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AUTOMOBILE ET NOUVEAUX MODÈLES ÉCONOMIQUES DE LA

MOBILITÉ ÉLECTRIQUE, AU COEUR D'UNE DIVERSITÉ


INSTITUTIONNELLE

Benoît Mougenot

De Boeck Supérieur | Innovations

2015/1 - n° 46
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pages 71 à 88

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-innovations-2015-1-page-71.htm
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Pour citer cet article :


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Mougenot Benoît, « Automobile et nouveaux modèles économiques de la mobilité électrique, au coeur d'une diversité
institutionnelle »,
Innovations, 2015/1 n° 46, p. 71-88. DOI : 10.3917/inno.046.0071
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AUTOMOBILE ET NOUVEAUX
MODÈLES ÉCONOMIQUES
DE LA MOBILITÉ ÉLECTRIQUE,
AU CŒUR D’UNE DIVERSITÉ
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INSTITUTIONNELLE1
Benoît MOUGENOT
REEDS (EA 4456)
Université de Versailles St Quentin-en-Yvelines
benoit.mougenot@uvsq.fr

L’augmentation de l’utilisation des ressources naturelles et les consé-


quences sur le maintien des écosystèmes, auquel s’ajoute la crise économique
depuis 2008 dans les sociétés occidentales, révèlent la présence d’une crise
majeure et globale de notre modèle de société. L’ensemble de ces change-
ments à court ou moyen terme, nous amène progressivement à reconcevoir
notre manière de penser et d’agir (Boons et al., 2013).
Parmi les différents secteurs économiques, celui des transports et plus
généralement de la mobilité, fait partie des premiers concernés par ces
mutations. En effet, à l’échelle mondiale le nombre d’automobilistes est
actuellement d’un milliard, et s’élèvera selon les estimations à plus de
2,8 milliards d’ici 2050 (Meyer et al., 2012). Face à cette augmentation
inexorable et non-soutenable du point de vue écologique mais aussi en
termes de ressources énergétiques, la voiture électrique semble devenir un
possible recours pour diminuer les émissions de CO2. Les travaux menés
par l’université de Newcastle, avec le programme SwitchEV ont pu l’illus-
trer récemment (Robinson et al., 2013). Cette hypothèse favorable au
développement de la voiture électrique est également reprise par plusieurs
scenarii réalisés par l’Organisation pour la Coopération Economique et le
Développement et l’Agence Internationale de l’Energie (OCDE, AIE, 2012,

1. Remerciements : Mes remerciements vont aux évaluateurs anonymes, mais aussi à Romuald
Dupuy et Borislav Antonov pour leur lecture attentive et leurs conseils avisés. Toutefois, je reste
le seul responsable d’éventuelles erreurs et maladresses qui subsisteraient. Ce travail a reçu le
soutien de la chaire industrielle High-Tech for Best Value, Continental Automotive.

n° 46 – innovations 2015/1 DOI: 10.3917/inno.046.0071 71


Benoît Mougenot

2013), qui font état de 27 millions de véhicules en 2020, à la fois véhi-


cules à batterie électrique (EV) et véhicules électriques hybrides rechar-
geables (PHEV) et jusqu’à 1 milliard pour 2050, pour réduire les émissions
de 10 gigatonnes (Gt). En réalité, deux défis principaux viennent replacer
le véhicule automobile au cœur d’une réflexion de fond sur la mobilité
électrique.
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D’une part, l’essor des sources d’énergies renouvelables transforme
considérablement la production d’énergie (Andersen et al., 2009). En effet
d’un système global et centralisé, on passe à un niveau davantage éclaté
et struc­turé sur de petites unités de production (panneaux photovoltaïques,
éoliennes, etc.) à la productivité aléatoire et saisonnière. Les batteries uti-
lisées dans les véhicules électriques pourraient à terme assurer une fonction
autre que la mobilité en devenant des lieux de stockage d’énergie, cette
fonction n’étant envisageable qu’en lien avec le développement d’un réseau
électrique intelligent (smart grid) permettant de générer cette interface.
D’autre part, il est important de rappeler que le cadre définissant une
innovation repose sur la définition de l’objet (produit, service), mais aussi
sur l’organisation de la production ou de la consommation. Cela inclut en
premier lieu les innovations orientées fonctions, passant ainsi d’un modèle
de la propriété à un modèle qui repose sur un usage partagé du bien, en
l’occurrence la voiture électrique, ou certains de ses équipements comme la
batterie. Il en découle une performance environnementale obtenue par un
découplage entre consommation de matière et satisfaction d’un besoin.
Ces innovations sont de nature différente mais peuvent apparaître com-
plémentaires, car elles visent une performance environnementale par un
usage diversifié et intensifié. Cependant, la voiture électrique peine encore à
trouver une large diffusion et reste trop souvent confinée dans un secteur de
niche (Ceschin, 2013). Comment alors tenter d’expliquer les barrières qui
empêchent un développement plus important de ces nouvelles technolo-
gies liées à la voiture électrique, intégrées plus largement dans des nouveaux
modèles économiques de l’électro-mobilité ?
Nous souhaitons donc dans un premier temps, interroger globalement les
freins à une plus large diffusion du véhicule électrique, ce qui nous permettra
par la suite de revenir plus particulièrement sur la place de cette innovation
dans les nouveaux modèles économiques de partage du véhicule et de ses
interfaces. Cette redéfinition passe alors par une remise en cause du véhi-
cule comme simple bien marchand. Nous allons montrer ici que les difficul-
tés d’émergence de ce marché sont avant tout à replacer dans un contexte
d’ordre institutionnel. Il s’agit dès lors d’apporter un regard original, notam-
ment à travers l’appui d’une terminologie sur la nature des biens, développée

