Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Emmanuelle Rozier
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
© Érès | Téléchargé le 14/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.82.178.86)
John Dewey,
une pédagogie de l’expérience
Emmanuelle Rozier 10
concepts qui puissent être aussi des outils, les pragmaticiens considéraient qu’il
fallait tenir compte des effets pratiques, que les concepts en somme avaient des
conséquences et modifiaient nos habitudes de penser comme d’agir. John Dewey
naît à Burlington dans le Vermont en 1859 1 ; il est diplômé de l’université en 1879
et exerce brièvement les fonctions d’instituteur. À l’université John Hopkins, il
reprend des études de philosophie : il est alors influencé par le philosophe George
S. Morris, idéaliste néo-hégélien. En 1884, il soutient sa thèse sur la psychologie de
Kant. C’est dans les années 1880 que ses idées pédagogiques se forment, il a alors
l’opportunité de les mettre en pratique en rejoignant la toute nouvelle université
de Chicago où il demande à être nommé à la tête du département de pédagogie. Il
obtient la création d’une école expérimentale. S’invente alors « l’école labora-
toire », que beaucoup nommeront « l’école Dewey ».
L’école laboratoire
Tout d’abord, l’école fut de bout en bout une entreprise collective car si elle
est l’expression d’une pensée philosophique, elle n’est pas téléguidée par celle-ci.
Elle ouvre en janvier 1896. Au départ elle fonctionne autour d’effectifs réduits, elle
accueille surtout les enfants des enseignants et fonctionne avec deux maîtres ; mais
très vite, elle accueillera 140 élèves et emploiera une vingtaine d’instituteurs et des
assistants diplômés de l’université. Car tel est bien le cœur du projet : relier en un
même lieu recherche et application, université et école élémentaire. Au centre de
la journée des enfants : « Les occupations ». Dewey et son équipe tiennent à ce que
l’enfant vienne à l’école pour faire des choses. Répartis par classes d’âge, les élèves
articulent leurs activités autour de projets. Ces projets reprennent les compétences
des métiers anciens ou d’activités quotidiennes : cuisine, couture, petite menuise-
rie, bricolage. Les enfants de 6 ans fabriquent une ferme miniature et y font pous-
ser des céréales qu’ils transforment et vendent sur le marché. Les enfants de 7 ans
se penchent sur la vie préhistorique en reproduisant une caverne, ceux de 8 ans
s’intéressent aux explorateurs et aux grandes découvertes. Les élèves de 13 ans
© Érès | Téléchargé le 14/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.82.178.86)
1. Nous devons beaucoup au remarquable article de Robert S. Westbrook, « John Dewey », paru dans Pers-
pectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, Paris, UNESCO, 1993, p. 277-293.
2. Robert Westbrook, op. cit., p. 284.
d’obtenir des mesures exactes. Puis ils refaisaient pour un autre côté de la maison
ce qu’ils avaient fait pour le premier et, avec l’entraînement, leur travail gagnait
naturellement en rapidité et en précision 3. »
On le voit, Dewey et ses enseignants concevaient l’école comme un lieu d’ac-
tivités indépendantes qui intégraient au moment opportun l’apprentissage des
fondamentaux : lire, écrire compter sont encore des compétences recherchées,
seule la méthode est différente. Dewey associait des enjeux politiques à toute son
entreprise pédagogique. Critique de l’école traditionnelle il affirmait que son seul
but était la reproduction de la société. À son sens, ses mécanismes individuali-
sants, sa compétitivité, ses inégalités se retrouvent dans les méthodes d’enseigne-
ment. Si Dewey s’intéresse à l’école, c’est qu’il y voit le meilleur – et peut-être le
plus court – moyen de transformer la société et de faire advenir une véritable
démocratie. Critique du capitalisme, la manière dont les projets se construisent
sont loin de la compétitivité à l’œuvre dans la société américaine des années 1900 :
à l’école Dewey, coopération, partage des objectifs, mise en commun des ressour-
ces comme des connaissances sont des valeurs structurantes. Il déclare même la
chose suivante : « […] dans notre école, les occupations classiques exercées par les
élèves sont libérées de toute contrainte économique. L’objectif n’est pas la valeur
marchande des produits, mais le développement de l’autonomie et de la perspica-
cité sociale 4. » Il faut que l’activité ait un sens en elle-même et non dans les béné-
fices qu’elle pourrait générer. Ici, l’activité est le lieu de production de la richesse
suprême aux yeux de Dewey : l’expérience formatrice de soi. L’intérêt pour l’occu-
pation qui fait apprendre n’est pas remplacé par des intérêts artificiels constitués
par la menace ou la crainte de ne pas réussir. L’école est un centre social, une mise
en pratique de la vie communautaire. L’intérêt est lié à la pratique, aux occupa-
tions, aux activités que l’enfant vient réaliser à l’école.
La pratique et l’enquête
On l’a dit, Dewey est un tenant du pragmatisme. Le pragmatisme n’est autre
© Érès | Téléchargé le 14/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 41.82.178.86)
3. K.C. Mayhew et A.C. Edwards, The Dewey School, New York, Atherton, 1966. Citées dans R. Westbrook,
idem.
4. J. Dewey, cité par R. Westbrook, op. cit., 1899, p. 286.
5. J. Dewey, Logique, Théorie de l’enquête, traduit par G. Deledalle, Paris, PUF, 1967, p. 17.
6. Ibid.
7. G. Deledalle, John Dewey, Paris, PUF, 1990, p. 111.
Bibliographie
DELEDALLE, G. 1995. John Dewey, Paris, PUF.
DELEDALLE, G. 1971. Le pragmatisme, textes choisis, Paris, Bordas.
DEWEY, J. 2003. Reconstruction en philosophie. Œuvres philosophiques, tome I, sous la direction de
J.-.P. Cometti, traduit par P. Di Masio, Presses universitaires de Pau, Éditions GRAPPHIC.
DEWEY, J. 2003. Le public et ses problèmes, Œuvres philosophiques, tome II, sous la direction de
J.-.P. Cometti, traduit par J. Zask, Presses universitaires de Pau, Éditions GRAPPHIC.
DEWEY, J. 2004. Comment nous pensons, traduit par O. Decroly, Les Empêcheurs de penser en
rond, Paris, Le Seuil.
DEWEY, J. 2005. L’art comme expérience, Œuvres philosophiques, tome III, sous la direction de
J.-P. Cometti, traduit par C. Domino, F. Gaspari, C. Mari, N. Murzilli, C. Pichevin,
J. Piwnico, G. Tiberghien, Presses universitaires de Pau, Farrago.
DEWEY, J. 1967. Logique, la théorie de l’enquête, traduit par G. Deledalle, Paris, PUF, 1967.
WESTBROOK, R.S. 1993. « John Dewey », paru dans Perspectives : revue trimestrielle d’éducation
comparée, Paris, UNESCO, p. 277-293.