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Idées politiques contemporaines

Introduction
Il s'est constitué un paradigme écologique. Il ne faut pas l'entendre au sens courant. Il renvoie à
l'idée d'une cosmogonie, une vision globale du monde. On appelle cela weltanschauung. Le
paradigme est une vision du monde, un système de croyances, d'idées, de valeurs … qui illustre la
perception du monde. Il y a un paradigme écologique en concurrence avec d'autres. Ce paradigme
peut être comparé avec certains éléments objectifs comme l'état de la planète. Ceci vient de la
science qui apporte des connaissances. Ce qui guide la science semble corroborer davantage le
discours écologiste. C'est comme si le réel empirique se mettait à ressembler au modèle analytique,
à la théorie.
Ce paradigme écologique est une idéologie écologiste. Elle puise aux sources les + diverses et les +
contradictoires. On a affaire à une pensée hétérogène, multiforme. Elle est polymorphe. On ne peut
pas la réduire à une seule orientation, au clivage droite / gauche. Il faut faire le constat de l'actualité
qui est omniprésente. Cette prégnance de l'actualité permanente dans les questions écologiques se
manifeste dans les débats sur les OGM, le gaz de schiste, le trou dans la couche d'ozone, le
réchauffement climatique, la fonte des glaciers et la montée du niveau des océans, la déforestation,
les pollutions diverses …
Les catastrophes naturelles peuvent aussi provenir de l'homme. Le cyclone Katrina a dévasté la
Louisiane. La catastrophe est naturelle mais les conséquences proviennent de l'action humaine.
Avant, il y avait eu d'importants cyclones mais on a mis en place des digues pour rendre
constructibles des zones qui ne pouvaient pas l'être.
La tempête Xynthia a touché la Vendée et la Charente-Maritime. C'est la combinaison d'une marée à
fort coefficient, des vents violents … Le bilan humain a été important puisque des habitations ont
été construites en zones inondables.
En 2011, on ne peut pas réduire la catastrophe de Fukushima au tsunami. La catastrophe fut
imprévisible et on n'a pas pu tout prévoir.
Ceci renvoie à une illustration de Paul Valéry, au début des années 1930, quand il dit « le temps du
monde fini commence ». Ainsi, on ne peut parler de catastrophes naturelles puisqu'on retrouve la
main de l'homme. On a toute une filiation philosophique qui va essayer d'avoir une réflexion. La
catastrophe est pensée non comme quelque chose qui relève du circonstanciel et de l'accident mais
qui va insister sur son caractère indissociable des sociétés basées sur la technique. Jacques Ellul dit
qu'avec le nucléaire, ce qui est prévisible, c'est l'imprévisible. Le thème de la catastrophe va être
pensé comme constitutif de nos sociétés.
Gunter Anders (1914-1992) a consacré sa réflexion sur la question du statut de l'homme après les
bombes atomiques sur Nagasaki et Hiroshima. Il a parlé d'immoralité de l'âge atomique. Il a
séjourné au Japon dévasté par les bombardements. Il a réfléchit sur la question nucléaire en
soulignant les conséquences irrévocables de ces bombardements et + généralement sur le danger de
l'apocalypse que fait courir cette énergie. Il a réalisé une série d'articles regroupés sous un recueil :
La menace nucléaire. Il a publié après la catastrophe de Tchernobyl des conférences. Il affirme que
le nucléaire a transformé notre statut métaphysique. Il dit « nous sommes passés du rang de genre
de mortel à celui de genre mortel ».
Jean-Pierre Dupuis s'est inspiré de Ellul et se réclame de Illich qui a refusé la technique. Dupuis a
essayé de théoriser cette pensée de la catastrophe dans Pour un catastrophisme éclairé.
Ulrich Beck a écrit La société du risque.

Au-delà de cette question des catastrophes, il y a d'autres marqueurs de l'omniprésence de


l'écologie. On trouve la question de la raréfaction des ressources dans les océans. On constate une
diminution voire une disparition de certaines espèces.
On trouve les problèmes liés à l'eau potable. L'accès à l'eau risque d'être une somme de discorde

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dans le monde. La sécheresse aggrave en + les choses.
On trouve aussi les phénomènes de disparition de la biodiversité. Ces marqueurs dénotent
l'existence de quelque chose. Ce sont des signaux. De nouvelles normes sont établies. On peut
évoquer le principe de précaution, le développement durable, les sommets de la Terre, le protocole
de Kyoto … La charte de l'environnement a été intégrée aux principes de la Constitution depuis
mars 2005. Lors de la présidentielle de 2007, pratiquement tous les candidats ont signé le pacte
écologique de Nicolas Hulot.
Cette thématique de l'environnement est trans-partisane. Après le pacte, il y a eu les Grenelles de
l'environnement. La France a eu l'occasion de se mettre aux normes européennes. La pensée
écologiste ne peut être limitée aux aléas électoraux.
On peut constater l'omniprésence de la thématique écologique dans les discours politiques et
médiatiques. Elle ne peut être écartée conjoncturellement que par le phénomène de la crise. On peut
dire que c'est l'idéologie dominante du moment. On assiste dans ce discours à une inversion de ce
qui a été dit pendant des siècles en ce qui concerne la nature. On a dit qu'elle était une menace pour
l'homme. Désormais, c'est l'homme qui menace la nature. Ce discours est décliné de différentes
façons. Ceci provoque néanmoins des réactions de rejet. Une réponse à ce discours dit qu'en réalité,
les écologistes menacent la démocratie.
Dans un article de 1990 intitulé Pour l'amour de la nature, la haine des hommes dans la revue Le
débat, Marcel Gauchet a une réponse au discours écologique. 2 ans + tard, Luc Ferry, dans Le
nouvel ordre écologique, dénonce aussi ce discours écologique. Il parle de « fascisme vert ».
Les écologistes menacent la démocratie. Ensuite, on dénonce les effets pervers. Un discours trop
alarmiste provoque la démobilisation, cela renvoie à l'impuissance humaine.

Le lien entre écologie politique et écologie scientifique n'est pas établi. L'écologie scientifique
propose d'étudier les relations des organismes avec leur environnement. Le mot a existé après la
chose. Il a existé au XIXème. On a pratiqué l'écologie scientifique à cette époque même avant. Il ne
faut pas se contenter du nominalisme. On attendu le XIXème pour mettre un nom sur ce concept.
Anaximandre est le 1er théoricien de la biologie. Il affirme que l'humain est issu de la vie animale,
il a la même origine. Les organismes vivants s'adaptent à leur milieu.
Empédocle, vers le Vème avant J-C, développe l'idée de la sélection naturelle chez les plantes et les
animaux.
Avec Platon, l'apport le + important est l'analyse de l'évolution des paysages. Il montre quels sont
les paysages vus par un athénien au IVème. Platon montre le phénomène de l'érosion des sols et la
déforestation.
Hippocrate fait le lien entre la qualité de l'air et la consommation sur l'influence du milieu dans
lequel les organismes vivent.
Aristote a rédigé une histoire des animaux dans laquelle il fournit des éléments technologiques. Il a
une méthode comparative, il a une conception évolutionniste de la nature et il invente les concepts
de genre et d'espèce.
Sur le plan philosophique, anticipant l'écologie politique, Platon avait pointé un certain nombre de
dangers liés à la puissance technicienne. À la même époque, chez les cyniques grecs, un discours
selon lequel on trouve la volonté « d'ensauvager la vie ». Face à l'intellectualisme platonicien,
ensauvager la vie veut dire que la vraie vie ne réside ni dans la grandeur économique, ni dans la
puissance militaire symbolisée par Alexandre le Grand. Le cynique grec refuse de respecter les
règles de la société. On trouve l'idée de « vivre comme un chien ». Il s'agit de remettre en question
l'ensemble de l'organisation sociale et les considérations morales. C'est un appel à la vraie vie. Il
s'agit de « parler vrai » à l'égard du puissant. C'est le courage du risque de déplaire.

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Il est illusoire d'expliquer l'écologie par une simple histoire des idées scientifiques, philosophiques
ou politiques. L'écologisme est le produit d'un système de croyances, d'un paradigme ainsi que
d'une réalité objective relative à une dégradation sur la durée de l'état de la planète.
Il faut considérer cette pensée écologiste comme un corpus, une idéologie politique qui fonde sa
légitimité sur l'autorité de la science. Pour Boudon, toute idéologie repose sur la science.
Mais cette idéologie là + que toutes les autres tirerait sa légitimité de la science ?
Il y a un va et vient permanent entre des faits sociaux, économiques, politiques, sanitaires … et des
théories interprétatives. C'est la conjonction des 2 qui a permis une prise de conscience écologiste.
Quand on parle de cette prise de conscience, il faut montrer que c'est une crise de la nature. La prise
de conscience écologiste ne peut se dater précisément.

On peut évoquer la création de la fondation Sierra Club en 1892. C'est la 1ère ONG de protection de
l'environnement. John Muir a créé cette fondation. Il a été très engagé pour la préservation des
forêts aux USA. On lit parfois qu'il était conservationniste et préservationniste. Il est en réalité
préservationniste.
Le conservationnisme fait allusion à la gestion de la nature afin de maximiser l'efficacité des
ressources. Il faut cependant éviter la surexploitation.
Le préservationnisme considère que les crises environnementales sont les conséquences de l'impact
des activités humaines sur la nature. C'est le symptôme d'un déséquilibre. Les crises
environnementales invitent à une remise en cause radicale du productivisme techno-industriel. Ce
préservationnisme se situe sur un plan éthique. Il évoque la grandeur et la beauté de la nature en soi.
Sur des bases scientifiques, cette idée invoque le travail des écologues et des géologues.
Dès le départ de la création de cette ONG, 2 conceptions s'affrontent. On peut opposer la croissance
et le développement durable actuellement.
Muir estime que le conservationnisme est le fait de « transformer une cathédrale gothique en dépôt
de marchandises ».Ainsi, le conservationnisme a une vision utilitariste de la nature.

Aux USA, de 1930 à 1936, il y a eu un désastre écologique. C'est la période de la grande


dépression. Ce désastre est une série de tempêtes de poussières abattue sur le sud-ouest sur les
régions des grandes plaines américaines et aussi au Canada. Ces tempêtes ont eu pour origine des
sécheresses à répétition et une mauvaise utilisation du fer suite à un labourage intensif.
L'automatisation a été excessive, il n'y a pas eu de rotation des cultures et on constate l'absence de
techniques pour prévenir l'érosion des sols. Des millions d'hectares de ces terres arables sont
devenus incultivables ce qui a conduit entre 500.000 et 3 millions de personnes à quitter les
campagnes. Ainsi, Roosevelt a créé en 1933 un organisme : le sol conservation qui existe toujours
sous un autre nom chargé de la sauvegarde des ressources naturelles et de l'environnement. Cette
période des années 1930 a été propice à l'écologie scientifique américaine. Il y a eu une
combinaison entre l'écologie politique et scientifique. Ceci favorise la prise de conscience de la
nécessité de préserver les ressources naturelles.
En France, suite à une conférence internationale, est créée l'union internationale pour la
conservation de la nature (UICN). Le siège est basé actuellement en Suisse. Cette organisation
regroupe 83 États, 108 agences gouvernementales, près de 800 ONG. Ses missions sont la
protection et la conservation de la diversité biologique. Il y a l'établissement de listes rouge
d'espèces menacées.
On peut évoquer la publication d'un livre de 1954 par Fuil qui fut un best-seller aux USA. C'est une
réaction contre la société productiviste et marchande. Il relève de l'écologie politique libertaire,
décroissanciste, personnaliste …
Les grandes tragédies industrielles sont de + en + importantes comme celle de Minamata qui est une
pollution au mercure. Toute la chaîne alimentaire a été contaminée car des métaux lourds ont été
déversés dans une baie.

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En 1961 est créé le world wildlife found, ancêtre de la WWF. Cela a été créé par un biologiste
britannique. Il s'agit de Julian Huxley. Depuis 2001, c'est WWF, c'est une ONG chargée de la
protection de l'environnement. On trouve aussi Alliance pour la planète.
En 1962 est publié Le printemps silencieux de Rachel Carson qui est une biologiste américaine. Ce
livre dénonce le danger de l'abus des produits chimiques, des pesticides, des insecticides … Ces
abus sont ceux de l'industrie agroalimentaire mais ils touchent les activités + modestes comme le
jardinage. Dans certains jardins, on trouvait des taux d'engrais et de pesticides 100 fois supérieurs à
la normale.
L'industrie chimique réagit, elle fait appel à ses propres experts et par une campagne de diffamation
en la faisant passer pour étant à la solde du KGB. Cette affaire est considérée comme étant la 1ère
controverse politico-scientifique sur un sujet lié à l'environnement. Cela marque l'acte de naissance
du mouvement environnemental mondial. La notion d'environnement est mettre l'homme au centre
de la nature voire au-dessus, ceci est contesté par les écologistes car c'est une notion
conservationniste.
La question du nucléaire est contestée. L'URSS entretenait le pacifisme chez les occidentaux. Ils ont
interdit l'expérience des essais nucléaire dans l'atmosphère, dans l'espace et sous l'eau. La France a
refusé de signer ce pacte et on a vu se développer un mouvement antinucléaire écologiste français
comprenant un certain nombre de scientifiques. Ils refusaient les essais nucléaires.

En 1969, c'est la fondation des amis de la Terre aux USA de Brower. C'est une scission au sein du
Sierra Club. Des membres ont rompu du fait de la pensée environnementaliste du Sierra Club sur la
base du nucléaire. En effet, ce dernier refusait de s'engager sur le nucléaire militaire et civil.
En France, 1969 correspond à l'année où, à l'initiative de Chaban-Delmas, le gouvernement a une
réflexion visant à coordonner les différentes structures administratives en rapport avec
l'environnement. On trouve des organisations comme les eaux et forêts. Cette initiative s'inscrit dans
le cadre de ce que le 1er ministre avait appelé la nouvelle société qui prenait acte de Mai 1968.
Cette réflexion va se traduire par la commande d'un rapport. On confie à un fonctionnaire la
responsabilité de constituer une équipe visant à mener la réflexion.
En 1970 est créée la branche française des amis de la Terre et cette organisation se trouve à l'origine
des principaux leaders des mouvements écologistes. L'organisation internationale WWF va
s'étendre à + de 70 pays. Dans les années 1970 on trouve Greenpeace. Cette ONG a été créée en
1971 au Canada par des opposants au nucléaire, aux essais nucléaires notamment par Paul Watson.
C'est aussi une ONG de protection de la nature et de l'environnement. Elle tente de faire respecter le
droit au sein de l'environnement, elle s'est opposée à la pêche à la baleine. Cette ONG est présente
dans environ 160 pays, elle a un grand nombre de salariés. Elle revendique + de 3 millions
d'adhérents. Elle a beaucoup de moyens. On trouve des militants bénévoles et professionnels ce qui
est un cas particulier.
On trouve aussi le rapport Meadows. C'est ce qu'on a appelé le club de Rome qui a commandé un
rapport. Il a été traduit en Français en 1972 sous le titre Halte à la croissance ? Le club de Rome
était une association d'intellectuels, de chercheurs, de décideurs … dont on trouve Bertrand de
Jouvenel, auteur Du pouvoir et il a fondé une revue : Futurible. Cette association a analysé l'activité
humaine comme un système global à l'échelon mondial. On retrouve dans cette démarche la pensée
de l'activité humaine comme un tout et on est déjà dans un système de mondialisation. Le club de
Rome réfléchit dans cette perspective. Dans le rapport, on trouve explicitement la notion de
développement durable. Les membres du club de Rome sont des entrepreneurs, des décideurs qui
veulent concilier développement économique et la protection de la nature. Il s'agit d'un
développement durable, on trouve les notions d'empreinte écologique. Ce livre ouvre le débat sur
les dangers biologiques de la croissance économique et de la croissance démographique. La
conclusion de ce rapport va dans le sens d'une croissance zéro. Cela va contre les Trente Glorieuses.

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En 1970, un rapport est transmis aux gouvernements, on va le retenir sous le nom de rapport Louis
Armand. À l'occasion de ce rapport, l'environnement est inventé comme un sujet de politique
publique. Il va être transformé en un programme approuvé en conseil des ministres en juin 1970 et
vendu. On trouve 100 mesures pour l'environnement.

Le ministère de l'environnement va être créé à l'initiative de Chaban-Delmas en janvier 1971. Ce


sera le ministère de la protection de la nature et de l'environnement. Le 1er ministre de
l'environnement sera Robert Poujade.
En novembre 1972 est fondé le 1er magazine écologiste français. Il est fondé et animé par un
journaliste de Charlie Hebdo militant pacifiste. Il s'agit de la Gueule ouverte de Pierre Fournier.
Dans la même période, c'est la publication en 1972 d'un rapport : Nous n'avons qu'une seule Terre.
Ce rapport est cosigné par la scientifique Barbara Word et par le biologiste et écologue américain
d'origine française René Dubos. Il est à l'origine de la formule « pensez localement, agissez
globalement ». Ce rapport est un document préparatoire à la conférence de Stockholm. Cette
conférence est la conférence des nations-unies sur l'environnement humain. C'est la façon dont se
tiennent les sommets de la Terre. La conférence de Stockholm est le 1er sommet de la Terre cette
conférence est la 1ère d'une longue série, elle est consacrée à la pollution et aux pluies acides en
Europe du nord et de l'est. Elle débouche sur la création d'une agence nationale de protection de
l'environnement et sur la création d'un programme onusien qui est le programme des nations-unies
pour l'environnement. On trouve le concept d'éco-développement. Il s'agit de réconcilier le
développement économique avec l'environnement. Il s'agit d'un « devoir de protection de
l'environnement pour les générations présentes et futures ».
A la même époque, un élément est le reflet de cette conférence de Stockholm et qui témoigne de
l'écho suscité par le rapport Meadows. Le Nouvel Observateur vend 220.000 exemplaires d'un
numéro intitulé La planète est-elle menacée ? À partir de ce succès, des groupes décident de lancer
un magazine spécialisé : Le sauvage qui est le 1er magazine écologiste français en avril 1973. Il va
durer jusque dans les années 1990. Ce magazine est animé par André Gorz, la diffusion ira jusqu'à
40.000 exemplaires.
En 1973, La CFDT produit Les dégâts du progrès. À l'été 1973, c'est la guerre du Kippour. Cette
guerre va déclencher un embargo décidé par l'OPEP contre les alliés réels ou supposés de Israël. Cet
embargo va créer le 1er choc pétrolier. Cela se traduit par le quadruplement du litre de carburant.
Cet embargo va provoquer une prise de conscience de la dépendance énergétique des occidentaux à
l'égard de l'énergie. On trouve les 1ères campagnes de sensibilisation. On quitte l'idée d'énergie
gratuite pour entrer dans la vulnérabilité et la dépendance. L'énergie n'est pas inépuisable.
On peut évoquer la catastrophe de L'amoco Kadiz. Un déversement de pétrole au large de la
Bretagne a eu lieu, 227.000 tonnes de pétrole polluent la Bretagne. C'est la + grande marée noire
jamais enregistrée avant celle qui a touché le golfe du Mexique au printemps 2010. C'est une façon
de nous rendre compte que nos économies sont dépendantes en matière énergétique et cette source
principale manque. On trouve alors la formule « en France on n'a pas de pétrole mais on a des
idées ». Il s'agit d'une crise de pétrole. Tous les consommateurs ont besoin d'un produit pour se
chauffer et se déplacer mais qui est polluant. Il y a eu 227.000 et en 1999, pour l'Erika, on a eu
moins de 10.000 tonnes. En 1999, la ministre de l'écologie Dominique Voynet est en vacances à ce
moment-là. L'opinion publique française a mal perçue la chose. Mais la crise a Mexique a provoqué
+ de 700.000 tonnes. On voit alors le caractère relatif des frontières nationales avec ces niveaux de
pollution. Mais il n'y a pas de gouvernance mondiale de l'environnement.

Le concept de développement durable en tant que tel apparaît en 1980 dans un rapport qui fut
présenté dans le cadre du programme des nations-unies pour l'environnement.
Sur le terrain du nucléaire, on a vu que la construction des centrales nucléaires avait provoqué une
scission au sein de la mouvance environnementale (Amis de la Terre). On a vu une autre scission

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contre les essais nucléaires (Greenpeace). On découvre aussi la thématique de la catastrophe suite à
Tchernobyl le 26 avril 1986. On a affaire à une explosion radioactive massive. Le nuage radioactif a
survolé l'Europe. Les concentrations ont été toxiques jusqu'en Corse. Le professeur Pellerin avait le
rôle de l'expert. Il a été membre du commissariat à l'énergie atomique. Il a touché 5 millions de
personnes environ mais cette estimation est basse. La communication a voulu être rassurante. Mais
cette catastrophe a provoqué la perte de la crédibilité du discours politique. C'est le thème « on nous
ment ». Cette catastrophe a marqué la mondialisation des problèmes environnementaux et de la
conscience écologique. La France a voulu rassurer car elle est très engagée dans le nucléaire civil.
Dans les questions écologistes, il va y avoir des débats entre experts. La CRURAD est un
organisme indépendant. Les scientifiques membres pensent que l'opinion a droit à une information
correcte. Cette affaire a entamé la crédibilité de la parole publique pour longtemps.

En 1987, le rapport Brundtland, 1ère ministre norvégienne, prépare le sommet de Rio. Il définit le
concept de développement durable. Il s'agit d'un « développement qui s'efforce de répondre aux
besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de
répondre au leur ».
Il se créé le GIEC en 1988. C'est le groupe d'expert intergouvernemental sur l'évolution du climat. Il
alerte les décideurs sur l'éventualité d'un réchauffement climatique lié à l'émission de gaz a effet de
serre.
En 1990, c'est le 1er rapport du programme des nations-unies sur le développement humain qui
utilise pour la 1ère fois un indicateur : l'IDH (indicateur de développement humain) qui est une
alternative au PIB en prenant en compte des éléments qualitatifs. C'est le 1er sommet de la Terre à
Rio. C'est la conférence des nations-unies sur l'environnement et le développement. Ce sommet de
Rio débouche sur le plan d'action 21 (XIème siècle). Ce plan d'action adopte une convention sur la
biodiversité, mise en place d'une convention cadre des nations-unies sur le changement climatique
et qui débouche essentiellement sur une déclaration de l'eau. Le plan mondial action 21 est décliné
localement en ce qu'on appelle l'agenda 21 qui constitue un élément de la politique du ministère de
l'environnement français. Cet agenda 21 comprend une liste de 2500 recommandations d'actions du
XIème siècle. L'agenda de Rio reconnaît 9 groupes d'acteurs :
– les ONG
– les salariés et les syndicats
– les collectivités territoriales
– les entreprises et industries
– les communautés scientifiques et techniques
– les enfants et la jeunesse
– les femmes
– les paysans
– les peuples et les communautés autochtones
Il s'agit de mobiliser les acteurs non étatiques. Est affirmé le principe de précaution, l'intégration de
la protection de l'environnement dans le développement. C'est le principe du pollueur-payeur. On a
l'idée de la constitution d'une véritable gouvernance environnementale.

Ce principe de précaution est constamment évoqué. Dans les années 1970, les pluies acides étaient
provoquées par l'industrie chimique, ça concernait l'Allemagne et les Allemands avaient invoqués
ce principe. Dans un article de janvier 1972, l'auteur pose les bases du principe de précaution, il en
défend l'idée. Il constate qu'avec les progrès techniques, il peut comporter un risque, on attend la
catastrophe et une fois que c'est fait, il faut prendre des mesures mais c'est trop tard. C'est un article
intitulé Plaidoyer contre la défense de l'environnement.
Le principe de précaution est : « l'absence de certitudes scientifiques ne doit pas servir de prétexte
pour remettre à + tard l'adoption d'une idée visant à prévenir la dégradation de l'environnement ».

