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QUESTIONS À PROPOS DU DÉLIT D’OBSTACLE

À LA SURVEILLANCE EN DROIT BELGE

par

Fabienne KÉFER
Avocat,
Chargée de cours à l’université de Liège

I. — Description de l’incrimination

1. De nombreuses lois belges confient la surveillance de leurs


propres dispositions à l’autorité administrative. Elles accordent
généralement aux divers services d’inspection, dans les limites de
leur compétence, le droit de pénétrer dans les lieux de travail, d’in-
terroger des personnes, de se faire produire des documents et d’en
prendre une copie, de prélever et emporter des échantillons, etc. ( 1).
Ainsi, par exemple :
— l’article 8 de la loi du 24 février 1921 sur les stupéfiants ;
— l’article 8 de la loi du 22 janvier 1945 sur la réglementation éco-
nomique et les prix ;
— l’article 41.4 de la loi du 26 mars 1971 sur la protection des eaux
de surface contre la pollution ;
— l’article 77, § 1 er, 3 o du décret wallon du 11 mars 1999 relatif au
permis d’environnement ;
— l’article 39,3 o du décret flamand du 28 juin 1985 relatif à la pro-
tection de l’environnement ;
— l’article 56, 2 o du décret flamand du 2 juillet 1981 relatif aux
déchets ;
— les articles 60 et 73 du code TVA ;
— l’article 452 du CIR/92 ;
— l’article 15, 2 o de la loi du 16 novembre 1972 sur l’inspection du
travail ;

(1) H.D. Bosly, « Mise en œuvre des poursuites et pouvoirs d’investigation dans
l’entreprise », Le risque pénal dans la gestion des entreprises, Bruxelles, Story-Scientia,
1992, pp. 186 et s.
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— l’article 171 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 sur l’assu-


rance obligatoire soins de santé et indemnités ;
— l’article 32 de la loi du 14 février 1961 d’expansion économique,
de progrès social et de redressement financier ;
— l’article 35, 4 o de la loi du 27 juin 1969 sur la sécurité sociale des
travailleurs salariés ;
— etc.
La plupart du temps, les autorités administratives de contrôle ne
disposent pas du pouvoir de perquisitionner, d’ouvrir les tiroirs, de
fouiller les armoires, etc. Aussi, doivent-elles inviter les personnes
contrôlées à leur remettre des documents, leur fournir diverses
informations. La fourniture de ces renseignements ou documents
peut déboucher sur le constat d’infractions et déclencher, à terme,
l’exercice de poursuites pénales et/ou administratives. D’où la ten-
tation de ne pas collaborer au contrôle.
Le refus de fournir ces renseignements ou documents est lui-
même sanctionné pénalement et/ou administrativement par ces dis-
positions particulières et porte couramment le nom de délit d’obs-
tacle à la surveillance. Il est punissable dans le chef de toute per-
sonne, qu’il s’agisse de celle à l’égard de laquelle l’enquête est effec-
tuée et qui pourrait éventuellement être soupçonnée d’avoir commis
une infraction ou de tiers qui refuseraient de livrer des informations
concernant cette infraction.
Ce délit peut prendre des formes variées. Il peut consister aussi
bien dans une action positive d’entrave, comme la fourniture de
renseignements inexacts ou l’usage d’un faux nom ( 2), qu’en une
résistance passive. Est délictueuse toute gêne quelconque au
contrôle, que celui-ci ait pu ou non être effectué : le fait de ne pas
ouvrir les portes de l’entreprise ( 3), le refus de fournir les documents
demandés ( 4), sa carte d’identité ( 5), sa carte de contrôle ( 6) ou les
explications nécessaires ( 7), les formulaires n o 325.10 contenant le
relevé récapitulatif des salaires ou une procuration pour consulter

(2) C. trav. Liège, 6 février 2001, J.T.T., 2001, p. 246.


(3) Bruxelles, 7 novembre 1994, Rev. dr. pén., 1995, p. 738 ; voy. toutefois Corr.
Turnhout, 26 mars 1985, T.R., 1989, p. 150.
(4) H.D. Bosly, Les sanctions en droit pénal social belge, Gand-Louvain, Story-
Scientia, 1979, p. 145 ; R. Roels, « L’obstacle à la surveillance », J.T.T., 1992, p. 273,
et réf. citées ; Corr. Charleroi, 2 décembre 1987, J.T.T., 1992, p. 286.
(5) R. Roels, op. cit., J.T.T., 1992, p. 273.
(6) C.trav. Liège, 6 février 2001, J.T.T., 2001, p. 246.
(7) Pasin., 1888, p. 110.
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ces documents à l’administration fiscale ( 8) ; le refus de remettre les


reçus mensuels de la recette des chauffeurs et les feuilles de route
de ceux-ci ( 9) et même le simple fait de ne pas avoir conservé les dis-
ques d’enregistrement des tachygraphes ( 10) ; le refus de répondre à
l’ordre des fonctionnaires de mettre fin au délayage des eaux usées
selon un procédé qui rend impossible le contrôle de la qualité et de
la quantité de l’eau réellement déversée ( 11), le fait de se soustraire
à l’entretien avec l’inspecteur soit en se retranchant dans son
bureau, soit en étant absent le jour annoncé pour la visite sans avi-
ser l’inspecteur ou sans donner d’instruction nécessaire pour que le
contrôle soit possible pendant son absence ( 12) ; le fait, pour l’em-
ployeur, de ne pas se retirer de l’atelier pendant que l’inspecteur
interroge ses ouvriers, alors que celui-ci le lui avait demandé ( 13).
En revanche, il n’y a pas d’obstacle à la surveillance lorsqu’un
employeur refuse de répondre à l’invitation de l’auditeur du travail
de rendre visite à l’inspecteur du travail muni des documents
sociaux dont la tenue est imposée par la loi ; la réglementation pré-
voit que les contrôles se font au siège de l’entreprise ou au domicile
de ses dirigeants mais n’impose nullement aux employeurs « de
venir s’expliquer chez les fonctionnaires chargés des contrôles
légaux, a fortiori porteurs de tous les documents pouvant intéresser
ces contrôles » ( 14).

II. — Le silence de l’inculpé


et du tiers en droit commun

2. Le droit commun n’impose pas ce type d’obligation de collabo-


ration au justiciable.

(8) Cass., 2 octobre 1973, R.W., 1974-1975, col. 1257 et, en résumé, Rev. b. séc.
soc., 1974, p. 517, et note J. Luttun.
(9) Bruxelles, 14 avril 1993, J.L.M.B., 1994, p. 627.
(10) Corr. Charleroi, 3 juin 1981, J.T.T., 1981, p. 360, et les obs. de H.D. Bosly,
« Dix années de droit pénal social 1971-1981, Etude de législation et de jurispru-
dence », J.T.T., 1983, p. 133, n o 73.
(11) Cass.,12 mai 1998, Bull., 1998, p. 557.
(12) R. Roels, op. cit., J.T.T., 1992, p. 273 et réf. citées.
(13) Cass., 9 juin 1902, Pas., 1902, I, 272.
(14) Bruxelles, 28 octobre 1981, J.T., 1982, p. 311 ; Corr. Tournai, 16 février 1999,
J.L.M.B., 2000, p. 426.
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S’agissant de l’inculpé ( 15), il bénéficie, en droit commun, d’un


droit au silence, dérivé de la présomption d’innocence ( 16) ( 17). La
Cour de cassation a formellement déclaré, dans un arrêt du 11 mars
1992, que « le droit à un procès équitable, garanti au prévenu par
l’article 6, § 1 er de la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, implique que celui-ci,
comme le prévoit expressément l’article 14, § 3, g du Pacte interna-
tional relatif aux droits civils et politiques, ne peut être forcé de
témoigner contre lui-même ou de s’avouer coupable » ( 18). Le pré-
venu peut même mentir pour autant que, ce faisant, il ne commette
pas d’infraction ( 19) (par exemple, une dénonciation calomnieuse, un
faux en écritures ou l’usage d’un faux nom).
3. Son droit au silence signifie tout d’abord que le manque ou le
refus d’explication ne peut entraîner à lui seul une conviction de
culpabilité.
Tant la Cour européenne des droits de l’homme ( 20) que la Cour
de cassation ( 21) estiment cependant que le refus systématique d’un

(15) Il s’agit en réalité de toute personne suspectée d’avoir commis une infraction,
qu’elle soit inculpée, prévenue ou accusée.
(16) P. Quarré, « Le droit au silence », J.T., 1974, pp. 525 et s., et réf. citées ;
H.D. Bosly, « La preuve en matière pénale », J.T., 1992, p. 125 ; M. Franchimont,
A. Jacobs et A. Masset, Manuel de procédure pénale, Liège, Faculté de Droit, 1989,
pp. 752 et s.
(17) Pour un aperçu global en droit international et en droit comparé, voy.
M. Ayat, « Le silence prend la parole : la percée du droit de se taire en droit interna-
tional pénal », Rev. dr. intern. comp., 2000, pp. 219 à 255. Voy. aussi, F. Tulkens et
I. Wattiez, « Approche de droit comparé : le droit de la Convention européenne des
droits de l’homme et les droits allemand et italien », Les droits de la défense, Liège,
Jeune Barreau, 1997, pp. 383 et 384 ; en droit australien, voy. A. Bullier, « Le droit
au silence (pour les individus) est-il protégé par la Constitution australienne ? », Rev.
dr. pén., 1999, pp. 751 et s.
(18) Cass., 11 mars 1992, Pas., 1992, I, 619 ; voy. aussi Cass., 6 mai 1993, Bull.,
1993, p. 452.
(19) Cass., 24 août 1998, Bull., 1998, p. 881 ; M. Franchimont, A. Jacobs et
A. Masset, Manuel de procédure pénale, op. cit., p. 752 ; M. Rigaux et P.E. Trousse,
Les crimes et les délits du Code pénal, t. III, Bruxelles, Bruylant, 1957, p. 95;
F. Close, « Le ministère public et les droits de la défense », Les droits de la défense,
Liège, Jeune Barreau, 1997, p. 63.
(20) Cour eur. dr. h., 25 janvier 1996, Murray c. R.U., J.L.M.B., 1997, p. 452, §§ 54
à 58; voy. la nuance apportée par l’arrêt du 2 mai 2000 dans l’affaire Condron c. R.U.,
§§ 57 et s. Voy. les obs. sous l’arrêt Murray de M. Neve et A. Sadzot, « Le droit au
silence et le droit à l’assistance d’un avocat dès les premiers stades de la procédure »,
J.L.M.B., 1997, pp. 465 et s. et celles de F. Tulkens et I. Wattiez, « Approche de
droit comparé : le droit de la Convention européenne des droits de l’homme et les
droits allemand et italien », op. cit., Les droits de la défense, pp. 383 et 384.
(21) Cass., 5 avril 2000, Bull., 2000, p. 698.
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prévenu de donner les renseignements nécessaires à la vérification


