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L'ÉQUIVALENCE RICARDIENNE DANS LES MODÈLES DE CROISSANCE

AVEC ACCUMULATION DE CAPITAL

Emmanuel Thibault

Dalloz | « Revue d'économie politique »

2003/2 Vol. 113 | pages 171 à 197


ISSN 0373-2630
DOI 10.3917/redp.132.0171
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2003-2-page-171.htm
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L’équivalence ricardienne dans les modèles

• BILAN / ESSAI
de croissance avec accumulation de capital
Emmanuel Thibault*

Dans cet article nous nous proposons de retracer les grandes lignes de la controverse
théorique sur l’efficacité ou la neutralité de l’émission d’une dette publique. Il ressort de
l’étude de différents modèles de croissance à générations imbriquées que, davantage
que la durée de vie ou l’horizon de calcul d’un agent, c’est sa décision de laisser ou pas
un héritage à ses enfants qui détermine la validité du théorème d’équivalence ricar-
dienne. La contrainte de positivité des legs se trouvant au centre du débat macroéco-
nomique sur la neutralité de la dette publique, nous examinons quels sont, dans la
littérature, les facteurs qui incitent un parent à laisser ou non un héritage.
dette publique - modèles de croissance - altruisme

Ricardian equivalence in growth models


with capital accumulation

In this paper we focus on the theoretical issue of the efficiency or neutrality of public
debt in growth models with capital accumulation. We show, considering several OLG
models, that this is the decision of the households in terms of bequests that matters for
the validity of the Ricardian equivalence theorem rather than the length of their plan-
ning horizon or their life duration. Consequently, we study the economic conditions that
lead parents to leave a positive bequest to their children.
public debt - growth models - altruism
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Classification JEL : H60, H31, D64

Dans la plupart des pays de l’OCDE, les gouvernements ont généralement


poursuivi au cours des 25 à 30 dernières années des politiques fiscales
favorisant l’accumulation de déficits budgétaires qui ont conduit à une crois-
sance démesurée de l’endettement public. A la lumière de l’évolution histo-
rique des finances publiques et de la forte volatilité du rapport dette/PIB,
l’Union Européenne a jugé important de revoir le rôle et les possibilités de la

* GREMAQ, Université de Toulouse I, Manufacture des Tabacs, 21 Allée de Brienne,


F-31000 Toulouse, France
Tel : 05 61 12 85 57/Fax : 05 61 22 55 63 — Email : emmanuel.thibault@univ-tlse1.fr
Je tiens à remercier Stéphane Auray, Bruno Decreuse, Martial Dupaigne, Philippe Michel,
Pierre Pestieau, Alain Venditti, Jean-Pierre Vidal et deux rapporteurs anonymes de cette
revue pour leurs commentaires et suggestions qui ont permis d’améliorer ce travail.

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politique fiscale dans le contexte actuel. Cette réflexion a conduit à la ratifi-


cation des traités de Maastricht et Amsterdam qui prévoient une réduction
drastique du niveau d’endettement de certains pays de la zone Euro.
Le retour vers des budgets affichant des déficits publics moins élevés et
éventuellement équilibrés est plutôt récent et peut être fragile. Cependant,
ce retour reflète l’abandon et le rejet des prévisions keynésiennes au profit
des tenants de l’hypothèse ricardienne. Il relance donc un vieux débat, initié
par David Ricardo, sur l’efficacité du recours à l’emprunt plutôt qu’à l’impôt
pour financer un volume donné de dépenses publiques.
En reprenant à son compte l’argument ricardien, en vertu duquel il y a
équivalence entre le financement par l’emprunt ou par la fiscalité des dé-
penses publiques, la nouvelle école classique a remis en cause la thérapeu-
tique keynésienne de relance par le déficit budgétaire. Le débat théorique a
porté essentiellement sur les fondements microéconomiques des réactions
des consommateurs au recours de tel ou tel mode de financement des
dépenses publiques.
Les grandes polémiques de l’histoire de la pensée économique, auxquel-
les le débat politique fait plus tard écho, sont d’ordre théorique. C’est sans
doute ce que Karl Marx avait à l’esprit lorsqu’il déclarait (cité par Guesnerie
[1996, p. 33]) : « L’économie ne peut s’aider des seuls réactifs de la chimie,
[...] l’abstraction est la seule force qui peut lui servir de guide ».
Dans cet article nous nous proposons de retracer les grandes lignes de la
controverse1 théorique sur l’impact et l’efficacité de l’émission d’une dette
publique qui agite le monde des macroéconomistes.
Les modèles de croissance avec accumulation du capital nous semblent
constituer le cadre naturel pour ce type de travail. En effet, les modèles
étudiés dans cet article ont tous été construits, à l’origine, pour permettre
d’examiner l’impact macroéconomique des déficits budgétaires. Pour la plu-
part, ces modèles ont été formulés en temps continu. Les nombreux déve-
loppements mathématiques liés à la mécanique sont, a priori, à l’origine de
l’utilisation du temps continu dans les modèles économiques théoriques.
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Cependant, les données disponibles conduisent naturellement à une modé-
lisation en temps discret. Pour cette raison, et parce que l’utilisation du
temps discret permet en général des simplifications techniques et une inter-
prétation économique plus aisée, tous les modèles que nous présentons
sont reformulés en temps discret.
La première partie de cet article est consacrée aux liens qui existent entre
la validité de l’argument ricardien et la durée de vie (ou l’horizon de calcul)
des individus qui constituent l’économie. En effet, jusqu’au milieu des an-
nées 70, l’idée selon laquelle le théorème d’équivalence ricardienne n’était
satisfait qu’en présence d’agent à durée de vie infinie était largement ré-
pandu ; les économistes se référant au modèle de croissance optimale dé-
veloppé en 1928 par Ramsey. En se focalisant sur le comportement d’épar-

1. Pour une présentation claire de cette controverse, le lecteur peut se référer à Descamps
et Page [1994]. Seater [1993] propose une étude très détaillée du débat empirique sur l’équi-
valence ricardienne. Pour des tests sur des données des pays de l’OCDE, le lecteur peut se
reporter à Kessler, Perelman et Pestieau [1986].

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gne des individus, Franck Ramsey montre que l’émission d’une dette
publique n’entraîne aucun effet de richesse agrégé et n’a de ce fait aucun
impact sur la consommation agrégée.
Cependant, cette intuition est infirmée par l’analyse d’un certain type de
modèles à générations imbriquées connus sous le nom de modèles de jeu-
nesse perpétuelle (modèles de Blanchard [1985], Buiter [1988] et Weil
[1989]). En effet, lorsque nous prenons en compte les effets richesse dues à
la croissance de la population, l’existence d’agents à durée de vie ou horizon
de calcul infinis n’est ni nécessaire, ni suffisante pour obtenir le théorème
d’équivalence ricardienne.
Intuitivement, les agents présents au moment de l’émission d’une dette
augmentent leurs consommations non parce qu’ils savent qu’ils ont des
chances d’échapper à la future hausse d’impôt que le remboursement de la
dette ne manquera pas d’entraîner, mais parce qu’ils anticipent l’arrivée de
nouveaux individus qui les aideront à la supporter. Ainsi, d’après Weil [1989,
p. 183/196] : « The length of consumers’ planning horizons bears no logical
relation to the issues raised by the Ricardian debt neutrality proposition or
the efficiency of competitive equilibria [...] The crucial ingredient is the conti-
nuous arrival into the economy of new, infinitely-lived dynasties which are,
by definition, not part of pre-existing families in the sense that they are not
linked to older cohorts through operative interdynastic transferts. »
C’est donc l’étude des liens qui unissent les individus qui meurent et ceux
qui naissent qui détermine si oui ou non l’émission d’une dette publique est
neutre. Nous retrouvons alors l’argument développé par Robert Barro dès
1974 : la présence de transferts intergénérationnels engendre des dynasties
d’agents altruistes qui peuvent permettre de valider l’argument ricardien.
D. Elmendorf et G. Mankiw [1999] (Handbook of Macroeconomics) souli-
gnent l’importance que ce célèbre article de Barro occupe dans le débat sur
l’argument ricardien : « In a way, Barro can be viewed as the Christopher
Columbus of Ricardian equivalence. Columbus was not the first European to
discover America, for Leif Ericsson and others had come before. Instead,
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Columbus’s great confidence in the importance of his mission ensured that
he was the last european to discover America : after Columbus, America
stayed discovered. Similarly, Robert Barro was not the first economist to
discover Ricardian equivalence, but he was surely the last. Since Barro’s
work, Ricardian equivalence has maintained its place at the center of the
debate over government debt, and no one will be able to discover it again. »
La littérature offre aujourd’hui un large éventail de modèles théoriques2
qui témoigne de la diversité des motifs de transmissions intergénérationnel-
les. Dans ces modèles, les transferts peuvent aussi bien répondre à des
considérations égoïstes où le legs procure en soi du bien être aux légateurs
sans qu’ils se préoccupent de la situation des héritiers (legs paternaliste,
legs d’échange pur ou stratégique) qu’à un désir d’altruisme où les caracté-
ristiques des héritiers influencent directement les comportements de trans-
missions de leurs bienfaiteurs (legs altruiste).

