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Diderot et l'économie
Guy Caire
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PENSEE ECONOMIQUE
Diderot et l’économie
Guy CAIRE1
Université de Paris X Nanterre
Résumé / Abstract
Philosophe, Diderot n’est pas un économiste, mais de nombreuses
notations, éparses dans son œuvre, permettent cependant de le situer à
l’égard des grands courants de son époque. Le Prospectus ou le Discours
préliminaire de l’Encyclopédie situent l’économie dans l’arbre des connais-
sances. Branche de la philosophie et relevant de la morale, l’économie
concerne, quant à son champ, le gouvernement des personnes comme
1 guy.caire@libertysurf.fr
235
Diderot n’est pas un économiste et c’est à Rousseau que,
dans l’Encyclopédie, il confie le soin de rédiger l’article concer-
nant l’économie. Est-ce à dire qu’il n’éprouve pas d’intérêt
pour ce domaine ? Les collaborateurs qu’il recrute pour l’En-
cyclopédie montrent bien qu’il savait repérer les meilleures têtes
de son temps : y figurent en effet comme auteurs, entre autres,
Forbonnais, Montesquieu, Quesnay, Turgot, Condorcet. Par
ailleurs, s’il est vrai qu’il marque davantage d’intérêt pour la
philosophie1 puisqu’il connaît les œuvres et s’y réfère souvent
de Bacon, Descartes, Newton, Locke, Berkeley, Pascal, con-
sacre une longue étude à Sénèque dans son ouvrage Essai sur les
régimes de Claude et de Néron, et compose pour l’Encyclopédie2 les
articles épicurisme, platonisme, pythagorisme, hobbisme,
leibnitzianisme, philosophie de Locke, malebranchisme3, il
rédige cependant lui-même l’article arithmétique politique et,
on le verra de nombreuses notations éparses dans son œuvre
permettent de le situer à l’égard des grands courants de son
temps, disons aussi bien Smith que les physiocrates. Pour ces
différentes raisons, à défaut d’utiliser le qualificatif (Diderot
économiste) employons le substantif (Diderot et l’économie)
236
et le matérialisme biologique dont il se réclame philosophi-
quement ou encore entre cette image et l’attachement au
terroir de son enfance, Langres, et, malgré ses démêlées avec
son père ou son frère, à sa famille. Dans le Prospectus le recours
à cette image fait de l’économie un faible rameau de l’arbre des
connaissances, dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie la
nouvelle utilisation qui en est fait permet de mettre en évidence
le terreau des idées nouvelles qui lui apportent la sève dont elle
a besoin dans les affrontements d’un climat tourmenté qu’elle
doit affronter pour s’épanouir.
Projet : le Prospectus
« Un des évènements les plus importants de l’histoire tant
politique qu’intellectuelle du XVIIIe siècle » : c’est par cette
référence au Prospectus que s’ouvre l’importante biographie de
Diderot rédigée par A. Wilson et à laquelle il a consacré 36
années de sa vie. Ce qui pourrait ne sembler à première vue
qu’un document commercial publicitaire destiné à attirer l’at-
tention du public sur la prochaine édition de l’Encyclopédie, est
237
ces de l’homme (reposant soit sur l’entendement pour consti-
tuer la logique, soit sur la volonté pour constituer la morale qui
se décompose à son tour en jurisprudence naturelle, écono-
mique et politique1), sciences de la nature (physique, mathéma-
tique).
Le prospectus ne vise pas seulement à situer les branches
des différentes disciplines dans l’arbre des connaissances hu-
maines. Deux idées complémentaires nous semblent devoir
être mises en lumière. Pour Diderot il y a une interdépendance
des sciences ; ne s’insurge-t-il pas en effet contre le fait que
« partout la liaison essentielle des sciences est ou ignorée ou
négligée2 ». Par ailleurs la compréhension du monde dans
lequel nous vivons requiert une véritable interdisciplinarité que
Diderot a su pratiquer ; en effet, ainsi que l’écrit L. Versini,
« pour embrasser entière la dernière gerbe du philosophe, il
faut rassembler la psychophysiologie des Eléments, le stoïcisme
du Sénèque, l’esthétisme des Pensées détachées, la réflexion sur la
cité, le pouvoir et la société civile du Sénèque encore et de
l’Histoire des deux Indes3 »
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ront développés par d’Alembert dans l’article Dictionnaire et
par Diderot dans l’article Encyclopédie. Dans sa contribution
Diderot présente l’Encyclopédie comme un enchaînement des
connaissances. Il précise ce que doivent être les conditions de
sa réalisation : une encyclopédie ne peut être l’ouvrage d’un
seul comme le fut celle de Chambers, ni non plus d’une société
savante trop préoccupée d’un objet particulier, elle ne peut être
le fait que d’une « société de gens de lettres et d’artistes… des
hommes liés par l’intérêt général du genre humain et par un
sentiment de bienveillance réciproque1 ». Le gouvernement
doit se borner à en favoriser l’exécution car « une encyclopédie
ne s’ordonne point2 » C’est pourquoi « l’Encyclopédie ne pou-
vait être que la tentative d’un siècle philosophe : que ce siècle
était arrivé3 ». Reprenant son propos du Prospectus sur la distri-
bution des connaissances, Diderot avance à nouveau que l’En-
cyclopédie doit se construire à partir des facultés principales de
l’homme. Entrant enfin dans le détail de sa réalisation pratique,
Diderot énumère toute une série de domaines à couvrir, donne
des conseils sur la manière de rédiger les entrées (débuter par
l’acception simple et grammaticale4, tracer un tableau en
239
ture, 2) éviter les répétitions, souligne l’importance des plan-
ches et des sources bibliographiques et va jusqu’à indiquer
quels sont les matériaux à utiliser, l’attitude à adopter à l’égard
des censeurs.
L’Encyclopédie, qui a joué un rôle essentiel dans la « trans-
mutation des valeurs et le changement de perspective du
XVIIIe siècle1», est à juste titre attachée au nom de Diderot2.
Elle a été l’œuvre de sa vie, lui ayant consacré vingt années de
son existence. « L’Encyclopédie n’est pas en effet seulement un
monument intellectuel dont Diderot aurait coordonné les
travaux, dirigé les collaborateurs, elle est son œuvre matérielle,
presque manuelle. Diderot trace les plans de l’ouvrage, déter-
mine les articles, choisit les auteurs, passe les commandes, relit
les manuscrits, corrige les épreuves, discute des modifications à
apporter, écrit lui-même de nombreux textes, vérifie les infor-
mations, dirige les imprimeurs. Mais il se rend aussi fréquem-
ment sur le terrain pour connaître par le menu les manières de
faire des artistes et des artisans, les mots qu’ils emploient, les
améliorations qu’ils apportent. Il prend des foules de notes qui
lui serviront lorsqu’il donnera des directives aux dessinateurs
jours très aisée à établir comme l’ont montré les travaux dé-
cisifs sur ce point de Proust « la distinction entre le rôle de
Diderot comme auteur et son rôle d’éditeur n’est pas très fa-
cile à saisir » observe-t-il4 . Certes dans l’avertissement du tome
I on peut lire « les articles qui n’ont point de lettre à la fin ou
qui ont une étoile au commencement sont de M. Diderot. Les
premiers sont ceux qui lui appartiennent comme étant l’un des
auteurs de l’Encyclopédie, les seconds sont ceux qu’il a
suppléés comme éditeur ». Dans le Prospectus Diderot définissait
cette seconde tâche comme consistant à « remplir les vides qui
séparent deux sciences ou deux mots, renouer la chaîne ». Mais
ment contre l’Encyclopédie le 23 janvier 1759 n’hésitera pas à avancer que « tout le
venin est dans les renvois ».
