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Le développement durable en droit marocain entre utopie

et réalité
Hind Majdoubi
Dans Revue juridique de l’environnement 2016/3 (Volume 41), pages 536 à 550
Éditions Lavoisier
ISSN 0397-0299
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H. MAJDOUBI - DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROIT MAROCAIN

LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
EN DROIT MAROCAIN
ENTRE UTOPIE ET RÉALITÉ
Pr. Hind MAJDOUBI
Université Ibn Tofail, Maroc

Résumé Le développement durable a fait son entrée dans l’arsenal juridique


marocain en 2003 à travers la loi 11-03 relative à la protection et à la mise en valeur
de l’environnement. En 2011, la nouvelle Constitution du royaume du Maroc a
reconnu le droit au développement durable et a évoqué le développement durable
à plusieurs reprises, notamment par l’institution du Conseil économique, social et
environnemental. En 2014, la Charte nationale de l’environnement et du dévelop-
pement durable a été adoptée. Le Maroc affiche donc le choix, sans équivoque,
pour un développement durable. Il serait alors intéressant de vérifier comment le
droit marocain appréhende ce choix en évaluant, dans un premier temps, les ins-
truments juridiques de portée générale, en l’occurrence la Constitution et la Charte
nationale de l’environnement et du développement durable, avant de vérifier dans
un second temps, sa portée dans d’autres instruments juridiques sectoriels.
Mots clés : Développement durable, environnement, Maroc, Constitution, Charte,
principe d’intégration, principe de responsabilité.
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Summary Sustainable development in moroccan law : between utopia
and reality. Sustainable development appears in moroccan law in 2003, with
the law 11-03 on protection and upgrading of the environment. In 2011, the new
Constitution of the Kingdom of Morocco recognizes the right to sustainable develop-
ment and evokes sustainable development on several occasions, especially creating
the Economic, Social and Environmental Council. The national charter for environ-
ment and sustainable development was adopted in 2014. Morocco displays doubt-
less the choice of sustainable development. It is therefore interesting to examine how
the moroccan law grasps this choice, by evaluating the general legal instruments
(especially the Constitution and the national charter for environment and sustainable
development) and by verifying its scope in other special legal instruments..
Keywords: Sustainable development, environment, Morocco, Constitution, Charter,
principle of integration, principle of responsability.

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Au gré des efforts en vue du développement économique, l’environnement a été


exploité, maltraité et sacrifié. Son exploitation s’est faite de manière parfois dérai-
sonnée et les exemples de ressources gaspillées ne manquent pas. C’est dans ce
contexte que le développement durable a émergé, offrant une perspective de main-
tien du développement tout en prenant en compte la préservation de l’environne-
ment. Fondé sur le respect des intérêts des générations présentes et celles à venir,
le développement durable est souvent vu comme l’option stratégique d’un dévelop-
pement inscrit dans le temps. La prise de conscience de l’enjeu du développement
durable est générale même si elle demeure relativement récente.

C’est en 1980 que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a


posé, dans la Stratégie mondiale de la conservation, les premiers jalons du concept
de développement durable en le présentant en ces termes : « C’est un type de déve-
loppement qui prévoit des améliorations réelles de la qualité de la vie des hommes et
en même temps conserve la vitalité et la diversité de la Terre. Le but est un dévelop-
pement qui soit durable. À ce jour, cette notion paraît utopique, et pourtant elle est
réalisable. De plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus que c’est notre
seule option rationnelle »1.

En 1987, le développement durable a reçu cette définition historique dans le rapport


Brundtland2, qui le considère comme le développement qui répond aux besoins du
présent sans compromettre les capacités des générations futures à répondre aux
leurs. La déclaration de Rio de 19923 sur l’environnement et le développement l’a
consacré dans son principe 3. Celui-ci précise que « le droit au développement doit
être réalisé de façon à satisfaire équitablement les besoins relatifs au développement
et à l’environnement des générations présentes et futures ». Au Maroc, le dévelop-
pement durable a fait son entrée dans l’arsenal juridique à travers la loi 11-03 relative
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à la protection et à la mise en valeur de l’environnement4 qui l’a défini5 et l’a érigé en
principe général de base pour son application. En effet, l’article 2 de ladite loi énonce
que l’application de ses dispositions, se base, entre autres, sur « l’instauration d’un
équilibre nécessaire entre les exigences du développement national et celles de la
protection de l’environnement lors de l’élaboration des plans sectoriels de dévelop-
pement et l’intégration du concept du développement durable lors de l’élaboration et
de l’exécution de ces plans ». Récemment, a été adoptée la loi-cadre 99-12 portant

1 UICN, PNUE et WWF, Stratégie mondiale de la conservation, 1980.


2 Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, Notre avenir à
tous, 1987, IV, 34.
3 Cf. http://www.un.org/french/events/rio92/rio-fp.htm
4 Dahir n° 1-03-59 du 12 mai 2003 portant promulgation de la loi 11-03 relative à la protec-
tion et la mise en valeur de l’environnement, Bulletin officiel, n° 5118 du 19 juin 2003, p. 500.
5 L’article 3-3 de la loi 11-03 précitée définit le développement durable comme « un proces-
sus de développement qui s’efforce de satisfaire les besoins des générations présentes sans
compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins ».

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Charte nationale de l’environnement et du développement durable6, qui constate


sans équivoque le choix du Maroc pour un développement durable.