des explications d’un témoin peut, au vu des circonstances, être pris
en considération pour apprécier la force de persuasion des éléments
à charge lorsque ces éléments appellent manifestement des explica-
tions ; cette manière de se défendre peut donc constituer, avec
d’autres éléments, un ensemble de présomptions graves, précises et
concordantes forgeant la conviction du juge du fond quant à la
culpabilité du prévenu, sans qu’il y ait violation de son droit au
silence, à tout le moins lorsque l’accusé a été averti des consé-
quences possibles de ce silence et des risques qu’il encourt ( 22).
4. Le droit au silence signifie ensuite que l’inculpé peut s’abstenir
de toute collaboration s’il estime qu’il n’est pas de son intérêt ou
tout simplement s’il n’a pas envie de participer aux investigations
entreprises ( 23). On ne peut le contraindre à parler ou fournir des
documents. L’article 871 du Code judiciaire, permettant au juge
d’ordonner aux parties litigantes la production des éléments de
preuve dont elles disposent, est inapplicable en matière pénale ( 24).
Il est, en outre, constant que l’omission de collaboration du prévenu
ne peut lui être reprochée au titre d’infraction ; une telle incrimina-
tion aurait, en effet, une fonction coercitive et doit être bannie au
même titre que le recours à la force, à la menace, à la ruse ou à
toute autre manœuvre ou forme de pression destinée à arracher des
aveux ( 25). La loi belge interdit d’ailleurs expressément le recours à
la détention préventive comme forme de contrainte en vue d’obtenir
des aveux ( 26).
Le prévenu ne peut pas non plus être entendu sous serment
comme témoin de sa propre cause ( 27), fût-ce à sa demande ( 28). La
règle de l’irrégularité de l’audition sous serment s’étend à toute per-
sonne faisant l’objet d’une instruction judiciaire ( 29). Il arrive que

(22) Cour eur. dr. h., 6 juin 2000, Averill c. R.U.


(23) P. Quarré, op. cit., J.T., 1974, p. 526 ; A.L. Fettweis, « La charge de la
preuve en droit pénal belge et la présomption d’innocence », Les droits de la défense
en matière pénale, Liège, Jeune Barreau, 1985, p. 136.
(24) P. Quarré, op. cit., J.T., 1974, p. 526.
(25) B. De Smet, « La valeur de l’aveu en matière pénale », Rev. dr. pén., 1994,
p. 640.
(26) Article 16, § 1, al. 2 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préven-
tive; voy. O. Klees, « De l’obligation de témoigner au droit au silence », Rev. trim.
dr. h., 1994, p. 255.
(27) Mons, ch. mis. acc., 17 décembre 1998, Rev. dr. pén., 1999, p. 588 et note
J. Sace.
(28) Cass., 20 juin 2000, Bull., 2000, p. 1136.
(29) Cass., 16 septembre 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1340.
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des auditions sous serment soient pratiquées dans le cadre de com-


missions rogatoires, notamment en France, et soutiennent des pour-
suites exercées devant des juridictions belges ; ces auditions sont
irrégulières aux yeux de la jurisprudence belge, à tout le moins si
elles sont pratiquées à un moment où existe déjà à charge de la per-
sonne interrogée une suspicion d’infraction ( 30).
5. Quant aux tiers, c’est-à-dire les personnes autres que l’inculpé,
le droit commun ne connaît que la répression du refus, par un
témoin, de faire une déposition en justice, après y avoir été invité
par citation (art. 80, 157 et 304 du Code d’instruction crimi-
nelle) ( 31). En revanche, le droit commun n’incrimine pas le refus de
fournir des renseignements ou documents, lorsqu’un témoin est
entendu par la police en l’absence d’un mandat de perquisition ( 32).
La Cour de cassation enseigne, depuis plus d’un siècle, que les
aveux de l’inculpé ou les déclarations d’un témoin ne peuvent
jamais être obtenus par l’emploi de la contrainte physique ou
morale, et que le devoir, pour un témoin, de se soumettre à l’obliga-
tion de répondre cesse si celui qui est entendu sous serment ne peut
répondre, avec une complète véracité, sans s’exposer lui-même à des
poursuites répressives ( 33).
Il faut toutefois souligner que le droit au silence ne dispense pas
le témoin de comparaître et de prêter serment. La Cour européenne
des droits de l’homme ne considère pas que le fait de devoir prêter
serment constitue en soi une pression illicite destinée à arracher des
aveux ( 34). Après avoir juré de dire toute la vérité, le témoin peut
encore refuser de parler si ses déclarations risquent de révéler sa
participation à une infraction ( 35).

(30) Cass. 13 janvier 1999, Bull., 1999, p. 28, J.L.M.B., 1999, p. 1198 ; Mons,
8 février 1998, Rev. dr. pén., 1998, p. 932; Mons, ch. mis. acc., 17 décembre 1998,
Rev. dr. pén., 1999, p. 588 et note J. Sace. Voy. aussi, J. De Codt, « Les nullités de
l’instruction préparatoire et le droit de la preuve. Tendances récentes », Rev. dr. pén.,
2000, pp. 44 et 45.
(31) M. Rigaux et P.E. Trousse, Les crimes et les délits du Code pénal, t. IV,
Bruxelles, Bruylant, 1963, p. 21.
(32) H.D. Bosly, Les sanctions en droit pénal social belge, op. cit., p. 147.
(33) Cass., 21 février 1882, Pas., 1882, I, 74 ; voy. aussi, notamment, Cass.,
16 septembre 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1340.
(34) Cour eur. dr. h., 20 octobre 1997, Serves, § 47.
(35) J. Velu, « Considérations sur les rapports entre les commissions d’enquête
parlementaire et le pouvoir judiciaire », J.T., 1993, p. 592, n o 19 ; O. Klees, op. cit.,
Rev. trim. dr. h., 1994, p. 260.
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III. — Les obligations internationales


de la Belgique

6. Par le délit d’obstacle à la surveillance, les lois sociales, écono-


miques, fiscales et le droit de l’environnement font aux justiciables
une obligation de collaboration nettement plus importante, en
amont de la phase judiciaire ; elles imposent à l’employeur, au chô-
meur, au prestataire de soins, au contribuable, à l’entrepreneur,
etc., une obligation de collaboration dans l’administration de la
preuve d’infractions qu’ils sont suspectés d’avoir commises. La per-
sonne interrogée ne peut pas, selon ces dispositions, demeurer pas-
sive ( 36). L’interdiction de fournir des renseignements inexacts lui
ôte son droit au mensonge. Bien plus, elle doit communiquer les
renseignements et documents qui apporteront la preuve de sa culpa-
bilité, sous peine de commettre un délit. Elle a donc une obligation
de collaboration active et positive dans l’établissement de sa propre
culpabilité.
C’est pourquoi s’est posée régulièrement, au cours de ces dernières
années, la question de la compatibilité de cette obligation de colla-
boration avec le droit international. Cette obligation originale, dont
l’objectif est bien entendu de faciliter la recherche et la preuve
d’une infraction dont l’élément matériel est rarement apparent ( 37),
se révèle, en effet, en porte-à-faux avec plusieurs dispositions inter-
nationales liant la Belgique et garantissant le droit au silence, le
droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination.
Il s’agit tout d’abord de l’article 14 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, ratifié par la Belgique le 21 avril
1983, qui consacre le droit au silence en son article 14, § 3, g :
« Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit (...) à ne pas
être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable ».
Cette disposition ne prévoit aucune exception, et l’Etat belge n’y a
pas émis de réserve. Elle s’applique, par conséquent, aux personnes
accusées d’une infraction au droit pénal particulier.
Il s’agit ensuite de l’article 6 de la Convention européenne des
droits de l’homme, dont le premier alinéa énonce que : « Toute per-
sonne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par
un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation
en matière pénale dirigée contre elle » ; l’alinéa 2, quant à lui, établit