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Automobile et nouveaux modèles économiques…

par Elinor Ostrom (1990, 2005, 2010). En effet, ces travaux permettent la
prise en compte d’une diversité institutionnelle obtenue par une certaine
remise en cause de la théorie des droits de propriété. Pour cela, nous illustre-
rons nos propos par un exemple issu de la mobilité électrique présentant les
cas de Better Place et Tesla Motors, dans leurs tentatives respectives d’inno-
vation de rupture sur le changement de batterie. Enfin nous terminerons
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nos propos par une discussion sur les particularités du modèle d’innovation
mis en œuvre, dont le but est de transformer la voiture électrique dans un
nouveau système d’électro-mobilité.

LA DIFFUSION DE LA VOITURE ÉLECTRIQUE


PASSE PAR DE NOUVEAUX MODÈLES
D’ÉLECTRO-MOBILITÉ

De la voiture électrique
L’émergence de la voiture électrique ne date pas d’aujourd’hui, puisque
les premiers modèles sont apparus à la fin du XIXe siècle et notons que dès
1915, près d’un tiers des voitures étaient équipées de moteurs électriques aux
États-Unis (Guignard, 2010). Près d’un siècle plus tard, plusieurs éléments
viennent illustrer encore un certain nombre de freins dans une diffusion
plus large de ce type de véhicules permettant de dépasser le simple secteur
de niche.
La batterie et son rechargement sont au centre de toutes les préoccu-
pations. Du côté de la demande, le coût des batteries et leur durée de vie
constituent encore l’un des principaux facteurs expliquant la crainte d’ac-
quérir une voiture électrique (Grahame-Rowe et al., 2012). L’autonomie de
la batterie du véhicule reste encore problématique, même si d’importantes
améliorations quant aux performances des batteries pourraient voir le jour
dans les prochaines années. En effet, selon le cabinet Frost & Sullivan (2013),
le marché global des batteries lithium-ion est estimé à 11,7 milliards de dol-
lars à la fin 2012 et devrait doubler d’ici la fin 2016. Des investissements
considérables doivent aussi être réalisés pour un maillage en infrastructures
de recharge suffisamment dense. Cet enjeu de la masse critique constitue
en quelque sorte le paradoxe de « la poule et de l’œuf ». Il s’agit d’une part
d’attirer suffisamment de clients par des investissements permettant un ré-
seau de stations structuré et d’autre part obtenir une masse d’utilisateurs suf-
fisante pouvant assurer le financement de tels investissements (Christensen
et al., 2012).

n° 46 – innovations 2015/1 73
Benoît Mougenot

À son intégration dans les modèles économiques


de l’électro-mobilité
La question des acteurs qui doivent assurer le financement de tels inves-
tissements est alors clairement posée. Les mécanismes de coordination ne
laissent pas apparaître la présence d’un marché classique. Ainsi, les entre-
prises cherchent du côté des pouvoirs publics et notamment des collectivités
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pour construire un réseau de bornes de recharge dense et performant. Du
côté des usagers, elles cherchent à expérimenter de nouveaux modèles d’af-
faires basés sur un usage partagé du véhicule, facilitant leur financement. Ces
derniers se basent sur l’économie de la fonctionnalité (Gaglio et al., 2011),
c’est-à-dire le passage d’une économie basée sur la propriété à la mise en
place d’un service qui repose sur un usage partagé du bien. Ainsi, depuis les
premiers écrits de Giarini et Stahel (1989), en passant par Hockerts (1999),
Mont (2002) ou encore Tukker et Tischner (2006), les travaux sur ce sujet se
sont fortement développés. Notamment à travers le développement des ter-
minologies de type services éco-efficients (eco-efficient services) (Meijkamp,
1998) ou encore Systèmes de Produits et Services (Product-Service Systems),
qui sont généralement déclinées selon 3 catégories (Williams, 2007).
–– Orienté produit : Il s’agit de fournir un service complémentaire au pro-
duit vendu (réparation, maintenance apportée généralement au véhi-
cule). Les véhicules électriques vendus en concession sont à intégrer dans
ce schéma. Le fonctionnement du véhicule et sa batterie seront garantis
par le constructeur pour une certaine durée. L’origine de l’électricité qui
va alimenter le véhicule n’est pas de la responsabilité du constructeur.
Cet élément peut conduire alors à un biais de la voiture électrique en
termes d’efficacité énergétique si son origine est issue de centrales à char-
bon ou nucléaire.
–– Orienté usage  : L’usage du produit est vendu, à la place du produit.
Les flottes de véhicules en autopartage mises à disposition dans le cadre
de partenariat entre des collectivités et des entreprises gestionnaires de
mobilité font partie de cette catégorie, à l’image de Car2go entre Daimler
et Montréal, Autolib’ entre IER Bolloré et la ville de Paris. La responsabi-
lité autour du véhicule ne découle plus seulement de la relation client-
entreprise, mais s’étend désormais à la collectivité qui est responsable
également en terme de services de transports en commun.
–– Orienté résultat  : Le producteur cherche à garantir la satisfaction du
besoin de mobilité, sans tenir compte des produits matériels. Les systèmes
de mobilité permettant d’optimiser les parcours d’un point A au point B,
sont à placer dans cette catégorie. La voiture électrique devient alors in-
sérée dans un schéma complexe intégrant d’autres véhicules (transports

