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LA VILLE, L'URBAIN ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DANS LA REVUE

NATURES SCIENCES SOCIÉTÉS : RÉTROSPECTIVES ET PROSPECTIVES

Mario Gauthier

EDP Sciences | « Natures Sciences Sociétés »

2006/4 Vol. 14 | pages 383 à 391


ISSN 1240-1307
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https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2006-4-page-383.htm
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Natures Sciences Sociétés 14, 383-391 (2006)

c NSS Dialogues, EDP Sciences 2007 Natures
DOI: 10.1051/nss:2007006
S ciences
S ociétés

Forum
La ville, l’urbain et le développement durable dans la revue
Natures Sciences Sociétés : rétrospectives et prospectives
Mario Gauthier
Ph. D. en études urbaines, Université du Québec en Outaouais, Pavillon Alexandre-Taché, 283 boulevard Alexandre-Taché,
pièce C-3310, CP 1250, succ. Hull, Gatineau (Québec), J8X 3X7 Canada

Mots-clés : Résumé – Avec l’émergence du concept de « ville durable », la thématique urbaine occupe de plus en plus
ville durable ; d’importance dans les recherches et les débats dans le domaine de l’environnement. Pour contribuer à la
recherches et débats réflexion sur le chemin parcouru et les perspectives ouvertes à la recherche interdisciplinaire, cet article
interdisciplinaires ; propose un bilan rétrospectif et prospectif des analyses menées sur la ville et l’urbain dans NSS. S’appuyant
études urbaines ; sur le corpus des textes publiés dans la revue depuis sa création, l’auteur construit son examen critique
écologie urbaine ; autour de cinq thématiques : les nuisances urbaines et la qualité du cadre de vie ; les pollutions locales et
environnement urbain la gestion patrimoniale du cadre de vie urbain ; la pollution atmosphérique urbaine et la santé humaine ;
l’écologie urbaine et la nature en ville ; de l’écologie urbaine à la ville durable. L’apport de ces recherches et
de ces réflexions à l’élaboration d’une perspective interdisciplinaire pour aborder les rapports que l’homme
entretient avec la nature est ensuite souligné. Ainsi sont mises en relief, non seulement les potentialités
heuristiques ouvertes par l’élargissement des problématiques et le décloisonnement des approches, mais
également les difficultés et les écueils sur les plans conceptuel, méthodologique et épistémologique des
démarches interdisciplinaires associant les sciences naturelles et les sciences sociales.

Keywords: Abstract – The City, urban issues and sustainable development in the journal Natures Sciences
sustainable city; Sociétés : a retrospective and prospective account Along with the emergence of the “sustainable
interdisciplinary city” concept, urban issues are assuming increasing importance in research and debates relating to the
debates and researchs; environment. In order to contribute to reflection on achievements and interdisciplinary research perspec-
urban studies; tives, this paper proposes a retrospective and prospective account of city and urban analyses conducted
urban ecology; in the journal Natures Sciences Sociétés. Based on the corpus of writings published in the journal since its
urban environment inception, the author develops a critical analysis around five themes: urban nuisances and the quality
of the urban living environment; local pollution and heritage management of urban living environment;
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urban atmospheric pollution and human health; urban ecology and nature in the city; from urban ecology
to the sustainable city. The paper then shows the contribution made by these articles and considerations
in the development of an interdisciplinary perspective to investigate the relationship that people have
with nature. This analysis highlights the heuristic potential offered by the broadening of problematics and
the decompartmentalization of approaches as well as the conceptual, methodological, and epistemologi-
cal difficulties and stumbling blocks of interdisciplinary approaches that link natural sciences and social
sciences.

Introduction relativement peu traité dans la revue Natures Sciences


Sociétés2 . Afin de concourir à une réflexion sur le che-
La ville et la question urbaine sont au cœur des préoc- min parcouru et sur les perspectives de recherche inter-
cupations contemporaines en matière d’environnement disciplinaire dans le domaine de l’environnement, cette
et de développement durable1 . Pourtant, ce thème a été contribution vise à mettre en lumière les réflexions de
Auteur correspondant : mario.gauthier@uqo.ca fond menées sur la ville et l’urbain dans NSS. Quelles
1
Ce texte est issu d’une conférence présentée lors du sé-
2
minaire d’échanges « Natures Sciences Sociétés, 10 ans après... Néanmoins, une recension des écrits sur ce sujet a per-
Rétrospectives et prospectives » (27 mai 2004, ENGREF, Paris) mis de constituer un corpus de 32 textes répartis selon les ru-
organisé par l’association Natures Sciences Sociétés Dialogues briques suivantes : Articles (7) ; Actualités de la recherche (5) ;
pour fêter le 10e anniversaire de la revue. Forum (3) ; Vie scientifique (5) ; Lectures – comptes rendus (12).

