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E-RÉPUTATION, REGARDS CROISÉS SUR UNE NOTION ÉMERGENTE

Christophe Alcantara (dir.), Gualino Éditeur et Lextenso éditions, Issy-les-


Moulineaux, 2015, 204 p.

Camille Rondot

NecPlus | « Communication & langages »

2016/1 N° 187 | pages 148 à 150


ISSN 0336-1500
DOI 10.4074/S0336150016011091
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2016-1-page-148.htm
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la démarche, favorisant plutôt le raisonnement leurs investissements publicitaires. Ils ont pris
inductif que déductif. Avec ce mode d’extraction conscience de leur ascendant dans la relation
des données, on part souvent des données qui les unit aux diffuseurs de contenus dans le
collectées pour ensuite poser les questions financement des innovations médiatiques telles
et déterminer les hypothèses pertinentes. Les que la télévision interactive.
difficultés posées concernent aussi la repro- L’apport de ce livre réside dans le fait de poser
ductibilité des expérimentations scientifiques, la question de l’évaluation dans son rapport avec
d’où la proposition formulée par les auteurs la communication, l’information et les médias.
de mutualiser les savoir-faire, notamment en Dans différents secteurs, les métriques se multi-
s’appuyant sur le logiciel libre et la coopération plient, que ce soit pour mesurer la performance
entre les équipes de chercheurs. d’individus, d’institutions ou d’entreprises. Si
Alain Bovet et Olivier Voirol démontrent que les l’évaluation désigne un « vaste ensemble de
émissions de talents shows françaises et alle- processus et de résultats fait de récits et de
mandes consacrées au domaine musical com- représentations, de mécanismes, d’instruments,
prennent des épreuves évaluatives sur lesquelles de pratiques et d’institutions qui fabriquent les
règne une incertitude relative aux critères prési- qualités et les valeurs des entités » (p. 3), cela
dant à l’évaluation. Le spectateur est appelé à semble parfois s’accompagner de processus
combler lui-même les incertitudes en participant d’homogénéisation, de standardisation et de ra-
à la sanction par son vote téléphonique. Et tionalisation des comportements. Dès lors, nous
le jugement émis n’est pas tant un jugement pouvons nous demander dans quelle mesure
individuel, susceptible d’être défendu et argu- les équivalences postulées par la réduction
menté en public, que son agrégation, en tant que des qualités en quantités mesurables seraient
participation à un ensemble d’évaluations quan- susceptibles de nuire à l’indispensable existence
tifiées qui produisent une somme. La validation de conceptions variées et de regards pluriels sur
s’opère donc sur un mode comptable, à partir le monde.
d’un nombre d’appels téléphoniques tarifés. Ces
émissions donneraient à voir la manière dont le ALAN OUAKRAT
marché s’affirme comme un mode d’approbation
de la valeur des activités et des performances
