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Où va la distance ?
Est-ce la bonne question ?
Où va la distance ?
La distance est une réalité bien installée dans nos vies. Elle est omniprésente dans
nos activités professionnelles, sociales, personnelles et familiales. En moins d’une
décennie, avec le boom du web social, nous sommes devenus des êtres « hyper
communicants », branchés en quasi-permanence, multipliant les interactions à distance
autant avec des individus qu’avec des collectifs. En milieu de travail, l’apprentissage à
distance dans sa formule e-learning s’est rapidement taillé une place enviable en se
fondant sur l’idée qu’il est rentable pour tous, et à tous les points de vue, de se former
sans se déplacer, d’apprendre en travaillant et de travailler en apprenant. En milieu
éducatif, malgré la provocation qu’elle a pu soulever (Jacquinot-Delaunay, 2010), la
distance est finalement passée dans l’usage. De très nombreux établissements
d’enseignement supérieur ont adopté la distance, soit sous sa forme intégrale de
formation à distance, soit sous une forme partielle hybridant distance et présence. Pour
les chercheurs du domaine, la distance n’est plus conceptualisée comme une absence ;
le décalage spatiotemporel ne représente plus un manque. La présence à distance se
décline et s’opérationnalise en termes de présence sociale, de présence cognitive et de
présence éducative (Garrison et al., 2000 ; Jézégou, 2007 ; 2010) rendant la frontière
entre présence et distance de plus en plus floue (Jacquinot-Delaunay, 2010). La
distance semble être apprivoisée, intégrée, voire assumée. Pourquoi alors ces deux
numéros spéciaux de Distance et savoirs consacrés à la distance en formation ? La
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MSN, compte Facebook, Skype, blogue). Hors du cadre institutionnel, les étudiants
communiquent entre eux à distance sur divers aspects liés à leur apprentissage,
délaissant les outils mis à leur disposition sur les plateformes institutionnelles. Ce
qui fait dire à Fluckiger « oui, nos étudiants communiquent beaucoup ; mais non, ils
communiquent peu en contexte éducatif ». Une affirmation s’appuyant sur les
résultats d’études qui constatent les difficultés d’intégration des outils du web social
et des formes participatives d’enseignement à distance dans l’enseignement
supérieur1. Ce hiatus entre les pratiques de communication personnelles des
étudiants et les pratiques de communication en contexte universitaire est révélateur
d’une distance autre que spatiotemporelle. Une distance instrumentale celle-là, qui
doit être comprise en s’intéressant avant tout à l’étudiant comme un sujet
théoriquement construit non plus comme un sujet essentiellement psychologique et
unifiant, postulant l’unicité de la culture numérique à laquelle appartiennent les
jeunes, mais également comme un sujet sociologique au profil pluriel, en tenant
compte des situations et de son contexte socioculturel.
Chercher à comprendre les nouvelles formes de distance par l’étude des pratiques
communicationnelles des étudiants est sans contredit une entreprise valable et
nécessaire. C’est selon nous une façon de s’interroger sur l’émergence d’un nouveau
rapport au savoir.
Dans une étude récente, Peraya (à paraître) note que le passage du web
informationnel au web social a provoqué une évolution frappante des pratiques
informationnelles, communicationnelles et épistémiques favorisant la participation,
la collaboration, la communication, le réseautage social et le développement de
communautés. Grâce à l’usage des technologies du web social, chaque individu peut
désormais devenir un créateur actif de contenus, un producteur de savoirs. Pour
caractériser le statut des savoirs qui se développent et qui circulent dans les espaces
du web social, Peraya distingue deux formes de savoir : le savoir scientifique et le
savoir narratif. Le savoir scientifique, fondé sur des preuves, se définit comme un
savoir objectif qui a valeur de vérité. Il est l’apanage des spécialistes reconnus par
leurs pairs et regroupés au sein d’institutions, dont les universités. Le savoir narratif
pour sa part relève d’une pragmatique fort différente : jamais argumenté en termes
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de preuve au sens défini pour le savoir scientifique, il ne se construit pas à partir de © Lavoisier | Téléchargé le 26/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.65.160.1)
1. Si les études auxquelles se réfère Fluckiger ne concernent qu’un nombre limité d’étudiants,
leurs conclusions sont conséquentes avec ce que l’on peut observer sur le terrain. À cet égard,
nous avons personnellement recueilli plusieurs témoignages d’enseignants désemparés se
plaignant que leurs étudiants préféraient travailler à partir de ressources dénichées sur le web
pour réaliser leurs travaux plutôt que d’assister aux cours. L’un d’eux expliquait qu’il avait
réuni des collègues pour réfléchir à la question. Le groupe en était venu à la conclusion qu’il
était impossible d’interdire aux étudiants d’utiliser le web.
