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POUR UNE APPROCHE DE LA VARIATION LINGUISTIQUE

Josiane Boutet, Françoise Gadet

Armand Colin | « Le français aujourd'hui »

2003/4 n° 143 | pages 17 à 24


ISSN 0184-7732
DOI 10.3917/lfa.143.0017
Article disponible en ligne à l'adresse :
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POUR UNE APPROGHE
DE LA VARIATION LINGUISTIQUE
Par Josiane BOUTEI & Françoise GADEI

Depuis l'émergence de la didactique du ft*Ctt langue maternelle, des


liens importants, et à certaines périodes privilégiés, ont été consuuits
entre celle-ci et les sciences du langage ; cette revue en est d'ailleurs à la
fois un témoin et un agent actif, De nombreux thèmes, courants de
recherche, problématiques émanant de la linguistique se sont retrouvés
sous des formes plus ou moins appliquées dans les manuels et les salles de
classe ; les domaines les plus récemment impliqués dans la didactique du
français étant la linguistique textuelle et les théories de l'énonciation
auxquelles les .IO des collèges de 1996 font amplement référence (voir
Le Français aujourd'hui,n" 128, 1999).
De façon paradoxale, la didactique du français-langue maternelle a peu
repris jusquà présent les résultats de la recherche sociolinguistique'. Il
s'agit pourtant d'un des domaines des sciences du langage qui, lors de sa
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constitution en France dans les années 1970, abeaucoup observé, décrit
et analysé les situations scolaires. Le terrain de l'école, en tant que lieu de
production et de reproduction des inégalités sociales, a pendant près
d'une décennie constitué l'un des terrains privilégiés de nombreux socio-
linguistes, en France comme dans les pays anglosaxons (lire entre autres'
Langages, n'59, 1980).
Nous voudrions ici montrer la pertinence qu il y aurait, pour I'ensei-
gnement du français à établir des liens théoriques avec ce que nous
àonsidérons comme les enseignements majeurs de la sociolinguistique
aujourd'hui : ne pas disjoindre l'étude du langage des situations sociales
oir il est produit, et considérer la variation comme une propriété fonda-
menrale àes langues. De tels liens ne sont certes pas évidents à établir,
car le professeur de leftres, du fait de sa culture, du fait de la position
forte qu il a acquise dans l'univers de la littératie, et du fait de la rela-
tion étroite entre sa profession et la norme prescriptive, est assurément
I'un des acteurs sociaux les moins bien préparés à considérer que le
français dont il est spécialiste et qu il enseigne - le français écrit, et de
surcroit littéraire - n'est pourtant qu'une variété parmi I'ensemble des
variétés du français.

1. Pour des ffavaux récents, voir Ville-Ecole-Intégration, n" 730.


le Français aujourd'hui no 143, < Les langues des élèves r

IJapproche de la sociolinguistique
Il existe des disciplines scientifiques dont l'objet ne pose pas de redou-
tables problèmes théoriques ; il est visible, donné dans la natur., même si
pour I'observer et le décrire les chercheurs sont contraints d'inventer des
instruments leur permettant d'accéder au très petit ou à l'infiniment loin,
comme pour la biologie moléculaire et l'astrophysique. En sciences
humaines et sociales, cette évidence empirique de l'objet riexiste pas. Pas
plus la < société ) pour la sociologie que la u langue D pour les linguistes
ne sont des objets narurels. Rappelons que F. de saussure caractérisait la
langue comme un objet théorique consrruir par le point de vue de l'ana-
lyste. Dans le réel de la vie liméraire ou de la vie quotidienne, personne ne
pade, n écrit, riécoute ou n'enregisue n la langue ,. Ce qui est observable
dans le réel de Ia production langagière, ce qui est enregistrable ou lisible,
ce sont des manifestarions ou des ffaces diverses et hétérogènes de l'acti-
vité de langage des locuteurs et des scripteurs : romans, conversations
téléphoniques, exposés magistraux, post-its sur un écran d'ordinateur, erc.
l.a sociolinguistiqud envisage les langues non seulement du côté du qystè-
me, mais aussi du côté de I'usage qu'en ont les locuteurs, traversé par la
diversité et la variation : variation historique, variation géographique, varia-
tion sociale, variation siruationnelle. Quoique peu introduite et peu repré-
sentée dans l'enseignement du français, sinon à ses marges avec les notions
de u registres de langue, er u niveaux de langue o, coÀme nous allons le
montrer (voir p.-20), cette conception permet de changer de regard, de pos-
ture à_l'e1{roit de la représentation corunune de la langue frangise er, par-
ta"!,i. la langue des élèves. En effet, elle a des implications qui ne sonr pas
triviales en matière éducative. Adopter un point de vue roiiolinguistiqu.
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implique de ne pas considérer la variation comme une scorie destscours