(36) R. Roels, op. cit., J.T., 1992, p. 272 ; Bruxelles, 14 avril 1993, J.L.M.B.,
1994, p. 627.
(37) H.D. Bosly, Les sanctions en droit pénal social belge, op. cit., p. 148.
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la présomption d’innocence jusqu’à ce que la culpabilité de l’accusé


ait été légalement établie.
A la différence de l’article 14 du Pacte, l’article 6 de la Conven-
tion européenne des droits de l’homme ne vise pas explicitement le
droit au silence ; il le consacre néanmoins implicitement, selon la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, comme
nous allons le voir ( 38).
7. Nous examinerons ci-dessous tout d’abord la première implica-
tion du droit au silence, à savoir le droit à la passivité dans le cours
d’une procédure pénale (IV). Nous étudierons ensuite l’utilisation,
dans une procédure pénale, de renseignements obtenus au cours de
l’enquête administrative sous la menace de poursuites pour refus de
participer à l’enquête (V). Compte tenu des particularités des pou-
voirs des services d’inspection en droit pénal économique, social,
financier, etc., nous aurons une attention particulière pour la ques-
tion du droit au silence au cours de la phase de surveillance (VI).
Nous nous attarderons ensuite sur la question de savoir s’il existe
des éléments qui ne seraient pas couverts par le droit de se taire et
de ne pas s’incriminer soi-même, en particulier en ce qui concerne
les documents (VII). Avant de conclure, nous aborderons briève-
ment le droit au silence dans la jurisprudence de la Cour de Justice
des Communautés européennes (VIII).
8. Une observation préalable s’impose. Ce n’est pas ici le lieu
d’approfondir la notion de matière pénale au sens de l’article 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme. Brièvement, nous
rappellerons que la jurisprudence, tant européenne que belge, recon-
naît que les garanties de l’article 6 peuvent s’appliquer lorsqu’une
sanction est qualifiée d’administrative par le droit interne, fût-elle
une sanction fiscale, pourvu qu’elle soit une sanction pénale au sens
autonome que donne à cette notion la Cour européenne des droits
de l’homme. Entrent ainsi dans le champ d’application de cette dis-
position certaines sanctions fiscales ( 39), les amendes administratives

(38) Pour un examen systématique des jurisprudences belge et européenne, voy.


F. Kuty, « L’étendue du droit au silence en procédure pénale », Rev. pr. pén., 2000,
pp. 309 et s.
(39) Cass., 14 janvier 1999, Bull. 1999, p. 53; Cass., 25 mai 1999, F.J.F., 1999,
p. 323 ; Cass. 5 février 1999, J.L.M.B., 1999, p. 537; C.A., 24 février et 17 mars 1999,
J.L.M.B., 1999, pp. 532 et 537 et obs. A. Demoulin ; N. Pirotte, « L’adéquation du
droit judiciaire privé au nouveau procès fiscal en matière d’impôt sur les revenus »,
J.D.F., 1999, pp. 140 et 141 ; A. Alen, « Naar een betere bescherming inzake admi-
nistratieve geldboeten na de koerwijziging van het hof van Cassatie in zijn arresten
van 5 februari 1999 », R.W., 2000-2001, pp. 630 et s.
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applicables en cas d’infractions à certaines lois sociales prévues par


la loi du 30 juin 1971 ( 40), ou encore les sanctions administratives
que l’ONEm peut prendre à l’égard d’un chômeur ( 41) ; par contre,
la Cour de cassation a estimé que la sanction administrative infligée
au kinésithérapeute qui ne tient pas le registre prévu par la régle-
mentation n’est pas une sanction pénale ( 42).

IV. — Le justiciable a-t-il un droit


à la passivité au cours d’une inspection ?

9. Le premier arrêt par lequel la Cour européenne des droits de


l’homme a proclamé formellement le droit de ne pas contribuer à sa
propre incrimination est l’arrêt Funke du 25 février 1993 ( 43).
Saisie d’un recours concernant la loi douanière française permet-
tant aux inspecteurs de requérir des tribunaux la condamnation
d’une personne à produire les relevés bancaires de ses différents
comptes, pièces dont l’administration fiscale supposait l’existence
sans en avoir la certitude, la Cour déclare que la condamnation
pénale pour refus de produire les documents demandés par les
douanes a méconnu le droit fondamental du prévenu à un procès
équitable garanti par l’article 6.1 de la Convention.
La Cour consacre le droit au silence et à la passivité en des termes
particulièrement nets : « les particularités du droit douanier (...) ne
sauraient justifier une telle atteinte au droit, pour tout accusé au
sens autonome que l’article 6 attribue à ce terme, de se taire et de
ne point contribuer à sa propre incrimination ». Le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination est donc un élément essentiel
de l’équité de l’accusation pénale. Il relève des droits de la défense
et échappe aux exigences des politiques économiques ou pénales des
Etats ( 44). La Cour reconnaît le droit au silence, droit qui trouve son
prolongement dans celui de « ne point contribuer à sa propre incri-
mination », de demeurer passif. Une telle attitude ne peut pas
constituer par elle-même une présomption de culpabilité ni, a for-

(40) C.A.,18 novembre 1992, J.T.T., 1993, p. 193.


(41) C. Trav., Liège, 6 février 2001, J.T.T., 2001, p. 246.
(42) Cass. 6 mai 2002, Chron. D. S., 2002, p. 380.
(43) Cour eur. dr. h., 25 février 1993, Funke.
(44) R. Garnon et A. Garnon, note sous l’arrêt J.C.P., 1993, II, n o 22.073,
p. 244 ; pour une interprétation restrictive de l’arrêt, voy. G. Stessens, « The obliga-
tion to produce documents versus the privilege against self-incrimination : human
rights protection extended too far? », Eur. Law Rev., 1997, pp. 45 et s.
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tiori, justifier une condamnation. Le droit au silence s’impose au


juge. Il s’impose pareillement au législateur, qui ne dispose pas de
la pleine liberté des modes de preuve pour emporter la conviction
des juges ( 45).
La Cour confirmera sa jurisprudence en des termes tout aussi
clairs dans plusieurs arrêts, et notamment les arrêts Murray du
8 février 1996 ( 46) et J.B. c. Suisse du 3 août 2001 : « Le droit de se
taire et — l’une de ses composantes — le droit de ne pas contribuer
à sa propre incrimination sont des normes internationales générale-
ment reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable » ( 47).
L’arrêt Saunders, du 17 décembre 1996 ( 48) ajoute que ce droit est
étroitement lié au principe de la présomption d’innocence énoncé
par l’article 6.2 de la Convention.
10. Les juridictions belges ont, depuis lors, fait application de ces
principes à plusieurs reprises.
C’est ainsi que le tribunal correctionnel de Nivelles acquitte, le
5 juin 1996, une chômeuse poursuivie pour obstacle à la surveil-
lance. Elle avait refusé de répondre aux questions d’un contrôleur-
adjoint de l’ONEm, concernant les prestations de travail qu’elle
aurait effectuées dans une friterie alors qu’elle percevait, par ail-
leurs, des allocations de chômage. Le tribunal fonde ce droit au
silence sur un principe général de droit, et sur l’article 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques ( 49).
Le tribunal correctionnel de Tournai déclare irrecevables les pour-
suites engagées pour délit d’obstacle à la surveillance, à l’encontre
de la gérante d’une friterie. Celle-ci était tout d’abord soupçonnée
par l’inspection du travail, d’occuper un travailleur non déclaré à la
sécurité sociale. L’inspecteur l’avait invitée à régulariser la situation
en vue du prochain contrôle. L’exploitante soutenait que, le travail-
leur étant son concubin, il n’y avait pas de lien de subordination et
donc pas lieu à « régularisation ». Aux deux dates fixées successive-
ment pour le contrôle, la gérante n’était pas là. L’inspecteur du tra-

(45) R. Garnon et A. Garnon, note citée J.C.P., 1993, II, n o 22.073, p. 244 ;
D. Viriot-Barrial, « La preuve en droit douanier et la Convention européenne des
droits de l’homme », Rev. sc. crim., 1994, pp. 537 et s.
(46) Rev. dr. pén., 1996, p. 949 et obs. I. Wattiez, et J.L.M.B., 1997, p. 452 et
obs. M. Neve et A. Sadzot.
(47) C’est nous qui soulignons.
(48) Cour eur. dr. h., 17 décembre 1996, Saunders c. R.U, J.T. dr. eur. 1997, p. 67.
(49) Corr. Nivelles, 5 juin 1996, J.L.M.B., 1997, p. 231.
Fabienne Kéfer 1315

vail l’avait pourtant avisée du risque de poursuites pour obstacle à


la surveillance. Aussi l’auditeur du travail avait-il exercé des pour-
suites pénales de ce chef.
Le tribunal fonde sa décision d’irrecevabilité sur les articles 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme et 14 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, en constatant
que « le contrôle a été fixé aux fins expresses de vérifier la régulari-
sation après signification à la prévenue d’être en infraction, et
d’être tenue à régulariser, sous peine de poursuites judiciaires ; que,
par son effet de clôture, la menace pénale est apparue inéluctable,
soit que, résistant, la prévenue soit poursuivie pour l’infraction
principale, soit que, fuyant, elle le soit pour obstacle au contrôle de
celle-ci (...) ; que la prévenue s’est ainsi trouvée enfermée dans le
dilemme de collaborer à la régularisation d’une situation qu’elle
n’estime pas infractionnelle ou de commettre un obstacle au
contrôle. Qu’il apparaît ainsi que les poursuites procèdent d’un effet
de coercition incompatible avec le droit de la prévenue de ne pas
participer à sa propre incrimination. Que l’absence de la prévenue
lors du contrôle n’a pas d’autre portée qu’une contestation » ( 50).
La cour d’appel de Bruxelles reconnaît le droit au silence à un
prévenu ayant refusé de répondre aux inspecteurs de l’ONSS, alors
qu’il faisait l’objet d’une information répressive pour occupation de
travailleurs étrangers en séjour illégal ( 51). La cour ne précise toute-
fois pas la base légale de ce droit.
Plusieurs décisions concernent également des témoins. Ainsi, la
cour d’appel d’Anvers a refusé de condamner un travailleur, refu-
sant de répondre aux inspecteurs de l’ONEm, l’interrogeant sur
l’identité d’un autre travailleur aperçu sur les lieux de travail, et ce
en se fondant sur l’article 14 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques ( 52).
De même, le tribunal du travail de Tongres annule une décision
infligeant une amende administrative pour délit d’obstacle à la sur-
veillance. A l’occasion d’un contrôle de chantier, l’intéressé avait été
surpris, par divers services d’inspections sociales et fiscales, à poser
des klinkers en compagnie de deux autres personnes. Celles-ci s’en-
fuirent et l’intéressé refusa de livrer leur identité. Aux yeux du tri-

(50) Corr. Tournai, 16 février 1999, J.L.M.B., 1999, p. 424.


