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Le respect des droits de l'homme et la protection de l'environnement a


l'épreuve des catastrophes écologiques: une alliance nécessaire

Boisson de Chazournes, Laurence; Desgagne, Richard

How to cite

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence, DESGAGNE, Richard. Le respect des droits de l’homme et la


protection de l’environnement a l’épreuve des catastrophes écologiques: une alliance nécessaire. In:
Revue de droit de l’ULB, 1995, vol. 12, n° 2, p. 29–51.

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LE RESPECT DES DROITS DE L'HOMME
ET LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT
À L'ÉPREUVE
DES CATASTROPHES ÉCOLOGIQUES
UNE ALLIANCE NÉCESSAIRE

PAR

LAURENCE BOISSON DE CHAZOURNES


CHARGÉE DE COURS À LA FACULTÉ DE DROIT
DE L'UNIVERSITÉ DE ÛEXÈVE
ET À L'INSTITUT UXIYERSITAIRE
DES HAUTES ÉTUDES 1NTERNATJ01'\ALES

ET

RICHARD DESGAGNÉ
A:o;;ISTANT À L' lN:OTITUT EUROPÉEN
DE L'UNIVERSITÉ DE ÛENÈVE

INTRODFCTION

La survenance de catastrophes écologiques peut mettre en


péril le respect des droits de l'homme, notamment les droits
attachés à l'intégrité physique. Des mesures doivent être mises
en œuvre pour faire face à de telles situations. Dans ce
contexte, les normes de protection de l'environnement et de
prévention des catastrophes jouent un rôle indéniable en parti-
cipant à la protection des droits de l'homme.
Une catastrophe écologique peut être définie comme un
événement désastreux déclenché par des causes naturelles et/
<<

ou anthropiques, qui exerce ses effets biologiques sur de vastes


surfaces pendant une durée prolongée>> (1). Les causes de l'évé-
nement, ses victimes ainsi que l'ampleur de ses conséquences
sont autant d'éléments qui permettent de définir une catas-

(l) F. RA;JADE. <<Les catastrophes écologiques: Gne menace pour !"avenir de l'huma-
nité>>, Futuribles, Hl89, vol. 134, pp. 63-78. p. 66.

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30 LE RESPECT DES DROITS DE L'HOMME

trophe écologique. En premier lieu, il est à remarquer que les


catastrophes du fait de la nature et celles du fait de l'homme
tendent à devenir de moins en moins discernables les unes des
autres (2). Elles sont le plus souvent causées par la conjonc-
tion de facteurs naturels et humains. Les instruments interna-
tionaux ont d'ailleurs tendance à assimiler ces événements.
Ainsi, la résolution 44/224 de l'Assemblée générale portant sur
la Coopération internationale pour le suivi, l'évaluation et la pré-
vision des menaces à l'environnement et pour la fourniture de
secours d'urgence en cas de catastrophe écologique, assimile catas-
trophes naturelles, accidentelles ou causées par l'homme (3).
Les catastrophes écologiques couvrent ainsi tant les phéno-
mènes naturels (éruption volcanique, tremblement de terre,
inondation), que les accidents technologiques. En second lieu,
il faut observer que les victimes sont susceptibles d'être à la
fois, directement ou indirectement, les populations humaines
et les milieux écologiques. Une catastrophe touchant plus par-
ticulièrement l'environnement, sans provoquer la mort ou des
atteintes à l'intégrité physique des populations humaines, par
exemple le déversement d'hydrocarbures, aura des consé-
quences sur le bien-être social et économique des populations
vivant dans les zones touchées. En troisième lieu, un élément
caractéristique des catastrophes écologiques a trait à l'ampleur
des dommages. S'il n'y a pas de seuil objectif qui permette de
qualifier un événement de << catastrophe >>, on peut cependant
considérer qu'à partir du moment où des dommages collectifs
sont subis, où des moyens importants doivent être mis en
œuvre pour sauvegarder la vie ou le bien-être d'une commu-
nauté ou d'un milieu naturel, on est en présence d'une << catas-
trophe écologique >>.

Des corps de normes distincts assurent la protection des


droits de l'homme et celle de l'environnement. Ils poursuivent

(2) M. BoTHE, <• Relief Actions<>, dans R. BERXHARDT (éd.). Encyelopedin ~l Public
International La<c, t. 4, )unsterdam, Korth-Holland, H)82, pp. 17:3-178. p. 17:>.
(:3) Préambule, :3" al.. Xations L'nies, Documents offic-iels, Assemblée générale.
44" sess .. suppl. no 49, A/44/49. 1989. p. L'52. De même. la f!om·ention d'Helsinki su.r les
effets tmnsfrontières des cu:eidents industrie/.s, 17 mars 1992, Xations L'nies, Commission
économique pour l'Europe, E(ECE/1268, rep-rod1àte dans C<nlmssrox Écox<nriQl'E POFR
L'EeRoPE. Contentions sur /'enrironnemmt, Xew-York, Xations Cnies, 1992, p. 1:35. s'ap-
plique<<[ ... ] à la prévention des accidents industriels susceptibles d'avoir des effets trans-
frontières, y comp-ris au.~· effets de ce type pro coqués pm des catastrophes nat-urelles [ ... ] >>.

REV. DR. ULB - 1:2- 19.9-5


L. BOISSON DE CHAZOURNES ET R. DESGAGNÉ 31

pourtant certains objectifs communs. L'application des


normes de protection de l'environnement contribue à l' amélio-
ration de la qualité de vie et au progrès des droits de l'homme,
de même que le respect et la promotion des droits de l'homme
peut contribuer à l'amélioration de la protection de l'environ-
nement. Le cas des catastrophes écologiques permet de souli-
gner certains des liens qu'entretiennent la garantie des droits
de l'homme et la protection de l'environnement, notamment
leur apport mutuel pour faire face à des situations exception-
nelles.
D'une part, des comportements spécifiques en matière de
protection de l'environnement peuvent être exigés de la part
des autorités publiques afin de veiller au respect des droits de
l'homme. Il peut s'agir de mesures préventives ou de la mise
en œuvre de plans d'action prévoyant l'acheminement de
secours ou la diffusion d'informations permettant de faire face
à une catastrophe. D'autre part, les conséquences immédiates
d'une catastrophe peuvent porter atteinte au respect des
droits de l'homme, les mesures adoptées à la suite d'une catas-
trophe pouvant notamment mettre en péril le droit à la vie
privée, la liberté de circulation, le droit de choisir sa résidence
ou la liberté d'expression. L'analyse sera plus particulièrement
menée au regard de l'application de la Convention eumpéenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamen-
tales (4).

J. - LES RISQUES D'ATTEINTE À L'INTÉGRITÉ PHYSIQUE


LORS DE CATASTROPHES ÉCOLOGIQUES

Certains droits de l'homme sont plus particulièrement sus-


ceptibles d'être violés lors de la survenance d'une catastrophe
écologique. Ainsi en est-il du droit à la vie, de l'interdiction de
traitements inhumains et dégradants et de la protection de la
vie privée. Ces droits contribuent dans leur ensemble à la pro-
tection de l'intégrité physique.

(4) 4 novembre 1950, Conseil de l'Europe, S.T.E. n" fi. R.T.~.U., ,-ol. 21:3. p. 221.

REY. DR. ULB · 12 · 199.5


32 LE RESPECT DES DROITS DE L'HOMM~~

Le devoir de protection du droit à la vie incombe a pn:ori


à l'État, puisque la vie doit être<< protégée par la loi>> (5). L'in-
terprétation généralement donnée au droit à la vie tel que pro-
tégé par la Convention européenne est un droit à l'existence
physique, par opposition à un droit à une certaine qualité de
vie (6). Pour la Cour de Cassation belge <<[ ... ]le droit à la vie
au sens de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des
droits de l'homme n'est que le droit à la vie physique au sens
usuel du terme et non le droit à une vie que l'individu
concerné peut subjectivement qualifier de 'décente'. >> (7) Il
s'agit à première vue d'une obligation d'abstention ; l'État ne
peut porter atteinte à la vie, de manière intentionnelle, arbi-
traire ou négligente, dans des conditions autres que celles spé-
cifiquement prévues (8).
La protection du droit à la vie a cependant une portée plus
large. D'une part, bien que l'article 2 prohibe d'infliger la
mort, la Commission européenne des droits de l'homme n'a pas
exclu que les menaces à l'intégrité physique soient également
prohibées. Dans X. c. Autriche, elle notait que :
<<[ ... ]cet article assure principalement une protection contre le fait d'in-
fliger la mort. Même en supposant que l'intégrité physique puisse être
considérée comme protégée par cet article, une intervention aussi banale
qu'un examen du sang ne constitue pas une ingérence par ledit article.
[... ]Le requérant n'a apporté aucun élément montrant que, dans son cas
particulier, un examen du sang créerait médicalement un danger pour sa
vie.>> (9).

