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Ana Perrin-Heredia
Belin | « Genèses »
2011/3 n° 84 | pages 69 à 92
ISSN 1155-3219
ISBN 9782701157726
DOI 10.3917/gen.084.0069
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-geneses-2011-3-page-69.htm
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D O S S I ER
Faire les comptes :
normes comptables, normes sociales
Ana Perrin-Heredia
PP. 69-92
« [La science économique] condamne tacitement sur le plan moral ceux que l’ordre
économique dont elle enregistre les présupposés a déjà condamnés dans les faits »
(Bourdieu 2003 : 85).
Dans la France des années 20001, le modèle du salariat stable (Castel 1995)
imprègne encore de multiples façons les catégories aussi bien administratives et
politiques que statistiques ou savantes. Celles destinées à rendre compte de la
situation économique des agents sociaux, qu’objective par ailleurs le formalisme
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Les analyses présentées ici se fondent sur une enquête réalisée au sein d’un
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quartier classé « zone urbaine sensible » d’une ville moyenne française, c’est-à-dire
défini par les politiques publiques comme regroupant des populations considérées
administrativement comme démunies économiquement et socialement (Perrin-
Heredia 2010). Si l’objectif consistait à réaliser une ethnographie économique des
pratiques de gestion et de consommation des habitants du quartier (Dufy et
Weber 2007), l’attention s’est, pour commencer, portée sur les structures locales,
publiques et privées, d’encadrement et de normalisation des budgets domestiques
(centres sociaux et associations bancaires). L’accès aux habitants du quartier a
ensuite été facilité par la circulation au sein de plusieurs réseaux d’interconnais-
sance (Maison de quartier, mosquée, Parti communiste, Secours catholique, asso-
ciations de quartier). Il a alors été possible de réaliser de nombreux entretiens,
longs et approfondis, auprès de personnes qui se situaient toutes dans le premier
quintile de la population française3, bénéficiaient d’un logement social et ne
payaient pas d’impôt sur le revenu. La méthode de l’ethnographie économique a
permis de saisir les pratiques et les représentations, les trajectoires et les histoires
de vie de certains habitants du quartier tout autant que de replacer les enquêtés
dans des réseaux familiaux, amicaux, religieux, politiques et dans un espace insti-
tutionnellement, administrativement, économiquement et socialement structuré.
C’est cette méthode qui autorise à rendre compte aussi bien des contraintes qui
pèsent sur les individus enquêtés que des ressources (non plus seulement écono-
miques mais aussi sociales) qu’ils sont en mesure de mobiliser pour y faire face.
Ainsi, ces données ethnographiques ont tout d’abord permis de mettre en
évidence les opérations de traduction effectuées par divers agents d’administra-
tions publiques ou privées (conseillers bancaires, travailleurs sociaux, bénévoles
d’associations, etc.) lors de la recension des budgets domestiques. Elles font
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deur parvient à respecter la contrainte de revenu qui est la sienne. C’est ce qu’on
appelle communément le calcul de l’« équilibre budgétaire ». Celui-ci se réalise au
moyen d’additions et de soustractions, opérations mathématiques élémentaires,
voire triviales. D’un côté, les ressources sont additionnées, de l’autre les dépenses
sont totalisées, enfin la somme des dépenses est soustraite à celle des ressources.
Les comptes sont ainsi appréciés à l’aune du résultat obtenu. Lorsqu’il est supé-
rieur ou égal à zéro, la situation économique est jugée stable et solide ; en
revanche, s’il est négatif, la situation n’est pas considérée comme viable.
Pourtant le travail de « traduction » des normes comptables (Callon 1986)
que doivent accomplir les individus en charge d’accompagner les personnes en
difficulté économique laisse entrevoir que les règles qu’appliquent de façon rou-
tinière les institutions sont loin d’être aussi neutres et universellement partagées.
Pour s’en convaincre, il paraît opportun de s’intéresser à une catégorie d’agents
bien particuliers, appelés ici « accompagnateurs budgétaires », qui travaillent dans
le cadre d’associations privées ou parapubliques (associations bancaires, associa-
tions d’aide aux consommateurs) ou d’administrations publiques (assistantes
sociales et surtout conseillères en économie sociale et familiale). Ces agents, véri-
tables street level bureaucrats (Lipsky 1980), ont pour mission d’appuyer les per-
sonnes en difficulté économique dans leurs démarches aussi bien auprès des
banques ou des organismes financiers que des commissions de surendettement.