Article published by EDP Sciences and available at http://www.edpsciences.org/nss or http://dx.doi.org/10.1051/nss:2007006


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sont les principales thématiques de recherche et de dé- Toutefois, une gamme de concepts issus de divers
bats sur la ville ? Les réflexions menées ont-elles favo- champs disciplinaires ont ouvert la voie à la prise en
risé le développement d’approches interdisciplinaires ? compte des problématiques d’environnement urbain.
À quoi renvoient exactement les expressions « écologie Emmanuel Torres (1998) situe ces concepts sur un conti-
urbaine », « environnement urbain » et « ville durable » ? nuum allant de la figure de l’écoenvironnement urbain
Quelle est la portée et quelles sont les limites de ces no- issue des sciences de la nature à celle du cadre de vie
tions pour l’action publique ? Quelles sont les difficultés urbain issue des sciences humaines et sociales : l’écosys-
rencontrées par les chercheurs et les gestionnaires pour tème de la région urbaine (géographie, écologie), l’éco-
prendre en compte les dimensions écologiques de la ville socio-système urbain (écologie, gestion), l’espace vécu
et répondre aux demandes sociales en faveur de l’amé- (géographie humaine) et le paysage urbain (sociologie,
lioration du cadre de vie en milieu urbain ? sciences sociales). De plus, quelques-uns de ces concepts
Pour répondre à ces questions, nous présentons sont utilisés dans une perspective interdisciplinaire entre
d’abord le contexte historique du développement de la les sciences naturelles et les sciences sociales. La notion
recherche interdisciplinaire en environnement en France. d’« éco-socio-système urbain », par exemple, a été mise
Dans un deuxième temps, nous dégageons les princi- en avant pour désigner les interrelations entre les sys-
pales thématiques de recherche et de débats sur la ville et tèmes écologiques et les systèmes sociaux (Mirenowicz
l’urbain, en considérant plus particulièrement la qualité et Garnier, 1984). De même, la notion d’« écosystème an-
de l’argumentation scientifique ainsi que l’originalité des thropisé » a été utilisée dans les travaux portant sur la
recherches et des idées. La troisième partie examine l’ap- gestion des échanges mer/lagune en Camargue pour dé-
port des recherches et des réflexions à l’élaboration d’une crire un système complexe d’interactions entre société,
perspective interdisciplinaire pour aborder les rapports technique et nature (Allard et al., 2001). Le courant de
que l’homme entretient avec la nature. Enfin, en conclu- la gestion patrimoniale appliquée au milieu et aux res-
sion, nous proposons une lecture des principales évo- sources naturelles (Barouch, 1989 ; Falque, 1996 ; Mermet,
lutions et tendances relatives au développement d’une 1992 ; Montgolfier et Natali, 1987 ; Ollagnon, 1989) pro-
approche interdisciplinaire de recherche. pose également une approche interdisciplinaire originale
pour l’analyse de la gestion effective de l’environnement
et la résolution de problématiques concrètes d’environ-
La recherche interdisciplinaire nement urbain. Enfin, avec l’émergence du concept de
en environnement en France « ville durable », les problématiques urbaines occupent
de plus en plus d’importance en matière de recherches
La revue NSS poursuit depuis sa création trois grands et de débats interdisciplinaires en environnement. C’est
objectifs : construire l’interdisciplinarité entre les sciences dans ce contexte de construction de l’interdisciplinarité
de la nature et les sciences de la société ; articuler la re- que la ville et les problématiques urbaines sont abor-
cherche et l’action ; interroger la place de la science dans dées dans NSS, à travers cinq grandes thématiques de
la société. Ces objectifs découlent d’une réflexion sur les recherches et de débats.
programmes interdisciplinaires de recherche français des
années 1970 et 1980 ayant donné lieu à un livre intitulé
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Sciences de la nature, sciences de la société : les passeurs de fron- Les grandes thématiques de recherches
tières (Jollivet, 1992). Ces recherches ont essentiellement et de débats sur la ville et la question
porté sur le milieu rural en mettant à contribution des urbaine
disciplines techniques (agronomie, foresterie, sciences de
l’aménagement), naturalistes (écologie, géographie phy- Nuisances urbaines et qualité du cadre de vie
sique...) et des sciences sociales (anthropologie, géogra-
phie humaine, sociologie...). Comme le souligne Olivier De nombreuses nuisances ont des incidences sur la
Godard (1992, p. 337), « ces programmes furent lancés qualité de vie des citadins : bruits, odeurs désagréables,
avec des motivations et dans un contexte qui ne se rat- saletés, etc. Cette question est abordée dans la revue à
