Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
LE DROIT INTERNATIONAL
DE L’ENVIRONNEMENT
A LA CROISÉE DES CHEMINS :
GLOBALISATION VERSUS
SOUVERAINETÉ NATIONALE
Yves PETIT
Professeur à l’Université de Nancy II
IRENEE (Institut de recherches sur l’évolution de la nation et de l’Etat)
RJ • E 1/2011
31
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
1. J.-J. Guillet, Rapport d’information no 1669, sur « L’environnement, nouveau champ d’action de la
diplomatie française », AN, Commission des affaires étrangères, 13 mai 2009, p. 5.
2. Sur cette question des risques globaux, v. not. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit.
Le relatif et l’universel, éd. du Seuil, 2004, not. p. 374 et s.
3. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (III). La refondation des pouvoirs, éd. du Seuil,
2007, p. 14.
4. V. A. Kiss et J.-P. Beurier, Droit international de l’environnement, Pedone, 2004, p. 14.
5. La globalisation ne doit pas être confondue avec la mondialisation des échanges. En effet, comme
l’a précisé R.-J. Dupuy, « dans sa forme présente, la mondialisation se double de la globalisation,
laquelle exige le transfert au plan universel de problèmes qui, jusque-là, semblaient pouvoir être résolus
par des accords conclus entre partenaires spécialement intéressés. Les Etats passent aujourd’hui de
l’interdépendance à la commune dépendance qui les englobe dans une problématique d’ensemble
(...) » (R.-J. Dupuy, « Le dédoublement du monde », RGDIP 1996, p. 313-321).
6. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement s’est déroulée à Stockholm du 5 au 16 juin
1972. Dans la Déclaration finale adoptée, les principes 22 à 25 affirment que les Etats doivent coopérer
pour protéger et améliorer l’environnement (texte disponible sur :
http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?DocumentID=97&ArticleID=1503&l=fr).
7. P.-M. Dupuy, « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », RGDIP 1997,
p. 875.
RJ • E 1/2011
32
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
responsable des biens publics mondiaux que sont les matières premières qui
s’épuisent, le climat, l’air, l’eau, la biodiversité, les grands massifs forestiers, la
santé face aux grandes pandémies » 8. Bien que l’année 2010 soit celle de la
biodiversité selon le souhait de l’ONU, le réchauffement de la planète est cer-
tainement le plus global des défis globaux, en raison des menaces plurielles
qu’il fait peser sur la planète 9. Sans conteste, « seules, de telles menaces glo-
bales, ultimes et reconnues par tous, peuvent générer des forces susceptibles
de rassembler l’humanité divisée et conflictuelle en une communauté qui ne soit
pas fondée sur la bonne volonté, l’amour universel ou le dialogue persuasif,
toutes choses ne permettant pas de créer une communauté politique », sachant
toutefois qu’« établir un Léviathan entre des individus est plus facile que de créer
une volonté commune dans le monde des Etats » 10.
La question qui se pose face à cette incontournable protection globale de l’envi-
ronnement est celle de la réponse ou des réponses internationales apportées
jusqu’à nos jours, l’intérêt général apparaissant comme le fondement de cette
protection 11. En dépit des quelque 500 accords multilatéraux ou régionaux rela-
tifs à l’environnement, sans même évoquer les innombrables accords non
contraignants adoptés dans différents forums internationaux, le manque de
volonté politique des Etats est une réalité, comme est venu le rappeler, s’il en
était besoin, l’épisode quasiment surréaliste de la Conférence de Copenhague
(COP 15), qui s’est déroulée du 7 au 18 décembre 2009. Le prix Nobel de la
paix 2007, Al Gore, (prix partagé avec le GIEC, Groupe d’experts intergouver-
nemental sur l’évolution du climat) l’a affirmé et a déclaré, à propos du change-
ment climatique, qu’il était désormais « complètement clair que nous détenons
entre nos mains tous les instruments nécessaires pour résoudre la crise clima-
tique. Le seul ingrédient manquant est la volonté collective » 12. Ce défaut de
volonté politique collective ne concerne pas seulement le climat, car l’ancien
Secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, ne craignait pas
de dire que, « quand il allait dans n’importe quelle institution internationale, et
qu’il rencontrait des fonctionnaires, il leur parlait de l’air ou de l’eau ; les intéres-
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
RJ • E 1/2011
33
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
15. F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, 2003, p. 92.
16. CCNUCC, art. 1-3, texte in P.-M. Dupuy, Les grands textes de droit international public, Dalloz,
6e éd., 2008, p. 820.
17. A.-C. Kiss, « Tendances actuelles et développement possible du droit international conventionnel
de l’environnement », in M. Prieur (dir.), Vers un nouveau Droit de l’environnement ?, Centre international
de droit comparé de l’environnement, Limoges, 2003, p. 27.
18. A. Kiss, « L’irréductible présence de l’environnement », in M. Ricciardelli, S. Urban et K. Nanopou-
los, Mondialisation et sociétés multiculturelles. L’incertain du futur, PUF, 2000, p. 227.
19. S. Doumbé-Billé, « Force du droit et droit de la force en droit international de l’environnement », in
R. Ben Achour et S. Laghmani, Le droit international à la croisée des chemins. Force du droit et droit
de la force, Pedone, 2004, p. 368.
20. S. Sur, « La fièvre monte à Copenhague », Questions internationales no 38, juillet-août 2009, Le
climat : risques et débats, p. 7.
21. P.-M. Dupuy, Droit international public, Dalloz, 8e éd., 2008, p. 776, no 629.
22. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, préc., p. 92.
