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Le droit international de l’environnement a la croisée des

chemins : globalisation versus souveraineté nationale


Yves Petit
Dans Revue juridique de l’environnement 2011/1 (Volume 36), pages 31 à 55
Éditions Lavoisier
ISSN 0397-0299
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a

LE DROIT INTERNATIONAL
DE L’ENVIRONNEMENT
A LA CROISÉE DES CHEMINS :
GLOBALISATION VERSUS
SOUVERAINETÉ NATIONALE
Yves PETIT
Professeur à l’Université de Nancy II
IRENEE (Institut de recherches sur l’évolution de la nation et de l’Etat)

Résumé La globalité des questions environnementales se heurte à la souve-


raineté des Etats. Il s’avère que leur action, si elle veut être efficace, ne peut
plus se limiter au cadre national mais doit être élaborée et conduite dans le
respect de l’intérêt général de l’humanité. C’est pourquoi, on a pu penser que
l’environnement pouvait être considéré comme appartenant au patrimoine com-
mun de l’humanité. Malheureusement, cette ambition de départ a laissé place
au concept flou de biens publics mondiaux. La technique juridique des conven-
tions-cadres a facilité cette évolution, qui comporte beaucoup moins de contrain-
tes pour les Etats et leur permet de mieux préserver leur souveraineté. En dépit
des difficultés rencontrées, le droit international de l’environnement progresse
tout de même, mais lentement. L’exigence de parvenir à une répartition équitable
des efforts, par exemple dans le domaine de la lutte contre le changement cli-
matique, symbolise les désaccords entre les différentes catégories d’Etats. Pour
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augmenter son efficience, le droit international de l’environnement est également
obligé de recourir aux outils économiques. Il souffre toutefois d’une ineffectivité
chronique, que le développement des procédures de non-respect ne parvient
guère à endiguer.

Summary The globalization of environmental matters conflicts with the States’


sovereignty. It appears that their actions in order to be efficient cannot be bound
within the national framework but must be conceived and implemented with a
view to the general interest of Humanity. This is the reason why it was imagined
that the environment could be considered as belonging to the common heritage
of humanity. Unfortunately, this former ambition was replaced by the vague
concept of universal public property. The legal technique of framework conven-
tions facilitated this evolution which implies much less obligations for States and
allows them better to safeguard their sovereignty. In spite of obstacles, the inter-
national law of Environment is in progress, but slowly. The need to achieve an
equitable sharing of efforts, for instance in the field of climate change, is a symbol
of the disagreements between different categories of Sates. In order to be more
efficient international environmental law must also appeal to economic instru-
ments. It suffers from a chronic inefficiency which the development of procedures
for non-respect cannot master.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS

« Ce qui est commun au plus grand nombre


fait l’objet de soins les moins attentifs.
L’homme prend le plus grand soin de ce qui lui est propre,
il a tendance à négliger ce qui est en commun »,
Aristote, Politique, Livre III.

« L’environnement est le domaine dans lequel le traditionnel concept de souve-


raineté des Etats se heurte à une incontournable réalité : la globalité des phé-
nomènes naturels. Les écosystèmes ignorent les Etats et leurs frontières. Pour
lutter contre les atteintes à l’environnement, qui mettent en cause à terme la
survie même de l’humanité, les Etats ne peuvent plus limiter leur action au cadre
national. L’environnement a ainsi élargi le champ traditionnel de la diplomatie.
Considérées comme marginales au début des années 1980, les questions envi-
ronnementales ont pris une importance croissante, avec la prise de conscience
que des problèmes globaux exigeaient des réponses globales (...) » 1. Ces consi-
dérations sont au cœur du propos qui va suivre. Il apparaît en effet indiscutable
que la globalisation des questions environnementales et les risques écologiques,
forcément globaux, qui découlent des atteintes à l’environnement, voire même
de sa destruction, représentent un défi aux systèmes juridiques qui reposent
traditionnellement sur l’Etat 2. L’interdépendance croissante dans le domaine de
l’environnement ou dans d’autres domaines (crimes globalisés, flux immatériels
financiers ou d’information, par exemple) ne facilite donc pas le dépassement
de la logique interétatique et « on comprend qu’il soit difficile de faire admettre
aux Etats la nécessité de construire, au nom de la protection du bien commun
des peuples, une communauté politique globale fondée sur un principe juridique
de solidarité et sur un principe politique de souveraineté partagée » 3.
La découverte de problèmes planétaires affectant l’environnement a indubita-
blement constitué un élément décisif qui a modifié la vision que l’on pouvait avoir
de l’environnement 4. Le droit international de l’environnement s’est trouvé alors
confronté à « une dynamique de globalisation 5 dont l’origine était déjà percep-
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tible lors de la première grande Conférence des Nations Unies en la matière,
tenue à Stockholm en 1972 6. On est en effet passé d’une perspective restreinte
et localisée à une perception globale des problèmes d’environnement, lesquels
au sens le plus littéral, ont ainsi, en partie du moins, changé de dimension » 7.
La planète a alors été perçue comme un « village global » ou un « village pla-
nétaire » si l’on préfère, qui s’est trouvé contraint d’« amorcer une gestion

1. J.-J. Guillet, Rapport d’information no 1669, sur « L’environnement, nouveau champ d’action de la
diplomatie française », AN, Commission des affaires étrangères, 13 mai 2009, p. 5.
2. Sur cette question des risques globaux, v. not. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit.
Le relatif et l’universel, éd. du Seuil, 2004, not. p. 374 et s.
3. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (III). La refondation des pouvoirs, éd. du Seuil,
2007, p. 14.
4. V. A. Kiss et J.-P. Beurier, Droit international de l’environnement, Pedone, 2004, p. 14.
5. La globalisation ne doit pas être confondue avec la mondialisation des échanges. En effet, comme
l’a précisé R.-J. Dupuy, « dans sa forme présente, la mondialisation se double de la globalisation,
laquelle exige le transfert au plan universel de problèmes qui, jusque-là, semblaient pouvoir être résolus
par des accords conclus entre partenaires spécialement intéressés. Les Etats passent aujourd’hui de
l’interdépendance à la commune dépendance qui les englobe dans une problématique d’ensemble
(...) » (R.-J. Dupuy, « Le dédoublement du monde », RGDIP 1996, p. 313-321).
6. La Conférence des Nations Unies sur l’environnement s’est déroulée à Stockholm du 5 au 16 juin
1972. Dans la Déclaration finale adoptée, les principes 22 à 25 affirment que les Etats doivent coopérer
pour protéger et améliorer l’environnement (texte disponible sur :
http://www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?DocumentID=97&ArticleID=1503&l=fr).
7. P.-M. Dupuy, « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », RGDIP 1997,
p. 875.

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a
responsable des biens publics mondiaux que sont les matières premières qui
s’épuisent, le climat, l’air, l’eau, la biodiversité, les grands massifs forestiers, la
santé face aux grandes pandémies » 8. Bien que l’année 2010 soit celle de la
biodiversité selon le souhait de l’ONU, le réchauffement de la planète est cer-
tainement le plus global des défis globaux, en raison des menaces plurielles
qu’il fait peser sur la planète 9. Sans conteste, « seules, de telles menaces glo-
bales, ultimes et reconnues par tous, peuvent générer des forces susceptibles
de rassembler l’humanité divisée et conflictuelle en une communauté qui ne soit
pas fondée sur la bonne volonté, l’amour universel ou le dialogue persuasif,
toutes choses ne permettant pas de créer une communauté politique », sachant
toutefois qu’« établir un Léviathan entre des individus est plus facile que de créer
une volonté commune dans le monde des Etats » 10.
La question qui se pose face à cette incontournable protection globale de l’envi-
ronnement est celle de la réponse ou des réponses internationales apportées
jusqu’à nos jours, l’intérêt général apparaissant comme le fondement de cette
protection 11. En dépit des quelque 500 accords multilatéraux ou régionaux rela-
tifs à l’environnement, sans même évoquer les innombrables accords non
contraignants adoptés dans différents forums internationaux, le manque de
volonté politique des Etats est une réalité, comme est venu le rappeler, s’il en
était besoin, l’épisode quasiment surréaliste de la Conférence de Copenhague
(COP 15), qui s’est déroulée du 7 au 18 décembre 2009. Le prix Nobel de la
paix 2007, Al Gore, (prix partagé avec le GIEC, Groupe d’experts intergouver-
nemental sur l’évolution du climat) l’a affirmé et a déclaré, à propos du change-
ment climatique, qu’il était désormais « complètement clair que nous détenons
entre nos mains tous les instruments nécessaires pour résoudre la crise clima-
tique. Le seul ingrédient manquant est la volonté collective » 12. Ce défaut de
volonté politique collective ne concerne pas seulement le climat, car l’ancien
Secrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, ne craignait pas
de dire que, « quand il allait dans n’importe quelle institution internationale, et
qu’il rencontrait des fonctionnaires, il leur parlait de l’air ou de l’eau ; les intéres-
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sés lui répondaient qu’ils n’étaient pas là pour traiter ce problème mais pour
représenter les intérêts de leur gouvernement », ce qui traduit l’idée qu’aux yeux
de Michel Serres, « il n’y a pas et il n’y aura jamais de solution interétatique au
problème de l’environnement » 13. De là à en déduire « que la souveraineté natio-
nale est davantage menacée par la globalisation que par l’universalisme » 14, il
n’y a qu’un pas ! En dépit de ces avatars, le droit international de l’environnement
s’efforce de promouvoir un droit commun de l’humanité (I) mais, bien évidem-
ment, il se heurte à la résistance de la communauté des Etats (II).

8. S. Michailof, « Nord et Sud, même combat », Le Monde, 13 avril 2010.


9. Sur cette question, v. not. notre contribution : Y. Petit, « Le changement climatique et la sécurité
internationale », in R. Kherad (dir.), La sécurité humaine. Théorie(s) et pratique(s), Pedone, 2010,
p. 193-209 ; le débat public que le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu le 17 avril 2007 à la demande
du Royaume-Uni sur le thème « Energie, sécurité et climat », S/PV.5663 ; la résolution adoptée par
l’Assemblée générale de l’ONU, Les changements climatiques et leurs répercussions éventuelles sur la
sécurité, A/RES/63/281, 11 juin 2009.
10. F. Cerutti, « Le réchauffement de la planète et les générations futures », revue Pouvoirs no 127-2008,
« Droit et environnement », p. 108-109.
11. Sur la réponse apportée, v. not. H. Gherari, Relations internationales, collection « Systèmes »,
LGDJ, 2010, p. 175-182.
12. S. Cypel, « Al Gore appelle au volontarisme sur l’environnement », Le Monde, 11 novembre 2009.
13. Entretien avec Michel Serres, « Le droit peut sauver la nature », revue Pouvoirs no 127-2008, préc.,
p. 11.
14. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (II). Le pluralisme ordonné, éd. du Seuil, 2006,
p. 166.

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I. – LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT


ET L’ÉLABORATION D’UN DROIT COMMUN DE L’HUMANITÉ
F. Ost estime que « la Terre entière est un seul être vivant à la recherche
constante de son équilibre homéostatique » 15, cette approche holistique étant
par exemple présente dans la définition du « système climatique » de la Conven-
tion-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du
9 mai 1992, qui doit être compris comme « un ensemble englobant l’atmosphère,
l’hydrosphère, la biosphère et la géosphère, ainsi que leurs interactions » 16.
Avec la montée des périls environnementaux et la prise de conscience de la
nécessité de protéger l’environnement, les Etats sont par conséquent face à
« l’alternative suivante : soit ils abandonnent les règles nationales protégeant
leur environnement, soit ils les alignent à un niveau commun, suffisamment élevé
pour être efficace ». A vrai dire, « la réalité est qu’il est indispensable de créer
des cadres juridiques, globaux eux aussi, pour assurer cette protection à tous
les niveaux et dans tous les cas » 17. En dépit du développement des interdé-
pendances résultant de la globalisation des risques et de la nécessaire construc-
tion d’un droit mondial reposant sur des principes communs, l’objectif de pro-
tection de l’environnement global a sans cesse été édulcoré (A), plusieurs
techniques et procédés ayant été au service de cette reculade (B).

