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Alain Decrop
ISSN 0034-2971
ISBN 9782804157654
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Les paradoxes du consommateur
postmoderne
Alain Decrop 1
Abstract – This paper takes place within the societal shift from modernism to post-
modernism and presents major consumption trends of the last two decennia. Those
trends lead to a series of paradoxes that are interpreted in the light of postmodernist
theories. The paper shows how consumption phenomena develop around those par-
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adoxes and how marketing and firms benefit from them by offering a broad range of
1 POSTMODERNITÉ ET CONSOMMATION
La postmodernité fait référence à un changement structurel de l’individu et de la
société lié à la fin de l’époque industrielle qui avait créé la modernité et à l’avène-
ment de l’ère de l’information que nous connaissons aujourd’hui. D’après des so-
ciologues comme Baudrillard (1970), Lyotard (1979) ou Maffesoli (1988), l’individu
postmoderne serait né de l’effritement progressif des structures institutionnelles,
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même produit ou une même activité : « les consommateurs vivent les situations
comme si chacune d’elles devait véhiculer une image différente d’eux-mêmes,
nécessitant à chaque fois des produits spécifiques » (Firat et Vankatesh, 1993,
p. 376). L’individu postmoderne est encouragé à changer d’image en perma-
nence et doit donc sans cesse s’adapter à de nouveaux rôles. Troisième condi-
tion, la réversibilité de la consommation et de la production remet en cause la
vision traditionnelle qui veut que la production soit création de valeur alors que la
consommation en assure la destruction. Pour Baudrillard (1970), la valeur trouve
son origine dans le sens donné au produit et non pas dans l’échange en tant que
tel. En ce sens, le consommateur est producteur de toute expérience de consom-
mation et son identité est conditionnée par les produits qu’il utilise, pour autant que
ces derniers aient une signification particulière à ses yeux. Avec le décentrage du
sujet, le postmodernisme met en avant la confusion entre sujet et objet de la con-
sommation et pose la question du contrôle de leur relation. Enfin, la consommation
postmoderne permet la juxtaposition des contraires en ce sens qu’elle permet la
coexistence d’éléments autrefois considérés comme antithétiques sans privilégier
un point de vue par rapport à l’autre. C’est de ces contraires ou paradoxes dont
nous allons maintenant traiter.
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Il serait difficile dans l’espace d’une contribution de dix pages de présenter tous les
paradoxes auxquels sont confrontés un grand nombre de consommateurs ac-
tuels. Nous allons donc nous contenter d’en décortiquer quelques-uns. Nous
montrons comment le marketing tire profit de ces paradoxes en offrant au con-
sommateur des solutions qui lui permettent de concilier l’eau et le feu et de lui
éviter ainsi des tensions schizophréniques.
D’une certaine manière, l’ère de l’information dans laquelle nous sommes entrés
démultiplie les possibilités de contact entre personnes ; paradoxalement, elle con-
duit aussi à de plus en plus d’isolement. D’une part, les ordinateurs, le téléphone
mobile et la télévision interactive nous permettent d’être en permanence en con-
tact avec nos proches aux quatre coins du monde. D’autre part, ces mêmes tech-
nologies amènent une déshumanisation des relations humaines. De plus en plus
de personnes travaillent à la maison, effectuent toutes leurs opérations commer-
ciales et financières sur Internet, et en viennent parfois même à poursuivre des
existences virtuelles et des styles de vie cyberspatiaux (cf. infra). Nous vivons
aujourd’hui dans un monde plus individualiste et égologique (Sansaloni, 2006) qui
pousse bon nombre de nos contemporains à se replier sur eux-mêmes, à dé-
fendre le « moi d’abord » et à revendiquer leur droit à une customisation à outrance.
Par ailleurs, l’effritement des structures sociales traditionnelles (famille, paroisse,
quartier, etc.) conduit l’individu à se retrouver souvent seul. Ainsi on n’a jamais
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2. Système de rencontre formalisé dont l’objectif est d’offrir la possibilité à des individus de rencontrer
rapidement un grand nombre de nouvelles personnes.
3. Un groupe de personnes se rassemblent soudainement dans un lieu public, réalise une action in-
habituelle pendant une période assez courte et ensuite se dispersent rapidement.