(51) Bruxelles, 22 décembre 1999, J.T.T., 2000, p. 90 et conclusions du ministère
public.
(52) Anvers, 23 octobre 1997, Limb. Rechtsl., 1998, p. 209.
1316 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

bunal du travail, le délit d’obstacle à la surveillance n’est pas éta-


bli : le droit de se taire, prévu par l’article 14 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, est un principe général de droit
qui prime le droit national et qui ne reconnaît aucune exception
pour le droit social belge. L’intéressé n’avait donc pas à répondre
aux questions des inspecteurs ( 53).
De cette jurisprudence, il semble bien résulter que, contraire-
ment à ce qui était admis par le passé (voy. supra, n o 1), le droit
au silence s’oppose à ce qu’il soit encore dressé procès-verbal pour
obstacle à la surveillance en cas de refus de laisser entrer un ser-
vice d’inspection dans l’entreprise ( 54) ou de répondre à ses ques-
tions.

V. — Une procédure judiciaire peut-elle se fonder


sur des renseignements obtenus sous la menace
de poursuites pour obstacle à la surveillance ?

11. La menace de réprimer le silence peut produire des fruits. Les


personnes interrogées peuvent être amenées à céder à la pression et
donc à répondre aux questions, livrer le code d’accès aux données
informatiques, mot de passe, code PIN, etc, ou remettre des docu-
ments qu’elles n’auraient pas fournis sans ce moyen de pression.
C’est d’ailleurs ce qui était arrivé à M. Saudners, à l’inverse de
M. Funke. Les éléments de preuve ainsi recueillis peuvent-ils valoir
comme preuve en justice?
Rattaché à l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme, le droit au silence en a le même champ d’application. Ce
champ est lié à la notion centrale d’accusation en matière pénale, au
sens autonome que lui attribue l’article 6.
L’ancienne jurisprudence, selon laquelle les garanties prévues par
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne
trouveraient application qu’au cours de la phase de jugement d’une

(53) Trib. trav. Tongres, 4 juin 1998, Limb. Rechtsl., 1998, p. 239, et note A. Col-
lette.
(54) Dans le même sens, P. Braekmans, « Verhindering van toezicht in het
sociaal handhavingsrecht : een misdrijf in staat van ontbinding? », Oriëntaties, 1999,
p. 146.
Fabienne Kéfer 1317

procédure répressive sensu stricto, et non durant la phase précédant


la procédure devant la juridiction de jugement ( 55), est révolue.
D’une part, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué
clairement que le droit à un procès équitable serait violé si l’on utili-
sait comme éléments de preuve des renseignements recueillis lors de
l’enquête policière sans respecter les droits de la défense ( 56). Selon
elle, les exigences de l’article 6 jouent un rôle au stade antérieur à
la procédure de jugement si et dans la mesure où leur inobservation
initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du
procès ( 57). « Pour savoir si le résultat voulu par l’article 6 — un
procès équitable — a été atteint, il échet de prendre en compte l’en-
semble des procédures » ( 58).
D’autre part, la Cour de cassation admet désormais que, pour
apprécier si le prévenu a eu droit à un procès équitable devant la
juridiction de jugement, il convient d’examiner la procédure dans
son ensemble et qu’un vice affectant une phase précoce de la procé-
dure est susceptible de vicier celle-ci dans son ensemble : une viola-
tion des droits de la défense au cours de l’instruction préparatoire
peut être décisive pour le déroulement du procès ultérieur et être
irrémédiable au point de rendre impossible un procès équitable
devant la juridiction de jugement ( 59). La Cour de cassation admet
également que des preuves recueillies au cours de l’information
préalable du ministère public par des procédés inconciliables avec le
droit du prévenu au silence, peuvent être considérées par le juge du

(55) J. Verlinden, « De toepassing van artikel 6 van het Europees Verdrag over
de Rechten van de Mens in strafzaken buiten het stadium van het vonnisgerecht »,
Panopt., 1983, pp. 6 à 13 et 103 à 119; A. Kohl, « Implications de l’article 6 de la
Convention européenne des droits de l’homme en procédure pénale », J.T., 1988,
pp. 434 et 435 ; M. Franchimont, A. Jacobs et A. Masset, Manuel de procédure
pénale, op. cit., pp. 816 et s. ; H.D. Bosly, « ‘ L’égalité des armes ’ dans la phase pré-
paratoire du procès pénal », Liber amicorum E. Krings, Bruxelles, Story-Scientia,
1991, pp. 448 et s.; R.P.D.B., Compl., t. VII, v o Convention européenne des droits de
l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1990, p. 288, n o 442.
(56) Cour eur. dr. h., 24 novembre 1986, Unterpertinger c. Autriche ; voy. C. Van
den Wijngaert, Strafrecht en strafprocesrecht in hoofdlijnen, t. II, Anvers, Appel-
doorn, Maklu, 1991, p. 542.
(57) Cour eur. dr. h., 24 novembre 1993, Imbrioscia, § 35 ; Cour eur. dr. h., 6 juin
2000, Magee c. R.U. ; Cour eur. dr.h., 15 juillet 2002, Stratégies et Communications et
Dumoulin c. Belgique, J.L.M.B., 2002, p. 1406. Voy. déjà l’arrêt Deweer (7 février
1980) par lequel la Cour affirme son droit de contrôle sur les procédures extrajudi-
ciaires.
(58) Cour eur. dr. h., 24 novembre 1993, Imbrioscia, § 38.
(59) Cass., 15 janvier 1991, Pas., 1991, I, 444 ; Cass., 30 juin 1992, Pas., 1992, I,
970.
1318 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

fond comme recueillies illégalement parce qu’elles seraient incompa-


tibles avec le respect des droits de la défense, et ce même si les dis-
positions légales en matière de recherche et constatation des infrac-
tions ont été respectées ( 60).
12. C’est ainsi que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé
par le ministère des Finances à l’encontre d’un arrêt de la cour d’ap-
pel de Mons ( 61) qui, s’appuyant sur l’article 6 de la Convention
européenne des droits de l’homme et l’arrêt Saunders, avait
constaté l’irrégularité des procès-verbaux versés au dossier répressif
en raison de la violation du droit au silence des prévenus. Ceux-ci
étaient poursuivis, entre autres, pour avoir importé, irrégulière-
ment, des vêtements de prêt-à-porter, de provenance française, mais
d’origine inconnue. Ils furent entendus par les services douaniers
français, qui les avaient préalablement informés qu’ils risquaient
des sanctions pénales en cas de renseignements faux ou inexacts. La
cour d’appel avait considéré qu’il s’agissait là d’un moyen de pres-
sion ayant pu les contraindre à révéler les faits qu’ils n’auraient pas
avoués sans cette contrainte, pression qui constituait à ses yeux une
violation du droit au silence et du droit de ne pas contribuer à sa
propre incrimination. Les procès-verbaux dressés par les autorités
belges ayant été établis à la suite du procès-verbal français irrégu-
lier, l’ensemble des procès-verbaux avaient été déclarés irréguliers.
La Cour de cassation, s’écartant des conclusions du ministère
public, a rejeté le pourvoi en ces termes : « Pour l’action en recou-
vrement des droits éludés, l’administration ne peut tirer profit de
renseignements qui, dans le cadre d’une enquête ayant conduit à
des poursuites pénales, ont été obtenus en violation des droits de la
défense, et notamment du droit de se taire et de ne pas contribuer
à sa propre incrimination » ( 62).
C’est ainsi également que la cour d’appel d’Anvers a décidé qu’un
juge civil ou fiscal ne peut ordonner l’audition d’une personne en
qualité de témoin lorsque cette audition doit l’amener à reconnaître
qu’elle s’est rendue coupable d’infraction en matière de t.v.a., étant
donné qu’une telle mesure d’investigation, en portant atteinte au

(60) Cass., 13 mai 1986, Pas., 1986, I, 1107, et concl. du ministère public.
(61) Mons, 8 février 1998, Rev. dr. pén., 1998, p. 932.
(62) Cass., 13 janvier 1999, Bull., 1999, p. 28, J.L.M.B.,1999, p. 1198 ; Mons,
8 février 1998, Rev. dr. pén., 1998, p. 932; Mons, ch. mis. acc., 17 décembre 1998,
Rev. dr. pén., 1999, p. 588 et note J. Sace. Voy. aussi, J. De Codt, « Les nullités de
l’instruction préparatoire et le droit de la preuve. Tendances récentes », Rev. dr. pén.,
2000, pp. 44 et 45.
Fabienne Kéfer 1319

droit au silence de l’intéressé, entacherait d’irrégularité les éven-


tuelles poursuites pénales qui s’ensuivraient ( 63).
Tout en restant prudente, la jurisprudence reconnaît donc que les
garanties d’un procès équitable doivent être respectées au cours de
la phase préalable à celle du jugement lorsqu’un vice affectant la
phase précoce peut influencer de manière décisive l’issue du procès.

VI. — Le droit au silence existe-t-il au cours


de la phase de surveillance ?