A) L’ÉDULCORATION DE L’OBJECTIF DE PROTECTION


DE L’ENVIRONNEMENT GLOBAL
La finalité des règles du droit international de l’environnement est « l’intérêt géné-
ral de l’humanité » 18. Toutefois, le droit international demeure « la matrice juri-
dique naturelle de la protection de l’environnement » 19 et, afin de parvenir à
satisfaire cet intérêt général, il convient de dépasser une rhétorique écologique,
qui masque des intérêts nationaux, d’ordre politique et économique, et retarde
l’adoption de mesures universelles adéquates et efficaces. En effet, « comment
établir une solidarité entre intérêts légitimement compétitifs, comment définir un
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intérêt général sans titulaire visible ? » 20. Afin d’apporter des éléments de
réponse à ces questions, depuis l’adoption de la convention de l’UNESCO du
23 novembre 1972 concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et
naturel, la doctrine s’interroge sur l’appartenance de l’environnement au patri-
moine commun de l’humanité, ce concept permettant de « récupérer les vertus
de l’affectation patrimoniale en les liant à la réalisation du bien collectif » 21. Mal-
heureusement, l’ambition de départ visant à consacrer l’environnement patri-
moine commun de l’humanité (1) a été emportée par les divergences entre pays
développés et pays en développement, et il n’en subsiste guère qu’une « évo-
lution vers les biens publics mondiaux » 22 (2).

15. F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, La Découverte, 2003, p. 92.
16. CCNUCC, art. 1-3, texte in P.-M. Dupuy, Les grands textes de droit international public, Dalloz,
6e éd., 2008, p. 820.
17. A.-C. Kiss, « Tendances actuelles et développement possible du droit international conventionnel
de l’environnement », in M. Prieur (dir.), Vers un nouveau Droit de l’environnement ?, Centre international
de droit comparé de l’environnement, Limoges, 2003, p. 27.
18. A. Kiss, « L’irréductible présence de l’environnement », in M. Ricciardelli, S. Urban et K. Nanopou-
los, Mondialisation et sociétés multiculturelles. L’incertain du futur, PUF, 2000, p. 227.
19. S. Doumbé-Billé, « Force du droit et droit de la force en droit international de l’environnement », in
R. Ben Achour et S. Laghmani, Le droit international à la croisée des chemins. Force du droit et droit
de la force, Pedone, 2004, p. 368.
20. S. Sur, « La fièvre monte à Copenhague », Questions internationales no 38, juillet-août 2009, Le
climat : risques et débats, p. 7.
21. P.-M. Dupuy, Droit international public, Dalloz, 8e éd., 2008, p. 776, no 629.
22. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, préc., p. 92.

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a
1. De l’ambition du patrimoine commun de l’humanité...
Afin que l’humanité puisse devenir maître du domaine environnemental, le
concept de patrimoine commun de l’humanité a été mis en avant. C’était sans
compter sur sa fragilité, car ce concept exprime une double solidarité qui ne va
pas de soi. L’adjectif « commun » traduit une solidarité transnationale dépassant
les solidarités interétatiques, et le terme « patrimoine » (le terme anglais heritage
étant plus expressif) évoque une solidarité transtemporelle, entre les générations
présentes et les générations futures. Il faut bien reconnaître que la « solidarité
transnationale se heurte au principe de territorialité des systèmes de droit qui
semble exclure l’idée même de gestion commune de l’espace et des ressources
qu’il produit ». De surcroît, « la solidarité transtemporelle, dès lors qu’elle associe
les générations futures, se trouve confrontée aux temporalités multiples des
diverses civilisations. Le temps n’est pas unifié à l’échelle planétaire, du moins
si l’on se réfère par là aux rythmes de développement de chaque société » 23.
Ensuite, un mouvement dialectique s’avère être le caractère dominant du
concept de patrimoine commun de l’humanité : « du local ("ma" propriété, "mon"
héritage), il conduit au global (le patrimoine commun du groupe, de la nation,
de l’humanité) ; du simple (tel espace, tel individu, tel événement physique), il
conduit au complexe (l’écosystème, l’espèce, le cycle) ; d’un régime juridique
indexé sur des droits et obligations individuels (droits subjectifs d’appropriation
et obligations correspondantes), il conduit à un régime qui prend en compte les
intérêts diffus (intérêts de tous, y compris des générations futures) et les res-
ponsabilités collectives ; d’un statut axé principalement sur une répartition-
attribution statique de l’espace (régime monofonctionnel de la propriété), il
conduit à la reconnaissance de la multiplicité des usages dont les espaces et
les ressources sont susceptibles, ce qui relativise nécessairement les partages
d’appropriation » 24.
En dépit de ces vicissitudes, il n’est pas incongru, bien au contraire, d’affirmer
que « l’environnement est de plus en plus perçu comme une valeur commune
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à l’humanité tout entière dont la préservation est l’affaire de la communauté inter-
nationale dans son ensemble, et que l’on retrouve dans les règles qui lui sont
applicables la plupart des principes relatifs au patrimoine commun de l’huma-
nité : absence de réciprocité, obligation de conservation et de gestion ration-
nelle, non-appropriation » 25. Le concept de patrimoine commun de l’humanité
ne figure cependant pas en tant que tel dans les Déclarations de Stockholm de
1972 et de Rio de 1992. Toutefois, le préambule de la Déclaration de Rio 26
reconnaît que, « la Terre, foyer de l’humanité, constitue un tout marqué par l’inter-
dépendance ». Le préambule de la Convention sur la biodiversité de 1992 affirme
que « la conservation de la diversité biologique est une préoccupation commune
de l’humanité » et le premier alinéa du préambule de la CCNUCC souligne
d’emblée que « les changements du climat et de la planète et leurs effets néfas-
tes sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière » 27. P.-M. Dupuy
a analysé la formulation de la Convention sur la biodiversité comme « un écho
assourdi de la logique du patrimoine commun de l’humanité » 28.

23. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, préc., p. 88-89.
24. F. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, préc., p. 309-310.
25. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, LGDJ, 8e éd., 2009, p. 1421, no 736.
26. Texte in P.-M. Dupuy, Les grands textes de droit international public, préc., p. 811.
27. Texte des deux conventions in P.-M. Dupuy, Les grands textes de droit international public, préc.,
p. 841 et 817.
28. P.-M. Dupuy, Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ?, préc., p. 891.

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Refuser ou minimiser l’idée de patrimoine commun a indiscutablement pour


conséquence un affaiblissement de l’effort de la communauté internationale dans
la gestion des ressources environnementales. Le paradoxe est que « l’accep-
tation du concept de patrimoine commun de l’humanité ne porte pas ipso facto
atteinte au concept de souveraineté en tant que tel. Les Etats, en tant qu’acteurs
internationaux, réaffirment leur prééminence ; ils s’assurent seulement que l’exer-
cice de la souveraineté se fera dans des conditions d’équité, ou que, à défaut
d’accord, nul ne tirera un bénéfice démesuré de l’exploitation de ces ressources.
Les Etats affirment leur droit collectif d’exploiter ces ressources et de s’en par-
tager les fruits. Plus que le concept lui-même, c’est l’exercice individuel de la
souveraineté qui est remis en cause » 29. Toutefois, les droits sur l’exploitation
des ressources doivent être accordés de manière non discriminatoire et, à ce
propos, l’histoire du droit international de l’environnement montre que « le refus
d’un critère d’équité dans le domaine des biens communs a eu comme consé-
quence prévisible le discrédit de la notion de patrimoine ou de bien commun
environnemental » 30. L’apparition d’un déséquilibre dans une négociation envi-
ronnementale comme celle relative à la biodiversité, matérialisée par une oppo-
sition latente Nord-Sud, a placé au premier plan le concept de patrimoine natio-
nal relevant de la souveraineté des Etats. Ainsi, fort logiquement, « les pays en
développement ont plaidé et obtenu la "nationalisation" des ressources de la
biodiversité, qui ne sont plus partie intégrante du patrimoine commun de
l’humanité » 31.
Sur ce plan, la Convention sur la diversité biologique offre « une impression de
régression » 32. Son article 3 affirme sans ambiguïté que, « conformément à la
Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les Etats ont le
droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’envi-
ronnement (...) ». Ce rappel du principe de la souveraineté de l’Etat sur ses
ressources naturelles « témoigne du refus de qualifier la diversité biologique de
patrimoine commun de l’humanité » 33. Dans le même ordre d’idée, il est néces-
saire de rappeler que le préambule de la CCNUCC réaffirme « que le principe
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de la souveraineté des Etats doit présider à la coopération internationale desti-
née à faire face aux changements climatiques ». De même, le Principe 2 de la
Déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement déclare
que « conformément à la Charte des Nations unies et aux principes du droit
international, les Etats ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources
conformément à leurs propres politiques en matière d’environnement et de déve-
loppement » 34. C’est seulement le principe 7 qui énonce que « les Etats doivent
coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger
et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre ».
Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et
l’agriculture du 3 novembre 2001 35 « a, lui aussi, abandonné l’idée selon laquelle
ces ressources constituaient un patrimoine commun de l’humanité » et, tout

29. P. Le Prestre, Protection de l’environnement et relations internationales. Les défis de l’écopolitique


mondiale, Armand-Colin, 2005, p. 97-98.
30. L. Tubiana, Environnement et développement. L’enjeu pour la France, La Documentation française,
2000, p. 12.
31. L. Tubiana, Environnement et développement. L’enjeu pour la France, préc., p. 35.
32. M.-A. Hermitte, « La convention sur la diversité biologique », AFDI 1992, p. 859.
33. S. Maljean-Dubois, « Biodiversité, biotechnologies, biosécurité : le droit international désarticulé »,
JDI 2000, p. 955.
34. V. égal. le Principe 21 de la Déclaration de Stockholm de 1972.
35. V. texte in JOUE no L 378, 23 décembre 2004.

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a
comme la Convention sur la diversité biologique, il « consacre l’appropriation
des ressources à usage agricole ou alimentaire par les Etats » 36. Son article 10.1
affirme que, « dans leurs relations avec les autres Etats, les parties contractantes
reconnaissent les droits souverains des Etats sur leurs propres ressources phy-
togénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, y compris le fait que le pouvoir
de déterminer l’accès à ces ressources appartient aux gouvernements et relève
de la législation nationale ». Son préambule reconnaît malgré tout que « les
ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture sont une préoc-
cupation commune de tous les pays » 37.

