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Les enjeux économiques de l'innovation: un bilan scientifique du programme


CNRS

Article · April 2004


Source: OAI

CITATION READS

1 2,697

4 authors, including:

David Encaoua Armand Hatchuel


Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne MINES ParisTech
119 PUBLICATIONS 1,498 CITATIONS 263 PUBLICATIONS 7,925 CITATIONS

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Dominique Foray
École Polytechnique Fédérale de Lausanne
92 PUBLICATIONS 6,634 CITATIONS

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LES ENJEUX ÉCONOMIQUES DE L'INNOVATION
Bilan du programme CNRS
David Encaoua et al.

Dalloz | Revue d'économie politique

2004/2 - Vol. 114


pages 133 à 168

ISSN 0373-2630

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2004-2-page-133.htm
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Pour citer cet article :
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Encaoua David et al., « Les enjeux économiques de l'innovation » Bilan du programme CNRS,
Revue d'économie politique, 2004/2 Vol. 114, p. 133-168.
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Les enjeux économiques de l’innovation

ENJEUX ÉCONOMIQUES DE L’INNOVATION


bilan du programme CNRS

David Encaoua
Dominique Foray
Armand Hatchuel
Jacques Mairesse

Cet article présente quelques travaux réalisés dans le cadre du programme CNRS Les
Enjeux Economiques de l’Innovation [1997-2002]. Quatre perspectives sont retenues :
les représentations macroéconomiques et microéconomiques de l’innovation et les
liens entre l’innovation, la croissance et l’emploi, la gestion de l’innovation et les
théories de la firme innovante, l’économie et la sociologie de la recherche fondamen-
tale, enfin, les politiques publiques en faveur de l’innovation.

enjeux économiques - innovation


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The economics of innovation: trends and issues

• LES
This paper presents some works realized under the sponsorship of the CNRS research
program: The Economics of innovation: trends and issues [1997-2002]. Four topics are
emphasized: The macroeconomic and microeconomic representations of the innovative
process and the links between innovation, growth and employment, the management
of innovation and the theories of the innovative firm, the economics and sociology of
scientific activity and, finally, the public policy instruments in favour of innovation.

economics innovations

Classification JEL: 031, 032, 033, 034, 038


Ce numéro de la Revue d’économie politique est consacré à la présenta-
tion de quelques travaux fécondés par le programme CNRS Les enjeux
économiques de l’innovation [1997-2002]1. Ce programme a permis de don-
ner une impulsion aux recherches menées en France sur le thème de l’in-
novation en coordonnant les activités de plus de 60 équipes. L’abondance
des travaux réalisés dépasse de loin la capacité d’absorption d’un numéro

David Encaoua, EUREQua, Université Paris I, responsable scientifique du programme.


Dominique Foray, CNRS, IMRI, Université Paris Dauphine.
Armand Hatchuel, CGS, Centre de Gestion Scientifique, Ecole des Mines de Paris.
Jacques Mairesse, CREST, Centre de Recherche en Economie et Statistique et EHESS.
1. Nous remercions André Kaspi, Claude Meidinger, Marie Claude Maurel et Richard Topol
pour leur soutien constant, au titre du CNRS. Nos remerciements également aux membres
du Comité scientifique qui ont participé à la sélection des projets lors des appels d’offres.
Enfin, nous félicitons Tonia Lastapis qui a assuré de manière efficace et aimable l’adminis-
tration.

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de cette revue2. A défaut de présenter l’ensemble des contributions du pro-


gramme, l’objectif plus modeste que nous visons dans cet article est de
dégager quelques avancées et pistes significatives3. Ceci nous permet en
même temps d’introduire les articles de ce numéro en les replaçant dans
une perspective générale.
L’objectif du programme a été d’analyser la nature de l’innovation et ses
effets sur les performances économiques et sociales. L’amont concerne la
recherche fondamentale source de la connaissance de base ; le stade sui-
vant concerne la recherche appliquée au sein des entreprises pour résoudre
des problèmes techniques ; le troisième stade enfin concerne le développe-
ment et la diffusion des nouveaux biens et services ou des nouveaux pro-
cédés introduits sur le marché.
Il n’existe pas en fait de frontières étanches entre ces trois stades. Les
liens entre les connaissances de base (découvertes), les connaissances tech-
nologiques (inventions ou innovations) et l’adoption de ces inventions et
innovations par la société (diffusion) sont plus complexes que ne laisse
penser un schéma linéaire. L’intérêt de cette décomposition est de mettre au
premier plan la notion de connaissances, commune aux trois stades.
L’objet sur lequel porte l’analyse de l’innovation est ainsi un actif intangi-
ble, la production et la diffusion des connaissances, en vue de leur transfor-
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mation en biens, services et procédés nouveaux. Dans nos économies
contemporaines avancées, souvent caractérisées comme étant des écono-
mies fondées sur la connaissance, la connaissance est à la fois l’input et
l’output du progrès technique.
Depuis les travaux d’Arrow [1962], de Nordhaus [1969] et de Romer
[1990], on sait que la connaissance a des attributs qui la distinguent des
biens et services traditionnels.
En tant qu’input de la recherche, la connaissance est cumulative : les
recherches présentes sont tributaires des résultats des recherches passées.
C’est ce qu’exprime la phrase célèbre d’Isaac Newton : « Si j’ai vu plus loin
que les autres, c’est parce que j’étais assis sur des épaules de géants ».
L’implication de cette propriété est que la R&D est à l’origine d’externalités
de diffusion positives, ce qui signifie que le rendement social de la recherche
est supérieur à son rendement privé.
En tant qu’output de la recherche, la connaissance a plutôt les attributs
d’un bien public que d’un bien privé. Contrairement aux biens rivaux qui
doivent être produits en proportion du nombre d’unités consommées, la
connaissance est un bien non rival qui n’a besoin d’être produit qu’une
seule fois sans limiter pour autant son utilisation. La production de connais-
sances ne peut donc être régie par de purs mécanismes de marché. Comme
de plus, la connaissance est en général coûteuse à produire et souvent peu

2. Le lecteur intéressé trouvera une trace de cette diversité dans la collection Les Cahiers
de l’Innovation (CI), créée à l’occasion de ce programme (plus d’une centaine de titres des CI
à ce jour).
3. Dès le départ, présentons nos excuses aux auteurs et équipes ayant participé au pro-
gramme et ne se retrouvant pas dans cette présentation. Seules, les contraintes éditoriales
justifient cette absence.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 135

coûteuse à imiter4, les sociétés ont mis en place des mécanismes d’incita-
tion pour sa production. On distingue ainsi des mécanismes fondés sur le
principe de la science ouverte et des mécanismes d’appropriation privée,
fondés sur la propriété intellectuelle. Les pouvoirs publics ont un rôle consi-
dérable dans la définition et la mise en œuvre de ces différents mécanismes.
La recherche des entreprises améliore également leurs capacités d’absor-
ber les connaissances existantes. Ces capacités d’absorption ou d’apprentis-
sage deviennent elles-mêmes des actifs essentiels pour leur développement.
De plus, l’activité de recherche génère des effets de débordement et des
effets de diffusion. Ceci implique que les mesures du rendement privé et du
rendement social de la recherche sont difficiles. Les retards accumulés en
termes d’intensité de la recherche (rapport des dépenses de recherche sur la
valeur ajoutée) sont préjudiciables tant pour une entreprise que pour un
pays. Au niveau agrégé, l’objectif d’un investissement de recherche repré-
sentant 3 % du PIB en 2010 est loin d’être atteint en Europe.
Enfin, la production de connaissances est-elle même le lieu d’une intense
concurrence au niveau international, ce qui implique à la fois des processus
de réorganisation spatiale et des transferts de technologie importants. Au
niveau mondial, les inégalités entre pays sont en partie liées au fait que les
transferts technologiques restent concentrés entre certaines régions du
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monde, excluant d’autres régions du bénéfice de ces échanges.
Toutes ces caractéristiques de la connaissance ne sont pas sans consé-
quences sur le plan de l’analyse. Elles ont conduit à un renouvellement
important de nos cadres de pensée et à une formidable éclosion de travaux
quantitatifs, fondés sur de nouvelles données concernant la recherche, l’in-
novation et les performances.
La recherche et l’innovation sont appréhendées à la fois comme des ob-
jets d’étude et comme des objectifs de politique économique. Afin de pré-
senter un aperçu des travaux réalisés dans le cadre du programme, quatre
thèmes sont retenus. Le premier concerne les représentations macroécono-
miques et microéconomiques de l’innovation ainsi que l’analyse quantitative
de ses déterminants et de ses effets. Ce thème conditionne notre capacité
d’appréhender les multiples facettes d’un phénomène complexe. Le
deuxième thème consiste à analyser, à partir d’observations directes, les
transformations des entreprises dans le processus d’innovation. Les scien-
ces de gestion, qui sont évidemment aux premières loges sur ce thème,
permettent de jeter des ponts entre la gestion et l’économie. Le troisième
thème concerne l’économie et la sociologie de la science à partir d’instru-
ments permettant d’analyser le système de gouvernance de la production
scientifique et ses liens avec l’économie, avec des angles d’approche pluri-
disciplinaires. Enfin, le quatrième thème concerne l’analyse et l’évaluation
des politiques économiques en faveur de l’innovation, chantier très large
dont on présente ici quelques éléments significatifs.

4. Cette position est à nuancer par la distinction entre les notions de connaissance et
d’information. Seule cette dernière correspondrait à un bien public alors que la première
requiert des capacités cognitives qui n’en facilitent pas l’usage par n’importe quel tiers
(Foray [2000]).

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1. Les représentations économiques


de l’innovation

1.1. Représentations macroéconomiques

Au plan de l’analyse macroéconomique, la théorie de la croissance endo-


gène propose un schéma d’analyse simple, à partir de deux idées5.
La première idée est que le progrès technique est un facteur endogène qui
résulte des décisions d’investissements réalisés par les agents économi-
ques. D’une part, l’Etat consacre des ressources au financement de la re-
cherche fondamentale, de l’éducation et de la formation. Ces ressources se
transforment en actifs intangibles (capital humain) qui accroissent la produc-
tivité du facteur travail dans la fonction de production agrégée. D’autre part,
les entreprises réalisent des dépenses de R&D pour produire et commercia-
liser de nouveaux produits et procédés qui constituent autant d’innovations
favorisant la croissance économique.
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La deuxième idée exploite les attributs de la connaissance, rappelés en
introduction. Le caractère cumulatif de la connaissance explique pourquoi la
croissance d’une économie ne bute pas sur la loi habituelle des rendements
décroissants, entraînant la constance du revenu par tête à long terme. Le fait
qu’un innovateur bénéficie des connaissances accumulées antérieures, tout
en ne finançant que la partie incrémentale des connaissances qu’il engen-
dre, explique qu’une fonction de production agrégée intégrant la connais-
sance parmi ses facteurs de production présente des rendements croissants.
La production de connaissances bénéficie d’économies d’apprentissage. La
commercialisation des produits s’opère dans des structures de marché de
concurrence imparfaite6. Le pouvoir de marché associé à cette forme de
concurrence permet en dernier ressort à l’innovateur de récupérer sa dé-
pense initiale de recherche et de capturer une rente justifiant son investis-
sement. Mais par ailleurs, la rente n’est que temporaire, car d’autres inno-
vateurs se profilent à l’horizon.
Ce sont là les principes du mécanisme dit de destruction créatrice suggéré
par Schumpeter il y a plus de cinquante ans : l’accumulation permanente
des connaissances permet une utilisation plus productive des facteurs de

5. Parmi les ouvrages de base récents consacrés à l’analyse de la croissance endogène, on


peut mentionner Grossman et Helpman [1991], Innovation and Growth in the Global Eco-
nomy, MIT Press, Barro et Sala i Martin [1995], Endogenous Growth Theory, MIT Press,
Guellec et Ralle [1997], Les Nouvelles Théories de la Croissance, Repères, La Découverte,
Aghion et Howitt [1998] Endogenous Growth Theory, MIT Press, Jones [1998] Théorie de la
Croissance Endogène, De Boeck Université, Encaoua, Hall, Laisney et Mairesse, eds. [2000],
The Economics and Econometrics of Innovation, Kluwer, Abraham-Frois, Croissance, Inno-
vation, Bulles spéculatives [2003] Economica.
6. Pour assurer l’incitation à l’investissement de recherche, il est nécessaire de conférer à
l’innovateur une certaine protection par le biais de droits de propriété intellectuelle. Ces
droits confèrent un certain pouvoir de marché à leurs détenteurs.