Où va la distance ? Est-ce la bonne question ? 621
enseignements, à la fois un moyen de surmonter la distance et de réduire les coûts, © Lavoisier | Téléchargé le 26/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.65.160.1)
s’avérait une stratégie pour diversifier les modes d’accès au savoir (Guillemet, 2007)
et permettre à l’apprenant de s’émanciper du modèle de l’école. Cette vision
pédagogique était portée par la volonté de faire vivre aux étudiants une expérience
inédite ouvrant la voie à la construction d’un nouveau rapport au savoir. De manière
autonome, l’étudiant allait découvrir ses propres capacités d’apprentissage,
développer sa confiance en lui-même et renforcer son aptitude à l’auto-direction. Le
défi était de taille. Pour le relever, un des moyens privilégiés fut la recherche.
622 D&S – 9/2011. Où va la distance ?
et la création du World Wide Web font éclater les limites du cours à distance qui se © Lavoisier | Téléchargé le 26/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.65.160.1)
présentait le plus souvent sous un ensemble fini constitué de documents en format
papier complétés par des ressources audiovisuelles et, à l’occasion, informatiques.
Le web en tant qu’application hypertexte propose une forme médiatique inédite de
représentation des contenus et rend possible l’accès à une information abondante et
diversifiée. Une seconde contrainte est levée. Les cours présentés dans des sites web
prennent la forme d’environnements d’apprentissage virtuels plus riches, plus
attrayants et plus interactifs dans lesquels il est possible de naviguer librement et de
faire des choix.
Où va la distance ? Est-ce la bonne question ? 623
Où va l’apprentissage à distance ?
Le connectivisme
George Siemens et Stephen Downes, deux figures de proue d’un nouveau courant
de pensée, proposent un cadre alternatif pour conceptualiser l’apprentissage. Le
connectivisme (Siemens 2005 ; 2008 ; Downes 2007 ; 2008 ; 2009)2 se veut une
nouvelle théorie de l’apprentissage rendue nécessaire parce que les théories actuelles, le
behaviorisme, le cognitivisme et le constructivisme, sont limitatives. Celles-ci
s’appuient sur le principe voulant que l’apprentissage soit un phénomène réservé à
l’individu, qui se produit uniquement dans la tête des gens. Ces théories ne tiennent pas
compte des apprentissages qui surviennent hors de l’individu, c’est-à-dire les
apprentissages mis en mémoire et manipulés par la technologie. Elles ne proposent pas
non plus de cadre pour décrire comment se réalise l’apprentissage dans les
organisations et dans les collectifs en général. Le connectivisme adhère au principe qui
veut que la cognition soit distribuée entre les individus, les collectifs et les artefacts que
nous utilisons. Dans un monde réseauté, l’acquisition des connaissances ne peut plus se
faire de manière strictement individuelle, mais dans l’interaction avec l’environnement.
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Pour apprendre, il faut être en mesure d’intégrer la technologie dans nos processus et la © Lavoisier | Téléchargé le 26/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.65.160.1)
faire participer à la production de connexions. Il faut également faire preuve
d’autonomie, d’ouverture et de connectivité.
Du point de vue connectiviste, l’apprentissage émerge du résultat des connexions
opérées à trois niveaux : neuronal (connexion des cerveaux), conceptuel (connexion
des contenus et des sources d’information) et social (connexion des personnes)
Ils constituent des réseaux de travail et définissent les sujets qu’ils étudieront de © Lavoisier | Téléchargé le 26/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.65.160.1)
manière collaborative. Dans un MOOC, le nombre de participants peut atteindre
plusieurs centaines, voire des milliers (Cormier et Siemens, 2010)3. La participation
l’ingénierie pédagogique actuelle qui centralise le pouvoir de l’enseignant-concepteur © Lavoisier | Téléchargé le 26/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 37.65.160.1)
et de l’institution. Une nouvelle orientation s’impose pour enrichir et transformer les
ayant accès à toutes les ressources du cours. Le nombre d’apprenants qui n’allaient pas
recevoir d’unités atteignit 2 300.
4. Voir C. Vaufrey et T. E. Guemadji-Gbedemah. Deux blogueurs comparent leur expérience
d’apprentissage dans un billet intitulé Le MOOC à deux voix et quatre mains. L’un a suivi le
cours de S. Downes et G. Siemens offert en partenariat avec l’Université du Manitoba, et
l’autre était inscrit en 2010 au cours à la P2PUniversity.
628 D&S – 9/2011. Où va la distance ?
Les dimensions prescriptive et émergente ont toujours été présentes dans les
apprentissages. Ce qui est appelé à se transformer, c’est l’équilibre entre elles, le
degré de formalisation de l’apprentissage et la manière d’utiliser les ressources
(Williams et al., 2011). La question qui se pose est de savoir comment intégrer dans
le système éducatif ces deux dimensions dans une écologie de l’apprentissage
inclusive. Comment faire le passage d’environnements d’apprentissage où tout doit
être contrôlé et prévisible vers des environnements pluralistes dans lesquels autant la
dimension émergente que la dimension prescriptive ont leur place afin que
l’imprévisible ne soit pas banni ?
Sommes-nous prêts à nous ouvrir à l’apprentissage émergent ? Un défi, certes,
aussi audacieux que l’était, il y a quarante ans, celui d’intégrer la distance dans la
formation.
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