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Gilles Carbonnier
2013/3 n° 91 | pages 38 à 48
ISSN 1287-1672
ISBN 9782200928766
DOI 10.3917/ris.091.0038
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-3-page-38.htm
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Gilles Carbonnier
Professeur d’économie du développement,
Institut de hautes études internationales
et du développement (Genève)
Résumé Abstract
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38
AC
É U LTARIER A
RGEG
E SA R D
La malédiction
des ressources
naturelles
et ses antidotes
Gilles Carbonnier
L
es prix des matières premières se sont envolés au cours des dix dernières
années, notamment en raison de la demande croissante des économies
émergentes. Cette tendance devrait s’accentuer avec l’apparition de larges
classes moyennes dans des géants démographiques tels que l’Inde, la
Chine, et bientôt l’Afrique. L’imposition de restrictions à l’exportation par
d’importants pays producteurs et la croissance des investissements spéculatifs
renforcent la volatilité des prix, ainsi que le démontre une étude sur l’évolution
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1. David Jacks, « From Boom to Bust: A Typology of Real Commodity Prices in the Long Run », NBER
Working Paper, n° 18874, mars 2013.
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ÉCLAIRAGES
1. Voir George Mavrotas, Syed M. Murshed and Sebastian Torres, « Natural Resource Dependence and
Economic Performance in the 1970-2000 Period », Review of Development Economics, vol. 15, n° 1,
février 2011, pp. 124-138.
2. Voir Douglass C. North, « Institutions », Journal of Economic Perspectives, vol. 5, n° 1, hiver 1991,
pp. 97-112.
3. La hausse des cours depuis le début des années 2000 remet en cause la thèse Singer-Prebisch,
même s’il est prématuré de tirer une conclusion définitive quant à sa validité au xxie siècle.
4. Richard M. Auty, Sustaining Development in Mineral Economies: The Resource Curse Thesis, Londres,
Routledge, 1993.
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La malédiction de s r essources natur elles et ses antidot es
Dynamiques économiques
Les pays dont une large part des revenus d’exportation provient du secteur
extractif tendent à souffrir de la « maladie hollandaise », la Dutch disease. Ce
vocable fait référence aux difficultés rencontrées par les Pays-Bas à la suite de
la découverte d’importants gisements gaziers dans les années 1950 et 1960 : la
hausse massive des recettes d’exportation a eu pour effet d’apprécier le florin
hollandais face au dollar. En conséquence, les autres secteurs d’exportation ont
perdu en compétitivité sur les marchés d’exportation alors que les biens importés,
devenus moins chers, ont mis à mal des pans entiers de l’économie nationale.
Une telle évolution provoque un mouvement de concentration dans le secteur
extractif, dont les retombées favorisent l’inflation, notamment via une hausse
des prix des biens et services non échangeables au niveau international. Or, d’un
point de vue structurel, le secteur extractif demeure souvent une enclave, avec
peu d’effets d’entraînement sur les autres secteurs économiques nationaux, que
ce soit en amont ou en aval. De plus, l’exploitation pétrolière et minière n’est
guère intensive en main-d’œuvre et ne permet pas d’absorber le chômage lié aux
difficultés auxquelles doivent faire face d’autres secteurs économiques.
De manière paradoxale, les États qui tirent une rente importante du secteur
pétrolier encourent le risque d’importants déficits budgétaires, avec une forte
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1. Terry Lynn Karl, The Paradox of Plenty: Oil Booms and Petro-States, Berkeley, University of California
Press, 1997.
2. Voir Jonathan Di John, « Is There Really a Resource Curse ? A Critical Survey of Theory and Evi-
dence », Global Governance, vol. 17, n° 2, avril-juin 2011, pp. 167-184 ; Gilles Carbonnier, « Comment
conjurer la malédiction des ressources naturelles ? », Annuaire suisse de politique de développe-
ment, vol. 26, n° 2, novembre 2007, pp. 83-98 ; et Andrew Rosser, « The Political Economy of the
Resource Curse: A literature Survey », IDS Working Paper, n° 268, 2006.
