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Sylviane Valdois
Sylviane Valdois
Université Pierre Mendès France, Grenoble
Résumé : L’étude des opérations mentales impliquées dans la lecture et son apprentissage a permis
de proposer de nouveaux outils d’évaluation des difficultés d’apprentissage de la lecture. La
première étape de l’évaluation consiste à estimer l’efficacité des deux procédures de lecture, globale
et analytique. Un développement dysharmonieux de ces procédures conduit à rechercher les
mécanismes cognitifs sous-jacents potentiellement déficitaires. On évalue alors classiquement les
capacités de traitement phonologique des enfants dont on connaît l’impact sur la lecture. Des études
récentes montrent la nécessité d’estimer également l’intégrité d’un second facteur, l’empan visuo-
attentionnel, dont le rôle dans la lecture normale, son apprentissage et les dyslexies
développementales est à présent démontré.
Abstract: Improvement of knowledge about the cognitive mechanisms involved in skilled reading
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1. Introduction
L’acte de lire mobilise un certain nombre de savoir-faire qui sont totalement automatisés chez
l’adulte bon lecteur et lui permettent de se focaliser entièrement sur le sens véhiculé par le
texte. Absorbé par le plaisir ressenti à la lecture d’un bon roman, le lecteur expert se laisse
guider par l’intrigue de l’histoire en toute inconscience de l’activité de décodage qui préside à
la découverte du texte. Il n’en reste pas moins que l’acte de lire est extrêmement complexe en
ce sens qu’il mobilise, en un temps très court, un grand nombre d’opérations mentales allant
du traitement de l’information visuelle à l’activation de réseaux d’informations préalablement
mémorisées sur les mots de la langue et leur sens. On mesure assez bien la complexité de ces
opérations lorsqu’on considère l’apprentissage de la lecture. Malgré une année complète
dévolue à cet apprentissage, la capacité à décoder un texte et le comprendre est encore
souvent balbutiante en fin de CP et 14 % des enfants sont encore en grande difficulté à
l’entrée au collège (Observatoire National de la Lecture 2007). Devant ce constat et sachant le
handicap que représente dans nos sociétés une maîtrise insuffisante de la langue écrite, les
recherches se sont multipliées dans le but de comprendre la nature des mécanismes cognitifs
impliqués dans la lecture experte et son apprentissage. Nous avons fortement progressé dans
notre connaissance de ces mécanismes grâce notamment aux recherches conduites dans le
domaine de la psychologie, de la neuropsychologie et des neurosciences cognitives. Les
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Plusieurs types de modèles théoriques ont été proposés pour rendre compte des mécanismes
d’identification des mots écrits. Les modèles les plus anciens et encore les plus largement
utilisés aujourd’hui sont les modèles à double voie de lecture (Coltheart, Curtis, Atkins &
Haller 1993 ; Coltheart, Rastle, Perry, Langdon & Ziegler 2001 ; voir également une
adaptation récente de Perry, Ziegler & Zorzi 2007). Ils supposent l’existence de deux voies de
lecture distinctes et relativement indépendantes qui permettent aux lecteurs experts
d’identifier l’ensemble des mots écrits qu’ils sont susceptibles de rencontrer. La voie lexicale
permet de traiter les mots connus par activation de leur représentation orthographique lexicale
au sein d’un lexique mental. Celle-ci donne immédiatement accès à ses attributs sémantiques
et à la représentation lexicale phonologique correspondante si bien que le mot écrit est
correctement prononcé et compris. La voie lexicale repose sur un traitement « global » dans la
mesure où le traitement conduit à activer la forme orthographique du mot écrit dans son
ensemble et à produire la forme orale correspondante en une seule étape. Elle permet de lire
l’ensemble des mots qui ont été préalablement rencontrés lors de l’activité de lecture, que ces
mots soient réguliers (par ex. table, radiateur, surprise) ou irréguliers (par ex. femme, hiver,
chorale). La voie sublexicale de lecture, quant à elle, met en jeu un système de règles de
correspondances grapho-phonémiques. Cette voie repose sur un traitement « analytique ». Les
graphèmes qui composent le mot écrit sont successivement identifiés et traités de façon à
générer les unités phonologiques correspondantes ; celles-ci sont maintenues en mémoire à
court terme tout au long du traitement de façon à générer la forme phonologique complète du
mot par synthèse en fin de traitement. La voie sublexicale permet la lecture des mots
Evaluation des difficultés d’apprentissage de la lecture 91
successivement traitée par activation en mémoire de l’ensemble des informations sur les mots
de la langue qui renferment les mêmes unités. Ce mode est dit « analytique » dans la mesure
où la fenêtre visuo-attentionnelle cadre successivement sur les unités orthographiques
pertinentes du mot à lire conduisant ainsi à générer progressivement les unités phonologiques
correspondantes.