L’intérêt pour le développement durable trouve son fondement dans le droit de cha-
cun de vivre dans un environnement sain. À cet égard, la déclaration de Rio sur
l’environnement et le développement de 1992 énonce dans son principe 1er que
« les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement
durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ».

Le droit à un environnement sain a été également consacré par la Constitution du


Royaume du Maroc de 20117. Ce droit est repris sans équivoque par la loi-cadre
portant Charte nationale de l’environnement et le développement durable qui dispose
que « toute personne a le droit de vivre et d’évoluer dans un environnement sain et de
qualité qui favorise la préservation de la santé, l’épanouissement culturel et l’utilisation
durable du patrimoine et des ressources qui y sont disponibles » (article 3).

Il est dès lors pertinent de s’interroger sur la manière dont le droit marocain appré-
hende la question du développement durable et de vérifier s’il lui donne corps opé-
rationnel ou s’il le réduit uniquement à un discours idéologique consensuel. Pour ce
faire, l’exploration juridique commencera par l’analyse de la consécration du dévelop-
pement durable par les instruments juridiques de portée générale annonçant le choix
du développement durable (première partie). Elle continuera en évaluant comment ce
choix est décliné dans des instruments juridiques sectoriels (seconde partie).

I. LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DANS LES


INSTRUMENTS JURIDIQUES DE PORTÉE GÉNÉRALE
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L’attention sera portée tout d’abord sur la Constitution du Maroc avant de se foca-
liser sur la loi- cadre 99-12 portant Charte nationale de l’environnement et du déve-
loppement durable (Charte).

A. LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ET LA CONSTITUTION

Au Maroc, l’intérêt pour le développement durable a été porté au plus haut niveau
puisque celui-ci a reçu valeur constitutionnelle. L’approche constitutionnelle du
développement durable se matérialise, d’une part, par la place qui lui y a été réser-
vée et, d’autre part, par le renforcement des prérogatives du Conseil économique,
social et environnemental.

6 Dahir n° 1-14-09 du 6 mars 2014 portant promulgation de la loi-cadre 99-12 portant


Charte nationale de l’environnement et du développement durable, Bulletin officiel n° 6240
du 20 mars 2014, p. 2496.
7 Article 31 de la Constitution du Royaume du Maroc promulguée par le dahir n° 1-11-91 du
29 juillet 2011, Bulletin officiel n° 5964 bis du 20 juillet 2011, p. 1902.

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1. La place du développement durable dans la Constitution


La Constitution du Maroc n’a pas manqué d’aborder le développement durable à
plusieurs reprises. Nous en soulèverons les plus significatives. En premier lieu, la
Constitution reconnaît le développement durable en tant que droit. À cet égard, son
article 31 l’appréhende en mettant à la charge de l’État, des établissements publics
et des collectivités territoriales l’obligation d’œuvrer « à la mobilisation de tous les
moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux
conditions leur permettant de jouir du droit : (…) - au développement durable ».

La reconnaissance constitutionnelle du droit au développement durable témoigne


indéniablement de l’intérêt porté à celui-ci au Maroc et de la place qui lui est réser-
vée. D’ailleurs, la Constitution confirme cette place en énonçant, en son article 35,
alinéa 2, que « l’État garantit la liberté d’entreprendre et la libre concurrence. Il œuvre
à la réalisation d’un développement humain et durable, à même de permettre la
consolidation de la justice sociale et la préservation des ressources naturelles natio-
nales et des droits des générations futures ». Il est clair, à travers cet article, que
l’association de la liberté d’entreprendre dans un marché concurrentiel à la notion de
développement durable, témoigne de l’importance que lui accorde la Constitution.
Il en ressort comme une évidence que la garantie de la liberté d’entreprendre et de
la libre concurrence dans le marché économique ne doit pas se faire au détriment
de la justice sociale intergénérationnelle et de la préservation de l’environnement.
Autrement dit, le développement dans son volet économique devra être considéré
par l’État dans le cadre plus large d’un développement humain et durable tenant
compte aussi des volets sociaux et environnementaux.

En outre, la place du développement durable se trouve confortée, une fois de plus,


par les règles le régissant. À cet égard, la Constitution énumère, dans son article 71,
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les « règles relatives à la gestion de l’environnement, à la protection des ressources
naturelles et au développement durable » parmi les matières relevant du domaine de
la loi. Ainsi, outre la valeur constitutionnelle du développement durable, sa mise en
œuvre relève d’un niveau élevé dans la hiérarchie des normes.

Par ailleurs, la Constitution marque clairement que le développement durable est


l’affaire de tous et nullement une compétence exclusive. Ainsi, son article 136 pres-
crit, dans le cadre de l’organisation territoriale, de favoriser la contribution des popu-
lations concernées au « développement humain intégré et durable ». On pourrait y
voir une démocratisation du développement durable par une volonté d’implication la
plus large des citoyens.

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2. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE)


La Constitution de 2011 a élargi les prérogatives du CESE8 en y ajoutant le volet
environnemental. En ce sens, la Constitution le charge, en vertu de son article 152,
de donner son avis sur « les orientations générales de l’économie nationale et du
développement durable ». Les attributions du CESE sont fixées par la loi organique
128-12 du 31 juillet 20149. Cette dernière précise d’ailleurs, dans son article 3, que
le Gouvernement, la Chambre des représentants et la Chambre des conseillers sont
tenus, à l’exception des projets de lois de finances, de consulter le CESE sur :
« a) les projets et propositions de lois-cadre concernant les objectifs fondamentaux
de l’État dans les domaines économique, social et environnemental ;
b) les projets liés aux grands choix en matière de développement et les projets des
stratégies afférentes à la politique générale de l’État dans les domaines économique,
social et environnemental ».