tachaient pas à une problématique de l’environnement, travers trois articles. D’abord, Alain Léobon (1995) s’in-
mais principalement à celle de la prise en compte de la téresse à la qualification des ambiances sonores urbaines
dimension biologique des activités agricoles et de l’amé- dans une perspective d’aide à la décision et d’améliora-
nagement rural ». Ce contexte historique de recherche in- tion de la qualité de vie urbaine. À partir d’une étude sur
terdisciplinaire, caractérisé par le passage de la notion de un quartier historique de la ville de Nantes, il propose
rural à celle d’environnement (Mathieu et Jollivet, 1989), « d’aborder l’environnement sonore comme l’indicateur
explique probablement en grande partie la faible impor- d’une certaine qualité de vie plutôt que comme la mesure
tance accordée à la ville et à la question urbaine dans la d’une nuisance inévitable » (loc. cit., p. 26). Sa méthode
revue. des promenades sonores « simule le parcours d’un usager
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du quartier [qui] sillonne de façon assidue le dédale ur- subjectif des mesures ainsi que de la représentation des
bain muni d’un enregistreur lui permettant d’enregistrer problèmes et des solutions. Cela conduit les chercheurs
sur une bande magnétique les fragments de conscience en sciences naturelles soit à développer des approches
du paysage qu’il traverse » (ibid., p. 31). Sa démarche dé- qualitatives originales allant au-delà de la mesure (la
bouche sur des cartes d’ambiances sonores destinées à qualification des ambiances sonores), soit à recourir à
améliorer la gestion de l’animation urbaine et à faciliter l’expertise des sciences sociales pour mieux comprendre
celle des conflits entre les usagers et les habitants. la représentation des problèmes (étude des plaignants et
Par ailleurs, dans le cadre d’une enquête menée dans des rapports citadins/oiseaux). Le troisième constat ren-
38 municipalités de Bretagne sur des plaintes relatives voie aux préoccupations gestionnaires qui sous-tendent
aux concentrations d’oiseaux en milieu urbain, les tra- ces études visant à une meilleure gestion des conflits et
vaux de Clergeau et al. (1996) ont permis de caractériser des interventions, ce qui ne va évidemment pas de soi, le
trois types de nuisances : les salissures (43 %), le bruit passage de la connaissance d’une situation donnée à l’in-
(36 %) et les risques pour la santé (21 %). Selon les au- tervention publique étant toujours problématique. Enfin,
teurs, « l’acuité de ces problèmes d’environnement est ces recherches soulèvent l’épineuse question du cumul
largement imputable à la difficulté à repousser ou à sup- des nuisances et des pollutions sur un territoire donné
primer les oiseaux incriminés de la ville » (loc. cit., p. 111). et, par conséquent, des problèmes méthodologiques liés
L’étude confirme que le phénomène de la concentration à la caractérisation, à l’évaluation et à la gestion de ces
d’oiseaux en milieu urbain s’accentue, ce qui accroît la effets cumulatifs.
demande d’intervention auprès des responsables muni-
cipaux. De plus, l’analyse sociologique plus spécifique
Pollutions locales et gestion patrimoniale du cadre
des plaignants révèle que le passage à la plainte est gé-
de vie urbain
néralement le produit d’une action collective, un résultat
qui conduit les chercheurs à recommander aux gestion- Les activités industrielles sont génératrices de di-
naires de revoir leurs méthodes d’intervention qui consis- verses pollutions locales (air, eaux, sols), dont la prise en
taient à répondre à chaque plainte par une intervention compte fait intervenir une multitude d’acteurs possédant
systématique. des points de vue et des intérêts divergents – industriels,
Enfin, à partir d’une étude de terrain portant sur élus locaux, fonctionnaires, associations, citoyens –, ce
une commune urbaine industrielle de la banlieue pari- qui pose des problèmes de coordination. Afin de mieux
sienne, la ville de Saint-Denis, Nicourt et Girault (1997) comprendre la gestion locale des pollutions industrielles,
développent « l’hypothèse que les contraintes d’environ- deux recherches issues de l’économie et de la gestion
nement contribuent à la dynamique des territoires ur- tentent de rendre compte des pratiques de gestion effec-
bains » et que la « relégation environnementale » s’ac- tive des pollutions atmosphériques par les industriels et
compagne d’une « relégation sociale » (loc. cit., p. 32). de proposer des stratégies de changement (Galle, 1993 ;
Leur analyse, qui combine histoire urbaine et géogra- Barbier, 1995). Pour ce faire, l’approche méthodologique
phie, révèle une tendance à minimiser les nuisances les développée consiste à « se situer dans le quotidien des
moins importantes (odeurs, émanations nuisibles et alté- prises de décision pour observer cette prise en compte
