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FRANÇAIS
Bertrand Daunay
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1. Cet article est issu d’une conférence faite dans le cadre du séminaire du CELAM (Uni-
versité Rennes 2), le 9 décembre 2004.
Le Français aujourd’hui n° 157, Sujet lecteur, sujet scripteur, quels enjeux pour la didactique ?
B. Veck ne cite pas le texte de G. Lanson et n’y fait sans doute pas allusion ;
on dirait pourtant qu’il le calque pour s’en démarquer, tant ses mots semblent
être l’exacte antithèse des propos de Lanson : le principe d’adaptation des
textes au lecteur que ce dernier décrit, fondamental dans la conception scolaire
traditionnelle de la lecture, est désormais exclu par B. Veck de la discipline elle-
même : ultime étape d’un parcours qui a conduit la discipline « français » vers
un formalisme calqué sur les pratiques professionnelles (universitaires) de la
littérature. Or B. Veck est parfaitement clair dans les conséquences (qu’il
assume) de ce formalisme né des pratiques « professionnelles » de la lecture,
comme on peut le voir dans ces mots (1996 : 6) :
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« Le sujet lecteur : une question pour la didactique du français »
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Le Français aujourd’hui n° 157, Sujet lecteur, sujet scripteur, quels enjeux pour la didactique ?
« Les seconds peuvent renvoyer à des savoirs qui relèvent d’autres discipli-
nes. C’est le cas si le professeur de français s’improvise professeur d’histoire
pour rappeler ou donner des informations sur la guerre franco-prussienne
de 1870. Mais il arrive abondamment dans le corpus que nous observons3
que le professeur de français, pour assurer la compréhension littérale du
texte, soit contraint d’introduire ou de vérifier la disposition de connais-
sances qu’on ne rattacherait pas sans quelque artifice à une discipline cons-
tituée, et qui relèvent tout simplement de la connaissance du monde,
entendue dans le sens le plus immédiat et le plus général. »
Comme exemple, J.-M. Fournier cite des questions d’élèves sur le
cresson, ou sur les glaïeuls, ce qui ne laisse pas d’interroger sur la conception
du cours de français, qui place hors de la discipline des questions de voca-
bulaire. On voit bien ressurgir ce que je disais plus haut concernant la
conception de la didactique : s’il existe effectivement des disciplines cons-
tituées auxquelles il faille se référer (se rattacher, dit Fournier), le professeur
de français devient historien (ou philosophe, auraient dit les Instructions
officielles de 1890) ou doit faire appel à des savoirs non strictement disci-
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« Le sujet lecteur : une question pour la didactique du français »
Ce qui est en cause dans ces remarques, c’est la connivence culturelle que
sous-tend une telle approche, dont le rejet, il faut se le rappeler, était le
fondement de l’approche « scientifique » des textes : F. Ropé rappelle
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(1990 : 132) que l’introduction des études structurales dans les classes au
cours des années 1970-1980 voulait « échapper à l’effet de distinction
sociale des Belles-Lettres » – et s’accompagnait d’ailleurs d’un changement
de paradigme : les textes et non la littérature. A.-M. Chartier et J. Hébrard
(1997 : 112) voient les mêmes causes à la volonté des Cahiers pédagogiques
de prôner, à partir de la fin des années 1960, « un modèle “scientifique” de
la littérarité ».
Or il faut se méfier de ces retours de balancier, quand on dénonce le
formalisme. Car à l’inverse dans les années 1950, ces mêmes Cahiers péda-
gogiques, toujours au nom de la promotion d’un public scolaire différent
de l’élite, prônaient une explication de texte littéraire fondée sur « une
culture de l’émotion » et qui posaient que « lire c’est ressentir ».
J’emprunte ces expressions à A.-M. Chartier et J. Hébrard (ibid. : 106),
qui citent un propos tenu dans les Cahiers pédagogiques à cette époque
(ibid. : 94) :
« Il n’y a plus, parmi les enfants dont nous avons la charge, de clientèle pré-
destinée. Il faut obéir sans réticence, sans arrière-pensée, à l’exigence de jus-
tice qui veut qu’à tous les petits Français soient offertes des conditions
égales de formation humaine et de développement personnel. Au service
de cette foi démocratique, il faut au point de vue pédagogique un esprit dé-
pouillé de tout préjugé étroitement intellectualiste. »
Et cet effet de balancier a été bien décrit par J.-F. Halté (1992 : 75) :
« À certains moments de son histoire, le français a assumé vigoureusement
son décalage par rapport aux sciences, au risque du subjectivisme flou, à
d’autres, tentant de se dégager d’une image trop impressionniste, il s’est re-
vendiqué des sciences, au risque d’un scientisme. »
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Le Français aujourd’hui n° 157, Sujet lecteur, sujet scripteur, quels enjeux pour la didactique ?
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« Je ne suis pas certaine qu’on puisse apprendre à bien écrire, encore moins
à écrire absolument parlant, sinon par l’écoute et la lecture, c’est-à-dire par
une imprégnation inconsciente suivie d’un investissement subjectif qui
relève du gout et du désir, imprescriptibles. »
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Le Français aujourd’hui n° 157, Sujet lecteur, sujet scripteur, quels enjeux pour la didactique ?
Bertrand DAUNAY
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