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Cette revendication écologiste, ce soucis de protéger la nature provoque un discours an-tiécologiste.
Un livre, Le nouvel ordre écologiste, a disqualifié auprès de nombreux milieux une partie de cette
revendication écologiste.
1993 est l'année où on découvre le chef Raoni dans la protection des peuples autochtones et il
montre les menaces de la déforestation. Il revendique des zones démarquées c'est-à-dire des zones
protégées dans l'état du Mato Grosso au Brésil.
La période l'après Rio va être celle des grandes attentes surtout de la part des ONG. Ces dernières
vont être déçues. Les différents gouvernements se sont montrés prudents voire réticents à
concrétiser les promesses de ce sommet. Certaines mesures ont été prises. En France, en 1995, il y a
eu la loi Barnier qui renforce la protection de l'environnement. On constate une augmentation des
tensions entre le paradigme écologique et le mythe de l'expansion.
5 ans après Rio, on peut parler de régression. Rio n'a pas été à la hauteur des enjeux et les
gouvernements ayant participé à ce sommet n'ont pas été à la hauteur des engagements pris. L'ONU
proclame solennellement que la part du PNB consacré à l'environnement n'a pas augmenté mais elle
a sensiblement régressé (de 0.35% à 0.25%).
La conférence de Kyoto réunit + de 160 pays. Son objectif était de réduire l'émission de gaz à effet
de serre. On parle de protocole de Kyoto. Ce protocole élaboré avec beaucoup de soins n'a pas été
signé par un certain nombre de pays en voie de développement. Ils y ont vu un moyen de les
empêcher de rattraper leur retard de croissance de la part des pays occidentaux. Les USA n'ont pas
ratifié le protocole de Kyoto tout comme l'Australie.
En 1998, c'est la polémique autour des OGM et elle est toujours d'actualité.
En 1999, c'est la tempête qui est forte et dévastatrice. Elle touche la France et une partie de
l'Europe. Les destructions sont importantes et la forêt subit des gros dégâts.
En 2001, c'est le 1er forum social mondial de Porto Allègre avec la naissance d'un slogan : « Un
autre monde est possible ». Il s'agit de remettre en cause le monde actuel. Ceci a été repris par les
mouvements alter-mondialistes et décroissancistes. José Bové est très présent au forum social
mondial. La même année, on trouve la loi sur les nouvelles régulations économiques en France.
C'est l'obligation pour les entreprises cotées en bourse d'induire dans leur bilan annuel un rapport à
la fois sur leur gestion sociale mais aussi sur leur gestion environnementale.
En 2002, c'est le 2nd forum social de Porto Allègre et c'est le sommet mondial de Johannesburg sur
le développement durable. Il s'agit de lutter contre la pauvreté et l'inégalité et puis, de renforcer la
protection de l'environnement. Le développement durable est l'idée qu'on peut faire du
développement, de la croissance économique tout en préservant l'environnement. On retient la
formule, celle de Jacques Chirac « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». C'est l'idée
qu'on prend en compte la nécessité d'inclure les entreprises et divers acteurs dans les objectifs. Les
acteurs sont les collectivités locales, les administrations, les citoyens, les associations et le
entreprises. Le pouvoir central n'est pas privilégié.
En 2003, c'est la question de l'eau qui est à l'origine de conflits dans le monde. L'accès à l'eau est un
droit fondamental.
En 2005, c'est le protocole de Kyoto ratifié par 151 pays. Désormais, tous les pays industrialisés,
excepté un, se sont engagés à réaliser + de 5% de réduction dans leur émission de gaz à effet de
serre pour la période 2008-2012. Les USA ont refusé la ratification. Obama a menacé le Congrès
d'agir par voie de décret s'il refuse de ratifier le texte. Ce pays compte pour 1/3 de l'émission des
gaz à effet de serre.
En mars 2005, la charte de l'environnement est intégrée dans la Constitution, elle consacre le droit
de l'environnement dans l'ordre juridique français. L'art. 1 dispose « chacun a le droit de vivre dans
un environnement équilibré et respectueux de la santé ». Certains y ont vu le risque de voir opposer
à la Constitution à toute entreprise humaine. L'art. 5 invoque le principe de précaution.
On a eu des critiques sur le fait que le principe de précaution ne va pas assez loin. Il est fondé sur la
notion d'acceptabilité sociale, sur l'idée de proportionnalité des mesures et des moindres coûts.

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Le film de Al Gore, Une vérité qui dérange, peut avoir une tonalité catastrophiste ou alors, c'est une
vision réaliste de la planète.
En décembre 2006, c'est pacte écologique proposé par Nicolas Hulot aux candidats à la
présidentielle. Ce pacte a été signé par la quasi-totalité des candidats.
En 2007, c'est la diffusion à Paris du 4ème rapport du GIEC (groupe d'experts intergouvernemental
sur l'évolution du climat) sur le réchauffement climatique. Il confirme la nécessité d'établir un lien
de causalité direct entre la responsabilité humaine et le réchauffement climatique. La même année,
c'est le fait conférer le titre de ministre d’État au ministre de l'écologie, du développement et de
l'aménagement durables à Alain Juppé. C'est le signe qui montre que ce ministère sera valorisé. En
juin, c'est l'entrée en vigueur de la directive Reach. C'est le règlement sur l'enregistrement,
l'évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques. Elle a maintenant force de loi et
elle concerne les États membres de l'UE. Le fabricant doit, jusqu'à 2018, tester la toxicité de 30.000
substances sur environ 100.000 utilisées en 2007. De +, le fabricant doit démontrer que le produit
mis sur le marché est sain, il y a un renversement de la preuve. Le Grenelle de l'environnement fait
penser au siège du ministère du travail lors des négociations de Mai 1968. Ce Grenelle est l'affaire
du gouvernement qui réunit des ONG, des associations de protection de la nature, des syndicats
dans le but de définir des grands axes politiques du développement durable. Courcillot conteste le
rapport établi par le GIEC et la part prise par le CO2 dans le réchauffement climatique. Il est
contesté + tard.

En 2008, la France annonce qu'elle est prête à étendre les cultures OGM sur son territoire. C'est
l'année internationale de la Terre. C'est aussi la publication d'un rapport de l'OCDE : Perspectives de
l'environnement à l'horizon 2030. Il sera qualifié d'alarmiste.
En juin 2009, c'est la journée mondiale de l'environnement. Il y a des manifestations. C'est la
projection dans 127 pays du film Home de Yann Arthus-Bertrand. En août, c'est la loi Grenelle I. en
décembre, outre une polémique à la veille du sommet de Copenhague, c'est le sommet sur le climat,
il est présenté comme étant le sommet de la dernière chance. Mais ce fut un fiasco. Le GIEC
attendait de l'accord de Copenhague la division par 2 des émissions de gaz à effet de serre d'ici à
2050 par rapport aux chiffres de 1990. Le but était de limiter l'augmentation des températures à 2°
avec ses conséquences humaines et environnementales. Pour limiter cette augmentation à 2°, dans
l'accord de Copenhague, des engagements chiffrés précis et datés ont été fixés avec un certain
nombre de sanctions en cas de non respect des engagements qui auraient été pris par tous les pays
signataires. Les États industrialisés, les pays en voie de développement et les pays émergents ne
sont pas parvenus à s'accorder sur les moyens, les mesures de réduction des émissions de gaz à effet
de serre.
En dépit des objectifs affichés, rien de concret en est sortie. C'est en raison de la persistance de la
souveraineté étatique et des égoïsmes nationaux. On constate une impuissance des États. Ils
empêchent les autres de faire des actions. Il y a eu l'impossibilité de diviser / 2 l'émission de gaz à
effet de serre, personne ne s'est mis d'accord entre les pays en voie de développement, les
industrialisés et les émergents. La Chine n'entend pas renoncer à son développement, elle refuse de
se voir contrôler son rejet de gaz à effet de serre. Elle ne veut pas limiter son développement. Rien
ne peut se décider en dehors du duo sino-américain.

L'année 2010 est l'année internationale de la biodiversité.


En début 2011, on a la publication d'un rapport du world institute qui conclut la disparition totale
des massifs coralliens en 2050. 75% des coraux sont déjà menacés. 2011 est l'année internationale
des forêts et de la chimie. En mars, c'est la catastrophe de Fukushima. C'est un séisme, un tsunami
et un accident nucléaire. L'arrêt du système de refroidissement a provoqué cette catastrophe. C'est
un accident de niveau 7. C'est grave dans un des pays les + technicisé du monde. Ce qui a été perçu,
ce n'est pas tant la dangerosité mais l'idée selon laquelle ça été dû à une forme de développement.

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Le Japon est le pays de l'innovation technique. Cet accident renvoie à l'idée de la fragilité de la
puissance technique. Cette catastrophe a des répercutions sur la façon dont la poursuite des
programmes d'équipements nucléaires va se dérouler en Europe principalement. Certains
programmes vont être freinés voire abandonnés. Ceci a des répercutions sur les gouvernements et
les opinions publiques. La conférence de Durban, dans le cadre de l'ONU, traite des changements
climatiques. L'objectif est la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le bilan est mitigé.

En 2012, on peut évoquer le sommet de Rio et la thématique retenue de l'ONU, c'est l'année
internationale de l'énergie durable pour tous.
Le sommet de Rio + 20 a été rebaptisé par ses détracteurs Rio en vain. On en attendait beaucoup.
190 États étaient représentés mais il manquait des chefs d’États et de gouvernements. C'est le signe
d'une faible mobilisation. Les chefs d’États occidentaux ont été absents à la différence de ceux des
États en développement. La déclaration finale est intitulée : Le futur que nous voulons. Elle a été
contestée par la plupart des ONG en raison de sa généralité et par son abstraction. Son contenu
semble déconnecté de l'état réel de la planète. Les désaccords ont porté sur la transcription d'une
économie verte. Certains ont voulu combiner le développement économique avec la protection de la
nature. Ce projet a été porté par les pays industrialisés et les multinationales. Cet objectif est balayé
par l'opposition déterminée des pays émergents parmi lesquels on trouve le Brésil car il y voit, dans
cette obligation, une sorte de double peine, un obstacle au développement économique. Ces États
ont peur d'être freinés par les États industrialisés.
On peut évoquer l'échec d'un projet européen soutenu par les pays africains. Ce projet est la création
d'une organisation mondiale de l'environnement avec le statut d'une véritable agence onusienne. La
création de cette agence a été la victime du triomphe des égoïsmes nationaux. On a retrouvé une
sorte d'alliance objective entre les grands États émergents. Ainsi, les États ne peuvent rien. La
puissance se fait par la capacité d'empêcher les autres de faire.
2013 est l'année internationale de la coopération dans le domaine de l'eau. 2014 sera l'année de
l'agriculture familiale.

Il est impossible de séparer les événements de la pensée interprétative de ces faits. C'est le cas pour
les problèmes à la pollution, au réchauffement, à la disparition de la biodiversité … Il est impossible
de séparer les sciences. On ne peut pas séparer l'écologie scientifique et politique. Cet entre-deux
est le passage de l'une à l'autre qui relève de la science. C'est une occasion de montrer qu'il n'existe
pas une politique en soi c'est-à-dire que la protection de la nature n'a rien de politique. Le politique
est en fait du social qui attribue un processus de codage pour découvrir des thèmes à aborder. Les
questions environnementales sont devenues éminemment politiques. Ce n'est pas seulement au sens
de politique publique mais plutôt au sens donné par la théorie politique. C'est entendu comme le
pôle symbolique où la société se nomme, se représente et grâce auquel elle s'institue. Le politique
permet à la société de s'auto-représenter, elle peut ainsi se constituer comme telle. Le politique est 3
choses inséparables
– mise en forme de la société
– mise en sens
– mise en scène
Ainsi, une question comme le principe de précaution est une question politique, une question
publique au sens définie par un philosophe allemand. C'est une question qui fait débat dans la
société, elle fait l'objet de conférences des citoyens. Il y a eu des conférences sur les
nanotechnologies, les OGM … c'est-à-dire des questions liées à l'environnement.
Concernant le principe de précaution, il est attaqué par ses adversaires comme une entrave à la
recherche scientifique et il est préjudiciable à la bonne marche du progrès technique. Ceci bloque
toute forme d'innovations et favorise les pays qui ne respectent pas ce principe. Ses adversaires le
présentent comme extrémiste et appellent les défenseurs de ce principe « les ayatollahs de la

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prudence ». Ce principe relève d'une question publique au sens de ce que Habermas parle de
principe de publicité, on peut débattre publiquement des questions d'intérêt général. Cela renvoie à
la question d'espace public à savoir : l'usage public du raisonnement ou l'usage de la raison d'un
public capable de discuter et de juger l'intérêt général.
Les questions scientifiques et techniques doivent être réservées aux seuls spécialistes ou alors elles
doivent être débattues par le simple citoyen. La neutralité de la science est un mythe pourfendue par
de nombreux auteurs comme Gramsci et Charbonneau.
Gramsci est un auteur marxiste dont on a dit qu'il était dans le courant néo-marxiste. Il a travaillé
sur la neutralité de la science.
Au-delà de la question du fait que l'avis des experts est contradictoire, cette question de la non
neutralité de la science dépasse la question de l'indépendance des experts à l'égard du pouvoir
politique. On le voit dans les études de dangerosité, il existe des résultats divergents selon les
commanditaires. C'est le cas pour les études sur les OGM. Les sujets de santé publique sont
polémiques et idéologiques.
Un débat a eu lieu sur la question la science est-elle un problème ou la solution ?
On questionne l'impact du progrès scientifique sur la société et l'environnement. Quand on parle
d'idéologie, on trouve de nombreuses définitions. Aron a de multiples visions.
Il appelle idéologie les idées de son adversaire. À la veille du 1er sommet de Rio en 1990, un
certain nombre d'intellectuels fait paraître dans la presse l'appel de Heidelberg où il dénonce
l'émergence d'une idéologie irrationnelle opposée au progrès scientifique. Il s'agit de mettre la
nature à son service et non l'inverse.
Aron estime que les idéologies mêlent toujours avec + ou – de bonheur des propositions de faits et
des jugements de valeurs. Elles ont une perspective sur le monde et une volonté tournée vers
l'avenir. Elles ne tombent pas directement sous l'alternative du vrai ou du faux.
C'est aussi un système d'interprétation du monde social qui implique un ordre de valeurs et suggère
des réformes à accomplir, un bouleversement à craindre ou à espérer.
Chez Marx, on trouve 2 conceptions contradictoires. La + connue est celle de la vulgate et la vision
péjorative de l'idéologie. Elle est conçue comme une conscience pauvre, c'est la thématique de la
chambre noire, il y a une inversion de la réalité. Cette conception se retrouve défendue, c'est l'image
inversée du réel sous l'influence des intérêts de classe. Il s'agit d'idées fausses. Cette conception de
la chambre noire est illustrée chez Engels dans une lettre à Mehring. C'est un processus que le
prétendu penseur accomplit bien avec conscience mais avec une conscience fausse.
Marx étudie les idéologies particulières, il définit l'idéologie comme effet de la perspective ou
comme une adhésion à des croyances futiles. Ainsi, il explique comment ce qu'on nomme les
paysans parcellaires vont se retrouver dans la figure politique de Louis-Napoléon Bonaparte
considéré comme celui qui porte les intérêts des ruraux.
Braud définit l'idéologie comme un ensemble structuré de représentation du monde social qui
fonctionne à la croyance politique et à la violence symbolique.

L'idéologie écologiste nous offre l'occasion de tester la vue d'un sociologue français qui a étudié ce
concept : Raymond Boudon. Cette grille de lecture consiste à dire que toutes les idéologies
s'appuient sur l'autorité de la science. Ceci se retrouve dans L'idéologie : Le régime des idées reçues
(1986). Boudon, dans son ouvrage, distingue 2 types de définition de l'idéologie.
La 1ère est la définition traditionnelle qui est celle proposée par Marx, Aron et Parsons. Cette
définition traditionnelle est une doctrine reposant sur une large d'appréciation scientifique et dotée
d'une crédibilité excessive ou non fondée.
La définition moderne est entendue comme des idéologies qui ne sont pas fondées sur la base d'une
référence au critère du vrai et du faux. On place dans cette catégorie les définitions d'auteurs comme
Mannheim ou Geerez. Il s'agit de comprendre l'idéologie comme des doctrines + ou – cohérentes
qui combinent à dose variable des propositions prescriptives et descriptives.

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Dans les idées, Boudon distingue 2 types d'idées, celles qui relèvent du vrai et du faux et celles qui
permettent à l'acteur social de s'orienter dans un monde complexe.
L'idéologie est perçue comme l'image thématique de l'ordre social permettant à l'homme de devenir
un animal politique. Ça rend la politique possible en fournissant des concepts, des exemples et des
images évocatrices à partir desquelles la réalité politique peut être perçue de façon sensible.

Les scientifiques ont montré que l'activité humaine était à l'origine de récentes catastrophes
écologiques. Dans l'histoire de la pensée écologiste, une partie non négligeable des penseurs
écologistes politiques sont issus de l'écologie scientifique.

L'écologisme est une pensée caractérisée par son caractère polymorphe et par sa dimension
syncrétique (dimension religieuse). Cette idéologie est une idée qu'on doit remettre en cause. Ce
n'est plus une promesse de bonheur de l'humanité mais une promesse de ravages et de catastrophes.
Il y a eu une inversion des priorités. Il n'y a pas eu de volonté de hiérarchiser les composantes de
cette idéologie, on trouve plusieurs choses.
Une critique de l’État et de la bureaucratie. La démocratie directe est préférable comme la
démocratie participative. Ceci va de pair avec la préférence pour les élections locales face au
centralisme jacobin. On veut substituer à l'Etat-Nation un cadre fédéral. On constate
l'internationalisme, la défense des concepts d'autogestion, autonomie au plan économique et
politique, critique des partis traditionnels dans leur fonctionnement et leurs idées, malaise avec le
clivage gauche / droite, critique du productivisme pouvant jusqu'à aller à l'appel à la décroissance,
critique de la société industrielle, de l'organisation capitaliste du travail, critique de la primauté de la
logique économique dans les sociétés modernes (« horreur économique »), critique du progrès à
partir de l'idée selon laquelle l'expansion de la science et de la technique ne signifie pas progrès de
la raison et de l'humanité, critique de la consommation pouvant aller jusqu'à l'appel à une certaine
frugalité voire à une « austérité conviviale » et défense de l'environnement passant par un tissu de
protection et de conservation de la nature avec la distinction préservationniste / conservationnisme.

Cette pensée est portée par des courants divers, parfois complémentaires, parfois contradictoires,
même antagonistes. Il s'agit d'analyser la genèse de l'écologisme c'est-à-dire analyser les origines
des idées écologistes. Il faut se livrer à un travail de recherche de filiation, trouver les liens unissant
l'écologie scientifique à l'écologie politique. Ceci constitue la base préalable à la question des
frontières et du passage des frontières entre ces écologies scientifiques et politiques. Le fil
conducteur est de tester l'idée de Boudon à savoir si cette idéologie repose sur l'autorité de la
science.

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Partie 1 : Les fondements scientifiques de l'écologisme
contemporain
Chapitre 1 : Une pensée réaliste de la nature
Cette partie est consacrée aux précurseurs, à ceux qui ont fondé les principes de base de l'écologie
scientifique. C'est ce détour par les pères fondateurs de l'écologie scientifique qui nous permettra
par la suite d'inventorier, de classer et analyser pour expliquer les principaux courants des idées
écologistes contemporaines.

Le XVIIIème est le siècle des Lumières, de la raison et donc de la science. C'est aussi le siècle de
l'industrie. C'est la science de l'écologie. On trouve des concepts d'abondance de la nature, de chaîne
alimentaire, d'équilibre naturel … Va s'exprimer une croyance en la valeur intrinsèque du progrès
scientifique à une exception près avec la pensée de Rousseau. Il va à contre-courant de la pensée
dominante en particulier dans son texte Discours sur les sciences et les arts de 1750. Il va à
l'encontre de tout ce qui fait aujourd'hui l'admiration des hommes. Le progrès scientifique n'a pas
contribué au bonheur des hommes. Au contraire, il a corrompu le genre humain. Plus la
connaissance augmente dans une société, plus la vertu diminue. La science dénature l'homme même
si en réalité, Rousseau ne condamne pas la science en soi. Il critique l'usage que les hommes en
font. Il estime que l'homme n'est pas à la hauteur de la science, il en fait un mauvais usage. Il a
l'esprit trop borné et il est trop passionné.
Dans son rapport à la nature, il n'est pas réductible au mythe du bon sauvage. Rousseau distingue
plusieurs phases :

Dans le 1er état de nature, l'homme est seul, libre et heureux

Dans le 2nd état de nature, c'est le commencement, cette période se caractérise par l'invention des
techniques. Ensuite, la société naît. C'est la fin de la dispersion, les abris se construisent pour les
familles. Cet état est une période intermédiaire entre la vie primitive et la vie civilisée. Pour
Rousseau, cette phase correspond à la + heureuse et à la + durable.
Il y l'état de guerre. On ne voit cela que chez Hobbes. Cela correspond à la métallurgie, au droit de
propriété et à l'inégalité entre les hommes. Rousseau a une autre conception de la nature. Ce n'est
plus l'état de nature mais la nature, telle que l'homme du XVIIIème la connaît. Cette conception est
décrite dans La nouvelle Éloïse et dans Émile. Dans le 1er ouvrage, on trouve la description d'une
famille élargie vivant paisiblement entièrement ordonnée selon les règles de la nature. Ceci se situe
dans la commune de Clarence au bord du lac Léman. Rousseau fait l'éloge de la simplicité, de la
transparence, de la franchise. Il y a le refus du luxe et il prône la frugalité. La vie urbaine est
présente par opposition dans les 2 ouvrages. Elle est associée à la jalousie, l'hypocrisie, l'artifice, la
débauche, le luxe et le gaspillage. Plus encore, il y a une condamnation explicite de la ville. Il
estime que les hommes ne sont pas fait pour être entassés en fourmilière, ils se corrompent lorsqu'ils
sont rassemblés. « Les villes sont le gouffre de l'espèce humaine ». Tout le propos de Rousseau dans
l'Emile est de montrer que Émile n'est pas un sauvage devant être relégué dans le désert mais qu'on
prépare à survivre en ville qui est un milieu hostile. Cette préparation se fait en dehors de la ville.
Rousseau prend le contre-pied de Voltaire. Rousseau montre que l'argent et la richesse sont associés
à la ville. Cela met en évidence les inégalités. Il prône l'auto-subsistance, l'usage de produits
durables. C'est le précurseur de l'écologie décroissanciste. Ceci n'est pas sans rappeler la ville de
Selborne. Ce village est celui de Gilbert White. C'est un naturaliste disciple de Linné. Cette
commune est au sud de Londres et elle va devenir un lieu de pèlerinage pour l'ensemble des savants
y compris américains. White est considéré comme l'un des + grands pionniers de l'écologie

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moderne. C'est un disciple du botaniste suédois Charles Linné (1707-1778). Ce dernier est
considéré comme le + grand génie de l'histoire naturelle. Il incarne 2 traditions scientifiques
contradictoires. Il a une conception instrumentale de la nature voire impérialiste. Linné est inspiré
par Bacon adepte de la méthode expérimentale. On part des cas singuliers pour aller vers la
généralité. On passe de l'observation à la loi. Cette méthode sera associée à l'utilitarisme et au
pragmatisme anglo-saxon. On doit à Linné la place de l'empirisme. Toutes nos connaissances sont
issues de l'expérience. Pour Bacon, le monde est fait pour l'homme et non l'homme pour le monde.
C'est à partir de ce credo que certains considèrent que c'est une vision impérialiste de la nature. Elle
accorde tous les droits à l'homme et aucun à la nature. Les naturalistes considèrent que la science
doit rendre à l'homme sa prééminence, sa place d'honneur. Il s'agit de restituer à l'homme la place
occupée lorsqu'il a été chassé du jardin d’Éden. C'est un idéal qualifié de prométhéen. L'homme
doit retrouver sa puissance. Il doit dominer toutes les créatures, il doit exploiter à son avantages les
richesses de la nature. C'est l'idée selon laquelle la nature n'est pas à vénérer religieusement et
l'homme doit s'en servir et ne doit pas hésiter à la recomposer grâce à la science et aux techniques.
Pour Bacon, le projet est de « repousser le + loin possible les frontières de l'empire humain ». Selon
plusieurs historiens de l'écologie scientifique, aussi bien Linné que Bacon, sont représentatifs de la
vision chrétienne. Pour Donald Worscer, le christianisme, comme le judaïsme, est la religion la +
antinaturelle du monde, la + anthropocentrique. Elle accorde une priorité à l'homme au détriment de
la nature et de l'animal à l'exception de Saint-François d'Assise. L'animal n'ayant pas d'âme ne
mérite aucune pitié, c'est une chose ou un outil. Pour une fois, le christianisme est unifié aussi bien
le catholique romain que les protestants puritains qui continuent sur cette vision à savoir une
suspicion voire une hostilité à l'égard de la nature. Ceci s'appuie sur la genèse interprétée comme
une invitation à l'homme de se servir sans retenue de la nature : « Soyez féconds, multipliez
emplissez la terre et soumettez là, dominez tous les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les
animaux qui rampent sur la Terre ». Non seulement le christianisme justifie la domination de
l'homme sur la nature et en outre, il s'agit de la religion la + ouverte à la science moderne à savoir
une science qui est empirique et expérimentale.

En opérant cette coupure émotionnelle, le christianisme a permit à la science de prétendre à


l'objectivité et à la rationalité. C'est cette coupure qui permet à la science occidentale d'adopter une
attitude d'extériorité, ce qui constitue la base de la science occidentale moderne. C'est ce qui permet
de procéder sur la base de la simple observation clinique, de s'appuyer dans sa méthode sur la
distanciation à l'égard de l'objet, justifie son détachement à l'égard de l'objet. Avec le christianisme,
on serait aux antipodes de l'animisme païen où l'homme se retrouve immergé à l'intérieur du monde
naturel. Cela passe par une divinisation de la faune et de la flore, qui passe par des superstitions …
On retrouve là un thème au cœur même de la problématique du désenchantement du monde
provoqué par le judaïsme et le christianisme, à l'intérieur le protestantisme tel que Weber l'a
présenté. En désacralisant la nature, le christianisme la rend analysable scientifiquement.
Le christianisme se voit adapté à la science moderne et à ses présupposés Dans la genèse, c'est la
thématique de l'invention de la création du ciel et de la terre, de l'invention du monde matériel par
une force extérieure rationnelle qui s'impose au chaos primitif. Cette invention implique l'existence
d'un super-ingénieur à l'origine de cette création.
Le christianisme comme récit des origines donne une représentation mécaniste de la nature. Cette
représentation va rassurer l'homme de science parce que ses propres inventions, créations,
découvertes vont elles aussi pouvoir s'inscrire à l'intérieur du plan divin, c'est ce qui permet à
l'homme de se présenter comme co-créateur de ce monde.

Linné est représentatif pour une grande part de cette vision. Il a une vision + humble, + idéaliste que
l'on retrouve dans la pensée de White. On retrouve cette vision qui consiste à dire que pour
l'essentiel que la nature procède d'un ordre rationnel, stable, qui s'équilibre de lui-même : les

13
hommes ne doivent alors pas interférer dans ces équilibres naturels. L'autre idée est que cet ordre
naturel a une valeur en soi. C'est l'idée enfin que la nature est un tout dont l'homme n'est là qu'un
élément même s'il est + important. Linné a une pensée réaliste de la nature qui concerne à la fois la
pensée réaliste de la nature et l'école linéaire.
Une partie de ses conceptions relèvent d'une vision arcadienne et l'autre partie relève d'une vision
instrumentale, voir impérialiste. On retrouve chez Linné une forte influence du christianisme. Linné
est aussi l'inventeur de la distinction minéral / végétal / animal.