2. Le lecteur peut se référer à Masson et Pestieau [1991] ou Laferrère [1997] pour une
présentation des modèles d’héritages et une étude de leurs implications.

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L’incidence de l’émission d’une dette varie selon les comportements de


transmission des ménages. Cette diversité des réactions aux politiques de
redistribution de l’Etat montre que chaque forme de legs dessine un monde
particulier où non seulement les facteurs explicatifs des transmissions, mais
aussi le rôle de l’héritage sont différents3.
De nos jours, la forme d’altruisme la plus couramment utilisée dans la
théorie économique reste l’altruisme dynastique étudié, dès 1974, tant par
Barro [1974] que par Becker [1974]4. Elle revient à considérer que les indivi-
dus sont sensibles au bien-être de leurs enfants. Le consommateur altruiste
maximise une somme constituée de l’utilité de ses propres consommations
et de celle de ses enfants ; cette dernière étant pondérée par le degré d’al-
truisme du parent.
L’héritage que le parent lègue à ses enfants doit être positif ou nul. Cette
hypothèse est parfaitement justifiée dans la mesure où nous étudions des
décisions d’agents privés : les enfants n’étant pas, d’après la loi, tenus d’ac-
cepter l’héritage de leur parents, ce dernier ne peut pas prendre la forme
d’une dette.
En étudiant l’impact de l’émission d’une dette publique dans différents
modèles à générations imbriquées dans lesquels la population est consti-
tuée (entièrement ou partiellement) d’agents altruistes (modèles de Barro
[1974] et de Michel et Pestieau [1998]), nous montrerons que la présence
d’au moins une dynastie d’agents altruistes liés par des legs strictement
positifs permet de retrouver le théorème d’équivalence ricardienne.
Insistons sur le fait qu’il ne suffit pas que les parents intègrent dans leur
utilité le devenir de leurs enfants pour que l’on retrouve l’équivalence ricar-
dienne. Il est en outre nécessaire que les conditions économiques les inci-
tent à effectuer un legs positifs.
La contrainte de positivité des héritages étant au coeur du débat macroé-
conomique sur la neutralité de la dette publique, nombreux sont les écono-
mistes qui ont cherché les conditions sous lesquelles les parents laissent un
legs. Nous commencerons par examiner les premiers travaux menés par
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Barro [1974], Drazen [1978] et Carmichael [1982]. Enfin, de la condition de
Weil [1987] et ses généralisations (Abel [1987], Vidal [1996b]) fréquemment
utilisées dans la littérature jusqu’aux développements les plus récents (Thi-
bault [2000a]), nous analyserons les motivations économiques qui condui-
sent un parent à laisser un héritage.
Une étude précise de l’optimalité des équilibres de chacun des modèles
macroéconomiques à fondements microéconomiques étudiés jalonne cet
article. Elle permet de souligner l’impact et l’importance des conséquences
que l’émission d’une dette publique peut avoir sur le bien être des agents.
Ainsi, cet article est organisé comme suit. La section 1 traite de l’impact de
la durée de vie et de l’horizon de calcul des agents sur la validité du théorème
d’équivalence ricardienne. Dans la section 2, nous nous intéressons aux

3. Masson et Pestieau [1991] et Pestieau [1991] étudient les conséquences macroécono-


miques de chaque type de modèles d’héritages.
4. Voir Michel, Thibault et Vidal [2003] pour une présentation détaillée de l’hypothèse
d’altruisme dynastique.

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conséquences, en termes de politiques économiques, de l’introduction dans les


modèles de croissance de l’hypothèse d’altruisme dynastique. La section 3 pro-
pose d’examiner quels sont, dans la littérature théorique, les facteurs économi-
ques qui incitent un parent à laisser ou non un héritage. La dernière section
conclut et motive les choix effectués dans ce survol de la littérature.

1. Impact de la durée de vie


et de l’horizon de calcul des agents
sur l’argument ricardien

Dans cette partie nous étudions la validité de l’argument ricardien selon la


durée de vie et l’horizon de calcul des agents. Nous définissons l’horizon de
calcul d’un agent comme la durée sur laquelle il planifie ses décisions, i.e.,
l’horizon sur lequel il optimise son bien-être. Nous considérons dans cette
section des individus « égoïstes » qui ne se préoccupent que de leur utilité
de cycle de vie. Ainsi, toute différence entre leur durée de vie et leur horizon
de calcul ne peut provenir que d’une incertitude sur leur durée de vie. Pour
analyser l’impact de l’émission d’une dette publique, selon que la durée de
calcul et/ou l’horizon de vie des individus sont finis ou infinis, nous distin-
guons trois classes de modèles.

1.1. Les modèles de croissance optimale


avec agents à durée de vie et horizon
de calcul infinis
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Commençons par nous intéresser aux modèles de croissance optimale
composés d’individus à durée de vie (et donc à horizon de calcul) infinie.
Initialement développé par Ramsey [1928], ce type de modèle constitue le
premier cadre théorique dans lequel il y a neutralité de la dette publique.
Franck Ramsey se propose d’étudier le problème de l’allocation optimale
des ressources à travers les décisions de consommation, d’épargne, d’inves-
tissement et d’accumulation du capital. Son modèle décrit une économie
concurrentielle sans incertitude et sans monnaie, dans laquelle les agents
sont homogènes et vivent une infinité de périodes. L’allocation des ressour-
ces obtenue du fait d’un fonctionnement décentralisé de l’économie sera
alors la même que celle choisie par un planificateur qui maximise l’utilité
d’un agent représentatif5.

5. Le lecteur peut se reporter à Michel [1992] pour une étude précise du modèle de
Ramsey en temps discret et à Venditti [1996] pour une étude détaillée des propriétés des
modèles de croissance optimale.

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En se focalisant sur le comportement d’épargne des individus, Ramsey


montre que le choix entre l’impôt et le déficit affecte la structure intertem-
porelle des impôts, mais non le montant global des taxes, exprimé en valeur
actualisée. Par conséquent, pour un flux donné de dépenses publiques, la
politique fiscale n’entraîne aucun effet de richesse agrégé et n’a de ce fait
aucun impact sur la demande de consommation agrégée. Nous obtenons
ainsi le théorème d’équivalence ricardienne qui stipule que :
Pour financer une trajectoire de dépenses donnée, le choix entre une taxe
forfaitaire ou l’émission d’une dette n’a d’effet ni sur le comportement de
consommation des agents, ni sur l’accumulation du capital.
L’intuition est simple. Une baisse des impôts et un déficit budgétaire
aujourd’hui nécessitent des impôts plus élevés dans le futur. L’émission
d’une dette publique pour financer une baisse d’impôts représente seule-
ment un ajournement des taxes et, en aucun cas, une réduction de la charge
fiscale. Les consommateurs étant supposés rationnels, ils anticipent la fu-
ture hausse d’impôts qu’implique l’émission d’une dette. Comprenant que
leur charge fiscale reste inchangée ils ne répondent pas à la baisse d’impôts
par une augmentation de leur consommation, mais épargnent le gain de
cette baisse pour faire face à la future augmentation des prélèvements. Il
résulte donc de ce comportement que la diminution de l’épargne publique
(ou l’augmentation du déficit public) est exactement compensée par une
hausse de l’épargne privée.

1.2. Les modèles à générations imbriquées


avec agents à durée de vie et horizon
de calcul finis

Intéressons nous maintenant aux modèles à générations imbriquées dans


lesquels les individus vivent, de façon déterministe, deux périodes. En ab-
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sence d’incertitude, la durée de vie et l’horizon de calcul des individus coïn-
cident.
Comme ils comportent une infinité de générations d’agents à durée de vie
finie, les modèles de croissance à générations imbriquées développés initia-
lement par Samuelson [1958] (cas d’une économie d’échange) et Diamond
[1965] (cas d’une économie avec production) vont nous permettre, tout au
long de cet article, d’étudier le rôle des transferts publics ou privés entre les
générations6.
Commençons par analyser dans quelles mesures l’argument ricardien est
rompu dans le modèle de Diamond [1965] où le temps est supposé discret et
le monde parfaitement concurrentiel.
La population Nt au temps t croît au taux exogène n. Tous les agents de
toutes les générations sont identiques. Dans ce cadre, un individu né en t vit

6. L’apport des modèles à générations imbriquées en macroéconomie est étudié par Mi-
chel [1993].

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deux périodes. Actif pendant la première, il reçoit le salaire wt, épargne st et


consomme ct. Retraité en seconde période de vie, le rendement de son
épargne 共 1 + rt + 1 兲 st finance sa consommation dt + 1. Dans la tradition des
modèles néoclassique, l’agent maximise l’utilité de ses consommations
U 共 c, d 兲 sur son cycle de vie7.
Le maximum d’utilité correspond au choix d’une épargne réelle qui dé-
pend du taux de salaire et du facteur d’intérêt :
D
st = s 共 wt, 1 + rt + 1兲 = arg max U 共 wt − s, 共 1 + rt + 1兲 s兲 [1]
s