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production, ce qui engendre la croissance économique de long terme. Les


innovations induites par ce processus peuvent prendre plusieurs formes :
baisse des coûts, création de nouveaux produits et de nouveaux services, de
nouveaux matériaux et composants, amélioration de la qualité, nouvelle
organisation du travail, etc. A chaque type d’innovation correspond un mo-
dèle de croissance endogène adapté7 (variétés, échelle de qualité, etc.). Les
travaux macroéconomiques prennent ainsi appui sur les représentations
microéconomiques de ces différents types d’innovations.
Cette représentation très stylisée du processus d’innovation a ouvert la
voie à divers travaux réalisés par les équipes associées au programme.
Une première piste a consisté à remettre en question l’idée qu’une inno-
vation remplace toujours la précédente sur le marché. En se référant à la
voie ouverte par Aghion et al. [1997] qui ont suggéré un modèle d’innova-
tions par étapes, Encaoua et Ulph [2000] ont développé un modèle de crois-
sance endogène, dans lequel des entreprises d’un même secteur peuvent
coexister avec des niveaux de développement technologique différents8.
L’intensité de la concurrence sur le marché des produits est alors un facteur
important de l’incitation à innover. Mais son effet est différent selon l’impor-
tance de la diffusion des connaissances et des technologies. La concurrence
sur le marché des produits favorise d’autant plus l’incitation à innover d’une
entreprise en retard que celle-ci innove à partir de la frontière des connais-
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sances, créant ainsi une innovation de dépassement de cette frontière. In-
versement, une entreprise en retard qui ne parvient à innover qu’à partir de
sa propre base de connaissances parvient au mieux à une innovation de
rattrapage et dans ce cas, la concurrence peut avoir un effet négatif sur
l’incitation à innover. La distinction entre innovations de dépassement et
innovations de rattrapage, ainsi justifiée sur le plan théorique, est reprise
dans les études empiriques, parfois sous des appellations différentes.
Une deuxième piste9 a cherché à rendre compte de la complexité des
processus de production en incorporant la variété des produits intermédiai-
res issus du processus d’innovation. Chaque produit intermédiaire ayant
lui-même une certaine probabilité de défection, la complexité implique que
le processus d’innovation est entaché d’une probabilité d’échec d’autant
plus forte que le nombre d’innovations incorporées est élevé. On reconnaît
là le caractère d’une technologie de type « O-ring ». Cette complexité s’ana-
lyse comme une externalité négative sur la croissance.
Un autre travail a consisté à analyser l’effet d’une innovation d’usage
généralisé10 (General Purpose Technology), comme l’est par exemple Inter-
net aujourd’hui, sur les cycles d’activité. L’idée est que le développement
d’une innovation dont l’utilisation se diffuse dans l’ensemble des activités,
requiert une longue période d’ajustement avant d’exercer des effets bénéfi-

7. Cerisier et Schubert : La représentation macroéconomique de l’innovation, CI 99009.


8. Encaoua et Ulph, Catching-up or leapfrogging ? The effects of competition on innova-
tion and growth, CI 00017. Voir aussi : Concurrence, innovation et croissance : un modèle de
création non destructrice, Cahiers d’Economie Politique, 37, 2000.
9. Waelbroeck, Innovations, complexity and economic growth, CI 99018, Innovations, pro-
duction complexity and the optimality of R&D, Economic Letters, 79, 2003, 277-282.
10. Aghion et Howitt, On the macroeconomic effects of major technical change, CI 99002,
paru dans Encaoua et al. [2000].

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ques sur la croissance. Durant cette période, des ressources sont soustraites
des activités traditionnelles pour être utilisées dans la nouvelle technologie,
conduisant paradoxalement à une baisse de la croissance avant que les
effets d’apprentissage de la nouvelle technologie puissent être pleinement
exploités. De plus, l’introduction de cette nouvelle technologie requiert des
transformations organisationnelles pour produire des effets positifs et ces
transformations peuvent être plus ou moins rapides.
D’autres travaux ont mis l’accent sur les inégalités de revenus engendrées
par l’innovation. Certains ont privilégié les effets conjugués des imperfec-
tions du marché du travail (difficultés d’appariement, rigidités salariales) et
de la destruction créatrice11. D’autres ont mis l’accent sur les innovations
technologiques complexes qui ne permettent d’accroître la productivité du
travail qu’au prix d’une organisation productive requérant plus de travail
qualifié. Ces technologies, de type O’ring, ne peuvent être adoptées que par
les entreprises employant la main d’œuvre la plus qualifiée et seule la ré-
munération du travail qualifié s’accroît, donnant ainsi naissance à un pro-
grès technique biaisé12.
Citons également quelques travaux cherchant à discriminer entre deux
explications alternatives du chômage des travailleurs peu qualifiés, soit du
fait du biais technologique de l’innovation, soit du fait des spécificités du
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commerce international13. Ces travaux font appel aux externalités de diffu-
sion inhérentes à l’échange international des biens incorporant des innova-
tions14. Ils examinent les liens entre le commerce international et le biais du
progrès technique induit par l’innovation, en mettant l’accent sur les struc-
tures d’emploi plus intensives en travail qualifié requis par l’innovation15 et
sur les externalités de diffusion du progrès technique selon la nature des
biens importés16.
La croissance endogène n’a pas été le seul cadre d’analyse retenu pour
analyser le processus d’innovation. Amendola et Gaffard [1998] utilisent une
approche « néo-autrichienne » ou « Hicksienne » dans laquelle, non seule-
ment l’innovation transforme les structures de production et les structures
du marché, mais les ajustements imparfaits des marchés au cours de ce
processus font apparaître des phénomènes d’instabilité le long des trajec-
toires. Ce n’est donc plus l’équilibre stationnaire qu’il s’agit de caractériser,
mais la trajectoire induite par un choc d’innovation. Par exemple, la substi-
tution d’une nouvelle machine plus productive mais aussi plus coûteuse que
la machine en place peut conduire à une baisse de la production. La ques-
tion du dilemme entre flexibilité des salaires et chômage dans une écono-
mie dont la croissance est tirée par l’innovation a ainsi fait l’objet d’un

11. Postel Vinay, La dynamique du chômage induit par le progrès technologique, CI 99013,
Endogenous growth and the labor market, in Encaoua et al. eds [2000].
12. Wigniolle, Croissance, innovations organisationnelles et inégalités, CI 99014.
13. Saint Martin, Le chômage des travailleurs peu qualifiés : délocalisation versus biais
technologique, CI 99015.
14. Mendez et Rajhi, Intégration économique, croissance et chômage, CI 99017.
15. Thoenig, Biais du progrès technique induit par l’innovation, CI 99016.
16. Pautrel, Import of equipment goods technological gap and growth, CI 99041.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 139

travail17. En retenant le même cadre d’analyse, Amendola et al. [2002] re-


nouvellent également la problématique des liens entre concurrence et gains
de productivité. La concurrence ne serait favorable aux gains de productivité
que si elle n’est pas trop intense, c’est-à-dire si elle ne déstabilise pas les
structures de marchés existants.

1.2. Représentations microéconomiques

Les approches microéconomiques de l’innovation sont les ingrédients de


base des travaux macroéconomiques18. Sur le plan analytique, il est en
général plus facile de modéliser une innovation de procédé qu’une innova-
tion de produit. Dans le premier cas, la technologie est résumée dans la
fonction de coût, tandis que dans le deuxième cas, l’innovation affecte l’es-
pace de choix des consommateurs19.
Quels facteurs déterminent le rythme des innovations ? A cette question
complexe, les économistes apportent différentes réponses. Ils distinguent,
suivant la voie ouverte par Schmookler [1964], deux types d’innovations
selon que l’origine de l’impulsion provient des opportunités du marché
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(demand-pull) ou des opportunités de la technologie (technology-push). Sur
le plan conceptuel, l’erreur est souvent faite que les opportunités technolo-
giques seraient la simple expression des lois physiques de la nature. Ceci
est erroné, car les opportunités technologiques dépendent en fait d’un grand
nombre de facteurs aussi bien institutionnels que relevant de l’environne-
ment économique. On observe d’ailleurs que les activités présentant les
opportunités technologiques les plus élevées varient beaucoup au cours du
temps, modifiant ainsi la liste des industries clés. Les innovations dont l’im-
pulsion provient de la demande (demand-pull) ont été au centre de l’analyse
de Schmookler. Mais cet auteur ne dénie pas pour autant l’importance des
opportunités technologiques comme facteur d’impulsion de l’innovation. Il
suggère plutôt que, in fine, les équipements issus des innovations dans les
secteurs à fortes opportunités technologiques sont adoptés ultérieurement
dans les secteurs où la demande est la plus élevée.
Le traitement des externalités a fait également l’objet de quelques travaux.
Les externalités de diffusion des connaissances plaident en faveur de la
recherche coopérative. Ce thème a été analysé notamment sous l’angle des
échanges informationnels et du partage des coûts20.

17. Amendola, Froeschlé, Gaffard et Lega, The real wage — employment dilemma in an
economy facing technological change, CI 99040.
18. Voir Crampes et Encaoua [2003], Microéconomie de l’innovation in Encyclopédie de
l’Innovation, eds. Mustar et Penan, Economica.
19. Pour contourner la difficulté d’une variation discontinue du nombre de biens disponi-
bles, les économistes représentent souvent la gamme des produits disponibles par une
variable continue qui peut être accrue à la marge. C’est maintenant une hypothèse couram-
ment employée dans les modèles de croissance endogène.
20. Voir d’Aspremont et Jacquemin [1988], Kamien et al. [1992, 1993] et Suzumura [1992]
et pour une synthèse Amir [2000]. Voir aussi Graevnitz et Ulph, Technology policy with
complementary research paths : the complementary roles of RJV and R&D subsidies, CI

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140 ————————————————————— D. Encaoua, D. Foray, A. Hatchuel, J. Mairesse

Les travaux microéconomiques ont analysé la notion d’innovation cumu-


lative au travers des innovations séquentielles. Le plus souvent, une inno-
vation ouvre la voie à des applications ultérieures ou à des améliorations. Se
pose alors la question de la configuration du système approprié de protec-
tion, question au centre de nombreux débats sur la propriété intellectuelle21.
Comment les représentations microéconomiques nous aident-elles à ren-
dre compte de l’émergence d’innovations historiquement importantes ? Do-
minique Guellec présente ici l’analyse d’une innovation radicale du XVe siè-
cle, l’imprimerie de Gutenberg. Au-delà de l’intérêt évident d’offrir une
histoire stylisée de l’ancêtre d’Internet, l’article peut se lire dans une autre
perspective, celle de tester la pertinence des concepts économiques au tra-
vers d’un cas historique précis.
Comment configurer la protection intellectuelle par le brevet dans le cadre
d’innovations séquentielles ? Gilles Koleda propose dans son article un seuil
minimal d’inventivité pour réguler le rythme du progrès technique. Prenant
appui sur un modèle de croissance endogène où l’innovation prend la forme
d’une succession d’améliorations de qualité, la taille de chaque innovation
étant aléatoire ex-ante, l’auteur montre qu’il existe bien une exigence mini-
male de qualité en dessous de laquelle il n’est pas socialement optimal
d’accorder un brevet à l’inventeur.
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Une troisième question porte sur l’internationalisation des activités de
recherche. En retenant une approche très stylisée, la contribution de Bernard
Franck et Robert Owen dans ce numéro cherche à expliquer comment les
différences de niveaux entre les « stocks de connaissances » de deux pays
affectent la décision de localisation internationale des activités de recherche
d’une entreprise. Un facteur important s’avère être le degré d’intégration
des marchés des deux pays. L’article présente ainsi l’avantage d’offrir une
base de réflexion théorique pour expliquer le phénomène de délocalisation
internationale des activités de recherche et l’impact d’une telle décision.

1.3. Recherche, innovation, croissance


et emploi : travaux empiriques

Sur le plan empirique, divers travaux du programme ont cherché à obtenir


une évaluation quantitative du rendement de la recherche, de son impact
sur la croissance ainsi que l’impact des innovations sur la productivité totale
des facteurs, sur l’emploi et sur les performances.

00020, D’Aspremont, Bhattacharia, et Gérard Varet, Bargaining and sharing innovative


knowledge, CI 99001 et 99049, Rey et Tirole, Divergence of objectives and the governance of
joint ventures, CI 99039.
21. Encaoua, Guellec et Martinez, 2003, The Economics of patents : from natural rights to
policy instruments, Cahier MSE, EUREQua.

REP 114 (2) mars-avril 2004


Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 141

1.3.1. Rendement de la recherche

Mairesse et Mohnen [2003] comparent les résultats de diverses études


économétriques estimant les taux de rendement privé et social de la recher-
che et les élasticités correspondantes. Selon différentes études en coupe ou
en données temporelles, menées à partir de données temporelles agrégées
par pays ou de données individuelles d’entreprises, le taux de rendement
privé de la recherche, mesuré par l’accroissement de la valeur ajoutée de
l’entreprise (ou du PIB s’il s’agit d’un pays) induit par un accroissement du
capital de recherche propre à l’entreprise (ou du pays au niveau agrégé), se
situerait dans une fourchette entre 10 % et 80 %. Les estimations en coupe
conduisent généralement à un taux de rendement plus élevé que celles en
données temporelles. L’élasticité de la recherche, mesurée par le taux d’ac-
croissement de la valeur ajoutée de l’entreprise (ou du PIB s’il s’agit d’un
pays) induit par un accroissement de 1 % du capital recherche, se situerait
dans une plage entre 0,05 et 0,3. Le taux de rendement social de la recher-
che, qui prend en compte les externalités de diffusion, est beaucoup plus
délicat à estimer car ces externalités sont difficiles à mesurer22. Certains
travaux contournent cette difficulté en comparant le taux de rendement de la
recherche au sein d’un ensemble de pays entre lesquels les externalités sont
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présumées les plus élevées, au taux de rendement au sein d’un autre en-
semble de pays entre lesquels peu d’externalités de diffusion sont présu-
mées. Coe et Helpman [1995] trouvent ainsi que l’élasticité de la recherche
au sein des pays du G-7 est trois fois plus élevée que celle dans les autres
pays (respectivement 24 % et 8 %). De même, l’élasticité du PIB des autres
pays par rapport à la recherche réalisée dans les pays du G-7 est bien plus
élevée que l’élasticité du PIB des pays du G-7 par rapport à la recherche de
ces autres pays. Ces différents indicateurs montrent qu’il existe bien un effet
significatif de la recherche sur la croissance et que cet effet est d’autant plus
élevé que la diffusion des connaissances est importante.
Mais la recherche n’est que l’input du processus d’innovation. Qu’en est-il
de l’output de ce processus, c’est-à-dire l’innovation elle-même ? Pour ana-
lyser l’effet direct de l’innovation sur la productivité, les bases de données
individuelles, issues des différentes enquêtes Innovation auprès des entre-
prises, réalisées par le SESSI23, ont été abondamment utilisées en France.