3. Voir James A. Robinson, Ragnar Torvik et Thierry Verdier, « Political Foundations of the Resource
Curse », Journal of Development Economics, vol. 79, n° 2, avril 2006, pp. 447-468.
4. Philip Lane et Aaron Tornell, « Power, Growth, and the Voracity Effect », Journal of Economic
Growth, vol. I, n° 2, 1996, pp. 213-241.
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ÉCLAIRAGES
Dynamiques politico-institutionnelles
Des mesures ciblées permettent de contrer la « maladie hollandaise » et
de promouvoir une diversification économique. Dès lors, les chercheurs ont
tenté de comprendre pourquoi les dirigeants des pays riches en ressources
ne prenaient que rarement les mesures appropriées et accentuaient souvent
les problèmes, sur fond de dérive
Les dirigeants tendent à redistribuer autocratique. La recherche s’est ainsi
concentrée sur la dimension politique
la rente extractive à des groupes de la « malédiction des ressources », en
influents de manière plus que examinant notamment la nature des
États rentiers1. Dans la mesure où l’État
proportionnelle à la croissance extrait l’essentiel de ses revenus de
des revenus dans le but l’exploitation de ses richesses naturelles,
il n’a guère besoin de développer
de se maintenir au pouvoir l’administration fiscale requise pour
financer les dépenses publiques. Et dans
la mesure où les citoyens ne contribuent que peu au trésor public, les dirigeants
ne sont guère enclins à leur rendre des comptes quant à l’affectation de la rente,
renforçant la tendance à voir émerger des institutions peu transparentes et peu
démocratiques2.
Se fondant sur la théorie de l’État rentier, Michael Ross3 conclut que la rente
pétrolière agit comme un frein à la démocratie. Une étude de Nathan Jensen et
Leonard Wantcheton4 confirme l’existence en Afrique d’une corrélation entre
abondance de ressources naturelles et régimes autocratiques. Jørgen J. Andersen
et Silje Aslaksen5 ajoutent que les démocraties présidentielles présentent un
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1. Voir Hazem Beblawi et Giacomo Luciani, The Rentier State: Nation, State and the Integration of the
Arab World, Londres, Croom Helm, 1987 ; et Terry L. Karl, op. cit.
2. Voir Carlos Leite et Jens Weidmann, « Does mother nature corrupt? », IMF Working Paper,
n° 99/85, 1999 ; et Michael Ross, « The Political Economy of the Resource Curse », World Politics,
vol. 51, n° 2, janvier 1999, pp. 297-322.
3. Michael Ross, « Does Oil Hinder Democracy ? » World Politics, vol. 53, n° 3, avril 2001, pp. 325-361.
4. Nathan Jensen et Leonard Wantchekon, « Resource Wealth and Political Regimes in Africa », Com-
parative Political Studies, vol. 37, n° 7, 2004, pp. 816-841.
5. Jørgen J. Andersen et Silje Aslaksen, « Constitutions and the Resource Curse », Journal of Develop-
ment Economics, vol. 87, n° 2, 2008, pp. 227-246.
6. Voir Gilles Carbonnier et Natascha Wagner, « Resource Dependence and Armed Violence: Impact
on Sustainability in Developing Countries », Defence and Peace Economics, 2013 (à paraître).
7. Mauricio Drelichman et Hans-Joachim Voth, « Institutions and the Resource Curse in Early
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La malédiction de s r essources natur elles et ses antidot es
Ressources et conflits
Les luttes pour la captation et la distribution de la rente accroissent
l’instabilité politique et le risque de conflit armé. De plus, les griefs relatifs aux
dégâts environnementaux causés par les activités extractives attisent les conflits
« socio-environnementaux »1. L’étude menée par Paul Collier et Anke Hoeffler2
sur les causes économiques des guerres civiles affirme que le risque de conflit
armé augmente de manière substantielle dans des pays en développement dont
la prospérité dépend de l’exportation de matières premières. À noter que d’autres
auteurs néo-malthusiens, tels que Thomas Homer-Dixon, mettent en avant la
rareté plutôt que l’abondance de ressources comme facteur de conflit.