13. En droit pénal spécial, le contact entre le justiciable et les


services d’inspection peut se dérouler dans un contexte non répres-
sif, à savoir l’enquête administrative de pure surveillance. La colla-
boration à cette enquête est tout aussi obligatoire que la collabora-
tion à l’information pénale et son obstruction punie de la même
manière.
Cette phase a pourtant une fonction a priori distincte de l’en-
quête répressive. On opère, en effet, une distinction entre la
recherche des infractions et la surveillance.
La recherche des infractions est une phase préparatoire au procès
pénal, durant laquelle il est admis que les garanties de l’article 6
s’imposent au risque d’affecter irrémédiablement le droit au procès
équitable devant le juge du fond. En droit commun, les pouvoirs
liés à la recherche d’infractions tant de la police que du juge d’ins-
truction sont d’ailleurs subordonnés à l’existence d’indices, voire
d’une suspicion d’infraction. C’est le cas, par exemple, de la perqui-
sition, qui ne peut avoir pour objet de rechercher l’existence d’une
infraction mais vise uniquement à acquérir la preuve du délit ou de
la culpabilité du prévenu ( 64).
Quant à la mission de surveillance, elle est considérée comme une
étape préparatoire à des mesures de police et à des sanctions admi-
nistratives. Elle vise à la bonne application de la loi. Elle peut être
exercée même s’il n’y a aucun indice qu’une infraction aurait été
commise. Elle n’a pas forcément pour but la recherche des infrac-
tions. En ce qui concerne le droit social, par exemple, les missions
de l’inspection du travail sont définies principalement par la

(63) Anvers, 31 mars 1998, T.F.R., 1999, p. 63 et note K. Spagnoli ; voy. aussi
civ. Liège (réf.), 6 juin 1986, Ann. dr. Liège, 1986, p. 552 et obs. P. Troisfontaines.
(64) Voy. à ce sujet M. Franchimont, A. Jacobs et A. Masset, Manuel de procé-
dure pénale, op. cit., pp. 319 et 320, et les nombreuses références citées.
1320 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

Convention n o 81 de l’OIT (ratifiée par la Belgique en 1957) et par


la loi du 16 novembre 1972 concernant l’inspection du travail. Selon
la Convention de l’OIT, il s’agit essentiellement d’assurer l’applica-
tion de la législation sociale et d’informer les employeurs et les tra-
vailleurs sur les moyens les plus efficaces d’observer ces dispositions.
La loi belge de 1972 attribue à l’inspection du travail les missions
suivantes : veiller au respect des dispositions légales et réglemen-
taires concernant la réglementation et les relations du travail ; infor-
mer et conseiller toutes les parties intéressées à propos de ces mêmes
lois ; intervenir, par la voie de la conciliation, dans les conflits indi-
viduels ( 65). Les services d’inspection insistent eux-mêmes sur le fait
que leur mission essentielle n’est pas la répression et l’établissement
de procès-verbaux et ont développé leur mission d’information des
travailleurs, des employeurs et de leurs organisations représenta-
tives ( 66).
Mais la surveillance peut aussi déboucher sur la constatation de
délits par les services d’inspection et l’application d’une peine. Dans
ce cas, elle n’est plus une mesure purement administrative ; elle
constitue en réalité une étape administrative préparatoire à une
procédure pénale ( 67). Toutefois, ces deux notions ne sont pas tou-
jours aisées à distinguer en pratique ( 68).
14. L’article 6 a-t-il aussi une incidence lors de la simple surveil-
lance ? Qu’en est-il lorsque des renseignements sont recueillis au
stade d’une enquête administrative de pure surveillance et ensuite
versés au dossier pénal ? Si les résultats de l’inspection révèlent des
infractions pénales et que les faits sont dénoncés à l’auditeur du tra-
vail ou au procureur du Roi, le droit de ne pas contribuer à sa
propre incrimination inhérent à la procédure pénale, dès la phase
initiale d’information, devient une garantie illusoire si le justiciable
a été forcé de fournir des informations ou des documents au cours
de la phase administrative, avant même l’ouverture de l’informa-

(65) J.M. Souverijns, J.C. Heirman et G. Schreiber, « L’inspection des lois


sociales — ses compétences et ses relations avec le pouvoir judiciaire », Le droit pénal
social et les contrats de travail spéciaux, CUP, Larcier, 1997, p. 33.
(66) Voy., pour l’inspection des lois sociales, l’intervention de M. Aseglio, in
L’auditorat, une réforme à réussir, Dossier du Guide social permanent, Kluwer, 2000/
01, p. 94
(67) A. De Nauw, Les métamorphoses administratives du droit pénal de l’entreprise,
Gand, Mijs & Breesch, 1994, p. 75.
(68) Dans le même sens, A. De Nauw, Les métamorphoses..., op. cit., p. 76;
W. Rauws, « Sociaalrechtelijke misdrijven en hun strafbaarstelling », Sociaal stra-
frecht, Anvers, Maklu, 1998, pp. 58-59, n o 44.
Fabienne Kéfer 1321

tion répressive. Les droits de défense peuvent avoir été violés de


manière irréparable ( 69).
La jurisprudence inaugurée par l’arrêt Saunders, rendu le
17 décembre 1996 ( 70), est d’un intérêt capital pour cette matière,
puisqu’il concerne l’usage qui a été fait, dans la procédure pénale
dirigée contre le requérant, de déclarations recueillies au cours d’une
enquête administrative par des inspecteurs du ministère britannique
du Commerce et de l’Industrie investiguant au sujet d’une fraude
dans le domaine des sociétés. Si M. Saunders avait refusé de
répondre aux questions, il aurait pu être condamné pour contempt
of court à une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement.
La Cour réaffirme, tout d’abord, qu’une enquête préparatoire
n’est pas forcément soumise aux garanties de l’article 6 car une telle
exigence gênerait indûment en pratique la réglementation efficace,
dans l’intérêt public, d’activités financières et commerciales ( 71).
Mais elle précise néanmoins que ce n’est pas parce que le requérant
a formulé des déclarations avant d’être inculpé que leur usage ulté-
rieur dans la procédure pénale ne constitue pas une atteinte à ce
droit ( 72). La Cour considère ensuite que la manière dont les déclara-
tions faites sous la contrainte ont été utilisées dans la procédure
pénale porte atteinte au droit de ne pas s’incriminer soi-même puis-
que cette utilisation visait à discréditer le prévenu et à mettre en
cause son honnêteté. Enfin, la Cour condamne l’interprétation du
gouvernement britannique selon laquelle la complexité des fraudes
dans le domaine des sociétés ainsi que l’intérêt public essentiel à la
poursuite de ces fraudes et à la sanction des responsables peuvent
justifier que l’on s’écarte de l’un des principes fondamentaux d’une
procédure équitable. Elle estime au contraire que les exigences géné-
rales d’équité consacrées par l’article 6, y compris le droit de ne pas
contribuer à sa propre incrimination, s’appliquent aux procédures

(69) Cass., 6 mai 1993, Bull., 1993, p. 452, Rev. dr. pén., 1994, p. 91, et J.T., 1994,
p. 39 ; A. De Nauw et M. Vandebotermet, « Het ‘ritueel bad dat van strafzonden
zuivert en voor straffen behoedt’ — Nog enkele overwegingen naar aanlijding van
het Transnuclear-arrest », R.W., 1993-1994, pp. 397 et s., et les conclusions du minis-
tère public qui précèdent la note ; A. Sadzot, « Le respect des droits de la défense
(art. 6 de la C.E.D.H.) », Droit pénal, Liège, Formation permanente, C.U.P., 1996,
vol. VII, pp. 145 et s., n o 5 ; Corr. Marche-en-Famenne, 15 juin 1993, J.T., 1993,
p. 654 ; Gand, 17 octobre 1988, Pas., 1989, II, 78, et note ; J. Verlinden, op. cit.,
Panopt., 1983, pp. 6 et s.; H.D. Bosly, « ‘L’égalité des armes ’ dans la phase prépara-
toire du procès pénal », op. cit., Liber amicorum E. Krings, pp. 448 et s.
(70) J.T. dr. eur., 1997, p. 67.
(71) § 67 ; voy. déjà Cour eur. dr. h., 21 septembre 1994, Fayed c. R.U., § 62.
(72) § 74.
1322 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

pénales concernant tous les types d’infraction criminelle, de la plus


simple à la plus complexe. « L’intérêt public ne saurait justifier
l’utilisation de réponses obtenues de force dans une enquête non
judiciaire pour incriminer l’accusé au cours de l’instance
pénale » ( 73). Cet arrêt a été confirmé à plusieurs reprises ( 74).
Autrement dit, la Cour ne déclare pas l’article 6 applicable à la
phase d’enquête administrative mais considère que cet article 6 est
violé s’il est fait usage, dans la procédure pénale, de renseignements
fournis avant l’inculpation au cours de l’enquête administrative, et
ce sous la contrainte de poursuites pour contempt of court.
15. Comment concilier ces principes avec le déroulement des
contrôles en Belgique ?
Selon certains, si, au moment où l’enquête administrative débute,
l’inspection dispose déjà d’indices et cherche par conséquent à
étayer une accusation, il s’agit d’une phase préparatoire à un procès
pénal et les garanties découlant du droit au silence s’appliquent.
Aucun moyen coercitif ne peut être employé pour obtenir des ren-
seignements. Si, au contraire, l’enquête est purement administra-
tive, vise uniquement à vérifier la bonne application de la loi, l’inté-
ressé ne se trouve pas, en tout cas pas a priori, sous le coup d’une
accusation pénale au sens de l’article 6. Il est tenu de collaborer au
contrôle. Il ne peut invoquer le droit au silence et ce silence est
punissable, en tant qu’obstacle à la surveillance, à moins que la
réponse à fournir ne conduise l’inspection à constater une infraction,
auquel cas l’intéressé est autorisé à se retrancher derrière le
silence ( 75).
Il faut bien admettre que dans l’esprit du justiciable interrogé,
qui est le plus souvent sur la défensive même au cours du contrôle
le plus anodin, la différence est imperceptible, sauf s’il a été informé
par l’inspecteur du contexte dans lequel il est entendu, ce qui n’est
sans doute pas fréquent. La distinction lui paraîtra d’ailleurs assez
théorique ; un contrôle fiscal ou social, une mesure de contrôle en
matière d’environnement peuvent débuter sans qu’il y ait la