rations des eaux) au profit de celles considérées par les des pollutions atmosphériques dans les systèmes d’ac-
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pouvoirs publics comme étant les plus problématiques, tion concrets où elle a lieu (Galle, 1993) » (Barbier, loc. cit.,
dont le bruit et la pollution atmosphérique liés à l’inten- pp. 319-320). La démarche de recherche ainsi développée
sification du trafic routier, de sorte que les effets cumu- vise à repérer les acteurs, à rendre compte de leurs repré-
latifs de ces nuisances sur la qualité du cadre de vie et sentations des problèmes et des solutions et à analyser
la santé des populations ne sont pas considérés. Ainsi, les systèmes d’actions concrets au sein des processus dé-
« la permanence de la relégation environnementale sur le cisionnels pour éventuellement proposer des stratégies
long terme s’accompagne d’une transformation des nui- de résolution de ces problèmes.
sances ; mais, dans le même temps, la transformation de Ainsi, à partir d’une enquête menée auprès des prin-
leur nature met en évidence des processus qui perpétuent cipaux acteurs et des industriels de la « vallée de la chi-
les héritages historiques » (ibid.). mie » lyonnaise, Marc Barbier cherche à « comprendre
Plusieurs constats se dégagent de ces recherches sur comment les industriels se représentent et justifient leurs
les nuisances urbaines. D’abord, cette notion, qui est gé- pratiques de mesure et de traitement de la pollution dans
néralement associée à des inconvénients relativement mi- leur établissement, au sein d’un système de gestion de la
neurs, soulève également des préoccupations quant aux pollution atmosphérique à l’échelle du territoire » (ibid.,
effets négatifs sur la santé humaine et à la qualité de vie p. 320). Les résultats de la recherche indiquent que les in-
et du paysage urbain. Le deuxième constat renvoie à la dustriels rejettent la régulation marchande et cherchent
difficulté à caractériser « objectivement » ce type de pro- plutôt à baser leur action sur le respect de la réglemen-
blèmes, notamment en raison du caractère plus ou moins tation. L’étude met en évidence le réseau d’acteurs, les
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voies de compromis entre des univers de justification entre la recherche et les médias, soulève des questions
(industriel, civique, d’opinion) ainsi que les possibilités importantes en matière de débat public ; elle renvoie à
d’une participation des industriels à une gestion patri- l’organisation de « forums hybrides » autour de ques-
moniale et négociée de la qualité de l’air à l’échelle du tions controversées (Callon et al., 2001) et à la mise en
territoire. place de procédures pour débattre publiquement et de
Dans cette perspective de gestion patrimoniale, façon scientifiquement fondée des problèmes de pollu-
E. Torres (1998) propose un programme de recherche tions et d’environnements urbains (Simard et al., 2006).
centré sur l’économie de la qualité du cadre de vie ur- Depuis cette polémique, la question des effets sur
bain. L’approche développée renvoie au concept nord- la santé de la pollution atmosphérique a été identi-
américain de gestion intégrée de l’environnement axé fiée comme une priorité de recherche du programme
sur la concertation et la négociation entre des stakehol- Primequal-Predit5 (Fontan, 2001). Les recherches de la
ders (Margerum, 1999)3. En effet, les promoteurs de l’ap- première phase du programme (1995 à 2000) ont es-
proche patrimoniale estiment que « seule l’implication sentiellement porté sur la mesure de la pollution et les
de tous les acteurs privés ou publics est à même de conséquences sur la santé humaine. Mais, au-delà de ces
faire face à la complexité extrême des systèmes à gé- questions de fond, les difficultés liées à l’action publique
rer » (Falque, 1996, p. 112). Cette vision s’inscrit dans un visant à lutter contre la pollution atmosphérique urbaine
courant de recherche en sciences sociales qui cherche à demeurent peu étudiées. À cet égard, les résultats des
lier les connaissances scientifiques interdisciplinaires à travaux portant sur la planification des transports et les
l’action publique, en considérant plus particulièrement politiques de déplacements urbains au Canada (Gauthier,
les procédures et les pratiques émergentes de gestion de 2005), en France (Offner, 2006) et en Europe (Jouve, 2003)
l’environnement axées sur la concertation, le débat pu- sont révélateurs : malgré les innovations institutionnelles
blic et la délibération entre les acteurs (Billé et al., 2003 ; et procédurales favorisant une action publique négociée,
Salles, 2003 ; Simard et al., 2006). on remarque une très grande stabilité du contenu des
politiques, qui demeurent largement sectorielles.