Composant orthographique
b r Composant phonologique
a
O2 c
Les études expérimentales que nous avons réalisées ont permis de montrer la capacité du
modèle MTM à rendre compte de nombre de faits expérimentaux relatifs à la lecture experte
(Ans, Carbonnel & Valdois 1998 ; Valdois & al. 2006). Ce cadre théorique devrait s’avérer
également apte à rendre compte de l’apprentissage de la lecture, normal (Valdois & al. 2008)
et pathologique (Valdois & al. 2004). Un intérêt majeur de ce cadre théorique est de postuler
que deux types de traitements, des traitements phonologiques et des traitements visuo-
attentionnels, sont inhérents à l’activité de lecture et contribuent indépendamment à cette
activité. Nous verrons ultérieurement que ce modèle conduit à modifier l’interprétation
classique des troubles d’apprentissage de la lecture.
Il est donc aujourd’hui généralement reconnu que deux procédures de lecture, globale et
analytique, sont fonctionnelles chez le lecteur expert. La question s’est donc naturellement
posée de savoir comment ces procédures se développent au cours de l’apprentissage de la
lecture. Ce développement a été initialement conçu comme se déroulant par étapes
successives (Frith 1985). Après un stade logographique où un petit nombre de mots écrits sont
reconnus à partir d’une analyse très grossière de leur forme physique, l’apprentissage
explicite de la lecture conduit à l’établissement de la procédure analytique. Cette procédure
est fondamentale en début d’apprentissage dans la mesure où la plupart des mots écrits que
Evaluation des difficultés d’apprentissage de la lecture 93
rencontre l’enfant sont nouveaux pour lui et leur forme orthographique non familière. A ce
stade analytique au cours duquel sont apprises les relations grapho-phonémiques, succèderait
un stade orthographique plus tardif qui se caractérise par la mémorisation de la forme lexicale
des mots.
Cette conception de l’apprentissage de la lecture a été remise en question suite à la
publication de données expérimentales suggérant que les connaissances lexicales se
développent quasi simultanément aux connaissances alphabétiques, et ce dès le tout début de
l’apprentissage de la lecture (Bosse, Valdois & Tainturier 2003 ; Martinet, Valdois & Fayol
2004). Cela ne signifie pas pour autant que procédure analytique et procédure globale soient
également efficaces à tout moment du développement. Dans la mesure où les règles de
correspondances grapho-phonémiques sont en nombre limité, où chaque mot correctement
décodé permet de renforcer plusieurs de ces correspondances et où celles-ci sont très
redondantes dans la langue, la procédure analytique de lecture se développe rapidement en
début d’apprentissage à un moment où la procédure globale est encore balbutiante (cf. les
modèles par vague ; Rittle-Johnson & Siegler 1999). La mémorisation de la forme
orthographique des mots rencontrés est cependant présente dès le début de l’apprentissage et
se développe très progressivement jusqu’à prendre le pas sur la procédure analytique.