1 A. Wilson, Diderot, sa vie et son œuvre, op. cité p.170.
2 « Les circonstances dans lesquelles les 35 volumes furent donnés au monde
font de Diderot l’un des vrais héros de la littérature» n’hésite pas à écrire D.
Morley Diderot and the encyclopaedists, cité par A.M. Wilson Diderot sa vie et son œuvre
op. cité 286.
3 P.Lepape, Diderot, Flammarion 1991 p.98.
4 L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Hachette 1985.
240
Diderot ne sera pas toujours fidèle à cette règle ce qui introduit
d’importantes divergences sans les listes des contributions qui
lui sont imputée dressées par Naigeon, Proust ou Lough.
Après avoir remarqué que l’étoile, si elle apparaît de
nombreuses fois dans les volumes I à VIII, devient rare dans le
volume IX et disparaît ensuite après l’article « marbreur de
papier », M. Pinault en esquisse une explication : « le rôle de
Diderot est essentiellement celui de la coordination générale,
de la relecture et des corrections La présence de l’astérisque ou
non ne veut rien dire. Diderot diversifie ses interventions, il
donne des articles portant ou non l’astérisque et ajoute des
lignes aux articles de ses collaborateurs qui lui paraissent trop
légers… Diderot n’attache peut être pas suffisamment d’im-
portance à ces articles pour les signer d’autant plus qu’il peut
s’agir de traductions de Chambers ou de reprises d’ouvrages
antérieurs1 ». Disons que si l’on s’en tient a sa seule contri-
bution rédactionnelle, on notera qu’importante dans les pre-
miers volumes (plus de 3500 entrées dans les premiers volu-
mes), la participation de Diderot se réduira par la suite (28
articles pour le neuvième volume, 63 pour les huit derniers),
241
un rôle primordial dans la compréhension des arts et métiers,
de l’anatomie et de la chirurgie, des sciences exactes, naturelles
et militaires et des beaux-arts. Les volumes de planches
s’inscrivent dans le mouvement intellectuel et dans la diffusion
de la culture au XVIIIe siècle1». Dans leur édition Diderot joue
un rôle essentiel, utilisant parfois plusieurs sources pour une
même planche2, donnant des directives aux dessinateurs3,
rectifiant articles et planches qui ne lui conviennent pas, four-
nissant des explications de planches, acquérant une vaste cultu-
re artistique et iconographique ainsi qu’une richesse de voca-
bulaire des métiers qu’envierait de nos jours un P. Perret dont
Le parler des métiers comporte 13 210 entrées.
Cette « mobilisation d’images » au service de la réhabili-
tation des arts et métiers et du travail manuel annoncée dans le
Discours préliminaire ne va pas cependant sans risques d’anachro-
nismes : « le recours à des sources antérieures est tout à fait
normal et la copie de texte comme celle de l’image est alors
pratique courante. Le problème des sources de l’Encyclopédie est
au cœur de son histoire. Ces emprunts sont à l’origine de choix
textuels et iconographiques discutables et entraînent des re-
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cercles cultivés1», ou, en même temps, « la langue française
restait attachée à un « code » français2», l’Encyclopédie va bé-
néficier d’une audience internationale. Mais si la langue fran-
çaise lui sert de support, ce sont toutefois les valeurs nouvelles
qu’elle promeut qui trouvent un accueil, variable selon les
pays3, mais très généralement favorable. De ce point de vue,
« le XVIIIe siècle est le siècle du cosmopolitisme et la France le
creuset des idées nouvelles qui se répandent à travers l’Euro-
pe4». On peut donc dire que l’Encyclopédie marque l’avènement
d’une nouvelle culture ; « l’Encyclopédie illustre une France sa-
vante et dominatrice, mais contrebalancée par l’influence
anglaise et allemande continuellement présente tout au long du
siècle. L’Encyclopédie est la superposition de plusieurs courants :
un philosophique, caractérisé par l’abandon de la rhétorique au
profit d’une philosophie vivante reposant sur l’homme, un
autre académique dominé par l’héritage de Colbert et des Aca-
démies, enfin le dernier iconographique dans la tradition des
recueils de patrons et, de machines… L’Encyclopédie marque
la fin d’une culture basée sur l’érudition telle qu’elle était
conçue au siècle précédent au profit d’une culture dynamique
243
muets1. Enfin, ouvrage d’une société de gens de lettres, l’Encyclo-
pédie consacre l’émergence de la figure de l’intellectuel dans une
société jusque-là régie par l’appartenance à l’un des trois
ordres, l’intellectuel se réclamant de sa « vocation de savoir et
d’indépendance pour juger en toute sérénité et impartialité
entre les opinions des uns et des autres et édicter une gram-
maire du bien public2». Le concept d’intellectuel appliqué aux
écrivains du XVIIIe peut sembler quelque peu forcé encore
qu’on ne manquerait pas de pouvoir aisément l’illustrer, ainsi le
rôle de Voltaire dans l’affaire Calas est fort semblable à celui de
Zola avec son célèbre « j’accuse » dans l’ affaire Dreyfus. On
ne saurait toutefois s’en tenir à des images, si fortes soient elles.
C’est le mérite de R. Darnton3 de nous montrer cette in-
vention par le XVIIIe siècle de la figure de l’intellectuel engagé,
militant4, occupé par les grandes affaires du temps (et aussi les
petites intrigues du monde des lettres), mobilisant l’écrit sous
toutes ses formes, s’efforçant de conquérir les institutions tra-
ditionnelles, cherchant à façonner l’opinion publique5. L’auteur
de Bordeaux 2002.
4 L’encyclopédiste se faisant « militant pour réformer les institutions et instruire
la société », M. Delon, Morale in V. Ferrone et D. Roche, Le monde des Lumiè-
res, op. cité p.41 ; « L’entreprise encyclopédique s’inscrit, en grande partie, dans
un espace, presque tout neuf, de l’intervention sociale, celui de l ’« opinion publi-
que » observe de son côté P. Lepape, Diderot op. cité p.201.
5 L’expression a été forgée par les hommes des Lumières et est liée à la formation
d’une sphère publique bourgeoise distincte de la Cour et à l’affirmation du capi-
talisme. Si, pour les physiocrates, l’opinion publique représente la convergence
entre la rationalité et l’accord général (E. Tortarolo, Opinion publique in V.
