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en éducation ?
Laurent Ott
Dans Mouvements 2007/1 (n o 49), pages 73 à 81
Éditions La Découverte
ISSN 1291-6412
ISBN 2707150940
DOI 10.3917/mouv.049.0073
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L’école est moins envisagée comme ouverture sur le monde PAR LAURENT OTT*
extérieur qu’elle ne cesse de se replier sur elle-même. Telle est
la triste réalité qui prévaut depuis plus de 20 ans, en France.
Par un retournement inédit, tout conduit à opposer la
transmission des savoirs à l’éducation et à la pédagogie.
Les éducateurs sont à la fois décriés et soumis aux nouvelles lois
et réglementations régissant de plus en plus étroitement
le monde scolaire. Les parents sont sommés de prendre leurs
responsabilités face aux problèmes éducatifs de leurs enfants
tout en étant qualifiés de démissionnaires. Ainsi, les malentendus
scolaires et les inégalités sociales s’accroissent, à l’école comme
dans les loisirs. Face à ce renoncement éducatif, il existe pourtant
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S i jusque dans les années 1980, on pouvait croire que bon an, mal
an, malgré les résistances et les persistances du passé, les pratiques
éducatives évoluaient dans un sens que l’on pouvait définir par l’ou-
verture sur le monde extérieur, par un accent sur l’expression et l’initiative
des enfants et des jeunes, force est de constater que ce sens a changé.
En effet, depuis 1984 et les instructions officielles d’un ministre qui se
désignait lui-même comme « l’ombre de Jules Ferry », le ton est donné en
ce qui concerne les évolutions et les changements à l’école. Toujours plus
de déni d’éducation, de concentration sur des savoirs qui sont qualifiés de
« fondamentaux », mais qui n’en sont pas pour autant moins réduits, inter-
prétation de la difficulté scolaire ou de la résistance des enfants par le * Éducateur, enseignant
prisme de l’indiscipline ou des manquements parentaux. et philosophe.
malentendus scolaires dès lors se multiplient; les parents qui font le plus
naturellement confiance à l’école, qui lui délèguent bien volontiers toute
autorité, se voient rapidement taxés de démissionnaires.
Au même moment, les enfants qui étaient les plus en attente d’un
accompagnement éducatif et d’une éducation à la vie se voient ren-
voyer une image de plus en plus négative d’eux-mêmes et de leur
milieu. Élèves peu valorisants, difficiles à
gérer dans un modèle scolaire classique, ils Les enfants qui étaient
sentent rapidement qu’ils ne sont ni sou-
haités, ni désirés par une institution qui les plus en attente d’un
peu à peu les présente péjorativement
comme « décevants ». accompagnement éducatif
Le point de rupture sera bien entendu au et d’une éducation à la
collège, quand une double contrainte
inédite pèsera sur ces jeunes sous la forme vie se voient renvoyer une
d’un message contradictoire: « Tu n’as rien à
faire ici, tu ne sais même pas lire », dira le image de plus en plus
prof. « Tu n’as pas intérêt à manquer ne négative d’eux-mêmes et
serait-ce qu’un cours, sinon tes parents
seront prévenus et auront des ennuis », de leur milieu.
ajoute à présent le conseiller d’éducation.
Les parents suivent exactement le même
chemin; si en maternelle ils se présentent encore volontiers, car rien de défi-
nitivement péjoratif n’est encore renvoyé sur eux et leur enfant, au fur et à
mesure de la scolarité, ils s’éclipsent car ils savent que l’espoir s’épuise et que
l’accueil qu’ils vont recevoir, les relations qu’ils peuvent établir, ne seront plus
basés que sur l’inégalité des partenaires, la contrainte et l’injonction.
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On est passé d’un maire qui était en charge des problèmes de la Cité à
un maire qui est en charge de gérer des « familles difficiles » ; une police
des familles, en quelque sorte.
l Pourquoi pratiquer une pédagogie différente aujourd’hui ?
Un tel constat pose la question de la pédagogie. Est-elle aujourd’hui
autre chose qu’un luxe inutile? Je suis persuadé pour ma part, comme tant
d’autres enseignants qu’on n’entend presque jamais dans les débats sur
l’école, qu’il n’en est rien et que la pédagogie, loin de faire partie du pro-
blème, propose une alternative crédible et nécessaire à l’accroissement des
problèmes sociaux autour de l’école.
Il est possible de faire de l’école un lieu de paix et de ressources pour
les enfants et les parents d’un quartier. Pour l’avoir pratiqué et vécu, je
peux témoigner qu’une école respectueuse de l’autorité des enfants et des
familles est une école naturellement paisible où les enfants trouvent la
sécurité affective et effective pour pouvoir travailler.
Le renoncement éducatif que nous sommes en train de vivre voudrait
nous convaincre de la qualité des écoles des centre-villes et des beaux
quartiers, sans parler des écoles dites « grandes ». Les politiques de quotas,
les nouvelles mesures choquantes de monsieur de Robien, qui permettent
aux élèves repérés comme meilleurs « d’avoir le droit » (le privilège ?) de
quitter leur école de quartier, leurs frères et sœurs, leurs camarades comme
une récompense est une insulte! Ce sont les écoles de nos quartiers qui doi-
vent devenir grandes et cela est possible en pratiquant une pédagogie res-
pectueuse de l’expression de chacun. Non, les enfants de nos villes et de
nos quartiers ne sont pas des sauvages, et leurs parents ne sont pas des bar-
bares démissionnaires. Tous ont soif d’école et de justice. Beaucoup de pro-
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