Linné est d'origine modeste mais constitue un modèle d'ascension sociale, il va rejoindre la cour du
roi. Fils de pasteur, il a eu une jeunesse qui s'est déroulée essentiellement à la campagne avec pour
seule distraction l'observation de la faune et de la flore. Il avait un goût porté vers la classification.
À la différence de son disciple White, il ne se contentera pas de faire de l'observation approfondie
dans le cadre d'un biotope et va parcourir des milliers de kilomètres en Laponie. Il va inventer son
propre système de classification des plantes qui va être diffusé dans toute l'Europe et au-delà via le
recours à langue latine. Un de ses apports majeurs a été de définir une taxinomie commune à une
époque où chaque botaniste avait son propre système de classement. Dans toute son œuvre, la
préoccupation de rendre les sciences naturelles plus cohérentes, plus claires afin de les rendre plus
attractive auprès du grand public, sans oublier une autre préoccupation, la volonté de réconcilier
l'amour de la nature et le progrès technique et scientifique. Il a la volonté également de renouer la
foi chrétienne avec le rationalisme scientifique.
Le livre le plus célèbre de son vivant est un traité écrit à la même époque que le discours de
Rousseau sur les sciences et les arts. Ce traité, c'est L'économie de la nature. C'est un traité
d'écologie. Cet ouvrage va connaître des révisions successives sous le titre Le système de la nature.
On trouve dans sa pensée une idée déclinée avec certaines variantes la représentation cyclique des
phénomènes naturels, l'idée d'un retour constant au point de départ. On a l'idée que sur le modèle de
l'eau, la nature passe par des cycles. L'idée d'une roue de l'existence, où tout bouge pour que rien ne
change. Idée que dans sa sagesse, Dieu a assigné à chaque créature un espace précis et une fonction
déterminée. L'ordre qui a ainsi été constitué est à la fois complexe et rationnel. Il pousse ce
raisonnement jusqu'au bout, il va dire qu'aucun animal, prédateur, aucune plante vénéneuse est une
erreur de la création, elle va toujours être utile à certaines espèces alors qu'elle sera nuisible /
dangereuse pour d'autres.
L'idée de la chaîne alimentaire, centrale chez lui, consiste à nous dire que les différentes espèces
favorisent leur survie mutuelle en recherchant leur propre nourriture. On retrouve la métaphore de
la main invisible de chez Adam Smith, chacun poursuivant son intérêt individuel contribue à
l'intérêt collectif. C'est la reprise de la fable des abeilles de Bernard de Mandeville : « La poursuite
des vices privés sont à l'origine du bien public ».
On retrouve aussi l'idée que l'abondance pour tous est garantie par des taux de reproduction
différencié. Le créateur a voulu que les proies se reproduisent plus facilement que les prédateurs et
que celui qui ne doit manquer de rien c'est l'homme. Il y voit un trésor qui a été fait avant tout pour
le confort et la jouissance de l'homme. Ainsi l'homme fait partie de l'économie naturelle mais a un
devoir moral, celui d'utiliser les autres espèces vivantes à son profit. Il a le devoir de poursuivre
l’œuvre divine et non pas de rester un spectateur passif. On trouve chez lui l'idée que tous les êtres
vivants sont reliés par la même chaîne et œuvrent pour la même fin.

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La perfection que l'on trouve dans la nature constitue la meilleure preuve de l'existence de Dieu ou
d'un super ingénieur ou Grand horloger. La pensée de Linné repose sur 3 présupposés :

La nature est conçue comme une seule machine universelle à la fois précise et proche de la
perfection. On trouve chez Linné l'idée que cette machine est soumise à la volonté de Dieu qui lui
fournit l'énergie pour fonctionner. Linné s'oppose à la fois à Descartes et à Leibnitz qui avaient
remplacé la puissance divine par la matière brut, soumise aux lois du hasard et du chaos. C'est une
vision mécaniste.

La nature est bienveillante envers l'homme comme Dieu l'est envers ses créatures. Linné se fait fort
de réfuter les thèses de Hobbes sur la question contenue dans le Léviathan où règne la loi du + fort,
la violence et la peur. Chez Linné, il y a une volonté de défendre l'honneur de la nature. Les
partisans de Linné reprennent le même argumentaire que Hobbes. Ils disent que Hobbes justifie la
toute-puissance de l’État au nom de la nécessité de garantir la sécurité de tous. Or, l'argument des
naturalistes est de considérer que cette force existe dans la nature sous la forme du créateur qui dicte
sa loi. Il a assigné à chacun une fonction précise. Les différentes créatures sont reliées entre elles,
elles forment une chaîne qui montre l'interdépendance entre les maillons de la chaîne et il peut y
avoir coopération s'il y a assistance mutuelle où Hobbes ne voyait que la compétition. Linné est
conscient que, dans la nature, les faibles vont être la proie des + forts, il n'y pas que de la
coopération. Cet état de fait est conforme à la volonté du créateur car il permet de garantir la
préservation de l'ensemble de la création. Les disciples de Linné prolongent le raisonnement. Ils
expliquent que ce principe de vie suppose qu'une partie de la création soit perpétuellement en guerre
contre l'autre. Cet espèce de cannibalisme n'est pas considéré comme étant une faiblesse de la part
du créateur. C'est quelque chose qui a été voulu par dieu en tant que base du principe vital. Des
continuateurs de Linné ont développé le principe de plénitude qui consiste à dire que la raison
ultime de la mort des proie est la préservation de l'espèce. Ce principe de plénitude dit que la Terre
n'a pas été créée pour l'homme seul mais elle appartient à toutes les espèces vivantes (contestation
de l'anthropocentrisme). Les naturalistes remarquent que le développement de l'homme nécessite
l'utilisation et la maîtrise des autres espèces. Ce développement se fait à l'encontre des autres. C'est
vrai dans le domaine végétal. Les colons américains qui défrichent la terre menacent 10 espèces
quand ils en favorisent une. Aucun naturaliste du XVIIIème ne considère que l'homme peut
constituer une menace. Chez les partisans de Linné, la Terre est capable de supporter tout ce que
l'homme peut lui faire subir. C'est une preuve de la bonté de dieu.

La nature a été créée principalement pour l'homme. Dans la lignée de la Genèse, on a l'idée que cet
élément de la création a été conçu pour satisfaire les besoins de l'homme et ce, sans aucune
restriction. Dans ce texte, il s'agit d'un devoir moral de rompre avec l'attitude d'admiration béate
avec la nature, il faut avoir un comportement actif à l'égard de cette nature. L'homme est une sorte
de co-créateur, un entrepreneur. On a une vision instrumentale et utilitariste qui se trouve chez les
anglo-saxons. Smith considérait la nature comme un immense entrepôt de matières 1ères où
l'homme peut puiser les ressources à volonté. Chez les Lumières, c'est la conception de la raison
instrumentale qui se trouve chez les encyclopédistes comme Diderot et Condorcet. C'est une
conception impérialiste de la science écologiste. En effet, il s'agit de domestiquer la nature qui est à
la disposition de l'homme afin qu'il soit heureux. C'est une conception matérielle du bonheur qui est
réduit au confort. La conception linnéenne de la nature se trouve en parfaite harmonie, conformité
avec les objectifs de la science économique moderne, avec la société industrielle même si Linné et
ses disciples vont voir la main du créateur dans chaque élément de la nature. De ce point de vue, ils
sont différenciés de la vision impérialiste de Bacon. On trouve dans la pensée de Linné 2 influences
représentées de façon inégale.
La conception majoritaire reste globalement impérialiste, instrumentale.

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Une 2nde influence relève d'une conception archadienne de la nature. Elle est dominante chez le
grand disciple de Linné qui est Gilbert White.

Chapitre 2 : Une pensée idéaliste de la nature


White (1720-1793) est un des auteurs les + lus dans le monde anglo-saxon. Son œuvre a été lue a
des millions d'exemplaires. Il est caractérisé par l'humilité et la complicité à l'égard de la nature.
C'est un fils d'avocat et il fut pasteur. L'entreprise qu'il va faire a des points communs avec celle de
Linné mais elle est aussi très éloignée. White n'est pas un explorateur, il ne dépasse pas les
frontières de sa commune de Selborne au sud-est de Londres. Cette ville symbolise la coexistence
harmonieuse de tous les êtres vivants. Il est l'auteur de Histoire naturelle en 1789.
Ce livre est considéré comme le point de départ de l'écologie moderne. C'est la base de cette histoire
des idées écologistes. White est aux antipodes de la vision impérialiste. Il étudie la faune et la flore
de sa région. Il est dans l'étude systématique d'un microcosme. Il est aux antipodes de la plupart des
naturalistes britanniques qui sont des grands explorateurs qui négligent leur pays. White est le seul à
être resté dans son village. Il fait un travail de recensement des espèces, il classifie la faune et la
flore. Il fait de la taxinomie, de l'éthologie et de la phénologie (étude des répercutions du climat). Il
commente d'un point de vue philosophique la vie de la société animale. Il mène une écologie de
terrain dans son secteur avec une idée : au-delà de la grande diversité et de la complexité du vivant,
il existe une unité qui en fait une totalité écologique. Il retranscrit les espèces vivantes et cherche à
comprendre ce qui les unit. Ces conclusions se confondent avec les croyances religieuses. White fait
coexister science écologique et adhésion au christianisme. Il va, + que Linné, voir la main du
créateur et aussi son ingéniosité dans toutes ses observations. Il trouve dans les choses la trace de
dieu. La nature est une sorte d'économe admirable. Le plaisir de l'un va permettre de nourrir l'autre.
Il y voit des illustrations dans les créatures les + méprisables. Il a montré qu'il y a une utilité
mutuelle et réciproque chez les animaux. On trouve des formes de coopération et d'assistance.
La nature animale a été créée en grande partie pour le bénéfice de l'homme pour White. Il a une
certaine conception utilitariste. Ses travaux en matière de taxinomie montrent que White veut
contribuer aux progrès de l'économie. La science permet le développement de la vie humaine, elle
doit être appliquée. La pratique compte + que la théorie.
Il a une vision archadienne, en harmonie avec la nature. Ce qui prédomine, c'est le sentiment de
compassion envers la nature. C'est l'idée d'une félicité champêtre qu'on oppose à la représentation
d'une nature hostile ou à la représentation de la vie urbaine. La ville de Selborne est l'image de la
paix sociale et l'équilibre des relations entre les hommes qui veulent se réconcilier avec la nature.

Cette vision idéalisée montre que White est étranger aux bouleversements de l'époque.
Le 1er correspond à la révolution française et à la guerre d'indépendance. White est coupé des
réalités. La guerre d'indépendance dans les colonies américaines est indifférente pour cet auteur. Il
n'y a pas chez lui de prise en compte de la révolution technologique qu'a connu l'industrie anglaise
avec l'invention de nouvelles machines dont la machine à vapeur. Il ne prend pas en compte le
mouvement de révoltes des ouvriers. Ils ont mené le combat et ont détruit les métiers à tisser. C'est
ce qu'on appelle le luddism.
White reste indifférent à l'irruption du progrès technique dans l'industrie anglaise. À la même
époque, on peut opposer la situation d'une ville industrielle comme Manchester (ville de 100.000
habitants qui connaît une croissance urbaine, le développement des machines mais aussi les
inconvénients de la vie urbaine comme la pollution, le rythme de la ville) et le mode de vie décrit
par White. Il met en évidence le calme du village, la pureté de l'air, l'harmonie et la tranquillité.

16
Son œuvre restera longtemps dans l'ombre. Elle sera redécouverte en 1830 et aura du succès.
Selborne met en évidence la nostalgie d'une sorte de paradis perdu. C'est un monde disparu qui se
caractérise par l'équilibre, l'harmonie … Selborne devient le lieu de pèlerinage pour les écologistes
et les naturalistes. Darwin s'y est rendu, il en parle comme le berceau sacré de White.
L'ambassadeur américain à Londres parle du livre Histoire naturelle comme le « journal d'Adam au
paradis ». Cette ville est protégée du monde moderne. On a l'impression de retourner chez soi, c'est
l'impression de familiarité. Il y a une fascination qui s'exprime chez les Américains. C'est un confort
douiller que les gens ne connaissent plus.

Le succès posthume de Histoire naturelle montre que ce livre est l'antidote de la vie déshumanisée
moderne. Le biographe de White l'écrit à sa manière. Il montre l'extension du travail dans les usines
et la croissance des villes s'opposant au besoin d'air pur. Il montre que « au siècle dernier, il n'y
avait aucune raison de soupirer, aucune ville pour empêcher l'homme de retrouver les champs,
aucune banlieue crasseuse. En ce temps là, les hommes aimaient la campagne parce que c'est là
qu'ils habitaient et non pas parce qu'ils en étaient privés ». C'est une représentation fausse.
Le genre littéral du livre de White a contribué à la popularité du genre naturel dans la 2nde moitié
du XIXème. Il a préfiguré la création d'un nouveau genre littéraire. C'est l'histoire naturelle pour le
grand public. On va faire des best-sellers qui s'appuient sur la science écologique et qui s'expriment
sur la nostalgie d'une nature intacte. On a un système de vases communiquant. Plus les sociétés sont
industrialisées, + l'intérêt pour les sociétés du passés et la nature va grandir.
Parmi ces auteurs, John Borrow s'appuie sur la science pour écrire et il a conscience que la science
peut constituer un remède autant qu'une menace. Chez Borrow, on trouve cette volonté de dépasser
le simple récit de l'escapade dans la nature au profit de la création d'une relation personnelle avec
l'environnement y compris dans une dimension mystique et spirituelle. Il y a chez lui l'idée que la
science moderne a rendu l'homme orphelin. La science moderne s'échelonne dans un univers
domestiqué, expliqué et donc vide de sens. C'est un univers froid et mécanique. On supprime l'idée
d'un dieu créateur et on ne met rien à la place. On trouve l'adhésion à une théorie vitaliste qu'on
trouve chez Bergson. Cette théorie veut que, dans toute espèce vivante, il existerait une force
mystérieuse que ni la physique, ni la chimie ne peut appréhender. C'est le concept d'élan vital pour
Bergson. Les naturalistes deviennent favorables à cette théorie vitaliste. On trouve un des éléments
du credo écologiste contemporain. C'est l'idée d'unité de la vie sous toutes ses formes. Elle est
confirmée par la science. On trouve cette unité combinée avec un idéal moral d'une vie vécue en
coopération avec tous les autres membres des communautés naturelles. Dans cette perspective
vitaliste, chaque atome, chaque organisme naturel, possède un esprit qui sera relié aux autres. Cet
esprit participe d'une entité supérieure.
Cette théorie vitaliste est loin de faire l'unanimité chez les scientifiques mais elle est admise chez
des philosophes comme Hans Yonas ou Bertrand Miller. Ce sont des théories holistiques. Dans ce
contexte, le holisme est l'idée de la totalité. La nature va être considérée comme un ensemble
unique et indivisible. Cette vision holistique est à la base de tous les travaux de White. Tous les
membres du vivant sont interdépendants. Cette unité s'oppose au travail de dissection de la science
dominante qui est hyper-spécialisée.

On trouve un double objectif dans l'école de White :


– Il s'agit d'analyser la nature comme ayant une volonté propre
– la nature est un tout animé par une force qualifiée de mystérieuse non réductible au physique
Les naturalistes holistes insistent sur la nécessité d'un contact direct avec le vivant, de donner un
fondement scientifique à l'histoire naturelle pour dépasser la dimension descriptive. C'est une
démarche réactionnaire contre la société techno-industrielle. Il s'agit de redonner à la science des
valeurs humaines.

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On trouve donc la nostalgie d'une époque où on pouvait généraliser à partir d'une observation
personnelle et locale alors que aujourd'hui, la partie s'est substituée au tout et on est dans le domaine
scientifique soumis aux règles de l'hyper-spécialisation. Il y a une division du travail sans aucune
coopération.
White exprime l'image de l'homme complet dans le sens où il est scientifique, pasteur, citoyen actif,
sportif … alors que le savant contemporain ne serait qu'une personnalité éclatée, mutilée et
incapable de compassion universelle.
White est le symbole du savant bienveillant envers ses voisins. Il est intégré dans sa communauté en
opposition avec l'image du savant moderne isolé dans sa tour d'ivoire et préservé par l'anonymat des
grandes villes. Il est coupé de la morale du citoyen ordinaire.
White apporte la preuve qu'un autre monde et qu'une autre science est possible puisque c'était le cas
dans le passé. C'est la création d'un mythe au sens propre du terme c'est-à-dire création d'une
croyance qui fixe les objectifs, propose des rêves et donne un cadre explicatif à la vie humaine. À
travers cette accession du mythe, on est proche du concept d'idéologie et d'utopie.

Il a une postérité au XXème. Il faut voir le passage de l'écologie scientifique à l'écologie politique à
travers une spécialiste de la biologie marine. Par son combat, elle a inculqué les 1ères mobilisations
écologistes, il s'agit de Rachel Carson (1907-1964). Elle s'est battue contre les pesticides, l'industrie
chimique. C'est l'auteure du Printemps silencieux. Ce fut un best-seller.

Chapitre 3 : Une pensée rationaliste de la nature


Cette pensée peut être illustrée par les travaux et la personnalité de quelqu'un ayant influencé
Darwin. Il s'agit de Alexander Von Humboldt connu pour le courant Humboldt.
Il est issu d'une grande famille berlinoise. Son frère a eu une carrière politique, spécialisé dans la
philosophie des Lumières et a exercé des fonctions ministérielles.
Alexander Von Humboldt est spécialiste des sciences de la nature, il est devenu ingénieur des mines
et inspecteur des mines. Après ses études, il s'installe à Paris qui est une capitale scientifique au
XIXème. Il pouvait rencontrer les grands scientifiques de son siècle comme Arago, Galvani ou
encore Volta. Il fera des correspondances entre la nature et dieu. Il est ouvert aux idées des
encyclopédistes. Il a été explorateur. La grande expédition qu'il va mener va durer 5 ans, de 1799 à
1804. Il a voyagé avec le botaniste Bonplan. Il est parti de l'Espagne pour aller au Venezuela. C'est
une grande expédition. Au Venezuela, c'est le point de départ pour la remontée du continent
américain. Il remonte l'Amazone. Il visite aussi la cordillère des Andes. Il reste 5 ans en Amérique
latine où il fait un travail de terrain.
L'objectif est à 2 niveaux :
– point de vue du naturaliste
– point de vue du biologiste
Le but est de découvrir les influences exercées par l'environnement géographique à la fois sur la vie
végétale, à la fois sur la vie animale. Il décrit l'ensemble de l'aspect physique de l'univers. Par ses
recherches, il montre l'idée d'harmonie universelle du vivant. Cette expédition de 5 ans se termine
par la suite. Homboldt rentre à Bordeaux en 1804, il ramène des milliers d'espèces animales
notamment des insectes. Il ramène aussi des plantes et des minéraux. Cette expédition lui a permis
d'établir le niveau de température, mesure de fleuve, la pression atmosphérique … Il a travaillé sur
la climatologie et il a étudié les courants. Il a fait des relevés topographiques, il a relevé les voies
navigables. Il établit les vertus atténuantes du guano. À son retour, il est considéré comme un
immense scientifique. Il a fait carrière avec des naturalistes. Il a un savoir encyclopédique.
Il a écrit 30 livres en 30 ans. Il a une foi aveugle dans le progrès scientifique et technique, c'est un
abolitionniste convaincu. Il rompt avec la religion et non avec le spirituel.
Sa méthode est celle d'un empiriste raisonné. Il a été le précurseur dans le domaine des sciences de

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la terre, dans les sciences de la nature et dans les sciences humaines.

Dans le domaine des sciences de la terre, en matière de géologie, il a amené beaucoup à la


connaissance dans l'étude des volcans. Il a montré que la croûte terrestre était constituée d'une seul
qualité de roche. Il est l'auteur d'un grand atlas sur le nouveau continent. En matière de
climatologie, il a étudié les courants, il a inventé le concept de microclimat. En géophysique, il a
étudié les pôles magnétiques. En phytogéographie, il a travaillé sur les étages de la végétation.

Dans le domaine des sciences naturelles, en matière de botanique, il ramène 3600 plantes. Il met en
évidence les propriétés thérapeutiques de ces plantes notamment du curare.

Dans les sciences humaines, il a apporté des choses en anthropologie, en archéologie et même en
économie et en histoire. On retient 2 choses. Il a rectifié les erreurs de Buffon sur l'uniformité
raciale des Indiens d'Amérique. Il y a une grande diversité de langue et de couleur chez les Indiens.
Il a aussi démontré l'origine asiatique de ces populations en montrant qu'il sont arrivés en Amérique
il y a environ 20.000 ans. Il a fait une étude comparée des mœurs et des croyances. Il a apporté son
savoir sur l'organisation sociale.

Humboldt peut être au panthéon de l'écologie scientifique et politique. Il a la volonté de rétablir la


question de l'harmonie naturelle fondée scientifiquement. Sa vision de la nature est comme un tout
unifié. Cela passe par le fait de montrer que les espèces sont toutes en relation de dépendance
mutuelle. C'est une façon pour lui d'illustrer les thèses de son ami Goethe. Il fait le lien entre les
interdépendances naturelles. On ne peut pas établir une frontière entre les sciences, les idées
circulent.
Il a fondé une écologie comparée sur les espèces, les déserts et les jungles au milieu de l'écologie
pratiquée par ses prédécesseurs.
Il remet en cause du rôle du créateur omnipotent au profit du rôle d'une force naturelle comme le
climat même si on peut dire que c'est une contradiction car il défend une thèse spiritualiste du
cosmos. C'est l'idée d'un grand tout animé par le souffle de la vie. Dans chaque organisme vivant, il
y a quelque chose qui le relie à l'ensemble de l'univers. Il définit chaque organisme comme étant
une forme liée par la chaîne des êtres vivants et même des êtres éteints.
En même temps, c'est un esprit résolument rationaliste, positiviste mais qui a la conviction que la
science n'explique pas tout et qu'on peut observer scientifiquement la nature tout en restant ouvert à
sa dimension esthétique et émotionnelle. Humboldt est convaincu qu'il est possible de combiner la
tête scientifique et la tête spirituelle et/ou esthétique. Il parle de la froide recherche de l'intelligence
des choses. On doit pouvoir combiner ceci avec l'admiration pour le spectacle grandiose de la
nature. Cette position lui a valu une grande notoriété de son vivant. Il a eu une postérité diverse.
En effet, Darwin affirme qu'il n'aurait pas eu cette carrière sans les travaux de Humboldt. Ce dernier
a influencé Henry Thoreau (associé à la désobéissance civile) et Ralf Waldo Emerson.

Thoreau est un écrivain de la littérature américaine et en même temps, il est subversif. C'est une
référence du mouvement hippie dans les années 1960 et de la contre-culture américaine ainsi que
dans la sphère anglo-saxonne. C'est une figure majeure du courant libertaire de l'écologie politique.
Cette filiation avec Humboldt illustre la nécessité de ne pas établir de frontière entre l'écologie
scientifique et politique. Thoreau est l'illustration de la grille de lecture de Boudon selon laquelle
toutes les idéologies, grandes ou petites, gauche ou droite … s'appuient sur l'autorité de la science.
Thoreau est une des figures tutélaire de l'écologie politique et il est considéré comme tel. C'est un
écologue, un écologiste scientifique et un naturaliste. Il est à la croisée des chemins entre l'écologie
scientifique et politique.

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Partie 2 : Les principaux courants des idées écologistes
contemporaines
On trouve l'écologie libertaire, naturaliste, personnaliste, profonde, éco-socialiste, décroissanciste et
antispéciste.

Chapitre 1 : L'écologisme libertaire


Il faut retenir 3 penseurs : Ellul, Thoreau et Boockhin.
Leur point commun, outre le fait qu'ils ont une sensibilité anarchiste et libertaire, est que, chez eux,
la question de la nature est indissociable de la question de la liberté humaine. Le fait de menacer la
nature menace la liberté de l'homme qui s'exprime dans son rapport avec la nature. Il y a une part
d'arbitraire dans ce travail de taxinomie.
On peut considérer que Thoreau peut être classé comme un individualiste libertaire, un romantique,
du côté des écologistes naturalistes ou environnementalistes et pourquoi pas il pourrait être le
précurseur de l'écologie décroissanciste. Sa pensée relève de tel ou tel courant.
Si les anarchistes se réclament de Thoreau, généralement, en faisant référence sur sa critique du
gouvernement américain, sur son soutien aux esclaves noirs et surtout, pour sa déclaration qui dit
que « le meilleur gouvernement est celui qui ne gouverne rien, lorsque les hommes seront prêts, tel
sera le gouvernement qu'ils auront », les anarchistes nient la suite de la phrase. Il dit « pour
m'exprimer clairement en citoyen et non à la façon des opposants à toute forme de gouvernement,
je ne réclame pas sur le champ sa disparition mais son amélioration immédiate ». Ce n'est plus
l'abolition de l’État.
Thoreau est l'auteur d'une pensée contradictoire. Il y a chez lui l'idée que la nature fonctionne par
paire d'opposée. Ainsi, la vie individuelle s'oppose à l'ordre écologique. On parle aujourd'hui de
système. Le système du vivant est composé de couples antagonistes qui ont créé des tensions qui
sont à la fois inévitables et indispensables au fonctionnement de l'ensemble. Si les anarchistes se
réclament de Thoreau, si la gauche radicale américaine s'en réclame également de même que les
non violents, il ne faut pas oublier que ceux qui se réclament de cette pensée montre que cet auteur
peut parfois ne pas être enfermé dans un type de pensée.
Thoreau est invoqué par les survivalistes américains d'extrême-droite, des milices patriotes armées
anticommunistes auparavant. Ils sont en guerre contre le gouvernement fédéral. L'élection de
Obama fait réagir et accroître ces groupes. Ils sont adversaires de l'ONU. Ces groupes ont
instrumentalisé les textes de Thoreau contre l’État fédéral. Cet auteur influence aussi La Terre
d'abord, groupe très minoritaire chez les écologistes.