D'autre part, le respect du droit à la vie peut entraîner


l'obligation pour les autorités publiques de prendre certaines
mesures de protection. Dans une affaire dans laquelle une
association, regroupant des parents dont les enfants avaient
subi de graves dommages ou étaient décédés à la suite d'une

(5) A. Mrc'HALNTC\, «La proteetion intemationale <lu droit à la vie (problèmes c·hoi-
sis) ''• Polish Yb.I.L .. Hl88. vol. 17. pp. 85-rJ9, p. ()].
(fi) ,J.E.S. FA\\'C'ETT. The Application ~f the Earopcnn !'onrention on Hunw.n Rights.
2' é<l .. Oxford, Clarendon Press. 1987. pp. :37-38.
(ï) ,Jugement elu fi fénier 198i'i. Cass. (Belgique). Pnsicrisie belge. Recneil de ln juris-
pnlflencr. Hl85, ,-ol. 1. n" :~32. pp. 670. 680. eité par ,J. VBTX et R. ER<ŒC'. Ln Convention
européenne des droits de lïwrnrne. Bruxelles. Bruylant. 19()0, p. 174.
(8) A. :V[IC'HALRK.,, op. cit .. p. 9:2: ,J. VELl' et R. EIWEC'. id.,
(9) Comm. E.D.H .. n" 8278(78. décision du 1:3 cléeembre Hl79. et TnPfJO'rts.
vol. 18, pp. 154, Jf58.

RET'. DR. ULR - 12- 1.995


L. BOISSON DE CHAZOFRNES ET R DESGAGNÉ 33

campagne de vaccinations, alléguait une violation de l'ar-


ticle 2, la Commission estima que
<< [ •.. ] la première phrase de l'article 2 impose à l'État une obligation

plus large que celle que contient la deuxième phrase. L'idée que le 'droit
de toute personne à la vie est protégé par la loi' enjoint à l'État non seu-
lement de s'abstenir de donner la mort 'intentionnellement', mais aussi
de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie.>> (10).
La Commission considéra cependant que l'État ne pouvait
être tenu responsable des pertes de vie, compte tenu que des
mesures adéquates avaient été prises pour éviter les risques et
que le nombre de victimes avait été infime. La Commission, en
appréciant le comportement de l'État par rapport au risque
d'atteinte à la vie, conclut donc que le grief tiré de l'article 2
était manifestement mal fondé.
L'intégrité physique est également protégée par l'article 3
de la Convention européenne qui prohibe les traitements inhu-
mains et dégradants. Bien que l'article 3 s'applique in concreto,
c'est-à-dire suivant la durée du traitement, l'état physique, le
sexe, l'âge et l'état de santé de la victime (11), un seuil élevé
de douleur ou d'épuisement, physique ou moral, doit être
éprouvé pour entraîner une violation de l'article 3 (12). Aussi,
<< [i]n practice this requirement has led the Commission to find

that very disturbing treatment did not violate Article 3 >> ( 13).
Le seuil qu'un traitement doit atteindre pour être qualifié de
<< traitement dégradant >> rend difficile son application lors-
qu'est invoquée une dégradation de l'environnement (14).
Les atteintes à l'intégrité physique sont aussi généralement
considérées comme des atteintes à la vie privée, protégées par
l'article 8 de la Convention. Aussi, << une intervention médicale
sous la contrainte, même si elle est d'importance minime, doit
être considérée comme une atteinte à ce droit>> (15). Les

(10) Association X. c·. 1/oyaume-Cn·i, Comm. E.D.H .. n" 7154(75. décision du 12 juillet
1978, Dér:ision8 et rapports, vol. 14. pp. :n, :36.
(Il) CEDH. arrêt elu 2ii ani! 1978. Reweil. "'rie A. n" 26. par. :30.
(12) L. Do.'IL\LD-B>:<'K, "vVhat Jloes the Prohibition of ·Torture of lnhuman or
Degrarling Trcatment or Punishment' :\lean 1 The Interpretation of the European Com-
mission and Court of Human Rights "· ,Yeth. J.L.ll .. Hl78. \'Ol. 2ii. pp. :2+-!'iO. p. :3:3.
(1:3) P ..T. Dt'FFY. "Article :3 of the European ('onvention of Hnman Rights "· Inti cf·
Camp. L.O .. 198:3. vol. :32. pp. :H6-:346. p. :34ii.
( 14) Voir notamment l'affaire J,opez 08/ra. arrêt du 9 décembre HHJ4. Recueil. série A.
n" :l0:3-( '. dont les fait.s sont relatés infra, à la note 20. où la C'our a jugé que le préjudic·e
~ubi par la requérante n· atteignait pas le St>uil dP l' artidP :~.
(Iii) X. <·. A utrithe. précité-. p. 1;)\l. par. :l.

RE!' ])JI. 1'IJ5 - !~ - J'lin


34 LE KEI:-;I'ECT DES IJJWlTS DE L'HOMME

atteintes à la vie privée peuvent résulter de mesures visant


directement les in di vi dus ou de mesures qui n'ont qu'un effet
indirect. Ainsi, dans plusieurs affaires, la Commission et la
Cour ont jugé que les effets néfastes sur la santé ou sur la qua-
lité de la vie causés par certaines sources de pollution pouvait
constituer une atteinte à la vie privée(l6). Dans l'affaire
Powell et Rayner, où les requérants se plaignaient de la pollu-
tion par le bruit dû au voisinage d'un aéroport, le Cour a
décidé que << [l]e bruit des avions de l'aéroport de Heathrow
[avait] diminué la qualité de la vie privée et les agréments du
foyer des deux requérants [ ... ])> (17). Dans l'affaire S. c.
France (18), une installation nucléaire fut érigée à moins de
300 mètres du domicile de la requérante au bord de la Loire.
La requérante alléguait que la centrale avait transformé le
cadre campagnard de sa propriété en environnement industriel
avec tous les préjudices qui en découlaient : destruction du
site, nuisances sonores, éclairage de type industriel la nuit,
modification du micro-climat et perte de valeur de la pro-
priété. La Commission devait estimer que,
<< [d]es nuisances sonores et autres C'onsidérables peuvent sans nul doute
affecter le bien être physique d'un individu et dès lors porter atteinte à
sa vie privée. Elles peu\"eJlt également priver un individu de la possibilité
de jouir des agréments de son domicile.<) (19).

(l()) Dan~ .--lrmnrle/lr <·. ltoymlmc-[Tni (Comm. E.D.H .. 11° /BHH:ïï. ch\·i:-:ion elu l.~ juil-
let liJRO. [)(irisions et l"ll}JJ!Orts. 1·ol. Hl. p. 18G). la maioon cle la requérante était 'ituée
entre une pi.c.:tc de l"aé'roport cle Gah\-it'k ct unP autoroutP. La requ{:rantc al]{'guait Cjllf'
lïntl·w-dt(; Pt la frl•quen<·<-' du hruit UYHient cl<>~ t'fù:t~ n('f~u..:te:-: :..:ur :-:;J :-:antt'. La requ0tt>
a Nô d6dcu·é'P admis:-:ible Pn n:'rtu de l"artivle H clt' la ('onYPntion. LTn rôglpnwnt umîah!P
Nant intcJYPnu. la Commi~~·don IW ~·e~t pa~ Jn·ononc{' ~ur le fond (rapport du 1:~ mai
lHS:Z. /)rlf•isions et I'U}JjJOFf8. \"Ol. :ZG. p ..)). nan:-; ll!H' affaire ,-..;irnilairP !Jrt(j(/8 ('. !10!JOIIJI/('-
r-lli ('omni. E.l).H .. n" D:~IO,Sl. d{'vision de Il) odohn' IHS.). fJrS('isions r-t trtjJ}HJrt...:.
\'OL +-L p. l:~). la Commis.-..;ion a note': que tp,..., nui~aJwe:-; Naient t-T;(·ore plu .. ., importante .. .,
que dan~ l'affaire pré('ôdcntc. t'n rè,gkment amialJle pst é'galcnwnt intcn·PmL
( 1 Ï) )un't du 21 jam·iN 1\l!JO. Ilerueil. ,(Tic• )._ n" 1 ï2. par. +li.
(lH) Comm. E.D.H .. n" J:~ï:ZS,...SH. dl'<·isioll du iï mai HHJO. nr:ti.-;io;,.-..: et rrt}JJ_~oi"/.-:.
ml. ()i".i. p. 2:"i0.
(ID) Id .. p. :2;)0. _-\yant cxt'l'('{: dt'-" n'vours de\Tnnt k:-: tribunaux administnttit~ l'ran-
\·ais. la n'qu{;rantP n'en-ait oLtPnu qu'tuw r{'pnration partielle du. pn'judi(·(-' ~~uhi. Le
( on:-:ei1 cl'Î~tnt a <·onsidé'r{ qu'elle ne subi:::;:-:ait pas un prôjuclive anormal ct sp6c·ial du fait
1

dr:-: dl>sagn.:'ments ]Jl'On)qué>s par la \rUe clP ru~ÎlH'. par son {>dairagp Pl'lïtH1..t1t'nt et par le~
nuage~ cle \Tapeur formés au-de.-..;sw.: cle~ tours de refroidissenH:'tÜ. i :n rc\'aJwlw. le prl'.iu-
1

di('e imptt!<:ÜllP aux bruit~ cngendr{:;-; par !a t·t'!ltrale engageait la n:::-:pon.-..;alJilit6 <il> l'Px-
ploitnnt. Eledricité cle Frnn<·c•.