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comme étant « ce qui entre sur le compte » alors que pour les habitants du quartier
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vivant dans un logement HLM8 (la très grande majorité de ses usagers), cette
somme n’arrive jamais sur le compte puisqu’elle est déduite directement du mon-
tant de leur loyer. Cette prestation en nature, à destination contrainte, n’est donc
pas pensée comme une rentrée d’argent, contrairement à ce que pratique l’admi-
nistration sociale, mais plutôt comme une réduction de dépenses.
En définitive, parce qu’elle effectue toutes ces opérations de mise en liste et
de calcul de manière didactique, en expliquant ce qu’elle fait au fur et à mesure,
devant l’usager, et en spécifiant ce que cela lui permet d’obtenir, elle effectue un
véritable travail de traduction de la logique administrative, de la manière dont la
Banque de France compte et pense les comptes. Elle permet par ce travail de
faire entrer « en douceur » les comptes domestiques de ses usagers dans les cases
administratives des dossiers de surendettement.
Artefacts de comptabilité
La manière dont les revenus et les dépenses sont ainsi listés, sommés puis
déduits répond à un certain nombre d’objectifs précis. Ce type de recueil de don-
nées s’avère en effet très utile pour les organismes de contrôle et/ou de régulation
du budget des ménages : il définit une base de calcul unique, commune et unifor-
misée (le mois), applicable théoriquement à tous les budgets par simple division
ou multiplication. Il autorise alors la référence à des critères légaux (Rosental
2003 ; Desrosières 2008). Par exemple, la distinction opérée entre charges fixes et
non fixes (ces dernières étant regroupées sous le label « forfait alimentaire ») par-
ticipe de ce processus de surveillance et de prévention. Elle permet de mettre en
évidence ce qui pour l’administration doit être payé chaque mois – les dépenses
« pré-engagées »9 ou « contraintes » qui relèvent d’un engagement contractuel et
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des ensembles homogènes dont chacune des composantes serait équivalente aux
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autres (Roy 2006 : 102)14. Elles sont au contraire explicitement autonomisées,
attribuées, personnifiées, selon un système de « marquage » parfois complexe,
pour reprendre la terminologie de Viviana Zelizer, qui permet de souligner la
dimension symbolique des pratiques économiques, « marquées par le social »
(2005b : 27-74).
Le rire de Christine est ici significatif, il est la marque de sa gêne, celle que
provoque le fait de penser l’impensable car Christine et Roger considèrent
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Doc. 2. Arbre généalogique des enquêtés (*). © DR. En grisé les personnes avec lesquelles
j’ai réalisé des entretiens.
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Doc 3. Récapitulatif des niveaux de vie des enquêtés*
Salaire mensuel 1 Cyril: 1200 euros Mélanie: 1100 euros Roger: 1120 euros
(*) Selon les définitions de l’Insee, le niveau de vie est égal au revenu disponible du ménage divisé par
le nombre d'unités de consommation (u.c.). Le revenu disponible d'un ménage comprend les revenus
d'activité, les revenus du patrimoine, les transferts en provenance d'autres ménages et les prestations
sociales (y compris les pensions de retraite et les indemnités de chômage nets des impôts directs).
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enfants », elle se contraint à varier ses achats et ne peut pas toujours suivre les
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promotions (elle ne s’autorise pas, par exemple, à leur acheter plusieurs fois la
même marque de gâteaux). Ils sont « très difficiles » et Christine fait son possible
pour les satisfaire.
Ces quelques éléments tendent à montrer que, dans les milieux populaires
comme dans bien d’autres classes sociales (Roy 2006), les dépenses ne sont que
rarement réparties « également » entre les différents membres du ménage comme
le suppose l’administration. Bien au contraire, la part des dépenses que les
enfants occupent dans les dépenses globales pourrait même, dans certains cas,
sembler « disproportionnée » au regard du revenu familial18 et est, en tout état de
cause, vraisemblablement sous-évaluée dans la conception classique du ménage
qu’utilisent les accompagnateurs budgétaires.
comme le fait que Mélanie, qui possède une voiture, fasse « le taxi » pour sa sœur,
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l’emmène « faire les courses du mois » et, pendant près de deux heures, l’aide à
remplir ses « deux caddies ». En véhiculant sa sœur, Mélanie permet à Stéphanie
de faire ses achats dans des magasins éloignés auxquels elle n’a que difficilement
accès (et où donc probablement elle n’irait pas) et lui permet de réaliser ainsi un
certain nombre d’économies.