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Automobile et nouveaux modèles économiques…

en commun, vélos, covoiturage,…) qui pourront facilement être mis à


la disposition de l’usager, à travers un dispositif de badge unique qui re-
pose sur un paiement au kilomètre, par exemple. Le fonctionnement de
cette dernière catégorie repose avant tout sur une information partagée
en temps réel par les différents opérateurs de mobilité intervenant sur le
trajet sollicité.
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Cette dernière dimension est encore observée à l’état expérimental, mais
semble fournir dans le même temps le plus grand potentiel en termes d’effi-
cacité énergétique. La voiture électrique devient la meilleure option pour
l’usager, si plusieurs critères sont réunis, dont l’état du trafic, la distance ou le
niveau suffisant de rechargement du véhicule. L’approche systémique offerte
par cette solution implique l’intégration d’une multitude d’acteurs : usagers,
entreprises gestionnaires de mobilité, de réseaux électriques, des télécom-
munications et pouvoirs publics. Tous ces acteurs réunis ont des intérêts
souvent divergents, mais sont contraints de devoir mettre en commun une
partie de leurs informations et de leurs compétences.
La mise en place de ces nouveaux modèles économiques de l’électro-
mobilité influe sur le potentiel en matière de performance environnemen-
tale globale du véhicule électrique face au véhicule thermique traditionnel
(essence ou diesel), comme en témoigne une étude récente de l’ADEME
consacrée à ce sujet (Warburg et al., 2013). Elle montre que l’une des prin-
cipales faiblesses de la voiture électrique en matière de bilan énergétique ré-
side dans le manque d’économies d’échelles liées à la construction de ce type
de véhicules, et notamment de la batterie (les infrastructures de recharge
n’ont pas été prises en compte dans cette étude). Pour compenser ce désé-
quilibre, la voiture électrique doit donc reposer sur un système d’exploitation
qui vise à intensifier son usage. En effet, c’est au-delà de 100 000 kilomètres
parcourus, que ce type de véhicule montre davantage de performance sur le
plan environnemental, notamment par la consommation d’énergie primaire
totale2.
Il est important de ne pas oublier que l’accès à une diversité des usages de
la voiture électrique passe également par un appui renforcé des technologies
de l’information et de la communication, présentes à l’intérieur du véhicule
mais aussi en dehors. L’ensemble des données mobilisées vise à assurer plus
de sécurité du véhicule mais aussi une meilleure autonomie. Le véhicule

2. Selon la définition retenue par l’INSEE (2014), la consommation d’énergie primaire est égale
à l’ensemble des consommations d’énergie de l’économie sous forme primaire (c’est-à-dire non
transformée après extraction). La production d’électricité nécessite plusieurs étapes de transfor-
mation, de stockage et de transport de l’énergie. Au total, la consommation d’énergie primaire
est donc supérieure à la quantité d’énergie finale disponible.

n° 46 – innovations 2015/1 75
Benoît Mougenot

connecté devient également l’un des enjeux majeurs inhérents aux nou-
veaux modèles économiques de la mobilité électrique.

FACE À LA DIVERSITÉ DES USAGES


DE LA VOITURE ÉLECTRIQUE, UNE PERSPECTIVE
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INSTITUTIONNALISTE COMME CADRE D’ANALYSE

Une analyse par la nature du bien


Le passage du produit à des solutions qui allient produits et services orien-
tés vers un résultat, à savoir le déplacement de personnes ou de biens, néces-
site de profondes transformations. Ces dernières interrogent directement sur
la place de l’artefact nécessaire au déplacement, le véhicule et ses équipe-
ments comme la batterie. Cette transformation implique un petit rappel sur
les différents schémas possibles permettant de caractériser un bien pour les
sciences économiques (Tableau 1).