11/oT. /J/1. iïJJ · J·' · 1.'!9-5


L. BOISSON D]'; CHAZOlTHNES ]';T H. DESGAGNf~ 35

Dans ces deux dernières affaires, la Cour et la Commission


jugèrent cependant que les atteintes étaient justifiées au
regard du paragraphe 2 de l'article 8.
Dans l'affaire Lapez Ostra (20), la requérante alléguait que le
fait d'être obligée de vivre près d'une station de purification
d'eau et de traitement de déchets, construite à douze mètres
de sa résidence, constituait une violation de l'article 8. La
Cour devait constater que les nuisances étaient constitutives
d'une atteinte au droit à la vie privée de la requérante et que
les autorités publiques, malgré la marge d'appréciation qui
leur est reconnue, n'avaient pas adopté les mesures nécessaires
afin d'assurer un équilibre entre les intérêts de la requérante
et ceux de la communauté. Elle estima qu'il y avait violation
de l'article 8.
Le respect des droits de l'homme entraîne l'obligation pour
les États de prévenir des violations éventuelles. Du respect du
droit à l'intégrité physique découle la nécessité d'adopter des
mesures destinées à prévenir les situations pouvant mettre en
danger la vie humaine (21), à empêcher des situations d'ingé-
rence illicite dans la vie privée d'un individu et à mettre en
place des mesures de répression à ces transgressions (22). Il
peut s'agir d'activités privées ou publiques, puisque l'État a
non seulement le devoir de ne pas porter atteinte aux droits
protégés mais également d'assurer leur respect. Aussi, le res-
pect de l'intégrité physique est pertinent dans les eircons-
tances où les activités de l'État, ou de personnes relevant de
sa juridiction, provoquent des risques écologiques immédiats
menaçant la vie ou la santé humaine (23).

(20) Pr(•,·it(P.
(~ l) P. LEFEt'\'HE. <<La protection du droit ù la \'iP dnn~ k c·adre ck la ( 'onn•ntion
t•urop(•enJH' cll'~ choit:-- de l"homrnp 1>. dans J)_ Pl:L\Jo:\·T f't F. ~1{):\T.\.\T (C>d. ). l,e rf mit rf
lrt rie q11on1J1fe nns aJJrr\.-; lu dh·/rrration llnirc!'sclle des rlroits rh f'honune l~1 1'oft,tioJI r·ollte}J
l11eifr.. /I0/'1/Wiire el jllri.•pi"!Uientiel/e. Ceni•n•. l'fD. IDD2. pp ..)1-:JD. p ..)+: :\1. Li·:I<:HTlJ~
;-.;cH\Y-\HTZ. ''International IA_•gal Protection for Yictims of En\·ironnwnta1 .-\lntsP >>. }"({ft
./.!. L. 1OH>L ,-ol. 1H. pp. :3.);)-:~H/ p. :i.lD.
U~) ~L LEJ(;HTn:\' S\'H\\._\HT/:. ul.. p. :-W:2 ·.-\.:\!wH \L~l" \. o;;. tif .. JL ~l:Z · .J. \'EIX pt
H. Enr:EI'. op. l'il .. p. lHO.
(2:i) !Jroits de l"l10nune et ('JII'irot/JIPJJ/f'llf /)r'll.tir:l/lf' !"U]JjHH'f iltfririmrlite rSfrtf;li fHII"
J['"' FrtfJJJa Zohra 1\sentiui. rapporte/Ir sprJ('io/ . .:\at ion~ L~nie:-~. ( 'ommi;-:,-.;ion d('.'-' droit:--. dt'
1"homme. sou:-;-(·onnnis.-.;ion de la luttP C'ontre kt-> nwsun~s di0('riminatoin•:-- et cl<- la protc<·-
tion cle:-~ minoritf;.":-l. -t.)'" sess .. HH):i. E/C~.+/Snb.2 1 lDD:~~7. p. ~2: ~. \YEBEJL << En,Tironmcn-
tal Information and the Em·o1Jean Con,·cntion on Human Hightt-: >). !!.H.!... J .. lDHl.
n>l. 12. pp. l7ï-!H.1. p. !Hl.
36 LE gESPECT DES DROITS DE L'HO:VIME;

La protection du droit à la vie en cas de catastrophes écolo-


giques exige d'une part, des mesures de prévention et la mise
en place de plans d'action, et d'autre part, des mesures de
réponse pour faire face aux conséquences d'une catastrophe.
En ce sens, le respect du droit à la vie rejoint les préoccupa-
tions gouvernant l'application d'un certain nombre de normes
en matière de protection de l'environnement. L'absence de
mesures adéquates visant à protéger l'intégrité physique lors
de risques d'accidents ou de catastrophes écologiques pour-
raient ainsi constituer une violation de l'article 2 et de l'ar-
ticle 8 (24). On peut concevoir que de l'obligation de la protec-
tion du droit à la vie et à la vie privée, découle une obligation
pour les États de mettre en place un système de réaction
rapide aux catastrophes écologiques. D'ailleurs, les gouverne-
ments sont à cet égard le plus souvent pris à parti par leurs
citoyens lorsque les moyens mis en œuvre se révèlent inadé-
quats. Cependant, l'appréciation des mesures de protection est
faite en regard de la gravité du risque qui est posé et les États
jouissent en ce domaine d'une certaine marge d'appréciation
dans la mise en œuvre de leurs obligations.

Il. - L E ngoJT INTERNATIONAL DE L'EKVŒONNEMENT


ET LA pgoTECTION DES DgOJTS DE L'HOMME
L'NE ACTION CON.JOINTE

La protection des droits de l'homme en période de catas-


trophes écologiques repose en grande partie sur des efforts de
prévention relatifs à l'identification des causes possibles des
catastrophes ou à la minimisation des dommages lorsqu'elles
n'ont pu être évitées. Dans ce contexte, l'application de cer-
tains principes de droit international de l'environnement a un
rôle à jouer.

(24) :VI. DÉ.TEAXT-PoxN. ''Le droit de l'homme it l'em·ironnement. droit fondamental


au ni'iTeau f'Ul'üpéen dan::' le ('ad re du Conseil dP r Euro pP. pt la Convention europé-enne
cle sauvegarde des droits de l'homme et des libertés timdamentales ». R.J.E .. Ulfl-L n" +.
pp. :lï:l-+HJ. p. :l/7.

HEV. IJH. 1-'Lli - !:.! - J!)fJ.)


L. BOISSON DE CHAZOURNES ET R. DESGAGNÉ 37

A. - Un devoir d'information
L'information est un élément déterminant dans la préven-
tion et la mise en œuvre des mesures de réaction aux catas-
trophes.
Le droit à l'information, dans son acception genenque,
couvre un ensemble de notions parmi lesquelles la liberté de
recevoir et rechercher l'information, le droit d'accès à l'infor-
mation détenue par l'État et le devoir des autorités publiques
de fournir certaines informations (25). L'article lO de la
Convention européenne a une portée plus restreinte, en ce qu'il
protège << [ ... ] la liberté de recevoir ou de communiquer des
informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence
d'autorités publiques et sans considération de frontière. )) S'il
garantit le droit de recevoir ou de communiquer des informa-
tions, il ne mentionne donc pas le droit d'accès à l'information
ou un devoir de l'État de la fournir.
Toutefois, pour autant que la communication d'informa-
tions détenues par l'État constitue une mesure nécessaire afin
de prévenir des atteintes à l'intégrité physique, les autorités
publiques pourraient avoir l'obligation de les divulger en vertu
des articles 2 ou 8 de la Convention. Dans l'affaire Assoc1:ation
X. c. Royaume Uni, où une campagne de vaccination était en
cause, la requérante alléguait que les autorités britanniques en
omettant d'informer les parents des risques encourus par les
vaccinations avaient violé le droit à la vie et le droit à la vie
privée. La Commission considéra que :
<<[ ... ]dans un programme de vaccinations volontaires, l'article 8 n'im-
pose pas à l'État l'obligation de fournir aux parents des informations pré-
cises et détaillées sur les contre-indications ou les risques liés à tel ou tel
vaccin.[ ... ].>) (26).
Mais la Commission s'appuyait notamment sur le fait que le
risque attaché à la vaccination était << généralement et commu-
nément connu)) et<<[ ... ] qu'il est légitime pour l'État de penser
qu'il vaut mieux laisser à l'interprétation d'un praticien le soin
d'assurer qu'il n'existe pas de contre-indication.)) (27) En cas
de catastrophes écologiques, certaines circonstances pourraient

(25) S. WEBER, op. cù .. p. 178.