Ces arrangements bénéficient à l’ensemble des individus insérés dans ces
échanges et ces derniers semblent être la condition nécessaire pour que « tienne »
en équilibre leur budget respectif. Seule l’interdépendance de leur économie, la
mutualisation d’un certain nombre de ressources et de charges permettent
d’équilibrer leurs comptes. Ces maisonnées particulières – elles n’ont que peu à
voir avec les maisonnées des aristocrates ou des agriculteurs – que l’on peut
appeler « maisonnées de survie » (Perrin-Heredia 2010 : 396-409), marquées par
la nécessité de se préserver et la conscience de l’incertitude de l’avenir, permet-
tent de comprendre comment certains comptes tiennent en équilibre sur le
temps mensuel de l’équilibre bancaire du fait de – et grâce à – leur dépendance
réciproque.
Contrairement donc aux hypothèses qui fondent le calcul de l’équilibre des
comptes, les ressources ne sont pas toutes mutualisées et les dépenses sont loin
de s’effectuer « à égalité » entre les différents membres de l’unité domestique. Par
ailleurs, la mutualisation systématique de l’ensemble des revenus et des dépenses
occulte toutes les formes d’échange interpersonnel – « cadeaux » ou « transactions
intimes » (Zelizer 2005a) – qui peuvent exister au sein de l’unité domestique.
Ces considérations, en soulignant les présupposés contenus dans le fonctionne-
ment du ménage, interrogent également la pertinence des contours du ménage
comme unité domestique « normale ». En ce sens, l’application de cette catégorie
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2009 : 27-146), la mensualisation des salaires20 et le développement des formes
contractuelles d’échange (contrats de location, de fournitures en énergie, de prêt)
contribuent à fixer ce cadre temporel. Le banquier édite en effet un relevé de
comptes tous les mois (sauf sur demande, mais cette nouvelle édition est alors le
plus souvent facturée) ajusté à la perception mensuelle d’un salaire qui fonde le
calcul de l’équilibre budgétaire sur cette même base de calcul. La mensualisation
est en outre une technique de comptabilité très efficace pour garantir l’équilibre
des comptes dans la mesure où elle revient à faire comme si l’ensemble des reve-
nus et des dépenses était réparti de manière uniforme sur l’année. Elle a l’avan-
tage de présenter le temps comme divisible en unités similaires, répétables à
l’infini et donc prévisibles. En ce sens, la mensualisation est bien au fondement
de la budgétisation. La finalité espérée est de pouvoir budgétiser les comptes, au
sens littéral du terme, c’est-à-dire de pouvoir prévoir, provisionner, anticiper des
dépenses exceptionnelles, se prémunir contre les risques de la vie, se projeter
enfin dans l’avenir en capitalisant une épargne. Ces considérations justifient que
les accompagnateurs budgétaires préconisent, parfois avec fermeté, le recours au
prélèvement automatique comme mode de règlement privilégié des dépenses
régulières et prévisibles. Or, la technique de la mensualisation des ressources,
préalable indispensable à la mensualisation des dépenses et au principe de la
budgétisation des comptes domestiques, suppose un certain nombre de prére-
quis, socialement situés.
pour compléter, elle se « serre la ceinture ». Pour des raisons similaires, et contrai-
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rement à ce que recommandent les accompagnateurs budgétaires, Mélanie n’a
pas mensualisé sa taxe d’habitation. Cela l’obligerait à payer chaque mois, et sans
recours possible, 44 euros supplémentaires ce qui réduirait d’autant ses marges
financières. En comptant au plus juste, elle termine chaque mois avec à peine
10 euros et « touche du bois » pour n’avoir aucune dépense imprévue. Elle préfère
en cela régler cet impôt en une seule fois et « payer d’un coup les 440 euros »
grâce à la prime pour l’emploi (environ 800 euros) qu’elle sait percevoir chaque
année peu de temps auparavant. En effet, la mensualisation des charges implique
de pouvoir tous les mois, y compris « les mauvais », s’acquitter de cette somme, ce
que les flux des revenus des plus démunis économiquement sont loin de toujours
leur permettre.