Ferrone et D. Roche, Le monde des lumières op. cité p.281), plus généralement
l’opinion publique est présentée « comme idée d’un tribunal de la raison » (idem
p.283). On peut distinguer trois phases dans l’élaboration de la notion : l’opinion
publique perd tout d’abord le sens de croyance incertaine ou indémontrable ;
puis elle passe d’une implication morale à une implication politique ; elle s’élargit
enfin de la sphère de l’individu à la sphère de l’universel. La constitution d’une
opinion publique sera favorisée par l’essor de la presse avec, d’un côté, la gazette
publiant des nouvelles et, de l’autre, le journal portant des jugements sur les
ouvrages savants ou littéraires (G. Feyel, Journaux, in V. Ferrone et D. Roche, Le
monde des Lumières, op. cité p.313-324), par la croissance et la diversification de la
production, imprimée, la multiplication des sociétés de lecture qui, en même
temps qu’elles élargissent la gamme des lectures possibles, qu’elles contribuent à
la constitution d’un réseau intellectuel et social, favorisent l’apprentissage d’une
sociabilité démocratique (R. Chartier, Livres, lecteurs, lectures in V. Ferrone et
D. Roche, Le monde des Lumières, op. cité p.285-294),sociabilité d’un nouveau type
244
ne manque pas, en même temps, de nous montrer les clivages
qui fissurent cette catégorie sociale : clivages de générations
(par exemple entre la génération de 1760 engagée dans la
bataille contre les « antiphilosophes » Fréron ou Palissot et
celle de 1780 où les héritiers de Voltaire et Turgot se préparent
à devenir les idéologues), de sensibilité (entre la génération des
Lumières de l’Encyclopédie et celle des années 1780 marquée par
la sensibilité rousseauiste), de carrière (entre les nantis des
Lettres et les plumitifs occupés à des travaux alimentaires), cli-
vages aussi d’engagement entre ceux, comme Voltaire ou d’A-
lembert, qu’on pourrait qualifier de « réformistes » et ceux plus
radicaux comme d’Holbach ou Diderot.
Cette irruption du personnage de l’intellectuel sur la scène
publique permet de comprendre le conflit qui va se produire
avec les jésuites et qui s’amorce par le compte rendu du
Prospectus de Diderot que fait le père Berthier dans les Mémoires
de Trévoux en janvier 17511 et la polémique avec Diderot qui va
s’en suivre, polémique qui s’amplifiera en 1752 avec l’affaire de
l’abbé de Prades, laquelle aura des conséquences à l ’intérieur
de l’équipe de l ’Encyclopédie puisque la collaboration de d’Alem-
qu’on rencontre aussi dans les cafés, les salons, la franc maçonnerie ou les
académies provinciales dont le nombre s’accroît considérablement au XVIIIeme
siècle (13 avant 1713, 31 en 1789) car en effet les séances académiques « défi-
nissent une sphère d’égalité, régie par le talent, le mérite » D. Roche La France des
Lumières op. cité p.368.
1 Indépendamment des accusations de plagiat portées par Berthier contre
Diderot ou du ressentiment éprouvé par la mise en évidence par l’Encyclopédie des
carences du dictionnaire des jésuites, « la société de Jésus ne peut admettre l’En-
cyclopédie pour plusieurs raisons : elle n’est pas de son fait, elle critique plus ou
moins ouvertement les fondements de l’éducation jésuite, refuse la suprématie du
catholicisme et prône la liberté d’expression. Les jésuites veulent abattre le pou-
voir de cette République des Lettres qui prend trop d’importance et qui s’oppose
ouvertement au pouvoir religieux » M. Pinault, L’Encyclopédie op. cité p.19.
2 D. Masseau, Les ennemis des philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières
Albin Michel 2000 p.7.
245
culturelle et dénoncent en conséquence l’hégémonie d’une
coterie, les tenants de l’apologétique, catholiques ou pro-
testants, entendent défendre la religion chrétienne attaquée par
les philosophes, les anti-Lumières défendent une conception
du sacré que les philosophes auraient tendance à récuser. Di-
derot est bien conscient des objectifs visés par cette coalition
« on fit du nom d’encyclopédistes une étiquette odieuse qu’on
attacha à tous ceux qu’on voulait montrer au roi comme des
sujets dangereux, désigner au clergé comme ses ennemis, dé-
férer au magistrat comme des gens à brûler et traduire à la na-
tion comme de mauvais citoyens1 », D’un côté comme de
l’autre les frontières sont cependant mouvantes et parfois
perméables ; elle peuvent de plus se modifier au fil du temps ;
enfin les pratiques sont loin de toujours coïncider avec les
discours. Ainsi, côté philosophes, d’Holbach, athée, méprise le
déisme de Voltaire ; ce dernier, bien qu’ayant participé à
l’Encyclopédie, reproche à d’Alembert sa fadeur ; Rousseau
campe quant à lui à part. Chez leurs adversaires, il n’y a pas
non plus un front commun. Quoi qu’il en soit, il est possible
de distinguer différents temps forts dans les affrontements du
246
installés dans leurs options fondamentales1 » Cependant, il n’en
demeure pas moins que « la campagne dirigée contre les Phi-
losophes met en jeu des discours, des représentations et des
pratiques dont il faut saisir les articulations. Les mots
« philosophie » et « antiphilosophie» ne désignent pas seule-
ment des systèmes de pensée, mais représentent aussi des
idées-forces, possédant des valeurs mythiques fortement liées
au contexte culturel dans lequel elles s’inscrivent. À ce titre ils
renvoient tout à la fois à des conduites intellectuelles, à des
choix d’existence, à des manières de percevoir le monde et
même à des modes de sensibilité2 ». Même si peuvent s’obser-
ver ici ou là des continuités, la Révolution, en mettant au
premier plan les questions politiques, redistribuera les cartes,
bouleversera les engagements antérieurs des uns et des autres,
transformera les clivages anciens qui pouvaient exister quand
c’était le combat religieux qui était au premier plan, époque où
deux thèmes étroitement liés étaient au cœur du débat ; la
nature et les fonctions de la religion, le rôle, les pouvoirs de la
raison et l’étendue des domaines qu’il lui appartient d’explorer.
1 D. Masseau, Les ennemis des philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières p.26.
2 Idem p.43-44.
247
mie » dont la rédaction a été confiée à Rousseau et utilisons la
table de Panckoucke qui en constitue un excellent résumé.
L’article commence par une définition « Economie ou œcono-
mie (Morale et Politique), ce mot vient de oikos maison et de
nomos loi et ne signifie originairement que le sage et légitime
gouvernement de la maison, pour le bien commun de toute la
famille. Le sens de ce terme a été dans la suite étendu au gou-
vernement de la grande famille qui est l’Etat. Pour distinguer
ces deux acceptions, on l’appelle dans ce dernier cas économie
générale ou politique, et dans l’autre cas, économie domestique
ou particulière ». Rousseau va traiter de la première et renvoyer
pour la seconde à l’article père de famille. Il observe que, dans
la famille, l’autorité du père est un fait de nature et qui a pour
objectif de conserver et accroître le patrimoine tandis que, dans
la société, cette autorité résulte d’une convention et que lui est
assignée la tâche de « maintenir les particuliers dans la paix et
l’abondance » ; il établit en outre une distinction entre le gou-
vernement qui concerne l’économie publique et la souveraineté
qui concerne l’autorité suprême, renvoyant pour cette dernière
aux articles politique et souveraineté. Il distingue ensuite éco-
1 Dans une version initiale, non retenue, Rousseau avait écrit « si je veux déter-
miner en quoi consiste l’économie publique, je trouverai que ses fonctions se
réduisent à ces trois principales : administrer les lois, maintenir la liberté civile et
pourvoir aux besoins de l’Etat » J. Rousseau, Oeuvres complètes III, Bibliothèque de
la Pléiade, Gallimard 1964 p.1392.