ou comme une manifestation de compétence linguistique limitée de la parr
des locuteurs, mais comme une propriété fondamentale de l'exercicJ du
langage. Cela conduit à poser quil y a toujours différentes normes de réali-
sations d'une même langue et qu'aucun locuteur ne parle de façon iden-
tique en donnant un bain à ses enfana, en acheanr un ticket de métro ou
en faisant un exposé lors d'une réunion professionnelle. Enfin, cela suppo-
se de mettre sur un même plan descriptif
- sinon évaluatif- les différentes
variétés d'une langue que sont, par o<emple, les usages littéraires et les
usages conversationnels. Dire ceci ne signifie pas méconnaitre les effea de
légitimation ou de stigmatisation sociale qriengendre la constitution d'une
norme prescriptive ; ce que P Bourdieu avait décrit dans les termes du
lmarchf linguistique, et de finégalité d'accès à ses biens symboliques.
Dire n c'esr elles qut ( apprendent > et non u ôest elles qur t apprennent >> a
certes des effets en rermes de classement social, particulièremént en situa-
tion scolaire. Mais ces formes, dès lors qu elles présenrenr une cerraine
récurrence et ne sont pas de simples hapax, sont considérées par le sociolin-
guiste comme des réalisations possibles de la langue française er, comme
telles, objets de description.

2. Le lecteur pourra lire par exemple deux ouvrages de présentation de la discipline:


J.-L. Calvet, 1993 etJ. Boutet, 1997.
Pour une approche de la variation linguistique 19

On peut de façon rapide organiser la diversité des données langagières


observables selon deux grands types : des corpus de langue parlée et des
corpus de langue écrite. Il ne s'agit pas là d'une coupure, mais d'un
ensemble de variétés situées entre deux pôles - les écrits monumentar.D(
de type juridique ou littéraire d'un côté, les usages vernaculaires comme
la conversation, de I'autre. Néanmoins, les traditions d'analyse de ces
corpus sont largement divergentes et les théories produites paftielle-
ment autonomes. Les corpus de langue écrite ont longtemps été I'objet
propre des juristes, des historiens, des littéraires et des grammairiens.
Quant arlx corpus de langue padée, les analyses, les traitements systé-
mâtiques organisés dans des buts de description grammaticale sont très
récents, et ne datent en France que du courant des années 1970
(C. Blanche-Benveniste, 1997).
C'est d'emblée avec les corpus de langue écrite, et plus précisément
littéraire, que les professeurs de français entretiennent une grande affi-
nitd. Ils sont en revanche, du fait de leur formation puis de I'exercice de
leur profession, peu âmiliers des corpus de langue parlée et des théories
qui les appréhendent.

Dans les documents officiels


De façon significative, les Insmraions officielbs dcs colhges de 1996, bien
qu elles déterminent un nouveau champ de I'enseignement du français à
savoir l'oral - et en conséquence assignent de nouvelles tâches aux ensei-
gnants de français - ne conçoivent le travail sur I'oral qu en tant que pré-
paration ou aide aux activités d'écriture. Elles nabordent quasiment Pas
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I'insenion sociale de I'activité de langage, et la diversité linguistique qui
en découle. Les auteurs des Docammts daccompagnem.ent dts programmes
dz 6 (1996), regrettant à juste titre que la pédagogie de l'oral reste large-
ment à construire, proposent des activités comme la récitation, les
exposés, le théâtre; c'est-à-dire des variétô qui sont orales du fait du
media de la communication (la voix), mais qui sont en fait des écris du
point de vue de l'élaboration linguistique.
Dans ces Docurnmts comme dans les manuels, iest lors de la présen-
tation de la u grammaire de discours u qu'on rencontre un questionne-
ment qui pourrait êrre de nature sociolinguistique, celui qui concerne la
o situation , de production des discours : u Etudier le discours conçu
comme mise en pratique de la langue revient à s'interroger sur la façon
dont un énonciateur précis s'adresse à un destinataire particulier, dans
une situation déterminée par le lieu et le moment de l'énonciation [...]
de ce fait, I'analyse du discours s'attache : à préciser les composantes de
la situation d'énonciation : qui parle ou qui écrit à qui ? où et quand ? o
(Docummts, p.26)