Pollution atmosphérique urbaine et santé humaine


Écologie urbaine et nature en ville
La qualité de l’air apparaît comme un enjeu spécifi- La notion d’écologie urbaine s’est imposée en France
quement urbain en raison principalement des épisodes à partir du début des années 1980 (Barnier et Tucoulet,
de smog qui peuvent avoir des incidences importantes 1999 ; Berdoulay et Soubeyran, 2002). Elle renvoie à une
sur la santé des citadins. Toutefois, s’il est généralement démarche qui essaie d’appliquer à la ville les méthodes
reconnu que la qualité de l’air extérieur peut avoir des de l’écologie et qui adopte une conception « biocen-
effets négatifs sur les personnes souffrant de patholo- trique » associant l’environnement à la nature (Torres,
gies respiratoires chroniques et cardiaques, la relation de 1998). Toutefois, l’identité précise, la légitimité scien-
cause à effet entre la pollution de l’air et la mortalité fait tifique et la pertinence de cette notion sont toujours
l’objet d’âpres débats dans la communauté scientifique. demeurées ambiguës. Déjà, en 1993, Francis Beaucire
Cette question a d’ailleurs suscité une vive polémique (1993) s’interrogeait sur la pertinence de cette notion re-
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entre les auteurs d’une étude épidémiologique et le co- mise à l’avant-scène avec l’appel à proposition de re-
mité éditorial de NSS4 . Cette controverse, qui a porté sur cherche « La ville au risque de l’écologie6 ». Quoi qu’il
la place de la science dans la société et sur les rapports en soit, ce programme de recherche, dont l’ambition
3
Pour une présentation du concept nord-américain de ges- était « d’amener les chercheurs à construire les fonde-
tion intégrée de l’environnement en lien avec le concept de ments scientifiques de l’étude de la ville comme ob-
« ville durable », voir Gauthier et Lepage (2005). jet écologique », a favorisé plusieurs recherches portant
4
L’enquête épidémiologique dont il est question a été sur les rapports sociétés/natures7 . Parmi celles-ci, deux
conduite sous l’égide du Réseau national de santé publique
5
(RNSP) dans le cadre du programme de recherche européen Le Programme de recherche interorganisme pour une
APHEA (Air Pollution and Health) et portait sur les impacts de la meilleure qualité de l’air à l’échelle locale (Primequal) est un
pollution atmosphérique urbaine sur la mortalité quotidienne programme de recherche finalisée lancé en 1995 ; il a été associé,
à Lyon et à Paris. Ses résultats ont été publiés dans la revue en 1997, au Programme national de recherche et d’innovation
Santé publique (Quenel et al., 1995). Dans un éditorial intitulé dans les transports terrestres (Predit).
6
« Pollution médiatique », Jollivet et al. (1996) s’inquiètent des Programme d’écologie urbaine « La ville au risque de
conséquences du traitement médiatique et de la diffusion des l’écologie : question à l’environnement urbain » du ministère
résultats de cette étude. Pour leur part, les auteurs de l’étude de l’Équipement, du Logement et des Transports (Plan Ur-
estiment « que la relation entre la pollution atmosphérique et la bain) et du ministère de l’Environnement (appel à proposition,
mortalité peut être directe et causale » et ils soutiennent que leur juin 1992).
7
intention n’était pas de dramatiser, mais de faire comprendre la Voir le compte rendu du bilan du programme dans NSS
portée et les enjeux de leurs résultats (Dab et al., 1996, p. 393). (Chouchan, 1998).
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recherches interdisciplinaires dont les résultats ont été De l’écologie urbaine à la ville durable
publiés dans NSS (Clergeau et al., 1996 ; Mathieu et al.,
1997) traitent des relations entre les citadins et les ani- À partir du début des années 1990, sous l’impulsion
maux (cf. aussi Clergeau et al., 1997 ; Rivault et al., 1994). du Sommet de Rio, l’expression « ville durable » s’est
L’étude de Clergeau et al. (1996 et 1997) sur les oiseaux progressivement substituée à celle d’« écologie urbaine »
en milieu urbain utilise l’espace géographique comme (Barnier et Tucoulet, 1999 ; Berdoulay et Soubeyran,
méthode interdisciplinaire – géographie, écologie, socio- 2002). Toutefois, la notion de ville durable a été jusqu’à
logie – pour proposer une lecture croisée des relations maintenant très peu explorée dans NSS9 , malgré l’im-
homme/animal dans le milieu urbain. Les résultats de portance du réseau européen des villes durables qui s’est
l’étude ont permis d’établir une meilleure compréhen- progressivement mis en place au début des années 1990
sion de la réalité biologique du phénomène en confir- (Emelianoff et Theys, 2000) et les expériences des villes
mant, entre autres, que les espèces concernées sont de canadiennes (Gauthier et Lepage, 2005 ; Sénécal, 1996 ;
plus en plus abondantes et présentes dans la ville, selon Sénécal et Hamel, 2001).
un gradient centre/périphérie. Sur le plan sociologique, Au Canada, comme en Europe, la notion de ville du-
ce travail a également permis de mieux comprendre les
rable se présente comme l’application des principes du
représentations que les citadins se font de la nature en
développement durable à la ville. Elle s’inscrit dans une
ville et de mettre en lumière leurs ambivalences.
volonté d’intégration des dimensions sociales, écono-
Pour sa part, l’analyse sur les rapports entre les ci- miques et écologiques du développement et se préoccupe
tadins et les blattes urbaines de Mathieu et al. (1997)8 de thèmes transversaux des politiques urbaines, dont les
est l’occasion pour les auteures de mener une réflexion questions de développement économique et d’équité so-
sur l’interdisciplinarité entre les sciences naturelles (éco- ciale. Une des principales spécificités du concept de ville
logie animale) et les sciences sociales (géographie ur- durable réside dans l’importance accordée aux outils de
baine). Selon elles, les dimensions relationnelles entre gouvernance et de participation publique visant à favori-