2. ... Au concept flou des biens publics mondiaux


Un autre moyen permettant d’estomper l’attachement des Etats à leur compé-
tence territoriale a consisté à mettre en avant le concept de biens publics mon-
diaux (biens publics globaux ou encore biens communs planétaires). Cette
« reconnaissance de biens publics mondiaux, ou de biens communs de l’huma-
nité, placés sous la garantie des Etats et des institutions internationales, permet-
trait de concilier la prise en compte de la territorialité avec les intérêts de la
collectivité mondiale » 38. Si le PNUD et la Banque mondiale ont relancé le débat
sur ce concept à la fin des années 1990, depuis la Conférence de Stockholm
de 1972, un nombre croissant de difficultés a été identifié comme des problèmes
communs (global issues). Ce débat, qui fait apparaître la perception des risques
collectifs et globaux comme la principale motivation d’une action collective au
plan mondial, « constitue un effort de renouvellement de l’approche théorique
de la coopération internationale » 39. Il traduit la volonté de rechercher un déve-
loppement commun qui soit conciliable avec la souveraineté de l’Etat, ainsi que
l’ampleur des problèmes, qui pousse vers une gestion commune des ressources
planétaires et l’ébauche de notions, comme celles de patrimoine commun de
l’humanité ou de biens communs (global commons) 40.
Qu’est-ce qu’un bien public mondial ou global 41 ? La réponse n’est pas aisée,
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et elle peut être donnée sous l’angle économique et sous celui du droit
international.
La définition économique a été formalisée par l’économiste Paul Samuelson en
1954, à partir de deux propriétés principales des biens publics : la non-rivalité
dans la consommation, ce qui signifie que la consommation du bien par un
individu n’empêche pas sa consommation par un autre individu ; la non-exclu-
sion de la consommation, ce qui traduit l’idée qu’il est impossible d’exclure un
individu de la consommation de ce bien. Ainsi, « les biens publics globaux purs
sont des biens publics purs universels, c’est-à-dire des biens qui peuvent être
consommés en même temps par l’ensemble de la population mondiale. Parmi

36. N. de Sadeleer, C.-H. Born, « Droit international et communautaire de la biodiversité », Dalloz,


Thèmes et commentaires 2004, p. 39, no 30.
37. L’engagement international de la FAO de 1983, remplacé par le traité international sur les ressour-
ces phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qualifiait les ressources génétiques de patri-
moine commun de l’humanité.
38. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, préc., p. 94.
39. L. Tubiana, J.-M. Severino, Biens publics globaux, gouvernance mondiale et aide publique au
développement, Conseil d’analyse économique, Rapport no 37, Gouvernance mondiale, 2002, La Docu-
mentation française, p. 349.
40. V. P. Moreau Desfarges, « Existe-t-il une communauté internationale ? », Commentaire no 78-1997,
p. 349.
41. Sur l’ensemble de la question, v. not. I. Kaul, I. Grunberg, M. A. Stern, Les biens publics mondiaux.
La coopération internationale au XXI e siècle, Economica, 2002, 272 pages.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS

les exemples de biens publics globaux "purs" on peut citer : la paix, le maintien
de la capacité d’absorption de gaz à effet de serre de l’atmosphère, l’éradication
des maladies infectieuses, les résultats de la recherche fondamentale » 42. Il
n’existe pas d’accord sur une liste précise. Pour certains, « selon le consensus
actuel, il en existe deux : la qualité du climat 43 et la biodiversité. La "couche
d’ozone", victime d’un "trou" en raison de l’émission de certains gaz nocifs, était
un bien de ce type » 44. Comme chacun sait, on doit s’exprimer à l’imparfait,
parce que l’action internationale conduite dans le cadre du Protocole de Mon-
tréal a été efficace. Pour d’autres, la gestion de la forêt tropicale oscille entre
patrimoine national et bien public global 45.
Sur le plan du droit international, le concept de bien public mondial « n’a pas
de signification juridique propre ». Sa définition reste peu précise, mais ce
« débat sur les biens publics s’inscrit dans celui plus ancien portant sur les
intérêts communs à la communauté internationale. Il s’agit toutefois d’un discours
présentant l’intérêt de permettre une nouvelle conceptualisation de ce vieux
débat ». En tentant d’identifier de façon déductive des concepts juridiques voi-
sins des biens publics mondiaux, « on songe d’abord aux obligations erga omnes
et à la notion de jus cogens qui ont trait aux normes qui sont fondamentales
pour la communauté internationale et de ce fait font l’objet d’une protection par-
ticulière ». Il faut encore préciser qu’« une caractéristique-clé du bien public
mondial est que sa mise en œuvre nécessite une action collective » 46.
Le CO2 constitue l’exemple type de la difficulté de produire un bien public global.
Il « se diffuse de façon homogène dans l’atmosphère, en conséquence de quoi
les réductions d’émissions effectuées par un pays profitent à tous. Comme les
pays bénéficient à la marge de leurs propres efforts de réduction des émissions,
ils se placent individuellement à un niveau d’effort qui n’est pas optimal pour
l’ensemble des habitants de la planète. En ce sens, le climat est un pur "bien
public mondial". C’est pourquoi la coordination internationale est nécessaire » 47.
Or, ce n’est un secret pour personne, la coordination internationale est extrême-
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ment difficile, car « la fourniture du bien public global est la somme des actions
de chaque pays » et « la coordination doit chercher à impliquer le maximum de
pays » 48. Du fait qu’il soit impossible d’obliger un Etat à rejoindre le cercle des
parties contractantes à un traité (comme les Etats-Unis et leur refus de ratifier le
Protocole de Kyoto), « certains pays trouveront (...) toujours un plus grand intérêt
à rester en dehors du régime international (...). En effet, en refusant de rejoindre
la coalition, un pays bénéficie des réductions effectuées par les autres sans

42. L. Tubiana, J.-M. Severino, Biens publics globaux, gouvernance mondiale et aide publique au
développement, préc., p. 354.
43. Sur la qualité du climat en tant que « bien collectif global », v. égal. R. Guesnerie, « Les enjeux
économiques de l’effet de serre », Conseil d’analyse économique, Rapport no 39, Kyoto et l’économie
de l’effet de serre, 2003, La Documentation française, p. 21.
44. P.-N. Giraud, La mondialisation. Emergences et fragmentations, La Petite Bibliothèque de sciences
humaines, 2008, p. 146.
45. S. Guéneau, « La forêt tropicale : entre fourniture de bien public global et régulation privée, quelle
place pour l’instrument de certification ? », in S. Maljean-Dubois, L’outil économique en droit international
et européen de l’environnement, CERIC-La Documentation française, coll. Monde européen et interna-
tional, 2002, p. 391.
46. Sur ces éléments, v. S. Heathcote, « Les biens publics mondiaux et le droit international. Quelques
réflexions à propos de la gestion de l’intérêt commun », L’Observateur des Nations Unies, no 13, 2002,
p. 137-161.
47. A. Vieillefosse, Le changement climatique. Quelles solutions ?, La Documentation française, Les
Etudes 2009, p. 63.
48. L. Tubiana, J.-M. Severino, Biens publics globaux, gouvernance mondiale et aide publique au
développement, préc., p. 357.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
avoir à payer : il joue au "passager clandestin" (free rider). Il peut même en tirer
des avantages compétitifs, s’il attire les industries lourdes grâce à une législation
environnementale moins exigeante » 49.
Il est facile de s’en rendre compte : la mise au point de cette notion de bien
commun par le droit international de l’environnement n’est pas aisée et « la
communauté internationale est donc confrontée à de fortes divergences, voire
des conflits, pour établir cet agenda des biens publics globaux (...) » 50. De fait,
un regard critique sur les biens publics globaux semble s’imposer. Selon T. de
Montbrial, cette notion est « une facilité de langage et non un concept, car un
tel "bien" ne peut exister qu’au sein d’une unité politique homogène » 51. Lors
d’une réponse à la question : « Les biens communs mondiaux, ça n’existe pas,
en réalité ? », le climatologue H. Le Treut répond : « c’est une notion qui mettra
encore du temps à s’imposer » 52. Encore plus critique, l’Association française
de science politique a souligné qu’il s’agissait d’un « objet scientifique douteux »
et d’une « notion molle pour des causes incertaines » 53. Constatant en pratique
« l’opposition du tempo lent de l’universalisme au tempo rapide de la globalisa-
tion », M. Delmas-Marty estime qu’il serait excessif de considérer le succès de
la diplomatie climatique relative au Protocole de Kyoto « comme le triomphe de
l’universalisme juridique, marquant la reconnaissance de l’environnement
comme "bien commun de l’humanité" », car il « tient avant tout aux interdépen-
dances créées par la globalisation des risques » 54.
En dépit de leur caractère synthétique, les notions de biens publics globaux et
de développement durable « ont pendant longtemps constitué les thèmes
d’opposition qui ont alimenté le dialogue Nord-Sud sur fond de divergences
doctrinales et stratégiques » 55. Ce clivage fort est peut-être à l’origine d’un degré
supplémentaire dans l’édulcoration de la protection de l’environnement global.
Ainsi, la Déclaration du Millénaire 56 adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU
a simplement pour devise (ou pour slogan) « Protéger notre environnement com-
mun », ce qui met tout de même « en relief toute l’importance de la préservation
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de l’environnement pour les "peuples des Nations Unies" » 57. Dans le domaine
du climat, le plan d’action de Bali se réfère uniquement « à une vision commune
de l’action concertée à long terme, notamment à un objectif global à long terme
de réduction des émissions, pour atteindre l’objectif ultime de la Convention
(-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques) » 58. Les principaux
éléments du futur régime international sur le climat doivent s’articuler autour de
cette vision commune, qui oppose les pays en développement et les pays indus-
trialisés, les premiers estimant que cette vision commune doit refléter uniquement

49. A. Vieillefosse, Le changement climatique. Quelles solutions ?, préc.


50. L. Tubiana, J.-M. Severino, Biens publics globaux, gouvernance mondiale et aide publique au
développement, préc., p. 365.
51. T. de Montbrial, « La globalisation exige une gouvernance souple » (propos recueillis par A. Rever-
chon), Le Monde, 22 septembre 2009.
52. Entretien avec Hervé Le Treut, « Il ne faut pas perdre dix ans de plus », Le Monde, 20-21 décembre
2009.
53. V. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, préc., p. 149.
54. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (II). Le pluralisme ordonné, préc., p. 209.
55. M. Bedjaoui, « L’humanité en quête de paix et de développement (II), Cours général de droit
international public (2004) », RCADI, t. 325, 2006, p. 335.
56. A/RES/55/2.
57. L. Boisson de Chazournes, « La protection de l’environnement dans le système des Nations Unies »,
in J.-P. Cot, A. Pellet, M. Forteau (dir.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article,
Economica, 3e éd., 2005, p. 258.
58. Décision 1/CP.13, 1 a).

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS

la responsabilité historique des pays développés dans le réchauffement du cli-


mat. Il est facile de deviner que les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur cette
vision commune lors de la Conférence de Copenhague 59.

B) LES TECHNIQUES ET PROCÉDÉS


COMPLICES DE CETTE ÉDULCORATION
Les normes du droit international de l’environnement se caractérisent par cer-
taines originalités 60. La première et la plus connue est l’existence de nombreux
instruments non juridiquement liants 61, la norme environnementale devant pos-
séder suffisamment de souplesse pour s’adapter aux besoins de l’environne-
ment et, surtout, des Etats. De ce point de vue, « le recours massif à la soft law
constitue l’un des aspects de cette flexibilité nécessaire : en recourant à des
instruments peu contraignants (...), on évite de rigidifier la règle de droit, au prix,
il est vrai, d’incertitudes sur son contenu et sur sa portée juridique » 62. Malgré
tout, la conséquence directe de la « globalisation interne » à la matière environ-
nementale est « la généralisation de la technique des traités-cadres qui carac-
térise désormais l’ensemble du droit international conventionnel dans le domaine
de l’environnement » 63. Si l’environnement est devenu le royaume des conven-
tions-cadres (1), la nécessité d’une multilatéralisation de la coopération décou-
lant du caractère intrinsèquement planétaire des atteintes à l’environnement n’a
pas diminué la prégnance du principe de souveraineté, afin que les Etats puis-
sent préserver leurs intérêts nationaux (2).