L’apprentissage de la lecture est en fait un processus complexe au cours duquel les deux
procédures coopèrent. Selon la théorie de l’auto-apprentissage développée par Share (1999,
2004), tout mot nouveau correctement décodé par application des règles de correspondances
grapho-phonémiques donne l’opportunité de mémoriser sa forme orthographique au sein du
lexique mental. La procédure analytique contribuerait donc au développement des
connaissances lexicales spécifiques et donc de la procédure globale de lecture. Même si
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Les cadres théoriques dont nous disposons ont clairement établi que certains mots de la
langue, dits irréguliers (par ex. femme, monsieur ou chorale), ne peuvent être lus correctement
que par activation de leur forme mémorisée et donc sur la base d’un traitement global.
Quiconque tenterait de décoder ces mots de façon analytique en se focalisant successivement
sur les différentes unités orthographiques qui les composent, ne parviendrait pas à générer la
forme phonologique attendue. Ainsi, l’application de connaissances générales quant aux
relations grapho-phonémiques lors de la lecture de la séquence FEMME amènera à générer la
forme orale régularisée /fEm/ au lieu de la forme attendue /fam/. La présentation à l’enfant de
listes de mots irréguliers permet donc d’évaluer le degré de développement de la procédure
globale de lecture. La présence d’erreurs de régularisation telle que /fEm/ pour /fam/ démontre
alors l’utilisation préférentielle de la procédure analytique et un dysfonctionnement de la
procédure globale.
Parallèlement, les mots non encore rencontrés par l’enfant, ne peuvent être traités que par la
procédure analytique de lecture. On utilise classiquement des listes de mots inventés ou
pseudo-mots pour évaluer le degré de développement de cette procédure. Lorsque celle-ci est
peu fonctionnelle, différents types d’erreurs sont observés qui conduisent à déformer la
séquence à lire par substitution, omission, ajout ou déplacement de certains phonèmes. Des
erreurs de lexicalisation sont quelquefois observées, le pseudo-mot proposé est alors lu
comme un mot de la langue (par ex. bate → date ; boinde → blonde). Ces erreurs suggèrent la
mise en jeu de la procédure globale de lecture et le dysfonctionnement de la procédure
analytique. Le temps de lecture des pseudo-mots est un autre indicateur de la fonctionnalité de
la procédure analytique. Certains enfants dyslexiques parviennent à terme à apprendre les
correspondances grapho-phonémiques nécessaires au décodage des pseudo-mots mais leur
lecture reste laborieuse et anormalement lente. Des difficultés relatives au développement de
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de surface montre qu’une procédure analytique efficace ne garantit pas le développement des
connaissances lexicales.
L’évaluation des difficultés d’apprentissage de la lecture passe donc par l’évaluation des
capacités d’identification des mots écrits des enfants de façon à déterminer si les deux
procédures de lecture se sont développées normalement ou pas. Lorsqu’un déficit de
l’identification des mots est mis en évidence, il convient de s’interroger sur l’origine du
trouble. Les travaux menés jusqu’ici ont notamment montré l’importance des capacités de
traitement phonologique dans le développement du système cognitif de lecture. Des travaux
plus récents suggèrent que l’empan visuo-attentionnel joue également un rôle important dans
cet apprentissage. L’évaluation des difficultés d’apprentissage de la lecture passe donc par
l’examen de ces deux types de compétences.