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Section 1 : L'individualisme libertaire
Chez Thoreau, il y a une vision romantique de la nature et on trouve aussi le travail de l'écologiste
de terrain. Il est né et mort à Concord dans le Massachusetts (1817-1862). C'est un contemporain de
Marx, de Proudhon et de Tocqueville.
Comme Humboldt, il a été influencé par le poète Goethe. Il quitte rarement sa commune. Ce village
est le reflet de l'harmonie. Il a fait des études chaotiques à Harvard, il a été instituteur pendant 2 ans
et s'est installé en Suisse. Il devient le secrétaire de Emerson. Il reprend la fabrique de crayons de
son père. Cette affaire ne l'intéresse pas car il est + attaché à sa liberté qu'à l'argent. Il vit de petits
boulots, de travaux manuels.
En 1846, il a passé une nuit en prison car il refuse de payer ses impôts en raison de la guerre contre
le Mexique. Il va participer activement au mouvement de participation contre les lois esclavagistes.
Il refuse d'employer la violence physique, il fait le choix politique de la non violence.
À 28 ans, il va s'installer à côté d'un étang près de son village dans une forêt qui appartient à
Emerson. Il se met hors du monde tout en restant près de sa commune. Il veut opérer une retraite
pour se couper du monde civilisé. Il écrit un livre en 1834. Thoreau est l'ami des philosophes
transcendantalistes ainsi que du poète Whitman.
Thoreau pense vivre un changement de civilisation. Il met sa vie en conformité avec ses idées. Il
veut incarner ses idées notamment celle de frugalité. Il combat la société industrielle. L'idée est
d'instaurer un rapport direct et au + près avec la nature, en symbiose avec la nature la + sauvage. Il a
été le principal inspirateur de la création des parcs nationaux. L'écologiste scientifique et politique
René Dubos n'a pas manqué de souligner que Thoreau n'a pas eu véritablement de contact avec la
nature sauvage. Ce dernier est en rupture avec la société moderne dans une nature domestiquée.
C'est un grand amateur de philosophie des religions orientales notamment l'hindouisme et les
religions amérindiennes.
Son apport dans la pensée écologiste est considérable, on trouve 7 points :
– l'homme moderne est capable de détruire la nature. La majorité de ses contemporains
veulent domestiquer cette nature. La thématique de la forêt est très importante, ce lieu est
enchanté
– l'homme doit s'adapter à la nature et non l'inverse
– l'homme fait partie intégrante de la nature, il n'est pas au-dessus d'elle. Cette proposition
rattache Thoreau au biocentrisme
– l'homme doit s'enraciner physiquement et localement s'il veut s'élever spirituellement
– la science moderne explique la nature en tournant le dos à l'essentiel à savoir sa beauté
– la vraie philosophie n'est pas celle enseignée par les professeurs mais celle qui nous aide à
vivre au quotidien. Ceci a été dit par Montaigne et il n'y a pas chez lui d'anti-
intellectualisme. Il a toujours maintenu, y compris lorsqu'il s'isole du monde, des contacts
permanents avec Emerson. La pensée est pour lui naturelle
– il se fait l'avocat d'une éthique de la simplicité y compris dans l'alimentation et de la
limitation volontaire du besoin. Il a un rôle essentiel dans l'écologie politique car ceci est un
invariant. On retrouve dans toutes les sensibilités écologistes et chez les anarchistes. Chez
les anti-spécistes, on trouve la critique de l'industrie de la viande
Aujourd'hui, cette éthique de la simplicité est portée par le simplicitaire qui fait un choix. Il arbitre
entre 2 modèles de vie : une logique du toujours plus ou alors, une priorité accordée à l'égalité et à
la justice sociale, au partage, recherche du temps, coopération à la place de compétition et refus du
tout économique.
La pensée de Thoreau est incarnée comme le seront d'autres pensées écologistes contemporaines.
C'est une pensée foisonnante et pas exempte d'un certain nombre de contradictions revendiquées
comme telles.

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Thoreau est un écologiste de terrain, un naturaliste autodidacte. Concord fut à Thoreau ce que
Selborne fut à White. Threau a pensée de marcheur, il a une observation minutieuse de ce qui
l'entoure avec des randonnées quotidiennes qui font 100 km / jour. Il observe ses « voisins » à
savoir les espèces non humaines. Il défend une proximité avec la nature. Dans cette contrée, la
Nouvelle-Angleterre se situe à l'ouest de Boston.
À la différence de ses prédécesseurs comme White, Linné ou Humboldt, il y a chez Thoreau la
volonté de remonter le temps et de retrouver sa demeure dans l'état où elle était avant l'arrivée de
l'homme blanc à savoir l'homme civilisé. Il se veut historien. Ceci se porte sur la forêt. Il constate
que les 1ers colons qui arrivent à Concord trouvent une forêt primitive impénétrable. Ces colons
vont pratiquer la déforestation, ils défrichent, domestiquer cette nature conformément à leur
système de croyances protestantes et puritaines. Le résultat est que, quand Thoreau mène ses
observations, en 1880, 18 ans après sa mort, il reste seulement 40% de terres boisées dans
l'ensemble de l’État du Massachusetts. De son temps, le bois est la 1ère source d'énergie. Il
considère qu'il y a un soucis de préservation pour l'avenir. Il est le 1er à plaider pour une
restauration de la forêt et à concevoir l'idée selon laquelle il faut constituer des réserves naturelles.
Il y a le sentiment de vivre à une période charnière. On est à un tournant en matière de fragilité de
l'ordre écologique. On retrouve cela dans les années 1930 chez les précurseurs français, dans les
années 1970 où les mouvements écologistes se constituent et lors du sommet de Rio en 1992. On
trouve l'idée que c'est à l'homme de s'adapter à cet ordre naturel plutôt que d'essayer de renverser
cet ordre. Son rapport sensuel à la nature se fait contre l'éthique puritaine qui domine dans la
Nouvelle-Angleterre de son époque. Il plaide pour une certaine animalité.
Il y a chez lui un désir de s'enraciner. C'est la seule façon d'être un homme total. Il refuse d'être un
esprit désincarné. Il a le sentiment d'appartenir à un vaste ensemble universel et unifié au même titre
que tous les êtres vivants. Il y a l'idée de force vitale animant l'ensemble de la nature. Elle traverse
un certain nombre de cultures notamment chez les stoïciens, chez Bergson, chez Humboldt ou chez
les Indiens d'Amérique. C'est une idée commune aux romantiques. Ces derniers retrouvent dans la
biologie, la science écologique cette vision païenne d'une nature composée d'êtres interdépendants.
La séparation est une illusion. Chez Thoreau, c'est l'idée que dans la vie organique, rien n'est isolé
de tout. C'est une vision holiste commune aux auteurs de l'écologie scientifique et des penseurs de
l'écologie politique. Le malheur de l'homme moderne vient de sa rupture avec sa communauté
d'origine. C'est une rupture avec sa communauté affective, son village, les racines … ainsi que
l'ensemble des êtres vivants humains ou pas. On trouve une idée perçue comme étant
antichrétienne. Les animaux sont frères des hommes, la seule exception concernant la prédication
aux oiseaux de Saint-François d'Assise qui est le seul père de l'église qui accorde un quelconque
intérêt aux animaux.
Pour Thoreau, l'homme n'a pas de stature supérieure. C'est la logique du vivant. Tous les êtres
composent la nature doivent avoir les mêmes droits. Cet auteur a une vision biocentrique et non
anthropocentrique. Il n'y a aucune supériorité de la raison humaine sur la raison animale. On trouve
des déclarations dénonçant la vanité de la race humaine, l'univers est bien trop grand pour être la
simple demeure de l'homme. Cette vision est à la fois celle de Thoreau mais aussi de l'ensemble du
courant romantique qu'il symbolise. Cette vision naturaliste est anti-humaniste et antichrétienne.
Elle est anti-humaniste car elle dénonce ce qu'elle considère comme étant l'arrogance aristocratique
du genre humain et antichrétienne car, pour Thoreau, le véritable principe divin se trouve dans le
cosmos et non pas enfermé dans les murs d'une église. Le véritable temple est la forêt. Il admire les
forêts, le site de Stonehedge où on trouve des cultes animistes païens. Ceci est au détriment de la
religion chrétienne.

Il a une ambivalence face à la science moderne. On trouve 2 éléments contradictoires :


– fascination pour le travail scientifique
– méfiance à l'égard de la science moderne

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Cela explique sa froideur, son insensibilité à une science rationnelle expliquant objectivement des
phénomènes naturels isolés sans comprendre la nature dans sa globalité. Ainsi, c'est comme si,
lorsqu'on analyse un livre, on se contente de regarder la couverture sans lire le contenu.
Il reproche à la science d'être conceptualisée et d'être orgueilleuse. Elle passe à côté de l'essentiel
comme le beau. Dans sa quête du progrès, la science ne respecte pas la vie. Le naturaliste moderne
va tuer les animaux pour les étudier. Thoreau veut un scientifique capable de concilier la rigueur de
la méthode scientifique moderne, expérimentale avec la compassion et la sagesse définie dans la
religion hindouiste.
On trouve dans sa réflexion une contradiction entre son apologie du contact sensuel avec la nature
et une méfiance à l'égard du sexe. On trouve dans Walden le désir de retourner à l'innocence de
l'enfance qui est l'idéal de la pureté. Cela va au-delà de la virginité. Ceci passe aussi par la question
de l'alimentation. Thoreau a une préférence pour le régime végétarien. Ce n'est pas un impératif de
santé mais c'est une philosophie pratique disant que la viande est impure et en manger, c'est un
choix de vie au détriment du vivant et qui produit + de déchets que le recours à l'alimentation
végétarienne. Dans sa pensée, il y a le choix de l'ascétisme. Il considère que les richesses
matérielles entraînent une corruption. Rechercher le confort conduit à l'aliénation. Son idée est que
nous échouons nos vies à gagner. Il y a donc une critique du travail. Il plaide pour une éthique de la
pauvreté volontaire qu'il appelle une simplicité austère. Cette thématique se retrouve dans le courant
décroissanciste. Seule cette éthique de la pauvreté volontaire peut conduire à une sorte de
rédemption morale.
On constate aussi le refus du rêve technicien. Chez Thoreau, il y a une véritable méfiance à l'égard
du progrès technique, des formes de pouvoir, de l’État. Il est le précurseur de la critique de la
vitesse. Il estime que les hommes vivent trop vite. Il critique la vitesse des transports, du travail et
des communications sous la forme du télégraphe. Il dit « nous ne montons pas dans le train, c'est
lui qui monte sur nous ». Il plaide pour une limitation volontaire des besoins.
Le véritable philosophe n'est pas celui qui arrive à concevoir un système philosophique complexe.
Le vrai philosophe est en mesure de penser les dilemmes de la vie quotidienne. Il est en mesure de
s'enraciner localement pour s'élever spirituellement. Il a une philosophie pratique incarnée. Il insiste
sur la simplicité matérielle, les aspects positifs de l'autarcie. Cette idée de simplicité est formulée
« il est plus laid d'en avoir trop que pas assez ». Cette démarche repose sur les valeurs d'humilité,
de retenue à l'égard de la mère nature. Il ne s'agit pas de souscrire à un programme établi mais c'est
à chacun, selon sa personnalité, de trouver sa voie, son chemin.
Il évoque un penseur français du XXème, un précurseur de l'écologie politique, qui, avant d'être un
anarchiste est un chrétien protestant : c'est Jacques Ellul. En tant que protestant, Ellul réfute
l'interprétation dominante des 1ers chapitres de la Genèse qui accorde des fonctions démiurgiques à
l'homme devant compléter la création par la technique. Quand on parle de démiurge, on pense à
dieu.

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Section 2 : L'anarcho-christianisme
Ellul (1912 Bordeaux – 1994 Pessac) vient d'une famille dont le père est un aristocrate ruinée avec
plusieurs origines. Sa mère est franco-portugaise. Le père est voltairien, la mère est une chrétienne
discrète.
Jacques Ellul a fait des études de droit à Bordeaux. Il rentre à la faculté de droit en 1929-1930 et il
va bénéficier d'un cours d'économie politique dans lequel le professeur est Joseph Benzacar. Il lui
parle de Marx et découvre cette pensée. Cette dernière fournit à Ellul une explication au chômage
de son père. La crise de 1929 est proche puisqu'elle arrive en France en 1932. Ellul considère que la
pensée de Marx donne une explication. Le capitalisme est condamnable et condamné. Ellul va donc
donner des cours particuliers pour assurer la survie de la famille. Ellul a une vingtaine d'année et
avec Bernard Charbonneau, il forme un petit groupe de discussion. Ils évoquent les questions
relatives au travail, à la société … Ces 2 individus prennent contact avec un mouvement politique :
Esprit qui est aussi une revue. Ça symbolise la pensée personnaliste dont le chef de file est Mounier.
Ellul va incarner la tendance la + girondine, individualiste, libertaire, fédérative et écologiste du
mouvement personnaliste.
La guerre de 1939-1945 éclate quand Ellul est chargé de cours à la faculté de Strasbourg. Il sera
révoqué non pour avoir critiqué Pétain mais parce que c'est un fils d'étranger. Il ne peut donc pas
rester dans la fonction publique (francisation de la fonction publique).
Il est spécialiste de droit romain. Il rentre à Bordeaux, il travaille dans une ferme et s'improvise
agriculteur. C'est un retour forcé à la nature. Il a activement participé à la résistance sur la ligne de
démarcation. Il a fait passer des gens, des faux-papiers.
En 1944, il est appelé au conseil municipal de Bordeaux mais c'est une délégation. Il va y travailler
pendant 6 mois ce qui fut une expérience décisive. Il a la conviction que la réalité du pouvoir
appartient non pas aux hommes politiques mais aux bureaux c'est-à-dire à l'admiration. Ce qui est
important chez Ellul, c'est que le politique n'est plus au cœur des choses. Ça signifie qu'au XXème,
c'est la technique qui est l'élément décisif. Après la 2nde guerre mondiale, il considère que si Marx
vivait au XXème, il prendrait la technique comme facteur déterminant et non l'économie.
Il ne participe pas aux élections municipales de 1945 mais il va y participer une seule fois en 1946
sous une liste de l'UDSR (Union Démocratique et Socialiste de la Résistance). Mais ce fut un échec,
la liste ne fait que 5%.
Pendant la résistance, Ellul était au mouvement Combat et le mot d'ordre de ce mouvement était
« De la résistance à la révolution ». C'est l'idée qu'il fallait utiliser la résistance pour changer le
régime. Il y a des élections en 1946 et c'est le retour des vieux partis qui ont conduit à la défaite. Les
partis de la IIIème République reviennent.
Il continue sa carrière universitaire à Bordeaux et refuse d'aller à Paris. Dès les années 1930, il a
réfléchi sur la technique. Il écrit un livre édité en 1954. C'est celui qui va le faire connaître aux
USA. Il va avoir un + grand retentissement aux USA qu'en France. Ça devient un best-seller dans
les sciences humaines et sociales. C'est le 1er volet d'une trilogie. Le 2 nd volet est Le système
technicien (1977) et le dernier est Le bluff technologique (1988).
Il ne veut pas remplacer le mot technique par technologie qui est réservé à l'idéologie technicienne.
Le 3ème livre est une opération idéologique de la société. Sinon, on peut se contenter de technique.
Il a aussi écrit L'illusion politique et une autre trilogie portant sur la révolution : Autopsie de la
révolution, De la révolution aux révoltes et Changer de révolution.
Après la guerre, il est attaché à la méthode marxiste en se débarrassant de certaines erreurs. Il
appelle à trouver « un nouveau Marx ». Il a une sensibilité anarchiste. Son choix pour l'anarchie est
« ici et maintenant ». Le danger est la combinaison de l’État et de la technique. Il faut donc essayer
de résister. Il a été bienveillant envers les événements de Mai 1968. Il soutenu ce mouvement contre
le modèle de la société de consommation. Mais il s'est désolidarisé de cet événement qui a voulu
faire la révolution pour s'emparer de l'appareil étatique. Il va s'exprimer dans journaux politiques et

24
dans les organisations.

Ce qui explique son positionnement à l'égard de l'environnement, c'est parce qu'il y a un facteur
politique. La technique menace la liberté de l'homme et la relation qu'il entretient avec la nature.
Cette relation est l'élément de la liberté initiale de l'homme. C'est un penseur engagé pas comme un
simple homme de science. Il montre que la technique est la clé de notre modernité. Ce n'est pas la
machine, elle vient socialiser l'homme. La technique est définie comme étant la recherche du moyen
absolument le + efficace dans tous les domaines indépendamment de toute autre considération. Il
n'est pas contre le progrès technique mais il y a une ambivalence. Tout progrès technique a des
effets positifs et négatifs inséparables. Les conséquences sont intelligibles. On ne peut pas établir
une sorte de bilan coût / bénéfice avec le progrès technique car parmi les effets négatifs, certains ne
peuvent pas être compensés. Ellul n'est pas contre le progrès technique, il montre l'ambivalence.
Ainsi, la technique peut être la vraie menace de la nature.
Son raisonnement est à la fois théologique et historique. Il part du constat qu'à l'origine pour les
chrétiens, le travail est une conséquence de la faute. Il n'y a pas de raison de sanctifié le travail. La
bible dit « le sol est maudit à cause de toi, tu produiras des épines et des chardons (…) tu gagneras
ton pain à la sueur de ton front ».
Les théologiens modernes tentent de justifier le travail car il faut s'adapter. C'est l'idéologie
travailliste qui vise à sacraliser le travail. Les théologiens tentent de définir le travail comme ils le
font avec la technique. La technique est donc la recherche du moyen le + efficace dans tous les
domaines. Elle n'est pas mauvaise en soi mais ça relève du monde des pêchés, c'est une
condamnation. C'est du domaine du nécessaire qui s'oppose à la liberté. Il conteste le sens attribué
aux 1ers chapitres de la Genèse. Ellul en conteste l'interprétation dominante. Pour lui, il ne s'agit pas
de dominer la création par la contrainte. Il faut le faire à l'image de dieu c'est-à-dire par le biais de
l'amour. L'homme n'est que le représentant de dieu du Terre, son simple lieutenant.
Ellul est à contre-courant des théologiens. Il pose la question des limites à l'exploitation de la
création. Il aborde la question du respect de l'animal. Les hommes et les animaux sont sauvés
ensemble par dieu. Ceci est dans le livre des prophètes.
Il conteste les formes d'élevage intensif, les méthodes d'engraissement des animaux. Il va jusqu'à
comparer la condition de vie de ces animaux élevés pour la consommation de l'homme jusqu'à celle
des détenus dans les camps d'exterminations. Il est dans la logique de Singer qui fut prix Nobel de
littérature qui affirme « pour ces créatures, tous les humains sont des nazis, pour ces animaux c'est
un éternel Treblinka ».
Ellul renverse la thèse selon laquelle le judéo-christianisme est à l'origine de la crise écologique
actuelle. C'est le contraire parce que l'homme ne croit plus au dieu créateur qu'il se conduit de façon
irresponsable envers la nature. On ne peut pas poursuivre un développement infini dans un monde
fini. Ellul est l'auteur présumé d'une formule « penser globalement, agir localement » qui est une
expression des altermondialistes. Toute sa vie, il a illustré cette devise mais il a nié en être l'auteur.
Il a mis en pratique cette devise dès les années 1930 en Aquitaine. On trouve dans les différents
articles qu'il publie avec Charbonneau des déclarations comme « ce n'est pas en changeant un
régime que l'on peut changer la vie ». On a pu parler de personnalisme gascon. Ce manifeste
personnaliste est un texte de combat. Les auteurs s'en prennent au gigantisme, à la concentration
urbaine, ils déplorent la disparition de la nature au profit de la vie artificielle, ils critiquent l'emprise
de la publicité. Ils se prononcent pour une révolution de civilisation, une réduction de la puissance
de l’État au profit des autonomies locales d'organisation fédérale. Ils proposent une réorientation de
la technique au profit des classes pénibles. Ils se prononcent en pleine période de crise économique
sur une réduction drastique du temps de travail. Ils veulent une cité à hauteur d'hommes et une
limitation volontaire de la croissance économique. Ils veulent une vie + naturelle, un contrôle de la
publicité. Ils veulent une allocation universelle pour tous dès la naissance sans aucune contrepartie.
Il y a la protection de la nature, la thématique de la qualité de la vie et le principe de solidarité

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sociale. On est dans des invariants de l'écologie politique française.
Ellul est l'auteur le + cité par les écologistes français. On retient sa réflexion sur l'emprise de la
technique dans les sociétés industrielles contemporaines. Ivan Illich le considère comme son maître.
C'est le théoricien de la convivialité. Il devait à Ellul la notion de seuil c'est-à-dire que les
institutions (écoles, universités, hôpitaux), quand elles sont trop grandes, deviennent contre-
productives.
Ellul a une grande activité éditoriale. Il publie des articles écologistes dans Le Monde, Ouest France
et Sud-Ouest. Dans ce qui relève de la presse écologiste, il écrit dans un journal.
Il est militant, un penseur engagé. Il a eu des projets d'aménagement du territoire notamment une
mission interministérielle d'aménagement de la cause aquitaine en créant le comité de défense de la
côte aquitaine. Avec Charbonneau, il joue un rôle de contre-expertise.
Ellul va fonder ECOROPA qui est une association écologiste européenne. Il publie Une Europe
différente vers une démocratie écologiste.
Il condamne la création des Verts en 1984. Il soutient leurs revendications mais ces idées n'ont rien
à gagner à entrer dans le jeu politicien. Il dit que lorsque l'écologie devient un parti, on rentre dans
le jeu du pouvoir institutionnel et on divise la cause qu'on entend servir. Il prédit la division du
mouvement entre écologie de droite, gauche, centre … Il apparaît lors des élections de nombreuses
listes se revendiquant de l'écologie politique.

Ellul est contre la protection de l'environnement. Ceci est un mythe. En effet, au début des années
1970 et la création du ministère de l'environnement, il signale que l'environnement est au carrefour
entre les sciences sociales et l'écologie scientifique (tout être vivant fait partie d'un milieu). Jusqu'à
maintenant, le besoin esthétique de l'homme a été réalisé par la nature. Il a donc su faire jouer une
fonction de symbolisation. Pour être heureux, l'homme a besoin de retirer un plaisir gratuit de son
milieu. Il constate la disparition de cette possibilité.
Il estime qu'on définit l'homme comme un animal adaptable mais cette notion d'adaptabilité est
interprétée à 2 niveaux :
– une 1ère question relève de la science : la limite de cette adaptabilité
– une 2nde question éthique : est-ce souhaitable d'amener l'homme à s'adapter à tel ou tel
milieu
Il constate que l'économie et la technique ont bouleversé l'environnement par l'essor industriel, le
développement humain, les conditions de travail, l'accélération du temps, l'épuisement des
ressources … Mais pour Ellul, la technique moderne n'est pas à analyser comme étant une source de
pollution.
La technique en soi est une nuisance. On justifie une technique par une autre. On évoque les
craintes du passé (ex : vitesse des transports) pour écarter aujourd'hui les critiques justifiées par le
progrès technique. Les 1ères craintes exprimées furent au début de la révolution industrielle sur la
pollution des fumées. Les craintes n'étaient pas absurdes.
Ensuite, cette politique de défense de l'environnement considère que l'économie et la technique sont
à l'origine des troubles provoqués dans l'environnement humain et on cherche à compenser ces
troubles par des solutions économiques et techniques. On pratique l'incinération des déchets, on
entre dans des politiques de recyclage mais on ne s'occupe pas des nuisances immédiatement
décelables mais qui sont les + dangereuses. On s'attaque à la partie immergée de l'iceberg.
Ellul évoque explicitement, en parlant de la + grande prudence, le principe de précaution. Il évoque
l'achat du droit à polluer qui est une politique publique. Avec la politique de captation, de ces
achats, on ne règle pas les vrais problèmes. On recherche absolument le moyen le + efficace dans le
système économique. Le politique intègre donc une nuisance et une pollution. On ne pense pas
véritablement au problème de l'environnement. Ellul s'en prend à la formule de protection de
l'environnement. Cette notion présuppose un environnement traditionnel qu'il faut protéger. Ça
débouche sur une lutte contre la pollution et une protection théorique de la nature car on protège

26
cette nature à titre d'échantillon. C'est la politique des réserves naturelles, des parcs nationaux. Ce
sont des lieux d'excursion où l'homme y séjourne provisoirement. Ces échantillons de nature ne sont
pas l'environnement quotidien de l'homme moderne. Ces parcs nationaux ont une fonction
d'exutoire. Le vrai problème est le travail sur l'environnement quotidien de l'homme. C'est un milieu
technique et bureaucratique. Ellul pose la questions des limites de cet environnement. Pour les
économistes, ça renvoie à l'externalité négative, aux nuisances. Pour Ellul, ceci est impossible à
évaluer selon de simples critères statistiques. Le quantitatif n'est pas utile. L'externalité est
différente selon les cas. Le plaisir procuré par la nature ne se mesure pas avec des données
statistiques. Analyser ces nuisances par les statistiques ne marche pas.
Pour les économistes, l'environnement est réduit à sa dimension chiffrable. Pour les autres, Ellul
considère que les non-économistes prétendent concilier 2 choses opposées :
– la poursuite d'une croissance économique intacte
– protéger l'environnement
Les 2 ne sont pas conciliables. Ellul en arrive à distinguer 3 visions différentes de l'environnement :
– celle des théoriciens dans les sciences humaines et sociales : chacun de ces théoriciens,
malgré une prétention scientifique, exprime toujours des préférences critiques. On retrouve
le reflet d'un choix
– celle des technocrates : l'environnement est ce qui doit être modelé par l'homme. Il s'agit
d'aménager et domestiquer l'environnement alors que dans le passé, Ellul montre que c'est
un modelage long et patient de la campagne par les paysans. Il y a une invention
pragmatique des villages. C'est un processus qui se fait dans la durée
– celle de tout le monde : les citoyens ont un manque de clairvoyance. Les usagers protestent
contre les nuisances avec l'incapacité de remonter aux sources, aux causes fondamentales de
ces nuisances. Ces usagers sont sensibles uniquement aux faits spectaculaires au détriment
de ce qui constitue l'essentiel de l'environnement humain à savoir les pollutions liées à
l'habitat, aux conditions de travail, au sommeil … Quand ces individus sont conscients d'un
problème, ces usagers ne veulent pas changer leur comportement (ex : pollution de l'air et
refus de renoncer à l'automobile). Ellul voit dans ce comportement une fonction de
diversion. L'environnement est un thème facilement récupérable aussi bien pour la majorité
que pour l'opposition. Enfin, la politisation des questions environnementales fait croire à tort
qu'il existe une possibilité de maîtriser ces questions par des choix politiques
Ellul considère que le mensonge consiste à faire croire qu'on peut protéger l'environnement sans
toucher à la croissance. La pollution n'est qu'une simple bavure et non la conséquence de la
technique. Il veut donc une remise en cause radicale de la croissance. L'environnement n'est qu'un
moyen inconscient d'éviter la question centrale qui est la société technicienne. La faute en incombe
ni aux capitalistes, ni aux gouvernants mais à nous, aux usagers. Les usagers réclament une nature
saine sans renoncer aux commodités que nous procure la société technico-industrielle. Il dit que le
développement de la l'environnement et la croissance de la technologie sans remettre en question le
progrès technique, la société technicienne, la recherche de l'efficacité est une opération non
seulement inutile mais fondamentalement nocive. Elle permettra de calmer faussement les
inquiétudes légitimes en jetant un nouveau voile sur la réalité menaçante.