1. L’environnement, royaume des conventions-cadres


Le recours régulier aux conventions-cadres permet de mesurer l’influence du
droit international de l’environnement sur la technique conventionnelle. La défi-
nition des traités-cadres, qui consiste le plus souvent en un échelonnement dans
le temps de la création des normes environnementales, a été systématisée par
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A. Kiss de la manière suivante : « un traité-cadre est un instrument conventionnel
qui énonce les principes devant servir de fondement à la coopération entre les
Etats parties dans un domaine déterminé, tout en leur laissant le soin de définir,
par des accords séparés, les modalités et les détails de la coopération, en pré-
voyant, s’il y a lieu, une ou des institutions adéquates à cet effet. Il y a lieu de
préciser qu’au point de vue formel le signe permettant d’identifier les traités-
cadres est l’existence d’une part d’une convention principale, d’autre part de
protocoles ou accords complémentaires qui s’y rattachent tout en gardant une
certaine autonomie » 64.

59. Sur ces éléments, v. M. Wemäere, S. Maljean-Dubois, « L’Accord de Copenhague : quelles pers-
pectives pour le régime international du climat ? », RDUE 2010, p. 8, 15, 17 et 21.
60. Pour une synthèse, v. Y. Petit, Rubrique « Environnement », Répertoire Dalloz de droit international,
janvier 2010, nos 65-76.
61. Le cas le plus emblématique étant l’intitulé pour le moins alambiqué de la « Déclaration de prin-
cipes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion,
la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts » adoptée lors de
Conférence de Rio de 1992.
62. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, préc., no 740.
63. S. Doumbé-Billé, « Le droit international de l’environnement et l’adaptation aux changements pla-
nétaires », in Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Pour un droit commun de l’environnement, Dalloz,
2007, p. 96.
64. A. Kiss, « Les traités-cadres : une technique juridique caractéristique du droit international de
l’environnement », AFDI 1993, p. 793.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
Sans être exhaustif, plusieurs conventions-cadres célèbres peuvent être citées :
la convention-cadre de Vienne de 1985 sur la couche d’ozone, complétée par
le Protocole de Montréal de 1987 relatif aux substances qui appauvrissent la
couche d’ozone ; la CCNUCC de 1992, complétée par le Protocole de Kyoto sur
les changements climatiques de 1997 ; la Convention sur la diversité biologique
de 1992 65, complétée par le Protocole de Carthagène sur la prévention des
risques biotechnologiques de 2000 ; la Convention des Nations unies sur la lutte
contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse
et/ou la désertification, en particulier en Afrique, de 1994 66.
Cette technique du droit international de l’environnement présente plusieurs ver-
tus, qui ont été mises en évidence principalement en analysant le régime juridi-
que international destiné à lutter contre le réchauffement de la planète. Ainsi, la
CCNUCC offre « un cadre juridique pour un compromis initial » et son contenu
« est suffisamment souple pour permettre à toutes les parties en présence d’y
adhérer, même si leurs attentes varient ». Elle se compose « surtout de formu-
lations normatives de portée générale » et « s’apparente à un programme
d’action énonçant des principes et des méthodes – techniques et institutionnel-
les – pour répondre à un objectif général identifié de concert » 67, qui est de
parvenir à « stabiliser (...) les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmo-
sphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du
système climatique » 68. En tant que « pièce-maîtresse d’un ensemble à géomé-
trie variable » 69, cette technique présente également l’avantage « de fournir les
assises d’un régime qui se consolide progressivement, au gré de l’adoption
ultérieure d’instruments de natures juridiques diverses, qu’il s’agisse de proto-
coles additionnels, d’amendements ou encore de décisions des Etats parties à
la Convention adoptés de manière unilatérale ou collective ». Le Protocole de
Kyoto permet ainsi de « réitérer les lignes d’action et les engagements découlant
de la Convention, en les approfondissant sur les plans opérationnel et institu-
tionnel », ce qui le fait ressembler à une « seconde convention-cadre » 70. Il
précise et complète les engagements prévus par la CCNUCC, les obligations
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mises à la charge des parties étant plus précises et plus détaillées. Alors que

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la CCNUCC énonce seulement une stabilisation des gaz à effet de serre, le
Protocole de Kyoto a fixé des objectifs quantifiés de réduction aux parties, qui
préfèrent s’engager de façon progressive, se laisser le temps de la réflexion, et
prendre conscience de la nécessité d’agir 71. Il introduit également une régulation
du climat, en permettant le recours aux outils de marché.
A l’inverse, le recours aux conventions-cadres possède tout de même certains
inconvénients. Puisque les traités-cadres contiennent l’engagement de continuer
à négocier, « la coexistence au sein d’un système conventionnel du traité

65. Selon M.-A. Hermitte, elle se révèle être « un modèle pur de convention-cadre » (M.-A. Hermitte
(coord.), « La Convention sur la diversité biologique a quinze ans », AFDI 2006, p. 352.
66. Le texte de ces conventions est reproduit dans L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné,
M. M. Mbengue, C. Romano, Protection internationale de l’environnement, Pedone, 2005, 808 pages.
67. L. Boisson de Chazournes, « A propos de la régulation juridique de stratégies économiques dans
le domaine de l’environnement », in S. Maljean-Dubois, L’outil économique en droit international et
européen de l’environnement, préc., p. 229.
68. CCNUCC, article 2.
69. L. Boisson de Chazournes, La protection de l’environnement dans le système des Nations Unies,
préc., p. 252.
70. L. Boisson de Chazournes, A propos de la régulation juridique de stratégies économiques dans le
domaine de l’environnement, préc. ; v. égal. « La gestion de l’intérêt commun à l’épreuve des enjeux
économiques - le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques », AFDI 1997, p. 702-703 ; « La
naissance d’un régime juridique international de protection du climat. Le droit et le doute », Questions
internationales no 38, juillet-août 2009, préc., p. 62.
71. Y. Petit, rubrique « Environnement », préc., no 69.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS

principal et des protocoles qui le complètent peut poser des problèmes institu-
tionnels, car tous les Etats parties au traité-cadre ne sont pas nécessairement
parties contractantes à tous les protocoles » 72. Bien entendu, cette remarque
fait immédiatement penser à la situation des Etats-Unis, partie à la CCNUCC et
refusant de ratifier le Protocole de Kyoto, ce qui a tout de même singulièrement
compliqué la négociation lors de la Conférence de Copenhague de la fin de
l’année 2009. La CCNUCC prévoit qu’il est impossible d’être partie au Protocole
de Kyoto, sans être partie préalablement à la Convention, et que « seules les
parties à un protocole prennent des décisions en vertu dudit protocole » 73. Logi-
quement, lors de la Conférence de Copenhague, les négociations se sont dérou-
lées à la fois sous les auspices de la CCNUCC et du Protocole de Kyoto 74.
Ainsi que l’avait déjà remarqué A. Kiss, « on s’oriente vers des formules de
négociation permanente où l’adoption d’un traité-cadre est une importante étape,
mais seulement une étape » 75. Sous l’effet de la globalisation, « il s’agit désor-
mais, dans tous les domaines, de déterminer par voie de traité des principes
généraux assez faciles à faire accepter à tous, notamment en recourant à l’adop-
tion par le consensus, quitte à procéder ensuite à une définition plus stricte
d’engagements plus contraignants progressivement souscrits par les Etats en
fonction de leur capacité à le faire » 76. Finalement, le droit international de l’envi-
ronnement est progressivement gagné par la complexité, car « on aboutit ainsi
à des ensembles conventionnels complexes, formés de plusieurs traités distincts
mais liés les uns aux autres de façon plus ou moins étroite, dont les dispositions
s’articulent entre elles à la manière de poupées russes » 77.

2. L’environnement, royaume de la préservation des intérêts nationaux


En se livrant à une autopsie de la négociation climatique, il est juste d’affirmer
que, « si toute réflexion sur les traités internationaux doit partir du principe que
les intérêts nationaux l’emportent la plupart du temps sur l’intérêt collectif, la
conférence de Copenhague a été une illustration de la prédominance des inté-
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rêts étatiques sur l’intérêt commun. De nombreux Etats ont, semble-t-il, plaidé
pro domo » 78. Il est en effet classique qu’une négociation de ce genre et de
cette portée se déroule de cette manière. Lors de celle ayant conduit à l’adoption
du Protocole de Kyoto, les Etats s’étaient partagés « en plusieurs groupes qui,
fait intéressant, ne recoupaient pas la division traditionnelle Nord-Sud, mais illus-
trait, si besoin en était, la place des intérêts particuliers et sectoriels dans le
cadre d’un processus de négociation pourtant lancé pour répondre à un défi
commun à tous les Etats de la planète » 79. L’obsession du pouvoir national et le
refus de la supranationalité expliquent en grande partie le fiasco de la Confé-
rence de Copenhague.

72. A. Kiss, « Les traités-cadres : une technique juridique caractéristique du droit international de
l’environnement », préc., p. 796.
73. CCNUCC, article 17-4 et 5.
74. V. M. Wemäere, S. Maljean-Dubois, L’Accord de Copenhague : quelles perspectives pour le régime
international du climat ?, préc., p. 10 et s.
75. A. Kiss, Les traités-cadres : une technique juridique caractéristique du droit international de l’envi-
ronnement, préc., p. 797.
76. S. Doumbé-Billé, Le droit international de l’environnement et l’adaptation aux changements plané-
taires, préc., p. 96-97.
77. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, préc., no 739.
78. A. Panossian et C. Colette, « A propos de la 15e Conférence des Nations Unies sur les changements
climatiques et de l’accord de Copenhague », RGDIP 2010, p. 136.
79. L. Boisson de Chazournes, « Le droit international au chevet de la lutte contre le réchauffement
planétaire, Eléments d’un régime », in Mélanges offerts à Hubert Thierry, L’évolution du droit internatio-
nal, Pedone, 1998, p. 45.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
L’analyse du droit international de l’environnement contemporain permet d’ail-
leurs d’observer la plupart du temps un raffermissement du pouvoir de décision
des Etats lors des grandes négociations onusiennes où s’applique le principe
de l’unanimité, ce qui est spécialement vérifiable dans le domaine du climat. En
déclarant que « Copenhague est à la géopolitique ce que les accords de Munich,
en septembre 1938, ont été à la politique : un compromis lâche et dilatoire »,
M. Serres estime que le problème vient surtout de ce que les 192 personnes qui
négocient durant cette grand-messe « sont des hommes d’Etat, dont la mission
est de défendre les intérêts de leur gouvernement et de leur pays » 80. Dès que
l’on aborde un secteur comme l’environnement où il est question à la fois de
partage et d’exercice en commun de ressources, « on voit bien qu’on est dans
un domaine où il n’y a pas de possibilité de régulation. Les Etats sont souverains,
et le sont de manière forte » 81. Sans exagération, le Sommet de Copenhague
« est demeuré une vaste foire d’empoigne où les intérêts particuliers n’ont jamais
totalement coïncidé avec l’intérêt général » et il « s’est heurté au mur des sou-
verainetés : celle des Etats-Unis, celles de la Chine et, dans une moindre mesure,
de l’Inde, autant de blocs devenus incontournables » 82. Il est de notoriété publi-
que que la Chine et l’Inde refusent de se voir imposer de l’extérieur une politique
dans un secteur qu’elles estiment relever de leur souveraineté, et qui pourrait
être susceptible de ralentir leur développement économique. Le négociateur de
l’Union européenne a d’ailleurs noté que les grands pays en développement,
comme le Brésil et la Chine, « craignent que les discussions sur le climat soient
un moyen pour les pays riches d’asseoir leur souveraineté nationale » 83. Du fait
que le changement climatique implique une transformation des politiques éco-
nomiques des Etats, pouvant se traduire par des transferts et des redistributions
de technologies, il soulève effectivement « la nécessité de l’équité entre le Nord
et le Sud » et « conduit à un rééquilibrage géopolitique qui engage les intérêts
les plus profonds des Etats » 84.
A l’analyse, les Etats-Unis apparaissent sans conteste comme l’Etat le plus enclin
à mettre en avant sa souveraineté, le président Bedjaoui n’hésitant d’ailleurs pas
à les qualifier d’Etat « souverainiste » 85, qui n’entend à aucun prix aliéner son
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droit de se développer sans contrainte d’aucune sorte. Si les Etats-Unis ont
refusé de devenir partie au Protocole de Kyoto en 2001, c’est justement au motif
qu’il portait atteinte à leur souveraineté. La négociation de Copenhague a montré
que les Etats-Unis rejetaient l’approche top down du Protocle de Kyoto suivie
depuis par l’Union européenne, qui vise à assigner aux pays fortement émetteurs
des objectifs de réduction concertés, et s’appuie sur un marché du carbone
permettant de facturer les émissions de gaz à effet de serre aux sites les plus
polluants. Ils préfèrent accumuler les politiques et mesures d’atténuation et en
apprécier ex post la teneur et les effets. La manière dont l’Accord de Copenha-
gue a été rédigé « scelle la prééminence de l’approche préconisée par l’admi-
nistration américaine depuis les présidences Bush, le pledge and review, pro-
messes et vérifications : la souveraineté des Etats est préservée par le fait que
les promesses sont révisables et relèvent de l’autorité du pays (...) » 86.