les chercheurs sont très importantes pour permettre de ser une gestion intégrée et concertée de l’espace urbain :
construire une démarche interdisciplinaire susceptible de Agendas 21 locaux, chartes pour l’environnement, indi-
soulever des hypothèses fertiles concernant les représen- cateurs de développement durable, réseaux d’échanges
tations que se font les citadins de la nature. d’expériences, répertoires de bonnes pratiques, lieux de
« Les premiers résultats des enquêtes font émer- concertation, de débats publics et de délibération, etc.
ger l’hypothèse que les citadins des villes post- Mais, au-delà des procédures de participation publique,
industrielles ont des « savoirs de la nature » mar- la notion de ville durable valorise les thèmes du lo-
qués par un certain nombre de traits : faible cal et de la communauté. Les idéaux de démocratie lo-
connaissance des fonctionnements biologiques et cale, d’équité sociale, de décentralisation, de participa-
des ressources renouvelables ; valorisation d’une tion sont remis en avant, en opposition aux démarches
idée de nature assimilée au beau et au sain ; déca- qui tentent de fonder « scientifiquement » une ville plus
lage entre les représentations et les pratiques, entre écologique. La communauté, à travers les institutions tra-
l’idéel et le matériel ; faible conscience de l’effec- ditionnelles (famille, école, paroisses et commerces de
proximité), et les associations de quartiers apparaissent
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tivité de leurs pratiques sur le milieu naturel et
l’environnement » (Mathieu, 2000, p. 80). comme une panacée pour la mise en œuvre de la ville
durable. Ainsi, dans la foulée des initiatives fondées sur
Cette perspective, qui vise à décoder les rapports so- la mobilisation des associations de quartier, dont l’ex-
ciétés/natures à travers les notions de représentation et périence du budget participatif de Porto Alegre (Abers,
de mode d’habiter, contribue à alimenter la réflexion sur 1998), certains proposent de redonner la gestion des quar-
la conciliation ville et environnement, sciences naturelles tiers aux citoyens : « le malaise urbain serait atténué si
et sciences sociales, connaissances scientifiques et action les quartiers avaient statut et budget, un pouvoir réel »
publique, au cœur des préoccupations de l’écologie ur- (Marconot, 2003, p. 267). S’il ne fait nul doute que l’ex-
baine (Berdoulay et Soubeyran, 2002). Toutefois, les am- pression ville durable est de plus et plus répandue, son
biguïtés de cette notion ne sont pas toutes résolues, alors contenu et les modalités de sa mise en œuvre ne vont
que s’impose celle de « ville durable ».
9
Il faut cependant souligner la tenue des Journées NSS 2000
8
L’étude visait à répondre à une question finalisée, à savoir sous le thème : « De l’écologie urbaine à la ville durable :
un meilleur contrôle d’un insecte urbain « nuisible » et « indési- quels besoins de recherches pour quelles pratiques interdis-
rable » : « comment améliorer le contrôle d’une espèce urbaine ciplinaires ? » (Paris, ENGREF, 6-7 décembre 2000), qui visait à
Blatella germanica dont la pullulation dans les immeubles col- approfondir la réflexion sur la notion de durabilité appliquée à
lectifs contribue au mal-être des habitants » (p. 29). L’enquête la ville et à explorer le concept de ville durable et qui a donné
a porté sur trois tours situées dans une zone d’urbanisation lieu à un ouvrage collectif intitulé La Ville durable, du politique
prioritaire de Rennes. au scientifique (Mathieu et Guermond, 2005).
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pas de soi. La ville durable soulève un formidable défi de reconceptualisation de la question urbaine dans une
d’action collective qui consiste à revoir les référentiels perspective plus large de développement durable. Ces
de l’action publique afin de décloisonner les approches réflexions réintroduisent les dimensions sociales et éco-
sectorielles au profit d’une vision intégrée (Gauthier et nomiques de la qualité de vie en milieu urbain. Tous ces
Lepage, 2005). exemples illustrent parfaitement la tendance à l’élargis-
sement des problématiques et au décloisonnement des
approches en matière d’environnement urbain dans le
Environnement urbain, ville durable sens du développement durable.
et interdisciplinarité Sur le plan méthodologique, cet élargissement des
problématiques conduit à des démarches interdiscipli-
La revue NSS a été fondée pour développer des pas- naires au sein des sciences sociales qui ne posent pas de
serelles entre les disciplines afin d’aborder les questions difficultés particulières, comme en témoignent plusieurs
d’environnement dans une perspective de résolution des des recherches et des réflexions mentionnées précédem-
problèmes. Cette démarche interdisciplinaire repose éga- ment. Toutefois, l’interdisciplinarité entre les sciences na-
lement sur une volonté de rapprocher la recherche scien- turelles et les sciences sociales présente plusieurs écueils
tifique de l’action publique et de s’interroger sur la place sur les plans conceptuel, méthodologique et épistémo-
de la science dans la société. Cette section examine la logique. La bonne volonté et les relations interperson-
contribution des recherches et des débats interdiscipli- nelles entre les chercheurs, quoique nécessaires, ne sont
naires sur la ville et l’urbain. pas suffisantes. Certes, plusieurs facteurs favorisent la
collaboration interdisciplinaire : « choix délibéré de l’in-
terdisciplinarité, identification précise des problèmes et
Construire l’interdisciplinarité : quelles démarches
interdisciplinaires sur la ville ? des intersections entre les disciplines, rigueur de la ré-
flexion sur les concepts et les outils, volonté de répondre
L’idée d’interdisciplinarité dans les recherches sur la à la question posée » (Mathieu et al., 1997, p. 29). Cepen-
ville se manifeste d’abord par une volonté d’élargisse- dant, l’interdisciplinarité n’est pas simplement une pra-
ment des problématiques habituelles et par un effort de tique sociale ; elle est également une méthode scientifique
