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L’écocide : un crime contre l’environnement en droit international ?

Charlotte Collin
Terre Policy Center

Contexte

Dans notre dernier article pour TERRE, intitulé “L’environnement est une victime des
conflits armés”1 nous avons démontré l’’existence d’un ensemble de règles, protectrices de
l’environnement, dont l’applicabilité s’étend à la survenance d’un conflit armé. La
responsabilité internationale issue de la violation de telles règles peut par ailleurs être exclue
par des circonstances justificatives issues du droit international de la responsabilité ou par
des causes d’extension ou de suspension des traités. Ces éléments introduisent une forme de
flexibilité pour des Etats marqués par des conflits armés mais ne sauraient être victimes à
leur tour d’une utilisation abusive. Pour faire face à cette possible dérive, les représentants
gouvernementaux nationaux et les juristes et représentants judiciaires des Nations Unis ont
un rôle à jouer.
Nous avions aussi argué que ce corps de règles devrait être élaboré et encadré de telle
sorte à ce qu’il soit suivi d’effets préventifs et punitifs. Cependant, le droit international offre
une réponse obscure et insuffisante à certains égards au besoin de punir et réparer les
dommages environnementaux.
Le rapport GEO du PNUE met en évidence que 60% de l’écosystème à la base de la
biodiversité de la Terre, et dont l’humanité dépend, a ont été dégradé de manière irréversible.
Ainsi le présent article vise à explorer de possibles solutions à ces insuffisances.

Introduction

Selon Parsons,"[a]n effective enforcement chain requires three things: deterrence,


prevention, and punishment".2 Or le droit international n’offre pas de réponse claire au besoin
de punir les Etats et/ ou les individus qui sont responsables de dommages environnementaux.

1
http://www.terrepolicycentre.org/Environment-is-victim-in-Armed-Conflict.html
2
PARSONS Rymn James, “The fight to save the planet: U.S Armed Forces, “Greenkeeping” end enforcement of
the law pertaining to environmental protection during armed conflict”, Georgetown international environmental
law review, Vol. 10, n°2, 1998, p. 441-500.
Ces dommages peuvent prendre plusieurs formes comme l’exploitation illégale de la faune et
de la flore, le commerce et le déversement des déchets et des ressources.3 Ces ressources
naturelles peuvent être détruites durant un conflit armé mais également en temps de paix. De
plus, de nouveaux types de crimes environnementaux émergent, dans le commerce du doxyde
de carbone4 ou dans la gestion de l’eau (comme la violation d’une licence de gestion, la
pollution massive des eaux)5. Les crimes environnementaux ne s’arrêtent pas aux frontières et
sont souvent commis par des réseaux criminels organisés et dispersés autour du globe. Dans
ce contexte, le droit international a un rôle à jouer.

Accords Environnementaux Multilatéraux

En réponse au besoin de protéger l’environnement, la communauté internationale a


développé un large corps de règles protectrices de l’environnement. Aujourd’hui, environ 200
Accords Multilatéraux Environnementaux (AME) contiennent des obligations liées inter alia
à la biodiversité, à l’environnement marin, à l’atmosphère. Les observations du G8,
d’Interpol, de l’Union européenne, du Programme des Nations Unies pour l’Environnement
(PNUE) et du United Nations Interregional Crime and Justice Research Institute6 permettent
d’identifier cinq types de dommages environnementaux : (i) le commerce illégal de la vie
sauvage en violation de la Convention de 1973 sur le commerce international des espèces de
faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES); (ii) le commerce illégal de
substances nuisibles à la couche d’ozone en violation du Protocole de Montréal (1987); (iii) le
déversement et le transport illégal de divers types de déchets en violation de la Convention de
Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur
élimination (1989); (iv) la pêche dérégulée en violation des contrôles imposés par les
organisations régionales de régulation de la pêche (RMFOs).

Régime de conformité

3
http://www.interpol.int/Crime-areas/Environmental-crime/Environmental-crime
4
http://www.telegraph.co.uk/earth/copenhagen-climate-change-confe/6778003/Copenhagen-climate-summit-
Carbon-trading-fraudsters-in-Europe-pocket-5bn.html
5
http://www.en.vironmentalleader.com/2010/12/13/environmental-enforcement-water-contractor-faces-criminal-
charges/
6
http://www.unodc.org/documents/NGO/EIA_Ecocrime_report_0908_final_draft_low.pdf
Quelques accords environnementaux prévoient leur propre régime de conformité. Par
exemple la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer prévoit des mécanismes de
réparation pour les dommages issus de la pollution marine par des déversements pétroliers ou
des déversements d’autres substances. Ce type de mécanisme implique d’autres bases de
réparation, comme la réparation pour le nettoyage, réparation des dommages infligés à la
propriété privé, réparation des dommages économiques ou environnementaux. Cependant, la
convention ne prévoit ce type de mécanismes réparatoires qu’à l’égard des personnes privées,
et non à l’égard des Etats.
Deux conventions internationales de 1971 et 1966 prévoient de même des mécanismes
réparatoires, i. e. l’International Convention on the Establishment of an International Fund
for Compensation for Oil Damage et la Convention on Liability and Compensation for
Damage in Connection with the Carriage of Hazardous and Noxious Substances by Sea. Ces
conventions contiennent la création d’un fond international de réparation pour les victimes de
certains dommages spécifiques. De plus, certaines conventions environnementales prévoient
un régime de non conformité, caractérisé par une forme de responsabilité douce7, qui
n’entraine pas la mise en place de mécanismes de réparation du dommage environnemental.
Cette responsabilité douce est issue de mécanismes tels que des rapports périodiques, des
enquêtes, des recommandations, des mesures pour rétablir la conformité. Par exemple, le
Protocole de Montréal permet aux parties d’informer le Secrétariat de ses préoccupations à
l’égard d’une autre partie. Le Secrétariat peut ensuite appeler à la création d’un comité chargé
d’enquêtes, qui peut en outre suggérer des mesures afin de restaurer la conformité.
Cependant, ces accords ne se réfèrent pas explicitement à la notion de crime
environnemental. Or cette notion pourrait permettre de sanctionner différents types de
conduits nuisibles à l’environnement, qui sortent du cadre spécifique de certains accords
internationaux environnementaux spécifiques.

