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LES UTOPIES DE LA PÉDAGOGIE NUMÉRIQUE

Jacques Pondaven

Éducation Permanente | « Éducation Permanente »

2019/2 N° 219 | pages 104 à 115


ISSN 0339-7513
DOI 10.3917/edpe.219.0104
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JACQUES PONDAVEN

Les utopies
de la pédagogie numérique

En 2012, William J. Bennett, ancien secrétaire américain à l’Education, expli-


quait que la Silicon Valley était en passe de réaliser ce dont formateurs et politi-
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ciens avaient de tout temps rêvé : l’avènement d’un enseignement supérieur
universel, abordable financièrement et de première classe. Selon lui, cette révolu-
tion, cette « Athens-like Renaissance », s’opérait sous la houlette de Sebastian
Thrun, fondateur de l’une des principales plateformes MOOC du marché, Udacity.
104 Grâce à elle, Thrun déclarait impacter la vie non plus de deux cents mais de cent-
soixante mille étudiants, majoritairement issus de pays en voie de développement
qui, quoique dépourvus de parcours universitaire, exprimaient une forte appétence
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pour des contenus de première classe. Nous assistions, selon l’auteur, à l’émer-
gence d’un enseignement supérieur universel pour tous, quelles que soient les
origines sociales et économiques des apprenants. Et de conclure : « Nous parlons
d’un droit universel à l’éducation depuis des années. Nous assistons peut-être à
son avènement. »
Deux aspects sont à retenir dans cet article. Le premier est lié à sa propagande
grossière et largement démentie depuis : si les MOOCs comptaient – et comptent
toujours – des milliers d’apprenants, nous connaissons leur taux d’abandon, et
l’universalisme de ces plateformes n’est pas confirmé par l’analyse socio-éco-
nomique de leurs apprenants. Mais il ne s’agit pas ici d’intenter un procès aux
MOOCs. Celui-ci a été maintes fois mené et il convient plutôt de nuancer les
raisons de leurs déconvenues, comme le fait Matthieu Cisel (2016). Le deuxième
point, l’intention philanthropique, altruiste et universelle, de la formation numé-
rique, cette utopie numérique dont l’article témoigne, nous interroge par ce qu’il
dit de la manière dont nous1 communiquons la « pédagogie numérique » (dans cet
article, nous utiliserons le raccourci « pédagogie numérique » pour décrire l’en-
semble des procédés technologiques – outils, techniques, supports – utilisés dans

JACQUES PONDAVEN, responsable pédagogique chez Kariateam (jacques.pondaven@kariateam.com).

1. Nous, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs qui produisons, utilisons ou commentons le numérique.
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jacques pondaven

le cadre de dispositifs d’apprentissage). Certes, nous sommes en 2012, année du


« tsunami MOOC2 », expression qui rappelle le ton et le vocabulaire employés dans
l’article. Ainsi le « rêve » n’est-il probablement pas anodin et semble faire écho à
l’utopie de Martin Luther King. S’il n’est pas absurde de penser que les acteurs
expriment un enthousiasme hors norme pour une pédagogie qui ne l’est pas moins,
ne serait-ce que pour son côté massif3, les références à une forme d’utopie numé-
rique (ici, les valeurs utopiques véhiculées par les procédés numériques en péda-
gogie) apportent plus de questions qu’elles n’offrent de réponses.
L’utopie numérique n’est pas nouvelle ; considérer que les MOOCs en
seraient l’unique héraut reviendrait à ignorer le méta-message de la pédagogie
numérique depuis qu’elle fait partie de l’arsenal pédagogique. Rappelons égale-
ment que l’utopie est une antienne de la pédagogie, et que son champ d’expéri-
mentation ne se limite pas au numérique. « Justice, paix, bonheur, s’incrustent au
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fronton imaginaire de l’utopie. Ces valeurs, quel éducateur hésiterait à les faire
siennes ? », s’interroge Baillé (1999) à la première ligne de l’article dans lequel il
retrace la pensée utopiste en éducation à travers les âges. Un coup d’œil à la biblio-
graphie de ce même article montre la récurrence et la diversité du sujet. Depuis
Platon jusqu’aux années 1970 (année qui, ici, date les premiers pas du numérique), 105
l’utopie pédagogique est un sujet récurrent. Ainsi la méthode Jacotot est-elle
symptomatique du débat qui a généralement lieu autour de l’utopie pédagogique.