3. Nous ne négligeons pas le courant didactique des écrits fonctionnels, mouvement


pédagogique initié, enre autres, par le GFEN. Nous sommes aussi conscientes que les
.IO invitent les enseignants à faire observer par les élèves des textes littéraires et des textes
non littéraires, et que les manuels introduisent volontiers des écrits quotidiens comme la
presse, les BD ou la publicité.
20 Le Français aujourd'hui no 143, < Les langues des élèves u

Ces propos, traduction approximative du célèbre n who speahs what kn-


guage to whom and whm ? o du linguiste américain D. Hymes (présenré
dans C. Bachmann et alii, l98l) s'inspirent, quoique sans y faire explici-
tement référence, d'un courant sociolinguistique nord-américain connu
sous l'expression d'ethnographie dt k cornmunicatioa. Ce couranr a pro-
posé de distinguer entre la u compétence linguistique u, enrendue comme
la compétence à comprendre et produire des énoncés hors situation, une
compétence essentiellement au plan du système linguistique (phonologie,
morphologie, syntaxe), et la < compétence de communication u. Celle-ci
englobe et dépasse la précédente er permer aux locuteurs de savoir quelle
langue ou quelle variété de langue utiliser en fonction de la personne à
qui on s'adresse, du thème du discours, de la situation sociale de com-
munication.
C. q,ri est central dans cette théorie iest donc le lien étroit entre des
variations dans la forme des discours et des caractérisriques des situations de
communication. C'est ce lien qui fait défaut dans les Documents; la
recherche de la relation entre ( quel langage, quelle langue, quelle variété,
quel style, quelle forme linguistique ? , et des faits situationnels ayant été
&incée. l,a situation de communication ou d'énonciation est devenue un
simple cadre dont il faut en classe décliner les caractéristiques. Pour que les
situations sociales soient conçues cornme des composants de I'acte d'énon-
ciation, il faudrait mettre en place des comparaisons enrre différentes situa-
tions de communication, conduire un travail systématique sur la relation
entre des formes linguistiques - variétés, langues, genres, dialectes er des -
situations sociales de communication. C'est pourquoi le questionnement
aux élèves u qui parle ou écrit à qui ? où et quand ? o est devenu dans les
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salles de classe un passage obligé vide de sens.

Les notions de niveaux et de registres


dans les marruels scolaires
C'est seulement depuis les années 1950 que la notion de n niveatx de
langue , (ou u registres u) s'est répandue, d'abord dans la traduction liré-
raire (traduireJoyce en français, ou Céline en anglais...), dans l'établisse-
ment de mentions dans les dictionnaires, et dans l'enseignement du
français langue étrangère (FLE). Son emploi s'esr peu à peu étendu à la
didactique de la langue maternelle, et il y a aujourd'hui peu de gram-
maires scolaires pour ne pas au moins l'évoquer. C'est là la façon dont est
reflétée la diversité des façons de parler d'un même locureur, capable de
moduler son discours selon le cadre (la siruarion, le ou les inrenocu-
teur(s), les objectifs. de l'échange, son caracrère plus ou moins
préparé/spontané, le chenal oral ou écrit...).
Comme dans la conception répandue dans le grand public, la rendance
des manuels scolaires est à favoriser la place du lexique dans ce phénomè-
ne, et du même coup à négliger le rôle des autres dimensions, phonique ou
grâmmaticde. Se manifeste ainsi une conceprion de la langue qui prend la
forme d'un o posnrlat lexical )) : ( ce qui se dit X en français couranr (sran-
dard, neutre), se dit Y en français familier, ouZ en frangis sourenu >.
Pour une approche de la variation linguistique