Le CESE peut aussi s’auto-saisir afin d’émettre des avis, formuler des proposi-
tions ou réaliser des études ou des recherches dans les domaines relevant de ses
attributions10.

À ce stade, il convient de préciser que le CESE a émis divers avis se rapportant au


développement durable et notamment les suivants :

Avis du CESE sur le projet de loi 27-13 relatif à l’exploitation des carrières
Le CESE a émis, le 27 novembre 2014, un avis sur le projet de loi 27-13 relatif à
l’exploitation des carrières11 qui porte sur les aspects suivants :
- les procédures prévues par le projet de loi pour en améliorer l’effectivité ;
- l’élaboration d’une feuille de route globale pour le secteur dans le cadre d’une
approche globale intégrant l’approche participative à même de garantir la protection
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des intérêts de toutes les populations concernées (État, citoyens, exploitants, popu-
lations voisines, régions).

Avis du CESE sur la cohérence des politiques sectorielles et accords de libre-échange,


fondements stratégiques pour un développement soutenu et durable12
Le CESE a décidé en 2013 de s’auto-saisir de la question portant sur la cohérence
des politiques sectorielles et accords de libre-échange, fondements stratégiques
pour un développement soutenu et durable. Le rapport qui en est issu, le 24 avril

8 À l’origine ce Conseil se dénommait le Conseil économique et social par la Constitution


de 1992.
9 Dahir n° 1-14-124 du 31 juillet 2014, portant promulgation de la loi organique n° 128-
12 relative au Conseil économique, social et environnemental, Bulletin officiel n° 6284 du
21 août 2014, p. 3879.
10 Article 6 de la loi organique n° 128-12, précitée.
11 Avis publié au Bulletin officiel n° 6332 du 5 février 2015, p. 845.
12 Avis publié au Bulletin officiel n° 6300 du 16 octobre 2014, p. 4244.

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2014, aborde les mesures à retenir pour optimiser les effets des stratégies sec-
torielles et améliorer les impacts des accords de libre-échange sur la croissance
économique et le développement social du pays.

Avis du CESE sur le projet de loi-cadre 99-12 portant Charte nationale de l’environne-
ment et du développement durable13
Le CESE a proposé, le 29 novembre 2012, certains amendements à prendre en
compte dans le projet de loi-cadre portant Charte nationale de l’environnement et
du développement durable, dans l’objectif d’améliorer la cohérence du texte. Il a par
ailleurs soulevé certaines contraintes au sujet de sa mise en œuvre ainsi que des
opportunités à saisir.

Avis du CESE sur la gouvernance par la gestion intégrée des ressources en eau au
Maroc : levier fondamental de développement durable14
Suite à une auto-saisine, le CESE a émis, le 27 mars 2014, un avis sur la gouver-
nance du secteur de l’eau, dans le cadre duquel il a proposé des recommandations
qu’il a qualifiées de « majeures » et qu’il a présentées sous forme de « mesures
opérationnelles ». Le CESE considère ces recommandations comme visant à rendre
efficiente et transparente la gouvernance institutionnelle actuelle, axée sur la gestion
intégrée des ressources en eau.

Ces avis fournissent une preuve parmi d’autres que le développement durable n’est
pas qu’un principe gravé dans le marbre constitutionnel mais aussi une vision dont
la concrétisation est en marche.

B. LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
À TRAVERS LA CHARTE 15
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L’intérêt sera porté d’abord à la notion de développement durable telle que prévue
par la Charte avant d’approcher ensuite ses principes fondateurs.
1. Notion de développement durable dans la Charte

Il convient de prime abord de préciser que le développement durable est érigé par
la Charte en « valeur fondamentale que toutes les composantes de la société sont
appelées à intégrer dans leurs activités. Il constitue une ligne de conduite exigée
de tous les intervenants dans le processus de développement économique, social,

13 Avis publié au Bulletin officiel n° 6124 du 7 février 2013, p. 1325.


14 Avis publié au Bulletin officiel n° 6266 du 19 juin 2014, p. 3641.
15 Il convient de préciser que la loi-cadre 99-12 portant Charte nationale de l’environne-
ment et du développement durable a été précédée par l’adoption en 2011 d’un document
également intitulé Charte nationale de l’environnement et du développement durable. Ce
document à portée politique, non contraignant, a prédéterminé le contenu substantiel de la
loi-cadre 99-12.

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culturel et environnemental du pays » (art. 10). Pour ce faire, elle se devait de le


définir. À cet égard, la Charte le définit comme « une démarche de développement
qui s’appuie dans sa mise en œuvre sur le caractère indissociable des dimensions
économique, sociale, culturelle et environnementale des activités de développement
et qui vise à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des
générations futures dans ce domaine » (art. 9). Il est intéressant de relever que la
Charte donne au développement durable une définition à deux volets d’équilibre.
Le premier équilibre vise la démarche de développement dans les matières écono-
mique, sociale, culturelle et environnementale. Le second équilibre vise la réponse
aux besoins des générations présentes et celles à venir16.