Tableau 1  –  Typologie des différents biens

Rivalité (accès)
Forte Faible
Forte Bien marchand Bien club
Exclusion (prix)
Faible Bien commun Bien collectif

Source : Orsi 2013, d’après Ostrom, 2005

Le modèle économique centré sur la stricte propriété du véhicule dé-


fini par des critères de rivalité dans l’accès et d’exclusion par le prix, soit
la définition d’un bien marchand, se trouve désormais confronté à la li-
sière d’autres modèles, notamment celui d’un bien club (Buchanan, 1965 ;
Cornes, Sandler, 1986). Le partage du véhicule opère le passage d’un bien
rival à un bien non-rival, en rappelant toutefois que le bien ne peut être
consommé simultanément mais successivement, à l’exception d’une pra-
tique en covoiturage. En revanche, le critère d’exclusion reste à l’ordre du
jour en raison du paiement d’un tarif qui peut être fixe ou à l’usage. En dépit
de l’usage partagé du bien, il faut toutefois nuancer nos propos et rappeler
que la propriété du véhicule reste celle de l’entreprise et non d’un club gou-
verné par des membres aux préférences homogènes et qui repose sur un prin-
cipe de coopération. En ce sens, l’entreprise a d’ailleurs tout intérêt à ce que
l’accès au bien devienne le plus important possible, sur une période la plus
longue possible.

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Automobile et nouveaux modèles économiques…

La gestion du véhicule peut se faire par une entreprise (de type Car2go,
Better Place), par un particulier au sein d’une communauté dans le cadre
d’une résidence par exemple (Icade, société immobilière filiale de la Caisse
des dépôts), ou directement via une entreprise (Buzzcar), mais aussi à travers
un partenariat public-privé entre une entreprise et une collectivité. Cette
dernière combinaison ne transforme pas pour autant le véhicule en bien col-
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lectif, car l’inscription payante au service reste de mise (critère d’exclusion).
Cette typologie ainsi posée n’implique pas de distinctions entre secteur
public et privé, l’ensemble de ces biens pouvant être à la fois opérés par l’un
ou l’autre des secteurs. Il est ainsi utile de rappeler qu’un bien collectif ne
constitue pas nécessairement un bien public (Beitone, 2010). À ces éléments
concernant le véhicule, s’ajoute la prise en compte de l’infrastructure autour
du véhicule partagé comme la place de parking, la borne de recharge ou la
batterie pour les voitures électriques, ce qui implique l’intégration d’acteurs
supplémentaires (Kley et al., 2011).

En vue de permettre la prise en compte


d’une diversité institutionnelle
Cet ensemble permettant la mise en place d’un service de mobilité inno-
vant constitue au total un maillage institutionnel complexe, qui nous amène
à revisiter la théorie économique sur ce sujet, autour de la propriété mais
aussi de la prise en compte des externalités comme fondements principaux.
L’institutionnalisme mobilisé jusqu’alors dans la littérature sur l’économie
de fonctionnalité n’a été que relatif au courant néo-institutionnaliste issu
d’une tradition northienne (Mont, 2004). Il est sans doute plus intéressant
de partir de l’article fondateur de Coase (1960) sur les coûts de transaction
et la nécessaire répartition de droits de propriété permettant d’aboutir à une
allocation optimale des ressources et sa négociation dans le cadre d’un mar-
ché. Cette théorie a largement dominé le débat des sciences économiques
en se focalisant sur un régime défini par un contrôle des droits de propriété
unilatéral comme modèle efficient.
À la suite des travaux de Coase, d’autres auteurs se sont positionnés sur
cette question fondamentale de la gestion d’un bien collectif en particulier
Hardin (1968) sur la tragédie des Communs, mais aussi Ostrom qui retient
ici plus particulièrement notre attention en proposant une approche insti-
tutionnelle renouvelée. En effet, l’institutionnalisme élaboré dans les tra-
vaux d’Ostrom est suffisamment large pour nous aider dans ce débat sur le
passage d’un système basé sur la propriété, à un système basé sur l’économie
de partage. Certes elle a mené ses travaux dans le cadre bien délimité des