conceptualisation des problèmes d’environnement ur- qui implique des innovations dans les façons de poser
bain. Rendre compte de la diversité sonore d’un quar- les problèmes de recherche et d’y répondre (Quensière,
tier au-delà de la mesure du bruit, par exemple, conduit 1997).
Léobon (1995) à développer le concept d’ambiances so- À cet égard, les recherches interdisciplinaires sur les
nores urbaines et à construire une démarche d’analyse animaux en ville associant l’écologie et la géographie
combinant mesure, acoustique et approche phénomé- urbaine apparaissent porteuses. Dans le cas de l’étude
nologique. Son concept d’ambiances sonores, beaucoup sur les oiseaux dans la ville, l’espace géographique a
plus qualitatif que la notion de bruit exprimée en dé- été utilisé comme méthode interdisciplinaire couplant
cibel, permet de mieux rendre compte de la perception trois disciplines : la géographie, l’écologie et la sociologie
par les citoyens de la qualité de leur cadre de vie. De (Clergeau et al., 1996 et 1997). Néanmoins, la démarche se
même, lorsque Clergeau et al. (1996) abordent les rapports présente comme la juxtaposition et la mise en commun
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homme/animal à partir des concentrations d’oiseaux en de deux démarches disciplinaires distinctes : d’un côté,
milieu urbain, ils envisagent plusieurs dimensions du les écologues ont confirmé la réalité biologique du phé-
problème ils considèrent non seulement les caractéris- nomène et des nuisances occasionnées par les oiseaux ;
tiques du phénomène biologique, mais également la de- de l’autre, l’analyse sociologique des plaignants à permis
mande sociale d’intervention ainsi que les questions de de mieux comprendre les perceptions et le passage à la
gestion de l’avifaune et d’aménagement du territoire ur- plainte. Il s’agit là davantage de pluridisciplinarité que
bain. Ils posent ainsi le problème en termes d’acquisition d’interdisciplinarité. Dans le cas de l’étude portant sur
de connaissances scientifiques, de gestion publique et de les rapports homme/blatte, l’interaction entre les deux
réponse à une demande sociale en faveur de l’améliora- disciplines (écologie et géographie) a contribué à une re-
tion de la qualité de vie. Par ailleurs, en proposant l’hy- formulation de la question de départ ainsi qu’au dévelop-
pothèse d’une relégation sociale et environnementale des pement d’un concept « mixte » (les pratiques de contrôle)
territoires, Nicourt et Girault (1997) cherchent à dépasser et d’un modèle conceptuel (le modèle habitant-blatte) qui
les notions de nuisances et de pollutions urbaines et à dé- va au-delà de la simple juxtaposition de disciplines.
velopper une perspective plus intégrée de la dynamique Enfin, pour ce qui a trait aux approches développées
des territoires urbains. Enfin, les réflexions théoriques sur pour aborder la ville et les problématiques urbaines, il
les problématiques de l’environnement urbain (Torres, convient de souligner deux constantes méthodologiques.
1998) ainsi que sur la durabilité de la ville de Nîmes et La première est l’importance accordée aux études et aux
de ses quartiers (Marconot, 2003) témoignent d’un effort enquêtes de terrain portant sur un site, un quartier,
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une ville, voire une agglomération. Qu’il s’agisse de approche différente de chaque plainte de façon à rame-
rendre compte de la diversité sonore d’un quartier his- ner ce conflit à ses justes proportions » et « de ne plus
torique de la ville de Nantes (Léobon, 1995), des pra- répondre à chaque plainte par une intervention systé-
tiques des industriels de la « vallée de la chimie » lyon- matique ». Ils leur proposent plutôt de tenir compte à la
naise (Barbier, 1995), des concentrations d’étourneaux à fois de l’ampleur du phénomène biologique et du ca-
Rennes (Clergeau et al., 1996), des conséquences de la ractère social des plaignants, voire, dans certains cas,
désindustrialisation d’une banlieue parisienne sur la dy- de laisser le plaignant intervenir lui-même sur le pro-
namique des territoires (Nicourt et Girault, 1997), des blème. Dans une perspective similaire, Mathieu et al.
blattes urbaines dans trois tours HLM d’un quartier de (1997) estiment qu’une meilleure connaissance des re-
Rennes (Mathieu et al. 1997) ou de la pollution atmosphé- présentations des habitants vis-à-vis des blattes urbaines
rique dans les grandes agglomérations (Quenel et al., et des pratiques de contrôle pourrait permettre aux ges-
1995), la démarche de recherche privilégiée repose sur tionnaires des HLM de mieux gérer leurs campagnes de
des enquêtes de terrain à l’échelle locale s’appuyant, désinfection, sans toutefois préciser de quelle façon cette
entre autres, sur des études documentaires, des obser- connaissance pourrait les aider.
vations minutieuses, des entretiens avec les acteurs, etc. Ces différents exemples témoignent avec éloquence
En outre, la réflexion théorique de Marconot (2003) sur d’une vision rationnelle et instrumentale des rapports
la ville et ses quartiers s’appuie sur des études de ter- entre recherche et action, la connaissance scientifique
rain, dans la ville de Nîmes et sa région, comprenant devant permettre de guider l’action et d’éclairer les dé-
plus de 25 années d’observations anthropologiques. La cideurs. Or, non seulement cette perspective a été for-
deuxième constante méthodologique, fortement liée à la tement critiquée pour ses risques de dérive technocra-
première, renvoie au parti pris pour des recherches finali- tique, mais elle s’inscrit dans un registre de persuasion
sées, c’est-à-dire des recherches qui visent à se rapprocher sociale dans lequel l’action publique se résume essen-
de l’action et de l’intervention. tiellement à informer et à convaincre du bien-fondé de
l’intervention proposée. De plus, cette vision des rap-
ports entre recherche et action fait l’économie d’une ré-
Articuler la recherche et l’action : les écueils
flexion sur l’intégration des connaissances scientifiques