RJ • E 1/2011
34
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
1. De l’ambition du patrimoine commun de l’humanité...
Afin que l’humanité puisse devenir maître du domaine environnemental, le
concept de patrimoine commun de l’humanité a été mis en avant. C’était sans
compter sur sa fragilité, car ce concept exprime une double solidarité qui ne va
pas de soi. L’adjectif « commun » traduit une solidarité transnationale dépassant
les solidarités interétatiques, et le terme « patrimoine » (le terme anglais heritage
étant plus expressif) évoque une solidarité transtemporelle, entre les générations
présentes et les générations futures. Il faut bien reconnaître que la « solidarité
transnationale se heurte au principe de territorialité des systèmes de droit qui
semble exclure l’idée même de gestion commune de l’espace et des ressources
qu’il produit ». De surcroît, « la solidarité transtemporelle, dès lors qu’elle associe
les générations futures, se trouve confrontée aux temporalités multiples des
diverses civilisations. Le temps n’est pas unifié à l’échelle planétaire, du moins
si l’on se réfère par là aux rythmes de développement de chaque société » 23.
Ensuite, un mouvement dialectique s’avère être le caractère dominant du
concept de patrimoine commun de l’humanité : « du local ("ma" propriété, "mon"
héritage), il conduit au global (le patrimoine commun du groupe, de la nation,
de l’humanité) ; du simple (tel espace, tel individu, tel événement physique), il
conduit au complexe (l’écosystème, l’espèce, le cycle) ; d’un régime juridique
indexé sur des droits et obligations individuels (droits subjectifs d’appropriation
et obligations correspondantes), il conduit à un régime qui prend en compte les
intérêts diffus (intérêts de tous, y compris des générations futures) et les res-
ponsabilités collectives ; d’un statut axé principalement sur une répartition-
attribution statique de l’espace (régime monofonctionnel de la propriété), il
conduit à la reconnaissance de la multiplicité des usages dont les espaces et
les ressources sont susceptibles, ce qui relativise nécessairement les partages
d’appropriation » 24.
En dépit de ces vicissitudes, il n’est pas incongru, bien au contraire, d’affirmer
que « l’environnement est de plus en plus perçu comme une valeur commune
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
23. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, préc., p. 88-89.
24. F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, préc., p. 309-310.
25. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, LGDJ, 8e éd., 2009, p. 1421, no 736.
26. Texte in P.-M. Dupuy, Les grands textes de droit international public, préc., p. 811.
27. Texte des deux conventions in P.-M. Dupuy, Les grands textes de droit international public, préc.,
p. 841 et 817.
28. P.-M. Dupuy, Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ?, préc., p. 891.
RJ • E 1/2011
35
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
RJ • E 1/2011
36
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
comme la Convention sur la diversité biologique, il « consacre l’appropriation
des ressources à usage agricole ou alimentaire par les Etats » 36. Son article 10.1
affirme que, « dans leurs relations avec les autres Etats, les parties contractantes
reconnaissent les droits souverains des Etats sur leurs propres ressources phy-
togénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, y compris le fait que le pouvoir
de déterminer l’accès à ces ressources appartient aux gouvernements et relève
de la législation nationale ». Son préambule reconnaît malgré tout que « les
ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture sont une préoc-
cupation commune de tous les pays » 37.
RJ • E 1/2011
37
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
les exemples de biens publics globaux "purs" on peut citer : la paix, le maintien
de la capacité d’absorption de gaz à effet de serre de l’atmosphère, l’éradication
des maladies infectieuses, les résultats de la recherche fondamentale » 42. Il
n’existe pas d’accord sur une liste précise. Pour certains, « selon le consensus
actuel, il en existe deux : la qualité du climat 43 et la biodiversité. La "couche
d’ozone", victime d’un "trou" en raison de l’émission de certains gaz nocifs, était
un bien de ce type » 44. Comme chacun sait, on doit s’exprimer à l’imparfait,
parce que l’action internationale conduite dans le cadre du Protocole de Mon-
tréal a été efficace. Pour d’autres, la gestion de la forêt tropicale oscille entre
patrimoine national et bien public global 45.
Sur le plan du droit international, le concept de bien public mondial « n’a pas
de signification juridique propre ». Sa définition reste peu précise, mais ce
« débat sur les biens publics s’inscrit dans celui plus ancien portant sur les
intérêts communs à la communauté internationale. Il s’agit toutefois d’un discours
présentant l’intérêt de permettre une nouvelle conceptualisation de ce vieux
débat ». En tentant d’identifier de façon déductive des concepts juridiques voi-
sins des biens publics mondiaux, « on songe d’abord aux obligations erga omnes
et à la notion de jus cogens qui ont trait aux normes qui sont fondamentales
pour la communauté internationale et de ce fait font l’objet d’une protection par-
ticulière ». Il faut encore préciser qu’« une caractéristique-clé du bien public
mondial est que sa mise en œuvre nécessite une action collective » 46.
Le CO2 constitue l’exemple type de la difficulté de produire un bien public global.
Il « se diffuse de façon homogène dans l’atmosphère, en conséquence de quoi
les réductions d’émissions effectuées par un pays profitent à tous. Comme les
pays bénéficient à la marge de leurs propres efforts de réduction des émissions,
ils se placent individuellement à un niveau d’effort qui n’est pas optimal pour
l’ensemble des habitants de la planète. En ce sens, le climat est un pur "bien
public mondial". C’est pourquoi la coordination internationale est nécessaire » 47.
Or, ce n’est un secret pour personne, la coordination internationale est extrême-
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
42. L. Tubiana, J.-M. Severino, Biens publics globaux, gouvernance mondiale et aide publique au
développement, préc., p. 354.
43. Sur la qualité du climat en tant que « bien collectif global », v. égal. R. Guesnerie, « Les enjeux
économiques de l’effet de serre », Conseil d’analyse économique, Rapport no 39, Kyoto et l’économie
de l’effet de serre, 2003, La Documentation française, p. 21.
44. P.-N. Giraud, La mondialisation. Emergences et fragmentations, La Petite Bibliothèque de sciences
humaines, 2008, p. 146.