Ces arrangements avec les contraintes de règlement – recours peu fréquent
aux prélèvements automatiques et faible mensualisation des dépenses – favori-
sent une certaine souplesse dans la gestion des comptes. La non-fixité des
dépenses, parce qu’elle permet de jouer sur le temps des échéances, apparaît
comme l’une des rares marges de manœuvre dont peuvent se prévaloir ces bud-
gets fortement contraints et ce, alors même que tout semble les pousser, voire les
presser, à souscrire à ces formes de contractualisation. Le prélèvement automa-
tique annihile en effet toute latitude gestionnaire et explique en partie les réti-
cences des milieux populaires à mensualiser leurs dépenses (auprès de l’EDF, de
GDF23, du bailleur, des impôts). La non-mensualisation des dépenses comme le
refus de s’engager via des formes de règlement automatisé s’expliquent largement
par une conception de l’économie fondée sur l’irrégularité et la non-répétition
des séquences.
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Aucun des trois ménages présentés ici ne s’est constitué une épargne person-
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Ces réserves sont donc aussi des formes d’assurance, de protection contre les
aléas de la vie, les périodes de disette qu’ont souvent déjà expérimentées ces
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constituent incontestablement des variables d’ajustement en périodes difficiles et
fonctionnent à la manière d’une épargne-sécurité pour lisser la consommation au
fil des mois. Toutes utilisent ces stocks lors des fins de mois difficiles comme
l’explique Mélanie : « quand c’était les mois où c’était difficile ben ma réserve elle
descendait ! ». Plus encore, si ces ménages rencontrent des difficultés à évaluer
mensuellement leur budget alimentation c’est moins par défaut de contrôle
comptable que parce que la question manque de pertinence : ce qui est acheté au
cours du mois ne sera pas forcément dépensé au même moment. Selon Chris-
tine, son budget alimentation « c’est beaucoup ! » mais elle tempère aussitôt en
soulignant qu’« y’a des choses qu’[elle va] acheter et qu’[ils] ne v[ont] pas manger
tout de suite… qu’[ils vont] manger une semaine après » ou qui sont depuis
« longtemps dans le congélateur… », ce qui justifie qu’en matière de consomma-
tion alimentaire, il soit compliqué d’établir une prévision (« on peut pas savoir »).
La nourriture est donc bien pensée comme une forme d’épargne (Weber 1998 :
201) : l’argent dépensé à un moment T1 est en réalité solidifié (ici congelé ou
stocké) et pourra être consommé, utilisé à un moment T2 ou T3. Les stocks per-
mettent ainsi de lisser la consommation alimentaire du ménage et représentent
un moyen de se prémunir contre les aléas futurs.
Les stocks ne se font pas non plus seulement en alimentation. Ils peuvent
également se porter sur des produits d’hygiène et d’entretien ou sur les « cadeaux
pour les enfants ». Mélanie explique ainsi que pendant toute l’année elle surveille
les promotions et profite autant que possible des offres du type « un produit
acheté, un produit offert ». Elle a comme cela acheté « un mécano à construire,
c’était un acheté, un gratuit pour 10 euros ». Elle conserve l’autre, caché dans son
armoire « pour si des fois la souris elle passe ou si y’a un anniversaire d’un
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pourtant loin de rentrer dans les catégories de recueil des budgets et ne sont
donc pas envisagées comme telles par les accompagnateurs budgétaires. Cette
manière préconçue d’envisager l’épargne masque de fait les techniques qui per-
mettent aux plus démunis de survivre et de tenir l’équilibre des comptes, quand
elle ne les disqualifie pas tout simplement. Ainsi, lorsque les revenus ne sont pas
garantis ni répétés à l’identique d’une séquence à l’autre, le mois, en tant qu’unité
temporelle conventionnelle de mesure de l’équilibre budgétaire, apparaît – tel le
ménage en tant qu’unité économique prédéfinie – comme un cadre à la fois trop
vaste et trop étroit. Trop vaste, parce que l’urgence de certains besoins suppose
que ces derniers soient satisfaits sur un temps plus court (il faut bien manger
tous les jours). Le mois est souvent séquencé, fractionné en unité de mesure plus
petite, les ressources réparties à l’intérieur de ces unités. Trop étroit, parce que
l’équilibre ne peut parfois se réaliser qu’en fusionnant plusieurs mois.
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est suivi d’effets économiques, ces ménages semblent soumis à une sorte de
« double peine » économique car ils sont non seulement les plus vulnérables aux
sanctions économiques mais aussi les plus sujets à voir leurs pratiques disquali-
fiées du fait même de leur caractère atypique.