Comme nous l’avons vu, la procédure analytique de lecture joue un rôle majeur en début
d’apprentissage. Or, la mise en correspondance des unités orthographiques et phonologiques
pertinentes dans la langue implique que l’apprenti lecteur procède à une analyse consciente de
la structure du langage parlé, que l’on nomme très généralement « conscience
phonologique ». Celle-ci est définie comme la compétence qui permet d’identifier les
composants phonologiques des unités linguistiques et de les manipuler intentionnellement
(Gombert 1990 ; Gombert & Colé 2000). Ces unités renvoient à des segments sans
signification, tels que les syllabes, les rimes ou les phonèmes. Le développement de la
conscience phonologique amène l’apprenti lecteur à concevoir que les mots parlés sont
constitués d’unités élémentaires (les phonèmes) qui correspondent à l’écrit, à des lettres (a, t)
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un signe d’alerte chez les enfants pré-lecteurs. Le trouble de conscience phonémique reflète
un déficit phonologique qui peut avoir des répercussions plus larges au niveau
comportemental et s’accompagner de problèmes de mémoire à court terme verbale ou de
difficultés touchant la sphère langagière que l’on peut mettre en évidence dans des épreuves
de répétition (notamment de pseudo-mots) ou de fluence verbale (tâche qui consiste à
produire le plus de mots possibles commençant par un phonème donné). Des difficultés
comparables sont également observées dans le contexte des troubles spécifiques du langage
oral (ou dysphasies) si bien que l’examen clinique inclut généralement une évaluation
complémentaire, notamment des capacités morpho-syntaxiques qui sont généralement
atteintes en contexte dysphasique mais préservées chez les enfants dyslexiques.
Quant à ses relations avec la lecture, le déficit phonologique nuirait à l’acquisition des
correspondances grapho-phonémiques, entraînant ainsi un retard dans l’installation et
l’automatisation de la procédure analytique de lecture. Dans la mesure où le principe
alphabétique repose sur la prise de conscience de la nature segmentale du langage parlé, les
relations entre unités orthographiques et phonologiques ne peuvent être apprises que si
l’enfant est capable d’identifier les unités phonologiques qui composent les mots. Les
difficultés de traitement méta-phonologique largement documentées chez les enfants et les
adultes dyslexiques pourraient dès lors expliquer les difficultés qu’ils rencontrent à structurer
leur système cognitif de lecture. Les simulations conduites dans le cadre du modèle de lecture
implémenté sous forme de réseau connexionniste par Harm et Seidenberg (1999) confortent
cette hypothèse en montrant qu’une atteinte légère des composants phonologiques du réseau
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Nul ne conteste que la lecture implique le traitement de séquences de lettres qui sont
appréhendées visuellement. Néanmoins, les traitements visuels à la base de l’activité de
lecture ne sont le plus souvent pas pris en compte dans les modèles de lecture et l’on ignore
encore assez largement la nature des opérations cognitives mises en jeu dans ces traitements.
Parce que la lettre semblait un élément de base pertinent, les recherches se sont initialement
focalisées sur la capacité des apprentis lecteurs et des enfants dyslexiques à traiter les lettres
isolées. Ces études conduisent à penser que la capacité à reconnaître les lettres se développe
rapidement (Pelli & al. 2006) et n’est pas perturbée en contexte dyslexique (Shovman &
Ahissar 2006). On sait par ailleurs que la connaissance du nom des lettres en grande section
de maternelle contribue à prédire le niveau de lecture auquel parviendra l’enfant l’année
suivante (Foulin 2005), mais des difficultés à ce niveau peuvent s’observer malgré de bonnes
capacités de discrimination et d’appariement et pourraient donc être davantage liées à
l’apprentissage d’une étiquette verbale en association à la forme écrite qu’à la reconnaissance
de la forme physique de la lettre.
Evaluation des difficultés d’apprentissage de la lecture 97
D’autres types de traitements visuels ont été décrits comme déficitaires chez les enfants
dyslexiques. Des difficultés à traiter visuellement des informations temporelles rapides ont
notamment été observées chez les enfants en difficulté d’apprentissage, suggérant une atteinte
du système visuel magnocellulaire (Hari & Renvall 2001). Les difficultés particulières que
certains dyslexiques présentent lorsqu’il s’agit de traiter des stimuli visuels de faible contraste
ou en mouvement et les particularités oculomotrices qui les caractérisent semblaient
également conforter l’hypothèse d’un dysfonctionnement du système magnocellulaire (Stein
& Walsh 1997). Il s’est cependant avéré difficile d’établir un lien causal entre traitement
magnocellulaire et apprentissage de la lecture, et ce pour deux raisons principales : d’une part,
l’absence de cadre théorique permettant de comprendre comment un déficit magnocellulaire
pouvait affecter l’apprentissage de la lecture (voir cependant Pammer & Vidyasagar 2010) ;
d’autre part, le fait que les troubles visuels magnocellulaires étaient observés chez des enfants
qui présentaient également un déficit phonologique ne permettait pas de conclure à l’influence
de ces traitements sur la lecture dans la mesure où les difficultés d’apprentissage observées
pouvaient aussi bien résulter du seul trouble phonologique.