45. S. Guéneau, « La forêt tropicale : entre fourniture de bien public global et régulation privée, quelle
place pour l’instrument de certification ? », in S. Maljean-Dubois, L’outil économique en droit international
et européen de l’environnement, CERIC-La Documentation française, coll. Monde européen et interna-
tional, 2002, p. 391.
46. Sur ces éléments, v. S. Heathcote, « Les biens publics mondiaux et le droit international. Quelques
réflexions à propos de la gestion de l’intérêt commun », L’Observateur des Nations Unies, no 13, 2002,
p. 137-161.
47. A. Vieillefosse, Le changement climatique. Quelles solutions ?, La Documentation française, Les
Etudes 2009, p. 63.
48. L. Tubiana, J.-M. Severino, Biens publics globaux, gouvernance mondiale et aide publique au
développement, préc., p. 357.
RJ • E 1/2011
38
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
avoir à payer : il joue au "passager clandestin" (free rider). Il peut même en tirer
des avantages compétitifs, s’il attire les industries lourdes grâce à une législation
environnementale moins exigeante » 49.
Il est facile de s’en rendre compte : la mise au point de cette notion de bien
commun par le droit international de l’environnement n’est pas aisée et « la
communauté internationale est donc confrontée à de fortes divergences, voire
des conflits, pour établir cet agenda des biens publics globaux (...) » 50. De fait,
un regard critique sur les biens publics globaux semble s’imposer. Selon T. de
Montbrial, cette notion est « une facilité de langage et non un concept, car un
tel "bien" ne peut exister qu’au sein d’une unité politique homogène » 51. Lors
d’une réponse à la question : « Les biens communs mondiaux, ça n’existe pas,
en réalité ? », le climatologue H. Le Treut répond : « c’est une notion qui mettra
encore du temps à s’imposer » 52. Encore plus critique, l’Association française
de science politique a souligné qu’il s’agissait d’un « objet scientifique douteux »
et d’une « notion molle pour des causes incertaines » 53. Constatant en pratique
« l’opposition du tempo lent de l’universalisme au tempo rapide de la globalisa-
tion », M. Delmas-Marty estime qu’il serait excessif de considérer le succès de
la diplomatie climatique relative au Protocole de Kyoto « comme le triomphe de
l’universalisme juridique, marquant la reconnaissance de l’environnement
comme "bien commun de l’humanité" », car il « tient avant tout aux interdépen-
dances créées par la globalisation des risques » 54.
En dépit de leur caractère synthétique, les notions de biens publics globaux et
de développement durable « ont pendant longtemps constitué les thèmes
d’opposition qui ont alimenté le dialogue Nord-Sud sur fond de divergences
doctrinales et stratégiques » 55. Ce clivage fort est peut-être à l’origine d’un degré
supplémentaire dans l’édulcoration de la protection de l’environnement global.
Ainsi, la Déclaration du Millénaire 56 adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU
a simplement pour devise (ou pour slogan) « Protéger notre environnement com-
mun », ce qui met tout de même « en relief toute l’importance de la préservation
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
RJ • E 1/2011
39
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
59. Sur ces éléments, v. M. Wemäere, S. Maljean-Dubois, « L’Accord de Copenhague : quelles pers-
pectives pour le régime international du climat ? », RDUE 2010, p. 8, 15, 17 et 21.
60. Pour une synthèse, v. Y. Petit, Rubrique « Environnement », Répertoire Dalloz de droit international,
janvier 2010, nos 65-76.
61. Le cas le plus emblématique étant l’intitulé pour le moins alambiqué de la « Déclaration de prin-
cipes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion,
la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts » adoptée lors de
Conférence de Rio de 1992.
62. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, préc., no 740.
63. S. Doumbé-Billé, « Le droit international de l’environnement et l’adaptation aux changements pla-
nétaires », in Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Pour un droit commun de l’environnement, Dalloz,
2007, p. 96.
64. A. Kiss, « Les traités-cadres : une technique juridique caractéristique du droit international de
l’environnement », AFDI 1993, p. 793.
RJ • E 1/2011
40
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
Sans être exhaustif, plusieurs conventions-cadres célèbres peuvent être citées :
la convention-cadre de Vienne de 1985 sur la couche d’ozone, complétée par
le Protocole de Montréal de 1987 relatif aux substances qui appauvrissent la
couche d’ozone ; la CCNUCC de 1992, complétée par le Protocole de Kyoto sur
les changements climatiques de 1997 ; la Convention sur la diversité biologique
de 1992 65, complétée par le Protocole de Carthagène sur la prévention des
risques biotechnologiques de 2000 ; la Convention des Nations unies sur la lutte
contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse
et/ou la désertification, en particulier en Afrique, de 1994 66.
Cette technique du droit international de l’environnement présente plusieurs ver-
tus, qui ont été mises en évidence principalement en analysant le régime juridi-
que international destiné à lutter contre le réchauffement de la planète. Ainsi, la
CCNUCC offre « un cadre juridique pour un compromis initial » et son contenu
« est suffisamment souple pour permettre à toutes les parties en présence d’y
adhérer, même si leurs attentes varient ». Elle se compose « surtout de formu-
lations normatives de portée générale » et « s’apparente à un programme
d’action énonçant des principes et des méthodes – techniques et institutionnel-
les – pour répondre à un objectif général identifié de concert » 67, qui est de
parvenir à « stabiliser (...) les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmo-
sphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du
système climatique » 68. En tant que « pièce-maîtresse d’un ensemble à géomé-
trie variable » 69, cette technique présente également l’avantage « de fournir les
assises d’un régime qui se consolide progressivement, au gré de l’adoption
ultérieure d’instruments de natures juridiques diverses, qu’il s’agisse de proto-
coles additionnels, d’amendements ou encore de décisions des Etats parties à
la Convention adoptés de manière unilatérale ou collective ». Le Protocole de
Kyoto permet ainsi de « réitérer les lignes d’action et les engagements découlant
de la Convention, en les approfondissant sur les plans opérationnel et institu-
tionnel », ce qui le fait ressembler à une « seconde convention-cadre » 70. Il
précise et complète les engagements prévus par la CCNUCC, les obligations
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
mises à la charge des parties étant plus précises et plus détaillées. Alors que
65. Selon M.-A. Hermitte, elle se révèle être « un modèle pur de convention-cadre » (M.-A. Hermitte
(coord.), « La Convention sur la diversité biologique a quinze ans », AFDI 2006, p. 352.