L’économie est dotée d’un secteur de production néoclassique à rende-


ments d’échelle constants. A chaque période les firmes maximisent leurs
profits. Le salaire réel w est alors égal à la productivité marginale du travail
et le taux d’intérêt r à la productivité marginale du capital nette de la dépré-
ciation8.
Le stock de capital de la période t + 1 étant financé par l’épargne des
jeunes nés à la période t, nous obtenons l’équation d’évolution suivante :
D
共 1 + n 兲 kt + 1 = s 共 f 共 kt 兲 − kt f′ 共 kt 兲, f′ 共 kt + 1兲兲 [2]

Un stock de capital kD solution de l’équation d’accumulation du capital (2)


définit un équilibre stationnaire du modèle de Diamond [1965]9.
L’équilibre sur le marché du bien produit est tel que :10

dt
Ct = ct + = f 共 kt 兲 − 共 1 + n 兲 kt [3]
1+n + 1

Le maximum de consommation stationnaire Cor est donc réalisé avec le


stock kor de capital f′− 1 共 1 + n 兲 de la règle d’or. Par suite, si un équilibre
stationnaire kD est supérieur à la règle d’or alors une diminution de l’épar-
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gne permet d’atteindre kor. Puisqu’il est possible d’augmenter toutes les
consommations de toutes les générations, l’équilibre stationnaire est sous-
optimal au sens de Pareto lorsqu’il est en sur-accumulation de capital ( i.e.,
D or
k > k ). En revanche, lorsque un équilibre concurrentiel est en sous-

7. Traditionnellement, nous supposons que U 共 c, d 兲 est deux fois continûment différenti-


able, strictement croissante et concave. De plus :
lim U′c 共 Z, d 兲 = + ∞ et lim U′d 共 c, Z 兲 = + ∞.
Z→0 Z→0

8. La production de la période t dépend du stock de capital Kt et du nombre de salariés de


la période courante : Yt = F 共 Kt, Nt 兲. En variable par jeune de la période t nous avons donc :
Yt /Nt = f 共 kt 兲 = F 共 kt, 1 兲 où kt = Kt /Nt. En supposant une dépréciation totale du capital en une
période nous obtenons wt = f 共 kt 兲 − kt f′ 共 kt 兲 et rt = f′ 共 kt 兲 − 1.
9. L’existence, l’unicité ou la multiplicité de tels équilibres sont analysées par Galor et
Ryder [1989].
10. En effet, comme F est homogène, nous avons
F 共 Kt, Nt 兲 = 共 1 + rt 兲 Kt + wt Nt = 共 1 + rt 兲 st − 1 Nt − 1 + 共 cs + st 兲 Nt = Nt − 1 dt + Nt ct + Nt st.

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accumulation de capital ( i.e., kD < kor), il est efficace ou Pareto optimal. En


effet, le seul moyen de se rapprocher de la règle d’or et d’augmenter le stock
de capital stationnaire est qu’une génération décide d’épargner d’avantage.
Or, une telle hausse de l’épargne entraînerait immanquablement une baisse
de la consommation des individus de la génération en question. Ainsi :
Contrairement au modèle de croissance optimale de Ramsey [1928] qui
converge vers la règle d’or kor, un équilibre kD du modèle à générations
imbriquées de Diamond [1965] peut être sous-optimal au sens de Pareto.
Comme le choix d’épargne de l’agent dépend de sa richesse de première
période, l’émission d’une dette publique va avoir de réelles conséquences
sur le comportement des variables individuelles et agrégées de l’économie.
Diamond s’interesse aux conséquences que la dette publique peut avoir sur
l’accumulation du capital. Pour cela, il suppose que l’État émet à chaque
période une dette qui vient à maturité à la période suivante. Ces dettes sont
financées par une taxation forfaitaire des revenus salariaux des jeunes. Dia-
mond étudie la situation où l’État choisit le montant forfaitaire de la taxation
de façon à laisser constant le niveau de dette par jeune. Dans ce contexte, la
dette publique a pour effet de faire baisser le stock de capital vers lequel
l’économie converge11.
Ainsi, lorsque l’équilibre concurrentiel sans dette est en sous-
accumulation de capital, la dette publique détériore cet équilibre. En revan-
che, la politique envisagée ci-dessus ayant comme conséquence de faire
désépargner les agents, elle améliore l’équilibre concurrentiel si l’équilibre
sans dette est en sur-accumulation de capital. Les conclusions sont donc
significativement différentes de celles obtenues dans le cadre des modèles
avec agents à durée de vie infinie puisque :
Une dette publique permanente qui n’est jamais remboursée peut per-
mettre de capter un excès d’épargne et conduire l’économie sur un sentier
Pareto optimal. Ainsi, non seulement la dette publique a des effets réels sur
l’économie, mais, elle peut améliorer le bien être de toutes les générations.
A la lumière des deux sections précédentes, la durée de vie et/ou l’horizon
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de calcul des agents paraissent constituer des éléments essentiels à la vali-
dité du principe d’équivalence ricardienne. Il nous reste à analyser la « part »
de la non-équivalence qui revient à l’introduction d’une durée de vie finie et
celle due à l’horizon de calcul fini.

1.3. Les modèles à cohortes avec agents


à durée de vie finie et horizon
de calcul infini

D’après l’argument de Ramsey, si l’agent ne profite pas d’une baisse des


impôts pour augmenter sa consommation, c’est parce que cet individu est

11. Pour une exposition détaillée de ce résultat le lecteur peut se référer à Michel [1993] ou
Blanchard et Fischer [1989].

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certain d’avoir à supporter plus tard la hausse des taxes qu’entraîne imman-
quablement la précédente baisse. Pour valider cette intuition, Blanchard
[1985] élabore un modèle de croissance dans lequel chaque individu fait
face à une probabilité de décès tout au long de sa vie.
Par simplicité, ce risque de décès, noté q, est supposé constant. Cette
hypothèse de modélisation est cruciale car elle revient à supposer qu’à
chaque période t un agent a une probabilité 1 − q de vivre la période t + 1.
Ainsi, l’espérance de vie résiduelle :
t=+ ∞

E共v兲 = 兺
t=0
t
共 1 − q 兲 = 1/q

est la même quel que soit l’âge auquel nous la calculons. Une personne
ayant la même espérance de vie résiduelle tout au long de sa vie, ce type de
modèle à générations imbriquées est connu sous le nom de modèle de
jeunesse perpétuelle.
A chaque période nous supposons que naît une cohorte de mesure q. A la
période t, la taille d’une cohorte née en s < t est alors égale à
t − s
q × 共1 − q兲 , c’est-à-dire, la taille initiale de la cohorte multipliée par la
probabilité d’être encore vivant à la période t.
Un système parfait de rente viagère ou d’assurance-vie est nécessaire
pour que les agents ne meurent pas en laissant une richesse positive non
consommée ou des dettes non remboursées. Ce système, qui incite les
créanciers à prêter, permet aux débiteurs d’emprunter. Concrètement, les
individus assurent l’ensemble de leur richesse (humaine et non humaine),
at. La compagnie paie une prime qat à chaque période. En échange, elle
récupère at à la mort de l’agent12.
De façon à simplifier l’agrégation des variables de l’économie, nous sup-
posons que l’utilité instantanée d’un consommateur est logarithmique. Nous
notons cs, t la consommation d’un agent né en s vivant à la période t. L’in-
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certitude dans l’économie ne provenant que de la date de sa mort, un agent
vivant en t et né en s maximise13 :
z=+ ∞


z=t
K
z − t
ln cs, z

où K est une constante positive qui dépend de q et du taux de préférence


pour le présent h de l’agent.
Pour obtenir les variables agrégées de l’économie, il faut additionner les
valeurs individuelles de chaque cohorte pondérées par le nombre d’agents

12. Ainsi, les agents ne laissent pas d’héritage (ni positif, ni négatif) et cela nous permet,
comme le titre de cette sous-section l’indique, d’étudier la validité de l’argument ricardien
dans un cadre sans transferts entre générations où l’horizon de calcul est infini et la durée de
vie finie.
13. Bien que sa durée de vie soit finie, l’agent maximise son utilité instantanée jusqu’à
l’infinie car son horizon de calcul est infini. En effet, à chaque période où il est encore vivant,
il a une probabilité positive de continuer à vivre.