Il est plus récemment apparu que les enfants dyslexiques présentaient des difficultés à traiter
des séquences de lettres. Les difficultés s’observent même lorsque les lettres utilisées sont des
consonnes et conduisent donc à une séquence non prononçable qui ne sollicite ni l’activation
d’informations lexicales mémorisées ni la mise en jeu des relations grapho-phonémiques.
Quelques études suggèrent d’ailleurs que les difficultés touchent plus largement le traitement
de séquences de plusieurs éléments qu’il s’agisse de chiffres (Hawelka & Wimmer 2006) ou
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permettant de s’assurer de la capacité des enfants à identifier rapidement les lettres isolées.
Ainsi, une réduction du nombre de lettres correctement identifiées dans les épreuves de report
malgré de bonnes capacités d’identification des lettres isolées reflète un trouble spécifique de
l’empan VA.
(a) (b)
. .
RHSDM RHSDM
200 ms 200 ms
50 ms
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Une première série d’études a été menée auprès d’un échantillon de 417 élèves de primaire de
façon à démontrer un lien entre leurs capacités d’empan VA et leur niveau de lecture (Bosse
& Valdois 2009). Cette étude a permis de montrer que l’empan VA augmente tout au long du
primaire. Les enfants de CP identifient 3 consonnes en moyenne sur les 5 présentées dans les
épreuves de report ; le niveau d’identification moyen des enfants passe à 3.5 et 4.3 en
moyenne en classe de CE2 et de CM2 respectivement. Outre ces épreuves de report,
l’évaluation comportait également des tâches de lecture de mots isolés réguliers et irréguliers
et de pseudo-mots ainsi qu’une évaluation de l’efficience intellectuelle des enfants et de leurs
capacités de traitement phonologique. Ces dernières étaient estimées à partir d’épreuves de
mémoire à court terme verbale et d’épreuves méta-phonémiques du type de celles décrites
dans la section précédente. Nous avons pu montrer que l’empan VA contribue au niveau de
performance en lecture des enfants indépendamment de leurs capacités de traitement
phonologique, de leur niveau d’efficience intellectuelle et de leur aptitude à reconnaître les
lettres isolées. Cette relation est observée dès la première année d’apprentissage de la lecture
et concerne tous les types de mots qu’il s’agisse de mots réguliers et irréguliers ou de pseudo-
mots. Elle reste forte tout au long du primaire et est particulièrement stable pour les mots
irréguliers, suggérant un lien particulier avec ce type d’item. L’empan VA prédit en outre les
performances en lecture, que l’on considère la qualité de la réponse (score) ou la vitesse de
lecture. On savait par ailleurs l’importance des compétences phonologiques en début
d’apprentissage, celle-ci a été confirmée par notre étude qui démontre que les performances
phonologiques et l’empan VA contribuent de concert à l’apprentissage de la lecture en CP.
Cependant à la différence de la dimension phonologique dont l’influence tend à s’amenuiser
rapidement au cours du primaire, la contribution de l’empan VA perdure et reste encore
importante en CM2 à un moment où les capacités phonologiques des enfants ne contribuent
Evaluation des difficultés d’apprentissage de la lecture 99
plus à leur performance en lecture. Il semble donc que l’empan VA joue un rôle majeur dans
l’apprentissage de la lecture, ce qui a pu être confirmé par les études menées auprès d’enfants
dyslexiques. Nous avons également montré qu’une évaluation précoce des capacités d’empan
VA avec tout apprentissage explicite de la lecture (en grande section de maternelle) permet de
prédire le niveau ultérieur de lecture des enfants, si bien que les épreuves de report (adaptées
pour l’âge) constituent des outils de dépistage propres à identifier les enfants à risque de
rencontrer des difficultés d’apprentissage de la lecture.