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Dans Le maître ignorant, Rancière montre comment la méthode subit les foudres
des partisans de la vieille4, tandis qu’elle bénéficie du soutien de ses adeptes
éclairés. Il y a autour de la méthode Jacotot un débat de penseurs dans lequel, bon
an mal an, les idées s’opposent de manière constructive.
Si l’utopie est intrinsèque à la pensée pédagogique, qu’a-t-elle de si particu-
lier lorsque le numérique s’en empare ? Au fond, que nous dévoile cet article
suspicieusement dithyrambique de 2012 ?
Nous voulons d’abord montrer que, contrairement à l’utopie pédagogique,
l’utopie numérique est le moteur d’une évolution sourde et aveugle à toute critique
qui s’affranchit des éclairages universitaires pour communiquer en circuit fermé.
La dilution du signifiant et du signifié à laquelle nous assistons, et où il suffit d’af-
firmer pour prouver, résulterait d’une corruption lente mais inexorable du rapport
homme-machine. Sortir de cet enfermement supposerait alors de s’interroger sur
notre responsabilité d’être dans un monde numérique. Nous conclurons en posant
une question, ambitieuse dans sa démesure : en quoi la technique et la pédagogie
numérique modifient-elles la perception de notre propre temporalité ?

2. L’expression est de John L. Hennessy, président de l’Université Standford, lors d’un keynote de 2012.
3. MOOC : Massive Open Online Course.
4. Rancière parle de « vieille » pour évoquer la vieille pédagogie qui maintient une hiérarchie entre maître et élève
et s’oppose à la pédagogie émancipatrice de Jacotot.
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Brève rétrospective des procédés numériques


En 2011, France Henri retraçait indirectement l’historique d’une utopie
numérique de 1970 à nos jours. Indirectement, car ce n’est pas le sujet de son
article ; le mot utopie n’y est jamais prononcé et il est nécessaire de le débusquer
incidemment au fil des phrases. L’exercice est plus subtil que le décodage de l’ar-
ticle de Bennett, mais autrement plus significatif dans le sens où l’article d’Henri
n’est pas propagandiste et où il s’inscrit dans la stricte tradition des publications
scientifiques.
F. Henri présente en fait une « brève rétrospective » de l’évolution des
procédés numériques, à travers laquelle on décèle la présence d’une pensée
utopiste. L’auteure rappelle très justement que la pédagogie numérique5 s’est
d’abord appuyée sur l’« idéal de démocratisation de l’éducation » afin de « rendre
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la formation accessible à tous ». Il s’agissait de « renouveler la pédagogie » pour,
in fine, permettre à l’apprenant de « s’émanciper du modèle de l’école et vivre une
expérience inédite ouvrant la voie à la construction d’un nouveau rapport au
savoir ». Cela se traduisit par une intense activité des « chercheurs en vue d’éla-
106 borer des propositions inédites pour contrer l’isolement, juguler l’abandon, enca-
drer l’apprenant, l’assister et l’accompagner dans ses apprentissages ».
Un autre monde s’ouvre avec l’avènement des TIC. Henri nous fait revivre
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les innovations des années 1980 puis 1990, où « les apprenants ont la possibilité
de participer activement aux cours, de collaborer, de travailler et d’apprendre
ensemble ». A partir de 2005 et du Web 2.0, elle montre que « le web de diffusion
et de consultation de documents devient un lieu de socialisation, de partage, de
libre expression et de canalisation de l’intelligence ». Désormais, les « étudiants
s’auto-organisent, prennent en main leurs communications éducatives et construi-
sent leurs connaissances, à tout le moins en partie, dans des espaces sociaux hors
du contrôle académique ». C’est également un instant charnière, où la technologi-
sation des procédés de conception, la multiplication et la duplication des contenus
amènent l’eau tant attendue au moulin du philanthropisme numérique. Le décor est
planté pour qu’émergent la socialisation puis le connectivisme dont les MOOCs,
pour le coup, seront les hérauts. De ces derniers, on retiendra ce qu’en dit l’au-
teure : « [Le MOOC] vise à développer la capacité à se connecter, à innover et à
reconfigurer le connu pour créer de nouvelles connaissances. » Si cette définition
tranche, dans sa tonalité, avec la grandiloquence de Bennett ou de Thrun, Henri
exprime parfaitement, quoique en filigrane, son intention universaliste.
Cette brève rétrospective révèle que les acteurs de la pédagogie s’appuient
sur l’idéal d’un monde meilleur. La dimension utopiste du numérique n’apparaît
que dans le sens où les déconvenues sont nombreuses et qu’il existe un décalage