2 « La vertu n’est que cette conformité de la volonté particulière à la générale »,
Rousseau Oeuvres complètes op. cité p.251. Pour favoriser celle-ci le gouvernement
devra nourrir dans le cœur des citoyens l’amour de la patrie, leur assurer la sécu-
rité, « prévenir l’extrême inégalité des fortunes », développer l’éducation publi-
que.
3 Idem p.262.
248
vois, qui dans la table de Panckoucke accompagnent l’article,
sont, outre ceux plus haut indiqués, oeconomie, prodigalité,
gouvernement, Etat, chasse, pêche, agriculture, jardinage1.
La conception que se fait Diderot de l’économie est très
proche de celle que nous avons pu esquisser en partant de la
contribution de Rousseau avec son volet « science politique »
et son volet « économie» au sens moderne du terme. Consi-
dérons le premier volet. Dans les articles Autorité politique ou
Droit naturel Diderot recourt, avant Rousseau, à la notion de
volonté générale, laquelle est « dans chaque individu un acte
pur de l’entendement qui raisonne dans le silence des passions
sur ce que l’homme peut exiger de son semblable et sur ce que
son semblable est en droit d’exiger de lui2 ». Son expression
nécessite que l’homme soit libre, c’est elle qui fixera la limite de
tous les devoirs. Venue du consentement des peuples, l’autorité
politique a donc des limites ; le gouvernement, bien public,
« ne peut jamais être enlevé au peuple à qui il appartient essen-
tiellement et en pleine propriété3 », les princes n’en étant que
les usufruitiers. Diderot légitime la monarchie, mais « à la con-
dition qu’elle soit tempérée et fondée par le contrat avec le
1 On pourrait poursuivre le jeu des renvois auquel nous convie Diderot pour
repérer l’ensemble des entrées qui balisent le champ de l’économie telle qu’on la
concevait à l’époque. On s’apercevrait alors que ce sont à des réalités très con-
crètes qu’il est fait référence avec notamment - ce qui est bien concevable à l’é-
poque - une forte prégnance des choses agricoles.
2 Droit naturel in Diderot 3 Politique p.47.
3 Autorité politique, idem p.24.
4 Législation, idem p.51.
5 Citoyen idem p.35.
249
une entrée qui caractérise assez bien les finalités attribuées par
Diderot à l’économie stricto sensu, à savoir « celle dont les
opérations ont pour but des recherches utiles à l’art de
gouverner les peuples, telles que celles du nombre des hommes
qui habitent un pays ; de la quantité de nourriture qu’ils doi-
vent consommer ; du travail qu’ils peuvent faire ; du temps
qu’ils ont à vivre ; de la fertilité des terres ; de la fréquence des
naufrages, etc.1 ». Populationnisme et agrianisme fournissent la
trame de l’article Homme : « il n’y a de véritables richesses que
l’homme et la terre. L’homme ne vaut rien sans la terre et la
terre ne vaut rien sans l’homme. L’homme vaut par le
nombre… ce n’est pas assez que d’avoir des hommes, il faut
les avoir industrieux et robustes. On aura des hommes ro-
bustes, s’ils sont de bonnes mœurs et si l’aisance leur est facile
à acquérir et à conserver. On aura des hommes industrieux s’ils
sont libres… Un emploi des hommes n’est bon que quand le
profit va au-delà des frais du salaire. La richesse d’une nation
est le produit de la somme de ses travaux au-delà des frais du
salaire. Plus le produit net est grand et également partagé, plus
l’administration est bonne. Un produit net également partagé
250
En définitive l’économie dont l’autonomie en tant que
discipline ne semble à l’époque pas encore établie1 se trouve
donc dominée dans la vision des encyclopédistes par la politi-
que dont les rédacteurs du Discours préliminaire nous disent
qu’elle est « une espèce de morale d’un genre particulier et
supérieur, à laquelle les principes de la morale ordinaire ne peu-
vent quelquefois s’accommoder qu’avec beaucoup de finesse et
qui pénétrant dans les ressorts principaux de gouvernement
des Etats, démêle ce qui peut les conserver, les affaiblir ou les
détruire. Étude peut être la plus difficile de toutes, par les
connaissances profondes des peuples et des hommes qu’elle
exige et par l’étendue et la variété des talents qu’elle suppose ;
surtout quand le Politique ne veut point oublier que la loi
naturelle, antérieure à toutes les conventions particulières est
aussi la première loi des Peuples et que pour être homme
d’Etat on ne doit point cesser d’être homme ».
Esprit : une méthode expérimentale
Comme l’a bien montré E. Cassirer, « le XVIIIe siècle est
251
l’image de la monade leibnizienne qui est une unité dyna-
mique, « unité dans la multiplicité, être dans le devenir, cons-
tance dans le changement1 », le progrès tel que le connaît le
XVIIIe siècle ne doit pas être pris en un sens seulement
quantitatif, « à côté de l’élargissement quantitatif, se trouve
toujours une détermination qualitative2 ». Diderot sera à la
pointe de ce mouvement de la pensée. À une époque où la
géologie brise le schéma temporel du récit biblique de la
création, il est « le premier à rompre avec la vision du monde
statique pour en faire une vision dynamique3 ». De même que
le XVIIIe siècle a posé le problème de la possibilité de la
physique, il pose le problème de la possibilité de l’histoire lui
appliquant le même outillage intellectuel qu’à la nature et en
fait le modèle méthodologique du siècle alors que cette dimen-
sion de l’histoire était hors de l’idéal du savoir cartésien.
L’histoire dépasse désormais l’historiographie officielle. Les dé-
couvertes géographiques et les explorations ont permis la dé-
couverte de formes variées de sociétés et de civilisations. On
ne s’intéresse plus à la geste des souverains mais à une histoire
de l’homme fondée sur l’idée de perfectibilité (et par là même
252
ses physiques, il subordonne cependant les causes matérielles
aux causes spirituelles et « de la connaissance des principes
généraux et des forces motrices de l’histoire, il attend la
possibilité de les organiser plus sûrement dans l’avenir1 ».
Diderot lui rendra hommage en écrivant en 1755 pour le Ve
volume de l’Encyclopédie un « Eloge du Président Montes-
quieu ». Par ailleurs « en assistant aux obsèques de Montes-
quieu, Denis a voulu marquer l’attention qu’il attachait à une
œuvre dont peu de ses contemporains avaient perçu l’impor-
tance politique et scientifique. Il s’est aussi conduit en repré-
sentant, sinon en chef de file du « parti philosophique »2.