Iæs présentations offenes par les différentes grammaires que nous avons
consultées ne sont évidemment pas toutes semblables, mais elles manifes-
tent des tendances récurrentes ; cette nodon étant généralement conçue de
façon très traditionnelle et proche de la conception du style littéraire : n on
appelle registre de langue le niveau de corection et de recherche du langa-
ge utilisé o (Hachene 5', p. t 1). Nous allons le montrer en quelques points.
la conception courante des grammaires comporte trois niveatx : ( sou-
t€Iru ), ( courant ,, u familier r. ks allusions à un autre niveau, le n popu-
laire ,, sont rares, et toujours dépréciatives. Ainsi : n il ne faut pas
confondre le regisue familier avec le registre vulgaire ou grossier, ni avec
les langages particuliers comme l'argot ou le verlan o (Belin 6', p.32).Un
tel découpage en trois niveaux n'a rien de gênant, car quand on a affaire
à un continuum de phénomènes linguistiques, c'est le fait même de
découper - et l'interrogation sur < où faire passer les frontières u - qui
pose problème, pas le principe du découpage. Le problème serait iden-
tique si l'on devait retenir les quatre niveaux que retient généralement la
sociolinguistique, en tenant compte du n populaire ,.
Mais qu est-ce qu'un niveau ? Les grammaires ne jugent pas toujours
indispensable de définir cette notion, donnée comme une évidence qui
laisse entendre que les niveaux existent bel et bien dans le réel. Quand
elles le font, c'est dans la perspective de la situation de communication
présentée de façon très simplifiée : n adapter son langage à son destina-
taire et à la situation dans laquelle il se trouve o (Belin 6", p.32).
l^a conception que nous appellerons ( équivalence sémantique entre
termes lexicaux u, illustrée par le postulat lexical, est rarement revendi-
quée comme telle. Au contraire, il est souvent dit qu il ne faut pas oublier
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le phonique et le grammatical. Pourtant, on voit dans les exercices que
iest elle qui prédomine, comme dans l'exercice qui consiste à présenter
une liste de mots qu il faut âire entrer dans un tableau à trois colonnes
correspondant aux trois niveaux: u Rangez les verbes et les locutions ver-
bales de la liste dans le tableau suivant en plaçant les synonymes sur une
même ligne , (Belin 6', p.33).Ijidée est bien que I'on dit la même chose
aux différens niveaux, et que I'effet de niveau riest qu'un n en plus o à
une signification de base.
Que cette conception soit simplificatrice, certains le disent : n Les
registres de langue ne dépendent pas seulement du choix du vocabulaire,
ils correspondent également à des tournures de phrases, à I'emploi des
temps et des modes... o (Belin 6", p.32).Il est cenes indéniable que des
phénomènes non lexicaux jouent un rôle dans la détermination des
niveaux : la liaison facultative, le ne de négation, le type d'interrogative
(que dit-il ? vs il dit quoi )... Ces phénomènes ne sont Pas tous ignorés
des grammaires, mais : a) toutes ne les signalent pas ; b) les phénomènes
signalés sont peu nombreux, sauf chez Hachete 5' qui présente une liste
de huit traits (d'abord marques lexicdes, puis marques syntaxiques),
d'ailleurs rangés sous l'opposition oral/écrit; etc.), il nest à peu près
jamais question du phonique ; ce qui trahit encore I'orientation préféren-
tielle vers l'écrit : u Les niveaux de langage [...] t. marquent dans le choix
des mos [...] et dans le choix des tournures u (Delagrave 5', p. 2I).
22 Le Français aujourd'hui n' 143, < Les langues des élèves r

On laisse entendre qu il doit y avoir cohérence entre les différents traits


en jeu, qui convergent tous vers la définition d'un niveau, de façon atten-
due comme harmonieuse. Ainsi, il en va de la problématique de u I'in-
trus , dans les exercices ; je souhaiterais obtenir un rendez-uous auprès du
dirlo (Hachefte 5", p. 13) où I'on attend évidemment le remplacement de
dirlo), ou lorsquon demande de n réécrire en langage courantu. Mais
comment réécrire mon père, quand il bosse pas, il se mane toat le ternps
(Belin 6' p. 33) ? la solution est loin d'être unique. Oç dans les façons àe
parler effectives, ce que l'on renconrre peut foft bien être hétérogène.
Nous avons pu relever de nombreux exemples comme ils croiamt que dans
rna tête ça ne aa pas, où la faute de morphologie verbale < croivent > voi-
sine avec un ne de négation. Or, ce riest pas une contradicdon, c'est de la
langue parlée effective.
IJimportance de la distincdon entre oral et écrit et son impact sur les
niveaux est généralement affirmée, mais comme une simple distinction
de médium, ce qui laisse entendre que I'on peut dire et faire la même
chose par oral et par écrit. On pose une équivalence enûe oral et spontané
d'une part (u forme d'expression qui traduit directement les émotions et
-
les sentiments n, Hachefte 5" p. 15 comme si on ne parlait jamais de
façon solennelle), écrit et travaillé de l'autre (< communication plus éla-
borée, qui comporte une intention précise d'écriture ,, idem, p. 16).
Cette distinction, traditionnelle, est difficile à tenir en une époque où des
technologies omniprésentes comme le téléphone ou Interner ont brouillé
les repères classiques de distinction entre les chenarx.
Tous les exercices er une bonne parrie du texte indiquent que la
conception qui préside esr celle d'une synonymie entre nivearx, dont le
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présupposé apparait congruenr avec une conceprion de la langue selon
laquelle le locuteur choisit d'abord ce qu il a à dire, puis déc1de de le
couler dans I'un des styles qu il a à sa disposition. Ceci est explicite chez
Delagrave (6) qui, après un exercice où il s'agit d'associer des vêtements
à des situations, conclur : n De même qu on choisit ses vêtements en
fonction des circonstances, on choisit ses mots et ses tournures en fonc-
don de la situation (p. 33).
"
On conclura sur les registres en rappelant la grande souplesse dont
sont capables les locuteurs et sur laquelle pourtant ils ont très peu de
conscience réflexive. Ainsi, l'une d'entre nous a fait travailler un public
de formation permanente en leur présentant ces deux exrraits, transcrip-
tions d'auto-enregistrement d'une même jeune femme en deux situa-
tions clairement diversifiées (les deux au téléphone, le premier avec son
compagnon dans une scène de ménage, le deuxième avec un professeur
quelle ne connait que par correspondance) :
(l) mais putain qu est-ce ru me prends la tête là < je te dis est-ce qu'i vient
lui / quoi < ben Jean quoi / i(es)t une blague < anends là | y aquelque
chose de louche là / faut pas niemmerder quand même / i vient < oui <
non < non je peux pas me déplacer / Fabrice il a pas fait ses devoirs /
qu est-ce ru me / mais je / arrête bon sinon / tu viendras < dois-je te pré-
parer la table < et pis monsieur sera servi / on s'en four de ça /'de toute
façon c'esr à peu près rout ce que tu sais dire
Pour une approche de la variation linguistique LJ