REP 113 (2) mars-avril 2003


180 —————————————————————————————————————————————————— Emmanuel Thibault

de la cohorte encore présents en t. Ainsi, nous pouvons définir la consom-


mation agrégée Ct de la période t :
s=t

Ct = 兺
s=− ∞
q共1 − q兲
t − s
cs, t

Pour financer ses dépenses, l’État prélève une taxe forfaitaire Tt et s’en-
dette auprès du secteur privé. De façon à équilibrer ses comptes, la valeur
courante de la dette doit être, à chaque période, égale à la valeur actualisée
des surplus primaires.
Supposons que l’État, tout en conservant sa trajectoire de dépenses, dé-
cide à la période t de baisser les impôts. De façon à ne pas violer sa
contrainte de solvabilité, il devra compenser, à une certaine date t + j, le
manque à gagner induit par la baisse des impôts en t. Ce dernier est égal à
la valeur de la diminution des impôts plus les intérêts composés de cette
baisse.
En notant C x t la consommation agrégée des agents lorsque l’État ne pré-
lève que Tx t au lieu de Tt à la période t et compense ce manque à gagner j
périodes plus tard, il est possible de montrer que :

x − Ct = − c 共 1 − 共 1 − q 兲 兲 共 Tx t − Tt 兲
j
C [4]

où c est une constante positive qui dépend de q et h.


Lorsque q tend vers zéro nous nous retrouvons dans la logique du modèle
de Ramsey et les variations de Tt n’ont aucun impact sur la consommation
des agents. En revanche, lorsque q est positif, une diminution des impôts à
la période t a un effet positif sur la consommation. En effet, comme Tx t − Tt
est négatif, C
x t est supérieur à Ct.
Plus précisément, le facteur 1 − 共 1 − q 兲j représente la probabilité qu’un
agent qui bénéficie de la baisse des impôts à la période t échappe à la
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hausse des prélèvements de la période t + j. C’est donc la probabilité qu’un
agent soit mort à la période t + j alors qu’il est vivant à la période t.
Intuitivement, c’est parce que l’agent n’est pas certain d’avoir à supporter
plus tard la hausse des taxes, qu’il profite de leur baisse pour augmenter sa
consommation. Cette intuition est renforcée par le fait que plus le rembour-
sement de la baisse d’impôts est différé ( i.e., plus j est grand), plus les
agents augmentent leur consommation courante au moment de la réduction
des impôts.
Ainsi, le fait que les agents puissent échapper de façon certaine ou aléa-
toire au transfert temporel des prélèvements fiscaux implique nécessaire-
ment que l’équivalence ricardienne soit rompue dans les modèles de Dia-
mond [1965] et Blanchard [1985]. Ce défaut d’équivalence tient alors
uniquement au report sur les générations ou cohortes futures d’une partie
du remboursement de la dette contractée du vivant de la génération de
référence.
Puisque, contrairement au modèle de Ramsey [1928] avec agents à durée
de vie infinie, l’argument ricardien n’est pas valide dans les modèles de
REP 113 (2) mars-avril 2003
L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance... ——————— 181

Diamond [1965] et Blanchard [1985] avec agents à durée de vie finie, la


durée de vie joue un rôle important dans l’étude des conséquences de
l’émission d’une dette publique.
Nombreux sont les économistes qui ont étudié la robustesse d’un tel
constat. Il s’avère que la prise en compte d’éléments de modélisation sup-
plémentaires va nuancer l’impact de la durée de vie sur l’argument ricar-
dien.
Un argument standard qui, par exemple, permet de lever l’hypothèse
d’équivalence tient tout simplement à l’introduction d’une croissance de la
population. En effet, sous certaines hypothèses, le report des prélèvements
fiscaux conduit à une mutualisation accrue des prélèvements futurs, et donc
à l’apparition d’effets richesses.
Si le modèle de Diamond [1965] ne nous permet pas de distinguer la
« part » de la non-équivalence qui revient à l’introduction de générations (et
donc au mécanisme de non-paiement des prélèvements futurs), et celle qui
revient à la baisse des prélèvements par tête, la structure du modèle de
jeunesse perpétuelle va nous permettre d’établir une telle distinction.
Tout comme Blanchard [1985], nous avons considéré que les taux de
natalité et de mortalité coïncidaient et ainsi travaillé avec une population
constante. Relâcher cette hypothèse a permis à Buiter [1988] et Weil [1989]
de mieux appréhender les liens qu’ils existent entre la croissance de la
population (et donc de l’effet richesse), la durée de vie des individus et
l’argument ricardien.
La structure des modèles étudiés par Buiter [1988] et Weil [1989] est, à une
exception près, en tout point similaire à celle du modèle de Blanchard [1985]
(programme des agents, système parfait d’assurance vie...). La différence
provient du fait que Buiter[1988] et Weil [1989] s’intéressent au cas où le
taux de natalité est non plus q mais q ; générant ainsi un taux de croissance
de la population.
En supposant que q tende vers zéro et q positif, Weil [1989] montre que
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dès qu’il y a dans l’économie l’apparition de nouvelles générations, une
réduction des impôts a, à court terme, un effet positif sur la consommation.
Ainsi :
L’équivalence ricardienne n’est plus valide lorsque le taux de natalité de
l’économie est positif ; et ce quand bien même le risque de décès tend vers
zéro (i.e., avec des agents à durée de vie infinie).
Le taux de natalité joue donc ici un rôle important. Intuitivement, il suffit
qu’il existe dans l’économie au moins un agent qui n’est pas été présent au
moment de l’émission de la dette publique pour que l’argument ricardien
soit invalidé. En effet, les agents présents au moment du cadeau fiscal
(émission d’une dette ou réduction des taxes) augmentent leurs consomma-
tions s’ils anticipent l’arrivée de nouveaux individus susceptibles de les
aider à supporter la hausse des impôts qu’inévitablement l’État décidera
pour équilibrer ses comptes. Inversement, Buiter [1988] a quant à lui remar-
qué que :
L’argument ricardien est vérifié si le taux de natalité q est nul ; ceci même
si l’agent à une durée de vie finie.
REP 113 (2) mars-avril 2003
182 —————————————————————————————————————————————————— Emmanuel Thibault

Ainsi, lorsqu’on prend en compte les effets richesses dues aux variations
de la taille de la population, le fait que la durée de vie des individus soit finie
ou infinie n’est ni nécessaire ni suffisant pour valider ou infirmer l’argument
ricardien.
D’une part, l’ajout d’un « ingrédient » (ici l’introduction d’une croissance de
la population) a pour conséquence la non validité du théorème d’équivalence
ricardienne dans un modèle à durée de vie infinie14. D’autre part l’hypothèse
de durée de vie finie de l’agent n’est pas forcément un obstacle à l’argument
ricardien et les travaux de Weil [1989] précisent que ce sont les liens qui
unissent les individus qui sortent de l’économie et ceux qui y rentrent qui
déterminent si oui ou non l’émission d’une dette publique est neutre.
Les transferts intergénérationnels privés sont la principale source de
connection possible entre les générations. En effet, quelle qu’en soit la mo-
tivation, la transmission d’un héritage crée un lien fort entre le donateur et le
donataire. Dès 1820, Ricardo est conscient de l’impact que les héritages
peuvent avoir sur les politiques fiscales. Selon lui, si les générations sont
liées par des transferts ( i.e., des legs), la famille peut être considérée
comme une entité économique à horizon de calcul infini. Le terme le plus
souvent employé est celui de dynastie. La présence de transferts intergéné-
rationnels engendre des dynasties d’agents altruistes qui peuvent, dans cer-
tain cas, permettre de retrouver l’argument ricardien.
Le rôle et l’importance de l’introduction de l’hypothèse d’altruisme dans
les modèles de croissance ainsi que ses conséquences en termes de politi-
ques économiques font l’objet de la prochaine section.

2. Impact de l’altruisme dynastique


sur l’argument ricardien
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La théorie économique s’est essentiellement construite à partir du para-
digme d’un agent égoïste et rationnel. Dans ce contexte, l’héritage ne peut
apparaître que comme un legs accidentel, conséquence d’une épargne de
précaution sur un cycle de vie à durée incertaine. Excepté pour les tenants
de cette hypothèse de cycle de vie stricto sensu, l’existence de transmis-
sions entre les générations, quelles que soient leurs formes, entre en contra-
diction avec le paradigme de l’agent égoïste.
C’est à Gary Becker que nous devons l’introduction d’hypothèses de com-
portement différentes de celles d’un agent égoïste. Becker et l’école de Chi-
cago cherchent à expliquer l’ensemble des comportements humains au
moyen des principes de base de l’analyse néoclassique, fondés sur l’hypo-
thèse de rationalité calculatoire des individus. Une telle démarche à l’avan-
tage d’inscrire l’individu dans un environnement social et affectif qui, la
plupart du temps, était négligé par l’analyse économique.

14. Tel est aussi, par exemple, le cas lorsque nous introduisons une fiscalité distorsive, des
contraintes de liquidité ou certains types de déséquilibres (réaction à un choc,...).