5. Henri traite en fait de « distance » mais décrit les procédés numériques qui la font vivre.
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grandissant entre l’ambitieux cahier des charges du numérique et son désir


d’émancipation, de démocratisation, de libre expression, d’une part, et les consta-
tations souvent sans appel de terrain, d’autre part. Sous la plume de Henri, ce
décalage, empreint d’un désarroi récurrent, transparaît sous la forme de gênes
suscitées par le numérique. Chaque évolution témoignant de l’avènement d’une
nouvelle approche de la pédagogie numérique est ponctuée de critiques émanant
tantôt des chercheurs, tantôt des acteurs du numérique eux-mêmes. Au sujet de
l’approche de conception par objets d’apprentissage, Henri montre que « la réalité
du terrain est tout autre » ; elle exprime « l’incohérence des représentations, les
spécifications difficiles à utiliser, non neutres et sans aucune indexation ». Parlant
de support d’apprentissage émergent et de collaboration, elle souligne que « les
efforts d’intégration ne suscitent pas chez les étudiants l’engagement escompté ».
Citant Moore (2007) puis Lee et McLoughlin (2010), l’auteure montre les carences
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des conceptions pédagogiques avant de conclure : « Manifestement, nous avons
du mal à réagir aux nouvelles valeurs et à la culture du numérique. Nous n’arri-
vons pas à comprendre l’évolution de l’apprentissage. » Au sujet du MOOC, elle
parle enfin « des nombreuses difficultés qu’il pose aux plans philosophique, épis-
témologique, pédagogique, organisationnel et économique ». Nous ne sommes 107
qu’en 2012, année du « tsunami », mais Henri entrevoit déjà les axes de réflexion
qui mèneront notamment aux travaux de Cisel (2016).

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En retraçant l’évolution des procédés sur quatre décennies, France Henri
propose un texte fondé, scientifique, témoignant de l’enthousiasme du numérique
à vouloir renouveler la pédagogie, afin de construire un monde (pédagogique)
meilleur mais dont les fruits ne sont pas à la mesure des attentes. Ce contraste, et
lui seul, nous autorise à parler d’utopie, ou au moins d’intention utopique. Il n’est
utopie que dans le sens où il ne se réalise pas (sans pour autant décrire, pour le
moment en tout cas, une dystopie). Si les intentions du numérique s’étaient réali-
sées, nous ne parlerions pas d’utopie, et cet article n’aurait pas lieu d’être.

Annihilation de la méthode scientifique


Changeons la grille de lecture et abordons cet article sans chercher à déceler
ses intentions utopiques. Henri décrit ce qui apparaît comme une évolution dicho-
tomique de la pédagogie numérique. On comprend qu’elle innove, se cherche, fait
des erreurs, apprend d’elles, se contredit, s’autocritique et grandit sur les vestiges
de ses errements. On en déduit qu’elle n’a certes pas trouvé sa voix mais qu’elle
est adoubée par un idéal philanthropique, et que ses multiples atermoiements
n’impliquent pas pour autant son abandon. Toutefois, la récurrence des désarrois
et des critiques finit par nous convaincre d’une chose : la pédagogie numérique
montre une résilience hors du commun.
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Moore (2007), Lee et McLoughlin (2010) ne sont pas les seuls à s’émouvoir
du décalage naissant entre intention utopique et réalité. Parmi l’ensemble de
textes, celui paru en 2012 (là encore en plein tsunami MOOC) est intéressant par
ce qu’il dénonce et par l’écho paradoxal qui en découle. Ecrit par Meirieu, il
constitue l’un des chapitres de L’école, le numérique et la société qui vient. Le
constat contre le débat qui « n’a pas lieu » autour de la pédagogie numérique
semble vindicatif. Selon Meirieu, le discours pédagogique est ignoré, ostracisé,
simplifié, et « se réduit à une accumulation de lieux communs ». Pas plus que
Henri, Meirieu n’écrit le mot « utopie ». En revanche, il dénonce les croyances
menant à « l’avènement de la société de la connaissance, l’accès aux savoirs mira-
culeusement démocratisés ou l’éradication de l’échec scolaire ». Meirieu explique
ce « galimatias idéologique » de deux manières : il subodore l’émergence d’une
« bourgeoisie moyenne », voulant le « bien des enfants », la « justice sociale », et
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dont l’identité est structurée par une culture de « l’innovation technocratique ».
Mais plus encore que la question du statut, c’est une « conception libérale du
monde » menant à « l’interdit de penser » qui est l’objet de sa critique.
La verve de l’auteur illustre également, et de manière détournée, l’impuis-
108 sance de l’intellectuel. Son analyse s’inscrit dans une forme de discours pédago-
gique ; en dénonçant le fait que ces derniers sont largement ignorés, ostracisés, il a
conscience que son texte le sera tout autant (et si tant est que notre contribution ait
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la prétention de suivre la même voie, il y a fort à parier qu’il subira le même sort).
Les deux textes décrivent un environnement pédagogique dont les intentions
sont utopiques ; tous deux font le constat que, dans cet environnement, l’écrit scien-
tifique est ignoré, implicitement chez Henri, de manière explicite chez Meirieu.
Pourtant, bien que décrié par des voix scientifiques, le discours numérique
semble tout emporter sur son passage. Son moteur universel et philanthropique,
son utopie – dont nous tentons d’ébaucher le portrait –, sont-ils si puissants, si
ancrés dans nos inconscients qu’ils ignorent les piques et les huées des chercheurs
éclairés ? Comment cette portée philanthropique peut-elle résister à la kyrielle de
thèses, articles et publications qui démontrent ses incohérences ?