Si nombre d’auteurs prennent la mécanique comme discipli-
ne inspiratrice d’une méthode pour l’économie, ce n’est point
le cas pour Diderot pour qui la relation déterministe cause-
effets semble trop simpliste. La biologie lui parait offrir
d’autres ressources. Le travail de traduction du Dictionnaire
médical de Robert James, paru à Londres en 1743-1746, qu’il
poursuivit pendant trois ans lui avait déjà permis de se fami-
liariser avec la physiologie, l’anatomie, la médecine, la chimie et
la botanique , « lesquelles garderont toujours pour lui un grand
253
langes de plus en plus vastes dont il cherchera à discerner les
lois1 ».
Diderot opte pour une méthode que n’aurait pas désavouée
Claude Bernard. Toute recherche implique pour lui trois pha-
ses enchaînées : l’observation, l’hypothèse, la vérification. Cet
attachement à la méthode expérimentale constituera une cons-
tance de Diderot dans les articles qu’il rédigera pour l’Encyclo-
pédie. L’article Eclectisme (le mot étant pris au sens philo-
sophique fort et non avec l’appréciation péjorative qu’il com-
porte de nos jours) est pour Diderot non seulement l’occasion
de faire l’histoire de cette attitude philosophique, de montrer
que tombée dans l’oubli jusqu’à la fin du XVIe siècle elle res-
suscite ensuite sous la forme de la philosophie expérimentale,
mais surtout d’en donner une définition qui paraît s’appliquer à
merveille à sa propre attitude : « l’éclectique est un philosophe
qui foulant aux pieds le préjugé, la tradition l’ancienneté, le
consentement universel, l’autorité, en un mot tout ce qui sub-
jugue la foule des esprits, ose penser de lui-même, remonter
aux principes généraux les plus clairs, les examiner, les discuter,
n’admettre rien que sur le témoignage de son expérience et de
1 Idem p.271.
2 Diderot 1 Philosophie op. cité p.300.
3 Idem p.162.
4 Idem p.566.
254
problématique de cette discipline ou, si l’on préfère, en retracer
la « matrice disciplinaire » au sens que Kuhn donne à cette
expression1. On sera ainsi conduit successivement à examiner
les problèmes caractéristiques selon Diderot de l’époque dans
laquelle il vit et les solutions qu’il envisage pour y remédier.
Les problèmes de l’époque
On connaît le mot de Saint Just « le bonheur est une idée
neuve en Europe ». Cette nouveauté réside moins dans le
concept lui-même qui était depuis longtemps l’un des pôles de
toute quête philosophique, que dans les conditions de sa
réalisation. Un triple changement s’effectue en effet au XVIIIe
siècle. Changement d’échelle : le bonheur n’est plus discuté par
les seuls théologiens mais par tout le monde, salons et cafés
entre autres s’en emparant. Changement de tonalité : on passe
de la spéculation à l’expérience. Changement de contexte avec
l’accélération de la sécularisation. Pour articuler bonheur et
moralité, les Lumières recourent à la sociabilité « un « homme
social » tend à se substituer à l ’ « honnête homme » comme
1 Selon Kuhn toute science repose sur des paradigmes qui sont la source des
méthodes admissibles, des domaines de recherche validés, des normes de la pra-
tique scientifique reconnues, du vocabulaire et des techniques acceptables, des
solutions pouvant être retenues fondant ainsi la « matrice disciplinaire » à laquelle
se rallie un groupe de scientifiques. La structure des révolutions scientifiques, Flam-
marion 1983.
2 P. Roger, Bonheur in V. Ferrone et D. Roche, Le monde des Lumières op. cité
p.55.
3 « Les Lumières dans leur ensemble promeuvent la condamnation de l’intoléran-
ce, rejet du mystère et séparent spiritualité et éthique religieuse » observe D.
Roche, La France des Lumières op. cité p. 341. « Raison, tolérance sont les termes
de la foi du siècle des Lumières œuvrant pour le progrès et le bonheur de tous »
écrit de son côté M.H. Froeschle- Chopard, Religion in V. Ferrone et D. Roche,
Le monde des Lumières op. cité p.224, qui nous montre comment d’une part les
clercs œuvrent pour une religion orientée vers le perfectionnement individuel et
débarrassée de toute superstition et comment, d’autre part, la philosophie des
255
quand la moralité et la religion sont en conflit, on se doit de
préférer la première, au plan de l’analyse philosophique la
rupture s’avère plus radicale. On en vient à considérer que « la,
religion n’a de fondement ni rationnel ni éthique : elle a
purement et simplement une cause anthropologique1» car née
de la peur des puissances surnaturelles et du désir de l’homme
de se les concilier. Dès lors « l’attitude critique et sceptique à
l’égard de la religion, voilà ce qui tient à l’essence même de la
philosophie des Lumières2». C’est pourquoi « l’encyclopédisme
français part en guerre ouverte contre la religion, contre sa vali-
dité, contre sa prétendue vérité. Il lui reproche non seulement
d’avoir freiné de tout temps le progrès intellectuel, mais en
outre de s’être toujours révélée incapable de fonder une vraie
morale et un ordre politique et social juste3 ».
C’est dans ce climat qu’il convient de situer la réflexion de
Diderot. À une époque où il était encore croyant ou tout au
moins déiste4 il écrivait alors sous forme de profession de foi
« je suis né dans l’Eglise catholique, apostolique et romaine et
je me soumets de toute ma force à ses décisions. Je veux
mourir dans la religion de mes pères et je la crois bonne autant
Lumières s’efforce de fonder une religion, la religion naturelle, dans les limites de
la simple raison. Traitant, dans le même volume, de la tolérance, A. Rotondo en
esquisse la généalogie, le concept émergent « grâce à un mélange a) d’utopie et
de projets iréniques, b) de théorisations des droits de la conscience et de
revendications de la liberté de conscience, c) de projets et, sporadiquement, de
mesures de tolérance civile ou politique » (p.71) puis s’affinant progressivement
dans la seconde moitié du siècle sous l’influence de trois facteurs : l’approfon-
dissement des fondements du droit naturel, la polémique sur la fonction des
structures ecclésiastiques, l’intérêt pour les civilisations non européennes.
1 E. Cassirer, La philosophie des Lumières , op. cité p.191.
2 Idem p.154.
3 Idem p.143. L’Eglise marquera une certaine sensibilité à cette critique en inflé-
chissant sa pédagogie « l’apologétique apparaît désormais moins comme un ef-
fort de la raison pour exposer les vérités chrétiennes, démonter leur logique, que
comme une tentative pour illustrer leur utilité » D. Roche, La France des Lumières,
op. cité p.349.
4 « Le fond du livre est déiste » écrit A. M. Wilson, Diderot sa vie et son œuvre op.
cité p.49.