n° 46 – innovations 2015/1 77
Benoît Mougenot

biens communs environnementaux (ou commons pool ressources). Toutefois,


ses derniers travaux, élargissent la notion de commun à l’ensemble des res-
sources partagées par un groupe d’individus (Hess, Ostrom, 2007), ce qui
inclut par conséquent à la fois les ressources matérielles et les connaissances
comme Internet ou les logiciels libres. Cette définition ainsi posée, brouille
cependant considérablement les cartes par rapport à la typologie que nous
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avons pu mobiliser précédemment, puisqu’une connaissance ou une infor-
mation constitue davantage un bien collectif qu’un bien commun, dans
le sens où son accès ne peut diminuer l’accès d’un autre utilisateur (non-
rivalité). Cela permet en tout cas de ne pas considérer seulement les biens
marchands et ceux alloués par l’Etat, mais de prendre en compte la diversité
institutionnelle autour des biens qui repose sur une « rich mixture of public
and private instrumentalities » (Ostrom, 1990 p. 182). Les comportements des
agents et les mécanismes de coordination qui en découlent sont donc au
cœur de ces problématiques développées. Si la remise en cause des droits
de propriété issue d’une approche uniquement propre au marché peut nous
éloigner d’une vision coasienne, en revanche plusieurs éléments nous per-
mettent de mettre en avant un cadre partagé sur les apports d’une théorie
économique de la propriété (Weinstein, 2013).
Ainsi, la définition de la propriété retenue par Ostrom pour évoquer les
biens communs s’inscrit plus généralement dans les fondements du cou-
rant institutionnaliste, dans la lignée de l’institutionnalisme historique de
Commons (Orsi, 2013). Il s’agit non pas d’un droit unilatéral mais avant
tout d’un faisceau de droits ou bundle of rights, plus précisément un droit qui
ne s’entend pas simplement dans la relation entre un individu et une chose,
mais avant tout dans un rapport entre plusieurs individus concernant une
chose, et, entre une communauté et plusieurs individus (Ostrom, Hess, 2007,
p. 11). Cette définition est par conséquent beaucoup plus large et davantage
adaptée à des systèmes de droits complexes où sont négociés l’usage et l’accès
de biens matériels, ou plus largement l’absence ou non de droits d’exclusion
et d’aliénation (Schlager, Ostrom, 1992 ; Weinstein, 2013). Tout l’intérêt
d’une mobilisation des travaux de Ostrom repose notamment sur la capacité
à faire face aux problèmes de coordination, à travers l’importance accordée à
la négociation entre les personnes issues d’une communauté à l’échelle bien
définie pour la gestion d’un commun (Ostrom, 2010).
Cette approche élargie des droits de propriété permet également d’iden-
tifier plusieurs types de détenteurs de droits qui peuvent être individuels et
collectifs, illustrés dans le tableau 2.

78 innovations 2015/1 – n° 46
Automobile et nouveaux modèles économiques…

Tableau 2  –  Détenteurs et types de droits

Propriétaire Propriétaire sans Détenteur de droit Utilisateur


(Owner) droit d’aliénation d’usage et de gestion autorisé
(Proprietor) (Claimant) (Authorized User)
Accès et prélè­
vement (Acces X X X X
and withdrawal)
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Gestion
X X X  
(management)
Exclusion X X  
Aliénation X  

Source : Orsi, 2013 d’après Schlager, Ostrom, 1992, p. 252

L’intérêt de cette typologie est qu’elle permet d’identifier des droits dif-
férents en fonction des types de biens, mais aussi en fonction des acteurs.
Il est intéressant de voir également une continuité dans notre approche,
puisqu’une même personne peut occuper des positions différentes face aux
différents artefacts nécessaires à la mobilité électrique. C’est ce que nous
allons à présent aborder à travers les cas de Better Place et Tesla Motors.

INNOVATIONS DANS LA MOBILITÉ ÉLECTRIQUE


ET PERSPECTIVE INSTITUTIONNELLE, REGARD
CROISÉ ENTRE BETTER PLACE ET TESLA MOTORS
Dans ce nouveau paradigme de l’énergie électrique dans la mobilité
(Steinberger et al., 2009) que nous avons décrit plus haut, des entreprises
ont tenté de développer une solution d’innovation que l’on peut qualifier de
radicale (Boons, Lüdeke-Freund, 2013) et qui passe par le découplage entre la
possession du véhicule qui reste à l’automobiliste et la batterie qui reste pro-
priété de l’entreprise. Ce modèle dit de battery swapping doit permettre d’assu-
rer un rechargement suffisamment rapide avec un paiement au kilomètre.
Les exemples que nous proposons sont à replacer dans une perspective
exploratoire, construits à travers une comparaison entre le modèle Better
Place et celui proposé par Tesla Motors. Le choix de ces deux entreprises
peut paraître surprenant car nous avons d’un côté un constructeur d’auto-
mobiles électriques positionné jusqu’alors sur un segment haut de gamme,
et de l’autre, un gestionnaire d’infrastructures spécialisé dans la mobilité
électrique. Pourtant, ces deux entreprises nées au cœur de la Silicon Valley
(Palo Alto, Californie) sont devenues en quelques années seulement des
acteurs majeurs de la mobilité électrique, faisant face à des concurrents déjà
établis, sur un marché fortement concurrentiel. Elles ont donc pu bénéficier

n° 46 – innovations 2015/1 79
Benoît Mougenot

rapidement d’investissements considérables, mais aussi d’un niveau de com-


pétences technologiques élevé, leur permettant un développement rapide.
Cela étant ces deux entreprises ont misé sur des business models différents,
qui réinterrogent le statut de bien économique attaché à des systèmes com-
plexes comme les systèmes de produits services.
Les atouts et les difficultés rencontrés par ces deux différents modèles
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sont ainsi interrogés. Les données recueillies, permettant la construction de
l’étude de cas, sont issues de revues académiques et non-académiques, mais
aussi de sites d’informations spécialisés.