(26) Association X. <". Roynwne-Uni. préeitée. p. 39.
(27) Id.

REV. DR. T'LB - 1'2 - 1.99,5


38 LE RESPECT DES DROITS DE L'HOMJYŒ

favoriser la naissance d'une obligation de fournir des informa-


tions : la soumission involontaire à des risques graves, ainsi
que l'existence et la disponibilité d'informations sur les risques
encourus.
En outre, un droit d'accès à l'information pourrait découler
du droit de recevoir des informations, lorsque celles-ci sont
particulièrement importantes pour la personne les recher-
chant (28). La Commission a ainsi admis que <<que le droit de
recevoir des informations puisse, dans certaines condit?:ons,
1:nclure un droit d'accès de la personne ·intéressée à des documents
qui, bien que n'étant généralement accessibles, présentent une
importance particuliè1'e pour sa pr-opre situation, [ ... ]. >> (29) Cer-
tains auteurs avancent également qu'un droit d'accès pourrait
être reconnu pour des informations qui présentent une impor-
tance significative pour un certain nombre de personnes (30).
A défaut d'un droit d'accès personnel, les personnes pour-
raient avoir connaissance de l'information par l'intermédiaire
des médias. Le droit de transmettre l'information et de la rece-
voir est protégé par l'article l 0 de la Convention. Dans l' af-
faire Sunday Times, la Cour a ainsi souligné qu'
<< [e]n l'espèce les familles de nombreuses Yictimes du désastre [les effets
de la thalidomide], ignorantes des difficultés juridiques qui surgissaient,
aYaient un intérêt fondamental à connaître chacun des faits sous-jacents
et les diverses solutions possibles. Elles ne pouvaient être privées de ces
renseignements, pour elles d'importance capitale, que s'il apparaissait en
toute certitude que leur diffusion aurait menacé l'' autorité du pouvoir
judiciaire'.<> (31).

Dans le domaine de la protection de l'environnement, l'im-


portance de l'accès à l'information est largement reconnue. Le

(28) ~I. B!'LLIXCER, «Rapport sc1r ·Liberté d'expression et clïnfonnation · F~lénwnt


es,s.entiel de la démocratie' >>, da nt:: CoXf.lEIL DE r..·EunoPE, Actes du .-;ixième cofloqw? inter-
national su·r la Concentio-n européenne des droits de l'homme, DordrechtfBostonfLonclre,.
}f. ::\Tijhoff. Hl88. pp. 44-lï7. p. 71 : G. :\L-'.LIX\.EIGI. <• Freeclom of Information in the
European Convention on Hun1an Rights and in the International Covenant on Cl\~iJ and
Politieal Rights •>, H.R. L.J., tn8:i. ,-ol. 4. pp. +4:i-460, p. 4.10.
(29) X. e. Républiq11e fédérale d'A//enwgne. C'omm. E.D.H .. no 8:i83/78. d{>eision elu
:i oetobre [1)79. Décisions ct rapports, Yol. 17. pp. 227. 228-22H. Le requérant ee plaignait
elu retard clans la réception de documents importants du fait d"une erreur elu :->erdC"e pos-
tal.
(:iO) G. i\1.-\LTX\'ER:>:L op. cit . p. 450: ,T \'EIX et R. ERCE<'. op. cil .. p. 608: R. WERER.
op. cit .. p. 180.
(:H) 8-undn.y Ti·mes. C'EDH. arrêt du 26 ani] 1970. Rec·ueil. série A. n" :JO. par. (J!i.

RET' DR. [.'LB - 12 - 199'5


L. BOISSON DE CHAZOURNE::l ET R. DE8GAGNI~ 39

pnnClpe lü de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le


développement prévoit ainsi qu' :
<<Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux
informations relatives à l'environnement que détiennent les autorités
publiques, y compris les informations relatives aux substances et activités
dangereuses dans la communauté. et avoir la possibilité de participer aux
processus de prise de décision. Les Etats doivent faciliter et encourager
la sensibilisation et la particivation du public en mettant les informations
à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et
administratives, y comvr-is des sanctions et réparations, doit être
assuré>> (32) ..

L'obligation de fournir des informations, en dehors de toute


requête spécifique en ce sens, a notamment été mise en œuvre
dans le domaine des installations dangereuses (33). Le préam-
bule de la Décision-recommandation concernant la communica-
tion d '·informations au public et la participat·ion du public au
processus de prise de décision visant les mesures de prévention et
d'intervention applicables aux accidents liés aux substances dan-
gereuses du Conseil de l'OCDE (34), énonce que <<le public sus-
ceptible d'être affecté a le droit d 'êtr·e informé sur les dangers pour
la santé humaine et pour l'environnement, y compris pour les
biens, qui pourraient survenir à l'occasion d'accidents dans les
installations danger·euses >>. L'article l "' prévoit que les États
doivent veiller à ce que le public reçoive des informations spé-
cifiques sur les mesures de sécurité à adopter, sur la nature,
l'ampleur et les effets potentiels sur la santé humaine ou sur
l'environnement et dispose d'un droit d'accès à toutes autres
informations disponibles. De même, le Conseil de l'Union euro-

(:i2) l:i juin HJD2. Xatioœ t:nies, C'onfôrenee sm· l'envimnnement et le cié,·eloppe-
ment, Aj('OXF.lfil/5/Rev.l (Hl92), reproduite dans R.O.DJP .. HJ92, ,-ol. f)(i. p. 97;).
(:i:i) Voir H. S~mTs. «The Right to Information on the Risks Created by Ha,ardons
Installations at the Xational and International Levels ''· dans F. FnAX<'IOXI et T. Rco-
\'AZZI (éd.). Jnte-r,wtionrd Responsibility fo-r Encimnmental Ha:rm. Hl9l. Londres/Dor-
drecht. Graham & Trotman, 1991, pp. 449-472, pp. 449-<t62. Au niveau univemel. le pro-
gramme APPELL dLO Programme des Xations Unies pour l'environnement a comme
objeetif <le fournir des informations sur les risques liés à certaines aetivités inô.ustrielles
et les mesuree à adopter afin de les réduire. Voir Pnocnc\~DIE DE8 KxrroxR l'xms P<Jl'H
L'EX\'IHOX,~I,!EXT. APPEloL: Atmreness and Prepn.redness for Emergenr:ies a.t the Local
0
lon·el · A Proress for Responding to Teehnologicnl Accidents. ;"\ations "Cnies. l9R8. ll vente
88.TTT.D.:i.
(:i4) R juillet HJ88, C(88)85 (Final), repmduite dnns R.U.D.J.P .. 1988, vol. fl2, p. SOR.
Cette ô.éeision pré,·oit que les États membres <loi vent ,·assurer que la population ô.étient
<les informations générales sur la nature, l'étendue et les effets possibles sur la santé
humaine ou sur 1'environnement deN ar-ridents dans des installations où des substance:-::
dangereuses sont utilisées. Voir H. S}!ETS, ir/ .. pp. 4;'i2-<tiill.