80. Entretien avec Michel Serres : « On a oublié d’inviter la Terre à la conférence sur le climat » (propos
recueillis par C. Vincent), Le Monde, 22 décembre 2009.
81. Entretien avec Hervé Le Treut, « Il ne faut pas perdre dix ans de plus », préc.
82. S. Madaule, « Le sommet de Copenhague sur le climat : vertu de l’exemple contre spirale de
l’échec », Le Monde, 29 décembre 2009.
83. Europolitique, no 3857, 10 novembre 2009, p. 7.
84. H. Kempf, « Copenhague, un défi planétaire », Le Monde, 6-7 décembre 2009.
85. M. Bedjaoui, L’humanité en quête de paix et de développement (II), préc., p. 352.
86. T. Voituriez, « L’économie verte bouleversera-t-elle la géographie de la production et du com-
merce ? », Cahiers français, no 355, mars-avril 2010, L’économie verte, p. 28.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS

Sans le dire ouvertement, il semble bien que les Etats-Unis n’acceptent pas la
technique des traités-cadres, qui permet d’impliquer dès le début d’une négo-
ciation environnementale le plus grand nombre d’Etats, voire l’ensemble des
Etats de la planète, le droit élaboré se « durcissant » progressivement au fil des
Conférences des parties, avec pour conséquence « que les traités-cadres de
la gouvernance mondiale ressemblent de plus en plus à des organisations inter-
nationales qui inscrivent leur action dans une dynamique collective où aucun
acteur pris individuellement n’est maître du jeu ». Les Etats-Unis redoutent donc
« la perte de la maîtrise des Etats souverains face à l’émergence d’un corpus
juridique global où les engagements contractés par les Etats seraient adminis-
trés, interprétés et mis en œuvre par des institutions multilatérales, transformant
ainsi la coopération internationale en droit international. De ce point de vue, le
refus américain de ratifier le Protocole de Kyoto ou le statut de la CPI (Cour
pénale internationale) exprime très exactement ces craintes » 87. L’action inter-
nationale dans le domaine de l’environnement se trouve ainsi face au dilemme
suivant : être unilatérale et respecter la souveraineté des Etats, au risque d’être
inefficace ; être globale et coordonnée, en reléguant au second plan les choix
et intérêts nationaux 88. Elle devrait faire évoluer le rôle de l’Etat dans un contexte
de règles prenant en compte des préoccupations communes : « de souverain
aux privilèges patrimoniaux, il doit devenir le gardien de ressources au bénéfice
de l’humanité en son entier. Il doit de ce fait rendre des comptes dans des
domaines d’activités qui traditionnellement relevaient de sa compétence
"interne". Ainsi en est-il dans les domaines de la gestion et de l’exploitation des
forêts, du gaz ou du pétrole 89 ».

II. – LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT


FACE A LA RÉSISTANCE DE LA COMMUNAUTÉ DES ÉTATS
L’observation de la négociation climatique permet de constater l’évidence : les
positions de certains « ténors » (qui se reconnaîtront) de la négociation condam-
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nent la coopération internationale à faire du surplace ou, au mieux, de timides
progrès. Les avancées obtenues sont fréquemment le fruit d’une négociation
très dure. Ainsi, le plan d’action de Bali 90 « représente un compromis très délicat.
Chaque mot a été âprement négocié, s’agissant d’un mandat de négociation
que chacun voulait pouvoir interpréter selon ses intérêts par la suite » 91. Sans
faire de mauvais jeu de mot, le climat diplomatique peut parfois être qualifié
d’exécrable. Ainsi, lors des négociations de Bonn dans le cadre de la CCNUCC
qui se sont achevées le 14 août 2009, « l’atmosphère (était) à l’acrimonie, voire
à la méfiance, les pays du Sud reprochant aux pays développés de ne pas faire
suffisamment d’efforts » 92. Il est vrai qu’un clivage Nord-Sud, pour être plus
précis des différends entre les pays industrialisés (riches), les grands pays émer-
gents et les pays en développement (PED), entrave fréquemment les négo-

87. Z. Laïdi, La norme sans la force. L’énigme de la puissance européenne, Les Presses, Sciences
Po, 2008, p. 234.
88. F. Lerin, L. Tubiana, « La coopération internationale en matière environnementale », Cahiers fran-
çais, no 337, mars-avril 2007, Environnement et développement, p. 102.
89. L. Boisson de Chazournes, « La protection de l’environnement global et les visages de l’action
normative internationale », in Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, préc., p. 47.
90. Décision 1/CP.13.
91. M. Wemäere, S. Maljean-Dubois, « L’Accord de Copenhague : quelles perspectives pour le régime
international du climat ? », préc., p. 10 (L’Accord de Copenhague a également été âprement négocié
pendant plusieurs mois).
92. H. Kempf, « La négociation sur le climat s’est embourbée à Bonn », Le Monde, 16-17 août 2009.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
ciations qui ont besoin d’équité et de solidarité pour pouvoir progresser et débou-
cher sur une solution globale et partagée (A). Les accords a minima fréquem-
ment obtenus – l’Accord de Copenhague 93 de la fin de l’année 2009 en étant
l’archétype – masquent mal des divisions profondes entre les Etats, et illustrent
les insuffisances et les lacunes du droit international de l’environnement (B).

A) GLOBALISATION, ÉQUITÉ ET SOLIDARITÉ ENTRE ÉTATS


La totalité des conventions environnementales de portée universelle, adoptées
depuis la fin des années 1980 renferment un principe du droit international de
l’environnement, le principe de responsabilités communes mais différenciées
car, dès la Conférence de Stockholm de 1972, les PED ont manifesté des réti-
cences à l’égard des préoccupations écologiques des pays industrialisés, en
raison des coûts supplémentaires en résultant pour leurs politiques de dévelop-
pement 94. Ainsi, la négociation climatique est marquée par le fait que les pays
émergents et les PED ont souvent le sentiment que le niveau d’effort des pays
industrialisés est insuffisant et, qu’inversement, les pays industrialisés tentent de
faire porter une charge trop lourde sur leurs partenaires de négociations, sachant
que les pays les plus pauvres souffriront davantage qu’eux des effets du réchauf-
fement climatique. En matière climatique principalement, mais pas seulement,
cet état de fait appelle une répartition équitable des efforts permettant d’assurer
la préservation de l’environnement (1), le recours à l’outil économique 95 s’avérant
cependant indispensable pour étayer les fondements des politiques environne-
mentales menées (2).

1. La recherche d’une répartition équitable des efforts


Plusieurs principes de la Déclaration de Rio de 1992 concernent le principe
essentiel de responsabilités communes mais différenciées : les principes 6, 7,
8 et 11. Sans entrer dans le détail de ces principes, il est tout de même indis-
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pensable d’apporter certaines précisions. Le principe 6 reconnaît la situation et
les besoins particuliers des pays en développement, spécialement ceux des
pays les moins avancés (PMA), en matière d’environnement, en raison de leur
vulnérabilité sur ce plan. Au contraire, le principe 7, qui consacre expressément
le principe de responsabilités communes mais différenciées, met l’accent sur la
responsabilité particulière des pays développés afin de parvenir à un dévelop-
pement durable, « eu égard aux pressions que leurs sociétés exercent sur l’envi-
ronnement mondial et aux technologies et ressources financières dont ils dispo-
sent ». Le principe 11 reconnaît notamment que les normes écologiques
appliquées dans certains pays industrialisés peuvent imposer un coût économi-
que et social injustifié aux pays en développement.
La CCNUCC consacre ce principe de responsabilités communes mais différen-
ciées, en affirmant qu’« il incombe aux parties de préserver le système climatique

93. La Conférence des parties a simplement pris note de l’accord, faute de consensus pour l’adopter,
notamment car il avait été négocié et adopté en dehors du cadre conventionnel. L’Accord de Copen-
hague a en réalité été négocié en off par les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil, et l’Afrique du Sud,
accepté par une trentaine d’Etats, puis enfin soumis à la COP-MOP (Conférence des parties à la
CCNUCC/Réunion des parties au Protocole de Kyoto) pour adoption.
94. V. P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, préc., no 741.
95. Sur cette question, v. not. S. Maljean-Dubois (Dir.), L’outil économique en droit international et
européen de l’environnement, préc., 513 pages.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS

dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en


fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capa-
cités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés parties
d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs
effets néfastes » 96.
Comme le font ressortir les différentes formules qui le consacrent, ce principe
« est inspiré d’une réalité élémentaire » et est le reflet d’une « vision réaliste et
véridique de la situation » 97. Il s’agit d’un principe qui « appelle à une action
universelle puisque chaque pays engagé par la Convention reconnaît explicite-
ment porter une part de responsabilité, mais dans le respect des règles d’équité
du fait de l’inégale distribution des responsabilités et des vulnérabilités face aux
changements du climat ». Il se traduit par une double exigence pour les éco-
nomistes : « les instruments économiques à mettre en œuvre pour stabiliser la
concentration atmosphérique des gaz à effet de serre doivent être déployés au
plan global. Mais leur déploiement à grande échelle implique que les accords
sur le climat répondent aux principes d’équité en respectant notamment le droit
au développement des économies les moins avancées » 98.
Le sentiment général à propos du principe de responsabilités communes mais
différenciées est qu’il est « théoriquement juste », mais « pratiquement d’une
utilisation délicate et (il) constitue la source d’impasses observées dans les négo-
ciations internationales pour l’application de la Convention-cadre sur les chan-
gements climatiques » 99. A travers ce principe, le droit international de l’envi-
ronnement fait naître le soupçon que les pays les plus développés pourraient
ralentir le développement de ceux qui le sont moins, et devenir potentiellement
« une manière pour les pays "riches" de continuer à imposer, pour des motifs
environnementaux en apparence incontestables, des règles, des formes de ges-
tion des ressources, une vision du monde, des valeurs, un modèle du bien-être
qui serait le leur à leur stade de développement et en fonction des crises qu’ils
traversent » 100. Cette manière de voir n’est pas partagée par les Etats-Unis, car
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le rejet du Protocole de Kyoto par le Sénat « s’explique en grande partie par
son refus d’admettre une situation "privilégiée" au profit des pays en développe-
ment. L’argument du gouvernement américain est qu’il serait irresponsable de
placer les industries américaines dans une situation non compétitive face à leurs
concurrentes chinoises, indiennes ou brésiliennes... » 101.
Le succès de la négociation climatique passe certainement par une solidarité
du Nord envers le Sud portant sur les moyens financiers et techniques, car une
des « missions des institutions de coopération internationale est d’organiser les