66. Le texte de ces conventions est reproduit dans L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné,
M. M. Mbengue, C. Romano, Protection internationale de l’environnement, Pedone, 2005, 808 pages.
67. L. Boisson de Chazournes, « A propos de la régulation juridique de stratégies économiques dans
le domaine de l’environnement », in S. Maljean-Dubois, L’outil économique en droit international et
européen de l’environnement, préc., p. 229.
68. CCNUCC, article 2.
69. L. Boisson de Chazournes, La protection de l’environnement dans le système des Nations Unies,
préc., p. 252.
70. L. Boisson de Chazournes, A propos de la régulation juridique de stratégies économiques dans le
domaine de l’environnement, préc. ; v. égal. « La gestion de l’intérêt commun à l’épreuve des enjeux
économiques - le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques », AFDI 1997, p. 702-703 ; « La
naissance d’un régime juridique international de protection du climat. Le droit et le doute », Questions
internationales no 38, juillet-août 2009, préc., p. 62.
71. Y. Petit, rubrique « Environnement », préc., no 69.
RJ • E 1/2011
41
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
principal et des protocoles qui le complètent peut poser des problèmes institu-
tionnels, car tous les Etats parties au traité-cadre ne sont pas nécessairement
parties contractantes à tous les protocoles » 72. Bien entendu, cette remarque
fait immédiatement penser à la situation des Etats-Unis, partie à la CCNUCC et
refusant de ratifier le Protocole de Kyoto, ce qui a tout de même singulièrement
compliqué la négociation lors de la Conférence de Copenhague de la fin de
l’année 2009. La CCNUCC prévoit qu’il est impossible d’être partie au Protocole
de Kyoto, sans être partie préalablement à la Convention, et que « seules les
parties à un protocole prennent des décisions en vertu dudit protocole » 73. Logi-
quement, lors de la Conférence de Copenhague, les négociations se sont dérou-
lées à la fois sous les auspices de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto 74.
Ainsi que l’avait déjà remarqué A. Kiss, « on s’oriente vers des formules de
négociation permanente où l’adoption d’un traité-cadre est une importante étape,
mais seulement une étape » 75. Sous l’effet de la globalisation, « il s’agit désor-
mais, dans tous les domaines, de déterminer par voie de traité des principes
généraux assez faciles à faire accepter à tous, notamment en recourant à l’adop-
tion par le consensus, quitte à procéder ensuite à une définition plus stricte
d’engagements plus contraignants progressivement souscrits par les Etats en
fonction de leur capacité à le faire » 76. Finalement, le droit international de l’envi-
ronnement est progressivement gagné par la complexité, car « on aboutit ainsi
à des ensembles conventionnels complexes, formés de plusieurs traités distincts
mais liés les uns aux autres de façon plus ou moins étroite, dont les dispositions
s’articulent entre elles à la manière de poupées russes » 77.
72. A. Kiss, « Les traités-cadres : une technique juridique caractéristique du droit international de
l’environnement », préc., p. 796.
73. CCNUCC, article 17-4 et 5.
74. V. M. Wemäere, S. Maljean-Dubois, L’Accord de Copenhague : quelles perspectives pour le régime
international du climat ?, préc., p. 10 et s.
75. A. Kiss, Les traités-cadres : une technique juridique caractéristique du droit international de l’envi-
ronnement, préc., p. 797.
76. S. Doumbé-Billé, Le droit international de l’environnement et l’adaptation aux changements plané-
taires, préc., p. 96-97.
77. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, préc., no 739.
78. A. Panossian et C. Colette, « A propos de la 15e Conférence des Nations Unies sur les changements
climatiques et de l’accord de Copenhague », RGDIP 2010, p. 136.
79. L. Boisson de Chazournes, « Le droit international au chevet de la lutte contre le réchauffement
planétaire, Eléments d’un régime », in Mélanges offerts à Hubert Thierry, L’évolution du droit internatio-
nal, Pedone, 1998, p. 45.
RJ • E 1/2011
42
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
L’analyse du droit international de l’environnement contemporain permet d’ail-
leurs d’observer la plupart du temps un raffermissement du pouvoir de décision
des Etats lors des grandes négociations onusiennes où s’applique le principe
de l’unanimité, ce qui est spécialement vérifiable dans le domaine du climat. En
déclarant que « Copenhague est à la géopolitique ce que les accords de Munich,
en septembre 1938, ont été à la politique : un compromis lâche et dilatoire »,
M. Serres estime que le problème vient surtout de ce que les 192 personnes qui
négocient durant cette grand-messe « sont des hommes d’Etat, dont la mission
est de défendre les intérêts de leur gouvernement et de leur pays » 80. Dès que
l’on aborde un secteur comme l’environnement où il est question à la fois de
partage et d’exercice en commun de ressources, « on voit bien qu’on est dans
un domaine où il n’y a pas de possibilité de régulation. Les Etats sont souverains,
et le sont de manière forte » 81. Sans exagération, le Sommet de Copenhague
« est demeuré une vaste foire d’empoigne où les intérêts particuliers n’ont jamais
totalement coïncidé avec l’intérêt général » et il « s’est heurté au mur des sou-
verainetés : celle des Etats-Unis, celles de la Chine et, dans une moindre mesure,
de l’Inde, autant de blocs devenus incontournables » 82. Il est de notoriété publi-
que que la Chine et l’Inde refusent de se voir imposer de l’extérieur une politique
dans un secteur qu’elles estiment relever de leur souveraineté, et qui pourrait
être susceptible de ralentir leur développement économique. Le négociateur de
l’Union européenne a d’ailleurs noté que les grands pays en développement,
comme le Brésil et la Chine, « craignent que les discussions sur le climat soient
un moyen pour les pays riches d’asseoir leur souveraineté nationale » 83. Du fait
que le changement climatique implique une transformation des politiques éco-
nomiques des Etats, pouvant se traduire par des transferts et des redistributions
de technologies, il soulève effectivement « la nécessité de l’équité entre le Nord
et le Sud » et « conduit à un rééquilibrage géopolitique qui engage les intérêts
les plus profonds des Etats » 84.