RE 1'. DR. ULB - h! - 199.5


40 LE RERPECT DER DROITS DE L'HOlYIJVŒ

péenne a, par exemple, adopté une directive obligeant les


États à s'assurer que les personnes susceptibles d'être touchées
par un accident industriel disposent des informations néces-
saires sur les mesures de sécurité et les comportements qu'ils
doivent adopter en cas d'accident (35).
Certaines obligations de notification et d'information sont
également prévues dans le cadre des relations inter-étatiques.
Si un État a l'obligation de s'assurer du respect des droits des
personnes relevant de sa juridiction, il doit aussi prendre en
considération les intérêts des autres États et de leurs ressortis-
sants. L'État sur le territoire duquel se produit la catastrophe
est souvent le plus à même de fournir les informations, néces-
saires à la mise en œuvre des moyens de lutte contre les dom-
mages causés par les autres acteurs.
Le principe général de notification aux États concernés de
la suvenance d'une catastrophe écologique susceptible d'avoir
des conséquences sérieuses sur leur environnement est commu-
nément accepté sans toutefois que les conditions d'application
et la portée de ce principe n'aient fait l'objet d'un accord una-
nime. Pour certains, l'obligation d'informer des États voisins
en cas d'accidents nucléaires, par exemple, n'est pas encore
clairement établie (36). Pour d'autres :
<< [ ..• ] there is an obligation under international custom that the State

of origin of an accident having border crossing detrimental effects has to


promptly inform and warn affected States in order to give them the
chance to minimize the damage [ ... ]. >> (37).
A.-C. Kiss considère qu'il s'agit d'un principe en voie de
formation (38). Toutefois, lors d'une catastrophe écologique

(:li'i) Direetive du Conseil 82/f>Ol/C'EE l'Oncernant les risqLtes d'al'eidents majeurs de


eertaines activités industrielles, art. 9, J()('E, 1982, L 2:30, p. 1, amendé par 87/216/CEK
,JOCE, 1987, L 085. p. :36: 88/610/CEE. ,JOC'E, 1988. L :l:36, p. 14; 90j6:5GjCEE, JOCE.
HJ90. L B.5:l. ]l :3.'59; 91/692/CEE, ,J()('E. Hl!Jl. L :377, p. 48. T'air a•ussi Convention de
Lugano sur la responsabilité eivile pour des dommages résultant d'aeti,·ités dangereuses
pour l'environnement, 21 juin 199:3, art. 1:3-16, Conseil de l'Europe. S.T.E. n" li)(), repro-
duite dans R.O.D.I.P., 199:3, vol. fli, p. 1ll8.
(36) P. C'.-UIER<JX. «The Vienna Convention on Early Xotifieation and <-\ssistan<'e "·
dans P. C.-WEEOX. L. HAX<'HER et \Y. KC'HX (éd.). Suclear Energy La1c aftn !7hernobyl.
LondresfDordreehtjBoston, Graham & Trotman. Hl88, pp. 19-:3:2. p. :22.
(:37) :'\. PELZER, ''The Impact of the Chernob:vl Accident on International Xudear
Energy Law •>. Archic des Volkwrrrechts. 1987. vol. 2i), pp. 29.J.-:lll. p. 298.
(:38) A. KINk. ''Activités scientifiques et techniques et devoir d'information en ch·oit
international >>. dans Dmd el libertés à la fin du X X" siècle : Inf1uence des données économi-
ques et technologiques. Études ~/fertes d Cia·ude-Aibert ColÛa.rd, Paris. Pedone, 1984.
pp. 27:3-288. p. 28il.

REF. DR. ['LB - 12 - zgg,;


L. BOISSON DE CHAZOL'RNES ET R. DESGAGNÉ 41

mettant en danger les citoyens d'un État voisin, << [u ]n devoir


élémentaire d'humanité incite tout gouvernement qui aurait
connaissance d'une catastrophe naturelle menaçant d'autres
États ou leurs ressortissants de l'en avertir.>> (39) On peut, à
cet égard, ci ter l'affaire du Détroit de Corfou (40), dans laquelle
la Cour internationale de Justice s'est appuyée en partie sur
des <<considérations élémentaires d'humanité>> afin d'établir
une obligation de notifier des activités ou des événements sus-
ceptibles de mettre en danger la vie des ressortissants d'un
autre État.
Plusieurs conventions prévoient une notification dans des
domaines particuliers, comme, par exemple, la Convent1:on de
Bonn relative à la protection du Rhin contre la pollution chim1>
que (41), la Convention de Genève sur la pollution atmosphén:que
tmnsfmntière à longue distance (42), la Convention de Vienne
sur la notificat?:on rapide en cas d'accidents nucléaires (43), la
Convention d'Helsinki sur les effets transfrontières des acc1:dents
industriels (44) ou encore la Déc1:sion du Conseil de l'OCDE sur
l'échange d 'informat?:ons concernant les accidents susceptibles de
provoquer des dommages transfront?:ères (45). Cependant, l'obli-
gation de notifier est le plus souvent dépendante d'une évalua-
tion subjective de l'État sur le territoire duquel se produit
l'accident, de l'ampleur des effets susceptibles d'être ressentis
sur le territoire d'autres États. Par exemple, en matière de
rejets de substances radioactives, l'État sur le territoire
duquel l'accident s'est produit doit notifier un accident << qui
a eu ou peut avoir pour conséquence un rejet transfrontière
international susceptible d'avoir de l'importance du point de
vue de la sûreté radiologique pour un autre État.>> (46) Aucun
critère objectif ne permet de déterminer le seuil ou les circons-

(:ifl) Id. p. 27$l.


(40) Détroit de Co!foa (Royaume-'Cni/Albanie). CLT, arrêt du \) ani] 1D49. Rec·ueil.
1949, p. 4.
(41) a cléc:embre IH7o. reprodnite dans A.C. KTSS (écl.). Rec?.œil rie traités rnultilatému:t·
rcln.ti;f< r). la protection de l'environnement, Xairobi. P.~T.E .. 198:2, p. +S5.
(42) 1:i décembre 1979, ~ations l'nies. Commission économique pour l'Europe.
EjFX'E/1010, reproduite dans Cmimssiox ÉcoxmiiQL'R POUR L'Et'IH>PK (!onr:entions sur
/'em--,>ronnernent. Xew-York. Nations l'nies. 1992. p. 7.
(4:3) A.I.E.A., 26 septembre 1986. reprorhâte dans R.G.D.!.P., l\)87. vol. \ll, p. 76\l.
(44) Précitée.
(4.'i) 8 juillet 1988. C(88)84 (Final), reproduite dans R.O.D.I.P.. 1988. vol. 92. p. 800.
(46) Convention de Vienne sur la notifieation rapide <l'un accident nueléaire. précitée,
art. 1-2.

RET'. nR. liLB- 12-1.9.95


42 LE IŒSPECT DES DI~OITS DE L'HO::WNIE

tances qui entraînent une obligation de notifier ces rejets


potentiellement dommageables. L'État apprécie ainsi subjecti-
vement si les rejets sont susceptibles d'avoir des conséquences
sur la sûreté radiologique d'un autre État (4 7).
Une autre question est celle de savoir si les États ont l'obli-
gation de transmettre les informations qu'ils détiennent à leur
population. L'article 8 de la Convention protégeant la vie pri-
vée, pourrait jouer un rôle dans ce contexte. Selon les propos
de A.-C. Kiss, qui rejoignent les préoccupations se faisant jour
dans le domaine des droits de l'homme,
<<[ ... ]on peut estimer que les États doivent transmettre à leurs ressor-
tissants les informations reçues d'autres États au sujet de divers faits et
activités dans la mesure où ces personnes peuvent être affectées par les
conséquences des faits et activités en cause soit dans leur personne. soit
dans leurs biens, soit enfin dans leur vie privée.'> (48).

B. ~ Le recours à l'assistance internationale

Lorsque l'Etat ne dispose pas de moyens suffisants pour


faire face à une situation de catastrophe, le problème se pose
alors de savoir s'il a l'obligation de recourir à l'assistance
internationale disponible, afin de protéger le droit à l'intégrité
physique de ses ressortissants.
Certains traités bilatéraux et regwnaux prévoient la fourni-
ture d'une assistance en cas de catastrophe. Mais, en dehors
d'un cadre conventionnel, l'existence d'une obligation d' accep-
ter une assistance qui serait apportée lors d'une catastrophe
demeure incertaine, notamment au regard du principe de non-
intervention dans les affaires intérieures (49). L'obligation
d'assurer le respect du droit à la vie pourrait cependant ren-

(47) G. HAXDL. <• Internalization of Hazard }[anagement in Recipient Countrie'


APPident Prepare<lne,;s and Response "· dans U. H.-1'-:DL et R. Ll'TZ (ôd.). Tmn4erring
Hazardo-us 'l'echno/ogies and Substances: The luternationo/ Legal Challenge. Lon<lresjDor·
drePhtjBoston. Graham & Trotman. Hl8ü. pp. 106-128. p. 121: P. C'.lm<:Hox. op. rit ..
p. :31 : X. P;;r.ZER, op. rit., p. :30:3.
(48) A. Krss. op. cit .. p. 288.
(4\l) F. K.,LSHO\"EX. '' Assistanee to the Yietims of "-\rmec1 Confliets and Other Disas-
ters ''• dans F. K.-\LSHO\'EX (éd.). A.ssisting the Victims ~f Armer/ Conflicts and Other Disas-
ters l'apers J)eliNred at the International Conferenre on I!umanita-rion Assistance in
Armed Conf1icts. La Ha:ve. 22-2.t juin 1988. DordrechtjBostonfLondre-'. :YI. Nijhoff Hl89.
pp. 1:3-26. pp. 22-2:3.