Better Place, une proposition d’innovation radicale


par le changement de batterie
Better Place est née dans la Silicon Valley en 2007, pour ensuite se déve-
lopper surtout en Israël (Christensen et al., 2012 ; Wolfson et al., 2012).
Son modèle économique est à l’origine de grands espoirs sur la possibilité de
transformer profondément le rapport à l’automobile. En effet, son position-
nement n’est pas celui d’un constructeur mais d’un gestionnaire d’infrastruc-
tures. L’entreprise est à ce titre un acteur totalement nouveau dans l’histoire
du véhicule électrique, ayant pour la première fois proposé la possibilité du
changement de batterie, à la place de son rechargement.
Son modèle économique est défini sur le principe suivant. Better Place
possède et coordonne l’infrastructure de recharge des véhicules électriques,
ce qui inclut la propriété de la batterie, l’installation des bornes de charge-
ment et le rechargement des véhicules. Le consommateur achète un véhi-
cule et signe un contrat avec l’opérateur de mobilité auquel il loue la batterie
et souscrit à une limite annuelle de kilométrage. Il est à noter que le paie-
ment se fait au kilomètre et non à la quantité d’électricité consommée pour
un choix de distance réalisée par le client (de 10 000, 15 000 ou 20 000 km
par an). Le chargement peut se faire ainsi selon deux options, soit par le
changement de batterie, dans une station spécialisée, qui ne va pas excéder
une heure, c’est le modèle Quick Drop. Chaque station dispose ainsi d’une
douzaine de batteries pour assurer un service complet. L’autre possibilité de
rechargement peut se faire auprès d’une borne de recharge. Un chargement
complet de la batterie va nécessiter une immobilisation du véhicule pendant
6 à 8 heures. Toutefois pour accomplir la distance moyenne de 40 kilomètres,
une à deux heures d’immobilisation seront nécessaires. Les voitures équipées
de cette technologie ont été fabriquées par Renault (modèle Fluence).
Dans ce modèle économique, la création de valeur (Osterwalder, Pigneur,
2010) pour Better Place découle de la location de batterie, de la coordination

80 innovations 2015/1 – n° 46
Automobile et nouveaux modèles économiques…

et du rechargement autour de celle-ci et des infrastructures liées. Les bornes


de recharge sont installées dans des lieux publics, mais aussi privés (à la
demande des utilisateurs), en contrepartie du paiement d’une partie de la
borne. Plus de 1800 d’entre elles étaient déployées dans le monde entier en
mai 2013. En revanche, les stations permettant la permutation de batterie
étaient limitées à 38 (Kriegel, 2013), avec un investissement avoisinant les
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2 millions d’euros chacune. Le modèle Better Place était donc dès le départ
dans une situation particulièrement intensive en capital.
Après avoir investi plus d’un milliard d’euros en infrastructure (bornes
de recharge et stations de changement de batterie), la société n’a pu obtenir
une masse critique d’utilisateurs et se trouve depuis mai 2013 en liquidation.
Cet enjeu de la masse critique illustre bien ici le paradoxe de « la poule et
de l’œuf ». D’une part attirer suffisamment de clients par des investissements
permettant un réseau de stations structuré et d’autre part obtenir une masse
d’utilisateurs permettant d’assurer le financement de tels investissements.
Les actifs ont été revendus depuis, pour 12 millions d’euros. Notons
enfin que si l’expérience a connu un déploiement principalement en Israël,
d’autres projets ont été développés au Danemark, en Australie ou encore à
Hawaï.

Tesla, les atouts d’une intégration solide pour construire


l’innovation autour du véhicule électrique
Tesla Motors est aussi un nouvel entrant dans le secteur de la mobilité.
Cependant, il se trouve à un autre niveau puisqu’il s’agit ici d’un constructeur.
Lancés depuis 2007, l’usine de production ainsi que les laboratoires de re-
cherche sont implantés à Fermont au cœur de la Silicon Valley (Vance, 2013).
Le positionnement de la marque concerne pour l’instant le haut de
gamme, avec d’importants efforts de recherche et développement concen-
trés sur l’autonomie, le Modèle S pouvant atteindre jusqu’à 500 kilomètres
d’autonomie avec des batteries lithium-ion, d’une puissance de 85 kw par
heure. Toutefois à moyen terme, la stratégie de l’entreprise s’oriente dans une
logique d’élargissement de gamme (d’ici 2017 le Modèle E sera commercia-
lisé entre 25 000 et 30 000 € contre 70 000 actuellement pour le Modèle S).
Les éléments high-tech qui composent le véhicule sont fabriqués en petites
unités directement par Tesla, ce qui favorise l’innovation en interne avec
en même temps la possibilité de bénéficier de l’ensemble des avantages en
matière de diffusion de l’innovation, lié à une localisation au cœur de la
Silicon Valley. 80 % du véhicule est donc fabriqué directement sur place en
Californie. Pour produire davantage de batteries lithium-ion et favoriser des