Concernant le premier volet de la définition, relatif à la démarche d’équilibre dans le


développement en matière économique, sociale, culturelle et environnementale, il
est pertinent de constater que le législateur marocain a consacré la conception du
développement durable s’appuyant sur quatre piliers, en l’occurrence l’économique,
l’environnemental, le social et le culturel. Plus encore, il est même tentant de com-
prendre que le social et le culturel viennent au centre de l’économique et de l’environ-
nemental, selon l’énumération donnée dans la Charte. En tout cas, cette précision
rappelle que l’humain dans son genre, seul ou groupé, est au cœur du développe-
ment, que l’approche du développement lui est destinée dans sa façon d’être, dans
le respect de ses croyances, convictions et traditions et ce, en vue de l’associer au
développement et dans le respect de son environnement. Cette approche coïncide
parfaitement avec les principes énoncés par la déclaration de Rio sur le développe-
ment et l’environnement17 qui vise à intégrer toutes les couches sociales au proces-
sus de développement durable, hommes, femmes, riches, pauvres, jeunes, moins
jeunes, décideurs centraux mais aussi les populations locales, etc. Cette intégration
sociale doit être faite dans le respect des valeurs culturelles entendues dans le sens
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le plus large. Dans ce contexte, se comprennent aisément les droits reconnus par la

16 Articuler la définition du développement durable sur ces deux volets est une manière pour
le législateur de reprendre le sens du développement considérant le souci de l’équité intra et
intergénérationnelle. Ce sens est d’ailleurs celui adopté par la notion anglaise de sustainable
development (développement soutenable) et qui est occulté dans la traduction de dévelop-
pement durable.
17 Principe 1 : Les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au déve-
loppement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature.
Principe 20 : Les femmes ont un rôle vital dans la gestion de l’environnement et le développe-
ment. Leur pleine participation est donc essentielle à la réalisation d’un développement durable.
Principe 21 : Il faut mobiliser la créativité, les idéaux et le courage des jeunes du monde entier
afin de forger un partenariat mondial, de manière à assurer un développement durable et à
garantir à chacun un avenir meilleur.
Principe 22 : Les populations et communautés autochtones et les autres collectivités locales
ont un rôle vital à jouer dans la gestion de l’environnement et le développement du fait de leurs
connaissances du milieu et de leurs pratiques traditionnelles. Les États devraient reconnaître
leur identité, leur culture et leurs intérêts, leur accorder tout l’appui nécessaire et leur permettre
de participer efficacement à la réalisation d’un développement durable.

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Charte à chacun d’accéder à « une information environnementale fiable et pertinente


et de participer au processus de prise de décisions susceptibles d’avoir un impact
sur l’environnement » (art. 3).

Par ailleurs, le second volet de la définition du développement durable donnée par la


Charte préconise l’équilibre dans la réponse aux besoins des générations présentes et
celles à venir, équilibre reflétant ainsi le droit à une équité intergénérationnelle dans la
perspective du développement. Cette approche révèle une vision intemporelle du déve-
loppement conjugué au présent et au futur. On constate, une fois de plus, que le dévelop-
pement durable est appréhendé en tenant compte de l’humain présent et celui du futur.

La définition du développement durable donnée par la Charte reflète une approche


anthropocentrique selon laquelle le développement durable a pour finalité le déve-
loppement humain.

En tout cas, la démarche d’équilibre et d’équité paraît de manière générale, certes,


très séduisante. Mais concrètement, elle reste problématique ; l’équation d’équilibre
n’est pas une donne mathématique partagée par tous les humains de tous espaces
et de tout temps. Il en ressort alors des démarches différentes qui permettent à cha-
cun de placer le curseur de l’équilibre là où il lui paraît approprié en tenant compte
des paramètres qui lui sont propres. Pour cela, la Charte pose un nombre de prin-
cipes18 visant à encadrer l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, stratégies,
programmes et plans d’actions par l’État et ses dépendances en matière d’envi-
ronnement et de développement durable. Parmi ces principes, deux retiennent par-
ticulièrement l’attention, en l’occurrence le principe d’intégration et le principe de
responsabilité en cas d’atteinte à l’environnement.
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2. Le développement durable préconisé par des principes de la Charte

L’approche du développement durable à travers les principes de la Charte sera limitée


au principe d’intégration et au principe de responsabilité. Ces deux principes consti-
tuent des leviers forts permettant de concrétiser le développement durable. Bien
évidemment, l’intérêt des autres principes dans le développement durable n’est pas
discutable. Cependant, les principes d’intégration et de responsabilité apparaissent
comme fédérateurs. En effet, les principes de territorialité, de solidarité et de partici-
pation traduisent l’équité intra et intergénérationnelle prévue par la notion même de
développement durable. Il est à penser que le principe d’intégration peut valablement
les englober puisque sa mise en œuvre consiste à tenir compte des valeurs et dimen-
sions que ces principes véhiculent. Le principe de responsabilité est large et peut ras-
sembler les principes de précaution et de prévention notamment, dans la mesure où
la mise en œuvre de la responsabilité environnementale peut être fondée sur ceux-ci.

18 La Charte prévoit sept principes : le principe d’intégration, le principe de territorialité, le


principe de solidarité, le principe de précaution, le principe de prévention, le principe de res-
ponsabilité et le principe de participation.