humaines. De plus, elles affirmeraient une exi- E-RÉPUTATION, REGARDS CROISÉS SUR UNE
gence de transparence pesant sur les sujets con- NOTION ÉMERGENTE
temporains, soumis à des dispositifs impliquant Christophe Alcantara (dir.), Gualino Éditeur et
l’évaluation continue. De fait, la transparence est Lextenso éditions, Issy-les-Moulineaux, 2015,
alors justifiée comme principe de gouvernement 204 p.
des populations, rendu acceptable et nécessaire. Cet ouvrage collectif est le résultat d’un col-
Lee McGuigan prend pour objet la télévision loque international pluridisciplinaire organisé
interactive. Il montre comment les informations à Toulouse en 2013 et intitulé « E-réputation
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fournies en temps réel sur le comportement et traces numériques : dimensions instrumen-
des audiences agissent sur la conception du tales et enjeux de société ». Reposant sur
rôle du téléspectateur-consommateur. Avec les le constat suivant : « L’e-réputation n’est
technologies numériques, les médias, devenus pas une mode, c’est un phénomène qui est
interactifs, sont poussés par les annonceurs vers amené à s’inscrire durablement dans notre vie
le marketing direct et la relation client. Les quotidienne. L’e-réputation n’est pas uniquement
annonceurs veulent maximiser le retour qu’ils un outil, une promesse opérationnelle pour in-
obtiennent des audiences qu’ils achètent. En vestir des marchés, c’est un enjeu de société »
effet, les retours sur investissements (ROI) sont (p. 7) énoncé par Christophe Alcantara, l’ouvrage
identifiables avec plus de précision, le lien de se veut un lieu de dialogue et de réflexion sur la
causalité entre la publicité et les ventes pouvant notion d’« e-réputation ». Aussi met-il en regard
apparaître de façon traçable. La capacité de un ensemble de contributions émanant d’auteurs
mesure en temps réel et celle de réponse aux origines disciplinaires plurielles : sciences
directe des médias interactifs incitent médias de l’information et de la communication, droit,
et annonceurs à intensifier la surveillance des sociologie, etc.
comportements des consommateurs. Ce ne sont Cette recherche de dialogue et de pluridis-
pas seulement les pratiques de consomma- ciplinarité se retrouve aussi dans le choix
tions des programmes que voudraient évaluer des objets et des perspectives de recherche
les annonceurs, mais les consommations plus qui sont autant d’éléments structurants dans
spécifiques de leurs marchandises. Les médias l’organisation de l’ouvrage. Ce dernier com-
souhaitent privilégier le statu quo, ne pas être prend deux parties, dont la première se veut
rendus comptables des ventes enregistrées par épistémologique. Elle vise à investiguer les
les entreprises. Toutefois, les annonceurs veulent sens de l’e-réputation à travers deux entrées
des preuves et des garanties d’efficacité de complémentaires : des cadres d’analyses et