1.3.2. De la recherche à l’innovation

Trois idées sont utilisées dans les travaux empiriques sur données d’en-
treprises. La première est qu’il est préférable d’adopter une approche struc-
turelle pour analyser la relation entre innovation et croissance, plutôt qu’une

22. Griliches et Lichtenberg [1984], Mohnen et Lépine [1991], Autant-Bernard et Massard


[1999], Mairesse et Mohnen, R&D et productivité : survol de la littérature, CI 99019.
23. Citons les enquêtes suivantes : Enquête Recherche, Enquête Innovation, Enquête Les
sources de l’Innovation, Enquête Les Compétences pour Innover, Enquête Annuelle d’Entre-
prises.

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142 ————————————————————— D. Encaoua, D. Foray, A. Hatchuel, J. Mairesse

approche en forme réduite24. La deuxième idée est que comme la produc-


tion d’innovations est une activité marquée par de fortes incertitudes, no-
tamment en termes de résultats, il faut distinguer en fait deux relations. La
première concerne les déterminants de la décision d’innover, c’est à dire
l’évaluation des facteurs qui influencent la capacité d’innovation. Une
deuxième relation étudie le lien entre les dépenses de recherche et dévelop-
pement et le résultat proprement dit en termes d’innovations. On cherche
ainsi à estimer ce que l’on pourrait appeler une fonction d’innovation. Dif-
férentes mesures possibles de l’innovation ont été utilisées : réponse à l’une
des questions posées dans l’enquête Innovation, donnée de comptage sur le
nombre de brevets, pourcentage de chiffre d’affaires réalisé en produits et
procédés innovants de moins de cinq ans25. La troisième idée enfin consiste
à examiner le lien entre la mesure de l’innovation retenue et la productivité
globale des facteurs, définie par la différence entre la croissance de la valeur
ajoutée par tête et les facteurs de production travail et capital. A l’issue de
cette dernière étape, on appréhende la relation structurelle innovation crois-
sance et on estime dans quelle mesure le progrès technique, autrefois dé-
signé comme le résidu de Solow, trouve sa source effective dans l’innova-
tion.
Différents travaux du programme26 sont ainsi parvenus à expliquer la
contribution de l’innovation à la croissance économique. Parmi les princi-
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paux résultats obtenus, on retiendra les suivants :

1.3.3. Nature des innovations

Deux types d’innovations apparaissent avoir des effets différenciés, les


innovations de dépassement, souvent qualifiées de radicales et les innova-
tions de rattrapage souvent qualifiées d’incrémentales. Les premières dépla-
cent la frontière des connaissances techniques (innovation de procédé) ou
élargissent la gamme des produits et des services offerts (innovation de
produit). Dans l’enquête Innovation, elles correspondent à l’introduction sur
le marché d’une « première de procédé technologique » ou d’un « produit
nouveau à la fois pour l’entreprise qui l’a introduit et pour le marché ». Les
innovations de rattrapage concernent l’introduction dans l’entreprise d’équi-
pements et de composants nouveaux que l’entreprise n’aurait pas mis au
point elle-même ou encore des améliorations de produits existants par
ailleurs sur le marché.

24. Duguet in Innovation et Croissance, Innovation et Performances, Collection Chiffres


Clés, Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, SESSI, [1999], n° 210 ; Mohnen
et Mairesse, R&D et productivité : survol de la littérature, CI 99019.
25. Barlet, Duguet, Encaoua et Pradel, in Encaoua et al. (eds) [2000].
26. Crépon, Duguet et Mairesse, Research, innovation and productivity, CI 99007, Duguet,
Knowledge diffusion, technological innovation and TFP growth at the firm level : evidence
from French manufacturing, CI 00016, Crépon, Duguet et Mairesse, L’innovation à la source
des différences de productivité entre les entreprises, CI 0008, Negassi, Favre et Pfister, CI
99033 et 99034.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 143

Selon les études économétriques sur données d’entreprises en France27,


les innovations de dépassement permettraient d’accroître significativement
la productivité globale des facteurs au niveau des entreprises. Cela ne signi-
fie pas pour autant que les innovations de rattrapage soient sans effet. Cela
signifie plutôt que les innovations de dépassement ont un double rôle :
d’une part, elles accroissent la productivité des entreprises qui les introdui-
sent ; d’autre part, elles se diffusent dans le tissu productif, favorisant de la
sorte l’introduction d’innovations de rattrapage ou d’innovations complé-
mentaires souvent importantes.

1.3.4. Sources informationnelles de l’innovation

La fonction d’innovation fait apparaître différentes sources informationnel-


les des connaissances utilisées28. En bref, les innovations de dépassement
seraient le fait d’entreprises qui font le plus de recherche en interne, qui
pratiquent le plus la veille technologique auprès de leurs concurrents, qui
utilisent également le plus la connaissance diffusée par les brevets et enfin
qui bénéficient de partenariats avec les laboratoires de recherche et les
universités, notamment étrangères. Par contraste, les innovations de rattra-
page seraient réalisées par des entreprises qui ont recours à de la recherche
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externe et qui utilisent peu la source informationnelle des brevets et dans
une moindre mesure les partenariats avec les laboratoires publics. On ob-
serverait ainsi, d’après ces résultats, une certaine dualité du système pro-
ductif en matière d’innovation. Il serait intéressant dans les travaux ulté-
rieurs de distinguer au sein des innovations de rattrapage, celles qui
correspondent à l’adoption des nouvelles techniques et des nouveaux pro-
duits d’une part, et celles qui comportent une amélioration de ces techni-
ques et produits d’autre part.

1.3.5. Opportunités technologiques

Les observations portant sur près de 5 000 entreprises en France révèlent


là encore, une double hétérogénéité en termes d’opportunités technologi-
ques : entre entreprises d’une même branche et entre branches elles-
mêmes. De fortes disparités entre entreprises en matière de capacité d’in-
novation apparaissent aussi bien au sein des branches à opportunités
technologiques élevées (aéronautique, pharmacie, biens d’équipement pro-
fessionnels, etc.) que dans les branches à opportunités technologiques fai-
bles (bois et ameublement, papier et carton, textile et habillement, maté-
riaux de construction, etc.). Les branches à faibles opportunités
technologiques comportent une proportion non négligeable d’entreprises

27. Duguet [1999] Innovation et croissance, in Innovation et Croissance, Innovation et


Performances, Collection Chiffres Clés, Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Indus-
trie, SESSI, [1999], n° 210.
28. Monjon et Waelbroeck [2003], Assessing spillovers from universities to firms : evi-
dence from French firm-level data, International Journal of Industrial Organization, 21, 1255-
1270.

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144 ————————————————————— D. Encaoua, D. Foray, A. Hatchuel, J. Mairesse

fortement innovantes tandis que celles à fortes opportunités technologiques


ne sont pas exemptes d’entreprises ne consacrant aucun effort significatif à
la recherche. Ces résultats suggèrent clairement que la capacité d’innovation
d’une entreprise est davantage liée à sa capacité individuelle qu’à un déter-
minisme technologique de branche. Des potentiels d’innovation existent
même dans les branches où les opportunités technologiques semblent le
moins prononcées. Ces idées sont développées et illustrées dans la
deuxième section de cet article.

1.3.6. Innovation et croissance

L’impact de l’innovation sur la croissance de la productivité totale des


facteurs des entreprises varie fortement selon les branches et selon la na-
ture de l’innovation. Pour le secteur manufacturier dans son ensemble, le
gain moyen de croissance de la productivité totale des facteurs pour les
entreprises faisant des innovations de dépassement serait de l’ordre de 5 %
par an en France sur la période 1985-1990. Ce chiffre illustre une sensibilité
relativement importante de la croissance par rapport à ce type d’innovation.
Mais cette moyenne cache en fait de fortes disparités. Le gain annuel de
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croissance varierait entre 3 % dans les industries à faibles opportunités tech-
nologiques et 9 % dans les industries à fortes opportunités technologiques.
Par ailleurs, les entreprises qui basent leur croissance sur des innovations
de rattrapage obtiendraient des gains de productivité plus faibles29.

1.3.7. Innovation et emploi

Les effets de l’innovation sur l’emploi30 sont encore loin d’être clairement
tranchés. Selon certaines études31, il conviendrait de distinguer les effets
des innovations de procédés et ceux des innovations de produits. Bien qu’il
soit difficile de tracer une frontière nette entre ces deux types d’innovations
dans la mesure où l’apparition d’un nouveau type d’équipement est à la fois
une innovation de produit pour l’entreprise qui l’introduit et une innovation
de procédé pour l’entreprise utilisatrice, le recours aux données d’enquêtes
auprès des entreprises suggèrent que cette distinction est pertinente. Les
innovations de procédé conduiraient à abaisser les coûts de production des
biens et services en substituant du capital au travail et auraient des effets
négatifs sur l’emploi des entreprises qui les ont introduites. Les innovations
de produits ou de services conduiraient au contraire à un effet positif sur
l’emploi. Ces innovations s’accompagneraient de créations d’emplois dans

29. Duguet, Knowledge diffusion, technological innovation and TFP growth at the firm
level : evidence from French manufacturing, CI 00016.
30. Blondel, Bartoli, Paillard et Robin-Champigneul, La spécificité de la France quant à la
performance en emplois d’une croissance fondée sur l’innovation, CI 99035.
31. Vivarelli et Pianta, eds. The Employment Impact of Innovation, Evidence and Policy,
Routledge, 2000.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 145

les entreprises qui en sont à l’origine et on peut penser que par un effet
multiplicateur, l’emploi global induit augmente également32.
Au total, l’effet global de l’innovation sur l’emploi peut être ambigu. Il
dépend entre autres de l’importance respective des innovations de produit
et de procédé, de la composition sectorielle de l’économie, de la nature du
progrès technique, etc. Une des rares études en la matière33, basée sur
l’Enquête Innovation en France, suggère que les innovations conduisent à la
fois à une substitution capital — travail (effet négatif sur l’emploi) et à une
augmentation des débouchés (effet positif sur l’emploi), et que globalement,
l’effet positif l’emporterait sur l’effet négatif.
Un autre travail34 a cherché à tester sur données individuelles l’hypothèse
selon laquelle les changements organisationnels (décentralisation des déci-
sions, réduction du nombre de niveaux hiérarchiques, accroissement de la
variété des tâches individuelles, production flexible, etc.) induiraient un biais
en faveur des qualifications élevées. Les résultats, obtenus sur données
anglaises et françaises, laissent penser que les nouvelles formes d’organi-
sation du travail induites par l’innovation ont bien un effet significatif dans la
baisse de demande de travail peu qualifié.
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2. Gestion de l’innovation et théorie
de la firme innovante

Dès son lancement, le programme a retenu parmi ses axes de recherche


l’étude des processus d’innovation dans les entreprises. L’approfondisse-
ment empirique de ces processus répond à trois objectifs spécifiques :
— La nécessité de compléter par des analyses in situ les enquêtes à
caractère statistique résultant d’un questionnaire administratif, enquêtes qui
conduisent à des représentations nécessairement simplifiées de l’innovation
et qui ne permettent pas toujours de repérer les causalités à l’œuvre ou la
rationalité des agents.
— L’exploration des limites des modèles macro-économiques et de leurs
fondements micro-économiques qui sous-tendent la représentation des en-
treprises dans les théories de la croissance par l’innovation, notamment
dans les modèles de croissance endogène.
— Une meilleure connaissance des transformations actuelles des entre-
prises qui signalent de nouvelles attitudes ou de nouvelles stratégies face à
l’innovation. C’est évidemment une connaissance essentielle pour une
meilleure compréhension des politiques publiques de l’innovation.

32. BIPE [2000], Les technologies de l’information et des communications et l’emploi en


France.
33. Crépon et Iung, Innovation, emploi et performances, 1999, INSEE, DT G9904.
34. Caroli et Van Reenen, Skill biased organizational change ? Evidence from a panel of
British and French establishments, CI 00010.

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146 ————————————————————— D. Encaoua, D. Foray, A. Hatchuel, J. Mairesse

Les travaux réalisés ouvrent des perspectives intéressantes qui se situent


à la frontière des sciences économiques et des sciences de gestion. On peut
les regrouper sous deux grandes perspectives conduisant à une relecture de
la notion d’innovation d’une part, et à la mise en évidence d’une transfor-
mation importante des activités de conception et de recherche des firmes,
d’autre part.
Avant même d’entrer dans le détail, explicitons le constat général que ces
perspectives mettent en évidence. Au niveau des firmes, un nouveau régime
de l’innovation se met en place qui pourrait conduire à une nouvelle appré-
hension des politiques de l’innovation.