(73) § 74.
(74) Cour eur. dr. h., 19 septembre 2000, I.J.L, G.M.R., A.K.P. c. R .U. ; Cour
eur. dr. h., 21 décembre 2000, Heany et McGuiness c. R.U.
(75) T. Werquin, « Le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, le
droit au silence et le délit d’obstacle à la surveillance », J.T.T., 2000, pp. 89 et 90;
J. Van Steenwinckel, « Les avancées en matière de protection des droits des contri-
buables à la lumière de la jurisprudence récente », R.G.F., 2000, dossier spécial n o 1,
p. 67 ; Bruxelles, 22 décembre 1999, J.T.T., 2000, p. 90.
Fabienne Kéfer 1323

moindre suspicion d’infraction, et évoluer, compte tenu des élé-


ments découverts en cours d’inspection, vers des investigations de
type policier. L’intéressé passe ainsi progressivement du statut de
« témoin à celui de suspect ou même à celui de suspect numéro
un » ( 76). Le moment à partir duquel la personne contrôlée tombe
sous le coup d’une « accusation en matière pénale » au sens de l’ar-
ticle 6 de la Convention européenne des droits de l’homme est pour
le moins délicat à préciser ( 77). Si le droit au silence n’existe pas
avant d’être « accusé », et si l’établissement d’un procès-verbal n’est
pas en lui-même, selon la Cour de cassation, une accusation au sens
de l’article 6 ( 78), la qualité d’accusé peut survenir en cours de
contrôle et même avant l’établissement d’un procès-verbal, eu égard
à l’ambivalence des services d’inspection. La Cour européenne des
droits de l’homme admet, d’ailleurs, qu’une « enquête administra-
tive peut impliquer une décision sur une ‘ accusation en matière
pénale ’ » ( 79).
Il est clair, d’ailleurs, que les services d’inspection ont tout intérêt
à annoncer le plus tôt possible à la personne interrogée le contexte
dans lequel se meut le contrôle. En effet, si, à l’issue des mesures
d’investigation, des poursuites « pénales » au sens de l’article 6 de la
Convention sont exercées, les éléments qui auraient été rassemblés
en violation du droit au silence seront écartés, même s’ils ont été
recueillis à un stade où l’enquête paraissait être purement adminis-
trative. Ceci peut conduire à une irrecevabilité des poursuites ( 80).
16. En résumé, on peut distinguer plusieurs hypothèses :
o
1 si, au cours de la phase purement administrative, l’intéressé
fournit spontanément des informations compromettantes, elles
peuvent être utilisées ;
2 o s’il refuse de les fournir, il commet une infraction, mais, pour
échapper à la condamnation pour délit d’obstacle à la surveil-

(76) C. Vanderkeelen, « Droit au silence : une percée en droit pénal social ? »,


Fiscologue, 2000, n o 746, p. 5.
(77) Dans le même sens, A. De Nauw, « De rechten van de mens, stuwende
kracht van een nieuwe golf van penalisering in het sociaal en fiscaal strafrecht », T.
Strafr., 2001, p. 224.
(78) Cass. 20 mars 2000, J.T.T., 2000, p. 283 et R.W., 2000-2001, p. 623 et obs.
B. De Smet ; cet arrêt ne concerne pas le droit au silence mais le point de départ du
délai raisonnable.
(79) Cour eur. dr. h., 17 décembre 1996, Saunders c. R.U., § 67.
(80) Dans le même sens, L. Huybrechts, Fiscaal recht, Malines, Kluwer, 2002,
p. 275, n o 465.
1324 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

lance, il peut invoquer les jurisprudences Funke et J.B. c. Suisse


(supra, n os 9 et 10) ;
3 o si, au contraire, après la menace de poursuites pénales pour obs-
tacle à la surveillance, il livre des renseignements compromet-
tants, il peut invoquer la jurisprudence Saunders pour éviter leur
prise en considération à l’appui de poursuites pour l’infraction
révélée par ses propres aveux (supra, n o 14).
D’une certaine manière, la personne interrogée peut refuser de
collaborer à l’enquête dès l’instant où elle perçoit qu’elle est enfer-
mée dans un dilemme, que l’information qu’on lui demande de
livrer risque d’être compromettante, quel que soit le stade de la pro-
cédure, même si l’on est dans le cadre d’une enquête de pure rou-
tine. Il ne semble pas nécessaire qu’elle soit déjà sérieusement sus-
pectée d’avoir commis une infraction ( 81) pour pouvoir se retrancher
dans le mutisme.

VII. — Y a-t-il des éléments qui ne sont pas couverts par le


droit de ne pas s’auto-incriminer ?

17. Dans l’arrêt Saunders, la Cour a rejeté la thèse du gouverne-


ment britannique selon lequel seules les déclarations auto-incrimina-
toires seraient visées par l’article 6 et non les réponses visant à se
disculper. Pour la Cour, le droit de ne pas contribuer à sa propre
incrimination n’est pas limité aux aveux de méfaits ou aux remar-
ques mettant directement en cause l’accusé. Un témoignage obtenu
sous la contrainte, qui semble de prime abord tout à fait neutre,
comme des remarques disculpant leur auteur ou de simples informa-
tions sur des questions de fait, risque par la suite être utilisé contre
lui dans une procédure pénale, « par exemple pour contredire ou
jeter le doute sur d’autres déclarations de l’accusé ou ses dépositions
au cours du procès, ou encore saper sa crédibilité. (...) Partant, c’est
l’utilisation qui sera faite, au cours du procès pénal, des dépositions
recueillies sous la contrainte qui importe dans ce contexte » ( 82).
18. Le droit de ne pas s’auto-incriminer ne couvre pas que les
paroles. Il vise tout type d’information, y compris les écrits. C’est
ce qui fait dire à certains que l’article 6 de la Convention euro-

(81) Comp. S. Frommel, cité par M.A. Beernaert, « Le droit de ne pas contri-
buer à sa propre incrimination et ses implications en droit pénal social belge », Orien-
tations, 1997, p. 220.
(82) § 71.
Fabienne Kéfer 1325

péenne des droits de l’homme serait plus large que l’article 14 du


Pacte de l’Onu, puisque ce dernier proclamerait uniquement le droit
de ne pas faire de déclaration ( 83).
Au sujet des documents, certains opèrent une distinction.
L’arrêt Funke étend le droit de ne pas s’auto-incriminer aux
documents, en l’occurrence les documents bancaires. Une nuance
était cependant contenue dans l’arrêt : les autorités françaises avait
fait condamner M. Funke à produire des documents « dont elles sup-
posaient l’existence sans en avoir la certitude ». S’appuyant sur
cette précision, certains estiment que ce que la Cour prohibe, c’est
la contrainte de la part de l’administration qui va « à la pêche aux
informations » (fishing expedition), qui, en d’autres termes, demande
des documents dont elle ne sait même pas s’ils existent ou existent
encore, ou qu’elle ne peut pas spécifier. En revanche, si elle a la cer-
titude que les documents existent et peut les spécifier, elle peut en
exiger la présentation, au besoin sous la contrainte de poursuites
pénales pour obstacle à la surveillance. Le justiciable ne pourrait,
de la sorte, refuser de remettre les documents dont la loi impose la
tenue ou la conservation, tels que, selon les compétences du service
d’inspection effectuant le contrôle, les registres du personnel, les
contrats de travail des travailleurs à temps partiel, le règlement de
travail, la comptabilité, les disques tachygraphes, etc., documents
qui sont précisément prévus pour permettre le contrôle de l’applica-
tion de la loi. C’est, notamment, la position de l’inspection des lois
sociales ( 84). Dans cette perspective, on peut épingler un arrêt de la
cour du travail de Liège concernant une chômeuse qui, à plusieurs
reprises, a été interceptée en train de vendre des fleurs ( 85). La cour
retient le délit d’obstacle à la surveillance non seulement parce que
la chômeuse avait fait état d’une fausse identité à l’occasion des
contrôles dont elle fit l’objet mais également parce qu’elle avait
refusé de produire sa carte de contrôle : selon la cour, si le droit au
silence permet à la chômeuse de ne pas fournir les renseignements
au sujet de l’exercice d’une activité prohibée, et de laisser le soin
aux autorités d’établir les faits, ce droit n’inclut pas celui de refuser
de produire sa carte de contrôle.

(83) Voy. not. M.A. Beernaert, op. cit., p. 220.