REP 113 (2) mars-avril 2003


L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance... ——————— 183

Les transferts intergénérationnels répondent alors soit à des considéra-


tions égoïstes des parents où le legs procure en soi du bien-être aux léga-
teurs sans qu’ils se préoccupent de la situation des héritiers (legs de type
paternaliste ou d’échange, pur ou stratégique), soit à un désir d’altruisme où
les caractéristiques des enfants influencent directement les comportements
de transmission de leurs bienfaiteurs (legs altruiste).
La modélisation la plus courante et la plus intuitive de l’altruisme15, l’al-
truisme dynastique, est due à Barro [1974]. Il considère que les individus
sont sensibles au bien-être de leurs enfants. Dans cette section nous allons
étudier l’argument ricardien dans des économies où de tels agents altruistes
existent. Nous distinguons les économies constituées exclusivement
d’agents altruistes de celles où les deux types d’agents (altruistes et égoïs-
tes) coexistent.

2.1. Les modèles avec altruisme dynastique


et agents homogènes

Le modèle à générations imbriquées constitue un cadre naturel pour s’in-


téresser à l’altruisme dynastique, puisqu’il suppose l’existence d’agents de
générations différentes. La structure de ce modèle (temps discret, utilité de
cycle de vie des individus, secteur de production néoclassique, notations...)
est celle du modèle de Diamond [1965] considérée à la section 1.2.
La conception que Barro a de l’altruisme reflète assez bien les relations au
sein de la famille. Il considère que les agents altruistes prennent en compte,
dans leur propre fonction d’utilité, l’utilité de leurs enfants. Leurs préféren-
ces peuvent donc se traduire par une fonction d’utilité vt de la forme :

vt = U 共 ct, dt + 1兲 + bvt + 1 *
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où U 共 ct, dt + 1 兲 représente l’utilité de cycle de vie de l’individu, b ∈ 关 0, 1 兴
son degré d’altruisme intergénérationnel et vt + 1 * le bien-être maximum
atteignable par ses enfants.
La forme additive de vt est essentielle car elle permet de séparer le pro-
blème de l’allocation intertemporelle de la consommation du problème in-
tergénérationnel du choix du legs.
Il est rationnel, pour un individu qui arbitre entre une satisfaction maté-
rielle 共 ct, dt + 1 兲 et une satisfaction psychologique 共 vt + 1 兲, de sacrifier une
partie de ses revenus pour améliorer la situation d’autrui. Lors de sa période
d’activité (de t à t + 1), un agent né en t partage sa richesse, constituée de
son salaire wt et du legs reçu xt, entre sa consommation ct et son épargne st.
Lors de sa seconde période de vie (de t + 1 à t + 2), l’agent alloue le revenu
de son épargne, 共 1 + rt + 1 兲 st, entre sa consommation dt + 1 et le legs xt + 1

15. Comme le souligne Seater [1993, p. 148], le legs altruiste n’est probablement pas le
seul qui permette de retrouver l’équivalence ricardienne ; mais c’est le seul qui ait été étudié.

REP 113 (2) mars-avril 2003


184 —————————————————————————————————————————————————— Emmanuel Thibault

qu’il laisse à chacun de ses enfants. Ce legs doit être positif ou nul. Cette
hypothèse est parfaitement justifiée dans la mesure où nous étudions des
décisions d’agents privés : les enfants ne sont pas, d’après la loi, tenus
d’accepter l’héritage de leur parents.
Par substitution successive de vt + 1, vt + 2, ..., le programme d’un altruiste
né en t ayant reçu un legs xt est formellement équivalent à :

vt = max 兺b
兵 ci, di + 1, xi + 1 其 i∞= t i = t
i − t
U 共 ci, di + 1兲

s.c. ∀ i ≥ t wi + xi = ci + si [5]

共 1 + ri + 1兲 si = di + 1 + 共 1 + n 兲 xi + 1 [6]

xi + 1 ≥0

Ce programme comportant une contrainte inégalitaire, nous obtenons les


conditions marginales d’optimalité suivantes :

U′c 共 ci, di + 1兲 = 共 1 + ri + 1兲 U′d 共 ci, di + 1兲 [7]

− 共 1 + n 兲 U′c 共 ci, di + 1兲 + bU′c 共 ci + 1, di + 2兲 ≤0 共 = si xi + 1 > 0 兲 [8]

La condition (7) est la condition d’arbitrage optimale des consommations


sur le cycle de vie, condition standard dans les modèles à générations im-
briquées. La condition (8) est une condition d’arbitrage optimal des ressour-
ces entre les générations.
Tout comme Barro [1974, p. 1100], nous allons nous restreindre au cas où
les agents laissent tous des legs strictement positifs à leurs enfants. Cela
revient à supposer que la relation (8) est vérifiée avec une égalité. Le bien
fondé d’une telle hypothèse fera l’objet de notre dernière section.
Pour examiner l’impact qu’une dette publique peut avoir sur les compor-
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tements des agents altruistes nous nous limitons, sans perte de généralité,
au cas d’une dette contractée à la période t et remboursée à la période t + 1.
L’État s’endette auprès du secteur privé en empruntant Bt au taux du marché
rt + 1. Chaque jeune né en t détient alors une partie bt de cette dette égale à
Bt /Nt. Cet emprunt est remboursé en taxant de manière forfaitaire les jeunes
nés en t + 1. Ainsi, pour que l’État équilibre ses comptes, chaque jeune né
en t + 1 se voit prélever bt 共 1 + rt + 1 兲/ 共 1 + n 兲.
L’épargne et le legs d’un agent né en t bénéficiant de l’emprunt d’État sont
notées s̃t et x̃t + 1. Les contraintes budgétaires dans lesquelles ces deux
variables apparaissent sont les deux contraintes de l’agent né en t et la
contrainte budgétaire de première période de vie de son enfant :
wt + xt + bt = ct + s̃t

共 1 + rt + 1兲 s̃t = dt + 1 + 共 1 + n 兲 x̃t + 1

wt + 1 + x̃t + 1 − bt 共 1 + rt + 1 兲/ 共 1 + n 兲 = ct + 1 + st + 1

REP 113 (2) mars-avril 2003


L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance... ——————— 185

Nous pouvons remarquer qu’en posant s̃t = st + bt et


x̃t + 1 = xt + 1 + bt 共 1 + rt + 1 兲/ 共 1 + n 兲, ces trois contraintes sont équivalentes
aux contraintes (5) évaluée en t, t + 1 et (6) évaluée en t. L’ensemble des
contraintes sous lequel un agent maximise vt est donc formellement le
même que l’État émette une dette publique ou pas. Une fois réécrit avec nos
deux changements de variables, la seule différence entre les deux program-
mes se situe au niveau des variables de décisions. Dans le premier cas
l’agent maximise par rapport aux consommations ct, dt + 1 et au legs x̃t + 1
alors que dans le cas contraire il choisit ct, dt + 1 et xt + 1. Le legs xt + 1 étant
supposé positif, x̃t + 1 est positif. Optimiser par rapport à l’une ou l’autre de
ces deux variables donne la même condition du premier ordre, car x̃t + 1 est
une fonction linéaire de xt + 1.
Ainsi, lorsque l’État intervient, les conditions du premier ordre (7) et (8)
qui définissent la trajectoire des consommations de tous les agents de la
dynastie restent inchangées. Le théorème d’équivalence ricardienne est
donc vérifié dans le cadre d’une économie avec agents altruistes à durée de
vie finie. Nos deux changements de variables nous permettent de compren-
dre les mécanismes qui sont à l’origine de ce résultat de neutralité :
C’est par une réaffectation compensatoire de leur épargne que les agents
sont en mesure de neutraliser les politiques de redistribution intergénéra-
tionnelle envisagées par l’État. Lors de l’émission d’une dette publique,
l’altruiste contrecarre la politique de l’État en transformant le cadeau fiscal,
bt, en épargne qu’il transmet sous forme d’héritage à ses descendants.
L’équilibre n’est pas affecté par l’endettement de l’État car toute modifica-
tion de la dette publique entraîne une variation des transferts intergénéra-
tionnels qui permet de maintenir inchangés les flux de consommations de
l’ensemble des générations. Conscients que l’émission d’une dette publique
aujourd’hui se traduira par une charge accrue d’impôts pour leurs enfants,
les parents altruistes, de façon à neutraliser les effets de la politique de
l’État, augmentent leur legs de bt 共 1 + rt + 1 兲/ 共 1 + n 兲.
Intéressons nous maintenant aux conséquences, à long terme, d’un tel
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comportement. D’après les conditions marginales (7) et (8), lorsque les
agents font des legs nous obtenons :

关 共 1 + n 兲 − b 共 1 + r 兲 兴 U′d 共 c, d 兲 = 0 [9]

Et comme U′d 共 c, d 兲 > 0 et 1 + r = f′ 共 k 兲, le stock de capital à long terme,


k*, est égal à :

k* = f′
− 1
共 1 +b n 兲
Lorsque les agents sont liés par des transferts positifs, l’économie
converge vers le stock de capital k* de la règle d’or modifiée par le degré
d’altruisme. Ce stock de capital k* est inférieur à celui kor de la règle d’or.
Ainsi, contrairement au modèle à générations imbriquées avec individus
égoïstes, l’équilibre d’une économie avec agents liés par de l’altruisme dy-
nastique est unique et optimal au sens de Pareto.
REP 113 (2) mars-avril 2003
186 —————————————————————————————————————————————————— Emmanuel Thibault

Le comportement de legs des parents vers les enfants permet d’obtenir un


équilibre dynamiquement efficace. C’est évidemment une des forces des
résultats obtenus par Barro16. Non seulement les familles peuvent se subs-
tituer à l’État, mais leurs transferts conduisent à un équilibre Pareto optimal.
L’impact de l’émission d’une dette diffère donc selon que les agents soient
égoïstes (modèle de Diamond) ou s’ils sont mus par un altruisme dynasti-
que (modèle de Barro). Qu’en est-il dans une économie constituée à la fois
d’altruistes et d’égoïstes ?