2.1. Une relecture de la notion d’innovation :


intégration créative et variété
des innovations

Si l’économiste se plaît parfois à mettre l’accent sur l’innovation associée


à l’apparition d’une technique nouvelle dont les effets bénéficient à l’ensem-
ble du tissu productif (innovation radicale d’usage généralisé), comme le
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sont par exemple le PC, le téléphone mobile, Internet, etc., ce point de vue
change sensiblement lorsque l’on se place au niveau de l’entreprise.

2.1.1. L’innovation dans l’entreprise

Pris sous l’angle de la grande invention, le phénomène de l’innovation


d’usage généralisé reste rare35 et ne concerne qu’un très petit nombre de
firmes. Mais les conséquences de ce phénomène touchent au contraire un
très grand nombre d’entreprises. Qu’elles s’approprient ou non ces nouvel-
les possibilités, elles sont amenées à innover à leur tour pour accompagner
le processus de production de l’innovation d’usage généralisé. En effet,
toute innovation majeure est nécessairement conditionnée par un ensemble
d’innovations incrémentales associées ou complémentaires, qui s’avèrent
tout aussi indispensables à la mise en place des formes plus radicales de
créations de richesse. Elles sont parfois d’apparence modeste (que serait par
exemple l’énergie électrique sans le petit appareillage qui nous permet de
nous en servir), mais elles n’en sont pas moins souvent importantes (son-
geons par exemple au câble sous-marin qui accompagne la diffusion du
téléphone). Ainsi, tout comme l’invention du laser a permis l’éclosion de
multiples applications, en chirurgie optique par exemple, le développement
d’Internet a également fortement stimulé les recherches en optronique
(transport du signal par fibre optique) dont les progrès à venir conditionnent
à leur tour aujourd’hui le développement d’Internet. C’est là le champ
d’étude très large des innovations séquentielles qui se trouve mobilisé.

35. Le Bas, Cabagnols, Gay, « How persistently do firms innovate ? An evolutionary view :
Empirical application of duration models », CI 00001.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 147

De plus, ce qui au niveau macro ou microéconomique apparaît comme


une « innovation de rattrapage » peut constituer au plan de la firme une
innovation majeure et risquée (c’est le cas notamment de l’utilisation de
procédés nouveaux)36, 37. De fait, la réalité de la firme contemporaine n’est
pas d’avoir à choisir entre « innover ou non », mais plutôt d’être capable ou
non de concevoir et de développer au moment adéquat, le flux d’innova-
tions potentielles nécessaires à sa survie.
L’innovation dans la firme contemporaine n’est pas un événement margi-
nal ou inattendu : c’est une activité inhérente à l’existence même des firmes,
mais qui diffère fortement par sa nature et son ampleur d’une entreprise à
l’autre. Il y a dès lors plusieurs stratégies d’innovation possibles38, qui ne se
distinguent pas seulement par le recours à la recherche, mais également par
la manière dont ces stratégies s’articulent aux autres logiques de la firme
pour donner naissance à des opportunités de profits différentes39 et donc à
des formes d’entreprises différentes.
Ces recherches soulignent l’importance d’un fait crucial pour toute théorie
de l’innovation dans l’entreprise : du point de vue de l’entreprise, l’innova-
tion n’est ni une réponse mécanique à la compétition, ni la conséquence
nécessaire d’une activité de recherche, comme le montrent d’ailleurs les
transformations en cours de la recherche vers une logique de l’innovation40
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et comme le soulignent également les difficultés des enquêtes sur l’impact

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de la R&D dans les firmes41 ou les travaux sur l’insertion de jeunes scienti-
fiques dans les entreprises42. L’innovation apparaît plutôt comme une stra-
tégie d’intégration créative entre des ressources à constituer, des opportu-
nités à reconnaître et des processus à conduire. De ce fait, le régime de
l’innovation dans les entreprises ne dépend pas seulement des ressources
disponibles en capital ou en compétences ; il dépend aussi :
— a) des dynamiques organisationnelles, autrement dit de la capacité à
créer de nouveaux acteurs ou de nouveaux métiers, de la capacité à engager
des processus collectifs de transformation des pratiques ;
— b) des rationalisations gestionnaires mobilisées (règles d’investisse-
ment, méthodes de conception et de production, mode de gestion des pro-
jets, mode de constitution des équipes, etc.).
Cette représentation est d’ailleurs confirmée par l’histoire industrielle. On
ne peut, par exemple, séparer l’innovation qu’a été le chemin de fer des
dispositifs d’organisation et de gestion élaborés par les premières compa-

36. Jolivet « L’innovation technologique entre ordre et désordre. Le cas des hauts four-
neaux à injection en France et au Japon », Thèse de Sciences Économiques, Université de la
Méditerranée, Aix Marseille II, 1999.
37. Lenfle, « Compétition par l’innovation et organisation de la conception dans les indus-
tries amont » Thèse en Sciences de Gestion, Université de Marne la Vallée, janvier 2001.
38. Llerena et Oltra, « Diversity of innovative strategy as a source of technological perfor-
mance » CI 00003.
39. « Les modèles productifs dans l’automobile » La Découverte, Repères, 2000.
40. Lemasson et Weil, « Nature de l’innovation et pilotage de la recherche industrielle »,
Cahiers de Recherche du CGS, n° 16, décembre 99.
41. Mohnen et Mairesse, « R&D et productivité : survol de la littérature », CI 99019.
42. Paul et Perret, « Impact des relations université/industrie sur l’insertion en entreprise
des jeunes docteurs scientifiques », CI 99042.

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gnies concessionnaires. De même, on sait aujourd’hui l’importance de l’or-


ganisation du laboratoire - entreprise de Thomas Edison dans sa capacité à
maintenir un rythme d’innovation dans des directions multiples43. Le succès
de l’innovation dépend, in fine, de sa réception par des équipes de travail
(pour un procédé) ou par des clients (pour un produit). Il va de soi que les
politiques commerciales ou de communication peuvent contribuer à accroî-
tre ou au contraire limiter la diffusion de produits innovants.

2.1.2. Les interrelations entre innovations

Les recherches sur l’innovation, mettent trop souvent l’accent sur la seule
innovation technologique. Or, il est important de souligner que du point de
vue de la firme, il n’y a pas d’innovation technologique en soi et ce constat
a d’importantes conséquences théoriques. Une nouvelle technique n’est ja-
mais qu’un ensemble de possibles qu’il faut transformer en propositions
créatrices de valeur. Il n’y a donc en fin de compte que des innovations de
procédés, de produits, de logistique ou d’organisation etc. La mise à dispo-
sition d’une connaissance technique nouvelle ne donne naissance à un pro-
duit, à un procédé ou à une organisation qu’après un travail complet de
conception mobilisant, on l’a vu, bien d’autres connaissances ou d’autres
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innovations (pas d’Internet sans Java ou html par exemple), différentes de
celles qui ont stimulé le mouvement initial. Parmi celles-ci, une attention
particulière doit être accordée à l’innovation formelle44 (style, esthétique,
architecture).
Ce dernier type d’innovations joue en effet un triple rôle. C’est à la fois une
dimension essentielle de la compétition, une source de la croissance et un
stimulant pour d’autres innovations (procédés, architectures de produits,
matériaux, etc.). Par exemple, le succès de la Scénic Renault, copiée par tous
ses concurrents, montre la force économique de l’innovation formelle qui
n’a pas encore la place qu’elle mérite en économie ou en gestion45. A l’instar
des connaissances techniques, les nouvelles formes, lorsqu’elles s’insèrent
dans une stratégie d’innovation, bénéficient non seulement à leurs inven-
teurs mais, de plus, les plus significatives d’entre elles tendent aussi à se
diffuser et à bénéficier à des entreprises tierces. Il y a là tout un champ de
recherches nouveau dont les développements peuvent s’inspirer des analy-
ses contemporaines en économie de la culture ou de l’art. Il s’agit plus
profondément de mieux relier ces innovations formelles à l’économie indus-
trielle dans la mesure où l’histoire de l’innovation nous pousse à rejeter de
fausses distinctions. On sait par exemple comment au début du vingtième
siècle l’aérodynamique fut à la fois une valeur économique (accroissement
de la puissance des moteurs ou réduction de leur consommation), une

43. Millard, « Edison. The business of innovation », Mokyr, « The Rise and Fall of the
Factory System : Technology, Firms and Households since the Industrial Revolution », CI
00032.
44. Vervaeke « Design et innovation formelle », CI 99058.
45. Il faut d’ailleurs noter qu’une « forme » peut devenir un « dominant design » sans être
un « standard » c’est à dire le résultat d’une convention entre plusieurs acteurs : c’est le cas
des « monospaces automobiles ».

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 149

science nouvelle (source de nombreux développements en physique) et un


principe esthétique d’une très grande force.
La représentation de l’innovation que nous venons d’esquisser explique
aussi pourquoi elle s’inscrit aujourd’hui dans une transformation plus géné-
rale des entreprises.

2.2. Les rationalisations contemporaines


des activités de conception : firmes
innovantes, partages de la conception
et nouvelles organisations de la recherche

Plusieurs recherches convergentes confirment une transformation impor-


tante des modèles managériaux de l’innovation et de la recherche. Elles
signalent l’existence d’une importante modification des structures et des
outils traditionnels de gestion de l’innovation.
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2.2.1. Innovation répétée et rationalisation
de la conception

Rappelons d’abord que l’innovation dans l’entreprise a donné naissance


depuis deux siècles à des dispositifs et des métiers particuliers. Ce sont eux
qui connaissent aujourd’hui de profonds remaniements. Cette transforma-
tion s’inscrit d’abord dans un large mouvement qui a donné naissance à des
vagues successives de rationalisation de la conception46, 47. Cette rationa-
lisation, qui se poursuit encore aujourd’hui, touche tous les métiers de la
conception, qu’il s’agisse des ingénieurs, des designers, des commerçants
ou des acheteurs. Elle a commencé dans les grandes entreprises manufac-
turières et s’étend aujourd’hui à une part importante des entreprises, notam-
ment à travers les outils de CAO/CFAO. Elle se caractérise aussi par une
tendance, dont on observe les premières traces au début des années 1970, à
l’accroissement continu des effectifs et des coûts des activités de concep-
tion48. Les rationalisations de l’activité de conception répondent précisé-
ment au besoin de renforcer, d’accélérer, et de mieux maîtriser le flux des
produits et des innovations.
Dans un petit nombre de firmes qualifiées d’innovantes49, l’activité de
conception a été progressivement renforcée et remaniée pour soutenir une
innovation répétée et durable. Ces organisations savent transformer une

46. Wheelwright et Clark, Revolutionizing Product development, The Free Press, Mac
Millan, NY.
47. Hatchuel « Apprentissages collectifs et activité de conception », Revue Française de
Gestion, 1994.
48. Hatchuel et Lemasson, « Innovation répétée et croissance de la firme : micro-économie
et gestion des fonctions de conception », CGS, École des Mines de Paris.
49. Voir Hatchuel et Lemasson, ibid.

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connaissance incrémentale en innovation radicale50. Dans ces entreprises,


les rationalisations de la conception aboutissent à une quasi « routinisa-
tion » de l’innovation qui donne naissance à des stratégies et à des organi-
sations originales, à des formes d’entreprises inédites où la conception tour-
née vers l’innovation détermine les choix en matière d’organisation du
travail, de recrutement des personnels et de réseau industriel. Ces firmes
connaissent des croissances remarquables parfois sans acquisition. Elles
sont aujourd’hui encore atypiques comme pouvaient l’être les premières
manufactures anglaises à la fin du XVIIIe siècle, mais elles indiquent une
logique industrielle nouvelle appelée à s’étendre. Afin de comprendre ces
organisations et les formes de croissance qu’elles réussissent à obtenir,
certains auteurs sont conduits à explorer une nouvelle micro-économie s’ap-
puyant sur des « fonctions de conception »51 clairement distinctes des fonc-
tions de production et permettant de mieux penser l’apprentissage au ni-
veau de la firme52. De même que les approches en termes de productivité
des facteurs n’appréhendent pas tout l’impact économique de l’innovation
au plan macro-économique, ces travaux conduisent à penser que le forma-
lisme classique des « fonctions de production » a pu gêner la compréhen-
sion de l’innovation dans la firme.
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2.2.2. Une nouvelle logique de la recherche industrielle

Les rationalisations de la conception, les nouvelles logiques de l’innova-


tion ne pouvaient s’arrêter à la porte des laboratoires de recherche. Plu-
sieurs travaux témoignent qu’une nouvelle logique de la recherche indus-
trielle se met en place. On savait depuis quelques années que les relations
entre les universités et les entreprises s’étaient clairement renforcées et
modifiées. Mais on voit naître aujourd’hui un mouvement de recomposition
des laboratoires de recherches industriels internes aux grandes entreprises.
Ce mouvement vise à une intégration plus efficace de ces unités dans les
activités de conception et de développement, dont on attend une participa-
tion accrue au flux d’innovations. L’activité de recherche industrielle n’est
plus aujourd’hui pensée comme un moyen de veille technologique, ou
comme le véhicule de bonnes relations avec le monde académique ; elle
n’est pas non plus perçue comme un investissement incertain à long terme.
L’activité de recherche industrielle est aujourd’hui une partie intégrante
d’une stratégie d’innovation qu’elle contribue à soutenir mais de laquelle
elle reçoit également ses axes d’orientation. Cette nouvelle vision de la

50. Par exemple l’utilisation d’un procédé de filtration connu depuis longtemps a constitué
une innovation radicale dans le monde des aspirateurs (aspirateur sans sac). La montre
Swatch (innovation radicale de procédé de montage), la balance électronique de Tefal (utili-
sation d’une propriété particulière du Téflon) appartiennent à cette même classe.
51. Hatchuel et Lemasson, ibid.
52. S’il n’est pas encore possible d’isoler dans les entreprises des « fonctions d’innova-
tions », on peut penser que cette notion s’éclaire mieux comme un régime particulier des
fonctions de conception.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 151

recherche est en cours de consolidation et des modèles de gestion adaptés


à cette nouvelle logique commencent à émerger53, 54.