5 Pensées philosophiques in Diderot 1 Philosophie op. cité p.38. Cet ouvrage paru
en 1745, condamné en 1746 par le Parlement connaîtra dix éditions au XVIIIe
siècle et cinq ouvrages s’efforceront de le réfuter.
6 Ce faisant Diderot s’inscrit dans une pratique de lecture dont il explicitera les
caractéristiques dans les Mélanges pour Catherine II « ce n’est pas dans l’asile de la
contrainte, du respect, de l’ennui, du solennel, du sérieux que les hommes
s’instruisent ; les uns n’y vont pas, les autres s’endorment. C’est dans le rendez-
256
l’égard d’un certain nombre de dogmes comme celui de la
Trinité1 ou à se moquer avec verve de certains récits bibliques2.
Dans La promenade du sceptique3, ouvrage écrit en 1746-1747
mais qui ne sera publié qu’en 1830 et où l’on retrouve son
humour décapant4, « Diderot est fixé sur un certain nombre de
refus mais hésite encore sur son choix5 ». Par la suite Diderot
passera « par des phases de théisme et de déisme du christia-
nisme orthodoxe à un matérialisme fondamental, physiologi-
que, psychologique et neurologique qui ne laisse pas de place à
Dieu parce que, selon lui, l’existence de Dieu n’est pas néces-
saire pour expliquer l’univers6 » ; en d’autres termes l’adhésion
à l’athéisme7 relève du « principe de l’économie optimale8 »
laquelle s’exprime par exemple sous la forme suivante dans les
Observations sur Hemsterhuis : « l’introduction de Dieu dans la
nature ne fait que rajouter un agent superflu car avec cet agent
la même nécessité subsiste partout9». La Lettre sur les aveugles de
174910 sera une des premières manifestation de cet athéisme de
1 « Dieu le père juge les hommes dignes de sa vengeance éternelle ; Dieu le fils
les juge digne de sa miséricorde infinie, le Saint Esprit reste neutre. Comment
accorder ce verbiage catholique avec l’unité de la volonté divine ? » Addition aux
pensées philosophiques ou objections diverses contre les écrits de différents théologiens, idem.
p.45.
2 « Le Dieu des chrétiens est un père qui prend grand cas de ses pommes et fort
peu de ses enfants » idem p.42 ou encore « ce que nous appelons le péché ori-
ginel Ninon, de Lenclos l’appelait le péché original » idem p.45.
3 Ouvrage dans lequel Diderot utilise la forme de l’allégorie en faisant se pro-
mener ensemble et deviser un chrétien, un athée, un idéaliste, un pyrrhonien, un
deiste et un spinoziste dans les trois allées d’un jardin, celle des épines (la reli-
gion), des marronniers (la philosophie) et des fleurs (le monde).
4 Par exemple, lorsque relevant les contradictions entre les deux Testaments, il
observe que « Dieu n’a pas été fort attentif sur le choix de ses secrétaires ou
qu’on a souvent abusé de sa confiance » Diderot 1Philosophie op. cité p.81.
5 L.Versini, Diderot 1 Philosophie, op. cité p.69.
6 A. M. Wilson, Diderot, sa vie et son œuvre, op. cité p.50.
7 L’athéisme de Diderot serait inquiet alors que celui de d’Holbach serait serein si
l’on en croit G. Minois Histoire de l’athéisme, Arthème Fayard 1998 p. 403.
8 idem p.50.
9 Diderot 1 philosophie op. cité p.767.
10 Cette année là le chancelier d’Argenson signera une lettre de cachet pour Di-
derot, vraisemblablement à la suite d’une dénonciation du curé de Saint Médard
faisant écrire à l’un de ses paroissiens que Diderot « est un homme très dange-
257
Diderot et de son adhésion à un matérialisme biologique qui
s’épanouira dans Le rêve de d’Alembert (1760)1 et les Principes
philosophiques sur la matière et le mouvement (1770) dans lesquels on
peut trouver une annonce du principe de conservation et de
transformation de l’énergie, ouvrages qui ne seront connus
qu’après sa mort. Le ton ne sera plus à l’ironie car il considère
alors dans la Réfutation suivie de l’ouvrage d’ Helvétius intitulé l’homme
que « quand on attaque les préjugés religieux on ne saurait
avoir ni montrer trop de retenue2» De la religion et de sa
critique à la politique et à ses orientations transformatrices il y
aura continuité car « il est impossible de révolutionner la philo-
sophie par un matérialisme moderne et un athéisme radical
sans réformer la cité par l’égalité et la démocratie3 »
Diderot se démarque de la plupart des auteurs de son épo-
que en matière d’éducation. Le siècle des Lumières n’est en
effet guère favorable au développement de la scolarisation du
peuple et, dans leur majorité, les encyclopédistes et gens de
lettres ne tiennent pas l’éducation populaire en grande estime.
Ainsi le Chalotais dans son Essai d’éducation nationale ou plan
d’étude pour la jeunesse redoute les conséquences de l’apprentis-
enfermement que J.-J. Rousseau, qui rendait fréquemment visite à son ami, a
rencontré son chemin de Damas. Rousseau raconte en effet dans ses Confessions
comment il tomba sur la question proposée au concours par l’Académie de
Dijon « si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer
les mœurs ». Diderot donnera une version plus calme de cet épisode dans sa
Réfutation de l’ouvrage d’Helvétius intitulé l’Homme, en narrant comment il conseilla à
Rousseau de participer au concours.
1 Dans cet ouvrage qui fait du mouvement une propriété inhérente à la matière
« Leibniz est à Diderot ce que Hegel est à Marx » écrit A. Wilson, Diderot sa vie et
son œuvre op. cité p.470.
2 Diderot 1 Philosophie op. cité p.906 ; « Si le tout actuel est une conséquence de
son état antérieur, il n’y a rien à dire, si l’on veut en faire le chef d’œuvre d’un
être infiniment sage et tout puissant, cela n’a pas le sens commun » écrit-il encore
dans Eléments de physiologie idem p.1317.
3 L. Versini, préface à Diderot 2 Contes p.11. Les bijoux indiscrets - conte libertin à la
manière de Crébillon nous narrant les mésaventures d’un « bijou », « fréquenté,
délabré, délaissé, parfumé, fatigué, mal servi, ennuyé, etc. » (p.39), dans lequel
Diderot mêle allègrement sciences de la vie ( psychophysiologie du désir et de la
sexualité, exploration de l’inconscient ou du refoulé, étude du déterminisme
physiologique qu’on retrouve dans la Religieuse), débats philosophiques (Newton
versus Descartes) ou littéraires (querelle des anciens et des modernes) avec des
allusions à l’actualité de l’époque, voire, dans les Additions aux bijoux indiscrets ,
s’intéressant à la possibilité d’une détermination scientifique des aptitudes profes-
sionnelles - ne s’ouvrent-ils pas par l’affirmation que « les peuples, las d’obéir à
des souverains imbéciles, avaient secoué le joug de leur postérité » ?