(2) allo oui c'est Gisèle / à qui ai-je I'honneur < / ah bonjour monsieur X
/ je vous les ai envoyés I y a exactement un mois / lorsque j'ai reçu mon
dossier d'adhésion l'inscription a donc été validée / du moins me semble-
t-il / mais I'inscription de laquelle je / a bien été validée / non il est vrai
que nous riavons pas de portable mais tout de mêmeje devais être mise
au courant / ne serait-ce que pour corriger le dossier dans le cas où inter-
viendrait une erreur / tout à fait mais puis-je vous poser une quesdon <
Aucun stagiaire n'a pensé qu il pouvait s'agir de la même personne, et ce
sont des jugements sociaux qui ont été assignés : la première vue comme
peu éduquée, la deuxième comme exerçant une profession prestigieuse.
On en conclura que les locuteurs, s'ils savent fort bien user des registres et
s'ils savent fort bien les évaluer quand ils les entendent, ne savent pas
qu ils le savent et ne sont pas habitués à y réfléchir.

Conclusion
Pour organiser la diversité des produits de I'activité de langage,
M. Bakhtine distinguait entre les ( genres premiers qui se sont constitués
dans les circonstances d'un échange verbal spontané > et les ( genres
seconds qui apparaissent dans les circonstances d'un échange culturel
(principalement écrit) - artistique, scientifique, sociopolitique - plus
complexe et relativement plus évolué (197911984, p.267). Les u genres
"
premiers D ne sont pas, en tant que tels, objets d'enseignement au collège.
On a vu que des nodons cornrne u communication, oral, niveaux de
langue > sont, dans l'univers de I'enseignement du français, pensées et
didactisées par rapport à l'écrit et à son acquisition. L,a variation dans les
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pratiques langagières y est conçue comme un choix des locuteurs entre
des options équivalentes, au même dtre que le sryle littéraire ; les exercices
entrainant les élèves en ce sens. Ce primat constant de l'écrit sur l'oral, s'il
s'explique par le but principal assigné à la scolarisation de maitriser I'ordre
de l'écrit, empêche néanmoins de concevoir les fonctionnements propres
de la langue et de la communication padées, comme leur éventuel ensei-
gnement. Pourtant beaucoup d'enseignants, confrontés aux pratiques lan-
gagières de leurs élèves (le u français des jeunes r), souhaiteraient pouvoir
disposer d'une pédagogie de l'oral. Celle-ci ne pourra certainement pas se
construire en toute indépendance d'une connaissance et d'une reconnais-
sance des spécificités des u genres premiers n dont la variation systéma-
tique, I'hétérogénéité et la dépendance aux situations sociales sont des
propriétés fondamentales.
Josiane BOUTET
IUFM de Paris et Université Paris-VII
Françoise GADET
Université Paris-X
.l43,
L4 Le Français aujourd'hui no a Les langues des élèves r

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