Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
PERFORMANCE
Le Seuil | « Communications »
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
© Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)
Richard Schechner
125
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 126/296
Richard Schechner
3) rapports public-acteurs,
4) séquence performative dans son ensemble,
5) transmission du savoir performatif,
6) comment les performances sont créées et évaluées.
Après avoir passé ces points en revue, j'écrivais : « Ces six points de
contact doivent être élargis et approfondis. Les méthodes anthropologiques
et théâtrales sont en passe de converger. Un nombre croissant de praticiens
traverse les frontières dans les deux sens » (ibid., p. 26). Je donnais alors
comme exemples de ce brouillage des frontières le travail de mise en scène
de Peter Brook, dont le spectacle Les Iks (1975) était inspiré de l'ouvrage
du même nom de Colin Turnbull ; l'École internationale d'anthropologie
théâtrale d'Eugenio Barba ; la « performance de l'ethnographie » théorisée
et mise en pratique par Victor et Edith Turner ; le « jeu des castes
indiennes » pratiqué par McKim Marriott à l'université de Chicago ; et le
projet de « drame objectif » de Jerzy Grotowski. Je concluais ainsi mon
chapitre :
Quelle est donc ma position actuelle sur ces questions ? Les anciens
« points de contact » sont-ils toujours pertinents ; y en a-t-il d'autres ; cer-
tains, abordés il y a plus d'un quart de siècle, ont-ils disparu ; les para-
digmes théâtral et anthropologique ont-ils convergé davantage ou ont-ils
divergé ; le comportement humain est-il plus susceptible d'être analysé en
termes culturels ou quantifiables ? Les anciens points de contact sont tou-
jours valables. Mais ils concernent tous la manière d'aborder la création et
la réception de performances à l'aide de méthodologies qui rapproche-
raient les Performance Studies (alors, au début des années 1980, en cours
de formation) et l'anthropologie : un programme méthodologique mutuel,
si l'on veut.
On a beaucoup progressé depuis. On a assisté au « tournant performatif »
en anthropologie, particulièrement visible dans les œuvres de Goffman,
126
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 127/296
127
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 128/296
Richard Schechner
Magnat exige que l'on prenne au sérieux non seulement les visions du
monde mais aussi les épistémologies-méthodologies des peuples « indi-
gènes ». Comme l'écrit Manulani Aluli Meyer, « le savoir est incarné et uni
à la cognition. […] Le savoir authentique doit être une expérience directe »
(2008, p. 224).
Ce « savoir authentique », c'est le savoir indigène dont font l'expérience
les praticiens candomblé et les danseurs de capoeira, comme tant d'autres.
Ce genre de savoir est-il plus « authentique » que celui que l'on tire des
livres, d'Internet, ou de toute autre méthode d'« enseignement à distance » ?
Et qui est « indigène » ? Gardons-nous de tomber dans l'écueil inverse et
d'exotiser/aliéner/subordonner l'« autre ». Un équilibre doit être trouvé
© Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)
128
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 129/296
Ces pratiques ont évolué. Les cultures lettrées non occidentales (Inde,
Chine, Japon) ont rejoint le club des puissances s'autoproclamant culturel-
lement supérieures. « Indigène » continue de désigner ceux dont le savoir
s'exprime à l'aide de l'« orature 3 » ou par des moyens visuels plutôt qu'à
l'écrit, et qui suivent les principes d'une « sagesse » plutôt que d'un « savoir
rationnel ». Alors que la globalisation prend de l'ampleur, il devient diffi-
cile sinon impossible de séparer l'« indigène » de son contraire, qu'on
pourrait nommer le « métropolitain ». C'est-à-dire qu'il est aussi probable
de retrouver des pratiques non écrites dans les œuvres d'artistes de New
York, São Paulo, Tokyo… que dans les cultures « premières ». La notion
même de « premier » ou d'« indigène » s'est évaporée en même temps que
celles de « sauvage » et d'« état sauvage ». Tout a été cartographié ; tout est
visible via le GPS ; et ce qui survit à l'état « sauvage » est en fait en zone
protégée. Les lieux échappant au contrôle humain il n'y a encore pas si
longtemps sont maintenant des parcs, zoos et zones où l'activité humaine
est censée être réduite et encadrée. Dit sans détour, la « nature » n'existe
plus en tant que telle ; elle dépend d'une espèce, l'Homo sapiens. Bien sûr,
il se pourrait un jour que l'on se laisse surprendre et que, par exemple, une
météorite géante s'écrase sur la Terre ; ou qu'un virus évolutif piège notre
espèce lors d'une pandémie réellement fatale.