258
sage de la lecture pour « des gens qui n’eussent dû apprendre
qu’à dessiner et manier le rabot et la lime » ; Voltaire n’est pas
plus généreux « il me paraît essentiel, écrit-il, qu’il y ait des
gens ignorants. Si vous faisiez valoir comme moi une terre, et
si vous aviez des charrues, vous seriez de mon avis ; ce n’est
pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois,
l’habitant des villes ». Cette vision s’accompagne souvent de
considérations sexualisées, comme c’est le cas chez Mirabeau
qui écrit « je proposerai peu de choses sur l’éducation des fem-
mes. Les hommes, destinés aux affaires doivent être élevés en
public. Les femmes au contraire, destinées à la vie intérieure,
ne doivent peut être sortir de la maison paternelle que dans
quelques cas rares ». Diderot, au contraire s’élève contre cette
conception élitiste en en dévoilant les arrières plans sociaux
« le grief de la noblesse (envers l’instruction populaire) dit-il, se
réduit peut être à dire qu’un paysan qui sait lire est plus malaisé
à opprimer qu’un autre » ; de même partage-t-il la vision
égalitariste de Condorcet1 qui propose en 1793 « une éducation
commune aux hommes et aux femmes, parce qu’on ne voit
point de raison pour la rendre différente, on ne voit point par
259
tiques (la liberté sous la forme du laisser-faire laisser-passer).
Dans une société « travaillée par la montée de forces nou-
velles : les valeurs du travail, les mérites de l’entreprise et de
l’entrepreneur, l’attraction de la liberté et de la réussite éco-
nomique, le repli sur le privé, la diffusion de l’utilitarisme et la
laïcisation1», deux traits distinctifs caractérisent la situation de
l’économie politique au XVIIIe siècle. On observe d’une part
une émancipation de la littérature économique, « la modernité
du XVIIIe siècle consiste précisément à avoir transformé le
philosophe en économiste2 », Smith étant bien entendu la figu-
re emblématique de cette évolution. D’autre part on constate
l’élaboration d’un nouveau modèle de systématisation théori-
que prenant deux formes, celle du calcul que valorise par
exemple Diderot dans son article Arithmétique politique de
l’Encyclopédie, et celle du système qui s’épanouit avec la « secte »
car en effet « avec leur schéma abstrait les physiocrates ont
fondé l’économie en tant que science3».
Ce sont les Notes sur la réfutation des Dialogues de Galiani mais
surtout la forme plus élaborée qu’est l’Apologie de Galiani qui
permettent de cerner au mieux la conception que se fait Dide-
260
le fonctionnement des marchés et celui des manufactures, Di-
derot va être conduit à développer le concept d’utilité publique
qui l’entraîne à contester deux argumentaires fondamentaux
des physiocrates : celui des droits sacrés de la propriété et celui
de la liberté totale du commerce. Pour Diderot, instruit par
Galiani, si, comme le pensent les physiocrates, les lois du libé-
ralisme sont justes quand les récoltes sont bonnes et que le
grain abonde, par contre leur croyance en l’harmonie naturelle
n’est plus fondée quand la production est faible, car, comme
Galiani l’avait observé lors de la famine qui avait ravagé la ville
de Naples en 1764, on constate dans une économie de pénurie
augmentation des prix, spéculation, disettes. Ceci conduit Di-
derot à écrire « comment a-t-on prouvé que la liberté illimitée
fixe le prix et le rend invariable. Cela peut être vrai par
abstraction… cela va bien dans la tête ; en pratique je doute
fort que cela s’arrange aussi bien1 ». En même temps il fait part
d’une observation qui anticipe l’effet Giffen « sachez qu’on
mange deux fois plus de pain en Champagne et partout, dans
les disettes que dans les abondances de vin2 ». Dans ses
Observations sur le Nakaz, Diderot se démarquera encore davan-
261
nécessité de l’observation minutieuse des faits : « c’est la longue
expérience qui instruit, et tout homme qui écrit du commerce
sans avoir acheté ou vendu une épingle, tout homme qui écrit
du commerce des blés sans avoir vendu ou acheté un grain, du
commerce de l’argent sans avoir signé une lettre de change,
d’agriculture ou de baux sans avoir possédé un pouce de ter-
re, et d’importation ou d’exportation, de commerce de mer
sans avoir vingt sous d’intérêt sur une cargaison, pourrait bien
dire autant de sottises que de mots1 ».
Les solutions suggérées
Les encyclopédistes se veulent réformateurs sociaux et con-
seillers du Prince ; en conséquence leur projet s’adresse aussi
bien à la société « du bas » qui sera concernée essentiellement
par un vase programme éducatif, qu’à la société « du haut » qui
aura pour tâche de réaliser un certain nombre de réformes in-
dispensables. L’expression de despotisme éclairé2 résume assez
bien le projet et constitue en tout cas le cadre politique dans
lequel les propositions vont s’inscrire, mais sur ce point essen-
262
me, il n’hésite pas à écrire : « le gouvernement arbitraire d’un
prince juste et éclairé est toujours mauvais… il enlève au
peuple le droit de délibérer , de vouloir ou de ne vouloir pas ,
de s’opposer même à sa volonté lorsqu’il ordonne le bien ;
cependant le droit d’opposition, tout insensé qu’il est, est
sacré1» . De même dans sa Contribution à l’histoire des deux Indes il
écrit qu ’« on a dit quelquefois que le gouvernement le plus
heureux serait celui d’un despote juste et éclairé. C’est une
assertion très téméraire. Il pourrait arriver que la volonté de ce
maître absolu fut en contradiction avec la volonté de ses
sujets2 ». Dans le même ouvrage et dans un passage consacré à
la Russie il s’écrie « peuples ne permettez donc pas à vos
prétendus maîtres de faire, même le bien, contre votre volonté
générale3 ». Il n’hésite pas non plus à dire à Catherine II « tout
gouvernement arbitraire est mauvais ; je n’en excepte pas le
gouvernement arbitraire d’un maître bon, ferme, juste et
éclairé4 ».
À Saint-Petesbourg où il rencontre quotidiennement Cathe-
rine II, en même temps qu’il ne manque pas de s’informer sur
l’état de la Russie (importance des production nationales, de la
263
pératrice elle-même1 ». Mais les idées de Diderot n’intéressent
Catherine que « comme ligne d’horizon, potentialité d’une
action qu’elle doute d’avoir jamais les moyens d’entre-
prendre2 ». Aussi n’hésite-t-elle pas à remettre éventuellement
les pendules à l’heure : « Monsieur Diderot, j’ai entendu avec le
plus grand plaisir tout ce que votre brillant esprit vous a inspi-
ré ; avec tous vos grands principes que je comprends très bien,
on ferait de beaux livres et de mauvaise besogne. Vous oubliez,
dans tous vos plans de réforme, la différence de nos positions ;
vous, vous ne travaillez que sur le papier qui souffre tout, il est
uni, simple et n’oppose d’obstacle ni à votre imagination, ni à
votre plume, tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur
la peau humaine qui est bien autrement irritable et chatouil-
leuse3 ». Diderot va recommander à Catherine II tout un pro-
gramme de réformes ; il remplit la fonction de conseiller cultu-
rel, politique, philosophique : il s’en enchante sans voir qu’il
sert surtout d’otage et d’alibi4.