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a. Le principe d’intégration
Il est à relever que le principe d’intégration n’a pas été une nouveauté de la Charte,
puisqu’il avait déjà été consacré par la loi 11-03 relative à la protection et à la mise en
valeur de l’environnement. En effet, il est utile de rappeler que cette loi précise que son
application doit se baser, entre autres, sur le principe d’instauration d’un « équilibre
nécessaire entre les exigences de développement national et celles de la protection
de l’environnement lors de l’élaboration des plans sectoriels de développement et
l’intégration du concept de développement durable » (art. 2). La Charte, pour sa part,
a apporté la précision consistant à « adopter une approche globale, intersectorielle et
transversale lors de l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, des stratégies,
des programmes et des plans de développement dans le moyen et long termes » (art.
2-a). Pour ce faire, la Charte appelle « l’État, les collectivités territoriales, les établisse-
ments publics et les sociétés d’État à intégrer les mesures inspirées du développe-
ment durable dans les politiques publiques globales et sectorielles qu’ils élaborent, en
tenant compte des spécificités de chaque secteur » (art. 13).

Plus encore, la Charte charge le gouvernement d’adopter dans un délai d’un an


à compter de sa date de publication, une stratégie nationale du développement
durable19 qui devra faire l’objet de concertation et de coordination (art. 14).

La Charte fixe, par ailleurs, un délai maximum de deux ans à compter de l’adoption
de la stratégie nationale du développement durable pour que les politiques publiques
globales, sectorielles et régionales soient mises en cohérence avec la stratégie20.

Dès lors, il paraît évident que le législateur a entendu intégrer la considération et la


prise en compte du développement durable dans la gouvernance publique. Ceci
témoigne de la volonté ferme du législateur d’aller dans le sens de la durabilité du
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développement du pays.

b . Le principe de responsabilité
La Charte s’appuie sur le principe selon lequel toute personne physique ou morale,
publique ou privée, a l’obligation de procéder à la réparation des dommages causés
à l’environnement. Pour ce faire, elle prévoit la mise en place d’un régime juridique

19 Cette stratégie devra, selon la Charte (art. 15), définir :


- les orientations fondamentales pour l’établissement du cadre général d’élaboration d’une
politique globale de développement durable pour le pays ;
- les principes généraux de mise en œuvre devant être respectés en vue de l’atteinte des
objectifs généraux et spécifiques qu’elle énonce ;
- le dispositif d’évaluation et de suivi ainsi que les mesures d’accompagnement prévues pour
sa mise en œuvre.
20 Il est à signaler qu’un projet de stratégie nationale de développement durable a été
élaboré et est en attente d’approbation. Voir : http://www.environnement.gov.ma/fr/
strategies-et-programmes/sndd?showall=&limitstart=

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H. MAJDOUBI - DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROIT MAROCAIN a

de responsabilité environnementale « offrant un niveau élevé de protection » (art. 34).


Il convient, à cet égard, de préciser que la loi 11-03 relative à la protection et à la
mise en valeur de l’environnement a prévu un régime de responsabilité spécifique
engagé « même en l’absence de preuve de faute » (art. 63) pour tout dommage
corporel ou matériel lié, directement ou indirectement, au stockage, au transport et
à l’utilisation des hydrocarbures ou des substances nocives ou dangereuses, ainsi
qu’à l’exploitation des installations classées. Cependant, la loi 11-03 n’est pas allée
jusqu’à la définition claire d’un régime juridique de la responsabilité environnemen-
tale pouvant fonder la réparation de tous les dommages environnementaux, même
si elle a prévu la mesure de remise en état de l’environnement à l’encontre de l’auteur
d’une dégradation de l’environnement (art. 69).

Certes, le principe de responsabilité tel que posé par la Charte laisse espérer que le
régime juridique de responsabilité à mettre en place concernera une responsabilité objec-
tive et qu’il ne sera pas régressif par rapport à la loi 11-03. Il faudra bien évidemment
attendre l’adoption du texte d’application de la Charte en matière de régime de responsa-
bilité environnementale pour dissiper toute crainte liée à une régression à ce sujet.

Par ailleurs, il est intéressant de constater que le déclenchement de la responsabilité


ne se fait pas pour le seul fait de la réparation du dommage causé à l’environnement,
mais également en amont, par une interdiction faite à toute personne physique ou
morale, publique ou privée, de porter atteinte à l’environnement21. Il en découle
alors que la responsabilité environnementale n’est pas seulement curative des dom-
mages à l’environnement, mais également préventive, visant à responsabiliser les
personnes pour leurs actes contraires à la préservation de l’environnement.

Enfin, il est utile de préciser que, de ce principe de responsabilité environnementale,


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dérivent d’autres principes, notamment les principes de pollueur-payeur, le principe
de précaution et le principe de prévention22. Les deux derniers principes étant clai-
rement posés par la Charte, le premier se lit à travers l’appel à l’actualisation du
cadre législatif régissant les déchets, ce qui dénote clairement d’une régression de la
Charte sur ce principe. En effet, elle préconise, entre autres, de consacrer le principe
de la responsabilité élargie. Ce dernier principe découle directement du principe du
pollueur-payeur. La Charte aurait dû adopter le principe du pollueur-payeur de façon
générale et non pas le réduire uniquement aux déchets.

De manière générale, la Charte affiche clairement le choix d’un développement


durable pour le Maroc. Il est intéressant de rappeler qu’elle est une loi-cadre énon-
çant les orientations générales qu’il faudrait décliner pour les secteurs du dévelop-

21 L’article 4 de la Charte dispose que « toute personne, physique ou morale, publique ou


privée doit s’abstenir de porter atteinte à l’environnement ».
22 La loi 11-03 précitée a prévu à côté du principe du pollueur-payeur le principe de l’usa-
ger-payeur (art. 2).