A l’analyse, les Etats-Unis apparaissent sans conteste comme l’Etat le plus enclin
à mettre en avant sa souveraineté, le président Bedjaoui n’hésitant d’ailleurs pas
à les qualifier d’Etat « souverainiste » 85, qui n’entend à aucun prix aliéner son
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
80. Entretien avec Michel Serres : « On a oublié d’inviter la Terre à la conférence sur le climat » (propos
recueillis par C. Vincent), Le Monde, 22 décembre 2009.
81. Entretien avec Hervé Le Treut, « Il ne faut pas perdre dix ans de plus », préc.
82. S. Madaule, « Le sommet de Copenhague sur le climat : vertu de l’exemple contre spirale de
l’échec », Le Monde, 29 décembre 2009.
83. Europolitique, no 3857, 10 novembre 2009, p. 7.
84. H. Kempf, « Copenhague, un défi planétaire », Le Monde, 6-7 décembre 2009.
85. M. Bedjaoui, L’humanité en quête de paix et de développement (II), préc., p. 352.
86. T. Voituriez, « L’économie verte bouleversera-t-elle la géographie de la production et du com-
merce ? », Cahiers français, no 355, mars-avril 2010, L’économie verte, p. 28.
RJ • E 1/2011
43
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
Sans le dire ouvertement, il semble bien que les Etats-Unis n’acceptent pas la
technique des traités-cadres, qui permet d’impliquer dès le début d’une négo-
ciation environnementale le plus grand nombre d’Etats, voire l’ensemble des
Etats de la planète, le droit élaboré se « durcissant » progressivement au fil des
Conférences des parties, avec pour conséquence « que les traités-cadres de
la gouvernance mondiale ressemblent de plus en plus à des organisations inter-
nationales qui inscrivent leur action dans une dynamique collective où aucun
acteur pris individuellement n’est maître du jeu ». Les Etats-Unis redoutent donc
« la perte de la maîtrise des Etats souverains face à l’émergence d’un corpus
juridique global où les engagements contractés par les Etats seraient adminis-
trés, interprétés et mis en œuvre par des institutions multilatérales, transformant
ainsi la coopération internationale en droit international. De ce point de vue, le
refus américain de ratifier le Protocole de Kyoto ou le statut de la CPI (Cour
pénale internationale) exprime très exactement ces craintes » 87. L’action inter-
nationale dans le domaine de l’environnement se trouve ainsi face au dilemme
suivant : être unilatérale et respecter la souveraineté des Etats, au risque d’être
inefficace ; être globale et coordonnée, en reléguant au second plan les choix
et intérêts nationaux 88. Elle devrait faire évoluer le rôle de l’Etat dans un contexte
de règles prenant en compte des préoccupations communes : « de souverain
aux privilèges patrimoniaux, il doit devenir le gardien de ressources au bénéfice
de l’humanité en son entier. Il doit de ce fait rendre des comptes dans des
domaines d’activités qui traditionnellement relevaient de sa compétence
"interne". Ainsi en est-il dans les domaines de la gestion et de l’exploitation des
forêts, du gaz ou du pétrole 89 ».
87. Z. Laïdi, La norme sans la force. L’énigme de la puissance européenne, Les Presses, Sciences
Po, 2008, p. 234.
88. F. Lerin, L. Tubiana, « La coopération internationale en matière environnementale », Cahiers fran-
çais, no 337, mars-avril 2007, Environnement et développement, p. 102.
89. L. Boisson de Chazournes, « La protection de l’environnement global et les visages de l’action
normative internationale », in Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, préc., p. 47.
90. Décision 1/CP.13.
91. M. Wemäere, S. Maljean-Dubois, « L’Accord de Copenhague : quelles perspectives pour le régime
international du climat ? », préc., p. 10 (L’Accord de Copenhague a également été âprement négocié
pendant plusieurs mois).
92. H. Kempf, « La négociation sur le climat s’est embourbée à Bonn », Le Monde, 16-17 août 2009.
RJ • E 1/2011
44
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
ciations qui ont besoin d’équité et de solidarité pour pouvoir progresser et débou-
cher sur une solution globale et partagée (A). Les accords a minima fréquem-
ment obtenus – l’Accord de Copenhague 93 de la fin de l’année 2009 en étant
l’archétype – masquent mal des divisions profondes entre les Etats, et illustrent
les insuffisances et les lacunes du droit international de l’environnement (B).
93. La Conférence des parties a simplement pris note de l’accord, faute de consensus pour l’adopter,
notamment car il avait été négocié et adopté en dehors du cadre conventionnel. L’Accord de Copen-
hague a en réalité été négocié en off par les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil, et l’Afrique du Sud,
accepté par une trentaine d’Etats, puis enfin soumis à la COP-MOP (Conférence des parties à la
CCNUCC/Réunion des parties au Protocole de Kyoto) pour adoption.
94. V. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, préc., no 741.
95. Sur cette question, v. not. S. Maljean-Dubois (Dir.), L’outil économique en droit international et
européen de l’environnement, préc., 513 pages.
RJ • E 1/2011
45
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
96. CCNUCC, article 3-1 ; v. égal. CCNUCC, préambule et article 4 ; Protocole de Kyoto, article 10 ;
Plan d’action de Bali, Décision 1/CP.13, 1. a) ; Accord de Copenhague, paragraphe 1.