Les programmes de réformes des Lumières concernent de
nombreux domaines : la fiscalité, le commerce, les marchés,
l’Eglise, l’ouverture d’un horizon d’activités économiques etc.
264
semblablement, reflète les difficultés que Diderot a connues
avec la justice ou la lucidité avec laquelle il regarde le fonction-
nement de l’administration de son pays1 et les espoirs qu’il
pouvait mettre dans les changements à opérer en Russie à la
suite de ses conseils : « je ne me suis jamais connu plus libre
depuis que j’habite la contrée que vous appelez des esclaves, et
jamais plus esclave que tant que j’ai habité la contrée que vous
appelez des hommes libres ». Le programme de réformes de
Diderot qu’on trouve dans cet ouvrage, complété par celui
qu’on découvre dans Observations sur le Nakaz2 va concerner
tout un ensemble de questions. Les unes sont relatives à l’ad-
ministration3 pour le recrutement de laquelle il préconise le
concours « même aux places les plus importantes4 » ; ses pro-
positions concernent aussi bien la police que la justice (Diderot
suggère par exemple une aide gratuite aux indigents et marque
son intérêt pour les juridictions consulaires, se prononce pour
des peines pécuniaires plutôt que pour des peines infamantes,
examine les conflits de juridiction, envisage la simplification
des procédures, s’intéresse à la défense des accusés), le service
militaire national, l’aménagement du territoire5 ou l’hygiène.
265
naturelle à l’homme » et parce que « la facilité de se séparer fait
qu’on se ménage réciproquement, la liberté de se séparer fait
qu’on se sépare rarement1 ». D’autres enfin relèvent de l’éco-
nomie, Diderot se prononçant pour la liberté aussi bien en ce
qui concerne le commerce2 que le crédit, n’envisageant comme
seules limitations que celles qui concernent les vivres ou den-
rées, les poids et mesures, l’exercice de la médecine, de la chi-
rurgie et de la pharmacie, les métiers qui emploient l’or ou
l’argent
A une époque caractérisée selon Ariès par « l’invasion de
l’enfance dans les sensibilités », marquée de plus par des préoc-
cupations pédagogiques3 comme en témoignent les suggestions
de Rousseau, l’éducation va être considérée comme un devoir
public ayant pour objectif le bien commun : « le siècle entier
vit sur une espérance : celle de l’efficacité de l’éducation par
laquelle le peuple peut entrer dans une autre culture4 » mais, en
même temps, réalité plus prosaïque, l’éducation du peuple « se
conçoit moins pour libérer les classes populaires que pour les
rendre économiquement plus efficaces et socialement plus
266
par une définition ; « une université est une école dont la porte
est ouverte indistinctement à tous les enfants d’une nation et
où des maîtres stipendiés par l’Etat les initient à la con-
naissance élémentaire de toutes les sciences1 », se caractérise
par un objectif clairement affiché « instruire une nation, c’est la
civiliser2 » et par l ’indication d’une méthode de travail « poser
les principes généraux, en tirer les grandes conséquences et
négliger les exceptions3 ». Diderot trace ensuite le plan des
études pour chacune des Facultés. Pour la Faculté des arts et
dans un premier cours d’études (qui correspond à notre en-
seignement secondaire), en supposant que les élèves savent lire,
écrire et ont des connaissances d’arithmétique, les études sont
organisées en huit classes. Dans la première, l’enseignement
porte essentiellement sur l’arithmétique, l’algèbre, le calcul des
probabilités, la géométrie ; dans la seconde sur la physique,
dans la troisième sur la cosmologie ; dans la quatrième sur
l ’histoire naturelle et la physique expérimentale ; dans la cin-
quième sur la chimie et l’anatomie ; dans la sixième sur la logi-
que et la grammaire générale ; dans la septième sur la langue
russe ; dans la huitième sur le grec, le latin et les belles lettres.
267
siastique. Diderot ne s’en tient pas au seul énoncé des pro-
grammes ; il évalue le nombre de chaires nécessaires, conseille
les ouvrages à utiliser, étudie la question des examens, envisage
par exemple pour les professeurs de droit l’éméritat après
quinze ans d’enseignement et leur entrée dans la magistrature,
s’intéresse aux visites de salles d’hôpital par les enseignants de
médecine et leurs étudiants, préconise les autopsies, traite de
l’inspection générale, organise les emplois du temps quotidiens
et les vacances des étudiants, porte intérêt aussi bien à la
discipline des élèves, à l’enseignement de l’anatomie pour les
filles, aux bourses pour les indigents, qu’à la condition pécu-
niaire des maîtres ou à l’organisation des bâtiments.
Arrivé au terme de ce parcours, que peut-on dire de Dide-
rot et de ses rapports à l’économie ? Ses multiples centres d’in-
térêt en font un « génie centrifuge1 » bien à même de conduire
à son terme la réalisation de l’Encyclopédie à laquelle son nom est
désormais attaché. Philosophe, Encyclopédiste, c’est dans cette
perspective qu’il aborde l’économie à la manière dont on pou-
vait le faire dans son pays et à son époque dont il est une sorte
268
dans une « archéologie du savoir1». C’est ce statut qui en fait
tout à la fois les limites et l’intérêt. Mais la vision de l’éco-
nomie est-elle après tout très différente chez Diderot de ce
qu’elle était chez Smith qui nous disait « l’économie politique
considérée comme une branche des connaissances du législa-
teur et de l’homme d’Etat se propose deux objets distincts : le
premier de procurer au peuple un revenu ou une subsistance
abondante, ou, pour mieux dire, de le mettre en état de se
procurer lui même ce revenu ou cette subsistance abondante,
le second objet est de fournir à l’ Etat ou à la communauté un
revenu suffisant pour le service public : elle se propose d’enri-
chir à la fois le peuple et le souverain2 ».
1 Expression que nous empruntons à J. Lallement qui, après nous avoir dit que
« alors que l’histoire de la pensée désigne d’un même mot (économie politique) le
Tableau de Quesnay, les Principes de Ricardo, le Capital de Marx, l’archéologie du
savoir établit à l’intérieur du domaine de l’économie, une rupture entre deux
formes de positivité : d’abord l’analyse des richesses jusqu’à la fin du XVIIIe
siècle, puis, à partir de Ricardo, l ’économie politique », nous précise que « la
logique même de l’archéologie déplace la question en privilégiant les catégories
spatiales plutôt que temporelles. Le lieu, la disposition l’espace, le niveau, l’articu-
lation, le champ, la place, la configuration, le tableau, le seuil, la surface sont des
termes qui reviennent perpétuellement ; le temps est conçu comme la rupture
d’une configuration ou d’une série, un changement de place, de niveau, mais ja-
mais comme un écoulement, un mouvement continu : ce qui prédispose à un
raisonnement en termes de structures, de tableau plutôt qu’en termes de deve-
nir » Histoire de la pensée ou archéologie du savoir, Economies et sociétés 1984 n°
10 p.68 et 89.
2 La richesse des nations, Guillaumin 1859 p.176.
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Alex
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