Dilution sémantique
D’abord, constatons que l’évolution dichotomique sur laquelle repose l’inté-
gralité de l’évolution des procédés numériques est foncièrement malhonnête. Pour
passer la pédagogie numérique au crible d’une méthode scientifique, encore
faudrait-il que ses caractéristiques essentielles, au premier rang desquelles le
langage, soient cohérentes. Face à un objet numérique aussi protéen, il est malaisé
de jeter les bases d’une analyse constructive. Pour mener sa charge et proposer
trois pistes de reconstruction, Meirieu parle d’« usage des technologies numé-
riques ». Si cette précaution langagière reflète la rigueur scientifique de l’auteur,
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elle ne reflète pas le sociolecte libéral (dans la définition qu’en donne Meirieu)
dans lequel la pédagogie numérique s’est plongée, voire noyée, au fil du temps.
Sur le terrain, et dans le seul domaine du « contenu asynchrone disponible à
distance », les acteurs parlent de web-based training, de e-learning, de distant
learning, de digital learning, de virtual learning ou, pour les plus anglophobes, de
formation à distance, de formation en ligne, de distanciel. L’effet insidieux de ces
limbes terminologiques se traduit par une dilution du signifiant et du signifié. Elle
serait inoffensive si elle n’était pas opportuniste et ne marquait pas déjà une ligne
infranchissable entre la pensée pédagogique et les commentateurs du numérique.
On trouve plusieurs exemples de cet opportunisme et de cette dilution sémantique
dans la communication qui s’établit peu à peu autour du numérique. Michel Diaz
s’en fait l’écho dans un article de 2013, dont l’introduction suffit à comprendre le
fossé qui menace de s’établir entre les penseurs et les acteurs : « E-learning ou
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digital learning... Simple querelle sémantique ? A moins que ce soit un signe : le
e-learning vieillissant ne suffirait plus à rendre compte du foisonnement introduit
par le digital dans la formation professionnelle... »
Diaz décrit la lassitude des apprenants : « Le e-learning, les utilisateurs en
auraient soupé ! », écrit-il. Il montre les évolutions quantitatives (réduction de la 109
durée des contenus), la multiplicité des nouveaux formats et, dans une formule où
nous nous autorisons à lire une lassitude résignée et à peine masquée, il conclut :