97. M. Bedjaoui, L’humanité en quête de paix et de développement (II), préc., p. 360.
98. C. de Perthuis, A. Delbosc et B. Leguet, « La place des instruments économiques dans les négo-
ciations internationales sur le climat », Conseil d’analyse économique no 87, Politique climatique : une
nouvelle architecture internationale, La Documentation française, 2009, p. 115.
99. M. Bedjaoui, L’humanité en quête de paix et de développement (II), préc., p. 361.
100. F. Ewald, « Le droit de l’environnement : un droit de riches ? », revue Pouvoirs no 127-2008, préc.,
p. 14 (l’auteur estime même que le principe de précaution est utilisé comme une sorte de clause de
sauvegarde permettant à chaque pays de lutter contre ce qu’il estime être une menace grave pour son
environnement, le droit de l’environnement apparaissant alors comme « un droit protecteur qui, dans
un monde globalisé, fournit des instruments de restauration des souverainetés nationales au nom de la
protection des populations », p. 16).
101. J.-M. Arbour, S. Lavallée, Droit international de l’environnement, éd. Yvon Blais - Bruylant, 2006,
p. 86.
RJ • E 1/2011
46
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
flux financiers et la répartition de l’effort de solidarité qui est nécessaire » 102. En
dépit des critiques dont il a fait l’objet, l’Accord de Copenhague s’y attelle, grâce
à plusieurs avancées. Il préserve le traitement différencié des parties, car les
pays industrialisés ont transmis des objectifs de réduction d’émissions à l’horizon
2020, alors que les pays émergents et en développement ont transmis des mesu-
res d’atténuation qu’ils s’engagent à mettre en œuvre. Il accroît les soutiens
financiers aux pays en développement, afin de les aider à lutter contre le chan-
gement climatique et à s’y adapter, en prévoyant 30 milliards de dollars pour la
période 2010-2012 et un objectif de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020.
Ces fonds devraient transiter par un nouveau « Fonds vert » de Copenhague.
Une autre avancée significative est à mentionner avec la création d’un méca-
nisme REDD « plus » (réduction des émissions issues de la déforestation et de
la dégradation des forêts », ce qui équivaut à reconnaître l’importance des forêts
dans la lutte contre le réchauffement climatique 103.
L’équité et la solidarité financière seront-elles suffisantes pour limiter la hausse
de la température mondiale en dessous de 2 oC, comme le reconnaît l’Accord
de Copenhague ? La traduction (transformation ?) de cet accord de nature poli-
tique en un document juridique « durci » ne pourra s’opérer « sans une forte
différenciation des objectifs, permettant un certain degré de "contraction et
convergence" dans les trajectoires de réduction des pays industrialisés, émer-
gents et en développement » 104, ce concept de contraction et convergence
supposant vraisemblablement de fixer un objectif égalitaire d’émission par habi-
tant 105 à un horizon plus ou moins lointain, 2050 par exemple, afin de pouvoir
conjuguer justice historique et efficacité dans la lutte contre le réchauffement
planétaire 106. La volonté d’équité et de solidarité fait ressortir que le droit de
l’environnement n’est pas uniquement un droit protecteur, mais également un
droit organisateur : « il met en œuvre des politiques globales. Il exprime et met
en œuvre un principe de solidarité planétaire, un principe de gestion globale et
régulatrice des problèmes de la terre » 107. Cet aspect organisateur est à relier
avec son horizon, qui est davantage le long terme, celui des générations futures,
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
102. P. Criqui, B. Faraco, A. Grandjean, Les Etats et le carbone, PUF, 2009, p. 100.
103. Sur ces questions, v. not. Centre d’analyse stratégique : D. Auverlot, B. Barreau, J. Buba, « Copen-
hague ou la nouvelle donne climatique internationale », Note de veille no 162, janvier 2010 ; M. Wemäere,
S. Maljean-Dubois, L’Accord de Copenhague : quelles perspectives pour le régime international du
climat ?, préc., p. 10 ; Dossier Sentinelle-SFDI, Sommet de Copenhague, 7-18 décembre 2009, Défi
climatique, défi diplomatique : http://www.sfdi.org/actualites/a2010/Copenhague.html
104. P. Criqui, B. Faraco, A. Grandjean, Les Etats et le carbone, préc., p. 93.
105. A l’heure actuelle, en Amérique du Nord, la moyenne est de plus de 20 tonnes de CO2 par habitant,
alors qu’elle est de 12 en Europe, de 4 en Chine et de 1,5 en Inde et en Afrique.
106. V. Regards croisés sur l’économie, « Les économistes peuvent-ils sauver la planète ? », no 6,
novembre 2009, p. 180 et s.
107. F. Ewald, Le droit de l’environnement : un droit de riches ?, préc., p. 20.
RJ • E 1/2011
47
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
gressivement par une approche davantage économique axée sur une palette
d’instruments incitatifs, notamment des mécanismes de type cap-and-trade 108
(marchés de permis d’émission ou marchés carbone), qui « ont pour objectif de
réguler les émissions de gaz à effet de serre par les quantités et non par les
prix comme dans le cas de taxes assises sur les émissions » 109.
A y regarder de plus près toutefois, la CCNUCC avait déjà posé comme exi-
gence que « les politiques et mesures qu’appellent les changements climatiques
requièrent un bon rapport coût-efficacité, de manière à garantir des avantages
globaux au coût le plus bas possible ». En liaison avec ce principe, elle avait
également énoncé un principe d’« économie ouverte », mentionnant « qu’il
appartient aux parties de travailler de concert à un système économique inter-
national qui soit porteur et ouvert et qui mène à une croissance économique et
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
108. Le « cap » est le plafond global d’émissions fixé par l’autorité régulatrice ; trade signifie que les
entités participantes peuvent échanger des quotas sur un marché.
109. C. de Perthuis, A. Delbosc et B. Leguet, La place des instruments économiques dans les négo-
ciations internationales sur le climat, préc., p. 116.