2.2.3. Les coopérations entre entreprises


et l’action publique

Le développement de nouvelles coopérations entre entreprises en termes


de conception est aussi un des aspects majeurs des transformations en
cours. Les processus d’innovation se déploient sur des périmètres qui tra-
versent les frontières des entreprises (omniprésence des notions de réseau
et de partenariats), de nouvelles pratiques de relations s’expérimentent sur
le terrain, associant réorganisation des relations et nouvelles formes de
contractualisation. Les recherches sur ce domaine ont permis de montrer la
spécificité mais aussi la variété des configurations de coopération entre
entreprises en matière de conception, en fonction des caractéristiques archi-
tecturales de l’innovation. Interviennent ainsi différents facteurs tels que la
décomposition en sous-ensembles isolables, le stade plus ou moins avancé
du projet, les positions relatives des entreprises coopérantes dans la filière,
qu’il s’agisse d’une relation client — fournisseur tirée par l’ensemblier final
ou impulsée par les fournisseurs amont55 ou qu’il s’agisse d’une coopéra-
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tion entre entreprises situées à un même niveau de la chaîne de valeur. Dans
ces différentes configurations, l’un des résultats majeurs de ces recherches
est de montrer le lien entre l’organisation interne de la firme et sa capacité
à faire opérer de manière efficace ces nouvelles interfaces de « co-
conception ».
On voit se dessiner ainsi une nouvelle logique de macro entreprises mon-
dialisées : elles s’efforcent d’orchestrer et de coordonner à partir de leurs
activités de conception les travaux de multiples équipes de recherches (pu-
bliques ou privées), les incitant à se réorganiser en fonction d’une logique
de l’innovation. Cette même logique a conduit certaines grandes firmes à
maintenir un réseau de « start-up » innovantes pour les intégrer le moment
venu. Ce mouvement correspond aussi à la mise en place de formes de
coopérations originales, les consortia de haute technologie dont l’impact et
les formes ont pu être étudiées56, 57.
Pour conclure cette section, on remarquera que les recherches conduites
au niveau des firmes font plus qu’éclairer les questions traditionnelles de
l’innovation. Elles montrent que l’innovation dans la firme contemporaine

53. Weil et Lemasson, ibid.


54. Charue-Duboc et Midler « Renewing research management in project oriented organi-
zations : the case of a global vaccine firm », CI 99045 ; Midler, « Product trajectory and the
dynamics of the firm : Can strategy keep in line with intensive-innovation », 2002, CRG École
Polytechnique.
55. Charue-Duboc, 1998, « The role of research departments in focusing innovative pro-
jects and understanding customer usage and needs » in International Research Network on
Project Management and Temporary Organization (IRNOP Conference), Calgary.
56. Cassier et Foray, « L’économie des consortia de haute technologie : études de cas dans
la recherche bio-médicale », CI 99059.
57. Cassier et Foray, « Connaissances publiques, propriété privée et rôle des consortia de
haute technologie », CI 99060.

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change de régime et de nature. Multiforme dans ses cibles et dans les


connaissances mobilisées, stimulée par la compétition, l’offre externe ou les
réglementations (notamment environnementales58), l’innovation tend à de-
venir un objectif permanent et une logique de rationalisation des activités de
conception dans les entreprises. En s’étendant, cette évolution devrait ren-
forcer l’efficacité des politiques traditionnelles visant à faciliter et à clarifier
les coopérations entre recherche publique et industrie59. Mais de nouveaux
objectifs publics se dégagent aujourd’hui dans deux directions complémen-
taires.
Il s’agit d’une part de faire une part plus grande à l’accompagnement des
entreprises dans la réorganisation de leurs activités de conception et de
recherche (formation, soutien, etc.), ce qui accroît, on l’a vu, la probabilité de
succès des innovations, et surtout favorise leur insertion dans une logique
de croissance soutenable et robuste. Dans ce cas, il est moins question
d’inciter à l’innovation, que de faire de l’innovation une activité régulière,
dont les risques ne sont pas supprimés mais limités, mais aussi dont les
avantages à court et à long terme sont mieux exploités et mieux capitalisés.
L’étude des firmes innovantes conduit à ce résultat inattendu mais théori-
quement explicable que l’innovation utile dans l’entreprise n’est pas une
logique émergente, non anticipée et source de désordre, mais qu’elle est au
contraire le résultat d’une action collective soutenue, répétée et intensive-
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ment recherchée.
Il s’agit d’autre part, de préserver une capacité d’orientation autonome
dans la recherche publique, dans la mesure même où s’accroît la capacité
des entreprises à orchestrer et stimuler la recherche publique par des stra-
tégies d’innovation mieux conçues et mieux mises en œuvre60. En effet,
nous ne sommes probablement plus dans un contexte où il faut convaincre
les firmes que le recours à la recherche académique peut être utile à long
terme. Nous avons plutôt à envisager les conséquences nouvelles qui résul-
tent de la réussite d’une telle politique. Les entreprises ont progressivement
appris à mobiliser la recherche industrielle et ce mouvement est appelé à
s’étendre y compris au sein des PME/PMI. Pour cela, il fallait une transfor-
mation profonde de la logique de l’innovation, et celle-ci est en cours. Il ne
faudrait pas cependant qu’une telle logique domine par voie de retour la
logique de recherche académique. C’est l’articulation de celle-ci à l’innova-
tion qui doit être mieux clarifiée.
L’article d’Alexandre Cabagnols présenté dans ce numéro cherche à tirer
profit des enseignements joints de l’économie et de la gestion pour analyser
l’apprentissage technologique et la persistance du comportement innovant
des entreprises. A partir d’un échantillon de firmes britanniques et française
pour lesquelles des données de brevets américains détenus par ces entre-
prises ont pu être collectées, l’article cherche à expliquer la persistance de
l’innovation (nombre d’années consécutives pendant lesquelles la firme bre-

58. Aggeri, « Les Politiques de l’environnement comme politiques d’innovation », Annales


des Mines, Gérer et Comprendre, 2000.
59. Branciard, « L’articulation science/innovation en France : dix ans d’action publique
pour le développement de la génomique et des biotechnologies » CI 00005.
60. Cf. l’ouvrage collectif « Regards sur l’Innovation », Éditions de l’INRA [1999].

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 153

vette) en fonction de trois déterminants : le capital de connaissance accu-


mulée, l’apprentissage en matière d’innovation et l’intensité du recours à la
protection par le brevet. Cela permet à l’auteur de tester des hypothèses
importantes sur l’effet d’apprentissage et la nature des rendements de l’in-
novation.

3. Économie et sociologie
de la science
Le secteur de la recherche scientifique, dans sa double fonction de pro-
duction de connaissances, d’éducation et de formation, joue un rôle crucial
dans les processus d’innovation61. La production de connaissances scienti-
fiques anime puissamment l’innovation dans un nombre de plus en plus
grand de secteurs. Ces effets sont d’autant plus accentués dans les domai-
nes où se développent fortement des programmes de recherche « inspirés
ou orientés » par les applications. En outre la demande d’emplois à haut
niveau de qualification scientifique augmente sans cesse et est une caracté-
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ristique dominante des marchés du travail dans les économies fondées sur

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la connaissance. Par ailleurs les contextes nouveaux de décélération de la
croissance des ressources publiques, d’engagement puissant de capitaux
privés dans certains domaines de la science et de privatisation tout azimut
des bases de connaissance donnent aujourd’hui au débat sur l’utilité de la
recherche publique un tour nouveau et essentiel.
C’est pourquoi, il était important que le programme consacre une part de
son activité à l’analyse économique de la recherche scientifique qui consti-
tue l’amont de l’innovation industrielle. Quelques travaux se sont particuliè-
rement penchés sur l’articulation de la science au reste de l’économie. On
présentera ici des travaux plus spécifiques à l’économie et la sociologie de
la science.

3.1. La science et l’économie :


une première vision interdisciplinaire

Il est très difficile d’établir aujourd’hui une sorte d’état des lieux sur les
rapports que tissent la science et l’économie. La plupart des avis relèvent de
visions impressionnistes ou très localisées (ces dernières restant bien évi-
demment importantes et dignes d’attention). Le peu d’avis qui s’efforcent de
prendre appui sur des évidences systématiques se heurtent au fait que ces
évidences sont soit très incomplètes, soit difficiles à interpréter. Il est en tout
cas deux modes d’approche qu’il convient d’éviter :

61. Nyssen, R&D based endogenous growth and public production of knowledge, CI
99055.

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— Le mode nostalgique (discours relativement répandu notamment chez


les scientifiques et administrateurs de la science dite « lourde »). En regret-
tant l’époque bénie de la guerre froide, du contrat social entre la science et
la société et du rapport de Vannevar Bush, ces scientifiques ne voient pas
qu’au-delà des coupes dans les budgets publics, s’est envolé un modèle
qui : i) était peu démocratique62, ii) n’a pas, au bout du compte, résolu le
problème du sous-développement, iii) a engendré certes d’énormes exter-
nalités positives (souvent fortuites d’ailleurs) et donc des effets de crois-
sance importants mais dont les coûts d’opportunité n’ont jamais été vérita-
blement estimés.
— Le mode néo-libéral que l’on voit parfois fleurir. En prônant une inté-
gration extrême de l’activité scientifique à la logique marchande, on ne
prend pas en compte le fait qu’une telle évolution s’opère immanquable-
ment au détriment de certains principes organisationnels qui ont fait la force
économique de l’activité scientifique depuis plusieurs siècles.
Ces principes sont résumés dans la notion de « science ouverte ». La
science ouverte est d’abord une structure d’incitations poussant les scienti-
fiques à diffuser rapidement et complètement les connaissances acquises ;
c’est-à-dire à leur donner le statut de bien public63. Le mécanisme à l’œuvre
est représenté par la règle de priorité qui attribue une propriété morale à
celui qui divulgue sa connaissance en premier (sous la forme d’une publi-
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cation scientifique), sans que cette propriété ne comporte un quelconque
droit d’exclusivité. Autrement dit, l’incitation est compatible avec la règle de
divulgation complète de la connaissance. La règle de priorité est donc un
mécanisme remarquable puisqu’elle permet de créer un actif collectif, une
forme de propriété intellectuelle, qui résulte de l’acte même de renoncer à la
possession exclusive de cette connaissance. Elle crée des contextes favora-
bles à la course à l’invention, tout en assurant la divulgation des résultats.
La science ouverte se présente dès lors comme une forme d’organisation
favorisant la cumulativité, la progressivité des savoirs, l’inventivité ainsi que
le contrôle de la qualité. Elle constitue à la fois une puissante machine à
produire des collectifs et des communautés et un support essentiel d’édu-
cation et de formation contribuant fortement à l’enrichissement du capital
humain. Elle présente une forme originale de gestion des externalités qui est
très différente de celle qui prévaut dans le cadre des marchés privés64. On
doit donc rester très attentif aux évolutions en cours, qui risquent de remet-
tre en cause ces principes et de saper les bases organisationnelles de la
science ouverte. Celle-ci est dans son essence même un système fragile et
instable, comme l’est d’ailleurs n’importe quel arrangement coopératif, en
l’absence d’un tiers chargé de faire appliquer les règles, y compris celles
consistant à appliquer des sanctions en cas de déviation.