4. Au gré de ses envies et pérégrinations, le voyageur prend contact par Internet avec des personnes
qui acceptent de lui « prêter » leur canapé (d’où le terme de « couch surfing ») ou un bout de terrain
pour planter sa tente, dans le but d’enrichir leur cercle de connaissances ou simplement d’être
reçues à leur tour un peu plus tard…
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La dualité entre réel et virtuel est en train de s’estomper sous les coups de boutoir
des avancées technologiques. Le marché des consoles et des jeux vidéos explose
6. Do-it-yourself.
7. Selon CréaPLUS, près de 52 % de Français seraient pratiquants, avec un budget annuel de près
de 500 euros.
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depuis plusieurs années ; ces derniers sont de plus en plus « réalistes » et com-
portent parfois un appareillage virtuel, à l’instar de la Wii de Nintendo. Les jeux de
rôle connaissent un engouement sans précédent tandis que les développements
de la cybernétique et de l’intelligence artificielle rendent la frontière entre orga-
nismes et machines de plus en plus ténue. La tension entre réel et virtuel est éga-
lement de plus en plus présente dans les relations humaines : les rencontres
virtuelles se multiplient sur des plates-formes comme Meetic et des univers de
simulation complets se développent à l’exemple de Second Life. Ces univers vir-
tuels permettent un dédoublement de personnalité : jouer à être quelqu’un d’autre
ailleurs.
Tous ces exemples liés au paradoxe réel-virtuel nous renvoient au concept
d’hyperréalité propre aux chercheurs postmodernes (voir notamment Baudrillard,
1968 ; Firat et Venkatesh, 1993, 1995). L’hyperréalité caractérise l’incapacité de la
conscience humaine à distinguer le réel du fantasme, le vrai du faux dans un con-
texte de consommation dominé par les technologies. L’état d’hyperréalité résulte
de ce que la conscience va qualifier de « réel » dans un monde où une multitude de
médias sont à même de façonner ou de transformer radicalement un message, un
événement ou une expérience initiale. En quelque sorte, on pourrait qualifier
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société Hulger produit des cornets de téléphone « classiques » que l’on peut con-
necter via une entrée USB ou un autre type d’adaptateur à son GSM ou son ordi-
nateur. Plus récemment encore, Levis lançait sa dernière collection de peintures
Ambiance selon le concept même de « newstalgia », révélant une approche origi-
nale des couleurs et des nuances qui puise dans une collection de souvenirs
d’enfance. La « newstalgia » fait également un tabac dans le domaine de la culture,
en témoignent les meilleures ventes pour des inédits du Petit Nicolas, les entrées
les plus nombreuses pour Amélie Poulain ou Les Choristes, sans parler du revival
de chanteurs de variété et de groupes pop/rock, labellisés « vintage » comme The
Police, les Eagles ou Led Zeppelin. Les marques sont elles aussi plus que jamais à
la recherche des souvenirs d’enfance de leurs segments cibles. Des cafés Grand-
Mère aux confitures Bonne Maman, des muscles de Mr Propre au sourire enfantin
des cassonades Graeffe, tout est fait pour renvoyer le consommateur à une
époque où « la consommation était une fête », comme le souligne le publicitaire
français Jacques Séguéla (cité par Joulin et van der Ende, 2005).
3 DISCUSSION ET CONCLUSION
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une mondialisation qui l’a fragilisé autant qu’il l’a enrichi d’un savoir aux mille et une
facettes, le consommateur, devenu consomm’acteur, s’est fait non-consomma-
teur, c’est-à-dire un consommateur qui veut consommer mais qui peut dire non !
parce qu’il a choisi de consommer autrement » (Sansaloni, p. 15). Confronté à
l’incertain, à l’abondance et au complexe, le consommateur devient coproducteur
de son mode de vie et de sa consommation pour y retrouver des repères qu’il sait
instables ailleurs. À bien des égards, on peut parler de l’avènement d’une
« génération participation » (Maillet, 2006). C’est cette génération qui a donné
naissance au Web 2.0 et qui fait le succès de sites comme Wikipédia, eBay ou
YouTube. Aujourd’hui, le consommateur ne subit plus le contenu de la toile mais y
participe activement : il le fabrique, l’enrichit, le partage et le peaufine.
BIBLIOGRAPHIE
AUBERT, N. (2005), L’individu hypermoderne, Toulouse, érès.
BADOT, O. et al. (2007), « Odyssée ethnomarketing à Las Vegas : marketing en hyper-
monde et réappropriation collective », communication présentée aux 6es Jour-
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