n° 46 – innovations 2015/1 81
Benoît Mougenot

économies d’échelle, le groupe mise sur la construction d’une immense usine


en plein désert, la « gigafactory » pour un investissement estimé entre 4 et
5 milliards d’euros, dont une grande partie issue d’investisseurs extérieurs
(Marin, 2014).
Le véhicule automobile reste encore particulièrement onéreux, mais
repose sur un système de rechargement gratuit à l’accès. On peut s’inter-
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roger à terme sur une logique éventuelle de freemium, qui se traduit par la
proposition d’un modèle gratuit au départ, puis progressivement payant sur
tout ou partie du modèle, une fois la clientèle captive. Le rechargement des
véhicules s’opère de manière particulièrement rapide, puisqu’un recharge-
ment d’une heure permet d’accomplir 500 km, 150 km pour vingt minutes
d’immobilisation. Le territoire américain sera équipé d’une centaine de
bornes d’ici 2015 (Vance, 2013). Cette technologie dite de super recharge
sera couplée à un système optionnel d’échange de batteries appelé Battery
Swap, assez similaire au système Quick Drop de Better Place. La rentabilité du
modèle de Tesla repose avant tout sur la vente de véhicules électriques, qui
laisse au constructeur une marge confortable et assure jusqu’à présent une
certaine confiance aux investisseurs. La capitalisation boursière de l’entre-
prise équivaut à 15 fois le chiffre d’affaires réalisé en 2013 (Marin, 2014).

Deux niveaux d’analyse entre nature du bien


et arrangements institutionnels
La question de savoir pourquoi Tesla Motors semble davantage réussir là
où le système Better Place a échoué, sur un marché soumis à d’importantes
barrières à l’entrée est certes intéressante. Mais il s’agit davantage pour nous
de comprendre en quoi ces modèles remettent en cause le rapport tradition-
nel au véhicule et à ses différents équipements.
La figure 1 permet de résumer dans une certaine mesure, la complexité
dans laquelle se trouve confrontée le développement de modèle économique
lié au véhicule électrique dans le cas de Better Place et Tesla Motors.
Les travaux menés par Ostrom mettent en avant la distinction de deux
niveaux d’analyse, un premier niveau lié à la nature du bien et un autre lié
aux arrangements institutionnels (Coriat, 2013).
Au sujet du premier niveau, la voiture électrique seule reste considérée
en tant que bien marchand classique. On peut également parler de système
produit/service orienté produit, car il n’existe pas de remise en cause des
droits de propriété par l’utilisateur, qui reste propriétaire (au sens owner). En
revanche, la batterie est à considérer en tant que bien club orienté usage,
mais néanmoins un bien club particulier, comme nous avons pu le voir plus

82 innovations 2015/1 – n° 46
Automobile et nouveaux modèles économiques…

Figure 1  –  Le modèle de changement de batterie, entre nature du bien


et arrangements institutionnels
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haut. En effet, l’innovation opérée par le changement de batterie, en station


à la place de son simple rechargement sur une borne, met avant tout l’accent
sur l’usage de celle-ci et non sa possession. Le propriétaire de la voiture ne
dispose pas d’un droit de propriété entier sur cette dernière, il devient dans
ce cas proprietor.
L’énergie délivrée par l’infrastructure de recharge (station de changement
ou borne de recharge) est également à considérer en tant que bien club, son
accès ne semble pas subir de rivalité forte, mais implique toutefois un critère
d’exclusion important, car directement dépendant de l’achat d’un véhicule
automobile, d’où son orientation produit. L’usager du véhicule n’est pas pro-
priétaire de l’énergie, mais a néanmoins des droits et une responsabilité en
matière d’usage et de gestion de l’énergie (claimant).
Enfin, concernant l’information sur le véhicule, celle relative à l’état de
charge de la batterie, ou encore sa proximité d’un lieu de recharge, cette
dernière semble nous orienter vers une définition en terme de bien collectif,
potentiellement utilisable par n’importe quel acteur souhaitant proposer de
nouveaux services issus de l’information. Or, ce point peut-être discuté car
ces données restent la plupart du temps, propriété du constructeur et ne sont
utilisées qu’à finalité exclusive du véhicule (orienté produit). Le propriétaire

n° 46 – innovations 2015/1 83
Benoît Mougenot

du véhicule a finalement peu de marge de manœuvre sur le contrôle de ces


données, il n’est qu’un simple utilisateur autorisé (authorized user).

