, au final, on découvre que prendre le risque de pédagogies alter-
natives diminue le danger pour tout le monde et constitue le seul remède
connu contre la violence, la solitude et l’ennui.
l Quelle pédagogie est alternative aujourd’hui ?
Les évolutions récentes des pratiques pédagogiques majoritaires ont
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permis de repositionner autrement le critère d’aspect novateur. Le renfor-
cement du suivi individuel des élèves à partir des évaluations, programmes
et contrats spécifiques nous montre bien que la rupture aujourd’hui entre
une école traditionnelle et une école émancipatrice ne passe plus par la
question de l’individualisation des apprentissages. Bien au contraire, c’est
le collectif qui semble aujourd’hui réprimé, dénié et non traité à l’école. Les
dispositifs répressifs, la multiplication des interdits en institution ne sem-
blent pas avoir d’autre fonction que de rendre responsable le collectif de
la brimade des libertés individuelles. Cela a logiquement pour consé-
quence de provoquer chez les enfants et les jeunes un rejet « global » de la
collectivité et une fuite dans l’individualisme.
À l’opposé de cette tendance, une pédagogie progressiste se donne pour
tâche de faire faire l’expérience aux élèves que le collectif, c’est quelque
chose qui se travaille et qui évolue. Le cadre collectif peut être bienveillant,
protecteur et émancipateur. Le collectif n’est pas la censure de l’individu,
il est au contraire le lieu (à la différence du milieu familial) où l’on apprend
à se découvrir soi-même parmi les autres en développant tous les langages
et les potentiels d’expression.
La pédagogie d’aujourd’hui, selon moi, se doit donc d’être à la fois péda-
gogie de l’expression et de la coopération, selon la double orientation

80 l MOUVEMENTS N°49 janvier-février 2007


Que reste-t-il des alternatives pédagogiques et éducatives en éducation ?

complémentaire de la pédagogie Freinet. Une telle double orientation est


assez bien illustrée par l’idée de faire de sa classe un ensemble d’ateliers
permanents qui permettent:
– D’équilibrer les activités personnelles et groupales.
– D’utiliser les nouveaux langages indispensables à la vie moderne : le
web, le mail, le film vidéo, la photo, le SMS, le diaporama, la représenta-
tion, l’exposition, la performance, etc.
– De multiplier les occasions d’essais, d’erreurs, d’échanges horizontaux
dans des groupes idéalement les plus hétérogènes possible (en intégrant
autant que faire se peut, et à l’occasion, des adultes et des anciens élèves
quand ils n’ont pas cours au collège et qu’ils s’ennuient – ce qui est fréquent)
– D’amener à travailler autour de la gestion du collectif l’ensemble des
acteurs selon des modalités à réinventer perpétuellement, à actualiser et à
faire vivre avec les intéressés.
– De valoriser pour le maître (et c’est là son rôle essentiel) le travail pro-
duit, de le mettre en relation avec le public, d’en restituer la genèse, la fina-
lité et de rendre compte du chemin parcouru que l’on ne voit plus dans
l’œuvre aboutie.
Sans approfondir davantage, on voit bien en quoi cette orientation est
en totale contradiction avec les tendances actuelles de la méthodologie
officielle (on ne peut utiliser le mot « pédagogie » dans ce domaine) peu à
peu imposée aux enseignants.
Il est toujours triste d’avoir à affirmer que la limite d’une orientation
pédagogique ne tient pas dans son insuffisance, ou dans la difficulté de sa
mise en œuvre ou de sa réception sur le terrain. De ce côté-là, on est tran-
quille : les enfants, les parents, accueillent en général, selon mon expé-
rience, avec soulagement et un vif intérêt cette double orientation vers l’ex-
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pression et la coopération. Non. La limite de cet engagement est bel et
bien à rechercher en dehors des acteurs de l’école (parents y compris) :
administration, hiérarchie et collectivités locales.
Aujourd’hui, prendre une telle orientation me paraît à la fois nécessaire
et complexe. Il s’agit de mettre en œuvre une stratégie de réappropriation
de l’école par ses propres acteurs en mettant à distance tout ce qui tend à
liquider la liberté pédagogique des enseignants (fondatrice de leur auto-
rité) et à ne plus leur laisser comme issue que la plainte, le sarcasme ou le
découragement. l

MOUVEMENTS N°49 janvier-février 2007 l 81

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