REJ'. DR. ULB - 12 - 1.9.9-5


L. BOISSON DE CHAZOCI{NES E'f R. DESGAGN~~ 43

forcer l'existence d'une telle obligation (50). A cet égard, un


parallèle peut être établi avec le droit humanitaire lorsqu'il
s'agit de porter assistance aux victimes des conflits armés. Le
consentement de l'État sur le territoire duquel sera apporté
l'aide est requis, mais il ne peut être refusé que pour des
motifs raisonnables (51). Une résolution de l'Institut de droit
international sur La protection des dmits de l'homme et le prin-
cipe de non-intervention dans les ajjw:res intér-ieur-es des États
prévoit de même que :
<<Les États sur le territoire desquels de telles situations de détresse [où la
population est gravement menacée dans sa vie ou sa santé] existent ne
refuseront pas arbitrairement de pareilles offres de secours humani-
taires. >>(52).
Il est vrai que ces États restent les mieux à même de juger
de la gravité d'une catastrophe et de l'ampleur des moyens à
leur disposition pour y faire face. Dans la pratique cependant,
les États sont souvent réticents à admettre qu'ils ne disposent
pas des ressources ou moyens suffisants. Leur évaluation des
besoins prend ainsi souvent en compte des facteurs, politiques
ou autres, qui ne sont pas strictement liés à la sauvegarde des
populations touchées, ou de celle de l'environnement. Toute-
fois, lorsque des accidents ne peuvent être adéquatement
contrôlés par les autorités compétentes et lorsque des consé-
quences transfrontières peuvent en résulter, la discrétion de
l'État quant à l'acceptation d'une offre d'assistance en prove-
nance d'un État susceptible d'être affecté est très certaine-
ment limitée (53).
A l'échelle universelle, il n'existe que peu de traités portant
sur l'assistance en cas de catastrophes. En matière d'accidents
nucléaires, la Convention de Vienne sur- l'ass1:stance en cas d'ac-

(50) )[, BoTHE," Relief Ac·tions. The Position of the Recipient Rtate >>.dans F. KALS-
HOI'Eô: (éd.), Assisting the Victims of Armer! C'onflicts and Other Disnsters. id., pp. 91-97.
pp. ~)4-ll5: .T. PATRô:O<'H', <<Sorne Reflections on Humanitarian Prineiples Applicable in
Relief Actions ''• dans C. Rll'lXARSKI (éd.). Etudes et esscàs sur le droit international h.wnn·
nitaim et sur les principes de la Croü--Rou.ge en lïwnrwur de Jean Pictet. GenènjLa Haye.
CICRj:VI. Nijhoff, 1984, pp. 925-936. p. >J:32; :II. BETTXri. ,, rn droit d'ingérenc·e >).
R.G.D.J.P .. Hl\Jl, vol. 85, pp. 6:39-670. p. 6.'i6.
(51) i\I. BoTHE. id .. p. 9:3.
(.'i2) An?luni?·e de l'Institut de dmit international, 1981!, vol. 6:3-ll. p. :338. art ..'i. ·in fine.
(53) G. HAXDL. op. cit., p. 126. L'auteur mentionne une plainte réeente émise par les
autorités autrichienneR à l'égard des autorités suiRseR qui n'avaient paR requis leur assis-
tance pour nettoyer une fuite cle pétrole causée par un accident ferroviaire près de la
frontière.
44 LE RESPECT DES DROITS DE L'HOMME

ci dent nucléaire ou d'urgence radiologique (54) prévoit certaines


procédures d'assistance, sans obligation pour autant de recou-
rir à l'assistance des États voisins ou à celle d'autres États,
que l'État concerné soit en mesure ou non de faire face à la
situation (55).

Il ne semble pas non plus y avoir de devoir de porter assis-


tance en vertu du droit international général (56), bien que
certains commentateurs suggèrent que le principe de la <<soli-
darité internationale>> et celui des considérations élémentaires
d'humanité impliquent l'existence d'un devoir en droit coutu-
mier de porter assistance. L'Académie internationale des
droits de l'homme a, par exemple, affirmé le droit à l'assis-
tance pour les victimes et le devoir des États d'y contribuer,
sur la base de l'obligation de coopérer, mise à leur charge par
la Charte des Nations Unies (57). Mais pour la majorité de la
doctrine, un tel devoir relève davantage de la courtoisie inter-
nationale (comity) (58). L'assistance internationale apportée
lors de désastres s'apparenterait à une obligation morale (59),
dépourvue de portée contraignante.

Les conventions internationales ayant trait à l'assistance ne


prévoient généralement pas un devoir de fournir une assis-
tance. Ainsi, la Convent?:on de V1:enne sur l'assistance en cas
d'acàdents nucléaires ou d'urgence radiologique (60) et la
Convention d'Helsinki sur les effets transfrontières des accidents
industn:els (61) ne prévoient pas d'obligation de fournir une
assistance. L'État recevant une demande en ce sens doit seule-
ment décider rapidement s'il est en position de fournir cette
assistance et de notifier sa réponse à l'État requérant (62).

(54) A.J.E.A., 26 septembre 1986. l'epmrluile rlnns R.O.D.l.P .. 1987. vol. 91. p. 781.
(f>ii) P. C.-UIEIWX. op. cit .. p. 27: :'\. PRLZEH. op. cil., p. :iOfi.
(ii6) G. HAXDL. op. cil .. pp. 12i5-126.
(ii7) R.-,J. Dl'PI'Y, <• L'assistance humanitaire comme droit de J'homme eontre la sou-
,·erainet6 de l'État». dans F. KAL~HO\"RX (éd.). Assisling the T'idims ~l Arrnerl Conf/icts
and Olher Disasters, op. cil .. pp. 27-:H, p. :32.
(58) P. :VL\i'.\LISTRH-S,IITH, <• Disaster Relief. Reflections on the Role of International
La\Y », Z.a.iJ.R. l'., 1981). vol. 4;). pp. 25-4:i, p. 28.
(.'ifl) P. }1.-'.i'ALISTEH-S\IITH. <• Comit,1· ''· dans R. BERXHAHDT (éd.). Eru•yr·/opPdin ~l
Public International Law. t. 7. Amsterdam. Korth-Holland. 1982, pp. 41-44, p. ±:i:
i\l. BoTHE, <• Relief Actions''· op. cil .. p. 17fi.
(60) Préeitée.
(61) Préeitée.
(62) P. CAmmo;.;. op. cit .. p. :il.

REV. DR. CLB- 12- 1.99-5


L. BOISSON DE CHAZOLTRNES ET R. DESGAGNÉ 45

Il reste gue les États ont la faculté d'offrir leur aide. L'offre
d'une assistance ne constitue pas une ingérence dans les
affaires intérieures d'un État (63). Une assistance contre le gré
de l'État ne constituerait pas non plus une intervention illi-
cite (64), si celle-ci est portée de manière conforme à certaines
conditions. Selon la Cour internationale de justice,
<< [i]l n'est pas douteux que la fourniture d'une aide strictement humani-

taire à des personnes ou des forees se trouvant dans un autre pays, quels
que soient leurs affiliations politiques ou leurs objectifs, ne saurait être
considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue
contraire au droit international. >1 (65).
La Cour a fait état des conditions d'une aide strictement
humanitaire, en se fondant sur les principes fondamentaux
proclamés par la 20e Conférence de la Croix-Rouge : non-dis-
crimination et aide limitée aux fins de << prévenir et alléger les
souffrances des hommes 1> et de << protéger la vie et la santé
ainsi qu'à faire respecter la personne humaine 1> (66).

III. - LES RESTRICTIOKS


AU ltESPECT DES DROITS DE L'HO!VDŒ
LORS DE CATASTROPHES ÉCOLOGIQPES

Plusieurs droits sont susceptibles de voir leur exercice res-


treint par le jeu des mesures étatiques adoptées lors d'une
catastrophe écologique de grande ampleur. Il en est ainsi
notamment du droit au respect de la vie privée et du domicile,
de la liberté d'expression ainsi gue du droit à la propriété.
Les conventions en matière de protection des droits de
l'homme prévoient deux types de mécanismes permettant de
limiter l'exercice de certains droits pour des motifs d'intérêt
public. On trouve, en premier lieu, des limitations spécifiques
à certains droits, justifiées entre autres par des motifs de sécu-

(G:l) :\f. BoTHE, « ltelief À<'tions >1. op. cil. p. lifi: Art. fi. Rëso/utiou de l'Institut de
droit international. préc·itée.
((-)4) T. T('H..-\XTLE, << ..-\rtions en faYeur de ]a population ('iYile dan~ les cunt1its armé::;
internationaux et lrs eonflit~ armés non-internationaux 1>. clan,.; F. K.->.L:-.;Hu\"E.:\ et Y. F;_\.\'-
noz (éd.). Jfù.;;p en/ CPU'I>I'e rru rlroù in,ternationnl lunrumitoirt). Dordrecht/Boston. LondrPR.
:\1. .1\ijhoff Hl8fl. pp. :-l!-lô-408. p. 407.
(f):)) Artiritës militaires Pt pnrnmi!itnirrs rtlf _.Yiearnç(IW et to11tre ceiui-ci (XiC'aragua/
8tatR-Uni")- C.T..T.. arrêt (fond) du :27 _juin 1D8fi. Retu.eii. l9R6. p. 124. par. 242.
((Hi) Id.