96. CCNUCC, article 3-1 ; v. égal. CCNUCC, préambule et article 4 ; Protocole de Kyoto, article 10 ;
Plan d’action de Bali, Décision 1/CP.13, 1. a) ; Accord de Copenhague, paragraphe 1.
97. M. Bedjaoui, L’humanité en quête de paix et de développement (II), préc., p. 360.
98. C. de Perthuis, A. Delbosc et B. Leguet, « La place des instruments économiques dans les négo-
ciations internationales sur le climat », Conseil d’analyse économique no 87, Politique climatique : une
nouvelle architecture internationale, La Documentation française, 2009, p. 115.
99. M. Bedjaoui, L’humanité en quête de paix et de développement (II), préc., p. 361.
100. F. Ewald, « Le droit de l’environnement : un droit de riches ? », revue Pouvoirs no 127-2008, préc.,
p. 14 (l’auteur estime même que le principe de précaution est utilisé comme une sorte de clause de
sauvegarde permettant à chaque pays de lutter contre ce qu’il estime être une menace grave pour son
environnement, le droit de l’environnement apparaissant alors comme « un droit protecteur qui, dans
un monde globalisé, fournit des instruments de restauration des souverainetés nationales au nom de la
protection des populations », p. 16).
101. J.-M. Arbour, S. Lavallée, Droit international de l’environnement, éd. Yvon Blais - Bruylant, 2006,
p. 86.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
flux financiers et la répartition de l’effort de solidarité qui est nécessaire » 102. En
dépit des critiques dont il a fait l’objet, l’Accord de Copenhague s’y attelle, grâce
à plusieurs avancées. Il préserve le traitement différencié des parties, car les
pays industrialisés ont transmis des objectifs de réduction d’émissions à l’horizon
2020, alors que les pays émergents et en développement ont transmis des mesu-
res d’atténuation qu’ils s’engagent à mettre en œuvre. Il accroît les soutiens
financiers aux pays en développement, afin de les aider à lutter contre le chan-
gement climatique et à s’y adapter, en prévoyant 30 milliards de dollars pour la
période 2010-2012 et un objectif de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020.
Ces fonds devraient transiter par un nouveau « Fonds vert » de Copenhague.
Une autre avancée significative est à mentionner avec la création d’un méca-
nisme REDD « plus » (réduction des émissions issues de la déforestation et de
la dégradation des forêts », ce qui équivaut à reconnaître l’importance des forêts
dans la lutte contre le réchauffement climatique 103.
L’équité et la solidarité financière seront-elles suffisantes pour limiter la hausse
de la température mondiale en dessous de 2 oC, comme le reconnaît l’Accord
de Copenhague ? La traduction (transformation ?) de cet accord de nature poli-
tique en un document juridique « durci » ne pourra s’opérer « sans une forte
différenciation des objectifs, permettant un certain degré de "contraction et
convergence" dans les trajectoires de réduction des pays industrialisés, émer-
gents et en développement » 104, ce concept de contraction et convergence
supposant vraisemblablement de fixer un objectif égalitaire d’émission par habi-
tant 105 à un horizon plus ou moins lointain, 2050 par exemple, afin de pouvoir
conjuguer justice historique et efficacité dans la lutte contre le réchauffement
planétaire 106. La volonté d’équité et de solidarité fait ressortir que le droit de
l’environnement n’est pas uniquement un droit protecteur, mais également un
droit organisateur : « il met en œuvre des politiques globales. Il exprime et met
en œuvre un principe de solidarité planétaire, un principe de gestion globale et
régulatrice des problèmes de la terre » 107. Cet aspect organisateur est à relier
avec son horizon, qui est davantage le long terme, celui des générations futures,
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que le court terme, celui des intérêts immédiats. La recherche d’un droit commun
de l’environnement sera ainsi forcément le résultat d’une conciliation entre un
droit des « riches », soucieux de leur avenir, et un droit des « pauvres », désireux
que le rattrapage de leur retard économique ne soit pas entravé.

2. D’une régulation par les normes


à une régulation par les instruments économiques
Le droit de l’environnement a d’abord reposé essentiellement sur une approche
classique d’ordre juridique et réglementaire, connue sous l’appellation anglo-
saxonne command and control (injonction et contrôle), qui a été complétée pro-

102. P. Criqui, B. Faraco, A. Grandjean, Les Etats et le carbone, PUF, 2009, p. 100.
103. Sur ces questions, v. not. Centre d’analyse stratégique : D. Auverlot, B. Barreau, J. Buba, « Copen-
hague ou la nouvelle donne climatique internationale », Note de veille no 162, janvier 2010 ; M. Wemäere,
S. Maljean-Dubois, L’Accord de Copenhague : quelles perspectives pour le régime international du
climat ?, préc., p. 10 ; Dossier Sentinelle-SFDI, Sommet de Copenhague, 7-18 décembre 2009, Défi
climatique, défi diplomatique : http://www.sfdi.org/actualites/a2010/Copenhague.html
104. P. Criqui, B. Faraco, A. Grandjean, Les Etats et le carbone, préc., p. 93.
105. A l’heure actuelle, en Amérique du Nord, la moyenne est de plus de 20 tonnes de CO2 par habitant,
alors qu’elle est de 12 en Europe, de 4 en Chine et de 1,5 en Inde et en Afrique.
106. V. Regards croisés sur l’économie, « Les économistes peuvent-ils sauver la planète ? », no 6,
novembre 2009, p. 180 et s.
107. F. Ewald, Le droit de l’environnement : un droit de riches ?, préc., p. 20.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS

gressivement par une approche davantage économique axée sur une palette
d’instruments incitatifs, notamment des mécanismes de type cap-and-trade 108
(marchés de permis d’émission ou marchés carbone), qui « ont pour objectif de
réguler les émissions de gaz à effet de serre par les quantités et non par les
prix comme dans le cas de taxes assises sur les émissions » 109.

Sans refaire l’historique de l’utilisation des instruments économiques dans le


domaine environnemental 110, il convient tout de même de rappeler que le prin-
cipe 16 de la Déclaration de Rio de 1992 y fait référence en déclarant que « les
autorités nationales devraient s’efforcer de promouvoir l’internalisation des coûts
de protection de l’environnement et l’utilisation d’instruments économiques,
(...) ». Sur le plan conventionnel, le traité décisif a été le Protocole de Kyoto,
avec lequel on est passé « d’une régulation de l’environnement par les normes
à une régulation par les instruments économiques (taxes et marchés des
droits) » 111. Le Protocole « correspond à la conception anglo-saxonne individua-
liste et jurisprudentielle, confiante dans les instruments économiques, pour gérer
avec la souplesse nécessaire les rapports entre les êtres humains » 112. Les trois
mécanismes de flexibilité introduits par le Protocole de Kyoto, et désormais célè-
bres, l’échange de droits d’émission, l’application conjointe et le mécanisme
pour un développement propre 113, ont pour but de permettre aux parties de
remplir leurs obligations d’une manière qui assure le meilleur rapport coût-
efficacité, efficacité environnementale et efficacité économique allant de pair.

A y regarder de plus près toutefois, la CCNUCC avait déjà posé comme exi-
gence que « les politiques et mesures qu’appellent les changements climatiques
requièrent un bon rapport coût-efficacité, de manière à garantir des avantages
globaux au coût le plus bas possible ». En liaison avec ce principe, elle avait
également énoncé un principe d’« économie ouverte », mentionnant « qu’il
appartient aux parties de travailler de concert à un système économique inter-
national qui soit porteur et ouvert et qui mène à une croissance économique et
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à un développement durable de toutes les parties (...) » 114. La Commission euro-
péenne a fait sienne ces principes, car elle admet que l’Union européenne « a
de plus en plus privilégié le recours aux instruments économiques ou fondés sur
le marché – tels que la fiscalité indirecte, les aides ciblées ou les droits d’émis-
sion négociables – parce que ces instruments constituent un moyen flexible et
avec un rapport coût-efficacité positif (...) » 115. L’action européenne dans le
domaine du changement climatique est devenue pionnière et le système

108. Le « cap » est le plafond global d’émissions fixé par l’autorité régulatrice ; trade signifie que les
entités participantes peuvent échanger des quotas sur un marché.
109. C. de Perthuis, A. Delbosc et B. Leguet, La place des instruments économiques dans les négo-
ciations internationales sur le climat, préc., p. 116.
110. V. not. S. Maljean-Dubois, L’outil économique en droit international et européen de l’environne-
ment, préc.
111. M. Bacache-Beauvallet, « Marché et droit : la logique économique du droit de l’environnement »,
revue Pouvoirs no 127-2008, préc., p. 35.
112. S. Maljean-Dubois, « La mise en œuvre du droit international de l’environnement », Publications
de l’IDDRI, Analyses, no 3-2003, p. 15.
113. Protocole de Kyoto, articles 6, 12 et 17 ; v. S. Maljean-Dubois, La mise en route du Protocole de
Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, préc., p. 436 et s.
114. CCNUCC, articles 3-3 et 3-5 ; v. OMC et PNUE, Rapport « Commerce et changement climatique »,
2009, p. 74, disponible sur : http://www.wto.org/french/res_f/booksp_f/trade_climate_change_f.pdf
115. Commission, « Livre vert sur les instruments fondés sur le marché en faveur de l’environnement
et des objectifs politiques connexes », COM (2007) 140 final, 28 mars 2007, p. 2.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS
a
européen d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre « s’est éga-
lement imposé comme le marché de référence sur lequel s’établit le prix du
carbone dans le monde » 116.
Cette pénétration des instruments économiques dans le domaine de l’environne-
ment pose la question des rapports entre droit et économie. Ils portent la marque
de la globalisation. En effet, « la globalisation, qui renvoie au modèle du marché,
favorise "l’outil économique" que nous avons rencontré en tout domaine, y compris
en matière de biodiversité ou de changement climatique (accords contractuels,
propriété intellectuelle 117, permis d’émission négociables pour les gaz à effet de
serre) » 118. Les instruments économiques de marché présentent plusieurs avan-
tages. Le principal est sans doute qu’ils permettent des formes de coordination
très décentralisées, qui « ne mettent pas en jeu la souveraineté nationale » et
« n’impliquent pas de modifications harmonisées des politiques nationales » 119.
Du fait qu’ils mettent en œuvre la logique de l’économie de marché, ils possèdent
un caractère incitatif important, à la fois pour les Etats et le secteur privé. De plus,
conformément à leur raison d’être, qui est la promotion d’un développement dura-
ble pour tous les pays, les revenus qu’ils procurent « peuvent être réinvestis dans
la recherche de technologies propres ou utilisés pour parer aux effets des chan-
gements climatiques qui menacent les plus démunis » 120.
L’adaptation du droit international de l’environnement au nouveau contexte
découlant de la globalisation lui permet de progresser vers davantage d’effi-
cience, et de devenir sans doute plus mâture. On ne peut que partager l’opinion
de S. Doumbé-Billé, selon laquelle, « les nouvelles logiques du marché mondial
imposent aux normes environnementales un saut qualitatif qui doit leur permettre
de ne plus être seulement des normes de stricte protection mais de se transfor-
mer en d’authentiques normes de gestion » 121. Il est vrai que la protection de
l’environnement global implique une gestion de l’incertitude scientifique, mais
avec le recours aux instruments de marché, l’articulation entre développement
et environnement doit pouvoir être améliorée, et l’action commune en faveur de
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la protection de l’environnement approfondie. La recherche d’un nouveau
modèle de développement est à ce prix.