de la recherche finalisée
dans les processus décisionnels qui font intervenir une
Si le parti pris en faveur de problématiques et de multitude d’acteurs possédant souvent des intérêts di-
questions de recherche finalisées s’avère fructueux pour vergents. À cet égard, les travaux issus des sciences so-
la collaboration interdisciplinaire (Mathieu et al., 1997), ciales portant sur la gestion effective de l’environnement
il n’est pas pour autant sans pièges. En cherchant à ré- selon une approche de gestion patrimoniale de la qualité
soudre des problèmes, à répondre à une demande sociale du cadre de vie urbain (Galle, 1993 ; Barbier, 1995 ; Torres,
ou à des exigences d’action, les chercheurs sont souvent 1998) apparaissent prometteurs. En permettant de révé-
amenés à émettre des recommandations aux décideurs et ler les réseaux d’acteurs, d’identifier les représentations
aux gestionnaires, sans toutefois prendre en compte les des problèmes et des solutions et de mettre en lumière
contraintes inhérentes à l’action publique. les possibilités de compromis, ils ouvrent la voie à une
Lorsque Léobon (1995) propose d’utiliser sa dé- gestion intégrée des problématiques urbaines s’appuyant
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marche très fine de caractérisation des ambiances sonores sur la concertation, la négociation, le débat public et la
pour améliorer la gestion de l’animation urbaine et ré- délibération entre acteurs.
soudre des conflits d’usage, il fait abstraction des diffi-
cultés intrinsèques à toute démarche d’aide à la décision.
L’évaluation des ambiances sonores réalisée par l’expert Rapports sciences/sociétés : vers une gestion
ne correspond pas nécessairement à la réalité vécue par concertée de l’environnement urbain
les usagers et les résidents du quartier Graslin à Nantes.
De plus, si l’outil développé peut permettre d’identifier La gestion de l’environnement fait de plus en plus ap-
les zones potentielles de conflits entre usagers et habi- pel à des dispositifs de concertation, de participation et
tants, il ne peut déterminer les actions à entreprendre de négociation pour définir les problèmes et développer
pour résoudre et gérer ces conflits. des actions concertées pour les résoudre (Billé et al., 2003 ;
Les difficultés posées par le passage de la connais- Gauthier, 2004 ; Salles, 2003). Les initiatives récentes en
sance scientifique à l’action publique sont également ré- matière d’environnement urbain et de développement
vélées par l’examen des recommandations formulées au durable des villes reposent d’ailleurs essentiellement sur
terme des études sur les rapports entre citadins et ani- ces procédures visant à associer une diversité d’acteurs
maux. En ce qui concerne les concentrations d’oiseaux aux processus décisionnels et de planification des villes.
en milieu urbain, par exemple, Clergeau et al. (1996, Or, ces questions sont encore très peu étudiées et sont
p. 14) recommandent aux gestionnaires d’adopter « une pratiquement absentes des réflexions actuelles portant
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sur la ville et les problématiques environnementales ur- villes et les agglomérations urbaines en termes d’innova-
baines dans NSS. La question de la pollution atmosphé- tions institutionnelles et procédurales pour lutter contre
rique urbaine, par exemple, n’est jamais abordée dans ce problème important en raison de ses conséquences sa-
une perspective interdisciplinaire visant, d’une part, à nitaires connues et appréhendées. Les recherches portant
établir des diagnostics et des évaluations du phénomène sur la nature en ville contribuent aussi à renouveler le
(mesure de la qualité, conséquences sanitaires, effets sur questionnement sur les rapports que l’homme entretient
les écosystèmes, etc.) et, d’autre part, à rendre compte avec la nature, tout en favorisant une collaboration inter-
de la capacité des agglomérations urbaines à développer disciplinaire entre les sciences naturelles et les sciences
une action concertée pour résoudre ce problème (innova- sociales. L’étude des représentations – de la nature, des
tions institutionnelles, instruments de planification terri- problèmes, des solutions, des pratiques et des usages –
toriale, procédures de concertation et de débat public, semble d’ailleurs porteuse d’un renouvellement des pro-
etc.). blématiques. Enfin, la notion de gestion patrimoniale du
On assiste toutefois, en France comme au Canada, au cadre de vie urbain et l’émergence du concept de ville
développement d’une communauté de recherche élargie durable introduisent de nouveaux cadres d’analyse en
issue des sciences sociales et regroupant plusieurs pers- matière d’intégration des dimensions écologique, écono-
pectives disciplinaires sur les questions de concertation et mique et sociale du développement urbain. L’élargisse-
de décision dans le domaine de l’environnement (Billé et ment des problématiques et des réflexions sur la ville et
Mermet, 2003 ; Salles, 2002 ; Simard et al., 2006). La concer- l’espace urbain contribue à réactualiser la pertinence des
tation autour des projets d’infrastructures de transports objectifs de NSS, qui visent à construire une interdisci-
constitue un thème central de ces recherches qui s’inté- plinarité répondant aux exigences de l’action publique et
ressent aux rapports entre concertation, participation et aux besoins des sociétés modernes.
décision, ainsi qu’à l’analyse des conflits (Gauthier, 2005 ;
Fourniau, 2003). La gestion de l’eau à l’aide d’instruments
de planification axés sur la concertation et la négociation Références
entre acteurs représente également un thème important
de ces recherches (Allain et Emerit, 2003 ; Gauthier et Abers, R., 1998. La participation populaire à Porto Alegre, au
Lepage, 2005 ; Lepage et al., 2003 ; Thoyer et al., 2004) qui Brésil, Les Annales de la recherche urbaine, 80-81, 43-54.
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dures de gestion de l’environnement dans un contexte
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