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Notes
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1. Je tiens à remercier tout particulièrement Flo- 1981) suppose en effet qu’au sein d’un ménage, un
rence Weber, Jeanne Lazarus et Gilles Laferté individu défini comme « altruiste » – sa satisfaction
pour leurs remarques et critiques, toujours éclai- proviendrait de ce qu’il consomme mais aussi de ce
rées et constructives. que consomment les autres – s’approprierait les
2. Comme lorsque « la comparaison fait disjoncter revenus des autres membres du ménage. Ce « dic-
la métaphore » (Passeron 2000). tateur-altruiste », en réalité le « chef » de famille,
déciderait ensuite de la consommation de chacun
3. En 2008, selon l’enquête de l’Institut national
des membres du ménage et permettrait la cohé-
de la statistique et des études économiques (Insee),
rence des préférences et la maximisation de la
« Revenus fiscaux et sociaux rétropolées 1996 à
fonction d’utilité du ménage. Ce modèle a depuis
2004 », 20 % des individus ont un niveau de vie
été largement contesté (Browning et al. 1994 ;
inférieur à 13 120 euros et 10 % inférieur à
Gun 2003).
10 520 euros.
14. Grâce à une analyse statistique de l’enquête
4. Il existe un brevet de technicien supérieur et un
Insee « Budget de Famille 2001 », elle montre en
diplôme d’État de conseillère en économie sociale
effet qu’il n’y aurait pas « équivalence parfaite entre
et familiale.
un euro gagné par l’homme et un euro gagné par
5. Soit six entretiens entre mars 2007 et juin 2008 la femme » tandis que certains postes budgétaires
et quatre stages d’une semaine chacun, entre sont « clairement sexués ».
juillet 2007 et octobre 2008 au cours desquels j’ai
pu consulter ses dossiers, assister à ses rendez-vous 15. Richard Hoggart précisait ainsi au sujet des
et l’accompagner dans ses visites à domicile. jeunes filles qui travaillent au-dehors qu’elles ver-
saient une pension mais que « leur contribution au
6. Revenu minimum d’insertion. budget familial [était] bien inférieure à ce que
7. Le calcul des impôts locaux ne suit pas les coût[ait] leur présence au foyer » (Hoggart 1970 :
mêmes règles que celui des impôts sur le revenu. 91).
8. Habitation à loyer modéré. 16. On notera ainsi que si le revenu de Jérémy est
9. Selon les administrateurs de l’Insee, ces pris en compte dans le montant des allocations
dépenses « pré-engagées » sont caractérisées par le familiales, de l’aide personnalisée au logement ou
fait qu’elles « sont réalisées dans le cadre d’un de la taxe d’habitation, Jérémy paie ses impôts
contrat difficilement renégociable à court terme », comme un célibataire. À l’instar de ce que permet-
voir « Fiche méthodologique sur les dépenses pré- tait donc déjà de souligner le cas Malburet (Per-
engagées et le revenu arbitrable », Insee, mai 2009, rin-Heredia 2009), l’absence d’uniformisation des
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distinction entre banque de dépôts et banque proposée par Milton Friedman (1957) qui suggé-
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d’affaire, la mensualisation des salaires (loi du rait de décomposer le revenu selon deux modalités,
1er janvier 1978) et le règlement obligatoire en l’une dite « permanente » (que l’agent peut antici-
chèque ou par virement lorsque les montants excè- per), l’autre « transitoire » (à caractère aléatoire).
dent 1 500 euros (montant fixé par décret n° 85- Cependant, selon cette théorie, le revenu perma-
1 073 du 7 octobre 1985). Pour de plus amples nent pourrait être anticipé sur sa durée de vie
détails voir la thèse de Jeanne Lazarus (2009 : 59- totale (Rasselet 2006) ce qui apparaît en contra-
61). diction avec les caractéristiques des conditions
21. Source enquête Insee « Emploi en continu dans l’emploi des ménages populaires.
2006 », disponible à l’adresse URL suivante : 23. Électricité de France ; Gaz de France.
http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=ir- 24. Les artisans, par exemple, sont eux aussi sou-
eec06&page=irweb/eec06/dd/eec06_nat_paco.htm mis à l’incertitude mais leurs revenus leur permet-
(consulté le 22 juin 2011). tent, le plus souvent, d’en atténuer les effets en se
22. Cette distinction entre revenus réguliers et constituant notamment un patrimoine (Mazaud
irréguliers n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle 2011).
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