B) GLOBALISATION, INSUFFISANCES ET LACUNES


DU DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT
En dépit de son développement remarquable, le droit international de l’environ-
nement reste un droit jeune confronté à des problèmes récurrents d’ineffecti-
vité (1). Sans forcer le trait, « depuis les années 1990, après deux décennies de

116. B. Leguet, C. de Perthuis, « De la prise de conscience scientifique à l’action politique internatio-


nale », Questions internationales no 38, juillet-août 2009, préc., p. 47 ; sur l’action européenne, v. not.
D. Bureau, « Changement climatique : la politique européenne », Conseil d’analyse économique no 87,
préc., p. 187 ; J. Le Cacheux et E. Laurent, « L’Union européenne dans la lutte contre le changement
climatique », Regards croisés sur l’économie no 6, novembre 2009, préc., p. 192 ; Cahiers droit, sciences
et technologies, Dossier thématique « Droit et climat », no 2-2009, éd. du CNRS.
117. Sur la question « biodiversité et propriété intellectuelle », v. N. de Sadeleer, C.-H. Born, Droit
international et communautaire de la biodiversité, préc., nos 437 et s.
118. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, préc., p. 401.
119. L. Tubiana, « La négociation internationale sur le changement climatique », in Y. Petit (dir.), Le
Protocole de Kyoto. Mise en œuvre et implications, Presses universitaires de Strasbourg, 2002, p. 37.
120. L. Boisson de Chazournes, La naissance d’un régime juridique international de protection du
climat. Le droit et le doute, préc., p. 59.
121. S. Doumbé-Billé, Le droit international de l’environnement et l’adaptation aux changements
planétaires, préc., p. 100.

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Y. PETIT - LE DROIT INTERNATIONAL DE L’ENVIRONNEMENT A LA CROISÉE DES CHEMINS

frénésie normative, doctrine et praticiens recherchent les voies et les moyens


d’un renforcement de l’effectivité du droit international de l’environnement,
particulièrement sur le plan conventionnel » 122. Le principal remède proposé,
possédant ses propres limites, a consisté à instaurer des procédures de non-
respect (non compliance procedure) des conventions environnementales (2).

1. Un mal chronique : l’ineffectivité du droit international de l’environnement


D’après le PNUE, on dénombrait en 2001 plus de 500 traités multilatéraux en
matière d’environnement, dont 60 % ont été négociés après 1972. Il est cepen-
dant impossible de mesurer le succès du droit international de l’environnement
par rapport à ce nombre d’instruments conventionnels, car il ne se passe pas
un jour sans que la dégradation continue de l’environnement soit dénoncée. A
l’évidence, le droit international de l’environnement « souffre indiscutablement
d’une insuffisante d’effectivité » 123, et « l’effectiveness du droit international de
l’environnement rencontre des difficultés » 124, qui sont d’ordre général, propres
à l’ordre juridique international et spécifiques au droit international de l’environ-
nement, notamment la mollesse des normes et le caractère non auto-exécutoire
de la plupart des obligations.
L’intensification des règles juridiques internationales, destinée à lutter contre les
maux globaux et à poursuivre un bien commun, requiert des Etats bien disposés,
si l’on peut dire. Il n’est pas inutile de rappeler ici que « le droit international suppose
des Etats "de bonne volonté", c’est-à-dire désireux d’user de leurs pouvoirs sou-
verains au départ, mais encore tout au long de l’application des traités pour assurer
l’effectivité de ceux-ci, même si cela n’est plus ou pas toujours de leur intérêt » 125.
En recensant les qualités qui ont fait cruellement défaut lors de la « farce » de
Copenhague, Jeffrey D. Sachs écrit : « (...) nous venons d’être les témoins d’un
grand pas en avant vers la ruine de notre planète, à cause de notre incapacité à
coopérer sur une question complexe et difficile qui nécessite de la patience, de
l’expertise, de la bonne volonté » 126. Sur un plan plus général, il en va de même
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pour C. Lepage qui n’hésite pas à clamer haut et fort que « le droit de l’environ-
nement reste un droit largement inefficient, non par défaut de règles, mais plutôt
par mauvais vouloir systématique de les appliquer et par une forme d’organisation
plus ou moins volontaire de leur inefficience (...). Ce constat peut être observé tant
au niveau national, que plus sévèrement encore, au niveau international » 127.
La coopération internationale est souvent victime de l’inertie des Etats, comme le
montre le comportement de « passager clandestin » des Etats-Unis et de la Chine
lors de la première période de mise en œuvre du Protocole de Kyoto, ce qui permet
d’illustrer « la difficulté d’orchestrer la préservation d’un bien public mondial » 128.

122. S. Maljean-Dubois, « Procédures de non-respect des conventions internationales de protection


de l’environnement », Jurisclasseur international, fasc. 146-35, 2007, no 2.
123. S. Maljean-Dubois, « L’enjeu du contrôle dans le droit international de l’environnement et le Pro-
tocole de Kyoto en particulier », in S. Maljean-Dubois (dir.), Changements climatiques. Les enjeux du
contrôle international, CERIC - La Documentation française, coll. Monde international et européen, 2007,
p. 17.
124. S. Maljean-Dubois, La mise en œuvre du droit international de l’environnement, préc., p. 22 et s.
125. M.-A. Frison-Roche, « Le droit, source et forme de régulation mondiale », Conseil d’analyse éco-
nomique no 37, préc., p. 320.
126. J. D. Sachs, « Obama et la farce de Copenhague », Les Echos, 4 janvier 2010.
127. C. Lepage, « Les véritables lacunes du droit de l’environnement », revue Pouvoirs no 127-2008,
préc., p. 123.
128. B. Barreau, « Horizons du post-2012 et mécanismes de la concertation internationale », Conseil
d’analyse économique no 87, préc., p. 161.

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a
Il n’est pas inexact de déclarer que le fait que le changement climatique soit
l’archétype du bien public global « constitue à la fois un blocage à l’action spon-
tanée des acteurs et un encouragement à des comportements dits de "passager
clandestin" » 129. L’attitude des Etats n’est donc pas étrangère à l’ineffectivité du
droit international de l’environnement, car les accords conclus dépassent rare-
ment la déclaration d’intention, ce qui signifie qu’« ils fixent un cap, un objectif
à atteindre, mais laissent l’entière responsabilité de la mise en œuvre aux Etats
ayant ratifié ces accords. C’est là le principe même du droit international, qui
cherche avant tout à protéger la souveraineté des Etats, en limitant au maximum,
d’une part, les mécanismes de sanctions, d’autre part, les institutions qui pour-
raient mettre en place des politiques publiques internationales » 130. Le dévelop-
pement désordonné des Accords multilatéraux environnementaux, sans hiérar-
chisation entre eux et sur des territoires et des espaces différents explique
grandement « cette faiblesse intrinsèque des engagements souscrits (qui) est
en lien direct avec les ambitions qui sont les leurs : s’ils étaient contraignants et
donc leurs engagements plus crédibles, leurs objectifs seraient moindres, ou ils
ne seraient reconnus que par un nombre plus restreint de parties » 131.
Le volume de la production juridique internationale en matière d’environnement
ne peut donc absolument pas être corrélé avec la mesure de son effectivité.
Comme l’explique M. Pallemaerts 132, à partir d’une étude de M. Koskenniemi 133,
« le droit international est condamné à louvoyer continuellement entre apologie
et utopie, en s’efforçant de respecter la souveraineté des Etats et d’affirmer sa
propre normativité », l’Etat souverain se trouvant confirmé dans sa position de
décideur ultime. On est donc conduit à se poser la question suivante : « Pourquoi
le droit international de l’environnement est-il sujet d’un tel engouement, malgré
l’inefficacité manifeste de nombreuses normes internationales ? » 134. Il est pos-
sible de répondre en mettant en avant non pas la fonction sociale du droit, mais
sa fonction symbolique, qui « peut produire des effets sociaux indépendants de
toute effectivité instrumentale ». Par conséquent, « la prolifération de normes
dépourvues d’effectivité permet aux gouvernements et organisations intergou-
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vernementales et supranationales d’affirmer la réalité de la politique internatio-
nale de l’environnement sans porter fondamentalement atteinte à la souveraineté
des Etats ». En poussant plus loin le raisonnement, on peut s’apercevoir que le
droit international « sert à la création d’un cadre discursif et à l’affirmation de
principes et de valeurs communes qui contribuent à orienter l’action des Etats
et des acteurs non étatiques sans contrainte réelle, tout en apaisant l’opinion
publique » 135. Est-ce un dévoiement de la définition du droit international qui, en
principe, « est constitué par l’ensemble des normes et des institutions destinés
à régir la société internationale » 136 ?

129. P. Criqui, B. Faraco, A. Grandjean, Les Etats et le carbone, préc., p. 87.


130. P. Criqui, B. Faraco, A. Grandjean, Les Etats et le carbone, préc., p. 85-86.
131. D. Bureau, M.-C. Daveu et S. Gastaldo, « Gouvernance mondiale et environnement », Conseil
d’analyse économique no 37, préc., p. 453.
132. M. Pallemaerts, « Le droit comme instrument des politiques internationales de l’environnement :
effectivité et symbolisme des normes », in M. Pâques, M. Faure, La protection de l’environnement au
cœur du système juridique international et du droit interne. Acteurs, valeurs et efficacité, Bruylant, 2003,
p. 66.
133. M. Koskenniemi, From Apology to Utopia : The structure of International Legal Argument, Helsinki,
1989, Lakimiesliiton Kustannus.
134. M. Pallemaerts, Le droit comme instrument des politiques internationales de l’environnement :
effectivité et symbolisme des normes, préc., p. 66.
135. M. Pallemaerts, Le droit comme instrument des politiques internationales de l’environnement :
effectivité et symbolisme des normes, préc., p. 67.
136. P.-M. Dupuy, Droit international public, préc., no 1.

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L’absence d’effectivité d’une telle myriade d’accords environnementaux multila-


téraux pose également la question de la faiblesse structurelle de la gouvernance
environnementale mondiale. Un remède fréquemment évoqué pour sortir de
cette fragmentation est la création d’une Organisation mondiale de l’environne-
ment, qui « pourrait être l’occasion de donner un nouveau souffle à une coopé-
ration internationale qui n’a jamais été aussi nécessaire » 137. Si elle devait voir
le jour, il serait indispensable de concevoir « dans le domaine de l’environnement
une dynamique internationale proche de celle créée par l’Organisation mondiale
du commerce (OMC) dans le développement du commerce international » 138. Il
s’agit évidemment, en élaborant un système plus contraignant, de mettre fin à
« la dissymétrie entre le puissant droit du commerce international (ordonné
autour de l’OMC et de l’ORD et intégrant les droits de propriété intellectuelle à
travers les ADPIC) et le fragile droit de l’environnement (défini comme un simple
programme, PNUE, sans disposer d’une organisation spécifique ni d’un méca-
nisme de règlement des différends) » 139. Bien que cette différence explique très
certainement la grande fragilité du droit international de l’environnement, il ne
faut pas oublier que le cycle de Doha 140, qui a débuté en 2001, n’est toujours
pas achevé, et que le règlement de certains différends – spécialement ceux
relatifs à la banane et à la viande aux hormones 141 – peut exiger un laps de
temps de plus d’une dizaine d’années.