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H. MAJDOUBI - DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROIT MAROCAIN

pement. Pour cela, une analyse de la réalité juridique sectorielle du développement


durable au Maroc s’avère inéluctable.

II. LA PORTÉE JURIDIQUE DU DÉVELOPPEMENT


DURABLE AU MAROC
L’appréciation de la réalité juridique du développement durable au Maroc portera sur
les avancées enregistrées, à ce jour, dans cette matière ainsi que les retards accusés.

A. CONSÉCRATION POSITIVE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

La prise en compte du développement durable par le droit marocain s’illustre à travers


des textes juridiques l’ayant décliné de manières différentes23. La première déclinaison
ressort à travers l’instauration de procédures de déclaration ou d’autorisation selon les
activités, selon le potentiel de dangerosité des activités considérées24. La considéra-
tion du développement durable est également prise en compte dans le cadre de l’ac-
ceptabilité environnementale pour certains types de projets. À cet effet, la loi 12-0325
impose de faire une étude d’impact sur l’environnement, pour tout projet figurant dans
une liste annexée à cette loi, entrepris par toute personne physique ou morale, privée
ou publique qui, en raison de sa nature, de sa dimension ou de son lieu d’implantation,
risque de produire des effets négatifs sur le milieu biophysique et humain26.

De même, l’obtention d’une autorisation n’est pas exclusive de toute considération


environnementale, puisque le droit marocain prévoit les situations27 qui permettent à
l’administration d’intervenir lorsqu’une activité ou une exploitation donnée constitue
un danger pour l’homme et porte préjudice au voisinage, à la sûreté et à l’environne-
ment, lorsque les dangers et les dommages étaient inconnus ou imprévisibles lors de
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l’octroi de l’autorisation ou du dépôt de la déclaration d’exercice de l’activité ou de
l’exploitation. Dans ce cas, l’administration peut prescrire à l’exploitant les mesures
complémentaires ou les modifications nécessaires pour parer à ces dangers ou incon-
vénients. Toutefois si, malgré le respect par l’exploitant des mesures ou modifications

23 Les déclinaisons juridiques sectorielles qui seront citées ne sont pas exhaustives.
24 La dangerosité devant s’entendre ici par rapport à l’environnement dans son sens le plus large.
25 Dahir n° 1-03-60 du 12 mai 2003 portant promulgation de la loi 12-03 relative aux études
d’impact sur l’environnement, Bulletin officiel n° 5118 du 19 juin 2003, p. 507.
26 La loi 47-09 relative à l’efficacité énergétique, promulguée par le dahir n° 1-11-161 du
29 septembre 2011, Bulletin officiel n° 5996 du 17 novembre 2011, p. 2404, a imposé l’obli-
gation de réaliser une étude d’impact énergétique à tout projet de programme d’aménage-
ment urbain ou tout projet de programme de construction de bâtiments quel que soit leur
usage, figurant sur une liste fixée par voie réglementaire.
27 On pourrait citer à titre d’exemples, la loi n° 27-13 relative aux carrières promulguée par
le dahir n° 1-15-66 du 9 juin 2015, Bulletin officiel n° 6422 du 17 décembre 2015, p. 4424 ;
la loi 13-03 relative à la lutte contre la pollution de l’air promulguée par le dahir n° 1-03-61 du
12 mai 2003, Bulletin officiel n° 5118 du 19 juin 2003, p. 511.

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H. MAJDOUBI - DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROIT MAROCAIN a

prescrites, l’administration constate la persistance desdits dangers ou inconvénients,


elle ordonne la fermeture de l’exploitation et procède au retrait de l’autorisation.

Une autre déclinaison du développement durable dans le droit marocain se lit à


travers l’obligation de réaliser le développement dans le cadre d’exploitation, de
production et d’utilisation normalisées. En ce sens, la loi 11-03 relative à la protec-
tion et à la mise en valeur de l’environnement a appelé à fixer les normes et stan-
dards indispensables au maintien de la qualité de l’environnement (art. 54). Ceux-ci
peuvent être plus rigoureux pour certains secteurs pollueurs ou zones particulière-
ment touchées ou susceptibles de l’être par la pollution ou se caractérisant par une
fragilité particulière dans leur équilibre écologique (art. 56). Parallèlement, la loi 13-03
relative à la lutte contre la pollution de l’air définit les normes d’émission comme
étant « des valeurs limites d’émission qui ne doivent pas être dépassées et qui sont
déterminées en fonction des dernières données scientifiques en la matière, de l’état
du milieu récepteur, de la capacité d’auto-épuration de l’eau, de l’air et du sol et
des exigences du développement économique et social national durable » (art. 1-8).

Dans un autre registre, le droit marocain a conféré un statut particulier à certaines


composantes de l’environnement. Il en est notamment ainsi de biens relevant du
domaine public. On pourrait citer l’exemple de l’eau pour laquelle la domanialité
publique a été reconnue en vertu de la loi 10-9528. Le statut particulier peut aussi
dériver d’un souci de préservation de la biodiversité dont un exemple est fourni par
la loi 22-07 relative aux aires protégées29. À cet égard, cette loi témoigne du souci
du développement durable. Ce souci se lit, tout d’abord, dans le préambule à tra-
vers la vocation des aires protégées qui consiste en « la conservation, la mise en
valeur et la réhabilitation du patrimoine naturel et culturel, la recherche scientifique,
la conscientisation et le divertissement des citoyens, la promotion de l’écotourisme
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et la contribution au développement économique et social durable ». Ensuite, il est
intéressant de préciser que le législateur définit l’aire protégée comme tout « espace
terrestre et/ou marin, géographiquement délimité, dûment reconnu et spécialement
aménagé et géré aux fins d’assurer la protection, le maintien et l’amélioration de la
diversité biologique, la conservation du patrimoine naturel et culturel, sa mise en
valeur, sa réhabilitation pour un développement durable, ainsi que la prévention de
sa dégradation » (art. 1er). Enfin, le souci de développement durable est matérialisé
dans le dossier de création de l’aire protégée qui doit comporter, entre autres, « les
principales orientations de protection et d’investissement de l’aire protégée et de
développement durable de ses ressources » (art. 12).