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« Ce qu’on pourrait qualifier de digital learning, lequel, pour faire bonne mesure,
englobe aussi ce qui l’a précédé... On parlera sans doute moins de e-learning ! »
Diaz explique que la mauvaise presse dont souffre le e-learning explique sa
mue terminologique en digital learning. Sans accuser personne, il décrit un oppor-
tunisme menant à une forme d’amnésie volontaire. Si le banc des accusés est plus
clairement identifié chez Meirieu et Baillé, il reste vague. Pour Meirieu, il y a
« ceux et celles qui se trouvent acculés à la polémique de leur adversaire », puis
plus clairement la « bourgeoisie moyenne ». Baillé pointe du doigt « un expert à
qui la parole technique confère l’aura du mage, un pouvoir aux mains d’experts
qu’on aurait tort de confondre avec les inventeurs et les chercheurs de la maison
de Salomon ». Dans les deux cas, on devine une expertise autoproclamée mais pas
clairement identifiée. Qui sont les représentants de la « bourgeoisie moyenne » ou
ces experts-mages ? Au fond, les acteurs qui peuplent le banc des accusés existent-
ils vraiment ?
Baillé apporte indirectement une réponse lorsqu’il définit l’utopie : « Au
singulier et en son sens strict, le nom désigne un récit qui dévoile l’ordinaire de la
vie collective au sein d’une citée extraordinaire [...] Le récit utopique a ceci de
commun avec le discours pédagogique : le bien y tient lieu de vrai. »
Ainsi, en pédagogie, le bien tiendrait lieu de vrai. Le fait de vouloir, envi-
sager ou rêver un monde meilleur impliquerait, selon Baillé, sa vérité. Suffirait-il
d’énoncer que le monde numérique prétend démocratiser, émanciper, libérer, pour
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que cela soit perçu comme vrai ? L’étude ou, plus exactement, « la manière de
commenter » les innovations qui construisent l’utopie numérique nous incitent à
abonder dans ce sens. Prenons l’exemple des courbes de tendances.

Tendancieuses courbes de tendance


Initiées par Gartner6, les courbes de tendance sont destinées à illustrer graphi-
quement l’évolution d’une nouvelle technologie ou d’une innovation dans le
temps. Gartner en publie près d’une centaine par an, dans des domaines différents
– dont le numérique bien entendu. L’intention est louable pour les adeptes d’une
vision libérale du numérique car il s’agit de disposer d’un outil permettant de
prédire l’avenir d’une technologie/innovation à des fins d’investissement. Selon
Gartner, toute innovation suit une évolution en cinq phases : l’émergence d’une
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technologie ; le pic d’euphorie ; la désillusion ; la renaissance et l’avènement7.
A ceci près que l’on ne mesure pas un phénomène sans en modifier l’état, et que
ces courbes, abondamment commentées par les acteurs de la pédagogie numé-
rique, ont un pouvoir proche de l’autohypnose où, in fine, le bien devient le vrai.
110 Les opposants aux courbes de tendance pointent leur nature non scientifique.
Selon eux, aucune donnée ni aucune analyse ne justifie l’évolution d’une courbe.
Les acteurs du numérique ont rapidement compris les avantages à tirer de ces
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courbes en termes de communication ; ils produisent à leur tour des courbes


dédiées spécifiquement au numérique8. On y voit que les MOOCs vivent un
moment délicat – on les situe en phase de désillusion9 – mais que leur avenir est
porteur d’espoir puisque, « selon l’approche empirique de Gartner qui se base sur
l’évolution d’autres technologies qui n’ont pourtant rien à voir avec les MOOCs »,
la désillusion mène à la renaissance, puis à l’avènement. Qu’importent au fond la
thèse de Cisel et les disputations universitaires : tous les chemins mènent à l’avè-
nement. Anticipons un instant les voix qui ne manqueront pas de s’élever pour
décrier la mauvaise foi de notre raisonnement. « Les courbes de tendance n’ins-
crivent pas nécessairement une innovation dans une temporalité menant à son
avènement ! » Non, mais c’est implicite, et le mal est fait. Ces courbes contribuent
à projeter les innovations et les technologies du numérique dans un flou scienti-
fique, à dissoudre ses critiques dans l’acide édulcoré du temps, et nous plongent
dans un brouhaha dans lequel le bien tient lieu de vrai.
Les courbes de tendance sont certes un épiphénomène, et leur usage est
moins répandu en France que dans le monde anglo-saxon. Elles sont néanmoins

6. https://www.gartner.com/it-glossary/hype-cycle
7. Technology trigger, peak of inflated expectations, trough of disillusionment, slope of enlightenment and plateau
of productivity.
8. https://webcourseworks.com/elearning-predictions-hype-curve/
9. Nous nous basons sur la courbe 2019 produite par Web Courseworks.
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jacques pondaven

représentatives du mode de communication sur lequel s’appuie le numérique : il


suffit d’« affirmer pour prouver ». Force est de constater que ce discours « en
circuit fermé » finit par payer. Si, naguère, quelques villages ont résisté à l’inva-
sion des écrans, il ne reste en 2019 aucune institution qui, fût-ce à marche forcée
et comme mue par une panique soudaine, n’ait pris le virage du numérique.
Comment affirmer suffit-il à prouver ? Quels sont les rouages de la commu-
nication du numérique ? Est-il possible de responsabiliser les instigateurs de cette
communication ?