2.2. Les modèles avec altruisme dynastique


et agents hétérogènes

Les récentes études empiriques menées par Arrondel, Masson et Pestieau


[1997] sur les comportements d’épargne et de legs des ménages corrobo-
rent l’existence, dans notre société, de deux types de ménages : l’un où les
parents laissent volontairement un héritage à leurs enfants et l’autre où les
parents s’intéressent seulement à leur épargne de cycle de vie. Ainsi, les
modèles avec hétérogénéité sur les préférences des agents sont de plus en
plus utilisés pour étudier les répercussions des politiques fiscales (voir par
exemple, Smetters [1999] ou Mankiw [2000])17.
Michel et Pestieau [1998] sont les premiers à développer un modèle dans
lequel coexistent des individus à la Barro qui laissent des héritages et des
agents à la Diamond qui ne font aucun legs. Cette économie est divisée
entre une fraction 共 1 − p 兲 d’égoïstes et p d’altruistes dont les décisions
seront indicées respectivement par e et a. Chaque agent a une fonction
d’utilité de cycle de vie logarithmique de la forme :

U 共 ct, dt + 1兲 = ln ct + nln dt où 0 < n < 1 [10]


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+ 1

D’après la relation (9), l’équilibre stationnaire d’une économie dans la-


quelle il y a au moins une dynastie d’altruistes est celui de la règle d’or
modifiée où :

− 1
k* = f′ 共 共 1 + n 兲/b 兲 ∼ 1 + r* = 共 1 + n 兲/b ∼ w* = f 共 k* 兲 − 共 1 + n 兲 k*/b

16. Même si l’altruisme dynastique permet de retrouver l’argument ricardien, il pose tou-
tefois certaines difficultés. Par exemple, si l’État emprunte à un taux inférieur au taux d’em-
prunt des ménages l’équivalence ricardienne n’est pas vérifiée. De plus, comme le souli-
gnent Bernheim et Bagwell [1988], la neutralité aux politiques de redistribution est si forte
qu’elle peut même impliquer une neutralité aux variations des taxes distorsives.
17. Ainsi pour Mankiw [2000 p. 121] :« ... we need a new macroeconomic model of fiscal
policy. Both the Barro-Ramsey model and the Diamond-Samuelson model are inconsistent
with the empirical finding that consomption tracks current incarne and with the numerous
households with near zero wealth. In addition, the Diamond-Samuelson model is inconsis-
tent with the great importance of bequests in aggregate wealth accumulation [...] There is a
need for a model in which some consumers plan ahead for themselves and their descen-
dants, while others live paycheck to paycheck. »

REP 113 (2) mars-avril 2003


L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance... ——————— 187

Ainsi, quel que soit leur proportion dans la population, les altruistes im-
posent leur point de vue : l’équilibre stationnaire est celui de la règle d’or
modifiée et le taux d’intérêt dépend de leur degré d’altruisme.
Pour comprendre l’intuition de ce résultat nous pouvons le mettre en
perspective avec celui obtenu par Robert Becker [1980]. Ce dernier montre
dans le cadre d’un modèle où les agents ont une durée de vie infinie et des
taux de préférence pour le présent hétérogènes que l’accumulation du capi-
tal à long terme résulte des décisions des individus les plus patients. Dans la
société considérée par Michel et Pestieau [1998], ce sont les altruistes qui,
étant les plus patients, imposent leurs décisions d’épargne.
A la règle d’or modifiée, les rémunérations r* et w* du capital et du travail
sont indépendantes de la proportion d’agents altruistes. Ce n’est cependant
pas le cas du legs stationnaire, noté x*, que fait chaque altruiste. En effet :

共 1 + n 兲 k* − ew* n
x* = où e = [11]
p共e + 共1 − e兲兲 b 1+n

Le legs optimal stationnaire est d’autant plus grand que la proportion


d’égoïstes est importante. Les transferts sont donc pour les altruistes le
moyen de compenser l’insuffisance d’épargne des individus égoïstes. Afin
de maintenir le stock de capital à son niveau de la règle d’or modifiée, une
augmentation relative du nombre d’égoïstes qui aurait tendance à faire bais-
ser l’épargne agrégée est contrecarrée par une hausse, via les legs, de
l’épargne des altruistes.
Comme Diamond [1965], Michel et Pestieau [1998] étudient l’effet d’une
dette publique dont le montant par individu jeune, b, est maintenu constant.
A chaque période t une taxe forfaitaire st est prélevée aux jeunes de façon à
financer la part des intérêts non couverte par l’évolution globale de la dette
qui croît au même taux que la population :

st = 冉 冊
rt − n
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b
1+n

La taxe étant forfaitaire et non distorsive, les contraintes budgétaires (5) et


(6) des agents changent mais les conditions du premier ordre (7) et (8) des
altruistes ne sont pas affectées par l’intervention de l’État. Ainsi, d’après (9)
l’économie converge toujours à long terme vers la règle d’or modifiée.
Cependant, les auteurs montrent que le revenu de cycle de vie x qui
permet à l’agent de consommer pendant ces deux périodes de vie est tel
que :
− 1
xe = w* − s avec s = 共 b − 1兲 b

共1 − p兲 s b 共 1 + r* 兲
xa = w* + x* + et x = x* +
p p共1 + n兲

Le revenu de cycle de vie des égoïstes est diminué du montant de l’impôt


prélevé. En revanche, les taxes payées par les égoïstes ont pour consé-
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188 —————————————————————————————————————————————————— Emmanuel Thibault

quence d’accroître le revenu des altruistes. En effet, le niveau de legs est


augmenté d’un montant supérieur à celui de la dette et ce d’autant plus que
les égoïstes sont nombreux dans l’économie. Lorsque la population n’est
constituée que d’agents altruistes 共 p = 1 兲, nous retrouvons le changement
de variable de la section 2.1. et l’équivalence ricardienne est naturelement
satisfaite.
En résumé, le résultat de neutralité obtenu par Barro est robuste à l’in-
troduction d’agents égoïstes : la dette publique est neutre au niveau agrégé
car elle n’a aucun effet sur l’accumulation du capital. Cependant, elle impli-
que, dans le long terme, une redistribution en faveur des altruistes et au
détriment des égoïstes.

3. La contrainte de positivité
des héritages

D’après la précédente section, si les agents décident de transmettre un


patrimoine à leurs enfants alors le pont entre les générations introduit par
l’altruisme rend neutre les implications de la dette publique. En d’autres
termes, les legs sont pour les altruistes un moyen de transmettre aux géné-
rations futures les avoirs nécessaires pour faire face aux engagements gou-
vernementaux passés. Cependant, si le parent choisit de ne pas laisser de
legs à ses enfants, nous sommes dans la logique du modèle de Diamond et,
non seulement l’intervention de l’État n’est pas neutre, mais elle peut même
être justifiée par des considérations d’optimalité (voir section 1.2.).
Puisqu’elle détermine si oui ou non l’équivalence ricardienne est satisfaite,
la question de la positivité des héritages est au coeur du débat macroéco-
nomique. Son rôle et son importance ont donc incité de nombreux écono-
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mistes à chercher les conditions sous lesquelles les parents laissent un legs.