28 Dahir n° 1-95-154 du 16 août 1995 portant promulgation de la loi n° 10-95 sur l’eau,
Bulletin officiel n° 4325 du 20 septembre 1995, p 626.
29 Dahir n° 1-10-123 du 16 juillet 2010 portant promulgation de la loi n° 22-07 relative aux
aires protégées, Bulletin officiel n° 5866 du 19 août 2010, p. 1581.

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H. MAJDOUBI - DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROIT MAROCAIN

Un second exemple découle de la loi 29-05 relative à la protection des espèces de flore
et de faune sauvages et au contrôle de leur commerce30 et de son décret d’application31.
L’objet de cette loi porte sur la protection et la préservation des espèces de flore et de
faune sauvages, qui passe notamment par le contrôle des spécimens de ces espèces
(art. 1er). Pour ce faire, elle établit un classement par l’administration des espèces de
flore et de faune sauvages menacées d’extinction, selon le niveau de danger que leur
commerce fait peser sur leur survie (art. 4). Elle soumet, par ailleurs, leur commerce inter-
national à un contrôle se traduisant par l’obtention de permis et certificats nominatifs, non
cessibles et non transférables (art. 20). Dans ce contexte, le développement durable se
déduit implicitement du contrôle du commerce international de ces espèces sauvages en
vue d’une préservation de la biodiversité, notamment lorsqu’elle est menacée.

Dans une autre perspective, le législateur marocain a décliné sa vision du dévelop-


pement durable à travers des dispositions sectorielles. À ce titre, il a adopté la loi
13-09 sur les énergies renouvelables32. Dans ce cadre, le législateur précise que
le développement des sources d’énergies renouvelables nationales constitue l’une
des priorités de la politique énergétique nationale. Parmi les grands axes de cette
politique, on relève « la promotion des énergies renouvelables pour le renforcement
de la compétitivité des secteurs productifs du pays, la préservation de l’environne-
ment par le recours aux technologies énergétiques propres, en vue de la limitation
des émissions de gaz à effet de serre et la réduction de la forte pression exercée sur
le couvert forestier » (préambule). En outre, la loi 47-09 relative à l’efficacité énergé-
tique33 consacre, bien évidemment, l’idée de conservation de l’énergie. Cette loi se
fixe pour objectif « d’augmenter l’efficacité énergétique dans l’utilisation des sources
d’énergie, éviter le gaspillage, atténuer le fardeau du coût de l’énergie sur l’écono-
mie nationale et contribuer au développement durable » (préambule). Toujours dans
le même esprit, on peut citer la loi 77-15 portant interdiction de la fabrication, de
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l’importation, de l’exportation, de la commercialisation et de l’utilisation des sacs en
matières plastiques34 ainsi que la loi n° 28-0035 relative à la gestion des déchets et

30 Dahir n° 1-11-84 du 2 juillet 2011 portant promulgation de la loi n° 29-05 relative à la pro-
tection des espèces de flore et de faune sauvages et au contrôle de leur commerce, Bulletin
officiel n° 5962, du 21 juillet 2011, p. 1860.
31 Décret n° 2-12-484 du 21 mai 2015, pris pour l’application de la loi n° 29-05 relative à la
protection des espèces de flore et faune sauvages et au contrôle de leur commerce, Bulletin
officiel n° 6366, du 4 juin 2015, p. 3034.
32 Dahir n° 1-10-16 du 11 février 2010 portant promulgation de la loi n° 13-09 relative aux
énergies renouvelables, Bulletin officiel n° 5822 du 18 mars 2010, p. 229.
33 Dahir n° 1-11-161 du 29 septembre 2011, portant promulgation de la loi n° 47-09 relative
à l’efficacité énergétique précitée.
34 Dahir n° 1-15-148 du 7 décembre 2015 portant promulgation de la loi n° 77-15 portant
interdiction de la fabrication, de l’importation, de l’exportation, de la commercialisation et de l’uti-
lisation des sacs en matières plastiques, Bulletin officiel n° 6422 du 17 décembre 2015, p. 4435.
35 Dahir n° 1-06-153 du 22 novembre 2006 portant promulgation de la loi 28-00 relative à la
gestion des déchets et à leur élimination, Bulletin officiel n° 5480 du 7 décembre 2006, p. 1984.

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H. MAJDOUBI - DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROIT MAROCAIN a

à leur élimination qui met à la charge de toute personne qui détient ou produit des
déchets, dans des conditions de nature à porter atteinte à la santé de l’homme et
à l’environnement, l’obligation d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination dans
les conditions propres à éviter lesdits effets, et ce, conformément aux dispositions
légales et réglementaires (art. 6).

Il est à remarquer que l’arsenal juridique ayant trait à la protection de l’environnement et


au développement durable est riche et varié au Maroc. Mais est-il suffisant pour autant ?

B. LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROIT MAROCAIN,


ENCORE DU CHEMIN À FAIRE…
Le droit marocain témoigne certes d’une prise de conscience du développement
durable, mais celle-ci n’est pas totale, et demeure malgré tout lacunaire. En effet, la
Charte constitue sans nul doute le socle de l’édifice juridique régissant le dévelop-
pement durable au Maroc. Mais, un rapide état des lieux nous fait constater qu’il est
à ce jour inachevé car certains textes juridiques touchant le développement durable
semblent dépassés et, pour certains secteurs, inexistants. D’ailleurs, ce constat est
d’ores et déjà relevé dans la Charte, puisque son article 19 précise que le gouver-
nement s’engage, entre autres et dans les plus brefs délais, à mettre en confor-
mité toutes les dispositions législatives et réglementaires en vigueur relativement à
la protection de l’environnement et du développement durable avec les principes,
objectifs et les règles prévues par la Charte, les abroger ou les actualiser selon les
cas. De même, la loi 12-03 impose l’obligation de faire une étude d’impact sur l’en-
vironnement pour certains projets figurant sur une liste. Cependant, elle ne semble
pas complètement à la hauteur de l’objectif pour lequel elle a été instituée, notam-
ment en termes de procédure, de droit à l’information et de participation du public à
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la prise de décision36. De plus, la Charte appelle à sa révision pour intégrer dans les
études d’impact, l’évaluation stratégique environnementale. La même critique pour-
rait être dirigée contre la loi 28-00 relative à la gestion et à l’élimination des déchets
puisqu’elle ne semble pas très à jour face au défi du développement durable. En
ce sens, la Charte appelle à son actualisation dans le but de renforcer les aspects
liés à la réduction des déchets à la source, à l’instauration d’un système de collecte
sélective des déchets, à la promotion des techniques de valorisation des déchets
et l’intégration du principe de responsabilité élargie et à la gestion écologique des
déchets dangereux (art. 8).

Par ailleurs, le droit semble muet quant à certains aspects de l’environnement pour
lesquels une durabilité est exigée pour le développement. On pourra citer en exemple
le vide juridique concernant les organismes génétiquement modifiés pour lesquels
une loi serait l’expression de transparence de la position du Maroc sur ce sujet. Ce

36 H. Majdoubi, « De l’intérêt des études d’impact en droit marocain », Revue marocaine


d’administration locale et de développement, Rabat, n° 93, 2010, p. 39-46.

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549
H. MAJDOUBI - DÉVELOPPEMENT DURABLE EN DROIT MAROCAIN

vide ne permet pas d’encadrer la modification génétique, du moins dans son volet
alimentaire, et partant aucune protection de la biodiversité naturelle ne pourrait être
assurée de manière efficace et transparente.

Enfin, la lacune du droit en matière de développement durable s’explique aussi par


le retard, voire l’absence de textes d’application réduisant, dans certains domaines,
la protection de l’environnement et le développement durable à de simples décla-
rations de principes dénuées de toute effectivité. À cet égard, à titre d’illustration, la
loi 27-13 relative aux carrières37 dispose qu’elle « entre en vigueur à compter de la
date de publication de son décret d’application au Bulletin officiel (…) » (art. 61). Le
décret d’application en question n’a pas encore été publié et, il est à espérer que
cette loi ne subisse pas le sort de la précédente loi 08-01 relative à l’exploitation des
carrières38 qu’elle a abrogée. En effet, la loi 08-01 n’a jamais été effective puisque la
publication de son décret d’application marquant son entrée en vigueur n’a jamais
été faite, alors que son article 61 fixait le délai maximum d’un an pour la parution du
décret pris pour son application à compter de la date de publication de la loi 08-01
au Bulletin officiel.

Le même constat pourrait être opposé à la Charte nationale de l’environnement et du


développement durable qui précise dans son article 14 que : « Dans un délai d’un an,
à compter de la publication de la présente loi-cadre, le gouvernement adopte la stra-
tégie nationale du développement durable ». Or ladite stratégie n’a toujours pas été
adoptée malgré l’écoulement de plus d’une année depuis la publication de la Charte.

De tout ce qui précède, il découle assurément que le Maroc a pris conscience de


l’enjeu du développement durable. Le législateur tente, tant bien que mal, d’ac-
compagner un discours politique pour un développement durable sans équivoque.
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Cependant, le discours en faveur du développement durable et la réalité doivent
être mis en cohérence. Le constat est que le travail juridique n’est qu’à ses débuts,
balbutiant, mais clairement engagé pour un nouveau modèle de développement ins-
crit dans la durabilité. Il pose, certainement, les jalons d’une gouvernance publique
et collective orientée vers un dessein de survie dans des conditions dignes et de
bonheur et permet de conclure par cette évidente question de Frank Burbage « quoi
de plus précieux qu’une très fragile perspective consolante, qui permet de ne pas
simplement être dans le monde, mais d’y partager à nouveau l’espoir d’un avenir
amélioré ? » 39.

37 Loi n° 27-13 relative aux carrières, précitée.


38 Dahir n° 1-02-130 du 13 juin 2002 portant promulgation de la loi n° 08-01 relative à l’ex-
ploitation des carrières, Bulletin officiel n° 5036 du 5 septembre 2002, p. 908.
39 F. Burbage, « Philosophie du développement durable », Philosophies PUF, Paris 2013, p. 20.

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