Critique d’une communication


C’est une question complexe, qui mériterait de se pencher sur les idées de
Baudrillard ou de McLuhan (1964), dont la thèse « The medium is the message »
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semble se prêter à notre propos. Néanmoins, la grille de lecture que propose Sfez
dans sa Critique de la communication (1988) semble pertinente à plusieurs égards
(d’autant que Sfez puise son argumentaire dans celui de Baudrillard). Cette grille
de lecture ne prouve rien mais coïncide avec ce que nous constatons.
Sfez explique que la communication a envahi métaphoriquement l’ensemble 111
des sciences humaines et des pratiques politiques, sociales, culturelles et éco-
nomiques. Il inscrit les métaphores qu’emploie la communication dans trois atti-

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tudes juxtaposées de l’homme et de la machine :
1. Nous usons de la technique sans être asservis par elle. Nous vivons avec
la technique.
2. Nous sommes assujettis par la vision du monde qu’induit la technique.
Nous vivons dans la technique
3. Nous existons à travers la technique. Nous vivons par la technique.
Sfez dispose ainsi trois prépositions pour décrire nos manières de communi-
quer sur notre rapport à la technique. Si ces attitudes juxtaposées ne sont pas
exclusives, elles donnent un sens à la rétrospective de Henri. Nous pensons en
effet pouvoir retracer une chronologie de l’avec, du dans puis du par, au cours des
cinquante dernières années.
1. Dans les années 1970, nous aurions vécu avec le numérique. Dans un idéal
de démocratie, il s’agissait d’utiliser un outil permettant de rendre la formation
accessible à tous. Nous restions maîtres de cet outil. Sujet et objet étaient parfai-
tement distincts. La relation homme-machine semblait naturelle, ou naturellement
historique, comme le montre Stéphane Vial (2013) retraçant l’évolution des tech-
niques et des perceptions qu’elle engendre.
2. A partir du milieu des années 1990, nous aurions entamé un processus
d’immersion et commencé à vivre dans le numérique, plus exactement dans le
réseau/web. Les environnements d’apprentissage apparaissent plus riches, plus
attrayants et plus interactifs. Nous formons avec le numérique un organisme
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2019
jacques pondaven

unique. L’outil devient environnement politique, idéologique. Si nous vivons


encore avec la pédagogie numérique, nous sommes également dans l’environne-
ment qu’elle suggère. Du point de vue de la communication, le média cesse d’être
l’autre : « Chacun est capable d’être son propre média. »
3. A partir de 2005, avec l’émergence des espaces sociaux et du connecti-
visme, nous entreverrions ce que vivre par le numérique signifie. C’est la vision
du monde de l’objet qui l’emporte. L’objet technique renvoie l’image de son créa-
teur. « Le producteur est produit et producteur en même temps. Il n’y a ni
commencement ni fin. Mais une circularité totale et un enfermement. »
Selon la théorie de Sfez, et si nous entretenons – ou sommes en passe d’en-
tretenir – une relation par le numérique, l’utopie dont nous parlons ici bascule
rapidement en dystopie car, en poussant plus loin le raisonnement, il y a dans le
propos de Sfez des ressemblances troublantes, voire prophétiques10, avec ce que
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nous avançons11.
Sfez nomme Frankenstein le modèle du par. « Appliqué à la communication,
ce système aboutit à la confusion totale de l’émetteur et du récepteur. Dans un
univers où tout communique, sans que l’on sache l’origine de l’émission, sans que
112 l’on puisse déterminer qui parle, le monde technicien ou nous-même, dans cet
univers sans hiérarchies, sinon enchevêtrées, où la base est le sommet, la commu-
nication meurt par excès de communication et s’achève en une interminable
EDUCATION PERMANENTE n° 219/2019-2

agonie de spirales. » A travers le modèle Frankenstein, c’est le tautisme que Sfez