3.1. Les travaux fondateurs

Bien qu’il n’étudie pas de manière formelle la condition de positivité des


legs, Barro [1974] indique quels sont les facteurs susceptibles de générer
des transferts positifs. Selon lui, une croissance faible des salaires, des taux
d’intérêts élevés ou de forts degrés d’altruisme sont les principaux éléments
qui conduisent des parents à laisser un héritage. Relativement à celui de ses
enfants, plus le salaire des parents est élevé, plus les parents vont vouloir
combler cette inégalité salariale à l’aide de transferts. Des taux d’intérêts
élevés ont, quant à eux, pour conséquence de rendre l’épargne attractive.
Or, plus les parents épargnent, plus ils sont enclins à laisser quelque chose
à leurs descendants. Enfin, plus les parents se préoccupent du bien-être de
leurs enfants, plus ils semblent disposés à leurs transmettre un patrimoine.
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L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance... ——————— 189

En 1978, Drazen considère un modèle similaire à celui de Barro dans


lequel il suppose que des progrès technologiques font croître les salaires
réels à un taux exogène.
Il estime alors que la spécification de la fonction U 共 c, d 兲 d’utilité de cycle
n’a pas d’impact sur les décisions de legs des parents. Pour lui, seul le taux
d’intérêt en vigueur dans l’économie et le degré d’altruisme des individus
sont à l’origine du choix des parents.
Cependant, tout comme Barro [1974], le raisonnement de Drazen [1978]
est fait en équilibre partiel. Les taux d’intérêts et de salaire sont donc consi-
dérés comme donnés. Or, en présence d’un secteur de production, le facteur
d’intérêt est intimement lié au degré d’altruisme lorsque les parents laissent
un héritage puisque le stock de capital de la règle d’or modifiée dépend du
degré d’altruisme de l’agent.
Le premier à étudier la condition de positivité des legs au sein d’une éco-
nomie munie d’un secteur de production néoclassique est Carmichael [1982].
A l’aide d’un raisonnement d’équilibre général, il souligne combien la fonc-
tion d’utilité de cycle de vie joue un rôle important dans la décision de léguer
ou pas des parents et montre que, pour un enfant, la chance de recevoir un
héritage est d’autant plus élevée que ces parents n’accordent pas une grande
importance à leurs consommations de seconde période. De manière méca-
nique, moins les parents consomment en dernière période de vie, plus ils
laissent une partie importante de leur épargne à leur descendance.
Tout comme les conclusions de Barro et Drazen, celles de Carmichael
reposent sur l’étude de la condition d’arbitrage (8) des ressources entre les
générations. Cependant, aucun de ces travaux ne cherche à résoudre de
manière formelle cette inégalité.
C’est Weil [1987] qui le premier a exhibé explicitement une condition de
positivité des legs18. Il l’obtient en analysant les décisions d’épargne des
agents. C’est la variable pertinente pour ce type d’étude. Comme elle dépend
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du niveau de legs elle permet de relier le modèle de Barro (cas où les legs sont
positifs) au modèle de Diamond (cas où les legs sont nuls). De plus, comme
l’épargne est, via l’accumulation du capital, au coeur du bouclage macroéco-
nomique elle intègre les effets d’équilibre général. La fonction d’épargne s
d’un altruiste se définit à partir de la condition d’optimalité (7) :

st = s 共 wt + xt, − 共 1 + n 兲 xt + 1, 1 + rt + 1兲

= argmaxs U 共 wt + xt − s, 共 1 + rt + 1兲 s − 共 1 + n 兲 xt + 1兲

18. En considérant un modèle dans lequel l’altruisme est à la fois ascendant et descen-
dant, Abel [1987] généralise la condition de Weil. Cependant, l’étude de Weil remonte à 1984
alors que celle d’Abel date de 1986.

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190 —————————————————————————————————————————————————— Emmanuel Thibault

Weil [1987] utilise alors19 s pour construire une fonction X qui reflète la
règle de décision d’épargne des parents selon le niveau de legs x et le stock
de capital k :

s 共 f 共 k 兲 − kf′ 共 k 兲 + x, − 共 1 + n 兲 x, f′ 共 k 兲 兲
X 共 k, x 兲 =
1+n
Cette fonction va permettre de paramétrer les équilibres de long terme du
modèle de Barro par rapport au legs stationnaire x. Une condition néces-
saire pour que le couple 共 k*, x* 兲 soit un équilibre stationnaire est que
X 共 k*, x* 兲 soit égal à k* ; sans cette condition l’équation d’accumulation du
capital n’est pas satisfaite.
Weil [1987] fait alors deux hypothèses qui, bien que très restrictives, sont
standard. Il considère à la fois que l’équation X 共 k, 0 兲 − k = 0 admet une
unique solution notée kD et que la fonction X 共 k, 0 兲 − k décroît avec k. Ces
hypothèses entraînent que le modèle de Diamond20 possède un unique
équilibre kD globalement stable (voir Figure 1).

D
Figure 1. Hypothèses d’unicité et de stabilité de k (Weil [1987])

Dans ce contexte, Weil montre qu’un parent choisit de laisser un héritage


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à ses enfants si et seulement si le stock de capital de la règle d’or modifiée
D D
k* est supérieur à celui, k , du modèle de Diamond, i.e., k* > k .
Comme 1 + rD = f′ 共 kD 兲 et 1 + r* = f′ 共 k* 兲 = 共 1 + n 兲/b, cette condition né-
cessaire et suffisante est équivalente à :

1+n
b> D
[12]
1+r
A partir d’un certain degré d’altruisme un agent choisit de laisser un
héritage à ses enfants. Intuitivement, il faut que les parents se préoccupent
assez de leurs enfants pour que ceux ci perçoivent un legs.

19. Si les consommations des deux périodes de vie sont des biens normaux, la fonction s
croît en son premier argument et décroît en son second. Plus le revenu de première période
de l’altruiste est élevé, plus son épargne est importante. Plus l’altruiste veut laisser un
héritage important, plus il épargne.
D
20. Lorsque les legs sont nuls la fonction s coïncide avec la fonction d’épargne s du
modèle de Diamond définie par l’équation (1).

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L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance... ——————— 191

Pour Weil [1987], l’équivalence ricardienne ne s’applique donc pas aux


modèles à générations imbriquées avec altruisme lorsque le degré d’al-
truisme de l’agent représentatif est « trop faible ». De plus, lorsque l’unique
équilibre de l’économie sans altruisme est en sur-accumulation de capital
D or D
共 k > k 兲 le legs optimal dans l’économie avec altruisme est nul puisque k
est supérieur à k*. Ainsi :
Le résultat de Weil [1987] restreint le domaine de validité des conclusions
de Barro [1974]. Si le modèle de Diamond [1965] possède un unique équili-
bre qui n’est pas Pareto optimal, l’introduction de l’altruisme ne conduit pas
à un équilibre Pareto optimal.
En s’appuyant sur les travaux de Weil, de nombreux auteurs ont étudié les
conditions de positivité des legs dans différents modèles avec altruisme
dynastique21. Une des plus intéressantes généralisations de la condition de
Weil est due à Vidal [1996b]. L’auteur s’intéresse à une économie constituée
de N familles qui différent par leurs degrés d’altruisme
共 b1 < ™ < bi < bi + 1 < ™ < bN 兲. A long terme, seule la dynastie ayant le
degré d’altruisme le plus élevé ( i.e. la dynastie N) a la possibilité de faire
des legs22. Utilisant la méthodologie développée par Weil [1987], Vidal
[1996b] montre alors qu’une condition nécessaire et suffisante pour que les
individus de la dynastie la plus altruiste décident de se transmettre un legs
de générations en générations est :

1+n
bN > D
1+r

où rD est le taux d’intérêt associé à l’équilibre, supposé unique et stable, kD


du modèle Diamond.
Lorsque cette condition est vérifiée, il n’existe plus, à long terme, que
deux sortes de comportements. Les membres de la dynastie la plus altruiste
se transmettent un patrimoine de générations en générations. Les individus
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moins altruistes, bien qu’ils tiennent compte du bien-être de leurs enfants,
n’ont que le revenu de leur travail et se comportent comme des égoïstes. A
long terme nous retrouvons alors l’économie avec agents hétérogènes étu-
diée section 2.2. (modèle de Michel et Pestieau [1998]).
Bien que l’aspect intragénérationnel a souvent été négligé dans le cadre
des modèles de croissance, Vidal [1996b] souligne que Ramsey lui même
s’est intéressé à l’impact que la croissance pouvait avoir sur la répartition
des ressources entre individus. Il signale dès 1928 que, si les agents diffèrent
par leur degré de prévoyance alors la société sera divisée en deux classes :
« ... the thrifty enjoying bliss and the improvident at the subsistance le-
vel. »

21. L’altruisme dans les modèles à générations imbriquées est étudiée en détails par Vidal
[1996a].
22. En effet, s’il existe l ∈ 兵 0, ..., N − 1 其 tel que xl > 0 alors la relation (9) ne peut être
vérifiée par les dynasties j où j ∈ 兵 l + 1, ..., N 其 .