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conceptuels et des cadres juridiques. La seconde réputation numérique véhiculées par les profes-
partie interroge les dimensions opérationnelles sionnels du « conseil en identité numérique ».
de l’e-réputation : la notion est ancrée dans la Pour Audrey Laplante, il s’agit de relever les
praxis et l’ouvrage semble vouloir poser les jalons conséquences de l’exposition des goûts musi-
d’une prise en compte d’une pragmatique de caux des adolescents sur Facebook. Enfin, Gérald
l’e-réputation. Nous en donnerons d’abord ici une Lachaud, Martine Vila-Raimondi et Stéphane
approche générale. Degroisse questionnent la notion dans l’espace
Dans la première partie de l’ouvrage, la contri- du musée : son apparente contradiction avec
bution de Louise Merzeau permet d’appréhender l’image poussiéreuse du musée, mais aussi la
l’e-réputation à la fois comme une valeur façon dont sa gestion peut amener à une nouvelle
mesurée, un savoir-faire technique et une idéolo- économie des écritures.
gie. Pour Étienne Candel et Gustavo Gomez- Marqué par sa diversité, cet ouvrage permet de
Mejia, l’e-réputation est une formule1 marquée saisir la dimension plurielle de l’e-réputation et
par une opérativité spécifique. Quant à Cléo des manières de l’envisager, de la conceptualiser
Collomb, elle propose, grâce à la mobilisation et de l’opérationnaliser. Plus encore, la partie
des travaux de Jacques Derrida, de dépasser consacrée à ses « composantes juridiques »
le paradigme indiciaire pour sortir d’une con- l’inscrit dans un cadre et dans un système de
ception instrumentale de la trace. Julien Pierre contraintes en développement. En ce sens, il
présente le cadre des théories des industries s’agit d’en interroger à la fois les sens (juridiques,
culturelles comme permettant de dépasser une sémiotiques, sociaux) et les effets de sens :
critique sur l’emprise de la sphère marchande. aller d’une épistémologie de la notion à la
La seconde section de cette première partie mo- prise en compte de la réflexivité des pratiques
bilise un ensemble de spécialistes du droit. Pierre qui lui sont liées. Pour ce faire, les différents
Trudel explicite les différences entre conceptions auteurs mobilisent des cadres théoriques et
américaine et européenne de l’e-réputation. méthodologiques propres. Les travaux de Louise
Philippe Mouron articule cette dernière avec Merzeau liés à la trace sont ainsi régulièrement
le droit à l’identité et la liberté d’expression. cités, tout comme ceux de Dominique Cardon
Les deux contributions suivantes interrogent la sur la visibilité, ou encore les théories de
question du droit à l’oubli : Édouard Cruysmans l’acteur-réseau. Mais encore, les méthodologies
et Céline Romainville en pointant sa dimension déployées sont propres à chaque contribution :
complexe et non aboutie, notamment au regard de l’analyse sémiotique à l’analyse juridique
de la liberté d’expression ; Christina Kompli en passant par des terrains sociologiques.
en abordant son remplacement par le droit à Ces différents cadres permettent aux auteurs
l’effacement. d’analyser des objets empiriques pluriels, ces
Dans la seconde partie de l’ouvrage, Serge « observables »2 de l’e-réputation en devenant
Agostinelli et Marielle Metge abordent la dimen- alors des déclinaisons sociales.
sion sémiotique de l’e-réputation, pour laquelle le Tous ces objets amènent à envisager une
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discours sur le faire remplace le faire. Bérengère réflexion plus générale sur la question de l’« e-
Stassin et Stéphane Chaudiron interrogent, à réputation » que nous avons choisi d’articuler
partir d’une analyse de contenus, les liens entre ici autour de quatre concepts essentiels : la
information et réputation, puis entre recomman- visibilité, la réflexivité, la temporalité et la per-
dation et e-réputation. Olivier Koch considère les formativité. Le premier est ainsi présenté comme
processus de stabilisation de la notion à par- une forme de corollaire de l’e-réputation : la
tir du marketing dédié. Jean-Claude Domenget visibilité traduit une contrainte sociétale, une
questionne ses modalités de construction sur conception d’un être-au-monde sur le numérique.
Twitter. Valérie Larroche s’intéresse notamment La réflexivité innerve quant à elle toutes les
à la question de la crédibilité et du caractère analyses des auteurs : de leur propre posture
obligatoire du recours aux réseaux dits « sociaux vis-à-vis de la notion à la volonté d’éclairer le
professionnels ». Baptiste Kotras propose, entre recours croissant à des outils techniques permet-
autres, une réflexion sur la construction de tant d’accroître la visibilité des professionnels. La
la catégorie de l’influence. Francine Charest temporalité est à la fois celle du média numérique
s’intéresse au rôle des « animateurs de commu- et celle des acteurs mobilisés. Enfin, la prise en
nautés » en relations publiques. Dans la dernière
section de cette seconde partie, Constance
Georgy s’intéresse aux représentations de la 2. Virginie Julliard, Julia et Bonaccorsi,
« ”La délibération” comme observable : une
question de communication », Au cœur et aux
1. Alice Krieg-Planque, La notion de « for- lisières des SIC, XVIIe Congrès de la SFSIC,
mule » en analyse du discours. Cadre théorique et université de Dijon, Dijon, 23 juin 2010,
méthodologique, Besançon, Presses universitaires http://fr.calameo.com/read/0007559198827faf8
de Franche-Comté, 2009. 8a13