62. Callon [1998], The role of lay people in the production and dissemination of scientific
knowledge, École des Mines de Paris.
63. David et Dasgupta [1994], Towards a new economics of science, Research Policy, 23 ;
Callon et Foray [1997], Économie de la science ou socio-économie de la recherche scientifi-
que, Revue d’Économie Industrielle, n° 79.
64. Hall, Intellectual Property Rights : Aspect of Internet Collaboration, Bruxelles, DG Re-
cherche, janvier [2001] ; voir aussi Autant-Bernard et Massard, Économétrie des externalités
technologiques locales et géographie de l’innovation : une analyse critique, CI 99025.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 155

3.2. Allocation, avantages cumulatifs


et productivité des chercheurs

Le système d’allocation de ressources propre à la recherche académique


est fondé essentiellement sur la réputation collégiale, système qui attribue
des subventions de recherche sur la base d’une évaluation par les pairs,
évaluation elle-même fondée sur le système des publications, dont on
trouve la forme la plus achevée en Amérique du Nord. C’est un système qui
permet le renforcement des succès individuels ou collectifs en attribuant aux
gagnants les moyens de leur succès futur. En quoi ce type de mécanisme
influence-t-il l’utilisation des talents et des compétences de recherche ?
Permet-il l’identification et l’incorporation des meilleurs ?
Une première réponse à cette question vient des travaux de bibliométrie
et scientométrie menés par la sociologie des sciences, qui mettent en relief
trois évidences testées sur de nombreux cas et qui s’avèrent relativement
robustes65 :

— La distribution des productivités individuelles, mesurées par les publi-


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cations, est fortement asymétrique (la loi de Lotka66 énonce que 10 % des
chercheurs produisent la moitié des articles de recherche).
— La stabilité au cours du temps de cette distribution est très forte : la
structure hiérarchique caractérisant une cohorte de scientifiques persiste
tout au long de la durée de vie de celle-ci.
— On observe même un accroissement de la polarisation au fur et à
mesure du vieillissement de la cohorte.
Quelle est la signification de ces évidences ? Elles peuvent simplement
refléter une distribution très inégale des talents. Si c’est le cas — les diffé-
rences importantes en termes de productivité ne reflétant que les variations
des aptitudes — alors on dira que le système de sélection fonctionne bien au
sens où les plus talentueux sont repérés et reçoivent les ressources appro-
priées pour exploiter leur talent. Certes, il convient de s’interroger dans ce
cas sur l’efficacité d’un système d’allocation de ressources dont le résultat
est que près de 80 % des publications sont attribuées à 1/3 des chercheurs.
Des décideurs publics imprudents pourraient penser que le progrès de la
science ne serait pas significativement ralenti si l’on réduisait considérable-
ment le nombre de scientifiques, c’est-à-dire la fameuse proportion des 2/3
qui ne produisent presque rien. Mais ce serait là une grave erreur. Le propre
de l’activité de recherche comme celui de la production d’innovations indus-
trielles est d’être marquée par de fortes incertitudes, à l’origine de distribu-

65. Turner [2003] La recherche publique dans la production de connaissances. Contribu-


tions en économie de la science, Thèse Paris I.
66. Lotka [1926], Statistics, the frequency distribution of scientific productivity, Journal of
the Washington Academy of Sciences, 16, reproduit dans The Economics of Science and
Innovation, vol. 1, Stephan et Audretsch, eds. Edward Elgar [2000].

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tions fortement asymétriques67. Le même type d’asymétries caractérise


d’ailleurs la distribution des profits issus de l’innovation privée 68.
La vraie question ne serait-elle pas plutôt de se demander si le mécanisme
d’attribution des ressources lui-même n’aurait pas de sérieux défauts qui
seraient en partie à l’origine des effets de dispersion et de stratification des
cohortes ? Merton [1957] a proposé une première réponse dans ce sens en
montrant qu’un système d’attribution de ressources sur la base de la répu-
tation est un système qui engendre des dynamiques d’avantages cumula-
tifs : plus on a publié, plus on recevra de subventions et plus les conditions
de futurs succès seront favorables. Cela signifie que ce type de dynamique
possède la propriété d’amplification et de persistance des choix effectués
lors des périodes initiales69.
En transposant au problème de choix technologiques en incertitude —
fondé sur les mêmes principes d’auto-renforcement —, il est alors possible
de formuler deux conjectures :
— Premièrement, une stratégie optimale pour une agence publique serait
de subventionner alternativement les individus ou les équipes pendant un
certain nombre de tours avant de sélectionner celui qui apparaît comme le
plus talentueux et qui concentrera ensuite la plupart des ressources.
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— Mais, deuxièmement, l’implantation de cette stratégie conduirait inévi-

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tablement l’agence publique à transformer en « stars » des chercheurs
moyens, simplement parce que lors des périodes initiales, certains choix
créent une présomption en faveur d’individualités qui bénéficient ainsi d’op-
portunités pour continuer à améliorer leur capacité et donner l’illusion à
l’agence publique qu’elle en sait assez pour sélectionner ses « stars ».
Ces propriétés et ces premiers résultats ont été mis au jour dans le cadre
des travaux de Paul David qui a construit et testé un modèle de simulation
(Stochastic Simulation Model of Public Ressource and Research Producti-
vity). La structure de ce modèle, fondée essentiellement sur des effets
d’avantages cumulatifs produits par des situations initiales aléatoires, per-
met d’engendrer les propriétés de disparité des productivités, de stratifica-
tion et de persistance au cours du temps de la hiérarchie ainsi créée70. Ce
modèle permet d’éclairer toute une série de problèmes fondamentaux de la
science, jusqu’à maintenant peu compris. Un exemple particulièrement im-
portant touche la disparité entre hommes et femmes en termes de publica-
tions et performances, disparité dont le modèle montre qu’elle n’est pas
forcément directement liée à la question de la maternité et du travail domes-
tique mais plutôt au fait que les dynamiques d’avantage cumulatifs créent
une sensibilité très forte des résultats finaux aux performances individuelles
lors de périodes initiales très courtes.

67. Sornette, Economy of scales in R&D with block-busters, Cahier Innovation 00007.
68. Scherer, The size distribution of profits from innovation,, in Encaoua et al., eds. [2000].
69. Cowan [1991], Tortoises and Hares : choices among technologies of unknown merit,
Economic Journal, 101, David [1994], Positive feedbacks and research productivity in
science : reopening another black box, in Economics of technology, O. Grandstrand (ed.),
Elsevier Science.
70. Arora, David et Gambardella, Reputation and competence in publicly funded science :
estimating the effects on research group productivity, in D. Encaoua et al., eds. [2000].

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 157

Dans le cas français, une première étude, réalisée dans le cadre du pro-
gramme, sur les publications de 500 physiciens de la matière condensée du
CNRS et des citations à ces publications, recueillies entre 1981 et 1997 (à
partir des données du Science Citation Index)71 a permis de mettre en évi-
dence deux des régularités empiriques précédemment mentionnées, à sa-
voir l’inégalité des productivités des chercheurs et la persistance des hiérar-
chies de productivité. L’existence d’une dynamique d’avantages cumulatifs
ne semble pas en revanche vérifiée. Cette observation demande néanmoins
à être confirmée et approfondie72. D’autres résultats sur l’intensité des co-
publications entre laboratoires de recherche suggèrent en effet qu’un facteur
notable de productivité des chercheurs est l’insertion dans des réseaux dy-
namiques de collaboration et l’appartenance à un laboratoire important, lui
même ouvert aux collaborations extérieures, notamment internationales. Il y
aurait ainsi un effet laboratoire qui s’apparenterait à un effet cumulatif.
Laure Turner et Jacques Mairesse présentent une contribution intéres-
sante sur ce thème. Ils étudient les relations de collaboration, définies en
termes de co-publications, entre les physiciens de la matière condensée du
CNRS, et ils cherchent à analyser les déterminants de ces relations, notam-
ment en répondant à la question suivante : la distance géographique entre
laboratoires contribue-t-elle à expliquer l’intensité des collaborations dont ils
proposent une mesure simple ? Leur réponse est que la proximité immé-
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diate des relations « face-à-face » importe surtout, tandis que le rôle de la
distance géographique à proprement parler serait très faible.

3.3. L’économie du CNRS


La recherche publique a pour fonction d’assumer les recherches qui — en
dépit d’un rendement social anticipé fort — ne sont pas effectuées par les
entreprises car leur rendement privé espéré est soit trop faible, soit jugé trop
lointain. En outre, on peut également attendre de la recherche publique
qu’elle prenne en compte des critères éthiques (par exemple les recherches
sur les maladies « orphelines » ou sur des questions de développement) et
qu’elle offre des capacités d’expertise plus objectives ou plus neutres que
celles du système privé.
Cependant il importe de considérer les coûts d’opportunité directs et in-
directs du financement public, ce qui impose de sélectionner des priorités,
d’effectuer des choix, éventuellement de sanctionner des travaux sociale-
ment inutiles. En bref, il importe de gouverner la recherche publique, tâche
extrêmement difficile dans un secteur où les asymétries d’information sont
très fortes et où la direction administrative et centralisée des activités de
recherche rencontre des obstacles colossaux. Le problème général étant
ainsi posé, deux formes d’organisation sont possibles.

71. Turner, Constitution de la base de données des publications et citations de 350 physi-
ciens du CNRS, UNIPS-CNRS [1998], Voir également note 65.
72. Turner, Différences de productivité entre chercheurs et inégalités de promotion dans la
carrière : une première exploration sur un échantillon de physiciens du CNRS, DEA, Paris I,
septembre [1999].

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Le modèle de la recherche académique laisse entièrement libre le cher-


cheur, lequel peut donc aussi bien réaliser des recherches essentielles pour
l’économie et la société que passer sa vie entière sur « la numismatique à
Byzance ». Mais le prix académique de cette liberté est la contrainte d’en-
seignement. « C’est un accident heureux, écrivait Arrow, qu’enseignement et
recherche constituent les deux facettes du même métier ». Ainsi le salaire
est assuré en échange d’un service régulier d’enseignement, tandis que les
performances aléatoires de recherche donnent lieu à des distinctions, des
prix et des subventions, attribués par l’intermédiaire du système analysé
plus haut.
L’autre modèle est celui des laboratoires nationaux dans lesquels les cher-
cheurs n’ont pas de tâche d’enseignement. Ils sont en revanche assujettis à
une certaine contrainte, touchant aussi bien au choix des thèmes de recher-
che qu’à celui du rapport d’activité régulier et de la participation à la vie du
laboratoire. Dans ce second modèle, la gouvernance — choix des thèmes,
organisation collective du travail, évaluation — est essentielle puisque
aucune tâche d’enseignement ne vient compenser d’éventuelles dérives.
La coexistence de ces deux modèles est ainsi fondée en principe sur la
différence entre une liberté totale du chercheur académique et une moindre
liberté du chercheur d’un laboratoire national.
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Or, si nous examinons les structures organisationnelles du CNRS, nous
constatons que celles-ci ne correspondent à aucun des deux modèles73. Les
chercheurs du CNRS n’ont pas de contraintes d’enseignement. Ne relevant
donc pas du modèle de Arrow, ils devraient ressortir du second modèle.
Cependant, le fait que de nombreuses équipes CNRS soient localisées dans
les universités et soient composées à la fois de chercheurs employés par
l’organisme et d’universitaires implique que les chercheurs CNRS profitent
finalement de la même liberté académique que leurs collègues universitai-
res. Cette spécificité propre à la France crée un problème d’incitation : le lien
entre la liberté académique et la contrainte d’enseignement est rompu, le
bénéfice de la liberté académique sans la contrainte d’enseignement ne
pouvant être attribué qu’à une petite élite (type académie des sciences). Or,
le CNRS est une organisation de masse.
La correction du problème est évidente. Il y a au CNRS deux communau-
tés, obéissant à des mécanismes incitatifs différents. Une communauté de
chercheurs académiques — dont les laboratoires sont localisés dans les
universités en tant qu’équipes associées au CNRS et dont les membres
universitaires ont des comportements de recherche académique. Un nou-
veau contrat devrait être établi pour les chercheurs de ces laboratoires ayant
un statut CNRS, incluant un service d’enseignement minimal, qui pourrait
d’ailleurs consister en enseignement de recherche plutôt qu’en une trans-
mission de savoirs stabilisés. L’autre communauté, celle des laboratoires
propres au CNRS, correspond clairement au modèle des laboratoires natio-
naux, impliquant un certain niveau de contrainte d’emploi.

73. Foray, The future of the CNRS : Academic research center or national laboratory ?,
présentation DG XII, avril [1999].

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 159

Une transformation institutionnelle somme toute minime, consistant à


astreindre les chercheurs CNRS affectés à des laboratoires universitaires à
un service d’enseignement et de formation par la recherche, aurait pour
avantage de redonner une cohérence aux structures organisationnelles du
CNRS et de ce fait de pouvoir argumenter de façon efficace face aux mau-
vais procès que les médias adressent de temps à autre à cet organisme. Par
ailleurs le regroupement, par affinités thématiques, de quelques laboratoires
universitaires affiliés au CNRS, pourrait permettre une meilleure mobilisa-
tion des ressources.

3.4. Insertion des jeunes docteurs


et fonctionnement du marché du travail
scientifique
L’économie et la sociologie de la formation des chercheurs scientifiques
ont fait l’objet d’enquêtes minutieuses dans le cadre du programme. Terry
Shinn s’est ainsi interrogé sur les différences possibles entre la réalisation
d’un post-doc en France (dans la continuité thématique et institutionnelle de
la thèse) et aux États-Unis74. Cette comparaison très stimulante montre le
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caractère conservateur de la première option : dans le cadre d’un post-doc
en France, il y aurait conservation (et approfondissement) aussi bien du
thème développé dans la thèse, que du style de recherche et du mode
épistémologique de résolution des problèmes. Une attitude plutôt méfiante
à l’égard des collaborations industrielles s’observe également. Un post-doc
réalisé en France renforcerait ainsi les schémas cognitifs et les compétences
socio-économiques acquises lors de la thèse. Au contraire, les chercheurs
français partant aux États-Unis pour réaliser leur post-doc auraient tendance
à enrichir leurs méthodes et outils de recherche, tout en prenant conscience
plus rapidement de l’intérêt des collaborations industrielles. Les ruptures
sont telles que le retour en France est souvent jugé difficile.
On observe donc des différences essentielles, qui ont des implications
multiples, tant au niveau des conditions d’insertion des jeunes chercheurs
dans le système de recherche qu’à celui des performances générales du
système d’innovation.
S’intéressant à la procédure des thèses en entreprise, l’IREDU a développé
des travaux à l’articulation de l’économie et de la sociologie de la science et
de l’économie et de la sociologie du travail. Ces travaux permettent notam-
ment d’éclairer une fonction essentielle de la science ouverte qui est de
fournir des informations précises et fiables sur la qualité des jeunes cher-
cheurs — dont peuvent bénéficier les firmes au cours de leur procédure de
recrutement.