Cette dispersion de l'indigène et du savoir incarné entraîne une collabo-
ration intime entre les pensées performative et anthropologique. Mais y a-
t-il égalité des savoirs ? L'anthropologie continue – à juste titre selon moi –
de reposer sur un discours positiviste. Et comment classer les « vérités » des
religions allant des Cinq Grandes (bouddhisme, hindouisme, islam, chris-
tianisme et judaïsme) à la myriade d'autres systèmes de croyance possé-
dant chacun leur explication des mondes physique et spirituel – sans parler
© Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)
129
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 130/296
Richard Schechner
130
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 131/296
131
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 132/296
Richard Schechner
132
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 133/296
133
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 134/296
Richard Schechner
le sol des grottes ; ils racontaient des histoires chantées pendant de longues
nuits noires. L'intégration de la narration, de la danse et du chant fait
partie prenante du prodigieux bond en avant du paléolithique. Cette
dimension performative était incarnée par une forme immuable (ou tradi-
tionnelle) conservée d'un événement à l'autre : le style, sinon la substance,
des narrations, chorégraphies, mélodies et rythmes était connu de tous, à
la fois des metteurs en scène et des auditeurs-spectateurs (si l'on peut
parler de spectateurs dans ce cas). Les performances étaient transmises
d'un groupe désigné, ou d'un maître chaman-artiste, à un autre. Comme
l'indique l'étymologie du terme « tradition », le savoir performatif implique
l'idée de transmission et de legs.
On disposait aussi de scripts ; non pas au sens d'écrits gravés dans la
pierre ou couchés sur du parchemin, mais au sens de scénarios « connus »
et incarnés qui préexistaient et survivaient à chaque représentation indivi-
duelle : un contenu et une manière de faire. Chaque performance évanes-
cente conservait et transmettait le script, ce qui importait bien plus que
chaque re-présentation. Ces scripts étaient un savoir performatif vital
auquel on donnerait plus tard le nom de « sacré » (et ces performances
deviendraient des « rituels »). Mais ces catégories n'existaient pas au
départ. La conservation à l'identique des scripts garantissait l'efficacité des
rites ; abandonner les scripts mettait en danger la continuité culturelle du
groupe. Et, en parallèle à ce que Lewis-Williams théorise, l'efficacité des
performances n'était pas le « résultat » de la narration/de la danse/du
chant mais elle était encodée dans l'événement lui-même. En d'autres
termes, dans la performance rituelle paléolithique comme aujourd'hui,
l'action est une manifestation plus qu'une représentation.
Les manifestations sont implicites, ou potentielles, dans les scripts. Ces
© Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)
134
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 135/296
le comprendre – que ce qui reste comme traces visuelles. Je pense que ce qui
intéressait les gens à l'époque était d'ordre expérientiel : les mouvements et,
sans doute, plus particulièrement les sons produits à l'intérieur des grottes.
L'art visuel faisait partie du processus performatif et des composantes d'un
théâtre environnemental bien développé 4. Comme l'écrit Pfeiffer :
Reznikoff et Dauvois (1988) ont effectué une analyse étendue des pro-
priétés acoustiques de trois grottes comportant des peintures paléoli-
© Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)
135
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 136/296
Richard Schechner
Dans ces trois courts récits, j'ai présenté les aspects polymorphes et per-
formatifs de la pédagogie. Ce qu'ont en commun ces trois épisodes, c'est
leur localisation dans une grotte profonde, dans le but (et avec la pres-
sion) de transmettre des informations. […] La théâtralité a fait son
apparition sous la pression d'un accroissement des informations pro-
136
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 137/296
La seconde :
© Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)
[…] il y a aussi un engouement du public pour la plasticité cérébrale, ou © Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)
neuroplasticité. Celle-ci se réfère à la capacité du cerveau à s'automodi-
fier en réponse à des changements dans son mode de fonctionnement ou
son environnement (ibid.).