Ces deux approches ont fait l’objet de critiques quant à leur déterminisme
environnemental et leur manque d’ancrage théorique. En outre, elles tendent
à négliger les dimensions sociales, matérielles et spatiales des matières
premières. Alors que les ressources sont souvent définies comme des stocks de
matières économiquement utiles ou d’avoirs se trouvant dans l’environnement
naturel3, Philippe Le Billon met en avant les processus sociaux qui conduisent à
l’identification, l’extraction et la consommation de ressources dites naturelles.
Ces dernières doivent être envisagées également comme des construits sociaux
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Modern Spain », in Elhanan Helpman (dir.), Institutions and Economic Performance, Cambridge,
Harvard University Press, 2008.
1. Anthony Bebbington, Industrias extractivas, conflicto social y dinámicas institucionales en la región
andina, Lima, Instituto de estudios peruanos, 2013.
2. Paul Collier et Anke Hoeffler, « On Economic Causes of Civil War », Oxford Economic Paper, n° 50,
1998, pp. 563-573.
3. OMC, World Trade Report 2010, Natural Resources: Definitions, Trade Patterns, Globalization, Genève,
2010.
4. Philippe Le Billon, Wars of Plunder: Conflicts, Profits and the Politics of Resources, Londres, Hurst &
Co, 2012.
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ÉCLAIRAGES
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La malédiction de s r essources natur elles et ses antidot es
aux plus offrants. Il s’agit aussi de séparer la phase d’exploration des activités
d’exploitation des ressources, pour éviter les conflits d’intérêts. En cas de forte
hausse des cours, les clauses contractuelles doivent permettre le prélèvement
d’une taxe sur les bénéfices exceptionnels, comme l’ont fait la Bolivie et le
Venezuela, mais aussi l’Australie et les États-Unis durant la décennie 2000. Afin
d’éviter une appréciation excessive de la monnaie nationale et de réduire les
effets néfastes de la volatilité des prix, des pays comme la Norvège ou le Qatar ont
établi des fonds de stabilisation ou fonds souverains, dont une part importante
est placée sur les marchés internationaux de capitaux. Ces fonds sont aussi censés
bénéficier aux générations futures, une fois que les réserves d’hydrocarbures
seront épuisées. Après la crise financière de 2008, les critiques ont fusé à
l’encontre de ces fonds dont les rendements peuvent être négatifs. Vu les besoins
de leurs populations, les pays en développement devraient plutôt investir la rente
extractive dans des projets à haut rendement social (santé, éducation), dans
les infrastructures et la diversification économique, plutôt que dans des avoirs
financiers à l’étranger.
Ensuite, l’allocation des ressources joue un rôle primordial. Le défi consiste
à allouer les revenus pétroliers et miniers d’une manière à la fois propice au
développement et acceptable d’un point de vue politique. Certains États
redistribuent une partie des revenus directement aux citoyens (Alaska, province
canadienne de l’Alberta), que ce soit sous forme de dividendes ou de baisses
d’impôts. Cette dernière option présente l’avantage de renforcer le contrat
social entre l’État et les contribuables. Autre exemple, dans le domaine de
l’éducation, l’Arabie saoudite a alloué plus de 20 milliards de dollars à la King
Abdullah University of Science and Technology, en lui octroyant un large degré
d’autonomie face au pouvoir politique1.
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1. Voir Giacomo Luciani, « Price and Revenue Volatility: What Policy Options and Role for the
State? », Global Governance, vol. 17, n° 2, avril-juin 2011, pp. 213-228.
2. Voir Jeffrey Frankel, « The Natural Resource Curse: A Survey of Diagnoses and Some Prescrip-
tions », Harvard Kennedy School Working Paper Series, 2012.
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ÉCLAIRAGES
1. Voir Gilles Carbonnier, Fritz Brugger et Jana Krause, « Assessing Policy Responses to the Resource
Curse: Can Civil Society Live up to the Expectations? », Global Governance, vol. 17, n° 2, avril 2011,
pp. 247-264.
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La malédiction de s r essources natur elles et ses antidot es
1. Voir Matthew Winters et John Gould, « Betting on Oil: The World Bank’s Attempt to Promote
Accountability in Chad », Global Governance, vol. 17, n° 2, avril-juin 2011, pp. 229-245.
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