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Section 3 : Écologie sociale et municipalisme libertaire
Murray Bookchin (1921 New-York – 2006 Burlington, Vermont) a appartenu tôt aux jeunesses
communistes. Il invoque une appartenance à l'age de 13 ans à la young communist league. Il est né
de parents russes réfugiés aux USA. Il est contemporain de la guerre civile en Espagne et il rompt
avec le marxisme-léninisme. Il se rapproche avec les trotskistes de New-York qui veulent résister au
stalinisme. Il a étudié l'histoire de la république espagnole et par les révolutions menées notamment
à Barcelone et à Valence. Il est sensible à la mise en commun des terres, à la suppression de l'argent,
un gouvernement soumis à la démocratie directe en Andalousie et en Aragon. Il est sensible à la
spontanéité révolutionnaire qui s'opposait à une idéologie marxiste-léniniste autoritaire et calquée
sur le modèle de la société industrielle, de l'usine. Bookchin a été chef de position dans des
fonderies, dans des usines automobiles aux USA.
Dans les années 1930-1940, il s'engage dans la voie du syndicalisme révolutionnaire. Il a fini par
rompre avec le marxisme. Il va participer à la fondation d'un syndicat à New-York dans les années
1950. Il se lance dans l'activisme anarcho-syndicaliste.
En 1952, il se bat contre les pesticides et les additifs alimentaires. En 1954, il se mobilise contre les
essais nucléaires et les retombées radioactives. Il est à l'initiative de campagnes de mobilisations
contre le nucléaire civil présenté comme étant l'atome de la paix. Il arrive à sensibiliser l'opinion
américaine après l'incident d'un réacteur nucléaire en 1956.
En 1963, il va être à l'initiative d'un combat contre un projet de construction de centrale nucléaire en
plein cœur de New-York. Il publie sous un pseudonyme un livre intitulé Notre environnement
scientifique en 1962 6 mois avant le best-seller de Carson Le printemps silencieux. Mais l'ouvrage
de Bookchin fut un échec. Il donne des conférences pour sensibiliser l'opinion à l'écologie.
Dans la 2nde partie de sa vie, il est lié à la contre-culture intellectuelle. Il publie un ouvrage sur le
thème de Carson. Il est publié en 1969.
Fin des années 1960, il a enseigné à l'université. Il a été 2 ans professeur de théorie sociale à
Ramapo College dans le New-Jersey. Il est le cofondateur en 1974 de l'institue de l'écologie sociale
basée dans le Vermont.

Cette écologie sociale est pensée comme libertaire de gauche. C'est un positionnement qui prend le
contre-pied d'une vision marxiste anthropocentrique, d'une nature ressource qu'il faut exploiter et
dominer jusqu'au pillage. Il s'oppose aussi à la branche ultra-minoritaire d'une lutte écologique anti-
humaniste, aveugle à la dimension écologique et sociale des questions écologiques car trop obsédée
par la protection des terres sauvages.
En 1987, lors du rassemblement des Verts aux USA, Bookchin attaque les universitaires écologistes
et les activistes de la Terre d'abord, de l'écologie profonde académiste. Il s'en prend au philosophe
norvégien Arne Naess ainsi qu'à l'Américain Bill Devall. Lors d'un débat public avec ses
adversaires, Bookchin s'est présenté comme un défenseur de la nature sauvage. Il a commencé par
se présenter comme étant un connaisseur et un amateur de cette nature sauvage. Il s'est appuyé sur
sa vie. Il évoque ses promenades dans le Bronx au moment où il n'était pas urbanisé. Il a une
connaissance des parcs nationaux américains. Il connaît aussi les forêts européennes notamment la
Forêt Noire en Allemagne. Il a fait de la randonnée dans les Apanages jusqu'au Vermont. Il aime la
montagne. Il se défend d'être un écologiste de « bureau », c'est un homme de terrain.
Cette connaissance de la nature est une écologie appliquée telle qu'elle est dans l'institue de
l'écologie sociale. Il veut une écologie douce. Il utilise le solaire et l'éolien. Il favorise les habitats à
basse consommation d'énergie, il favorise la création d'immeubles écologistes. Il prône pour une
agriculture biologique. Mais c'est un écologiste des villes.
Il a théorisé une société anacho-écologiste pour les USA dans un ouvrage publié en 1997. Son
œuvre principale est The ecology of freedom (1982). C'est une écologie sociale non radicale.

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Le municipalisme libertaire est un projet de confédérations de municipalités libertaires. C'est un
réseau horizontal de communes. Il reprend à son compte une formule de Mai 1968 « Soyons
réalistes, demandons l'impossible ». Mais Bookchin dit « Si nous ne réalisons pas l'impossible,
nous devrons faire face à l'impensable ».
Il dit que si on veut remédier au désastre écologiste, il faut admettre qu'il ne faut pas seulement
détruire les classes sociales, d'en finir avec l'exploitation mais il faut faire disparaître toutes les
formes de hiérarchie à savoir l'homme sur la nature, vieux sur jeunes, hommes sur femmes, la
domination entre hommes, une caste sur une autre, une ethnie sur une autre …
Il faut parler d'écologie sociale car il faut changer toute la société si on veut éviter un biocide. Ceci
remplacerai la société capitaliste. Cette nouvelle société doit être construite sans hiérarchie, sans
caste. Elle favorisera l'instruction car l'éducation est indispensable à la création d'un humanisme
écologiste fondé sur une nouvelle conception de la rationalité. Le détour par l'éducation est
nécessaire. Il s'agit de faire face à 2 dangers :
– on constate le développement d'une vague puritaniste et anti-rationaliste qui, au nom d'un
retour à la nature, invoque les religions païennes, les cultes traditionnels ou différentes
cultures. Il refuse l'écologie profonde est fondée sur des raisonnements maltusiens où les
pauvres du tiers-monde peuvent mourir de faim, il faut laisser la nature suivre son cours.
Elle doit avoir un rôle de régulation. Bookchin s'oppose à ce raisonnement qui exonère les
multinationales, l'industrie agroalimentaire et l'impérialisme. Ce point de vue nie toute
dimension sociale
– il veut combattre les écolo-technocrates. C'est le mythe d'une science et d'une technique
pouvant réguler la crise économique. C'est une conception résumée par la notion de vaisseau
spatial terre. L'idée est de combattre le monde gouverné par une élite d'ingénieurs, de
techniciens, de politiques … Cela repose sur la création de méga-États à l'inverse de
structures décentralisées. Bookchin y voir la négation de l'idéal de la philosophie des
Lumières basé sur la raison, le progrès, la liberté, l'instruction, l'autonomie individuelle, la
responsabilité …
Ces modèles sont aussi dangereux l'un que l'autre. Il faut éviter le « monde préhistorique » et le
vaisseau spatial. Il faut définir en réalité la place de l'humanité dans la nature. Cette place est
singulière car l'homme fait partie de la nature mais il diffère des autres formes du vivant par sa
capacité à penser conceptuellement et à communiquer symboliquement. Cette nature n'est pas non
plus un écran panoramique qu'il faut admirer passivement. Elle doit être pensée dans sa totalité en
prenant compte des évolutions. Ainsi, l'homme constitue non pas seulement une vie spécialisée
parmi d'autre mais l'homme peut potentiellement prendre conscience de l'évolution et peut l'orienter.
Il doit seulement être prudent. Son intervention est soit créatrice, soit destructrice.
Pour Bookchin, la création d'une humanité éclairée, qui aurait pris conscience de sa responsabilité à
l'égard de la nature, pourrait créer une société écologiquement harmonieuse. Ce n'est cependant
qu'un espoir. Il constate qu'à l'heure actuelle, notre capacité à nous entre-tuer, notre pouvoir de
destruction complète de la planète, l'espèce humaine est la moins évoluée de la création. Le
problème est de nature sociale et politique. Il faut un changement des mentalités, sinon, toute
volonté de créer une société écologiste sera un échec.
Il y a l'idée qu'on est à un tournant de l'humanité. Ce tournant historique repose sur 2 modèles :
– le choix d'une sensibilité écologique fondée sur l'engagement face à la communauté,
l'entraide, pour des technologies nouvelles …
– refus de ce choix pour aller vers le désastre thermonucléaire
Il y a donc une transformation radicale ou l'apocalypse. Son analyse repose sur l'idée que la crise
sociale n'est imbriquée que dans la crise écologique. Les 2 éléments sont liés. Il établit le lien entre
l'exploitation de la planète par l'homme au sens masculin, la nature étant exploitée, pillée, violée et
conçue comme une espèce d'immense abattoir. Il faut donc retourner certains principes. Il faut faire
confiance dans le progrès technique (ex : voitures non polluantes). Il s'agit d'adopter des techniques

29
douces. Il n'est pas question de rejeter l'héritage scientifique pour revenir à la vieille société, au
labeur épuisant. Il n'est pas question non plus de se laisser assujettir à un monde déshumanisé par la
technique. Il faut un juste milieu entre technophile et technophobe. Il faut admettre l'indiscipline du
rêve, de l'imagination, de l'inventivité. Il déplore que la science moderne soit fragmentée,
parcellaire. Il convient d'étudier les faits dans leur totalité. Cette discipline est l'écologie sociale.

L'écologie environnementaliste exprime une vision mécanique et instrumentale de la nature. C'est


un milieu factice composé d'objets qui doivent rendre service aux humains. L'environnementalisme
conçoit la nature comme une ressource qu'on peut exploiter sans limite, dans laquelle on peut puiser
à volonté. Cette écologie environnementale est conforme au postulat dominant qui veut qu'il
appartient à l'homme de dominer la nature. Cette écologie cherche une trêve avec la Terre, à rendre
moins anxiogène la destruction de l'environnement.
L'écologie sociale de Bookchin est une science des rapports naturels et sociaux à l'intérieur des
écosystèmes. Il faut mettre l'action sur l'interdépendance, sur le holisme mais Bookchin entend se
démarquer, ce holisme n'a rien de spiritualisant et il considère que le tout n'a rien à voir avec la
somme des parties. Cette totalité est une construction complexe et qui a une histoire ainsi qu'une
logique propre. Il estime que les hommes peuvent devenir + que ce qu'ils sont.
Cette prise en compte de la totalité ne doit pas être perçue comme une vision totalitaire. Ce n'est pas
non plus une vision téléologique. Il n'y a aucun déterminisme chez Bookchin. Cette totalité
écologique n'est pas immuable, il s'agit de tenir compte, de participer à une sorte de dynamisme de
l'unité dans la diversité. Cette totalité n'est pas homogène mais elle est à la fois complexe et variée.
Elle s'oppose à toute idée d'uniformité. Ceci ne peut que conduire à une catastrophe. Ainsi, on peut
évoquer l'exemple de la monoculture. Pour Bookchin, il est illusoire de croire que la science et la
technique vont résoudre tous les problèmes. On ne peut maîtriser toute la complexité. Mais
Bookchin ne s'oppose pas au progrès technique. Il n'est pas non plus question d'idéaliser la nature. Il
faut simplement travailler avec elle, comme un navigateur qui utilise les courants.
L'écologie sociale doit aussi être anti-hiérarchique. La façon de décrire les écosystèmes se résume à
des oppositions dominants / dominé. Cette représentation exprime un simple anthropomorphisme. Il
faut abandonner les modèles de la société construite sur une pyramide avec l'homme au sommet. Il
faut utiliser un véritable réseau circulaire. Il n'y a ni bas ni sommet. Il n'existe pas de point d'entrée
ni de sortie. C'est un système clos et interdépendant. Ainsi, + la chaîne alimentaire va être complexe
moins elle va perdre sa stabilité lorsqu'un un élément sera retiré. Les dangers de l'analogie entre
l'animal et l'humain sont dénoncés par Bookchin. Cette analogie n'a rien d'innocent. On retrouve
une terminologie humaine pour distinguer la flore et la faune. Cet anthropomorphisme n'a rien
d'innocent, il renforce ceci en naturalisant. On retrouve la domination des hommes, de l'homme sur
la femme, de l'adulte sur l'enfant … On donne un caractère naturel. La supériorité de l'espèce
humaine est inscrite dans un code biologique.
Bookchin dément la métaphore de la ruche d'abeilles pour désigner la société. Elle est absurde. La
reine des abeilles ignore qu'elle est reine. Il s'agit d'une projection de notre imaginaire hiérarchique.
La ruche est un vaste organe sexuel voué à la reproduction ne remplissant aucune fonction
économique. La représentation du monde animal avec une terminologie humaine (dominant,
esclaves …) est une erreur. Bookchin montre qu'il existe des rapports de coopération entre les
animaux, pas seulement des rapports de force. Il prend l'exemple des gibbons qui sont dans des
rapports paisibles, ils partagent la nourriture. Les mâles et les femelles participent à part égale à
l'élevage des petits. Même si on se réfère au monde animal, ce n'est pas seulement la violence, il n'y
a rien d'inscrit.
Cette écologie sociale ne conçoit pas être confondue avec la sociobiologie et aussi lorsque
l'écologie pratique l'analogie. Par comparaison avec les rapports dans les sociétés humaines et
animales, soit on tombe dans un dualisme strict qui sépare à tort le naturel du social, soit on va
tomber dans un révisionnisme grossier où on va faire une dissolution des 2. Pour Bookchin, il faut

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analyser les étapes par lesquelles une nature biologique naît et va se transformer en une nature
humaine consciente. Toute comparaison directe entre la faune, la flore et les humains est un piège.
C'est une réduction intellectuelle qui n'est pas sans danger. Ça tombe dans des délires
sociobiologiques. Il montre les ruptures que l'on voit effectués dans les représentations en cours.
Parmi ces ruptures, il montre que Marx a tenté d'enraciner l'identité de l'humanité dans l'interaction
productive avec la nature. Mais, pour Bookchin, la nature imprime sa marque sur le monde humain
et l'homme est transformé. Ce n'est pas seulement l'homme qui dompte la nature mais c'est aussi la
nature qui dompte. Bookchin appelle à retourner contre lui le langage hiérarchique. Il constate que
si la proximité de notre nature animale avec la nature spéciale relève de l'évidence. Si la proximité
humain / primate relève de l'évidence, d'autres choses sont toute aussi importantes. Ainsi, la nature
est une condition préalable au développement de la société mais pas en tant que nature mère de
richesse comme dans la vision patriarcale voire sexiste comme celle de Marx. Dans la vision
marxiste, c'est le travail du père. La représentation est celle de la passivité féminine.
Il y a une interaction entre la nature et l'humain. Ceci aboutit à la réussite des potentialité commune
dans les sphères naturelles et sociales. Ceci s'exprime dans le cadre des biorégions. Ce sont des
écosystèmes, des zones écologiques qui par leur spécificité, vont s'imposer aux prétentions
humaines. La construction de Bookchin, de la nature et de la société, s'oppose à la vision dominante
de Marx. Si on doit la rattacher, Marx dit que les hommes font leur propre histoire mais pas dans les
conditions de leur choix. Un écosystème et une société ont une histoire. Il convient de leur donner
un sens, une signification.

Bookchin est un auteur anti-hiérarchique qui est un invariant de la pensée libertaire. Il insiste aussi
sur le rôle de la spontanéité révolutionnaire.
Il invite à se méfier de tout ceux qui se présentent comme des experts, des gardiens de la société,
des leaders politiques, des conférences, des avants-gardes à la Lénine ou autres révolutionnaires.
Ces différents cercles se révèlent dans la pratique les pires ennemis du changement social. Une
société fait naître la possibilité de la liberté et de la conscience de soi en tant que fonction surajoutée
à la stabilité. Il souhaite montrer qu'il s'agit de repenser la continuité naturel et social. C'est un
continuum. L'écologie sociale ainsi conçue refuse toute idée de principe hiérarchique stabilisateur.
Elle refuse la sociologie au sens strict car elle nous sépare de la nature et conçoit la société comme
étant parfaitement autonome. Elle refuse tout autant le dogme grossier de la sociobiologie qui nous
enferme. Il faut alors construire une société non hiérarchique, un projet alternatif mais aussi
aléatoire. Les démocraties sont généralement dénaturées dans le sens où elles ne correspondent plus
à l'idéal démocratique. Ce sont des oligarchies où les élites se disputent le soutien d'un public pour
choisir leur tyran.
Bookchin dit qu'il est possible d'instaurer un nouvel équilibre entre les pratiques agricoles et les
zones urbaines. Ensuite, il faut trouver, pour chaque écosystème, une technologie adaptée. La nature
est comme un jardin. Il faut aussi décentraliser l'agriculture et rompre avec les modèles de l'agro-
industrie. Il faut réduire la taille des villes pour restaurer un équilibre avec la campagne.
Cette écologie sociale soulève + de questions qu'elle n'apporte de réponse. Il faut savoir quelles sont
les institutions à inventer, les rapports sociaux devant instaurer une sensibilité écologique, rendre le
travail créatif, la taille maximale pour la population … Ces questions sont vitales pour lui mais
peuvent être difficilement entendues car s'opposent aux tendances lourdes de la société. La
combinaison crise sociale et écologique rend ces questions essentielles. Il faut laisser place à
l'imagination. « Si nous ne réalisons pas l'impossible, nous devrons faire face à l'impensable ».
Ces sociétés partagent 5 caractéristiques :
– l'humanité ne maîtrise pas + la nature que cette dernière ne maîtrise l'humanité
– principes de l'usufruit : les individus jouissent de ce qu'ils ont produit mais ils ne sont pas
propriétaires
– droit à un minimum de moyens : principe du minimum irréductibe

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– principe de complémentarité selon lequel chacun a une fonction estimable dans la
communauté
– cohésion sociale des communautés assurées par les liens de sang sans qu'un groupe
d'individus ne finisse pas monopoliser le pouvoir

Le municipalisme libertaire montre la nécessité de prise de pouvoir par le bas et la rupture avec les
traditions en faveur d'une confédération. Ce projet part du slogan de démocratiser la république et
de radicaliser la démocratie. Il faut s'appuyer les libertés acquises au cours de l'histoire qui ont
souvent été conçues grâce aux fractions les + éduquées et privilégiées de la population ainsi que par
les classes exploitées. Ces libertés ont été révisées à la baisse au bénéfice d'une minorité. Il faut
s'appuyer sur les vestiges des libertés pour en réclamer de nouvelles permettant de cumuler la
participation populaire. Il faut préserver les acquis démocratiques et les radicaliser en les élargissant
pour réduire l'emprise croissante de l’État sur la vie quotidienne.
Il entend par radicaliser la mise en place d'un pouvoir dirigé contre l'Etat-Nation. C'est l'idée d'une
lutte continue. Cela permet de constituer un pouvoir populaire suffisamment fort pour renverser
l'Etat-Nation. Comment une simple confédération de municipalités pourraient vaincre les États-
Nations ?
Pour Bookchin, il faut raisonner dans le cadre de long processus et avoir des perspectives
historiques. La mondialisation est un phénomène récent. Il fut au centre des discussions pour
Lénine. L'exportation du capital était la clé du capitalisme de son temps. Aujourd'hui, le capitalisme
se comporte selon la théorie économique marxiste en exportant le capital et en industrialisant la
planète. Cette mobilité du capital a toujours existé pour Bookchin. S'il est vrai que certaines firmes
américaines délocalisent à l'étranger, beaucoup d'autres se contentent d'aller dans le sud des USA, là
où la main d’œuvre est la moins chère et où les syndicats sont faibles. Elles auront des avantages
fiscaux.
Si le capitalisme se mondialise, le mouvement municipaliste libertaire doit s'internationaliser.
Bookchin évoque l'exemple de la 1ère internationale. Les solidarités de classe sont + fortes que les
solidarités nationales. Il prend l'exemple des travailleurs belges qui ont empêché des soldats de
briser les grèves de mineurs en France. Les travailleurs anglais ont collectés des fonds pour les
travailleurs grévistes français. Il faut un mouvement enraciné dans une base sociale.
Le déclin de l'Etat-Nation est nécessaire. Il est inévitable de considérer que le pouvoir des
multinationale est supérieur aux grandes puissances. Mais cette idée doit être nuancée. Les USA
colonisent le Canada et le Mexique.
Ce que Hitler a voulu faire par la guerre en Europe, l'Allemagne le fait aujourd'hui avec l'euro grâce
à sa puissance financière et industrielle. Les États impérialistes poursuivent le même objectif. Pour
Bookchin, l’État bourgeois a toujours été au service du capital. Ainsi, le gouvernement Clinton a
renoncé à la clause Delaney qui interdisait la présence de substances cancérigènes dans les denrées
alimentaires. Bush père a opté en faveur de la déréglementation dans le domaine des
biotechnologies au bénéfice des firmes en particulier auprès de Monsanto.
Le pouvoir de l’État permet de favoriser les firmes en exploitant la main d’œuvre étrangère. Ce
pouvoir étatique cherche, sous couvert de lois antiterroristes, à renforcer son propre pouvoir. Il ne
faut pas opposer pouvoir des États et des multinationales.
Pour faire face, il est nécessaire de constituer à la base une mobilisation non pas en créant des partis
qui auraient pour objectif de rentrer dans la compétition électorale. Il faut construire une structure
politique séparée. Les municipalités confédérées s'inscrivent en dehors du jeu parlementaire. Ce
mouvement est à inventer, il n'y a aucun modèle. Il n'y a nulle part de société libertaire surtout pas
l'eccelsia d'Athènes qui est l'opposé de ce qu'il entend promouvoir. Le pouvoir est réservé à une
minorité. Le citoyen pouvait participer à la vie publique avec un quorum de 5000. Cela permet aux
propriétaires de se mobiliser. Ce modèle exclut les femmes, les métèques et les esclaves.
Il y a eu de telles expériences. Des solutions alternatives existent. Dans une municipalité libertaire,

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personne ne sera obligé d'assister à toutes les réunions mais ce droit de participer permettra aux
individus de contrôler les tendances autoritaires et hiérarchiques qui ne manquent pas de naître dans
la société humaine. C'est un mouvement dont le but ultime est de créer une société véritablement
libertaire. C'est un mouvement lent. Les révolutionnaires russes ont mis 1 siècle à convaincre leur
peuple de se mobiliser contre le Tsar. Il déplore que les générations de l'après-guerre se caractérisent
par le tout de suite. Mieux vaut retourner aux charmes de la vie privée si croit tout changer.
Le municipalisme libertaire vise le réveil des consciences. Il repose sur l'idée de spontanéité
révolutionnaire. La technique peut favoriser ce mouvement. Il pense que la quasi-totalité des taches
pénibles sera automatisée. Il convient de marquer une rupture avec les courants technophobes
comme les anarcho-primitivistes.
En réalité, le modèle de Bookchin n'est pas technophobe ni même opposé à l'organisation.
L'absence de structures conduit à la tyrannie. Il considère qu'il faut une constitution, une règle
politique. Là où il existe un minimum de structures, on trouve un maximum d'arbitres.
Le mythe du bon sauvage est un non sens biologique. Il n'y a pas de nature humaine intangible, les
gens ne sont pas bons par essence. Il faut donc un minimum de règles car sinon, on verse dans
l'arbitraire. Bookchin n'est pas certain qu'une société libertaire puisse voir le jour mais il estime que
le capitalisme productiviste finira par détruire la société. Cette idée est commune à un auteur
comme Charbonneau.