Il n'y a pas si longtemps, on pensait que le cerveau était « figé » très tôt ;
que l'apprentissage neuronal était un phénomène infantile. Les scienti-
fiques savent maintenant que le cerveau évolue tout au long de la vie. Non
seulement il se détériore, mais de nouveaux neurones sont créés, de nou-
velles connexions synaptiques sont établies tandis que les anciennes s'affai-
blissent ou se renforcent. C'est-à-dire que le cerveau est susceptible d'être
entraîné à n'importe quel âge. Cet entraînement peut avoir lieu « automa-
tiquement » ou en réponse à une maîtrise consciente. Un cerveau capable
d'apprendre et de se modifier va à l'encontre du réductionnisme
137
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 138/296
Richard Schechner
138
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 139/296
Vous touchez à un point sensible. Vous avez sans doute raison de dire
que nous Occidentaux qui nous considérons comme des scientifiques
« durs » ne prenons pas très au sérieux la pensée orientale. Le problème
avec l'essentiel de la pensée orientale, c'est qu'elle ne se fonde pas sur des
observations vérifiables. On ne peut pas quantifier des idées sur la force
des sentiments ou la profondeur du pouvoir. Ce qui fait que nous igno-
rons les idées orientales sur le nombril, ou que nous les traitons comme
des métaphores, ce qui n'est pas très éloigné de nos propres métaphores
sur les « tripes ». D'un autre côté, j'ai récemment pris connaissance de
recherches quantifiables qui montraient sans aucun doute possible que la
stimulation du nerf vague pouvait être utilisée pour traiter l'épilepsie et la
dépression, et servait aussi à améliorer l'apprentissage et la mémoire. La
stimulation du nerf vague est utilisée par les médecins et n'est pas natu-
relle, mais 90 % du nerf vague transmet des informations ascendantes,
des tripes vers le cerveau. Il est donc possible que la stimulation du nerf
vague imite la stimulation naturelle du nerf vague par le « second cer-
veau ». […] Bref, je prends maintenant très au sérieux la possibilité que
les tripes affectent les émotions.
139
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 140/296
Richard Schechner
140
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 141/296
*
* *
141
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 142/296
Richard Schechner
La mémoire est toujours une réaction physique. C'est notre peau qui n'a
pas oublié, nos yeux qui n'ont pas oublié. Ce que nous avons entendu
peut encore résonner en nous. […] Ce n'est pas que le corps se sou-
vienne. Le corps est lui-même mémoire. Ce qu'il faut entreprendre, c'est
le déblocage du corps-mémoire (cité in ibid., p. 212-213).
142
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 143/296
Par respect pour la tradition orale, Grotowski lui fut fidèle et écrivit très
peu. Il parlait et nous écoutions. Il insistait pour que l'on se garde d'enre-
gistrer ou même de prendre des notes lors de ses conférences. Il expliquait
que, si l'on prend des notes, on ne « peut pas être totalement présent et
attentif à l'instant » (cité in ibid., p. 218).
Ce genre de travail est lié à la capacité du cerveau à refléter et à proje-
ter. Selon James K. Rilling :
143
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 144/296
Richard Schechner
NOTES
RÉFÉRENCES
ANGULO CUESTA, Javier, et GARCÍA Diez, Marcos, 2006, « Diversity and Meaning of Palaeolithic
Phallic Male Representations in Western Europe », Actas Urol. Esp., 30 (3), p. 254-267.
BLAKESLEE, Sandra, 1996, « Complex and Hidden Brain in the Gut Makes Cramps, Butterflies,
© Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)
144
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 145/296
RÉSUMÉ
L'article interroge la pertinence actuelle des six points de contact entre théâtre et anthropologie
définis en 1985 par l'auteur, Richard Schechner. À l'aide d'outils critiques caractéristiques de
l'hybridité disciplinaire des Performance Studies (anthropologie, médecine, histoire), il envisage
comme performances des pratiques rituelles dites « indigènes » et préhistoriques représentatives d'un
« savoir incarné » délaissé ou déformé par le cadrage positiviste des sciences occidentales, et plaide
pour une adaptation méthodologique à cet objet.
145
Dossier : se325438_3b2_V11 Document : Communications92_325438
Date : 11/4/2013 14h5 Page 146/296
Richard Schechner
SUMMARY
The article interrogates the current relevance of the six points of contact between theatre and
anthropology defined in 1985 by the author. By means of critical tools characteristic of the discipli-
nary hybridity of Performance Studies (anthropology, medicine, history), it frames as performance
so-called “indigenous” and prehistoric ritual practices representative of an “embodied knowledge”
left out or distorted by the positivist outlook of Western science, and pleads for a methodological
adaptation to this object.
RESUMEN
El artículo interroga la pertinencia actual de los seis puntos de contacto entre teatro y antro-
pologia definidos en 1985 por el autor, Richard Schechner. A la ayuda de herramientas criticas
caracteristicas de la hibridad disciplinaria de las Performance Studies (antropologia, medicina,
historia), el contempla como “performance” las practicas rituales dichas indigenas y prehistoricas
representativas de un “saber encarnado” dejado o deformado por el encuadrado positivista de las
ciencias ocidentales, y pleitea por una adaptación metodológica a este objeto.
© Le Seuil | Téléchargé le 21/11/2022 sur www.cairn.info (IP: 181.46.165.13)