2. Les limites des procédures de non-respect


Parmi les questions cruciales du droit international, on peut mentionner le suivi et
le contrôle du respect des obligations des Etats et, lorsqu’il s’agit d’assurer l’effec-
tivité d’un accord environnemental ayant pour objectif de protéger l’intérêt général
de l’humanité, c’est-à-dire, un intérêt non subjectif, il est facile d’imaginer la com-
plexité du dispositif à élaborer. Sachant que le ressort du système juridique inter-
national demeure largement le volontarisme, les Etats sont pour le moins réticents
à établir des mécanismes de contrôle et de sanction, afin d’assurer le respect
d’engagements dont ils ne tirent pas d’intérêt direct, car ils sont pris en faveur de
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la communauté internationale et de l’humanité. Logiquement, le droit international
de l’environnement a dû faire preuve d’inventivité, en particulier en raison de l’ina-
daptation des techniques classiques de mise en œuvre du droit international 142.
Il a apporté une réponse à partir des années 1990, avec la généralisation des
procédures qualifiées de « procédures de non-respect », afin d’assurer une mise
en œuvre plus effective du droit international de l’environnement. La première
convention à avoir instauré une telle procédure spéciale en cas de non-respect
est le Protocole de Montréal de 1987 relatif aux substances qui appauvrissent
la couche d’ozone 143. D’emblée, il faut constater que l’on assiste à un « glissement

137. E. Laurent, « De Stockholm à Copenhague : les engagements internationaux et leur application »,


Cahiers français no 355, mars-avril 2010, préc., p. 42.
138. J.-M. Châtaignier, « Réformer l’ONU : mission impossible », RFAP no 126-2008, p. 368 ; v. égal.
C. Lepage, Les véritables lacunes du droit de l’environnement », préc., p. 130.
139. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit. Le relatif et l’universel, préc., p. 391.
140. V. WT/MIN(01)/DEC/1.
141. V. Y. Petit, Rubrique « Agriculture », Répertoire Dalloz de droit international, nos 138 et s.
142. Sur ces questions, v. not. S. Maljean-Dubois, Procédures de non-respect des conventions inter-
nationales de protection de l’environnement, préc., nos 1 et s.
143. V. Protocole de Montréal, article 8 ; texte de la Décision X/10 relative à la révision de la procédure
applicable en cas de non-respect, in L. Boisson de Chazournes et alii, Protection internationale de
l’environnement, préc., p. 730 ; pour une liste des traités appliquant une procédure de non-respect,
v. S. Maljean-Dubois, Procédures de non-respect des conventions internationales de protection de
l’environnement, préc., nos 12 et s.

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a
terminologique » 144, et que la violation des obligations conventionnelles est « plus
diplomatiquement désignée » 145 comme le non-respect des dispositions d’une
convention environnementale. Tout comme l’on évoque le « droit mou », il s’agit
d’une « responsabilité molle » et, il est utile de « faire usage de la notion de soft
legal interest pour qualifier la qualité donnant droit d’entamer une procédure de
non-respect comme cela est prévu dans le cadre du Protocole de Montréal. Il
n’est pas question d’un intérêt juridique pour agir défini selon les termes du droit
du contentieux international (...) » 146.
Cette évolution de la responsabilité internationale se traduit par une « multilaté-
ralisation » du contrôle qui permet une meilleure acceptation par les Etats 147,
certains d’entre eux étant réticents (et le sont toujours) à accepter l’instauration
de sanctions, qui impliquent, comme en matière de désarmement, une certaine
intrusion dans les actions publiques et privées nationales. Les procédures de
non-respect sont devenues nécessaires, car elles permettent d’assurer le res-
pect de l’intégrité des mécanismes instaurés par les conventions environnemen-
tales, ce qui est particulièrement vrai pour ceux du Protocole de Kyoto, car « l’uti-
lisation des marchés de permis d’émission suppose un jeu de règles pour
l’encadrer et un système de vérification, qui rendent ces marchés efficaces ».
Parce que les mécanismes de flexibilité reposent sur la confiance de chacune
des parties – leur crédibilité en dépend –, « un certain abandon de souveraineté,
passant par le respect des obligations internationales, est nécessaire pour éviter
les comportements de passagers clandestins » 148.
Afin de parvenir à « amadouer » les Etats en quelque sorte, les procédures de
non-respect concilient plusieurs exigences. En premier lieu, elles « restent très
hybrides, et les éléments caractéristiques d’un contrôle juridictionnel paraissent
distillés dans les mécanismes de contrôle où sont privilégiés le consensus et,
plus largement, le non-respect d’un engagement donne lieu à des réponses
graduées cherchant à éviter le recours à la sanction juridique » 149.
En second lieu, l’appellation « juridiquement non signifiante » 150 qu’on a préférée
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aux procédures de non-respect « laisse une marge de manœuvre aux organes
créés et leur permet d’utiliser toute la palette de moyens de réaction qui est à
leur disposition. Ces moyens se répartissent, grossièrement, entre incitations et
sanctions, sans que la frontière entre ces deux catégories soit toujours très
nette ». En troisième lieu, « les sanctions n’interviennent qu’en dernier ressort,
seulement lorsque les recommandations, incitations et mesures d’assistance
internationale demeurent sans effet et que l’Etat collabore insuffisamment ou
même fait preuve de mauvaise volonté » 151. Une approche coopérative est

144. S. Maljean-Dubois, Procédures de non-respect des conventions internationales de protection de


l’environnement, préc., nos 22 et s.
145. P.-M. Dupuy, « Conclusions générales », in S. Maljean-Dubois (dir.), Changements climatiques.
Les enjeux du contrôle international, p. 362.
146. L. Boisson de Chazournes, « La mise en œuvre du droit international dans le domaine de la
protection de l’environnement : enjeux et défis », RGDIP 1995, p. 66.
147. S. Maljean-Dubois, Procédures de non-respect des conventions internationales de protection de
l’environnement, préc., no 25.
148. L. Tubiana, La négociation internationale sur le changement climatique, préc., p. 37-38.
149. S. de La Rosa, « La spécificité du comité de contrôle du respect des dispositions : composition
et compétences », in S. Maljean-Dubois (dir.), Changements climatiques. Les enjeux du contrôle inter-
national, préc., p. 127.
150. P.-M. Dupuy, « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », RGDIP
1997, p. 895.
151. S. Maljean-Dubois et C. Nègre, « La procédure de non-respect du Protocole de Montréal relatif
à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone », in S. Maljean-Dubois (dir.), Changements
climatiques. Les enjeux du contrôle international, préc., p. 348 et 351.

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préférée à une approche coercitive, car il ne faut pas perdre de vue que le
non-respect des obligations est bien souvent davantage le fruit « d’une difficulté,
voire d’une impossibilité de mise en œuvre, pour des raisons techniques ou
financières, que de la mauvaise volonté de l’Etat » 152.
Enfin, en quatrième lieu, et on retrouve la dimension hybride signalée précédem-
ment, même si la dimension juridictionnelle n’est pas absente dans les méca-
nismes institués, la décision finale est de nature politique, la COP/MOP pouvant
par exemple exercer un contrôle politique sur les décisions du groupe de l’exé-
cution dans le cadre du Protocole de Kyoto. L’existence de ce contrôle « traduit
la volonté des Etats de garder une forme de mainmise sur le fonctionnement du
système et révèle ainsi une première incursion de la logique subjectiviste dans
le système » 153. Les parties seront ainsi amenées à évaluer le respect des obli-
gations selon une logique politique et, « du fait que les plus grands émetteurs
mondiaux de gaz à effet de serre (Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil) ne participent
pas à l’effort global de réduction, les pays qui se sont engagés volontairement
à réduire leurs émissions bénéficieront sans doute de la bienveillance de la com-
munauté internationale » 154. Plus grave, deux des mesures prévues en cas de
non-conformité 155 dépendent pour leur effectivité de la reconduction d’un accord
international contraignant après 2012 156 et, après la Conférence de Copenha-
gue, rien n’est moins sûr, car « le risque est celui d’une fragmentation du régime
international du climat, et sans doute d’une marginalisation de la Convention,
voire de sa mort lente, et, à plus court terme, de la mort du Protocole de
Kyoto » 157. Le système de contrôle international du Protocole serait-il mort-né,
avant même d’avoir pu fonctionner ?
Le contrôle du respect des engagements des différents pays a été l’un des
principaux sujets de crispation durant les négociations de Copenhague et les
minces résultats de la Conférence n’augurent rien de bon. Le principe d’une
vérification, souhaité par les Etats-Unis qui exigeaient que l’ensemble des mesu-
res d’atténuation soient soumises à un système de contrôle indépendant, a été
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combattu par la Chine, qui considère qu’il porte atteinte à sa souveraineté natio-
nale, et pour qui « aucun contrôle extérieur ne saurait s’exercer dès lors qu’aucun
financement non national ne permet la mise en œuvre desdites mesures » 158.
La solution trouvée a été de distinguer entre le contrôle des engagements des
pays industrialisés et celui des pays en développement 159.

152. S. Maljean-Dubois et C. Nègre, préc., p. 334.


153. N. Thomé, « Les "mesures consécutives". Le dispositif de réaction au non-respect des obligations
énoncées par le Protocle », in S. Maljean-Dubois (dir.), Changements climatiques. Les enjeux du contrôle
international, préc., p. 211-212.
154. C. Ferrier, « Marchés nationaux et régionaux de permis négociables : leçons pour le régime
international du changement climatique », in S. Maljean-Dubois (dir.), Changements climatiques. Les
enjeux du contrôle international, préc., p. 267 ; il est effectivement permis de douter de l’efficacité du
mécanisme de sanction, qui « n’est pas tout à fait pertinent, dans la mesure où les niveaux de réduction
d’émissions sont soumis à des marchandages politiques qui rendent inefficaces les menaces » (P. Cri-
qui, B. Faraco, A. Grandjean, Les Etats et le carbone, préc., p. 100)
155. En cas de non-respect des objectifs de réduction des émissions prévus par le Protocole, un Etat
se voit contraint de réaliser cet effort sur la période postérieure à 2012, cet effort étant de plus majoré
d’un tiers. Les crédits issus des mécanismes de flexibilité sont incessibles jusqu’à ce que le comité
d’observance en décide autrement.
156. D. Delalande, Notice 14 « La lutte contre le changement climatique », in Y. Petit (sous la dir. de),
Droit et politiques de l’environnement, La Documentation française, Les Notices 2009, p. 158.
157. M. Wemäere, S. Maljean-Dubois, L’Accord de Copenhague : quelles perspectives pour le régime
international du climat ?, préc., p. 39.
158. A. Panossian et C. Colette, A propos de la 15e Conférence des Nations Unies sur les changements
climatiques et de l’Accord de Copenhague, préc., p. 140.
159. V. Accord de Copenhague, paragraphes 4 et 5.

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Les réductions et les financements des pays développés seront mesurés, décla-
rés et vérifiés, conformément aux lignes directrices actuelles et à de nouvelles
lignes directrices, qui devront permettre de comptabiliser leurs objectifs et finan-
cements de manière rigoureuse, solide et transparente. Les actions et les inven-
taires nationaux des pays en développement devront être vérifiés, par l’intermé-
diaire de communications nationales soumises tous les deux ans. La vérification
des actions sera exercée par des consultations et des analyses au niveau inter-
national, « sur la base de lignes directrices clairement définies qui garantiront
le respect de la souveraineté nationale ». Les actions d’atténuation, soutenues
au plan international et adaptées au contexte national, « seront soumises à un
contrôle international, la déclaration et la vérification conformément aux orienta-
tions adoptées par la Conférence des parties ». Que penser de la complexité
de ce dispositif de contrôle ? L’indication du « respect de la souveraineté natio-
nale » est une demande chinoise. La référence à des « lignes directrices inter-
nationales » est-elle verrouillée par la mention de la souveraineté nationale ? Une
chose est sûre, les termes choisis sont « intéressants : "consultations" et "ana-
lyses" n’équivalent pas à contrôle, inspection, monitoring, vérification, etc. Cou-
plés à la référence à la souveraineté nationale, ces termes n’impliquent pas de
réelles contraintes même s’ils ouvrent une (toute) petite brèche » 160. Cette
réflexion n’incite guère à l’optimisme et, en désespoir de cause, il faut se résigner
à conclure que les deux plus grands pollueurs de la planète ont imposé leur
vision du régime international du climat et du contrôle de sa mise en œuvre,
sans doute au détriment de sa dimension globale et de l’intérêt de l’humanité.
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160. Sur ces interrogations, v. M. Wemäere, S. Maljean-Dubois, L’Accord de Copenhague : quelles


perspectives pour le régime international du climat ?, préc., p. 31.

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