entend démontrer et critiquer. En parlant des courbes de tendance, nous avons
émis l’hypothèse : « Si j’affirme, je prouve. » Sfez va plus loin et déclare : si je
répète, je prouve – forme de tautologie poussée jusqu’au point de surdité, jusqu’à
l’autisme. Le tautisme, c’est donc la contraction de tautologie et autisme « où l’on
prend la réalité représentée pour une réalité exprimée ».
Le tautisme montre (mais ne prouve pas) que la méthode scientifique, qui
permettrait au numérique de progresser en milieu ouvert, se dilue dans un socio-
lecte libéral. Il montre (toujours sans prouver) pourquoi l’on prend les courbes de
tendance pour des vérités. Il montre la confusion dans laquelle se trouvent les
commentateurs. A l’inverse de ce que suggèrent Meirieu et Baillé, il ne serait plus
question d’intenter un procès à une « bourgeoisie moyenne » ni à un expert-mage.
La communication du numérique par le tautisme est l’action d’une masse incons-
ciente, dans laquelle plus aucun auteur ne se distingue. Nous serions tous respon-
sables de la communication sourde du numérique ; les mondes dans lesquels nous
nous engageons sont bien loin de l’intention louable et utopique du numérique.
Dans la préface à la seconde édition (1992) de Critique de la communication,
Sfez envisage la critique du tautisme (et donc sa sortie !) par une politique de l’inter-
10. Critique de la communication a été publié en 1988.
11. Si cet article est un discours pédagogique, nous espérons vivement et sincèrement que les contradicteurs s’op-
posent avec la vision dystopique que notre raisonnement suppose.
50
ans
jacques pondaven

prétation et du commentaire fondée sur la triple critique : des idéologies et des


pratiques ; des éléments épistémiques ; de la frontière dure du tautisme.
En montrant qu’une critique du numérique, de ses idéologies et de ses
pratiques, qui permettrait d’alimenter une méthode scientifique, semble noyée
dans une communication sans tenant ni aboutissant, il nous semble que les deux
premières « solutions » évoquées par Sfez n’en sont plus. Le numérique vit en
circuit fermé, de manière autonome. Les éclairages de Meirieu, Baillé, Moore, Lee
et McLoughlin, peuvent influer éventuellement sur la manière dont les organismes
éclairés entrent en numérique, mais pas sur le fait d’y entrer. La question ne se
pose plus, d’autant que les penseurs de la pédagogie font face à de nouveaux argu-
mentaires de poids (la neuropédagogie par exemple) rendant le discours plus inau-
dible encore.
La critique de la « frontière dure du tautisme » n’est pas beaucoup plus aisée.
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A ce stade, elle semble vouée à échouer dans un mutisme « à la Baudrillard » que
Sfez résume ainsi : « Tous nos actes et tous nos énoncés sont pris dans le piège
qu’ils dénoncent. Agir ou écrire, c’est même renforcer le piège, un peu comme les
mouvements désordonnés de ceux qui s’enlisent dans les marais dormants. »
113
Apparition de l’être

EDUCATION PERMANENTE n° 219/2019-2


L’une des voies envisageables pour sortir du tautisme consiste à modifier
l’échelle de notre analyse. En s’attaquant à l’interaction de l’homme et de la ma-
chine par le biais de la communication, Sfez se place sur un plan macroscopique.
Il décrit une communication de groupe, sociétale, d’où l’individu et ses solutions
individuelles semblent exclus.
Par opposition, Vial (2013) décrit une interaction homme-machine non plus
dans la globalité d’un phénomène, mais comme une responsabilité individuelle.
En cela, il ne s’oppose pas au tautisme mais permet d’envisager une approche
différente des dystopies, menant au mieux à un monde Frankenstein (pour Sfez),
au pire à l’instauration d’un système totalitaire (pour Baillé).
Vial s’attaque d’abord au fétichisme de la technique ; la technique aurait une
volonté propre et poursuivrait des objectifs hors de notre contrôle. Il nous semble
que le débat autour de la technophobie, tout comme celui autour de la techno-
philie, dans le domaine qui nous concerne, n’a plus lieu d’être. En revanche,
l’ontophanie numérique est intéressante par le changement d’échelle qu’elle
opère. Par ontophanie, Vial décrit la manière dont l’être (onto) apparaît (phanie),
c’est-à-dire interagit avec le numérique et avec la nouvelle perception de la réalité
que cette interaction suppose.
Entre tautisme et émancipation, Pierre Lévy signe une préface à L’être et
l’écran, dans laquelle il livre une vision responsabilisante pour sortir de la confu-
sion. Il est nécessaire de garder les deux yeux bien ouverts, dit-il, aussi bien l’œil
1969
2019
jacques pondaven