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Chapitre 2 : L'écologie personnaliste
Section 1 : L'écologie individualiste de Bernard Charbonneau
Pour Linné, « nous appelons personnaliste toute doctrine affirmant le primat de la personne sur les
nécessités matérielles et sur les appareils collectifs qui soutiennent leur développement ».
En réalité, on peut ranger Charbonneau parmi les libertaire et Ellul parmi les personnalistes. Il
furent amis.
Charbonneau (1910 Bordeaux – 1996) est resté marginal. Il fut ignoré du grand public et d'une
grande partie des élites. Ellul voyait dans cette marginalisation la preuve que Charbonneau avait
une vision juste.
Pendant sa vie, il s'est éloigné des centres urbains et des milieux médiatiques. Son grand livre
s'intitule Les jardins de Babylone. Ce livre a été édité par Gallimard. Charbonneau s'est retiré des
villes et a fini sa vie dans les Pyrénées. Il a mis sa vie en conformité avec ses idées. Il avait la
volonté d'assumer pleinement et douloureusement le risque de l'isolement intellectuel.
Charbonneau est la principale référence intellectuelle du mouvement écologiste français. Il est
souvent cité par les militants écologistes.
Il vient d'un milieu bourgeois, il a un père pharmacien. Sa jeunesse est celle d'un citadin dont la
prise de conscience écologiste ne vient pas de la lecture. Il a vu sa ville se faire envahir par la
voiture et de voir tout autour ses terrains de jeu se faire gagner par l'urbanisation. Il estime qu'il a le
besoin de nature.
Cela le conduit à pratiquer de façon active et cognitive une sorte de scoutisme non organisé, des
camps dans la nature.
Il faut citer la revue Esprit de Mounier. Existait auparavant L'ordre nouveau qui était une revue
importante du personnalisme dont se sentaient proches Ellul et Charbonneau. Ce fut aussi un
mouvement. Il faut insister sur la caractère indissociable de la vie et de l'homme. Esprit est
catholique alors que L'ordre nouveau ne peut pas être réduit au christianisme. Rougemont est
protestant, il y a des francs-maçons … La vie et l'homme sont indissociables.
Le père de Charbonneau est athée mais d'origine protestante. Sa mère est une catholique
sociologique. Sa famille n'a pas véritablement d'enracinement religieux. Charbonneau considère
qu'il est spiritualiste. Quand il emploie ce terme, il sait que les choses sont ambiguës. Il ne se définit
pas comme un croyant. Le christianisme est inséparable de notre conception moderne de la liberté.
Il pense que Jésus est notre frère. Depuis le christ, tout paganisme ne peut plus qu'être un nihilisme.
Il se considère comme agnostique, post-chrétien car il partage le refus de la divinité du christ.
Son histoire est celle d'un enfant rebelle qui étouffe dans la ville et veut s'en échapper. Il va se
retrouver dans le scoutisme, il sera éclaireur. Ensuite, il part seul dans site où la nature est encore
intacte. Il va dans les Pyrénées, traverse les Landes, il pratique du camping sauvage. Il avait ce goût
d'amener et de convertir des intellectuels à des contacts directs avec la nature. On peut citer Georges
Dusors. C'est un épistémologue, il fut élève de Bachelard et le maître de Foucault. Il a amené des
intellectuels dans la nature. Charbonneau a compris l'importance du fait social (pas au sens de
Durkheim). Il s'agit du fait qu'on peut exiger d'une personne tout du jour au lendemain. On sacrifie
sa vie pour une cause autre. Il fait référence à la 1ère guerre mondiale. Il parle aussi de grande lutte
à savoir le changement social, les effets pervers du progrès technique, l'accélération du progrès
scientifique et technique. Il conclut que ce changement radical dans les sciences et techniques est un
changement de nature entraînant un changement radical de l'espèce humaine.
Au début des années 1930, il réunit des petits groupes de discussion organisés dans la critique du
progrès au plan littéraire. Pour Charbonneau, il faut faire sortir la critique du progrès des « brumes
de la littérature bucolique ». Le progrès est abêtissant, il fait l'éloge de la vie à la campagne. Pour
lui, « il fallait échapper aux ténèbres inquiétantes du totalitarisme de droite, au vide au caractère
inoffensif, relaxant, irrationnel et compensatoire du désir de nature exprimé par la littérature ».

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Charbonneau veut une 3ème voie entre matérialisme et idéalisme, entre tyrannie collective et
individualisme libéral, entre l’État totalitaire et la démocratie bourgeoise. Elle sera trouvée dans
cette mouvance personnaliste dont il va contribuer à la formation. Avec Ellul, il y aura une tendance
Gascogne du personnalisme nommé groupe de Bordeaux. C'est un groupe libertaire, humaniste et
chrétien. Ce groupe échappera à l'accusation faite à l'ensemble de la mouvance non-conformiste des
années 1930 par Sternhell qui fut historien des idées.
Charbonneau de bons rapports avec L'ordre nouveau en particulier avec Denis de Rougemont. Mais
c'est dans Esprit qu'ils publient leur compte-rendu d'activité en Aquitaine et leurs principaux
articles. Ils montent à Paris pour rencontrer un philosophe et pour affilier leur groupe de discussion
et d'action au mouvement Esprit.
Charbonneau et son groupe ne sont ni individualistes ni collectivistes. Ils ne se reconnaissent pas
chez les libéraux ni dans la figure du « soldat politique » (Rougemont). Ils sont à la recherche d'un
mouvement anticapitaliste et antifasciste sans pour autant être communiste.
Le personnalisme n'intéresse pas Charbonneau. La personne est conçue comme chaque un qui est
appelé à faire avec les autres et être responsables dans tous les aspects de la vie. Charbonneau n'a
pas l'intention de faire la promotion locale ou régionale d'une revue d'intellectuels surtout
catholique de gauche. Il veut agir concrètement pour favoriser une authentique prise de conscience
révolutionnaire. Cela passe par la rédaction de Directive pour un manifeste personnaliste. La
conception de Charbonneau et de Ellul sur la révolution s'éloigne de la conception traditionnelle
avec des morts. Ce texte daté de 1935 contient une critique de la vie moderne c'est-à-dire que les
contraintes initiales de la nature sont remplacées par des contraintes (in)humaines encore +
pesantes. Le manifeste dit « lorsque l'homme se résigne à ne plus être la mesure de son monde, il se
dépossède de toute mesure ». A l'origine de ce gigantisme (ex : concentration urbaine), on retrouve
le facteur technique et on a l'idée que le progrès engendre un phénomène de prolétarisation
généralisé. La prolétarisation dépasse la dimension économique de Marx. Ceci concerne tous les
hommes et tous les aspects de leur vie. Seule une révolution permettra de détruire les structures
aliénantes. Il s'agit d'une révolution de civilisation qui va passer par l'établissement d'une société
personnaliste à l'intérieur de la société globale. C'est la création dans la société actuelle d'une sorte
de contre-société qui va produire les cadres de demain. Ses membres devront limiter au maximum
leur participation à la société technicienne. Ils sont guidés par une mentalité neuve qui leur inspirera
un autre style de vie. Ce style de vie constitue la véritable incarnation de la doctrine. Il sera le seul
signe extérieur de cet engagement. Par rapport à la vie, les communautés électives devront
remplacer les grandes concentrations urbaines. Il faudra des créer des cités à hauteur d'homme qui
permettront une communication authentique entre gouvernant et gouverné car direct à l'échelon
local. C'est le fédéralisme qui luttera contre le gigantisme et contre l'universalisme. Ils entendent par
universalisme le triomphe d'un modèle unique de civilisation à savoir l'américanisation de la
société. Les grands pays seront divisé en régions autonomes au détriment de l’État central réduit à
des fonctions de conseil ou d'arbitrage. L'organisation fédérale permettra une participation + grande
des citoyens au niveau interne et en même temps, en réduisant la puissance de l’État, elle diminuera
le risque des conflits armés. Ce manifeste préconise une réorientation de la technique au profit des
travaux les + pénibles et indifférenciés qui devront être effectués dans les secteurs collectifs sous la
forme d'un service civil. Cette réorientation de la technique doit permettre la réduction du temps de
travail de l'ouvrier. Si le thème de la réduction de la durée de travail figure dans le programme de
tous les partis écologistes, c'est un marqueur idéologique de la gauche. Mais dans une perspective
écologiste, on trouve une attitude à l'égard de la production et de la croissance. Ce manifeste prévoit
un contrôle de la technique devant entraver certaines productions où l'accroissement serait inutile au
point de vue humain. La technique n'est pas innocente en soi, toute surproduction n'est pas utile à
l'homme. Dans ce manifeste, on trouve l'idée que la croissance économique n'est pas synonyme de
développement humain. C'est un idée reprise à la fin du texte qui constitue la conclusion d'un
paragraphe nommé Une cité ascétique pour que l'homme vive. C'est l'idée de la frugalité poussée à

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l'extrême. C'est le contraire de la société de consommation. Il y a une idée morale dans l'ascèse et
puritaine. Cette conclusion est considérée comme étant la 1ère proposition occidentale moderne de
la limitation volontaire de la croissance. Ce manifeste prévoit d'assurer à tous les individus un
« minimum vital gratuit ». Parler de ça, ça renvoie à l'idée qu'il faut, que dans une société juste,
avoir un minimum de vie équilibrée. Il faut un minimum de vie pour tous mais équilibré. C'est la
défense de la qualité de la vie et le principe de solidarité sociale qui sont des idées prônées par les
partis écologistes contemporains. Ils disent que « l'homme crève d'un désir exalté de puissance
matérielle ». Ces pensée renvoient à ce qu'on appellera la société de consommation et de société
duale. Les personnalistes gascons font le procès du productivisme alors qu'en 1938, la production
industrielle est encore inférieure de 17% à celle de 1928. Ils critiquent la croissance mais la crise de
1929 (qui commence seulement en France en 1932) fait ses effets. Ils attaquent la religion de la
croissance alors que de 1935 à 1939, le nombre de chômeur a augmenté comme il ne l'a jamais fait
dans les années précédentes. Ce souci de limitation volontaire de la croissance anticipe de 35 ans au
moins le rapport Meadows du MIT qui avait débouché sur Halte à la croissance. Ce projet de cité
ascétique centré sur le qualitatif préfigure les thèses de l'écologie politique et radicale des années
1970. Ce sont les thèses de Illich ou de Gorz.
Charbonneau veut ramener l'économie à hauteur d'homme. Parler de cité ascétique est une façon de
résister à la grande lutte et de commencer à fonder une société personnaliste. Il faut rompre avec la
civilisation industrielle et on pose les bases d'une société écologiste future.
En 1937, Charbonneau publie Le sentiment de la nature, force révolutionnaire. Il se sert du
sentiment de la nature dans le personnalisme de ce qui a été la conscience de classe pour le
socialisme. Il dit « étudier le sentiment moderne de la nature, c'est observer sa naissance avec la
civilisation industrielle, c'est l'exaspération contre elle. Ce qui fait son histoire revient à chercher
pourquoi certains progrès de cette civilisation contredisent nos besoins essentiels ». La synthèse
entre un progrès indéfini de la liberté et une croissance sans fin ni confort est une utopie. Pour
Charbonneau, il est urgent de placer la protection de la nature au cœur du politique. Il n'a pas été
entendu. La 2nde guerre mondiale ruine ses espoirs de changement et fait le vide autour de lui. Il
fait le serment de ne s'engager en rien et adopte le retrait alors que ses relations font le choix de la
résistance. Cela lui permet d'avancer son œuvre écrite qui est un moyen et non une fin. Pendant son
isolement de 5 ans, il rédige un texte longtemps inédit intitulé Par la force des choses. Une partie de
cette œuvre, consacrée à la campagne et à la nature, figure sous le titre Les jardins de Babylone. La
partie consacrée au sort réservé à la nature dans une société industrielle sera intitulée Pan se meurt.
Quelques titres des chapitres des jardins de Babylone illustre ces propos : la disette par l'abondance,
la fin des paysans … il y a une tonalité pessimiste. Ce pessimisme se retrouve dans ce qui constitue
la nature même des sciences humaines et sociales. Charbonneau exprime une méfiance à l'égard de
ces sciences confrontées à une double contradiction :
– elle sont scientifiques et ne sont pas humaines car elles éliminent la subjectivité,
l'interrogation religieuse et philosophique. Elles oublient les questions du pourquoi
– elles sont humaines, elles intègrent la subjectivité, l'angoisse devant l'absurdité de l'univers
et la recherche d'un sens mais alors, elles cessent d'être scientifiques
Il n'est pas anarchiste dans le sens où il considère que quand les anarchistes passent à l'action, le
résultat est désastreux. Il dit aimer l'anarchie comme il aime la liberté mais le drame de l'anarchie
est que, du besoin de liberté, il se transforme en système sans possibilité de régler la question de la
constitution de la société. Il réfute de besoin de liberté qui se transforme en une idéologie.
Charbonneau n'est pas partisan d'un retour à la nature mais l'objectif est de parvenir à un équilibre
nature / artifice. Il n'est pas naturaliste car ce n'est pas la nature qu'il faut protéger mais surtout
l'homme libre ou la possibilité de la liberté pour l'homme. Le progrès remet en cause à la fois la
nature et la liberté ainsi que le rapport nature / liberté. Ce rapport est paradoxal. L'homme libre a
besoin de la nature et pour l'aimer, il a besoin de s'en distinguer et de la dominer. « Il faut vivre dans
le béton pour s'émerveiller de la splendeur de l'océan et de la forêt ». Charbonneau refuse toute

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forme d'absolutisation de la nature, toute forme d'irrationnel et il s'oppose à de nombreux courants
écologistes. Pour résumer sa pensée, le progrès n'est pas la nature qu'il met en cause mais la liberté.
Il s'oppose à l'intégrisme naturiste du théoricien suisse Robert Hainard qui rend à tort le
christianisme responsable de la destruction de la planète et qui prône le retour au panthéisme.
Pour Charbonneau, la nature n'est pas la mère bienveillante de l'homme. L'homme peut la détruire
mais elle est éternelle, elle a l'immensité du cosmos pour recréer de la vie. L'essentiel est la
reconnaissance de la contradiction existentielle fondamentale entre l'appartenance à la matière, à la
terre, à la vie et l'appel à se dégager de la terre pour penser, pour ajouter un peu d'ordre dans ce qui
en soi n'a aucun sens. Ce sens, c'est l'homme, c'est la liberté qui le lui donne. La nature est la mère
qui nous a engendré et c'est la fille que nous avons conçu. Si la nature disparaît, l'homme
retournerait au chaos. C'est donc lui qu'il faut défendre. Sa dialectique repose sur la prise en compte
de la tension permanente homme / nature. Quand il se construit, il affirme sa liberté en se retournant
contre une nature dont il est issu et continue d'appartenir. Donc, le débat nature / culture n'a pas de
raison d'être. La plupart du temps, la nature que nous connaissons a été aménagée par l'homme. Le
+ bel exemple est la forêt des Landes. Cette nature a été retravaillée par la main de l'homme et
menacée par la grande lutte. Cette grande lutte s'explique de façon paradoxale à savoir le tourisme
de masse à la recherche de la nature. C'est un désir authentique de l'homme d'échapper à l'enfer
urbain mais qui non seulement saccage les espaces découverts par le pionnier mais qui apporte avec
lui ce à quoi le touriste voulait échapper c'est-à-dire au béton, à la promiscuité, à la réglementation.
« La foule fuit la foule, le civilisé la civilisation. C'est ainsi que la nature disparaît détruite par le
sentiment même qui la fait découvrir ».
Ce qui inquiète Charbonneau, c'est la croissance urbaine. Il craint que le monde ne se transforme en
une gigantesque mégalopole. Il dit « plus la ville grandit, plus la liberté se restreint ». Il s'inquiète
aussi de l'industrialisation croissante de l'agriculture sur un mode productiviste et polluant. Il insiste
sur la pollution des eaux. Il craint la déforestation excessive avec des conséquences pour la
pollution des eaux. Il est préoccupé par la rupture de l'alliance précaire entre l'homme et la nature.
C'est une reconstruction permanente. Dans Triste campagne, il s'appuie sur l'exemple de son sud-
ouest natal pour pointer 3 effets induits de l'agro-industrie :
– l'uniformisation des paysages et leur enlaidissement
– l'uniformisation des produits et des saveurs (Un festin pour Tantale)
– l'effacement de la diversité des sociétés locales
Il faut se méfier de ceux qui entendent préserver la nature et poursuivre une logique productiviste et
technico-industrielle. Il dit « on ne peut poursuivre un développement infini dans un monde fini ».
Cette formule fut aussi attribuée à Ellul.
Cette démarche créant des réserves naturelles sur des espaces limités pour ensuite avoir le droit de
tout faire sur le reste du territoire est critiquée. Charbonneau ne prétend pas à la démonstration
scientifique. Il veut traduire un sentiment incrusté en lui. Il réfute la prétention de la science
moderne au monopole de la vérité.
Charbonneau procède par aphorismes. Il dit que si on veut retrouver la nature, « il faut apprendre
que nous l'avons perdu ». Il dit « quand Adam vivait dans ce monde, il n'en éprouvait pas la
nostalgie ». C'est un processus de monstration plutôt que de démonstration. Il va publier des livres
dans de grandes maisons d'éditions. Au début des années 1970, Charbonneau a fait une proposition
irréaliste, il voulait faire de Bordeaux la capitale mondiale de l'écologie politique.
À cette époque, les idées écologistes se diffusent dans la société. C'est la création des Amis de la
Terre qui organisent des manifestation. C'est le début des manifestations antinucléaires comme
contre la centrale de Fessenheim. On trouve les manifestations contre l'extension des champs
militaires du Larzac. C'est l'irruption des idées politiques écologistes en France à travers la
candidature de René Dumont en 1974. Il avait comme objectif faire de la politique autrement. Cette
situation est propice pour Charbonneau. Après avoir obtenu une chronique dans Réforme de 1952 à
1967, son ami Ellul devient directeur de Foi et vie et ça permet à Charbonneau d'étendre son public.

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Il publie la chronique de l'an 1000. Il fonde avec Ellul le comité de défense de la côte aquitaine
contre un projet de la mission interministérielle de l'aménagement de la côte aquitaine.
Charbonneau participe à la fondation de la Gueule ouverte qui est une revue écologiste dirigée par
Pierre Fournier. De 1972 à 1977, il a tenu la chronique du terrain vague.
Il a publié Combat nature utilisé par les associations de défense de l'environnement. Il va participer
à la création d'une association écologiste fédéraliste : ECOROPA. C'est un think tank écologiste
européen. Il va créer le groupe du chêne qui est un cercle de réflexion écologiste avec une audience
limitée.
La structuration politique de l'écologie marque son succès et son échec. Les écologistes se
regroupent sous la forme d'un parti politique. Confédération écologiste naît en 1984. Il y a un
succès dans la nécessité de placer la question de la nature au cœur du politique mais l'échec est dans
le choix des moyens à travers la création d'un parti politique supplémentaire. Cela discrédite la
cause écologiste pour Charbonneau.
Ce dernier est peu porté aux confessions. Sa dialectique du tout ou rien l'a conduit à un isolement
quasi-complet. Il a une pensée incarnée. Il a toujours vécu comme il pensait et il a toujours pensé ce
qu'il vivait.
On peut citer dans son œuvre Les jardins de Babylone, Le système et le chaos, L'homme-auto,
Triste campagne ou Le feu vert, autocritique du mouvement écologiste.

De la même façon que Charbonneau se méfiait de la littérature bucolique et panthéiste à la Jean


Giono, il n'a pas manqué de stigmatiser l'intégrisme naturiste de certains scientifiques comme René
Dubos, Jean Dorst ou encore Robert Hainard dont il dénonce nommément les tendances anti-
humanistes et antichrétiennes. Hainard voit dans le christianisme la racine de la destruction de la
nature. Le naturisme ramène au panthéisme, au culte de la mère nature dont l'homme n'est qu'un
élément. Cette fois ce n'est pas la nature qui est niée mais sa liberté.

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Chapitre 3 : L'écologie naturaliste
Section 2 : Du catastrophisme tempéré à l'optimisme du désespoir
René Dubos (1901 -1982) est allé au lycée à Paris avant d'étudier à l'ancien institut national
d'agronomie. Il est devenu ingénieur et a commencé sa carrière de biologiste aux USA en 1924 dans
le New Jersey avant de s'installer à New York en 1927. Il découvre le 1er antibiotique. Il a été
considéré comme le + grand scientifique de son temps. On lui concède la paternité de la formule
« Penser globalement, agir localement ». Il a été reçu en 1941 à l'académie des sciences aux USA,
il a mené de nombreux travaux sur la tuberculose, il est spécialiste des maladies bactériologiques et
c'est un héritier de Pasteur. C'est un grand scientifique et un vulgarisateur apprécié du grand public.
On peut le considérer comme un écologiste des villes. Il a vécu en région parisienne et à New-York.
Il avait une ferme dans une forêt, c'est un écologiste des champs. Il y est allé régulièrement comme
le fera Aldo Léopold. Dubos aimait la nature sauvage.
Seule la nature sauvage oblige l'homme à se mesurer au cosmos. Il est l'auteur d'une trentaine de
livre dont Cet animal inhumain. Il a obtenu des prix littéraires. Avec Barbara Ward, Dubos va
diriger le rapport préparatoire à la 1ère conférence des Nations-Unies sur l'environnement humain.
C'est le 1er sommet de la Terre. Ce rapport va bénéficier de la collaboration de 150 experts
internationaux. Dubos et Ward, ont réalisé la synthèse de ces contributions sous la forme d'un livre
intitulé Nous n'avons qu'une Terre (1972).

Dubos va se consacrer à l'écologie et à l'environnement à travers des livres scientifiques vulgarisés


et dans des conférences partout dans le monde. Parmi les livre, on peut retenir Les dieux de
l'écologie, Choisir l'être humain (1974), Courtisons la Terre (1980) et Les célébrations de la vie.
La tonalité générale était plutôt alarmiste voire catastrophiste. L'ensemble de l’œuvre témoigne d'un
pessimisme.
À la fin de sa vie, sa dernière chronique était intitulée L'optimisme du désespoir. À vouloir toujours
aborder les questions sous un angle purement médiatique, c'est contre-productif, ça ne mène à rien
sinon à démobiliser le public. Il dit qu'il est difficile de « conserver sa foi en la destinée de l'homme
mais ce n'est que lâcheté de désespérer de l'avenir ». On retrouve ce double mouvement. Il a été un
des 1ers à s'inquiéter publiquement de la déforestation des forêts tropicales. Il met en évidence les
conséquences. Il cite l'exemple de la Chine qui a connu un processus de déforestation commencé il
y a des milliers d'années et à partir de 1949, il y a eu un reboisage au rythme de 4 millions
d'hectares par an. Il cite Confucius : « il vaut mieux allumer une bougie plutôt que de nourrir
l'obscurité ».
Dubos constate que 11.5 millions d'hectares de forêts disparaissent chaque année . Dans la décennie
1980-1990, ça passe à 17 millions d'hectares / an soit 3 fois la Chine malgré les conférences. Dans
Nous n'avons qu'une Terre, il ne prend pas le partie de la mère nature contre l'homme prométhéen.
La misère humaine est la source des pollutions. On trouve l'idée que nous sommes à un tournant de
l'histoire au XXème. Ceci correspond à une période où jamais l'impact de l'activité humaine n'a été
aussi fort en raison du développement des techniques et de la croissance ainsi que de la pression
démographique. Il constate que la combustion des carburants ne peut avoir que des conséquences
imprévisibles pour le climat et l’atmosphère de la planète dès 1972. Il écrit que trop de poisons,
d'insecticides et d'engrais se déversent dans les océans. Trop de pétroliers vident leur fond de cale et
ce n'est qu'un début. Ce diagnostic apparaît avant les grandes marées noires. Les facteurs aggravants
sont la croissance démographique et la volonté du tiers-monde de s'industrialiser. Tous ces risques
se profilent alors que la population mondiale n'est composée que de moins de 4 milliards
d'habitants. Supposons que 7 milliards d'hommes essaient de vivre comme des Européens ou des
Japonais, ce chiffre a été atteint en 2011. Dubos estime qu'il est impossible de ne pas renoncer aux 3
éléments à savoir assurer la survie de la biosphère avec une population nombreuse et un niveau de

39
vie élevé. Dubos plaide pour une famille constante et de taille modeste. Il faut une politique
vigoureuse en faveur de la dénatalité. Il faut articuler cette politique de limitation des naissances
avec une politique de modernisation de l'agriculture. Elle ne doit pas passer par la technique
machiniste occidentale. Il faut privilégier les technologies douces, un travail manuel doublé d'un
équipement technique léger. En cas d'échec, les conséquences seraient l'exode rural, facteur de
désordre, de pauvreté, de création de bidonvilles aux portes des villes. La priorité doit être accordée
à la scolarisation.
L'excès de gaz carbonique est un déséquilibre comme le problème de traitement des déchets
radioactifs. Le 3ème déséquilibre est l'augmentation et la gradation des différences Nord / Sud. Cela
s'observe également à l'intérieur même des pays développés. Le 4ème déséquilibre est la disparition
de la nature sauvage. En 1980, Dubos relève la mondialisation de la pollution de l'air. Il parle de
réchauffement et de déréglementation climatique pour l'an 2000. Il parle de la fonte de la calotte
polaire. Il voit la pollution des rivières, des mers et des océans. Il constate la désertification.