74. Shinn, Post Doctoral Training as a Component of Innovation : Comparisons between


French Students Trained in France and in the US, Rapport, 1er appel d’offres programme
CNRS.

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A cet égard, les travaux de l’IREDU75 montrent que la réalisation de la


thèse en entreprise a un rôle ambivalent du point de vue de la probabilité
d’accès à l’emploi dans l’entreprise considérée. D’une part, la thèse en en-
treprise augmente significativement l’information de l’employeur potentiel
sur le jeune chercheur. Elle permet en outre l’acquisition par le jeune cher-
cheur de connaissances spécifiques et immédiatement opératoires dans le
cadre de cette entreprise. Mais, d’autre part, il peut s’agir d’un facteur dis-
suasif dans le cas d’entreprises ayant une préférence de moyen terme pour
des jeunes chercheurs, détenant des connaissances plus générales que cel-
les acquises dans l’entreprise. Plutôt que de bénéficier des compétences
d’un jeune chercheur qui ne se sera familiarisé au cours de sa thèse qu’avec
les travaux spécifiques réalisés dans l’entreprise, celle ci peut préférer re-
cruter un docteur qui a soutenu sa thèse à l’université et qui apporte à
l’entreprise tout le potentiel extérieur d’idées et de techniques qu’il aura
ainsi accumulé.

3.5. Science et marchés privés


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Dès lors que les avancées scientifiques deviennent immédiatement utiles
pour la production d’innovations, la rentabilité privée de la recherche de
base s’élève, pourvu que l’appropriation privée de la connaissance soit or-
ganisée (brevets) et que les problèmes d’indivisibilité des coûts ne soient
pas trop importants ou allégés par les aides publiques à la R&D commer-
ciale. Les caractéristiques du secteur des sciences de la vie sont ainsi favo-
rables à l’apparition d’un marché sur des activités très en amont, donnant
lieu à un processus de désintégration verticale de l’industrie. Des petites
firmes entrent sur ce marché pour découvrir une connaissance de base ou
inventer un outil de recherche. Elles obtiennent un brevet et vendent des
licences d’exploitation à d’autres firmes, voire à des chercheurs académi-
ques. Ce modèle se met notamment en place aux États-Unis dans le secteur
des biotechnologies, depuis les années 1990. Par rapport à une structure
verticalement intégrée (qui serait composée dans ce cas de la recherche
publique et des grandes firmes pharmaceutiques), la désintégration verticale
fondée sur la création d’une offre intermédiaire spécialisée est plus efficiente
lorsque : 1) la concurrence horizontale interne à un segment d’activité est
forte ; 2) la spécialisation permet des réductions des coûts ; 3) la coordina-
tion verticale est relativement peu importante ; 4) les prix reflètent fidèle-
ment les coûts marginaux d’opportunité ; 5) les arrangements contractuels
sont simples et effectifs.

75. Paul et Perret, Impact des relations université — industrie sur l’insertion en entreprise
des jeunes docteurs, CI 99042.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 161

Or, s’agissant d’une activité de recherche de base, certaines de ces condi-


tions (au moins les deux dernières) ne sont pas remplies. Dès lors, l’évolu-
tion observée peut avoir des effets négatifs sur le bien être social76, 77.
C’est notamment le cas lorsque les brevets bloquent l’accès des cher-
cheurs à une connaissance générique, par nature cumulative (susceptible
d’engendrer un grand nombre d’innovations et de connaissances supplé-
mentaires), engendrent des coûts et des délais de négociations et de litiges
de plus en plus importants et peuvent finalement créer des situations de
blocage lorsqu’un trop grand nombre de brevets élève tragiquement les
coûts de transaction, liés à l’identification des droits et à leur rachat78.
Des exemples précis et les faibles rendements financiers de la plupart des
start ups de biotechnologie sur longue période montrent que le marché
privé de la recherche de base fonctionne mal. Ceci ne reflète rien d’autre que
« la simple économie de la recherche » développée par Nelson dès1959. A
ce stade de l’activité, les sources de défaillances du marché sont trop gran-
des et les brevets, qui imposent un coût social important au système, sont
inadaptés à l’appropriation privée de connaissances si fondamentales : l’ap-
propriation de la valeur qui dérive des stades les plus fondamentaux de la
recherche est extraordinairement difficile pour des firmes privées. Les firmes
qui ont réussi étaient historiquement des firmes de grande taille, stables,
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hautement intégrées, sachant combiner différents moyens d’appropriation
(outre les brevets, la marque, le savoir faire propriétaire, les barrières à
l’entrée réglementaires), suffisamment diversifiées sur le marché des pro-
duits pour permettre l’internalisation des externalités et financièrement so-
lides pour supporter les risques induits par la recherche de base79.
Tandis qu’un seul modèle semble aujourd’hui retenir l’attention des admi-
nistrateurs et des décideurs publics — celui de la « start-up » qui développe,
exploite et privatise les connaissances issues de la recherche publique — il
faut rappeler avec force que d’autres modèles sont possibles et ne sont en
rien obsolètes. La comparaison de ces différents modèles a été effectuée
dans certains travaux, notamment en ce qui concerne les recherches en
génomique80.

76. Mowery et Ziedonis, Academic patent quality and quantity before and after the Bayh-
Dole Act in the US, CI 00019 ; Cassier, Brevets et santé publique : un parallèle entre les
brevets sur les gênes aujourd’hui et les brevets de médicaments au XIXe siècle, CI 00025.
77. Beath, Owen, Poyago-Theotaky et Ulph, Optimal incentives for income generation
within universities, CI 00012.
78. Henry, Trommeter et Tubiana, Innovations et droit de propriété intellectuelle : quels
enjeux pour les biotechnologies ? in « Propriété Intellectuelle », Rapport Conseil d’Analyse
Économique [2003].
79. Crampes, La recherche et la protection des innovations dans le secteur pharmaceuti-
que, Cahier In 99023.
80. M. Cassier et J.-P. Gaudillère [2000], La recherche bio-médicale au cœur des marchés
économiques ; approche socio-économique de la constitution de nouveaux marchés de la
connaissance et de la santé, Colloque des Économistes Français de la Santé ; Voir aussi
Crampes, Idée et marché, CI 99024.

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162 ————————————————————— D. Encaoua, D. Foray, A. Hatchuel, J. Mairesse

4. Politiques publiques en faveur


de l’innovation

La liste des moyens et des modalités de l’intervention publique en faveur


de l’innovation81 est très variée et chaque pays est amené à combiner des
éléments de son histoire, de sa culture et de ses institutions pour parvenir
au système national d’innovation82 qui lui est propre. Quelle leçon peut-on
en tirer pour l’évolution de la politique technologique en France ? Quelles
complémentarités existent entre les instruments de la politique en faveur de
l’innovation ?

4.1. Système national d’innovation :


leçons pour l’évolution de la politique
technologique en France
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La dimension internationale plaide en faveur d’infléchissements des poli-
tiques nationales de soutien de l’innovation pour s’adapter aux mutations
technologiques de l’économie de la connaissance83. Deux éléments sont à
l’origine des transformations du système national d’innovation. D’une part,
les retards dans certains domaines clés contemporains comme les Techno-
logies de l’Information et de la Communication (TIC) ou les Technologies des
Sciences du Vivant (TSV) contraignent certains pays à infléchir les orienta-
tions passées afin de réduire leur retard dans ces domaines. D’autre part, les
moyens d’action correspondant sont de plus en plus concertés au niveau de
l’ensemble des pays membres de l’Union Européenne, notamment au tra-
vers les orientations et le financement des programmes cadres. La création
du brevet européen simplifiant la mesure de délivrance dans différents pays
membres et la procédure de dépôt international de brevet sous le régime du
Patent Cooperation Treaty (PCT) vont dans ce sens.
Une autre raison, plus factuelle, plaide pour une révision de la notion de
système national d’innovation. L’environnement international a beaucoup

81. Le thème des politiques publiques en faveur de l’innovation a fait l’objet d’une confé-
rence du programme : Technology Policy and Innovation : Economic and Historical Perspec-
tives, Paris, 20-22 novembre [2000].
82. Une abondante littérature est consacrée à cette notion inspirée des travaux de théorie
économique évolutionniste : Freeman [1987], Technology Policy and Economic Performance,
Pinter, London ; Lundvall [1992], National Systems of Innovation, Pinter, London ; Lundvall
[1988], « Innovation as an interactive process : from user-producer interaction to the national
system of innovation », in Dosi et al. eds, Technical Change and Economic Theory, Pinter,
London ; Metcalfe [1995], « The Economic Foundations of Technology Policy », in Stoneman,
ed. Handbook of the Economics of Innovation and Technical Change, Basil Blackwell, Ox-
ford ; Nelson [1994], National Innovative Systems, Oxford University Press, Oxford.
83. OCDE [1996] : The Knowledge-Based Economy [1996], Fagerberg, Europe at the
crossroads : The challenge from innovation based growth, CI 00027.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 163

changé depuis le début des années 1980. Jusqu’à cette période, la politique
de la recherche s’inscrivait dans un environnement où les mécanismes de
coordination par les forces du marché étaient plutôt en retrait et où les
grandes entreprises à l’origine des innovations technologiques étaient bien
moins soumises à la concurrence internationale qu’elles ne le sont à pré-
sent. L’État disposait dans ce contexte d’une plus grande latitude pour
l’orientation des choix technologiques. Cette latitude est à présent remise en
question. Les transformations en matière de privatisation, de déréglementa-
tion financière et d’ouverture à la concurrence des services publics, les ten-
sions sur les finances publiques, la baisse des commandes d’armement
après la guerre froide, sont autant de facteurs qui affectent les choix publics
en matière d’orientation technologique. De plus, les relations entre les pou-
voirs publics et les entreprises sont marquées par de fortes asymétries d’in-
formation et l’État est parfois incapable d’identifier, suffisamment à l’avance,
les domaines qui auront le rendement social le plus élevé.
Dès lors, émerge une conception nouvelle de la politique de l’innovation
reposant davantage sur une logique incitative que sur une pure logique
quantitative. Elle consiste à utiliser au mieux les mécanismes d’incitation et
de coopération pour l’affectation des ressources plus rares allouées par
l’État. C’est ce qui fonde les politiques récentes en France, mettant en avant
un ensemble de mesures transversales afin d’alléger les obstacles à l’inno-
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vation et de permettre la diffusion des connaissances dans le tissu écono-
mique et social.
L’évolution de la politique technologique de la France sur longue période
est de ce point de vue instructive. Jusqu’à un passé récent84, il ne s’est agi
en France que de politique de la recherche et non pas de politique de
l’innovation85. L’intensité de l’effort public en faveur de la R&D des entrepri-
ses a été relativement importante durant les vingt cinq dernières années, par
rapport à d’autres pays. Mais l’aide publique s’est largement concentrée sur
un nombre restreint de secteurs et d’entreprises dont les commandes pro-
venaient d’avantage de l’État (besoins civils et militaires) que du marché.
Dans plusieurs activités, marquées par des technologies sophistiquées et
l’importance des investissements requis, la décision publique permet de
corriger les défaillances des mécanismes de marché. Des réalisations indus-
trielles remarquables ont ainsi été réalisées et, elles n’auraient vraisembla-
blement pu émerger sans l’intervention forte et décisive de l’État : sont ainsi
concernés le spatial, l’aéronautique, le nucléaire, le matériel de transport
terrestre, les télécommunications et la production d’armements sophisti-
qués.
Mais l’envers du décor ne peut être ignoré. D’abord, toutes les interven-
tions publiques n’ont pas été couronnées de succès : il y a eu des échecs
technologiques importants. Ensuite, il est apparu que les retombées techno-
logiques n’ont pas eu lieu avec l’intensité que les pouvoirs publics étaient en

84. Guillaume [1998], Rapport de mission sur la technologie et l’innovation, Ministère de


l’Éducation Nationale, de la Recherche et de la Technologie ; Majoie [2000], Recherche et
innovation : la France dans la compétition mondiale, Commissariat Général du Plan, Docu-
mentation Française.
85. Encaoua [2000], La politique technologique de soutien de la R&D en France, mimeo.