(84) J.C. Heirman, « Employeurs : vos droits face à l’inspection du travail », Les
rendez-vous sociaux de l’UCM, Liège, 2001, p. 29 ; Dans le même sens, N. De Camps,
« De interferentie van het fiscaal controleonderzoek met het strafonderzoek in het
licht van de raming van het wederrechtelijk verkregen vermogensvoordeel », R.W.,
2000-2001, p. 292. Voy. aussi A. De Nauw, op. cit., T. Strafr., 2001, pp. 225 et 226
(85) Cour du travail de Liège, 6 février 2001, J.T.T., 2001, p. 246.
1326 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

Certains vont nettement plus loin. Le droit au procès équitable ne


serait violé que lorsque les documents litigieux sont des documents
dont les autorités ne connaissent pas l’existence avec certitude et
qu’elles ne peuvent spécifier. Dans les autres cas, elles peuvent en
requérir la production ( 86). Ainsi, au cours d’une visite de l’entre-
prise, un chef d’entreprise s’engage à adresser à l’inspecteur une
copie des agendas de l’année en cours, des relevés de prestations des
collaborateurs, de la liste des clients, des routings des représentants
de commerce, d’extraits de comptes bancaires, etc. L’intéressé ne
donne pas suite à cet engagement. L’inspecteur sait, puisqu’ils ont
été évoqués lors du premier contrôle, que ces documents existent.
Cette dernière interprétation a pour effet que si l’inspecteur exige de
voir ces documents, le justiciable ne pourrait refuser, et la condam-
nation pour obstacle à la surveillance ne serait pas incompatible
avec le droit de ne pas s’auto-incriminer ; la production de ces docu-
ments dans une procédure pénale ultérieure ne violerait pas le droit
au procès équitable.
19. Si une telle interprétation peut se comprendre, en raison de
la nécessité d’assurer un contrôle efficace de la réglementation, elle
laisse sceptique et paraît difficile à concilier avec l’arrêt Saunders,
qui apporte des précisions intéressantes quant aux implications du
droit de ne pas s’auto-incriminer en examinant le fondement de ce
droit. Ce droit, dit la Cour, concerne avant tout le respect de la
détermination (the will) de l’accusé à garder le silence. Il n’empêche
pas les autorités d’obtenir par des moyens coercitifs des données
« qui existent indépendamment de la volonté du suspect », comme
les documents recueillis en vertu d’un mandat ou les prélèvements
corporels (sang, A.D.N. ( 87), etc.) (§ 69).
L’enseignement que l’on peut retirer de cet arrêt, confirmé à plu-
sieurs reprises par la suite ( 88), est que le droit au silence n’empêche
pas les autorités de prendre par la force les éléments de preuve là
où ils se trouvent, mais qu’elles ne peuvent contraindre l’inculpé à
les livrer lui-même ; les données qui nécessitent sa coopération ne

(86) G. Stessens, op. cit., Eur. Law Rev., 1997, p. 61 ; P. Braekmans, op. cit.,
Oriëntaties, 1999, pp. 145 à 148.
(87) Au sujet des prélèvements d’A.D.N., voy. Corr. Bruxelles, 29 mars 1998,
Journal des procès, 1998, n o 350, p. 27 ; Bruxelles, 15 mai 2000, Rev. dr. pén., 2000,
p. 1074 ; Bruxelles (ch. mis. acc.), 13 décembre 2000, J.L.M.B., 2001, p. 255 ; Cass.,
31 janvier 2001, J.T., 2001, p. 402 ; Rev. dr. pén., 2001, p. 730 et concl. du ministère
public.
(88) Cour eur. d. h., 21 décembre 2000, Heany et McGuiness c. Irlande ; Cour eur.
dr. h., 3 mai 2001, J.B. c. Suisse.
Fabienne Kéfer 1327

peuvent être recueillies qu’avec le concours de sa volonté libre.


Autrement dit, selon la jurisprudence de la Cour, le justiciable soup-
çonné a le droit de rester totalement passif, quitte à assister au pré-
lèvement des éléments de preuve par les autorités, mais ne doit pas
faciliter le travail de celles-ci.
Au vu des arrêts de la Cour européenne, on peut se demander, par
exemple, si l’obligation de produire sa comptabilité, la liste des
chantiers, les disques tachygraphes, le registre du personnel ou,
pour un chômeur, sa carte de contrôle n’est pas contraire à la déter-
mination à garder le silence. N’impose-t-on pas au justiciable une
obligation de coopérer à l’établissement de sa culpabilité, en fournis-
sant lui-même les documents démontrant l’infraction ? Sans aucun
doute, le contrôle du temps de conduite des chauffeurs, de la durée
d’occupation d’ouvriers à temps partiel sur chantier ou la vérifica-
tion que la chômeuse a, avant de commencer sa journée de travail,
biffé la case adéquate sur sa carte de pointage, sont-ils difficiles à
réaliser sans perquisition ou fouille, mesures auxquelles les services
d’inspection ne sont pas habilités à procéder. Est-ce une justifica-
tion suffisante pour ne pas respecter le choix de l’accusé de se taire
et l’obliger à une collaboration active ? Si les services d’inspection ne
disposent pas des mêmes pouvoirs qu’un juge d’instruction et un
officier de police judiciaire en matière de fouille et de perquisition,
doit-on résoudre cette difficulté par une entorse au droit au silence ?
Il est vrai que la notion de « données qui existent indépendam-
ment de la volonté du suspect » n’est pas autrement définie, et que
l’opinion dissidente du juge Martens sur ce point ne manque pas de
pertinence : « Peut-on vraiment dire que le contenu d’un ballon d’al-
cootest dans lequel une personne soupçonnée de conduite en état
d’ivresse a été contrainte de souffler, a une existence indépendante
de la volonté du suspect ? ». La distinction faite par la Cour est assez
difficile à cerner ( 89).
20. La notion de « données qui existent indépendamment de la
volonté du suspect » a été à nouveau évoquée dans l’affaire J.B. c.
Suisse. Les faits intéressant la question sont assez similaires à ceux
de l’affaire Funke (supra, n o 9). A la demande de l’administration
fiscale, le Tribunal fédéral suisse avait condamné J.B., à plusieurs
reprises et en vain, à produire tous documents démontrant l’origine
de certains investissements, documents qui risquaient de mettre en

(89) Dans le même sens, K. Spagnoli, « Le droit au silence l’emporte parfois sur
l’obligation de parler », Fiscologue, 2001, n o 804, p. 5.
1328 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

évidence le délit de soustraction d’impôt. La juridiction helvétique


avait considéré que la condamnation de J.B. ne violait pas son droit
au silence, qu’elle était identique à l’obligation de se soumettre à
une analyse de sang ou d’urine, ou d’équiper les poids lourds de
tachygraphe. La Cour n’a pas précisé si cette dernière comparaison
était pertinente. J.B. reprochait de son côté à l’administration d’al-
ler « à la pêche aux informations ». La Cour n’a pas non plus précisé
que seule cette hypothèse était contraire à l’article 6. Elle s’est limi-
tée à dire que les informations en question « se distinguent des don-
nées qui existent indépendamment de la volonté de la personne
concernée, comme celles évoquées dans l’affaire Saunders ; l’on ne
pouvait dès lors pas les obtenir en recourant à des pouvoirs coerci-
tifs, au mépris de la volonté de l’intéressé » ( 90).
21. Sans doute faudra-t-il attendre que le concept s’affine au fil
des arrêts. En ce qui concerne les documents, la Cour n’évoque que
ceux qui sont recueillis en vertu d’un mandat ; cette mesure de
contrainte est compatible avec l’article 6, mais ne requiert aucun
concours du suspect, dont la détermination à garder le silence n’est
pas ainsi atteinte. La perquisition n’oblige pas le suspect à révéler
l’endroit où se trouvent les éléments recherchés. La saisie d’un
registre du personnel ou d’une comptabilité au cours d’une perquisi-
tion ordonnée par un juge d’instruction est une mesure de
contrainte compatible avec l’article 6. En revanche, obliger un justi-
ciable à les remettre lui-même à l’administration pourrait être consi-
déré comme ne respectant pas sa détermination à garder le silence.
Même si l’existence de ces documents est liée à l’obligation légale de
les tenir ou de les conserver, leur établissement ou leur conservation
dépendent avant tout de la volonté de l’intéressé. Ils ne rentrent
pas, a priori, dans la catégorie des données existant indépendam-
ment de la volonté du suspect.
22. Adoptant une autre approche, partant du constat que la
communication de renseignements, ou documents, par une personne
suspectée d’avoir commis une infraction est parfois le seul moyen
d’établir l’existence du délit, certains soutiennent qu’il faut recon-
naître, à titre exceptionnel, la possibilité pour le législateur d’incri-
miner le refus de fournir les données qui ne peuvent être décou-
vertes autrement que par la communication par l’accusé lui-
même ( 91). Il faut toutefois reconnaître qu’une telle solution ne res-
pecte pas intégralement le droit fondamental au silence découlant

(90) Cour eur. dr. h., 3 mai 2001, J.B. c. Suisse, § 68.
(91) B. De Smet, op. cit., Rev. dr. pén., 1994, p. 644.
Fabienne Kéfer 1329

du droit international, droit auquel, il est vrai, la Cour européenne


des droits de l’homme ne reconnaît pas un caractère absolu ( 92).
Serait-il possible de soutenir que, dans un tel cas, le droit au procès
équitable n’est pas violé ? A notre connaissance, la Cour européenne
des droits de l’homme n’a pas eu, à ce jour, l’occasion de s’exprimer
sur ce point.