Il y a un certain optimisme. L'homme peut réparer les dégâts. Cette tendance se retrouve dans
Courtisons la Terre. On parle d'optimisme du désespoir. L'homme a détruit des sites qui sont
parfaitement naturels et beaux. Platon déplorait déjà le déboisement de la Grèce qui a favorisé
l'érosion et qui a donné des paysages rocheux admirés aujourd'hui. Le constate de Platon se fait
pour l'ensemble du bassin méditerranéen. Le déboisement systématique a appauvri les sols et le
paysage exprime sa beauté. L'activité humaine détruit mais elle révèle les qualités de la Terre, qui
resteraient inexprimées si laissée à l'état sauvage. Dubos ne veut pas idéaliser la nature, qu'elle soit
humaine ou animale. On a découvert que des prédateurs pouvaient tuer, non pas pour se nourrir,
mais par simple plaisir.
En outre, Dubos estime que rien ne prouve que les 1ers hommes vivaient comme dans le mythe du
bon sauvage. Il n'y avait pas forcément d'harmonie avec la nature. Le déboisement était pratiqué dès
la fin du paléolithique. Les hommes étaient responsables de l'extinction de plusieurs espèces. Il
constate qu'en Mésopotamie, les hommes détruisaient leur environnement par une agriculture
intensive. Les Égyptiens et les Romains avaient provoqué la fin des forêts dans les montagnes du
Liban. Les moines bouddhistes ont été responsables du déboisement en Chine, au Japon et au Tibet.
Pour construire et reconstruire les temples, ils sont déboisés comme pour la crémation des morts. Il
parle de surcharge pastorale c'est-à-dire les troupeaux de yaks qui participent à la destruction de la
nature. Un bouddhiste japonais fera de la religion chrétienne la + anti-écologiste qui soit. Il sera à
l'origine des thèses de White qui publiera un articule intitulé Les racines historiques de notre crise
écologique en mars 1967. Il incrimine la Genèse, à la source de la destruction de la planète.
Dubos contredit cette thèse en 4 points :
– une dégradation extensive et durable de la planète a été entreprise il y a très longtemps et
dans de nombreux endroits où personne n'a jamais entendu parler de la bible voire avant
même son écriture
– concernant l'épuisement des sols, Dubos y voit la conséquence d'un déboisement intensif,
d'une agriculture intensive et de l'ignorance des effets à long terme
– il observe que les 1ers propagateur de la doctrine judéo-chrétienne étaient soucieux de la
préservation de la nature. L'un d'eux faisait de l'obligation de laisser des champs en jachère
en faisant un véritable commandement. Il invoque les mêmes recommandations que l'on
trouve dans les textes chrétiens
– Dubos dit que si les hommes ont dégradé la nature, c'est parce que la population mondiale a
augmenté et celle-ci a utilisé des moyens techniques + puissants. Il ne faut pas idéaliser le
peuple 1er en donnant l'exemple des Indiens des plaines. Ils étaient en harmonie avec la
nature en utilisant des flèches puis ils ont décimé les bisons avec les armes à feu. Les
Européens ont fait de même avec les forêts
La crise écologique ne vient pas de la Genèse mais d'un mauvais usage de la technique. Il critique

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notre tendance à confondre les fins et les moyens. Il critique la tendance à mesurer la réalité
exclusivement en terme quantitatif. Néanmoins, Dubos s'en prend à l'écologie profonde et aux
approches géocentrées. Il ne faut pas opposer la nature aux hommes. La Terre et l'humanité sont 2
expressions différentes de la nature mais complémentaires. Il montre que la plupart des paysages
que nous connaissons n'ont rien à voir avec la nature sauvage d'origine. C'est le fruit d'une activité
humaine ancienne. Ainsi, en Italie, la Toscane a été redessinée par les paysans. C'est la même chose
en Chine et au Japon où on assiste à la création d'une véritable nature au 2 nd degré. Ces terres
cultivées constituent une nouvelle nature qui a remplacée celle de l'origine. Dubos s'en prend aux
idées communes notamment à l'adage « laissons faire la nature ». Dubos conteste cette approche.
La nature a besoin de l'homme. Très souvent, ce sont les interactions entre l'homme et la terre qui
créent des écosystèmes + intéressants par rapport à ce qui existe dans la nature sauvage. Il plaide
pour une adaptation réciproque qui passe par une humanisation de la planète et par une planétisation
de l'humanité. L'homme a un souci de se projeter dans l'avenir. Même Aldo Léopold ne s'oppose pas
à ces idées. L'occupation humaine s'est faite pour le bien-être de la planète. Fort du soutien de
Léopold, Dubos va + loin dans le sens où il montre que l'action humaine a eu du bon. Les
contemporains ont tort de considérer les haies comme des écosystèmes naturels, ils sont artificiels et
ont été créés au moyen-age.
Dubos donne des exemples sur la désertification. C'est vrai pour l'Afrique du Nord, les USA ou
l'Australie. Il invoque la création artificielle des surfaces cultivables. « Si dieu a créé la terre, les
Néerlandais ont créé les paysages ». Les Landes ont été couvertes de pins jusqu'au début de l'ère
chrétienne. En 407, les Vandales ont rasé forêts et villages. Cette destruction des forêts a entraîné un
phénomène d'érosion, le sable et les marécages ont pris la place des vieilles forêts. En 1798,
Napoléon fait appel à Nicolas Brémontier de réfléchir à un vaste plan de plantations de 800.000
hectares. Les interventions humaines peuvent prendre une forme artistique ou architecturale. Ainsi,
Versailles a été construit sur un terrain marécageux et c'est considéré comme un paradis artificiel.
Dubos critique les écologistes radicaux qui dénoncent l'arrogance humaine. Les hommes sont
obligés de modifier la surface de la terre. Les hommes ne sont pas biologiquement adaptés dans la
plupart des espaces dans lesquels ils vont vivre. Il est illusoire de vouloir conserver les choses dans
l'état où elles se trouvaient auparavant. Le changement est constitutif de la vie. Il insiste sur
l'élasticité de la nature c'est-à-dire ce qu'on appelle le concept de résilience, la capacité de la Terre à
se régénérer, à récupérer.
Dubos montre que rien n'est irréversible. Il donne l'exemple du lac de Seattle totalement pollué.
Grâce à la mobilisation de l'opinion publique, une opération de dépollution a été menée et ce lac a
pu retrouver sa vigueur d'antan. Y compris dans des lieux très dégradés, il y a possibilité de
récupération des écosystèmes. Il y a 2 éléments :
– retour spontané (capacité de résilience)
– élément volontariste : ce que l'homme peut faire s'il le veut pour réhabiliter ce qui a été
détruit
C'est une question de moyen et de patience ainsi qu'une question d'intérêt d'un point de vue
anthropocentrique. C'est l'intérêt de l'homme de comprendre que par exemple, la nature vierge capte
le carbone de l'atmosphère. On y trouve les réserves d'oxygènes supérieures. Il y a un intérêt pour
l'homme à ménager la forêt. La biodiversité n'est pas en réalité pour satisfaire la passion des
naturalistes. Elle permet la survie d'espèces animales et végétales dont nous dépendons. Dubos
assume pleinement ce qui n'est pas le cas des autres naturalistes sont point de vue anthropocentré.
Nous faisons partie de la nature au même titre que tous les organismes vivants et chaque espèce
vivante est une entité distincte du reste de la nature. Ceci est encore + vrai pour l'homme.
L'évolution de l'homme a été essentiellement culturelle et non pas biologique. Sur le plan
philosophique, Dubos estime que l'humanité dans la nature n'est plus tout à fait de la nature.
L'homme diffère qualitativement des autres espèces car c'est la seule espèce qui a conscience d'elle-
même. Seul l'homme est en mesure d'agir en fonction de buts lointains qui ont été culturellement

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modelés par les conceptions sociales où il vit. Dubos estime que l'homme est une des espèces
vivantes mais il est au sommet de la pyramide du vivant. L'homme a le sens des devoirs, il doit
avoir un comportement responsable. Il doit préserver les espaces. Il s'agit d'une des composantes
mêmes de l'homme.
Dubos montre que l'amour du public pour les espaces naturels constitue une nouvelle menace. Le +
grave danger pour les espaces naturels ne viendra pas des promoteurs mais des « amis de fraîche
date ». Dubos montre que la nature sauvage meurt aussi d'être trop aimée. C'est un besoin pour
l'homme de se confronter à un type d'espace. Il constate qu'au-delà de la question de la nature
sauvage, les parcs nationaux ou les sites touristiques meurent de leur succès. Lors de la fête du 4
juillet, dans un parc, on compte 6000 personnes au km² voulant fuir la civilisation urbaine. On se
retrouve dans ce paradoxe de personnes qui veulent fuir une foule et qui se fondent dans une autre
foule. Au Japon, 1 million de personne font l'ascension du volcan Fuji soit plusieurs milliers jour.
Avec la politique des parcs nationaux, on est confronté à un paradoxe. On en arrive à une
destruction de la nature avec des aménagements pour les touristes. Ou alors, on constate une hyper-
réglementation. On va introduire une réglementation urbaine, on met des contrôles dans un espace
où l'intérêt est de circuler librement. Le fil conducteur est de dire que rien n'est écrit. L'homme peut,
s'il le veut, réparer les dommages causés. Il le peut d'autant + facilement que la nature elle-même a
une forte capacité de résilience (optimisme du désespoir).

Section 3 : Le naturalisme panthéiste


Hainard (1906 Genève – 1999 canton de Vaux) veut un changement de civilisation. Il réclame la fin
de l'anthropocentrisme et revendique son panthéisme. Il dit « je suis sincèrement panthéiste, j'ai
confiance non en moi mais j'ai une grande force que j'essaie de ne pas trahir ».
Il est né dans un milieu artistique. C'est un autodidacte qui sera reconnu par l'université. Dès
l'enfance, il est passionné par la vie sauvage et va arpenter la campagne genevoise pour dessiner la
faune et la flore. À 18 ans, il a monté une technique unique au monde. Il se définit comme un
guetteur de lune qui fut aussi le titre d'un de ses livres. Il a parcouru des milliers de kilomètres pour
exercer son activité à savoir dessiner la vie sauvage en Espagne, en Laponie … Il s'est spécialisé sur
les prédateurs en particulier pour les loups. Il a vu son 1er loup en 1938 en Bulgarie. Il a cherché le
loup dans toute l'Europe. Ces expéditions étaient menées à une époque où le voyage était une
aventure. Il passait des nuits entières à guetter pour voir le loup. C'est un spécialiste des
mammifères sauvages en Europe.
Sur le plan de la pensée, c'est un référence principale du candidat écologiste à la présidentielle en
1988 Antoine Waetcher. Hainard est un militant écologiste. Dès 1928, il s'est battu pour la création
de réserves naturelles. Il a adhéré et a créé de nombreuses associations de défense de la nature
parmi lesquelles le WWF suisse, la SEPANSO (société protection de la nature du sud-ouest) dont il
fut membre d'honneur, rassemblement des opposants à la chasse (ROC) dont fait partie Théodore
Monod …
Hainard est une personnalité à plusieurs facettes. Il est rempli de contradictions. Selon la partie de
l'activité, il a une image différente. Il a un amour de la vie à l'état sauvage. Son 1er livre s'intitule
Réflexions d'un peintre (1943). Il pose des questions philosophiques et va y apporter des réponses
différentes. Les réponses apportées vont s'éloigner au fil du temps.
Au départ, il a une vision anti-humaniste, très géocentrée. Il fait de l'homme une menace pour
l'équilibre de la nature. Au fil de son évolution, il a une pensée + anthropocentrée où l'homme a des
droits dans une nature à laquelle il appartient. Sa pensée est émaillée de contradictions.
La pensée de Charbonneau se voulait contradictoire dans le sens où elle est dialectique. Elle reflète
la contradiction dialectique fondamentale qui unit l'homme à la nature. C'est la même chose chez
Thoreau.
La pensée de Hainard est contradictoire par manque de rigueur, de cohérence. Là où Charbonneau

42
traitait de façon originale la question de la nature avec la liberté, Hainard va s'attaquer + tard à ce
que Charbonneau considérait comme un faux problème à la distinction entre nature et culture. Il est
aux antipodes de l'écologie sociale, aux antipodes de la pensée de Bookchin, des personnalistes et
de André Gorz ainsi que de Dubos.
Hainard instaure une frontière étanche entre les 2. Sa définition de la nature, telle qu'elle est
ébauchée en 1943, n'a rien d'anodine. Elle exclut d'emblée l'homme. La nature est la vie organique,
c'est le monde agissant par lui-même. C'est tout ce qu'on ne peut que ménager, respecter, préserver.
L'homme n'a pas le droit de vouloir dominer la nature. Il s'inscrit contre l'interprétation de la
Genèse. La nature est meilleure que la culture. On retrouve ce point de vue affirmé en 1986 dans Le
guetteur de lune. Il dit « l'homme fait ce qu'il dit en dehors de ce qu'il fait ». C'est ce que la nature
fait par soi-même et en dehors de toute intervention humaine. De cette conception de la nature
découle logiquement l'opposition à une quelconque politique publique de protection de
l'environnement. Le concept même d’environnement implique nécessairement un sens qui est pour
l'homme. Ça lui donne le droit de modifier la nature à sa guise. La politique de protection de
l'environnement est donc du pur anthropocentrisme. Pour Hainard, protéger la nature, c'est la laisser
en état. Il est pour la défense de la nature, contre la protection de l'environnement. C'est un homme
de terrain. Cette nature est caractérisée par la richesse, elle est complète. On doit faire preuve de
patience pour la comprendre. On n'a pas besoin de la changer mais de l'observer. C'est le domaine
de la spontanéité organique, de l'irrationalité alors que l'humain, c'est l'artifice et la rationalité
instrumentale due à la technique.
Hainard n'a pas un rejet de l'homme comme on le trouve chez certains groupes marginaux. Les 2
mondes sont complémentaires.
On constate une opposition entre la culture latine et la culture germanique sur la vision de la nature.
La vision latine dit que la nature est un simple décors alors que la vision germanique est panthéiste.
Ces affirmations posent problème lorsqu'il écrit qu'il a rêvé si la nature n'avait pas été aspirée par
l'influence romaine. À l'époque, le retour à la nature était stigmatisée. Retourner à la nature
primitive, c'est régresser et perdre les bénéfices de la civilisation.
En 1988, il écrit « il faut revenir à la situation paléolithique qui a duré si longtemps ». C'est une
époque où l'espèce humaine est peu nombreuse, la nature est variée, libre et modifiée que très
localement. Il reproche à l'agriculteur de détruire la nature vierge pour l'exploiter. Il fait de
l'agriculteur l'ennemi principal de la nature avant l'industriel. La campagne est le contraire de la
nature. Mais il écrit également le contraire « la découverte de l'agriculture fut un trait de génie ».
Sa seule constance est son amour de la nature sauvage. Il se fait l'avocat de l'agriculture intensive.
Celle-ci va permettre de libérer le + de territoire possible. Il y a chez lui une continuité sociologique
et il est près à sacrifier la campagne pour avoir quelques coins de nature sauvage.
Il peut évoquer la pensée de Charbonneau quand il traite de la nécessité de développer un sentiment
de la nature. Les 2 auteurs partagent la même analyse. Plus la civilisation rationnelle augmente, + le
besoin de nature va se faire sentir pour l'homme. Tout oppose ces auteurs sur le reste.
Pour Charbonneau, la priorité est la campagne avant les réserves naturelles. C'est le paysan avant
l'industriel. C'est la priorité accordée à l'homme et à sa liberté. Le progrès technique menace la
liberté de l'homme. Charbonneau se méfie de l'anti-humanisme, de l'anti-christianisme et des
dérives sectaires que charrie les formes de panthéisme moderne.
Hainard se déclare explicitement panthéiste. Il y a chez lui le refus de toutes les religions révélées,
de toute idée de transcendance. Si dieu existe, il est forcément au-dessus de la nature car c'est le
créateur. Il ne peut concevoir cela. Il utilise son raisonnement contre toutes les philosophies
modernes et contemporaines, contre les idéologies qui instrumentalisent la nature. Quand il se
définit comme panthéiste, ça ne veut pas dire qu'il conteste le besoin de religion pour l'homme ou
qu'il conteste un besoin de sacré ou de nature religieuse mais le sacré de Hainard est la nature. Son
dieu est immanent, il est dans la nature, ce n'est pas le créateur. Il critique fortement le dieu
chrétien. Il a fait de l'homme un être porté à l'abstraction intellectuelle au détriment du contact

43
sensoriel, sensuel et charnel avec la nature. Hainard pousse son raisonnement car il voit dans les
activités les + innocentes comme le jardinage non pas l'expression d'un amour de la nature mais de
son instrumentalisation.
Si on combine les maladresses de certaines de ses formulations et les citations hors contextes, on
fait de Hainard la cible principale de tous les progressistes, de tous les praticiens de l'écologie. Il est
institué comme 1ère cible avant les défenseurs de la lutte écologiste.
Hainard dit que le progrès technique est en lien avec la société de consommation qui débouche sur
l'enlisement dans le confort, le marasme moral, sur la standardisation du mode de vie, le
nivellement par le bas, la recherche de l'agressivité, la décadence …
La nature constitue le seul recours aux maux de la société industrielle. Ce ne sont pas les écologistes
qui sont réactionnaires, ils sont progressistes. Ils s'opposent à quelque chose qui nous fait régresser.
La revendication du bonheur sexuel est typique d'une société en opposition avec la nature. Il
stigmatise la mentalité d'assisté social sur le thème « j'ai droit au bonheur ». Il n'y a aucun droit
naturel sauf celui d'être mangé.
Dans ces oppositions dans ce qu'on prétend être sauvage ou civilisé, quand il invoque la générosité,
la force des peuples sauvages, Hainard est ambiguë. Il oppose la vivacité de l’œil des peuples 1ers à
l’œil de l'homme civilisé. Certaines déclarations font de lui un partisan de la sélection naturelle au
sein de l'espèce humaine. Il dit que la natalité pousse « à la multiplication des individus inférieurs
(…) avoir des enfants devrait être un privilège ». Il a une pensée hétérogène puisqu'elle contient des
éléments anti-humanistes et anthropocentrique et ce, dès le début de sa réflexion sur la nature. En
1943, il a un point de vue anthropencentré : « si je veux protéger la nature, ce n'est pas pour elle-
même ». La suite de son œuvre fait penser que chez Hainard, cette joie de profiter de la nature se
mérite, ce n'est pas un droit accordé à tous. Mais on ne peut assimiler Hainard à l'écologie profonde
et à la lutte écologiste. Hainard ne reconnaît pas à la nature le statut de sujet de droit. Dans sa
pensée, c'est l'homme qui reste à la fois au centre et finalement, au sommet du monde du vivant. Il
s'agit de rappeler à l'homme ses limites. Il doit être modéré, avoir de l'humilité face à la nature. Il
faut le rappeler à l'ordre quand il entend bafouer les règles implacables de l'ordre naturel. C'est ce
qu'on appelle la loi de la jungle. Cette loi s'applique partout et toujours.
Son métier de naturaliste et sa philosophie appliquée vont faire qu'il pousse son raisonnement dans
le camp du fort au détriment du faible, il soutient le prédateur face à la proie.

Dans ce livre considéré comme une référence pour une minorité de chercheurs en écologie politique
et considéré par une majorité comme un pamphlet, son auteur consacre pour le meilleur et pour le
pire Aldo Léopold dans son rôle de père de l'écologie profonde. Dans le même ouvrage, Luc Ferry
ironise sur une partie de ce livre présentée comme étant centrale intitulée Pensée commune mentale.
Ferry s'interroge sur le fait pour l'homme de donner à la nature une valeur intrinsèque comme le
voulait Léopold. Au sens strict, on ne peut pas parler de lutte écologique avant l'article de Naess de
1973 intitulé The shallow and the deep, long-range ecology movements. Léopold reste néanmoins la
référence majeure de l'écologie profonde mais aussi une référence principale de l'écologie politique
en général. La pensée de Léopold signifie ce qu'on appelle la gamme éthique de la pensée de
l'environnement et c'est aussi l'auteur d'un livre qui est l'équivalent du Walden de Thoreau :
Almanach d'un comté des sables.

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Chapitre 4 : L'écologie profonde
Section 1 : L'écocentrisme ou l'éthique de la Terre
Aldo Léopold (1887-1948) fut un enfant passionné par le terrain, la chasse, le territoire naturel … Il
a fait ses études à Yale dans le domaine de la sylviculture. Il a travaillé pour l'office américain des
forêts. Il va finir en 1928 par quitter cette administration et va travailler sous contrat dans le secteur
de la surveillance environnementale. Léopold disait dans son ancien métier de garde-chasse qu'il
aurait du payer pour l'exercer et non l'inverse. En effet, l’État offre le droit de profiter de la faune et
de la flore dans les parcs nationaux. Après une période dans le domaine des politiques publiques, il
a été nommé en 1933 à une chaire de gestion du gibier créée dans une université du Wisconsin. Il a
conservé ce poste jusqu'à sa mort.
Il vit la semaine en famille et le week-end il s'échappe dans sa « cabane ». Il inscrit son projet qui
évoque Walden et l'attitude qu'on associe à Miir 1838-1914) dans sa démarche préservationniste.
Léopold est un écologiste scientifique, de terrain mais c'est aussi un amoureux de la nature. Il écrit
beaucoup et affectionne les aphorismes. C'est le contraire du scientiste. Il a écrit + de 350 articles en
comptant ceux de l'écologie scientifique et politique. Tous ces articles sont reliés à l'environnement.
Il a écrit plusieurs ouvrages dont un sur la gestion du gibier. Il a exercé le rôle de conseiller auprès
de l'ONU pour la protection de la nature. Il est suspendu de ses fonctions 1 mois après l'Almanach.
Il est mort quand il a aidé ses voisins à éteindre un feu de broussailles dans sa cabane.
Il est mort comme il a vécu, en voulant protéger la forêt. On peut insister sur le fait qu'il a pris le
parti de l'homme alors que son 1er voisin était à des kilomètres. Il est pour la protection des
personnes, la compassion envers la personne humaine, envers son prochain. Dans son livre, il
insiste sur le caractère naturel des feux de broussaille. C'est l'allié de la prairie contre la forêt. La
prairie est utile à la survie de l'homme. Par cette mort, symboliquement, il a choisi la cause de
l'homme avant celle de la nature. Sa mort rend + dérisoire l'ironie désinvolte de ceux qui le traite
d'anti-humaniste voire même d'éco-fasciste. Cette accusation a été portée contre ses disciples
contemporains. Il ne s'agit pas d'opposer la mort à son œuvre.