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compte de la notion de performativité amène à Le livre – scindé en trois temps et autant


s’intéresser à la pragmatique de l’e-réputation. de chapitres – débute par une suite de
Dans cette perspective, elle est souvent associée constats et remises en contexte nécessaires
à la question de l’influence. Cette dernière à l’appréhension économique de l’état actuel
apparaît d’ailleurs, tout comme la notion de du journalisme. S’appuyant sur de nombreux
« réputation », comme un référentiel définition- graphiques et des tableaux synthétisant ses
nel : il s’agit de bien situer la performativité propos (tous téléchargeables en annexes
par rapport à elles pour en saisir la portée numériques), l’économiste présente l’ampleur
heuristique. La notion d’e-réputation est ainsi d’un problème qui trouve ses fondements bien
associée à un ensemble de notions et concepts au-delà de la récente crise financière ou de
comme l’identité numérique, la confiance, la l’arrivée d’Internet. Entre autres, s’il augmente
recommandation, la conversation. . . en valeur absolue, par rapport au nombre des
D’une manière générale, ce qui rassemble ces professions intellectuelles en France, le nombre
analyses est la place fondamentale occupée par de journalistes ne cesse de diminuer. Aussi, en
la dimension matérielle des dispositifs de l’e- baisse constante depuis 1956 (en pourcentage
réputation, qu’il s’agisse de prendre en compte PIB) aux États-Unis, les recettes publicitaires
les médiations de l’hypertexte, le poids des des journaux n’apparaissent plus comme une
logiciels ou le rôle du calcul. L’e-réputation est source fiable et durable de revenus. De leurs
finalement avant tout définie par sa technicité côtés, les injections massives et spontanées de
et par sa dimension évaluative : elle serait capitaux par les milliardaires ont trouvé, avec
ainsi à la fois quantifiable et qualifiable. Ce le récent exemple de Libération, l’expression de
constat amène les auteurs à l’aborder non pas leurs contradictions. Loin de nier l’effet immédiat
comme une évidence, mais telle une construction apparemment positif de tels rachats, l’auteure
sémiotique, juridique, sociale et foncièrement interroge leurs intérêts sur le long terme et
technique. On pourrait ainsi dire qu’elle relève le danger qu’une telle généralisation pourrait
d’une instrumentalisation des réseaux sociaux – provoquer pour l’évolution du fonctionnement
professionnels ou non – tout en opérant comme de nos démocraties. Ni « danseuses » (p. 13)
un révélateur du social, ou tout du moins selon – l’expression désigne le caractère éphémère
nous, des prétentions portées par ces dispositifs et superficiel de la relation entre un média
spécifiques. et un milliardaire – pour héritiers en mal de
divertissement, ni condamnés à l’engrangement
CAMILLE RONDOT du profit, les médias d’information devraient,
selon elle, servir un objectif plus grand de
vecteur de débat dans l’espace public et de
SAUVER LES MÉDIAS. CAPITALISME, FINANCE- garant de la qualité de ce débat.
MENT PARTICIPATIF ET DÉMOCRATIE Fort d’un prisme historique et d’une approche
internationale, l’ouvrage montre qu’en dehors de
Julia Cagé, Seuil-La République des idées, 2015,
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quelques aventures isolées, la grande majorité de
128 p.
la presse prend la forme de sociétés par actions,
Si les constats et symptômes de la crise actuelle-
menant à une recherche du profit qui outrepasse
ment vécue par nombre de médias d’information
les engagements moraux pris explicitement ou
sont largement médiatisés et partagés, les idées
implicitement par les journalistes des médias
pour y apporter des solutions le sont beaucoup
moins. Dans son essai Sauver les médias, paru d’information. L’information (au sens journalis-
tique du terme) est appréhendée dans l’ouvrage
aux éditions du Seuil et de La République des
comme un bien public, en tant que socle de la
idées en février 2015, Julia Cagé, professeure
participation politique ; elle ne peut ni ne doit être
d’économie à Sciences Po Paris, propose de
prendre le problème sous un jour peu abordé en directement produite par l’État et se situe en cela
au croisement des secteurs public et privé. La
sciences de l’information et de la communica-
double approche diachronique et synchronique
tion : par les structures juridiques et les cadres
permet à l’auteure d’offrir un point d’entrée clair
économiques dans lesquels s’insèrent les édi-
teurs de presse. L’ouvrage, sous-titré « Capital- et documenté pour quiconque s’intéresse aux
enjeux économiques contemporains des médias
isme, financement participatif et démocratie », se
d’information. La deuxième partie de l’ouvrage
veut critique envers le fonctionnement des sys-
présente un certain nombre d’idées reçues – des
tèmes de financement des médias, que l’auteure
juge inadapté aux réalités économiques contem- « illusions » (p. 40) – qui empêchent de se poser
les bonnes questions et ont pour conséquence
poraines. Après deux chapitres sous forme de
l’impossibilité d’entrevoir des solutions viables.
diagnostic de la situation, l’ouvrage débouche en
De l’illusion des « audiences Internet en millions »
dernier lieu sur la proposition d’un nouveau statut
(p. 58) à celle des médias « sous assistance »
juridique tenant compte des spécificités et du
(p. 62) en passant par celle de la concurrence
rôle des entreprises médiatiques dans le paysage
ou d’un « nouvel âge d’or » (p. 71) des médias,
démocratique et culturel du XXIe siècle.

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