VIII. — Le droit au silence


en droit de la concurrence

23. La Commission européenne dispose de pouvoirs d’investiga-


tion importants en matière de concurrence. Elle peut solliciter des
renseignements par la voie d’une décision, et même infliger astreinte
et amende à l’entreprise qui ne s’exécute pas (art. 11, 15 et 16 du
règlement n o 17/62).
Les textes réglementaires ne reconnaissent pas expressément le
droit au silence et l’entreprise ne se voit donc pas reconnaître le
droit de se soustraire à la mesure même dans le cas où elle serait,
de la sorte, amenée à fournir la preuve d’un infraction aux règles
relatives à la concurrence.
La Cour de justice des Communautés européennes a néanmoins
apporté des limitations aux pouvoirs d’investigation de la Commis-
sion.
Tout d’abord, elle déclare que le respect des droits de la défense,
et notamment de la présomption d’innocence, constitue un principe
fondamental du droit communautaire qui doit être respecté dans les
procédures administratives susceptibles d’aboutir à des sanctions
telles que des amendes ou des astreintes ( 93). Elle estime, en outre,
qu’il « importe d’éviter que (les) droits (de la défense) ne puissent
être irrémédiablement compromis dans le cadre de procédures d’en-
quête préalable qui peuvent avoir un caractère déterminant pour
l’établissement de preuves du caractère illégal de comportements
d’entreprises de nature à engager leur responsabilité ». Certains
droits de la défense ne concernent que la phase judiciaire, d’autres
doivent être reconnus dès le stade de l’enquête préalable, et la Cour

(92) Cour eur. dr. h., 8 février 1996, Murray c. R.U., § 47.
(93) C.J.C.E., 9 novembre 1983, aff. 322/82, Michelin, Rec., p. 3461, point 7 ;
C.J.C.E., 8 juillet 1999, aff. 199/92, Hüls, Rec., p. 4267, points 149 et 150 ; C.J.C.E.,
8 juillet 1999, aff. 235/92, Montecatini, Rec., p. 4575, points 175 et 176.
1330 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

de citer le droit à l’assistance juridique et la confidentialité de la


correspondance entre l’avocat et son client ( 94).
Quant à la question du droit au silence en particulier, la Cour de
justice dénie l’existence du droit absolu de se taire dans cette
matière qui ne lui paraît pas pénale, et rejette, pour ce motif, l’ap-
plication de l’article 14 du Pacte de l’ONU. Partant de la prémisse
désormais obsolète que l’article 6 et la jurisprudence de Strasbourg
ne consacrent pas le droit au silence, elle décide cependant, eu égard
au caractère fondamental du respect des droits de la défense, de
limiter le pouvoir d’investigation de la Commission en ces termes :
« si (...) la Commission est en droit d’obliger l’entreprise à fournir
tous les renseignements nécessaires portant sur des faits dont elle
peut avoir connaissance et à lui communiquer, au besoin, les docu-
ments y afférents qui sont en sa possession, même si ceux-ci peu-
vent servir à établir, à son encontre ou à l’encontre d’une autre
entreprise, l’existence d’un comportement anticoncurrentiel, elle ne
saurait toutefois, par une décision de demande de renseignements,
porter atteinte aux droits de la défense reconnus à l’entreprise.
Ainsi, la Commission ne saurait imposer à l’entreprise l’obligation
de fournir des réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à
admettre l’existence de l’infraction dont il appartient à la Commis-
sion d’établir la preuve » ( 95).
C’est donc à partir des règles relatives à la charge de la preuve
que la Cour construit son raisonnement aboutissant à reconnaître
aux entreprises le droit de ne pas répondre, dans certains cas, aux
questions de la Commission. Si la Cour s’était fondée sur l’article 6.2
de la Convention européenne des droits de l’homme, son raisonne-
ment eût été identique. Mais elle a préféré trouver dans le droit
communautaire lui-même le fondement de ce droit au silence, plutôt
que de soumettre le droit communautaire à la Convention, et à la
manière dont celle-ci est interprétée par la Cour de Strasbourg ( 96).
La Cour a ensuite été amenée à préciser les implications de cette
limitation du pouvoir de la Commission, en fonction du fondement
de la règle dégagée. La faculté de ne pas répondre aux questions de

(94) C.J.C.E., 21 septembre 1989, aff. 46/87 et 227/88, Hoechst c. Commission,


Rec., p. 2.859, point 15.
(95) C.J.C.E., 18 octobre 1989, aff. 374/87, Orkem, Rec., p. 3285, points 34 et 35;
C.J.C.E., 18 octobre 1989, aff. 27/88, Solvay, Rec., p. 3355.
(96) Voy. A. Decocq, « De l’application de la Convention européenne aux procé-
dures communautaires de concurrence pouvant aboutir à des amendes ou à des
astreintes », Mélanges en hommage à L.E. Pettiti, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 304
à 307.
Fabienne Kéfer 1331

la Commission est une garantie destinée à protéger les particuliers


contre les mesures d’instruction ordonnées par l’autorité publique
pour les amener à admettre l’existence d’un comportement les expo-
sant à des sanctions pénales ou administratives. En revanche, le
droit communautaire ne s’oppose pas à ce que, dans le cadre d’une
procédure interne purement civile opposant deux entreprises, l’une
d’elle soit contrainte de témoigner, au risque de dévoiler un compor-
tement anticoncurrentiel. La Cour ajoute que si les informations
compromettantes ainsi recueillies devaient être portées à la connais-
sance de la Commission, elles ne pourraient servir de moyen de
preuve d’une infraction aux règles de concurrence dans une procé-
dure visant à infliger une sanction ( 97). Elle rejoint ainsi la jurispru-
dence dégagée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Si cette jurisprudence tente de concilier l’obligation de coopéra-
tion avec les droits de la défense, il faut reconnaître qu’elle est
malaisée à mettre en œuvre. Il est en effet pratiquement impossible
de distinguer, dans les mesures de contrôle, d’une part celles qui
sont totalement étrangères à la constatation d’une infraction punis-
sable dans le chef d’un employeur et, d’autre part, celles qui obli-
gent celui-ci à « admettre l’existence de l’infraction dont il appar-
tient à la Commission d’établir la preuve ».

IX. — Conclusion

24. Au terme de cette analyse, il apparaît que les nécessités d’un


contrôle efficace de la réglementation économique, fiscale, sociale,
environnementale, etc., sont difficiles à concilier avec le respect des
droits fondamentaux.
Il nous paraît que le droit fondamental du prévenu au silence et
à la passivité, le droit de ne pas s’auto-incriminer, découlant de l’ar-
ticle 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et
exprimé formellement par l’article 14 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, a la même étendue en droit commun
et en droit pénal spécial. Tout justiciable a le droit de refuser de col-
laborer à l’administration de la preuve des infractions qu’il aurait
commises, même dans la matière fiscale, traditionnellement considé-
rée comme ressortissant au noyau dur des prérogatives de la puis-
sance publique ( 98).

(97) C.J.C.E., 10 novembre 1993, aff. 60/92, Otto c. Postbank, Rec., p. 5683.
(98) Voy. encore récemment, Cour eur. dr. h., 12 juillet 2001, Ferrazzini c. Italie.
1332 Rev. trim. dr. h. (56/2003)

Ceci rend parfois impossible la mise en évidence des infractions


pénales. Néanmoins, le silence, l’abstention de collaborer, le refus de
communiquer des documents, ne peuvent être érigés en infraction.
La répression de la passivité ou du refus de communiquer des infor-
mations semble, en effet, incompatible avec l’article 6 de la Conven-
tion européenne des droits de l’homme et l’article 14 du Pacte, en
ce qu’elle constitue un moyen de pression destiné à arracher la
preuve d’une infraction de la part d’une personne qui n’a pas à sup-
porter la moindre part de la charge de cette preuve ( 99). « En parti-
culier, le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination pré-
suppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation
sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou
les pressions, au mépris de la volonté de l’‘ accusé ’. En mettant
celui-ci à l’abri d’une coercition abusive de la part des autorités, ces
immunités concourent à éviter des erreurs judiciaires et à garantir
le résultat voulu par l’article 6 » ( 100).
Sous réserve de précision de la notion de « données qui existent
indépendamment de la volonté du suspect » (supra, n os 18 à 21), les
cours et tribunaux doivent refuser de sanctionner — pénalement ou
administrativement — l’absence de collaboration, le refus de pro-
duire des documents que la partie poursuivante peut obtenir par
d’autres moyens légaux n’impliquant aucune collaboration active de
l’« accusé », tels que la perquisition.
De même, si un justiciable est poursuivi après avoir transmis des
informations en raison de son obligation de les produire sur
demande de l’inspection, sous la menace de poursuites pour obstacle
à la surveillance, il n’a pas pu bénéficier d’une procédure équitable
au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’homme. La protection du droit au silence garanti par les conven-
tions internationales auxquelles a adhéré l’Etat belge impose que le
juge écarte les preuves obtenues en raison de l’obligation légale de
coopérer à sa propre incrimination ( 101).
Ceci n’est évidemment pas une exhortation à ne pas collaborer à
la preuve. Une obstruction systématique n’est pas forcément une

(99) Dans le même sens, B. De Smedt, op. cit., Rev. dr. pén., 1994, p. 640.
(100) Cour eur. dr. h., 3 mai 2001, J.B. c. Suisse, § 64, faisant référence aux arrêts
Funke, Murray, Saunders et Servès.
(101) Dans le même sens, B. De Smet, op. cit., Rev. dr. pén., 1994, p. 643 ; voy.
aussi P. Quarré, « Actualité du droit au silence », Journal des procès, 7 octobre 1988,
p. 13. A propos des déclarations faites sous serment lors d’une enquête parlementaire
et ensuite versées au dossier de l’instruction, voy. Cass., 6 mai 1993, Bull., 1993,
p. 452.
Fabienne Kéfer 1333

stratégie de défense efficace. D’une part, comme on l’a vu (supra,


n o 3), il se peut que le refus systématique de donner les renseigne-
ments nécessaires à la vérification des explications d’un témoin soit,
au vu des circonstances, pris en considération pour apprécier la
force de persuasion des éléments à charge. D’autre part, rien n’em-
pêche un inspecteur de mettre sous scellés un meuble susceptible de
contenir les documents qu’on lui refuse, ou de saisir un ordinateur
afin d’en examiner le disque dur. Il dépend de son pouvoir d’appré-
ciation d’adopter ce type de mesure et l’absence de collaboration
lors du contrôle ne signifie pas nécessairement la paralysie des
enquêteurs administratifs. Enfin, le justiciable doit, en cas d’obs-
truction, s’attendre à ce que les contrôles se multiplient, soient
effectués en profondeur, par des services de plus en plus nom-
breux ( 102).

Décembre 2002

(102) Dans le même sens, V. Neuprez, « Contrôle en matière sociale », Guide du


contrôle, Liège, Chambre de commerce et d’industrie, 2001, p. 230; E. Hupin,
« Contrôle en matière commerciale et économique », eod. loc., pp. 143 et 148.

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