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droit d’attendre. En troisième lieu, des retards ont été accumulés dans cer-
taines industries qui allaient s’avérer motrices par la suite. En quatrième
lieu, le décalage de performances entre la recherche fondamentale et les
innovations technologiques et commerciales s’est creusé. Alors que la
France conserve un rang honorable en matière de publications scientifiques,
ses performances en matière d’innovations industrielles sont plus faibles,
comparées à celles d’autres pays, comme l’attestent les statistiques de bre-
vets. Selon les statistiques de l’INPI, il y a eu en 1999 plus de 138 000 dépôts
de demande de brevet en France, mais seulement un peu plus de 21 000
d’entre eux émanaient de déposants français. Enfin, dernier argument, la
baisse des crédits militaires86 et civils a posé au grand jour le problème de
la survie du modèle français, marqué par l’importance des grands program-
mes technologiques, afin de satisfaire des objectifs de « souveraineté natio-
nale ».
L’évolution de l’environnement global et le poids des contraintes budgé-
taire ont ainsi conduit à une réorientation, ou du moins, à une certaine
inflexion dans les interventions publiques en faveur de l’innovation en
France, durant les années récentes. D’une part les propositions s’ordonnent
davantage autour du contenu d’une politique de l’innovation qu’autour
d’une politique de la recherche. D’autre part, une logique incitative semble
prendre le pas. Les politiques publiques trouvent leur expression dans di-
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vers instruments visant à renforcer le partenariat entre la recherche publique
et les entreprises. Ces instruments incluent aussi bien les mesures en faveur
de la mobilité des chercheurs du secteur public vers le secteur privé qu’une
série de mesures transversales en faveur de l’amorçage et de l’incubation
des start-up, des subventions à l’innovation, du financement du capital ris-
que, de l’orientation de l’épargne vers l’innovation, etc. Se sont ainsi déve-
loppés, d’une part, des Réseaux de Recherche et d’Innovation Technologi-
que (RRIT) bénéficiant de ressources financières permettant de mutualiser
des moyens matériels, financiers et humains entre différents partenaires
dans différents domaines qui incluent à présent les Sciences de la Vie et les
Technologies de l’Information, Télécommunication, Multimédia et, d’autre
part, des Centres Nationaux de Recherche Technologique (CNRT) qui favo-
risent au niveau régional les collaborations entre les laboratoires de recher-
che publique, les centres de recherche des grands groupes industriels et
certaines PME. A ces deux types d’institutions de collaboration, il convient
d’ajouter les Équipes de Recherche Technologique (ERT) créées par le mi-
nistère de la recherche et visant à lever des verrous technologiques et les
Services d’Activités Industrielles et Commerciales (SAIC) pour améliorer la
valorisation des résultats de la recherche publique dans les Universités.
Même si l’engouement vraisemblablement excessif que les nouvelles for-
mes d’innovations entrepreneuriales ont suscité est quelque peu retombé
après l’éclatement de la bulle technologique, il n’en demeure pas moins que
la politique publique en France met à présent l’accent sur les modalités
permettant de lever les obstacles à l’innovation.

86. Sur la R&D militaire, voir les articles du Hanbook of Defense Economics, North Hol-
land.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 165

4.2. Complémentarités des obstacles


à l’innovation

Quelques travaux ont testé l’existence de complémentarités au niveau des


obstacles à l’innovation87. Précisons la notion. Deux obstacles à l’innovation
sont dits complémentaires par rapport à la performance d’une branche in-
dustrielle si l’allégement du premier obstacle a un effet d’autant plus impor-
tant sur la performance de la branche que le second obstacle est également
levé. Les performances s’expriment en termes de capacité d’innovation et
du résultat de l’innovation. Quatre types d’obstacles à l’innovation ont été
identifiés, liés respectivement à la pénurie de travail qualifié, aux difficultés
de financement, à la difficulté d’établir des partenariats, et enfin aux difficul-
tés administratives en matière de droit, de fiscalité, de création d’entreprise,
etc. Différentes branches industrielles de différents pays ont ainsi été analy-
sées. Le résultat le plus notable à noter est que la pénurie de travail qualifié
apparaît comme l’obstacle majeur au sens où il est complémentaire aux
trois autres obstacles, quelleque soit la branche considérée et quelque soit
le pays.
Là encore, ces travaux suggèrent que la direction prioritaire pour lever les
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obstacles à l’innovation est d’allouer des moyens importants et réguliers à la
recherche fondamentale qui pourvoit les compétences et les qualifications
requises. D’autres mesures comme celles consistant à favoriser la mobilité
des chercheurs, à accentuer la formation technique, à éviter la fuite des
travailleurs qualifiés en offrant des rémunérations suffisamment incitatives,
à faciliter la politique d’accueil de travailleurs qualifiés étrangers, etc. per-
mettent d’alléger, mais dans une mesure moindre que le soutien à la recher-
che fondamentale, l’obstacle principal à l’innovation qu’est la pénurie de
travail qualifié.

4.3. Subventions et mesures fiscales

Les subventions publiques à la R&D sont des formes d’intervention ex


ante, dans la mesure où elles ont lieu avant que la recherche ne soit réalisée.
Des travaux ont montré que les subventions publiques directes (aides non
remboursables en cas d’échec, comme les aides ministérielles, les aides
régionales et les aides de l’ANVAR) ont en général un effet positif sur le
montant des dépenses de recherche financées par l’entreprise88.
Les mesures fiscales en faveur des dépenses de recherche ou de dévelop-
pement sont des aides indirectes (comme par exemple le crédit impôt re-

87. Mohnen et Roller, Complementarities in innovation policy, CI 00021.


88. Guellec et Van Pottelsberghe, The impact of public R&D expenditure on business R&D,
CI 00033. En moyenne et sur données agrégées par pays, l’examen de 17 pays de l’OCDE
révèle que 1 euro d’aide publique à la R&D accordée aux entreprises génère 0,7 euros d’in-
vestissement privé.

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cherche qui a été progressivement étendu en France depuis la loi de Finan-


ces de 1983), exercent aussi un effet positif sur l’investissement privé en
R&D. Mais les deux instruments que sont les subventions et la fiscalité
apparaissent comme des substituts plutôt que comme des compléments.
L’effet d’une subvention publique ne semble pas être accru par le recours
simultané à un dégrèvement fiscal des dépenses privées de R&D.
La contribution présentée par Emmanuel Duguet permet de savoir si les
subventions publiques à la R&D des entreprises remplacent simplement les
dépenses d’investissement en R&D que ces entreprises auraient réalisé en
l’absence de ces aides ou, au contraire, si elles se surajoutent à ces dépen-
ses privées, voire les amplifient. L’auteur montre qu’en moyenne, les sub-
ventions publiques à la recherche n’ont pas comporté d’effet d’éviction, sans
pour autant accroître le montant d’investissement privé qui aurait eu lieu en
l’absence des subventions, confirmant des résultats obtenus sur d’autres
pays89.
La contribution de Jacques Mairesse et Benoît Mulkay, porte sur l’effet du
crédit d’impôt recherche sur le coût du capital des entreprises et leurs dé-
penses en R&D. Elle tend à montrer le rôle incitatif important du crédit
d’impôt recherché en France. Un relèvement permanent de surtaux de 10 %
pourrait entraîner un développement à moyen-long terme de l’investisse-
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ment et du capital de R& D de l’ordre de 3 à 5 %.

4.4. Brevets et autres instruments de protection

Le brevet est évidemment un instrument d’incitation à l’innovation


d’autant plus puissant qu’il possède deux vertus majeures. D’une part, c’est
un instrument décentralisé qui laisse à chaque innovateur le soin de recou-
vrir les coûts de sa recherche par une exploitation commerciale autonome.
D’autre part, contrairement au secret, le brevet permet une certaine diffusion
des connaissances, puisque en contrepartie de la protection par le brevet, la
découverte est nécessairement publiée. Cette diffusion s’opère aussi bien
par la consultation des brevets que par les contrats de licence qui favorisent
le transfert des technologies. Cependant, cet instrument a également un
coût social non nul, notamment dans un contexte où les innovations sé-
quentielles prennent le pas sur l’innovation isolée. L’extension du champ du
brevetable, la croissance très forte du nombre de brevets, beaucoup d’entre
eux ayant une valeur sociale faible, l’élargissement de la protection accor-
dée, notamment aux États-Unis, ont soulevé une série d’inquiétudes. Plutôt
que de considérer le brevet comme un droit naturel qui récompenserait un
innovateur, pour peu que son invention satisfasse les critères de nouveauté,
d’inventivité et d’utilité, les réflexions contemporaines envisagent le brevet

89. Lach, Do R&D subsidies stimulate or displace private R&D ? Evidence from Israel, CI
00036.

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Les enjeux économiques de l’innovation ———————————————————————————— 167

comme un instrument de politique économique qu’il s’agit de configurer au


mieux pour en minimiser le coût social90.
Partant du fait que l’État ne dispose que d’une information imparfaite sur
les rendements privé et social de la recherche, certains travaux91 ont cher-
ché à mettre en évidence une configuration socialement optimale du brevet.
Les questions traitées sont nombreuses, parmi lesquelles on peut citer les
suivantes. Doit-on accorder la même durée légale de protection (longueur
du brevet) dans toutes les industries ou doit-on différencier selon la vitesse
du progrès technique ? L’industrie pharmaceutique et l’industrie des techno-
logies informatiques présentent, selon ce critère, des situations assez diffé-
renciées. De plus, ce n’est pas tant sur la durée de vie légale du brevet qu’il
faudrait agir mais sur sa durée de vie effective, c’est-à-dire le nombre d’an-
nées pendant lesquelles le brevet reste effectivement en exercice. La ques-
tion d’une régulation par le montant des annuités de renouvellement a été
ainsi examinée. Une littérature récente a été consacrée à ces diverses ques-
tions. Les réflexions à l’interface du droit et de l’économie sont évidemment
fortement sollicitées.
L’article de Étienne Pfister présente une réflexion économique intéres-
sante sur les doctrines juridiques en matière d’étendue de la protection.
Traitant de la question de la protection des instruments de recherche dans
une perspective d’innovations séquentielles, l’auteur compare les avantages
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et les inconvénients de deux doctrines juridiques s’appliquant à la protec-
tion. Selon la première, dite de divulgation (enablement doctrine en anglais),
la protection ne porterait que sur les caractéristiques de l’invention décrites
dans le brevet. L’étendue de la protection accordée à un innovateur se
trouve ainsi limitée aux revendications accordées par l’Office des Brevets sur
base de ce qui est divulgué. Alternativement, selon la seconde doctrine, dite
des équivalents (prospects doctrine en anglais), l’étendue de la protection
retenue devrait couvrir tout le champ d’applications commerciales qu’ouvre
la découverte initiale. Après avoir analysé et comparé les effets de ces deux
doctrines sur les incitations à innover respectives de deux innovateurs de
deux générations successives et évalué l’effet des deux doctrines sur le
bien-être social, l’article plaide pour le recours à la première doctrine qui
limite l’étendue de la protection.
Il est clair que le spectre des questions soulevées par les politiques publi-
ques de l’innovation est beaucoup plus large que ce qu’on vient d’en dire.
Parmi les questions non répertoriées ici, mentionnons, entre autres, l’impact
de l’harmonisation des droits de propriété intellectuelle sur le développe-
ment économique des pays du Sud, l’instauration du régime de la licence
obligatoire, les incitations à la recherche coopérative, les problèmes

90. Encaoua, Guellec et Martinez [2003], The Economics of patents : from natural rights to
policy instruments, Cahier EUREQua ; Rapport Conseil d’Analyse Économique [2003], Pro-
priété intellectuelle, Documentation Française ; Lévêque et Menière, Économie de la pro-
priété intellectuelle, La Découverte.
91. Brocas, Regulating research and development of a single firm under incomplete infor-
mation, CI 99022 ; Crampes, La recherche et la protection des innovations dans le secteur
pharmaceutique, CI 99023 ; Kremer [1998], Patent buyouts : a mechanism for encouraging
innovation, Quarterly Journal of Economics, vol. 113 ; I. Brocas, Designing auctions in R&D :
optimal licensing of an innovation, CI 99021 ; Arora, Gambardella et Pammoli, The nature
and the extent of the market for technology in biopharmaceuticals, CI 00037.

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168 ————————————————————— D. Encaoua, D. Foray, A. Hatchuel, J. Mairesse

concrets que soulève l’articulation entre la science et l’industrie dans certai-


nes activités92 et l’articulation des règles de la politique de la concurrence et
des droits de propriété intellectuelle93.
Pour conclure en un mot ce large tour d’horizon, un des principaux méri-
tes du programme CNRS « Les Enjeux Économiques de l’Innovation » a été
de créer une dynamique de recherche concertée entre plusieurs équipes afin
d’analyser une grande série de questions au travers de différentes perspec-
tives. L’interdisciplinarité est restée limitée à quelques domaines des scien-
ces humaines (économie, gestion, sociologie, histoire et droit) mais c’était
là, nous semble-t-il une condition du succès ou du moins de la possibilité de
parvenir à une articulation raisonnable débouchant sur un faisceau de
connaissances cohérentes dans leur ensemble et en même temps fortement
complémentaires. Faute de place, nous n’ouvrirons pas la question des pers-
pectives ouvertes par ce programme. Il appartient au lecteur, à la fois au vu
de ce qui précède et en lisant les articles présentés ici, de juger si la dyna-
mique mise en œuvre lors du programme a bien produit ses effets.
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92. Branciard, L’articulation science-innovation en France : Dix ans d’action publique pour
le développement de la génomique et des biotechnologies, CI 00005, Mowery et Ziedonis,
Academic patent quality and quantity before and after the BAYH-DOLE Act in the US, CI
00019.
93. Encaoua et Hollander [2002], Competition Policy and Innovation, Oxford Review of
Economic Policy.

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