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192 —————————————————————————————————————————————————— Emmanuel Thibault

3.2. Les développements récents

Bien qu’elle soit intuitive, la condition de positivité des héritages de Weil


[1987] présente certains inconvénients. Son interprétation est, par exemple,
délicate d’un point de vue économique car le degré d’altruisme d’un agent
n’est pas une variable économique. C’est une variable sociologique diffici-
lement observable et quantifiable. De plus, au regard de ce qui se fait dans
la littérature sur le modèle à générations imbriquées avec agents égoïstes
depuis sa création23, il a semblé naturel, en 1987, à Weil de supposer l’uni-
cité et la stabilité d’un équilibre stationnaire dans le modèle de Diamond
sousjacent pour éviter d’obtenir des résultats contre-intuitifs dans le modèle
avec agents altruistes24.
Galor et Ryder [1989] ont depuis montré le caractère très restrictif25 de
cette hypothèse et Thibault [2001] a établi combien cette dernière n’est pas
réellement adaptée26 aux modèles avec agents altruistes.
Thibault [2000a] va alors s’affranchir du cadre d’étude utilisé par Weil
[1987] et étudier le comportement des agents altruistes indépendamment
des propriétés du modèle de Diamond sous-jacent. En mettant l’accent plus
précisément sur la recherche des motivations économiques qui incitent un
agent à faire un legs à ses enfants, il examine, en toute généralité, le do-
maine de validité du théorème d’équivalence ricardienne et exhibe une
condition nécessaire et suffisante pour que la règle d’or modifiée soit un
équilibre du modèle de Barro. L’une des forces de cette condition est d’être
valable quelle que soit la forme de l’économie de Diamond.
En effet, Thibault [2000a] établit trois propriétés de l’épargne X 共 k, x 兲
qui27 permettent de démontrer que, quelles que soient la fonction de pro-
duction et la fonction d’utilité de cycle de vie de l’altruiste, l’altruiste décide
de faire un legs à ses enfants si et seulement si X 共 k*, 0 兲 − k* est négatif ;
c’est à dire si et seulement si :
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D
s 共 k* 兲 < 共 1 + n 兲 k* [13]

Il suffit donc de comparer le stock de capital à la règle d’or modifiée avec


l’épargne d’un agent égoïste détenant ce stock de capital.
C’est pour des raisons de simplicité et de compréhension que la fonction
d’épargne du modèle de Diamond apparaît dans la condition de positivité

23. Diamond [1965, p. 1134] : « As portrayed in Diagram 3, and as will be assumed throu-
ghout this paper, the economy has a single, stable eguilibrium point. »
24. Weil [1987, p. 385] : « Were we abandon Assumption 2, our results would be reversed
and our model would yield counterintuitive conclusions as would Diamond’s [1965]. »
25. Ni les conditions d’Inada, ni les hypothèses de croissance et de stricte concavité sur les
préférences et la technologie ne permettent de garantir l’existence et/ou l’unicité d’un équi-
libre dans le modèle de Diamond.
26. A l’aide d’un exemple simple, Thibault [2001] montre que même si le modèle de
Diamond possède un unique équilibre globalement stable, le degré d’altruisme peut être
négativement corrélé avec le niveau d’héritage. C’est une hypothèse sur la concavité de la
fonction de production qui est nécessaire pour éviter ce résultat contre-intuitif.
27. Plus précisement X 共 k, x 兲 croît avec x, lim X 共 k, x 兲/k = 0 et lim X 共 k, x 兲 = + ∞.
k→ +∞ x→ +∞

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L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance... ——————— 193

des héritages (13). En effet, elle peut être reformulée seulement en fonction
des fondamentaux de l’économie puisque les altruistes laissent un héritage
à leurs enfants si et seulement si leur degré d’altruisme est supérieur au
taux marginal de substitution entre leurs consommations des deux périodes
évaluées en le stock de capital de la règle d’or modifiée28.
Cette condition de positivité des legs permet d’établir trois nouveaux ré-
sultats concernant les modèles de croissance à générations imbriquées :

(i) Si le modèle de Diamond ne possède pas d’équilibre stationnaire ( i.e.,


pour tout k, sD 共 k 兲 < 共 1 + n 兲 k), alors (13) est vérifiée et la règle d’or modi-
fiée est équilibre du modèle de Barro et ce, quel que soit le degré d’al-
truisme de l’agent.
(ii) De plus, comme en témoigne la Figure 2, un équilibre avec legs positifs
(ici, k*) peut coexister avec un équilibre avec legs nuls (ici, k2D ou k3D). Deux
courants de la littérature économique sont donc ici recoupés. Nous pouvons
à la fois avoir des équilibres formellement équivalents à ceux obtenus avec
des agents à durée de vie infinie ( i.e., l’équilibre du modèle de Ramsey) et
des équilibres résultants du comportement d’agents à horizon de vie fini
(i.e., les équilibres du modèle de Diamond).
(iii) Enfin, d’après la Figure 2, bien que le modèle de Diamond possède
des équilibres en sur-accumulation du capital (k2D et k3D sont non Pareto-
optimaux), le modèle de Barro avec altruisme peut converger vers le stock
de capital k* de la règle d’or modifiée ; puisque la condition (13) est vérifiée.
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Figure 2. Multiplicité des équilibres du modèle de Diamond


(Thibault [2000a])

28. Plus précisément, les legs sont positifs si (et seulement si) :
b > U′d 共 w* − k*, k*R* 兲/U′c 共 w* − k*, k*R* 兲.

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194 —————————————————————————————————————————————————— Emmanuel Thibault

Ainsi, Thibault [2000a] confirme l’intuition de Barro [1974], infirmée par


Weil [1987], selon laquelle l’apparition d’un individu altruiste peut rendre
optimal au sens de Pareto l’équilibre d’une économie initialement dynami-
quement inefficace.

*
* *

Cette revue de la littérature avait pour objet d’examiner, à travers les


modèles standard d’accumulation de capital, la validité théorique du théo-
rème d’équivalence ricardienne. En conclusion, nous rappelons les princi-
paux enseignements que nous pouvons dégager de cette étude.
Contrairement à une idée répandue à la suite des travaux de Ramsey
[1928], l’hypothèse de durée de vie finie de l’agent n’est pas forcément un
obstacle à l’obtention du théorème d’équivalence ricardienne. En effet, en
prenant en compte la croissance de la population et en utilisant le modèle de
jeunesse perpétuelle initialement développé par Blanchard [1985], Weil
[1989] montre que les agents présents au moment de l’émission d’une dette
publique augmentent leurs consommations s’ils anticipent l’arrivée de nou-
veaux individus susceptibles de les aider à supporter le remboursement
ultérieur de la dette. A contrario, lorsqu’il n’y a pas de nouveaux arrivants, le
théorème d’équivalence ricardienne peut être valable avec des agents égo-
ïstes à durée de vie finie (Buiter [1988]).
Ainsi, il semble que ce soit l’étude des relations entre les individus quit-
tant l’économie et ceux y arrivant qui détermine si oui ou non l’émission
d’une dette publique est neutre. En effet, à l’aide d’un modèle à générations
imbriquées, Barro [1974] montre que si les parents s’intéressent au bien-être
de leurs enfants et leurs laissent un héritage alors l’équilibre n’est pas af-
fecté par l’endettement de l’État. Conscients que l’émission d’une dette pu-
blique aujourd’hui se traduira par une charge accrue d’impôts pour leurs
enfants, les parents altruistes augmentent d’autant le montant de leur legs
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de façon à neutraliser les effets de la politique de l’État.
C’est donc la décision de laisser ou pas un héritage à ses enfants qui
définit le domaine de validité du théorème d’équivalence ricardienne. La
plupart des conditions explicites de positivité des legs que nous trouvons
dans la littérature sont des généralisations de celle exhibée par Weil [1987] :
les parents laissent un héritage s’ils sont suffisamment altruistes ( i.e., exis-
tence d’un degré d’altruisme seuil). Or, bien que très intuitive, ce seuil est
obtenue en supposant que le modèle de Diamond [1965] avec agents égo-
ïstes possède un équilibre unique et globalement stable. Dans ce contexte
restrictif, Weil [1987] montre que si l’équilibre du modèle de Diamond n’est
pas Pareto optimal alors l’altruisme dynastique ne permet pas de le rendre
efficace. Il restreint par la même la portée du résultat de Barro [1974]. Ce-
pendant, Thibault [2000a] a récemment énoncé une condition de positivité
des héritages indépendante des propriétés du modèle de Diamond qui
confirme l’intuition de Barro [1974], infirmée par Weil [1987], selon laquelle
des comportements altruistes peuvent restaurer l’efficacité dynamique.

REP 113 (2) mars-avril 2003


L’équivalence ricardienne dans les modèles de croissance... ——————— 195

Soulignons pour finir que ce survol de la littérature sur la validité théori-


que de l’argument ricardien est loin d’être exhaustif29. Le format de cet
article nous a conduit à laisser volontairement de côté l’étude de facteurs
qui, eux aussi, remettent en cause le théorème d’équivalence ricardienne.
Tel est le cas en présence, par exemple, d’une fiscalité distorsive (voir Judd
[1987] et Trostel [1993]), de contraintes de liquidité (voir Heller et Starr [1979]
et Yotsuzuka [1987]), de chocs stochastiques (voir Chan [1983] et Croushore
[1996]) ou de certaines formes de transferts intergénérationnels (voir Kot-
likoff, Razin et Rosenthal [1990] et Masson et Pestieau [1991]).

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29. Pour un survol plus détaillé, le lecteur peut se reporter à Seater [1993] ou au Chapitre 1
de Thibault [2000b].

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