Ecocide

Pour ces raisons, certains membres de la doctrine internationale arguent en faveur de la


reconnaissance de la notion de crime environnemental. En utilisant l’analogie avec le crime
de génocide, et à la lumière de certaines législations nationales, certains auteurs ont introduit

7
MOLLARD-BANNELIER Karine, La protection de l’environnement en temps de conflit armé, Paris, Pédone,
2011, p. 401.
la notion d’"écocide".8 Selon Drumbl "the legal theory of ecocide is as follow: significantly
harming the natural environment constitutes a breach of a duty of care, and this consists, at
the least, in tortious or delictual conduct and, when undertaken with wilfulness, recklessness,
9
or negligence, ought to constitute a crime." Ces auteurs se positionnent en faveur de la
création d’une Cour internationale qui pourrait avoir juridiction sur les dommages
environnementaux qui traversent les frontières.
Cependant, cette proposition nécessite une définition de tels crimes, de leurs potentiels
remèdes, du forum approprié pour les traiter, et des demandeurs autorisés à une telle action.
Drumble propose d’introduire sur ce point une convention multilatérale spécifique à l’écocide
et de créer en parallèle une cour permanente ou ad hoc.

Selon TERRE, le droit international positif ne fait pas état d’une telle proposition. La
Commission du droit international (CDI), dans ses articles sur la responsabilité internationale
des Etats de 200110 n’établit pas de hiérarchie entre les violations du droit international. De
plus, la CDI ne reprend pas non plus la catégorie des crimes internationaux11 en parallèle de
celle des autres violations du droit international, en dépit de l’insistance de certains membres
de la doctrine12.
Cependant, il convient de noter que la CDI se réfère aux violations fondamentales des
normes indérogeables du droit international et aux obligations des Etats envers la
communauté internationale dans son ensemble, qui entraînent certaines conséquences
spécifiques en droit international de la responsabilité. Parmi ces obligations figurent les
obligations environnementales mentionnées par la Cour Internationale de Justice13.

8
Par exemple, voir l’Ecocide project, Anja Gauger, Mai Pouye Rabatel-Fernel, Louise Kulbicki, Damien Short
and Polly Higgins
(http://www.sas.ac.uk/sites/default/files/files/hrc/Events%20Documents/Ecocide%20is%20the%20missing%205
th%20Crime%20Against%20Peace.pdf)
9
DRUMBL Mark A., “Waging war against the world: the need to move from war crimes to environmental
crimes”, in AUSTIN Jay E., BRUCH Carl E. (ed), The environmental consequences of war. Legal, economic and
scientific perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 636.
10
Ces aartcles ont été adoptés à la 55ème session de l’AGNU. A/RES/56/83, January 28th 2002
11
CDI, Annuaire 1976, Vol. II, p. 89 - 113.
12
E. g. :http://www.oxfordbibliographies.com/view/document/obo-9780195396607/obo-9780195396607-
0063.xml
13
Advisory opinion of the International Court of Justice, Legality of the threat or use of nuclear weapon, July 8th
1996, http://www.icj-cij.org/docket/files/95/7495.pdf
De plus, la Commission des Nations Unies sur la prévention du crime et la justice
criminelle s’est intéressée pour la première fois à la question du crime environnemental en
1995 et encouragea les Etats à “consider acknowledging the most serious forms of
environmental crimes in an international convention”.14 Une telle convention n’a pas été
adoptée à ce jour. TERRE encourage vivement une telle adoption. La question du crime
environnemental émergea à nouveau en 2005 lors de la déclaration de Bangkok au 11ème
congrès des Nations Unis sur le crime, qui appela les Etats membres à durcir leurs législations
nationales, et à améliorer leur coopération. Le congrès se réunira à nouveau en 2013 pour sa
22ème session.

Conclusion et recommandations

C’est essentiellement au sein des négociations internationales des conventions


multilatérales environnementales, ou au sein de l’élaboration d’un instrument spécifique que
la définition du concept et du régime d’un crime environnemental devrait être dessiné et
approuvé en droit international. Dans le présent article, nous avons cherché à démontrer
qu’une telle définition n’existe pas en droit international positif. Par conséquent, comme le
suggère le PNUE, "it should be considered whether it is desirable to attach liability for
violations of International Environmental Law to State Parties and/or to individuals.
Applying international law directly to individuals often increases the efficacy and deterrence
effect of a given provision".15 A la lumière des difficultés que comporte la sanction de
comportements dommageables à l’environnement des Etats et des individus au sein de la
sphère internationale, TERRE estime que l’introduction d’un crime d’écocide est nécessaire
tant au développement qu’à l’efficacité du droit international de l’environnement.

14
ECOSOC Resolution 1994/15 (25 July 1994).11

15
Protecting the environment during armed conflicts. An inventory and analysis of International Law, UNEP publication,
2009, p. 34s.

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