Plusieurs études de cas ont permis de montrer que certains enfants dyslexiques présentent une
réduction de l’empan VA en dépit de compétences phonologiques préservées (Dubois & al.
2010 ; Valdois & al. 2003) alors que d’autres démontrent des troubles phonologiques mais
des capacités préservées d’empan VA (Lallier & al. 2010 ; Valdois & al. 2003). Les troubles
sélectifs de l’empan VA ont notamment été décrits dans le contexte des dyslexies de surface,
autrement dit chez des enfants dont les difficultés se manifestent principalement au niveau de
la lecture des mots irréguliers et démontrent un dysfonctionnement de la procédure globale de
lecture. Au contraire, les capacités d’empan VA semblent préservées chez les enfants qui
présentent une dyslexie phonologique et un dysfonctionnement de la procédure analytique se
traduisant par de faibles performances en lecture de pseudo-mots. L’étude de certains cas
prototypiques de dyslexies développementales a donc montré que trouble phonologique et
trouble de l’empan VA pouvaient être dissociés en contexte dyslexique. L’étude de
l’activation cérébrale chez deux cas contrastés de jeunes adultes, présentant l’un un trouble
phonologique isolé, l’autre un trouble sélectif de l’empan VA, a par ailleurs montré que ces
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que les relations mises en évidence jusqu’ici entre empan VA et lecture pourraient également
caractériser les langues transparentes.
Dans la mesure où la lecture des mots irréguliers requiert un traitement global qui prenne en
compte l’ensemble de la séquence du mot, ceux-ci ne peuvent être traités correctement que si
l’empan VA est suffisamment large pour englober l’ensemble des lettres du mot (Valdois,
Bosse &. Tainturier 2004). Cette relation particulière pourrait expliquer la stabilité du lien
entre empan VA et lecture de mots irréguliers au cours du primaire. Elle permet également de
comprendre qu’une réduction de l’empan VA affectera prioritairement la lecture des mots
irréguliers et pourra donc entraîner une dyslexie de surface. Cependant, une réduction de
l’empan VA devrait également affecter la lecture des mots réguliers dont la reconnaissance
rapide passe par un traitement global. Ainsi, une réduction de l’empan VA devrait conduire à
un ralentissement de la vitesse de lecture sur ces items même lorsque l’empan est suffisant
pour assurer le traitement des unités sub-lexicales qui composent ces mots, conduisant ainsi à
un bon score de lecture. L’impact de l’empan VA sur la vitesse de lecture a été mis en
évidence dans l’ensemble des études que nous avons effectuées jusqu’ici.
Les traitements analytiques se caractérisent par l’analyse d’unités sublexicales qui peuvent
aller de la lettre à la syllabe. Un empan VA de taille limitée suffit à traiter les lettres isolées,
les premières que l’enfant débutant lecteur apprend à associer aux phonèmes correspondants.
Mais très rapidement l’enfant est confronté à des graphèmes plus complexes composés de
deux (par ex. « OU », « CH », « AI ») ou trois lettres (par ex. « EAU », « AIN ») nécessitant
des capacités d’empan VA plus importantes. En fait, nombre de graphèmes de deux ou trois
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progressivement, même si le décodage phonologique du mot est dans les deux cas réussi et
global (Chaves, Bosse & Largy 2010).
5. Conclusion
Sylviane Valdois
Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition (UMR 5105-CNRS)
Université Pierre Mendès France
BP 47, 38040 Grenoble, Cedex 9
Tél. : 04 76 82 58 80
<Sylviane.Valdois@upmf-grenoble.fr>
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