Rin l!R. [' LR - 7.~ - 19.9-5


...

46 LE {{E.SPECT DES DROITS DE L'HOMME

rité publique, de protection de la santé ou de protection des


droits et libertés d'autrui (67). Ces limitations légitimes ne
peuvent atteindre la substance du droit. L'application du
principe de proportionnalité empêche, en effet, l'adoption de
mesures qui aurait pour effet d'annihiler complètement un
droit. En second lieu, la plupart des conventions prévoient la
possibilité de la proclamation d'un état d'exception permet-
tant de déroger à la plupart des droits protégés. Ainsi, l'ar-
ticle 15 de la Convention européenne permet à un État, << [ e ]n
cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie
de la nation>>, de prendre des mesures dérogeant aux droits
protégés (68). Cet article permet ainsi de déroger complète-
ment aux droits protégés si la situation l'exige (69), à l'excep-
tion des droits indérogeables explicitement prévus.
Les catastrophes écologiques ne sont pas mentionnées
expressis verbis comme une situation justifiant la proclamation
d'un état d'exception. Les formulations employées par les
différents instruments de protection des droits de l'homme
pourraient pourtant, en certaines circonstances, permettre
d'envisager une telle possibilité. Se pose alors la question de
savoir si les catastrophes écologiques peuvent être assimilées à
une situation permettant la proclamation d'un état d' excep-
tion.

A. - La proclamation d'un état d 'except1:on


lors d'une catastrophe écolog1:que

Pour plusieurs auteurs, une catastrophe écologique pourrait


justifier le recours à la proclamation d'un état d'ex cep-

(()/) Artidc:~ g ù 10 dP la ( \)n\~ention europt'•cnne.


(OK) Le:-: tPl'l1l('~ ~ont ;-:pmhlahlc.'-\ ù {'CUX rh~ rarti('h-• +du PadP intPrnntionnl relatif au;.;
droit:-: ('Î\'il:-: et politique:-; (If) ck('PlllhrP HHHL /?e('ll(-'i! rles Truitr:.~-- ,-o1. n!Hî. p. !Il).{\'
dernier. pour dP:-: rai:-:;on:-: politique:-:. ne pr6\'0it pa:-: expre:-::-:6mPnt L1 g·uerTP. mai:-: p]Je c:-:t
(,·idem ment é,h:ah•ment ('OU\'t'rtc. T. th·~<:w:E:\TI-L\L. (i To He:-:pect and to En:--un· ~hül'
Obligation:-: and F\. . nni:-.;sible lkrogation:-: '>. dan-" L. H t•:.:\h:l:\ (C:•d.). The lntr·r/1(/fioJia! Nil/
rd' Hir;hts. ~('\\'·York. { olumllia LTni\- Pn'~~- lHSl. pp. /2-Dl. p. ïD.
1

L';_u·ti(·]r-' 27 de la ( 011\TPlltion nnH-''l'i(•(-Ùl1P l'PlntiY(' aux droit" de rhommP (~Hll .Jo~6.


1

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diill"n'nÜ' en pn''\'o)·ant la po;-;,-.;ihiliü', de prPndrt' de.. , nH\'-'Lll'l'-'-' clôro;2·{'èUÜ aux droit" pro-
t6gé::.: (([Pin t·as dP guPITP. de dnngPr puhli{' ou clan~ tout autre situation dP {'J'Î,'-'P qui
nwnat·c lïnclé>penclcuwc ou la sl'curitl' cl" un l;~tat partie 1>.
({)~)) H. En<:E('. IA·s rlmit.-: de /'honune ri l'r;preiii'P d('.., cirtonsfrtllcr·s t.i'tejJfio)lne/les
/~furie 8111' l'urtith ].) r/r lu eonrentioH tlfi'OJH;I'}/J/('. BnL'\.l'llc.-.:. Bru.\'lant. lDH7. pp. :--5-t-:j;),

liAT. lJ/1. r· LH . !.~ . 799c)


L. BOISSO=" DE CHAZOUIŒES ET R. DESGAGNÉ 47

tian (70). Lors de la négociation de la Convention européenne,


la délégation française avait d'ailleurs proposé que les catas-
trophes écologiques soient explicitement incluses dans l'ar-
ticle 15. Cette proposition avait été acceptée par le comité de
rédaction de la Convention, mais n'a pas été retenue par la
suite (71). Les travaux préparatoires du Pacte internat?:onal
relatif aux droüs àvûs et politiques semblent également aller
dans le sens de la reconnaissance des calamités naturelles
comme pouvant justifier un état d'exception. De nombreuses
législations nationales prévoient également la proclamation de
l'état d'urgence dans de telles situations (72). Cependant, ces
législations prévoient le plus souvent un mécanisme de déclen-
chement de mesures d'assistance et de lutte contre des catas-
trophes ou des accidents majeurs. Elles ne visent pas nécessai-
rement la suspension des libertés publiques.
La Cour européenne a décrit une situation justifiant la pro-
clamation d'un état d'exception comme<([. .. } une situation de
crise ou de danger exceptionnel et irnrninent qui affecte l 'ensernble
de la populat1:on et constitue une rnenace pour la m:e organisée de
la cornrnunauté cornposant l'État. >> (73) De cette description, la
Commission a tiré quatre caractéristiques permettant de quali-
fier une situation comme étant susceptible de justifier la pro-
clamation d'un état d'exception : que le danger soit actuel ou
imminent, que l'ensemble de la population soit affecté, que la
vie de la communauté soit désorganisée et que la crise ou le
danger soit exceptionnel, i.e. que les mesures ou limitations
normalement prévues soient inadéquates (74).
L'actualité ou l'imminence du danger sont certainement des
caractéristiques de certaines catastrophes écologiques. Le
recours à l'article 15 ne pourrait toutefois pas se justifier en
vue de l'adoption de mesures de prévention à moyen ou long

(ïO) T Bt·EHt:EXT.\L. O}J. cil .. p. ïO: .J.F. HAHT:\L-\.\. ((Derogation from Httman Hi,:1.ht~
Trcati('~ in Public l<:mergenviP.'-' >). l!rl!'rorrl ./.I.L JHI)l. \·ol. 22. pp. !-.)2. p. 10:
.J. .JL\Hh:~. (( Le:-; !Jl'ÎlWÎj>L\':l ci llOl'llH\-.; de:-: droit:-; de rhomnH' appli{'ahJt> ...; ('Jl pl'riodf' d"('::\:('('j)-
tion •>. dan:-; K. \r.\~.\1\: (l'd.). fA·-" rlime/P.:ioJis infl'l'nrtfionrtfcs dl'-'i r/mits r!r i'IIOJJIJJU·. Pari:-:.
L'\E:-><'0. HJKO. pp. 1!17-:!:l:?. l'· :?li.
(ï1) .J.F. H.\HTJL\X. id .. p. 20. L'nutt'ur ne dit peL"-' polll'LJUOÎ (·dtc propu.->ition fnt finn-
h~ment é:(·cnt{e.
(72) 1\. ErH:E('. np. l'il .. p. 1+7.
(ï:l) Lall'{ess. ('J;;DH. arrêt du l''' juillet 1\Hil. llu·ueil. ,é'J·ie A. n" :l. p. i)fi. [>Hl'. 2S.
(14) Oreek ('ase. (!omm. E.D.H .. ferrrhoo!.· t~f the ]:,~If!'. ('oru'PIIfion on !hunan Hiuhts.
HHi!J. p. ï2. par. l ii:l.

wn n n r ·Ui 12 - JrJu.;
48 LE RESPECT DES DROITS DE L'HOMME

terme, ou dans des situations où le danger est simplement


potentiel, virtuel ou éventuel (75). En revanche, la doctrine est
divisée sur le fait de savoir si l'ensemble du territoire doit être
affecté, ou si une situation exceptionnelle locale peut justifier
le recours à l'article 15. Pour J. Hartman, <(the en tire state,
rather than a discrete segment population must be
menaced >> (76), mais l'auteur reconnaît également que si une
situation d'urgence locale avait un impact significatif sur les
institutions centrales, le critère pourrait alors être satisfait.
J.E.S. Fawcett exclut toute application de l'article 15 si les
effets de la crise ne sont pas ressentis à l'échelle nationale,
excluant de la notion de (( danger public >>, les événements qui
n'auraient qu'un impact local (77). Pour R. Ergec, <(un danger
limité à une portion de territoire[ ... ] peut donner ouverture au
droit de dérogation, pour autant qu'il présente la gravité
requise [ ... ]>> (78). De même, T. Buergenthal établit une dis-
tinction entre l'ampleur et le sérieux de la menace et l'aire
géographique où la menace apparaît (79).