110. V. not. S. Maljean-Dubois, L’outil économique en droit international et européen de l’environne-
ment, préc.
111. M. Bacache-Beauvallet, « Marché et droit : la logique économique du droit de l’environnement »,
revue Pouvoirs no 127-2008, préc., p. 35.
112. S. Maljean-Dubois, « La mise en œuvre du droit international de l’environnement », Publications
de l’IDDRI, Analyses, no 3-2003, p. 15.
113. Protocole de Kyoto, articles 6, 12 et 17 ; v. S. Maljean-Dubois, La mise en route du Protocole de
Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, préc., p. 436 et s.
114. CCNUCC, articles 3-3 et 3-5 ; v. OMC et PNUE, Rapport « Commerce et changement climatique »,
2009, p. 74, disponible sur : http://www.wto.org/french/res_f/booksp_f/trade_climate_change_f.pdf
115. Commission, « Livre vert sur les instruments fondés sur le marché en faveur de l’environnement
et des objectifs politiques connexes », COM (2007) 140 final, 28 mars 2007, p. 2.
RJ • E 1/2011
48
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre « s’est éga-
lement imposé comme le marché de référence sur lequel s’établit le prix du
carbone dans le monde » 116.
Cette pénétration des instruments économiques dans le domaine de l’environne-
ment pose la question des rapports entre droit et économie. Ils portent la marque
de la globalisation. En effet, « la globalisation, qui renvoie au modèle du marché,
favorise "l’outil économique" que nous avons rencontré en tout domaine, y compris
en matière de biodiversité ou de changement climatique (accords contractuels,
propriété intellectuelle 117, permis d’émission négociables pour les gaz à effet de
serre) » 118. Les instruments économiques de marché présentent plusieurs avan-
tages. Le principal est sans doute qu’ils permettent des formes de coordination
très décentralisées, qui « ne mettent pas en jeu la souveraineté nationale » et
« n’impliquent pas de modifications harmonisées des politiques nationales » 119.
Du fait qu’ils mettent en œuvre la logique de l’économie de marché, ils possèdent
un caractère incitatif important, à la fois pour les Etats et le secteur privé. De plus,
conformément à leur raison d’être, qui est la promotion d’un développement dura-
ble pour tous les pays, les revenus qu’ils procurent « peuvent être réinvestis dans
la recherche de technologies propres ou utilisés pour parer aux effets des chan-
gements climatiques qui menacent les plus démunis » 120.
L’adaptation du droit international de l’environnement au nouveau contexte
découlant de la globalisation lui permet de progresser vers davantage d’effi-
cience, et de devenir sans doute plus mâture. On ne peut que partager l’opinion
de S. Doumbé-Billé, selon laquelle, « les nouvelles logiques du marché mondial
imposent aux normes environnementales un saut qualitatif qui doit leur permettre
de ne plus être seulement des normes de stricte protection mais de se transfor-
mer en d’authentiques normes de gestion » 121. Il est vrai que la protection de
l’environnement global implique une gestion de l’incertitude scientifique, mais
avec le recours aux instruments de marché, l’articulation entre développement
et environnement doit pouvoir être améliorée, et l’action commune en faveur de
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
RJ • E 1/2011
49
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
RJ • E 1/2011
50
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
Il n’est pas inexact de déclarer que le fait que le changement climatique soit
l’archétype du bien public global « constitue à la fois un blocage à l’action spon-
tanée des acteurs et un encouragement à des comportements dits de "passager
clandestin" » 129. L’attitude des Etats n’est donc pas étrangère à l’ineffectivité du
droit international de l’environnement, car les accords conclus dépassent rare-
ment la déclaration d’intention, ce qui signifie qu’« ils fixent un cap, un objectif
à atteindre, mais laissent l’entière responsabilité de la mise en œuvre aux Etats
ayant ratifié ces accords. C’est là le principe même du droit international, qui
cherche avant tout à protéger la souveraineté des Etats, en limitant au maximum,
d’une part, les mécanismes de sanctions, d’autre part, les institutions qui pour-
raient mettre en place des politiques publiques internationales » 130. Le dévelop-
pement désordonné des Accords multilatéraux environnementaux, sans hiérar-
chisation entre eux et sur des territoires et des espaces différents explique
grandement « cette faiblesse intrinsèque des engagements souscrits (qui) est
en lien direct avec les ambitions qui sont les leurs : s’ils étaient contraignants et
donc leurs engagements plus crédibles, leurs objectifs seraient moindres, ou ils
ne seraient reconnus que par un nombre plus restreint de parties » 131.
Le volume de la production juridique internationale en matière d’environnement
ne peut donc absolument pas être corrélé avec la mesure de son effectivité.
Comme l’explique M. Pallemaerts 132, à partir d’une étude de M. Koskenniemi 133,
« le droit international est condamné à louvoyer continuellement entre apologie
et utopie, en s’efforçant de respecter la souveraineté des Etats et d’affirmer sa
propre normativité », l’Etat souverain se trouvant confirmé dans sa position de
décideur ultime. On est donc conduit à se poser la question suivante : « Pourquoi
le droit international de l’environnement est-il sujet d’un tel engouement, malgré
l’inefficacité manifeste de nombreuses normes internationales ? » 134. Il est pos-
sible de répondre en mettant en avant non pas la fonction sociale du droit, mais
sa fonction symbolique, qui « peut produire des effets sociaux indépendants de
toute effectivité instrumentale ». Par conséquent, « la prolifération de normes
dépourvues d’effectivité permet aux gouvernements et organisations intergou-
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
RJ • E 1/2011
51
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
RJ • E 1/2011
52
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
terminologique » 144, et que la violation des obligations conventionnelles est « plus
diplomatiquement désignée » 145 comme le non-respect des dispositions d’une
convention environnementale. Tout comme l’on évoque le « droit mou », il s’agit
d’une « responsabilité molle » et, il est utile de « faire usage de la notion de soft
legal interest pour qualifier la qualité donnant droit d’entamer une procédure de
non-respect comme cela est prévu dans le cadre du Protocole de Montréal. Il
n’est pas question d’un intérêt juridique pour agir défini selon les termes du droit
du contentieux international (...) » 146.