La pensée de Léopold est éloignée de la caricature, des raccourcis et des amalgames que l'on veut
faire. Elle empêche de retourner aux sectes.
Son livre est bien écrit, il exprime son amour de la nature et ses connaissances scientifiques. Les
émotions ont une place aussi importante que le savoir académique. On trouve un langage imagé,
politique … Son texte est parsemé d'aphorismes. Il dit « pour chérir nous avons besoin de boire et
de caresser ». La nature est comme une source de plaisirs. C'est une philosophie hédoniste éloignée
de l'écologie profonde. Ceci se retrouve dans son amour de la pêcher et de la chasse. C'est un
homme de science qui relativise le savoir scientifique et sa prétention à vouloir tout maîtriser.
L'essentiel du savoir n'est pas dans les livres. C'est un nostalgique, c'est un observateur critique +
qu'un adversaire du progrès technique. C'est un pessimiste tempéré plutôt qu'un catastrophiste. Il est
sceptique à l'égard du toujours +, + toujours + vite. Il critique la société américaine obsédée par
l'économie. Il critique la raison économique. Dans la conception utilitariste, il critique le fait qu'il
faut protéger ce qui est utile à l'homme. Pour Léopold, les choses valent en soi et pour soi. Ceci
s'applique aux choses « nuisibles ».
C'est un modéré dans la lutte écologiste, on ne peut pas lui coller l'étiquette de totalitarisme vert.
« Il y a des gens qui peuvent se passer des être sauvages, d'autres qui ne le peuvent pas ». Il veut
seulement changer la représentation de la Terre qui ne nous appartient pas. Il ne fait aucune allusion
si ce n'est, sous forme métaphorique, à la religion. Il pose la question de la technique. L'homme
remplit 2 fonctions : construire et détruire. Avec la technique, il imprime sa marque sur la surface de
la Terre pour le meilleur et pour le pire. Il importe désormais d'élaborer une éthique de la Terre.
Cette éthique n'a pas à être tournée contre l'homme. Elle repose sur la volonté d'étendre l'éthique à

45
de nouveaux champs de conduite. Écologiquement parlant, une éthique est une limite imposée à la
liberté d'agir. Elle doit inclure le concept de coopération, de complexité et prendre en compte le
processus d'échange. Dans le domaine économique et politique, nous avons partiellement réussi à
réguler la compétition primitive par la coopération, le contrôle. Nous n'avons rien fait dans notre
relation à la Terre. Il faut donc faire la même chose. Si nous avons des droits, nous avons également
des devoirs. Cette éthique de la Terre se propose d'élargir les frontières de la communauté de
manière à inclure les éléments qui ne sont pas pris en compte : le sol, l'eau, les plantes, les animaux
et même collectivement la Terre. C'est ce qui constitue la base de l'éthique de la Terre et de
l'écocentrisme. La revendication de Léopold est de réclamer une éthique qui permet l'exploitation
des ressources et le droit à continuer d'exister pour une partie de la nature sauvage. Il parle de
communauté Terre. Il veut passer de la position de conquérant à celle de simple membre de la Terre.
Il faut changer d'attitude et respecter la communauté. Il invite à rompre avec la vision abrahamique.
L'homme n'est qu'un membre de l'équipe biopsique.
La conservation de la nature sert à maintenir une harmonie entre les hommes et la Terre. La
conscience écologiste progresse. Pour accélérer cette prise de conscience, il ne s'agit pas
d'augmenter le volume de ce qui est enseigné à l'école. Il faut en modifier le contenu. C'est par
l'éducation que cette prise de conscience pourra progresser. L'éducation doit précéder les lois et non
l'inverse. Il ne faut pas s'en remettre à l’État et tout attendre de lui. Léopold plaide pour une
approche non militariste de la protection de la nature. Il estime que les prédateurs doivent être
protégés en tant que tels, ils sont membres de la communauté du vivant. Or, ces prédateurs sont
exterminés. Au nom de la rentabilité économique, on détruit des arbres non rentables au profit
d'autres. L'écologie scientifique parle de pyramide biopsique. Cette écologie scientifique nous
amène à prendre en compte le fait qu'un certains nombres de paramètres sont négligés. Ainsi, la
terre ne se réduit pas au sol, les plantes et les animaux locaux maintiennent un circuit ouvert ce qui
n'est pas le cas des animaux importés. Les changements provoqués par l'homme diffèrent des
changements dus à l'évolution. Ils sont imprévisibles. Cela entraîne 2 questions :
– dans quelle mesure la Terre peut s'adapter à cet ordre nouveau ?
– les changements souhaités peuvent-ils être obtenus avec moins de violence ?
Pour lui, la réponse varie selon les lieux. Moins les changements induits par l'homme sont violents,
+ la pyramide biopsique pourra s'adapter. Tout est affaire d'entités de population. La ligne de
partage entre les 2 attitudes peut s'illustrer avec l'exemple de la forêt.
Il y a ceux qui étudient les arbres pour l'argent avec la cellulose pour activité. Ce sont des industries
agro-industrielles. Les forêts tropicales sont brûlées au profit de palmiers à huile + rentables.
Il y a ceux qui considèrent les espèces et les environnements naturels comme étant dignes d'être
préservés, de prendre en compte certaines espèces menacées, de prendre en compte les fonctions
secondaires des forêts. Une faune et une flore peut s'épanouir. Il faut évacuer la vision de la
rentabilité au profit d'une vision non mesurable, non quantifiable.
Malgré une certaine tendance sectaire, l'agriculture écologique participe à ce mouvement et donne
une priorité au qualitatif. Sans se tenir à ce vocabulaire, on retrouve les notions d'empreinte
écologiste, génération future … ce sont les invariants de la conscience écologiste contemporaine. La
Terre a une valeur intrinsèque. Elle mérite en tant que telle amour, respect, admiration. C'est parce
qu'il existe trop de gadgets entre l'homme et la Terre que cette relation vitale a été interrompue. Il
existe une minorité en révolte contre cette logique technicienne, moderniste. Elle s'insurge contre la
raison économique qui laisse penser que cette future éthique de l'environnement pourra un jour
s'épanouir. Il en arrive au leitmotiv de la pensée écologiste : une chose est dite quand elle tend à
préserver l'intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté.
La faisabilité économique limite la marge de défense de la nature. Pour Léopold, on ne peut pas
abandonner la technologie mais on a besoin de critères d'une + grande douceur pour l'utiliser avec
succès, ni + ni moins.
C'est un discours ni réactionnaire, ni extrémiste.

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Cette pensée a été caricaturée par Luc Ferry au travers de ses héritiers. Jamais on ne trouve
l'expression de chauvinisme humain. Il n'a jamais parlé d'anthropcentrisme des sociétés
occidentales. Il a encore moins dit que la nature était en soi + importante que la vie humaine ou que
l'humanisme moderne était le pêché originel de nos sociétés. On a fait à sa pensée 2 reproches.

Cette idée d'une communauté biopsique devant être préservée en tant qu'entité globale était une idée
ambiguë car faisait resurgir le spectre d'une opposition entre holisme et individualisme. Au plan
éthique, cette position signifie la soumission des individus aux impératifs du groupe social.
Au plan politique, c'est ambiguë car cette pensée déboucherait sur le totalitarisme vert. Léopold
donnait l'impression d'accorder une priorité éthique à l'ensemble biopsique par rapport aux parties
constituant l'ensemble. Il considérerait l'intégrité et l'équilibre de la communauté écosystémique
comme un tout. Cette intégrité devrait guider nos actions. Dans cette logique, les individus
n'auraient qu'une valeur instrumentale. Ils ne seraient appréciés qu'en fonction de la bonne marche
du système. On serait en droit de sacrifier des membres individuels si l'équilibre l'exige.

Ce ne serait qu'une autre version d'une vieille idée philosophique enterrée. En voulant prendre pour
principe éthique certains concepts, cette pensée remettrait au jour le débat du naturalisme et la
finalité naturelle.
La philosophie du XVIIIème nous fait distinguer fait et valeur. On ne doit pas mélanger ce qui et ce
qui devrait être. On doit distinguer l'ordre naturel et moral. La nature n'est donc pas un système de
finalité qui imposerait à l'homme des normes éthiques. Dans ces conditions, on ne peut pas
souscrire à l'axiome fondamental de Léopold voulant qu'une chose est bonne quand elle va dans le
sens de la nature. Est-il possible de suivre cette règle sans commettre des actions jugées immorales
par nos pairs ?
C'est une erreur de vouloir assujettir l'humanité à la nature.

Sans reprendre les remarques visant la pensée de Léopold qui sortent les citations de leur contexte,
il y a des extrapolations à travers des citations déconstruites qui font perdre la tonalité modérée du
fondateur de l'écologie profonde. À aucun moment, la formule de Gauchet éponyme de l'article
Sous l'amour de la nature la haine des hommes ne peut s'appliquer à Léopold. Il n'y a aucun anti-
humanisme dans l'Almanach. La tonalité générale est empreinte d'humanité et d'un profond
humanisme.
Considérer l'homme comme appartenant à une totalité qui mérite d'être préservée ne signifie pas
nécessairement une menace sur les droits individuels. L'éthique de la Terre ne prétend pas se
substituer à ses prédécesseurs. Elle n'annule en rien nos obligations morales à l'égard de notre
famille, de nos voisins, de l'homme. L'éthique de la Terre parle d'une extension de l'éthique. Il faut
additionner et non remplacer. Il faut prendre en compte que la circonférence de la sphère morale
doit s'agrandir et à chaque étape du développement social. De nouveaux cercles concentriques
s'ajoutent aux précédents. Nous avons des obligations envers les éléments non humains de la nature.
Il s'agit de considérer que cette appartenance nous donne des obligations éthiques envers les non
humains ce qui nous enlève pas nos obligations morales.
L'éco-fascisme est un contresens pour un auteur individualiste, libéral, méfiant à l'égard de l’État
central qui place son espoir dans l'éducation et non dans la propagande fut-elle écologiste.
S'il veut protéger les prédateurs en tant qu'être vivant, ce n'est pas pour l'extermination de tout ou
partie de l'espèce humaine.

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Chapitre 5 : L'écologie socialiste
Section 2 : L'écologie humaniste ou anti-utilitariste
André Gorz (1911-2007) et il a écrit un article Ecologica paru en 2008. Il a écrit sous le nom de
Michel Bosquet.
Il est né à Vienne, il est partie en Suisse puis en France. Il a été découvert par Sartre en 1949 et l'a
accompagné dans une aventure intellectuelle. Il a écrit un roman autobiographique intitulé Le traître
préfacé par Sartre. Il a participé à la fondation du Nouvel Observateur et dans ce magazine, il a
traité des questions écologiques. Ses 1ères publications seront rassemblées dans Écologie et liberté
devenu Écologie et politique.
Sa prise de conscience écologique date des années 1950 en raison du modèle consumériste
américain. Le capitalisme doit déboucher sur l'écologie politique. Ceci amène à proposer une
théorie spécifique des besoins. Dans sa filiation intellectuelle, il y a Sartre. Il y a le Sartre
existentialiste. C'est un philosophe avant d'être sociologue. Il y a l'affirmation de la liberté. Dans ses
influences, il y a le Marx des manuscrits dont celui de 1857. La 3ème référence est Ivan Illich en ce
qui concerne la convivialité. On peut retenir la nécessité de changer de vie et l'idée que l'homme est
devenu l'outil de ses outils. On trouve aussi Habermas à travers sa défense du monde vécu et la
critique de la rationalité instrumentale. Touraine est le seul sociologue prenant en compte l'influence
de Sartre. La sociologie doit prendre le partie d'une idée contre la société. Le sujet est ce qu'il y a de
moins social dans l'individu et on peut résister à la société de consommation. On trouve enfin une
double influence : celle de Jean-Marie Vincent, philosophe marxiste et directeur de Futur antérieur,
et Tony Négri.
Gorz reste le penseur de l'écologie le + marxiste dans un ouvrage Adieu au prolétariat. On retient
aussi Les métamorphoses du travail et Ecologica.

Dans sa pensée, on trouve l'idée que l'écologie est un humanisme. Elle doit organiser la défense du
monde vécu, une culture du quotidien permettant aux individus d'interpréter le monde et de le
produire. On trouve la capacité à se protéger du règne des espèce, être capable de favoriser
l'autodétermination des individus au détriment des rapports marchand. C'est aussi se mobiliser
contre la destruction de la culture du quotidien c'est-à-dire l'ensemble des savoirs intuitifs de ce que
Illich appelle les savoir-faire vernaculaires. Ce sont les habitudes, normes, coutumes, conduites,
grâce auxquelles les individus peuvent assumer leur insertion dans le monde.
Sa conception de l'écologie est de considérer que quand on défend la nature, ce n'est pas le
naturalisme ou scientifique mais c'est la défense d'un milieu qui paraît naturel. Ses structures et son
fonctionnement sont accessibles à une compréhension intuitive. Plus une société devient complexe,
moins elle est intelligibles par les individus. L'écologie doit être aussi une pensée de la complexité.
Elle doit s'intéresser à la question du travail qui touche le phénomène de double exploitation :
nature et homme inauguré par le capitalisme.
Le travail a été l'instrument prométhéen permettant à l'homme de conquérir la nature. L'homme peut
s'échapper à sa destinée, c'est une libération qui a disparu aujourd'hui. Il y a des catastrophes
écologiques, des nouvelles raretés y compris le manque de temps, ça signifie la précarisation, la
marchandisation de la vie quotidienne, l'aliénation … Il faut remplacer cette société du travail par
une société de culture.
L'objet n'est pas la protection de l'environnement mais la relation de l'humanité avec l'activité
positive de la nature. Cette défense de la nature est aussi une défense du monde vécu. Ça passe par
le fait que les individus sociaux soient en mesure de comprendre et de maîtriser l'aboutissement de
leurs actes.
Quand on regarde l'histoire du mouvement écologiste, c'était un mouvement de protestation contre
la méga-machine techno-industrielle en particulier contre l'électro-nucléaire. Ce sont des choix

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politiques habillés en choix technico-économiques. Ce sont des « nucléocrates » qui ont dicté ce
choix en niant l'autonomie existentielle des individus et des communautés. L'écologie doit se battre
contre le savoir spécialisé des experts et contre la religion de la croissance. C'est ce qui a été
impulsé au début des années 1970. Les écologistes européanistes ont voulu changer la vie. Ces
revendications ont reçu l'appui de certains milieux scientifiques comme le club de Rome. Ce sont
des expertises scientifiques qui amènent les décideurs à repenser le modèle de développement et
crédibilise le mouvement écologiste. Cette revendication sectorielle devient sujet de l'intérêt
général. On peut en débattre rationnellement sur la scène publique.

Pour lui, la légitimité de l'écologie politique peut-elle s'appuyer sur l'autorité de l'écologie
scientifique ?
L'apport le + fondamental du scientifique au politique, c'est la mise en évidence de limites à
l'activité de transformation du monde par les humains. La mondialisation capitaliste avec la
puissance technologique a entraîné un franchissement de ces limites. On assiste à un divorce entre 2
logiques :
– la logique de stockage et de dépense d'énergie (temps accumulé)
– l'économie capitaliste qui repose sur l'exploitation maximale de l'énergie des matières 1ères
et du temps de travail tout ça dans un minimum de temps. Avec cette logique, un seuil a été
franchi
Il pointe le caractère ambivalent de cette écologie. Il montre que la détermination par la science des
seuils de pollution jugés acceptables n'est en rien une rupture avec l'industrialisme, cette idéologie
et la raison économique. La science peut servir de fondement à une nouvelle « expertocratie » à une
technocratie verte hors du contrôle démocratique. Une expertocratie imposant des règlements
administratifs, des taxes, des pénalités. Une sorte de FMI écologique, une police mondiale qui
garantirait l'accès aux ressources stratégiques au nom de la défense de l'environnement. En réalité, il
s'agit de servir le capitalisme.
Dès 1974, au lendemain de la crise de 1973, Gorz voit que les groupes financiers profitent de la
crise. Par ailleurs, les technocrates sont en mesure de calculer des normes optimales de pollution
pour permettre au système de fonctionner. Ainsi, fonder un projet de société écologiste sur la
science, c'est nier l'existence même d'un espace politique. La démarche politique n'est pas de l'ordre
de la nécessité qui découlerait de l'analyse scientifique. Gorz entend rompre avec la diamate c'est-à-
dire le matérialisme dialectique. Si les demandes culturelles du mouvement écologistes ont pu se
trouver fondée par la nécessité de rompre avec la société industrielle au nom de la science, l'inverse
n'est pas vrai. Il dit « il est impossible de fonder la politique sur une nécessité ou sur une science
sans du même coup la nier dans son autonomie spécifique et établir une nécessaire dictature
scientifique ». Au nom de quoi certains prétendraient établir cette dictature : au nom des exigences
de l'écosystème qui serait l'équivalent des lois de matérialisme dialectique chez les marxistes
staliniens. L'écologie de Gorz ne repose pas sur la science, il veut une auto-limitation qui relève
d'un choix politique.
Il a un projet qui prévoit de travailler moins pour travailler tous au lieu de produire + pour
consommer +. Son projet est de faire + et mieux avec moins. L'écologie politique fait des
changements écologiquement nécessaires dans la manière de produire, de consommer … elle en fait
le levier de changements normativement souhaitables dans le mode de vie ou les relations sociales.
Gorz réfute le fantasme de l'abolition des politique comme il refuse de faire de l’État l'ennemi
principal. La priorité n'est pas d'éliminer l’État. Les orientations libertaires sont tempérées par l'idée
que l’État doit par ses codes, règlements garantir les populations contre les effets destructeurs du
capitalisme sauvage. Ensuite, il affirme que le modèle des communautés villageoises n'est pas
extensible à toute la planète. La richesse d'une société dépend aussi de l'existence de grandes entités
territoriales, de services publics … bref d'un organisme de coordination, de péréquation, d'un État.
Face à la mondialisation capitaliste, il ne faut pas se contenter d'opérer un refus mais un contre-

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projet de civilisation, une utopie au sens de Bloch c'est-à-dire une utopie concrète, le recul qui nous
permet de juger ce que nous faisons à la lumière de ce que nous pourrions ou devrons faire. C'est
une utopie assumée comme une alternative qui s'offre à l'impasse prophétique du marxisme et à la
barbarie productiviste de l'économie de marché. C'est aussi une alternative à la montée du pouvoir
techno-bureaucratique ou encore ce qu'il l'expertocratie verte qui se dit seule juge du contenu de
l'intérêt général. Au nom des contraintes écologiques, on dépossède les citoyens de leurs capacités à
décider de leur sort. Il s'agit d'opérer une rupture radicale qui passe par le rôle majeur des
intellectuels dans la prise de fonction. Ils ont une responsabilité dans l'élaboration de cette utopie
réaliste. Pour Sartre, « l'intellectuel dans la pensée de Gorz, c'est la conscience de son temps ». Cela
exige que les « hommes prennent conscience de leur malheur afin qu'ils se révoltent contre lui ».
C'est affirmer la liberté face à la nécessité. Cet intellectuel accessible doit être en relation de
démocratie directe, de débat permanent avec le reste de la société.

Jusqu'à sa mort, Gorz s'est intéressé aux micro-expériences alternatives appelés avant des nouveaux
mouvements sociaux. Si le prolétariat n'est plus l'acteur central, ce sont nouveaux mouvements
sociaux et porteurs du projet éco-socialiste.
Gorz refuse toute tentation passéiste d'un retour à une innocence pré-industrielle d'avant la division
du travail reposant sur la valorisation du travail familial, une « quête hallucinée du sol ». L'histoire
n'est pas écrite à l'avance, il n'y a pas de classe élue révolutionnaire en soi. Il se fait l'avocat de
micro-ruptures plutôt que le Grand Soir. On peut parler d'indétermination sociologique des porteurs
du changement. Le socialisme du passé est mort, il a perdu sa dimension prophétique et son sujet
historique : la classe ouvrière. Il faut trouver les autres groupes sociaux en mesure de redonner un
sens au socialisme. C'est toute la nébulleuse qui s'oppose à la mondialisation libérale et au tout
économique. Ce peut donc être ATTAC, les rédacteurs de Écologie et politique, Meadows, le groupe
de Lisbonne (université du bien commun), la confédération paysanne ou des réseaux d'agriculture
durable. Il n'y a pas de groupes spécifiques du projet éco-socialiste.
Ces groupes sont amenés à s'allier avec les travailleurs polyvalents, le nouveau prolétariat, la masse
des précaires, les travailleurs à temps partiels et les exclus en général d'où l'importance des formules
rassembleuses. Ce sont les groupes et intellectuels devant populariser ces formules. On trouve « ne
pas perdre sa vie à la gagner » « travailler moins pour travailler tous », « consommer moins pour
vivre mieux », « quand une société produit pour travailler au lieu de travailler pour produire, c'est
le travail en général qui se trouve frappé de non sens », « il faut rompre avec une civilisation où on
ne produit rien de ce qu'on consomme et ne consomme rien de ce qu'on produit » …
Parmi les groupes potentiellement porteurs de valeurs anti-utilitaristes, on peut trouver le
mouvement autour de la revue du MOS. Il voit aussi d'autres mouvements. Il évoque les systèmes
d'échanges locaux développés depuis + de 20 ans. Ce sont des réseaux circulaires de réciprocité
indirect. Ça relève du don.
On passe du besoin de convivialité à la stricte nécessité pratique. Les participants au SEL sont de
40% à 60% en situation précaire. Il n'y a pas de véritables égalité entre les participants précaires et
un autre dont la motivation est citoyenne.
On évoque les mouvements de la simplicité volontaire comme la décroissance. Dans les pays anglo-
saxons, des mouvements adoptent un mode de vie où le travail et l'argent passent après les loisirs.
C'est le mouvement de Simplicité volontaire qui a pour objectif de réduire d'1/3 la consommation de
chaque participant. C'est aussi l'intelligence collective. C'est l'intellectualité de masse. Toutes les
activités artistiques, relationnelles s'inscrivent en dehors de la logique marchande. D'autres
philosophes parlent de révolutions moléculaires.

Sur l'intelligence collective, le terrain du conflit n'est plus nécessairement sur le lieu de production
mais partout où le savoir est transmit. Le cyberespace peut faire développer l'intelligence. Les
communautés virtuelles pratiquent la mise en commun de savoir avec les logiciels libres. On parle

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d'économie de la connaissance ce qui à renvoie au proto-communisme. Une attention particulière
est sur l'informatique. Elle veut faire de la science car c'est : connaissance, technique de
connaissance et moyen de communication (invention). En elle est supprimée la distinction sociale
entre ceux qui produisent et ceux qui conçoivent les moyens de production. Dans ce cadre, les
producteurs ne sont plus dominés à travers les moyens du travail. La production de connaissance et
de pièces matérielles fusionnent. Ceci est représentatif de l'illusion techniciste. La production de
choix est production de richesse et inversement.
L'informatique bouleverse la nature du travail qui n’apparaît plus comme travail mais comme plein
développement de l'activité elle-même. Dans L'immatériel, il voit dans le hacker le symbole de cette
réappropriation et de cette suppression du travail. C'est la rébellion contre le capital, le militant de la
gratuité, l'anti-économiste, une éthique anarcho-communiste. Il invoque la figure du dissident du
capitaliste numérique. Environ le 1/3 de la population active américaine relève de cette forme de
dissidence. Dans son esprit, ces hackers sont partisans de la réduction volontaire du travail. Grâce à
l'informatique, il y a la possibilité d'une création de société de haute technologie pour sortir du
capitalisme et passer à une société écologiste.
Le capitalisme travaille à sa perte. Il développe les outils qui permettent de fabriquer sans les
hommes. Ce combat englobe les individus installés dans un atelier qui fabriquent des produits à
diffuser. Ces individus permettraient aux déçus du capitalisme de se regrouper pour produire dans
des ateliers communaux ce dont les populations ont besoin. Gorz y voit la possibilité d'une
interconnexion mondiale des ateliers dans la logique qui prévaut dans le cadre du logiciel libre. Il y
voir l'émergence d'une société de l'information, d'une possibilité de libérer le travail de la tyrannie
de l'emploi. Les besoins les + communs doivent être redéfinis pour être fabriqués avec les outils à la
portée de tous et aussi les compétences. L'utopie réaliste est celle d'une autoproduction communale,
coopérative qui n'est pas réalisable à grande échelle tout de suite.
Il montre l'exemple du Brésil. Dès les 1ères applications concrètes, ça aura une valeur exemplaire,
elle fixera un but à atteindre. Cette expérience permettra de changer le regard sur ce qui peut être.
Gorz croit la possibilité d'un effet d’entraînement des micro-expériences. Ceci permettrait de
réveiller, d'accélérer, de coaguler tous les éléments de contestation de la logique marchande, de la
logique travailliste, utilitariste, bureaucratique chez tous les groupes.
L'objectif est de « rétablir politiquement la corrélation entre moins de travail et moins de
consommation d'une part, plus d'autonomie, plus de sécurité existentielle d'autre part pour chacune
et chacun ». Cela passe par l'auto-limitation.
Il met en avant le privilège accordée aux circuits courts, il stigmatise la culture du toujours +, du
rendement, de la vitesse … Cette suprématie du quantitatif au détriment du qualitatif, ceci comme
substitut du jugement de valeurs rationnel, doit être abandonnée, il faut revaloriser l'auto-limitation.
Le capitalisme est créateur de nouveaux besoins. La consommation va toujours être supérieure aux
besoins ressentis. Il montre Weber ou avant le capitalisme, les ouvriers préféraient la disponibilité
au lieu de l'appât du gain. On assiste à un découplage entre la consommation et les besoins ressentis
alors qu'il faudrait pouvoir auto-déterminer la durée du travail et le niveau de consommation. Si on
se penche sur cette question, on se rend compte que le consumérisme n'était pas une étape
inévitable. C'est le fruit d'un choix entre une culture de l'argent plutôt que du temps libre, un choix
fait dans un contexte culturel. Il y avait pour Gorz la possibilité de concevoir un temps de travail et
hors travail en dehors des catégories de la société de consommation qui privilégie la valeur argent.
Le choix a été fait pour l'argent au détriment du temps. Il invoque Cross.

Le capitalisme signifie aussi la détermination des besoins par ceux du capital. Il signifie le travail
aliéné, le fétichisme de la marchandise, la réification. Le capitalisme permettait de désacraliser la
nature. La rareté n'est pas là où on le croit. Le marché l'institue de façon chronique. Le capitalisme
produit de nouvelles raretés. Le travail implique des rapports sociaux et économiques obligatoires à
la survie alors que dans les sociétés primitives, observées par Sahllins, contrairement à l'imagination

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de base, ne sont pas des sociétés du besoin. Ont existé des sociétés qui n'étaient en rien des sociétés
du manque. Il n'y a pas de modernisation écologique sans diminution de la consommation. Il n'y a
pas de possibilité de vivre mieux sans accepter de consommer moins.
L'esprit de modernité interdit d'être pauvre en droit alors que la pauvreté est imposée de fait dans la
réalité à beaucoup. Il dénonce une addiction à l'abondance qui nous fait sentir des manques, c'est ce
qu'on appelle la pauvreté moderniste.
La situation actuelle nécessite une mutation éthique qui ne passe pas par une imposition autoritaire
généralisée du comportement mais par la possibilité d'un choix individuel dans le cadre d'un débat
démocratique. Ce n'est pas la vieille norme du suffisant dans les vieilles sociétés. Il est dangereux
de distinguer les besoins nécessaires et le superflus. Il faut prendre conscience que le capitalisme a
besoin du marketing pour susciter des nouveaux besoins et augmenter la consommation. Ça
provoque le phénomène d'obsolescence des produits. Avec la réduction du niveau de vie, il est +
cher de réparer un produit que d'en acheter un neuf et le nouveau dure moins longtemps.
En + de la diminution de la durabilité de la durée de vie, il y a la combinaison de la logique des
firmes et la publicité. Il s'agit susciter des désirs nouveaux et accorder une valeur symbolique aux
marchandises. Une culture de la consommation se base sur l'individualisation, la rivalité et la
jalousie. Cette culture s'oppose à l'autonomisation des individus. Delors parlait d'abondance frugale,
il faut limiter les besoins, les désirs pour limiter les efforts à fournir. Il n'y a pas de norme de
référence universelle. C'est la seule voie non autoritaire, démocratique vers une civilisation
industrielle qui sera éco-compatible. Il dit « je ne dis pas que les transformations radicales se
réaliseront je dis seulement que pour la première fois nous pouvons vouloir si elles se réalisent ».

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