Dans l'affaire Lawless, la Cour, même si elle reconnaît que


le fonctionnement du système judiciaire et la vie de la popula-
tion ne sont en général pas affectés, n'en conclut pas moins
que la simple existence d'un groupe comme l'IRA pose une
menace à un État démocratique. De même, dans l'affaire
Ir-lande c. Royaume-Uni, la Cour a jugé que la situation en
Irlande du Nord justifiait le recours à l'article 15 du fait que
l'IRA faisait courir <(un danger d'une ampleur et d'une acuité
particulière pour l 'intégrüé du territoire du Royaume- Uni, les
institutions des six comtés et la vie des habitants de la
province>> (80). Dans le cas d'une catastrophe écologique, l'élé-
ment de menace sur le fonctionnement des institutions cen-
trales est cependant plus difficile à établir lorsque les effets ne
sont ressentis que sur une partie du territoire et que la société
n'est que localement désorganisée. Dans le cas de troubles de
nature politique, il est, en effet, plus facile de démontrer que

(75) .T.F. HclnTlJ..I:\. op. rit. p. Hl: R. Enm:c. op. rit .. pp. l4H-l+9.
(76) .J.F. HciH'DLI:\. id., p. Hi.
(77) ,J E.t-1. F.1 \Y('f•:TT. op. rit .. p. :lOR.
(78) R Enm:('. op. rit .. p. 1+2.
(79) T. Rn:w:E:\TH.-\f •. op. r:it .. p. 80.
(HO) Pr{;"it{•e. p. 80. par. :212.

REV. T!JI. CLR- 1:!- J.9.9ci


L. BOISSON DE CHAZOVRNES l~T R. DESGAGNÉ 49

les institutions centrales de l'État sont menacées, même si les


troubles sont confinés à une partie du territoire.
Suivant les termes employés par la Cour, la << vie de la
nation>> s'entend de la <<vie organisée de la communauté com-
posant l'État>>. L'événement doit mettre en danger la vie
organisée de la communauté dans ses institutions, comme le
fonctionnement de l'autorité judiciaire ou législative, ou par la
rupture de l'ordre public, des communications ou des réseaux
de distribution des denrées essentielles, de manière telle que la
vie organisée ne puisse être maintenue (81). A côté des causes
économiques, sociales ou politiques, il n'y a, a priori, pas de
raison d'exclure les catastrophes écologiques (82). Il est permis
de penser que certaines catastrophes peuvent entraîner des
ruptures de l'ordre public assez graves pour remplir cette
condition (83).
Il ne semble donc pas impossible d'envisager que les consé-
quences d'une catastrophe puissent atteindre une ampleur
telle que la situation soit assimilable à une situation d'excep-
tion telle que décrite par la Cour (84). D'autant plus que les
États bénéficient d'une large marge d'appréciation dans l' éva-
luation des situations qui requiert la proclamation d'un état
d'exception :
<<Il incombe d'abord à chaque État contractant, responsable de 'la vie
de [sa] nation' de déterminer si un danger public la menace et, dans l'af-
firmative jusqu'où il faut aller pour essayer de le dissiper.'' (85).

B. A pTOpos de la justij1:cation
d'invoquer un état d'exception
lors d'une catastrophe écologique

Les mesures prises sous le couvert de l'article 15 doivent


être d'une nécessité impérieuse au regard de la situation (86 ).
Cette condition suppose l'application du principe de propor-

(81) J.E.S. FA\\'l'ETT, op. rit., p. 2-!6: R. Enw:c. op. rit .. p. 144.
(82) R. Enm:c. id., p. 14fi.
(8:3) Id .. p. !42: P.R GHAXDHf, <<The Hum an Rights Committee am! Derogation in
Publie Emergeneies ''· G. Y.I.L., !98~. vol. :l2. pp. :32:3-:lfH. p. 323.
(84) Id .. p. !46.
(8!5) lrlnnde r. Royaume-Uni, CEDH. arrêt elu !8 jam·ier HJ78. Recueil, série A. n" 2!5.
p. ï8. par. 205.
(86) J.F. HAltTM ..>.X. op. cit .. p. :3: J. VELl' et R EHuE<'. op. rit .. pp. !42-14:3.

REV. DR. CLR - 12 - 199c)


50 LE HESPECT DES DHOITS DE L'HOMME

tionnalité et d'une obligation de bonne foi (87). Le recours à


l'article 15 n'est donc permis que dans les situations où le dan-
ger est tel que les mesures normalement permises pour le
maintien de la sécurité, de la santé ou de l'ordre public sont
manifestement insuffisantes pour faire face à la situation (88).
L'article 15 ne permet pas le recours à des mesures d'exception
pour les troubles mineurs (89).
Au regard de ces considérations, la possibilité d'invoquer la
survenance d'une catastrophe écologique pour justifier des
mesures dérogeant aux droits protégés est très difficilement
envisageable. Cela tient avant tout au fait qu'il est peu pro-
bable que des catastrophes écologiques puissent justifier des
limitations autres que celles qui sont légitimes du fait qu'elles
préservent l'intérêt général, et qui sont déjà prévues par les
articles pertinents dans leur application normale (90). De plus,
parmi les droits auxquels l'État ne peut déroger, l'article 4,
par. 3 ( c) de la Convention prévoit spécifiquement la réquisi-
tion de travaux de secours en cas de << crises ou de calamités
qui menacent la vie ou le bien-être de la communauté>> (91),
visant ainsi plus particulièrement les situations telles que les
catastrophes écologiques. La question de savoir dans quel cas
le recours à l'article 15 se révèle indispensable devient ainsi
théorique, notamment parce que les motifs légitimes de res-
triction au droit au respect de la vie privée englobent la
défense de l'ordre public, la protection de la santé et la protec-
tion des droits et libertés d'autrui (92). Ces objectifs sont sus-
ceptibles de justifier la plupart des mesures qui pourraient être
adoptées à la suite d'une catastrophe écologique.

(87) .J.F. HARBL,:\. id .. p. 17: ,J. VEIX et R. ERCE<'. id., p. 14:i.


(88) R. ERUEC. op. rit .. pp. 1:>7-1:38: .T. VEIX et R. ERUEL', id .. p. 14:i.
(89) .J.F. H.,RniA:\. op. cit., p. 16.
(90) H. JI.,L':\DEZ-LEDE~'IA. "La proteceion de los derechos humanos en situa<·iones
de emergencia •>, dans T. BFERCE:\TH.,L (éd.). Contempom.ry hs-ues in fnterna.tional Lm.c.
Essays in Hono,!r of L.R. 8ohn, KehljStrasbourgjArlington, 1\.P. Engel. 1!)84. pp. Hll-
126, p. 11:3: R.E. KoRRI' et P.D. REno:-.:," The Suspension of Guarantees •>. A111. [.'ni1·.
L.R., 198L pp. Ul9-22:3. p l!l9.
(91) Ci. TRK\IBL:\ Y.<( Les situations cl" urgence qui per1nettent en droit international de
suspendre les droits de l'homme •>, Cahie-r de droit. lH77. pp. :3-60, pp. 21 et s. L'article 4.
par. :3. lettre h) de la Cmwention européenne spécifie cependant que<< tout serviee requis
dans le ras de crises ou de c•alamités qui menacent la vie ou le bien-être de la <·ommu·
na.uté >> ne cl oit pas être eonsidéré c:om1ne un <( tra v· ail forcé ou obligatoire )) au sens de Lu-
ticle 4. Une exeeption similaire est également prévue à l'art.ide 8(:3)(e)(iii) du Pacte relat.if
aux droits civils et. politiques.
(92) Convention européenne, art.. 8, par. 2.

RE V. DR. FLB - 1:2 - 1.99!5


L. BOISSON DE CHAZOURNES ET R. DESGAGNÉ 51

En outre, la proclamation d'un état d'exception présenterait


le risque de restreindre l'exercice du droit à l'information dont
le respect est pourtant essentiel lors d'une catastrophe écologi-
que.

CoNCLFSION

Le respect des droits de l'homme est mis à l'épreuve lors de


catastrophes écologiques. Il s'agit alors d'identifier les restric-
tions qu'un Etat peut imposer à leur exercice, sous le couvert
de motifs impérieux, sans pour autant qu'il puisse invoquer un
état d'exception au sens de l'article 15 de la Convention euro-
péenne des droits de l'homme. Certains des droits protégés
contribuent à une meilleure protection de l'environnement et
leur respect devrait être garanti en toute circonstance. Le
droit à l'information joue dans ce contexte un rôle important
en favorisant une meilleure participation du public et la trans-
parence du processus de prise de décision des autorités.

RET". DR. CLB · 12 · 19915

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