Cette évolution de la responsabilité internationale se traduit par une « multilaté-
ralisation » du contrôle qui permet une meilleure acceptation par les Etats 147,
certains d’entre eux étant réticents (et le sont toujours) à accepter l’instauration
de sanctions, qui impliquent, comme en matière de désarmement, une certaine
intrusion dans les actions publiques et privées nationales. Les procédures de
non-respect sont devenues nécessaires, car elles permettent d’assurer le res-
pect de l’intégrité des mécanismes instaurés par les conventions environnemen-
tales, ce qui est particulièrement vrai pour ceux du Protocole de Kyoto, car « l’uti-
lisation des marchés de permis d’émission suppose un jeu de règles pour
l’encadrer et un système de vérification, qui rendent ces marchés efficaces ».
Parce que les mécanismes de flexibilité reposent sur la confiance de chacune
des parties – leur crédibilité en dépend –, « un certain abandon de souveraineté,
passant par le respect des obligations internationales, est nécessaire pour éviter
les comportements de passagers clandestins » 148.
Afin de parvenir à « amadouer » les Etats en quelque sorte, les procédures de
non-respect concilient plusieurs exigences. En premier lieu, elles « restent très
hybrides, et les éléments caractéristiques d’un contrôle juridictionnel paraissent
distillés dans les mécanismes de contrôle où sont privilégiés le consensus et,
plus largement, le non-respect d’un engagement donne lieu à des réponses
graduées cherchant à éviter le recours à la sanction juridique » 149.
En second lieu, l’appellation « juridiquement non signifiante » 150 qu’on a préférée
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
RJ • E 1/2011
53
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
préférée à une approche coercitive, car il ne faut pas perdre de vue que le
non-respect des obligations est bien souvent davantage le fruit « d’une difficulté,
voire d’une impossibilité de mise en œuvre, pour des raisons techniques ou
financières, que de la mauvaise volonté de l’Etat » 152.
Enfin, en quatrième lieu, et on retrouve la dimension hybride signalée précédem-
ment, même si la dimension juridictionnelle n’est pas absente dans les méca-
nismes institués, la décision finale est de nature politique, la COP/MOP pouvant
par exemple exercer un contrôle politique sur les décisions du groupe de l’exé-
cution dans le cadre du Protocole de Kyoto. L’existence de ce contrôle « traduit
la volonté des Etats de garder une forme de mainmise sur le fonctionnement du
système et révèle ainsi une première incursion de la logique subjectiviste dans
le système » 153. Les parties seront ainsi amenées à évaluer le respect des obli-
gations selon une logique politique et, « du fait que les plus grands émetteurs
mondiaux de gaz à effet de serre (Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil) ne participent
pas à l’effort global de réduction, les pays qui se sont engagés volontairement
à réduire leurs émissions bénéficieront sans doute de la bienveillance de la com-
munauté internationale » 154. Plus grave, deux des mesures prévues en cas de
non-conformité 155 dépendent pour leur effectivité de la reconduction d’un accord
international contraignant après 2012 156 et, après la Conférence de Copenha-
gue, rien n’est moins sûr, car « le risque est celui d’une fragmentation du régime
international du climat, et sans doute d’une marginalisation de la Convention,
voire de sa mort lente, et, à plus court terme, de la mort du Protocole de
Kyoto » 157. Le système de contrôle international du Protocole serait-il mort-né,
avant même d’avoir pu fonctionner ?
Le contrôle du respect des engagements des différents pays a été l’un des
principaux sujets de crispation durant les négociations de Copenhague et les
minces résultats de la Conférence n’augurent rien de bon. Le principe d’une
vérification, souhaité par les Etats-Unis qui exigeaient que l’ensemble des mesu-
res d’atténuation soient soumises à un système de contrôle indépendant, a été
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
RJ • E 1/2011
54
Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
Les réductions et les financements des pays développés seront mesurés, décla-
rés et vérifiés, conformément aux lignes directrices actuelles et à de nouvelles
lignes directrices, qui devront permettre de comptabiliser leurs objectifs et finan-
cements de manière rigoureuse, solide et transparente. Les actions et les inven-
taires nationaux des pays en développement devront être vérifiés, par l’intermé-
diaire de communications nationales soumises tous les deux ans. La vérification
des actions sera exercée par des consultations et des analyses au niveau inter-
national, « sur la base de lignes directrices clairement définies qui garantiront
le respect de la souveraineté nationale ». Les actions d’atténuation, soutenues
au plan international et adaptées au contexte national, « seront soumises à un
contrôle international, la déclaration et la vérification conformément aux orienta-
tions adoptées par la Conférence des parties ». Que penser de la complexité
de ce dispositif de contrôle ? L’indication du « respect de la souveraineté natio-
nale » est une demande chinoise. La référence à des « lignes directrices inter-
nationales » est-elle verrouillée par la mention de la souveraineté nationale ? Une
chose est sûre, les termes choisis sont « intéressants : "consultations" et "ana-
lyses" n’équivalent pas à contrôle, inspection, monitoring, vérification, etc. Cou-
plés à la référence à la souveraineté nationale, ces termes n’impliquent pas de
réelles contraintes même s’ils ouvrent une (toute) petite brèche » 160. Cette
réflexion n’incite guère à l’optimisme et, en désespoir de cause, il faut se résigner
à conclure que les deux plus grands pollueurs de la planète ont imposé leur
vision du régime international du climat et du contrôle de sa mise en œuvre,
sans doute au détriment de sa dimension globale et de l’intérêt de l’humanité.
© Lavoisier | Téléchargé le 23/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 196.47.128.168)
RJ • E 1/2011
55