La Silicon Valley, face à l’innovation comme bien commun


Les arrangements institutionnels qui découlent de la nature des biens, à
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l’œuvre dans les exemples de Better Place et Tesla Motors, s’étendent au ni-
veau du caractère même de l’innovation. En effet, il est opportun ici d’adop-
ter une approche élargie du bien commun. Ainsi, l’ensemble des facteurs
favorables à l’innovation particulièrement présents dans la Silicon Valley,
dont ont bénéficié en grande partie à la fois Better Place et Tesla Motors, en
vue de faciliter leur intégration sur le marché de l’électro-mobilité contribue
à cette approche (Figure 1).
Parmi ces facteurs, nous retiendrons l’ensemble des éléments liés à la
connaissance et sa diffusion à travers la forte présence en Californie de
centres de recherches majeurs travaillant sur les questions de la mobilité et de
l’énergie comme le Precourt Energy Efficient Center à Stanford, ou encore le
Smart Grid Energy Research Center à l’Université de Californie à Los Angeles
(UCLA) (Bainée, Le Goff, 2012). Davantage réputé pour avoir fait émer-
ger des leaders des technologies de l’information et de la communication
que des constructeurs automobiles, ce territoire détient peut-être la clé pour
ces nouveaux acteurs du marché automobile, qui se perçoivent avant tout
comme des sociétés de technologie de pointe qui s’intéressent à l’automobile
(avec des équipes de recherche essentiellement composées de développeurs
de logiciels), plutôt que des constructeurs automobiles conventionnels. La
Californie deviendrait ainsi un véritable creuset pour l’émergence du véhi-
cule électrique en tant que « bien système » (Bainée, Le Goff, 2012). Parti du
même point départ, Tesla Motors semble avoir pris un avantage sérieux dans
ce domaine aujourd’hui. Les fonds mobilisés par les deux acteurs sont aussi
conséquents et découlent de la mise en relation d’acteurs qui passent par des
réseaux à la fois de type formels et informels. Better Place a ainsi pu bénéfi-
cier d’un soutien financier conséquent pour le développement de ses activi-
tés, par l’intermédiaire d’institutions financières de taille mondiale (HSBC,
Morgan Stanley Investment Management et Lazard Asset Management), avec
surtout la volonté marquée de s’affranchir de la puissance publique pour per-
mettre le déploiement de ses infrastructures. Cependant, l’entreprise après
avoir fait le choix de s’implanter sur plusieurs territoires, a du se recentrer
uniquement sur le Danemark et Israël, où elle rencontrait un minimum de
succès. Toutes ces implantations ont nécessité à chaque fois la construction
de partenariats spécifiques. En parallèle, le projet de « gigafactory » réalisé par
Tesla Motors est aussi un pari hautement risqué en matière d’investissement.

84 innovations 2015/1 – n° 46
Automobile et nouveaux modèles économiques…

Par conséquent, si seuls certains territoires vont permettre l’émergence d’un


développement du véhicule électrique, un nombre encore plus limité de ter-
ritoires permettra le développement d’une véritable industrie du véhicule
électrique (Bainée, Le Goff, 2012). L’essor potentiel des réseaux intelligents
(smart grids) va renforcer cette intégration dans une dimension systémique,
aux côtés des infrastructures en matière d’énergie et de télécommunications.
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Enfin, la présence d’un cadre réglementaire favorable et incitatif, comme
c’est le cas en Californie au sujet de la mobilité électrique, participe égale-
ment à transformer les frontières de l’innovation, vers une perspective en
terme de bien commun. C’est dans ce cadre que pourront se diffuser plus
rapidement des innovations dépassant le domaine strict de la mobilité pour
s’étendre à d’autres périmètres comme l’énergie ou les systèmes d’infor­
mation.
Au total, si les modèles économiques présentés par Better Place et Tesla
Motors remettent bien en question le rôle et le coût de la batterie, qui est
sans doute l’un des éléments primordiaux dans le choix de la mobilité élec-
trique, ils font l’impasse sur le rapport au véhicule qui reste propriété de
l’utilisateur. L’un des éléments explicatifs peut être trouvé dans le coût des
modèles proposés pour l’instant. Ainsi, il existe d’un côté une rupture en
voulant intégrer la mobilité dans une logique systémique au côté de l’appro-
visionnement en énergie et de l’autre, une continuité toujours forte dans le
rapport au véhicule, qui reste encore essentiellement centrée sur une dimen-
sion de propriété privée.

CONCLUSION
Cet article a permis de montrer l’intérêt de mobiliser une approche insti-
tutionnaliste pour mieux identifier les éléments de croissance et de blocage
au développement de tels modèles. La complexité institutionnelle qui dé-
coule de l’émergence des nouveaux services de mobilité est particulièrement
difficile à saisir, un détour par la littérature économique sur le sujet a pu se
révéler profitable. Si Elinor Ostrom n’a jamais étudié les problématiques de
l’entreprise moderne, elle les a toujours vues comme un prolongement pos-
sible de son approche sur les biens communs (Labrousse, Chanteau, 2013).
Nous avons pu constater que la taille de l’expérimentation menée dans
les projets de mobilité est actuellement trop faible pour avoir un réel impact
en termes de masse critique, permettant d’assurer la pérennité des modèles
de voitures électriques. Better Place en a subi directement les conséquences.
En revanche, la stratégie utilisée par Tesla est sans doute plus adéquate
dans la durée, se basant davantage sur les atouts d’une innovation comme

n° 46 – innovations 2015/1 85
Benoît Mougenot

tentative de bien commun dans la Silicon Valley. Finalement ces deux


exemples montrent la grande difficulté de faire évoluer la chaine de valeur
et permettre ainsi l’émergence à la fois de nouveaux acteurs et de nouvelles
fonctions.
Ainsi, une approche institutionnelle sur la question du véhicule élec-
trique et ses infrastructures aura permis de mieux comprendre les rouages
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en place en matière d’innovation, depuis la prise en compte des modèles de
partage, jusqu’à la structure de l’innovation autour de ces nouveaux modèles.
Toutefois, de futures recherches ne devront pas manquer de complexi-
fier davantage le modèle à l’aune du véhicule communicant et automatique,
dont les groupes Tesla Motors et Google envisagent prochainement le lance-
ment et la commercialisation, mais qui posent déjà un certain nombre de
défis, relatifs au caractère spécifique de l’information et de sa propriété.

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