critique que l’œil visionnaire. Le premier consiste à ignorer les effets de commu-
nication, « à sourire devant les slogans de pacotille, les mots-clic du marketing [...]
L’œil critique dissout les idoles intellectuelles qui obstruent le champ cognitif ».
L’autre nécessite l’apprentissage du discernement : « Traversons le miroir et
commençons à explorer le changement de transcendantal historique, l’émergence
d’une nouvelle épistémé. »
Il s’agirait alors d’une responsabilité philosophique, à laquelle Vial souscrit
et qui, selon lui, incombe aux concepteurs : « Celle d’être des générateurs d’onto-
phanie ou des faiseurs d’être-au-monde. » Toutefois, il est fort probable qu’une
telle injonction (« soyons philosophiquement responsable ») ait fort à faire pour se
frayer un chemin dans le brouhaha du tautisme.
Nous rejoignons Vial lorsqu’il suggère d’« apprendre à percevoir les êtres
numériques pour ce qu’ils sont, sans surenchère métaphysique ni dérive fantasma-
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tique – ce qui implique d’abord de comprendre leur nature ». Si le tautisme numé-
rique s’enracine dans le discours utopique, il s’agit donc de déconstruire le
fantasme de l’utopie pour que l’être puisse apparaître dans une perception non
déformée de la réalité du numérique. Cela implique d’envisager la relation de
114 l’homme et de la technique dans un espace et un temps plus larges. Vial retrace
l’histoire des techniques pour mieux se concentrer sur ce que le numérique
modifie de notre perception de la réalité. Mais nous sommes les fruits d’une
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histoire plus ancienne.

Une utopie de l’immortalité


Dans un article de 2014, Jolissaint souligne les nouvelles perceptions qu’ap-
porte le mariage entre les progrès de la compréhension de la biologie et ceux des
techniques. Il démontre non plus une ontophanie harmonieuse, où l’homme
discerne et fait siennes les nouvelles réalités de la (bio)technique, mais l’émer-
gence d’un déni de la mort propre à nos sociétés. Parmi les tendances liées à la
condition postmortelle, les vies virtuelles12 sur les réseaux sociaux ou le transhu-
manisme (Google Inc.) sont des facteurs modifiant notre perception de la mort, en
donnant « à la vie un espace où la mort n’existe pas – dans l’attente d’un tel espace
qui ne soit pas virtuel ».
Il serait intéressant de poser la question de la place que la pédagogie numé-
rique est amenée à occuper dans une société marquée par la biotechnologie et, à
travers elle, d’interroger les liens qui unissent pédagogie et immortalité. Ces liens
ont d’ailleurs déjà fait l’objet de commentaires, comme ceux de Natanson (2003)
évoquant l’enseignant. Celui-ci, « par son travail, contribue en partie à se repro-
duire lui-même. Sa réussite, c’est de faire des disciples, des émules, des imitateurs,

12. Le virtuel de Jolissaint s’opposant à celui de Vial pour qui virtuel et réel ne font qu’un.
50
ans
jacques pondaven

des images de lui-même. Il y a donc un phénomène de reproduction, d’auto-


engendrement dans la culture, qui constitue un des aspects du désir d’enseigner.
Reproduire sa propre image, se perpétuer selon son propre modèle, imposer sa
marque à d’autres qui vous succéderont et assureront la diffusion de vos idées,
c’est là une forme de paternité intellectuelle et spirituelle liée à la fois au désir de
pouvoir et au désir d’immortalité ».
Peut-être y a-t-il là matière à questionner notre engouement pour l’utopie
pédagogique. Et si sortir du discours utopique revenait à savoir comment la péda-
gogie numérique entretient insidieuseument l’idée de notre propre immortalité ? u

Bibliographie
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CISEL, M. 2016. Utilisations des MOOC : éléments de typologie. Université Paris-Saclay, thèse
de doctorat en sciences de l’éducation. 115
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EDUCATION PERMANENTE n° 219/2019-2


598/e-learning-ou-digital-learning.html
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