Vous êtes sur la page 1sur 15

OBÉSITÉ ET IMAGE DU CORPS: QUELLES ATTITUDES FACE AU REGARD

DE L’AUTRE ?

Laurence Tibère, Anne Dupuy, Jean-Pierre Poulain

CNRS Éditions | « Corps »

2019/1 N° 17 | pages 243 à 256


ISSN 1954-1228
ISBN 9782271134837
DOI 10.3917/corp1.017.0243
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-corps-2019-1-page-243.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions.


© CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays.
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Obésité et image du corps :
quelles attitudes face au regard de l’Autre ?
Laurence Tibère
Anne Dupuy
Jean-Pierre Poulain

«  Les sociétés modernes créent des 2010). Ils conduisent aussi à une légiti-
obèses mais elles ne les supportent pas » mation des formes de discrimination
(Trémolières et  al., 1968). C’est en ces à l’égard des personnes obèses, pro-
termes que Jean Trémolières résumait cessus qui sous la pression du modèle
la curieuse ambiguïté de notre rapport d’esthétique de minceur, s’étendrait
à l’obésité. Elle est probablement une aujourd’hui aux sujets en surpoids. La
des plus dures épreuves de modes- discrimination envers les personnes
tie scientifique à laquelle est confron- corpulentes s’étend au domaine pro-
tée l’époque moderne. La plupart des fessionnel, au niveau de l’embauche
actions de recherche en nutrition et sur mais aussi à celui de la progression de
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


l’obésité sont conduites aux États-Unis. Il carrière (Amadieu, 2005, 2008  ; Baro-
n’y a pas de pays ayant autant investi en mètre DDD/OIT, 2016). Plus que jamais,
matière d’éducation nutritionnelle sans le corps est devenu un capital que l’on
avoir à aucun moment réussi à inflé- gère et sur lequel on investit en tant que
chir le développement de cette patho- signifiant de son statut social (Poulain,
logie (Poulain, 2009 ; Brewis et al. 2011). 2009 ; Saint-Pol, 2010). Il est aussi fétichisé
Un des enjeux les plus complexes de la selon Jean Baudrillard qui considère que
lutte contre l’augmentation de l’obésité l’obsession de la minceur montre que
consiste à éviter que le discours sani- le corps est devenu un objet de narcis-
taire ne vienne renforcer la recherche sisme et de prestige social suscitant un
obsessionnelle de la minceur et, à tra- ensemble de pratiques de consomma-
vers elle, la stigmatisation de l’obésité tion répondant à des impératifs sociaux
(Cogan, 1999). En effet, le regard social (Baudrillard, 1970). L’aspect physique
réprobateur qui pèse sur les obèses et d’une personne, comme première image
la dévalorisation morale dont ils sont donnée à voir à autrui, est décodé, classé
l’objet, génère des souffrances qui ren- dans des catégories morales. À une
forcent la prise de poids (Puhl et Heuer, époque où l’apparence et la présentation

243
Corps no 17, 2019

physique semblent valoir socialement détermine l’estime des autres et de soi


pour une présentation morale (Le Bre- (Amadieu, 2002  ; Maisonneuve et Bru-
ton, 1992), l’individu se trouve réduit chon-Schweitzer, 1999). Elle rappelle
à son corps, à ce que ce corps donne à aussi que cette dernière se construit et
voir, à ce qu’on voit à travers lui. Ainsi, s’exprime, tout comme l’identité, dans le
et dans un contexte où nous associons contact avec autrui et à travers l’échange
le fait de «  manger pour être en bonne continu qui permet au moi de se struc-
santé  » à celui de «  manger pour être turer et de se définir par comparaison et
beau  » et où les critères de beauté ren- par différence (Goffman, 1975).
voient davantage à la minceur, ce qui n’a Cet article présente les résultats issus
pas toujours été le cas (Fischler, 1990  ; d’une série d’entretiens biographiques
Poulain, 2002 ; Hubert, 2002 ; Boëtsch et réalisés auprès de personnes obèses1,
Chevé, 2002, 2006  ; Boëtsch et  al., 2007, dont l’analyse s’organise autour de deux
Brewis et coll., 2011), le corps obèse serait axes. Le premier concerne la place et
signe de non contrôle de soi dans l’ali- le statut du corps dans les processus
mentation et, par extension, d’absence d’auto-identification et la façon dont la
de contrôle dans la vie privée et profes- corpulence, le poids, interviennent  –  ou
sionnelle. Cette extrapolation est d’au- pas  –  dans la présentation de soi en
tant plus forte dans des cultures axées situation d’interaction chez les per-
sur la responsabilité individuelle et qui sonnes obèses. Le second est relatif
sont chargées du poids du moralisme aux postures adoptées et aux stratégies
endémique : être gros devient une faute. rapportées par les personnes obèses en
La réduction à leur seule corpulence situation professionnelle face au regard
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


de ces personnes efface toutes leurs de l’Autre. Cette approche s’intégrait à
autres caractéristiques psychologiques, un travail plus large portant sur l’arti-
sociales, etc. Par conséquent, la réflexion culation des dynamiques corporelles
sur l’obésité conduit à envisager le statut avec les dynamiques professionnelles
du corps et de l’apparence et à prendre et sociales, et sur les attitudes et les per-
la mesure de ce que Jean-François Ama- ceptions de personnes obèses sur leur
dieu appelle « le poids des apparences » propre image dans le contexte profes-
ou «  la tyrannie du corps mince  », par sionnel2.
lesquels s’exerce le contrôle social et qui

Se présenter à l’autre… quel est le poids du corps ?


L’un des objectifs des entretiens bio- dans la présentation de soi à l’Autre-
graphiques était de saisir le statut du enquêteur. En début d’entretien, il était
corps, en l’occurrence, du corps gros, demandé aux personnes de se présenter

244
Obésité et image du corps

sans précision sur la nature des infor- par leur positionnement social (métier,
mations que nous souhaitions recueil- diplôme), marital et familial, ou encore
lir. Nous faisions l’hypothèse qu’elles géographique (lieu d’habitation), ou
aborderaient très rapidement leur cor- enfin à travers certaines de leurs qua-
pulence en raison du « poids du corps » lités personnelles, ou de certains traits
(au sens propre comme au sens figuré) de personnalité. Donnons cet exemple  :
dans leurs identités mais aussi dans leur « Oh je suis généralement assez jovial on va
vie sociale, qu’il s’agisse de la sphère dire. J’ai un bon caractère. Généralement je
relationnelle et professionnelle3. Cer- suis apprécié. Même si je ne vais pas trop
tains enquêtés y font référence immé- vers les gens parce que je suis d’un naturel
diatement  : «  OK. Bien écoutez, je suis timide. Bien oui, je crois que quand on est
une femme de 54 ans qui s’est toujours bien comme moi, obèse on n’arrive pas à aller trop
portée mais qui est devenue grosse… obèse, vers les gens  » (homme, 32  ans, marié,
à partir de 40 ans » (femme, 54 ans, divor- 2 enfants, profession intermédiaire,
cée, 2 enfants, cadre supérieur, IMC  : IMC : 37.96). En revanche, lorsqu’il s’agit
41.52). La corpulence est abordée, par- d’énoncer ses qualités et ses défauts4,
fois de façon assez neutre, parfois de l’ensemble des interviewés reste dans le
façon négative par certains interviewés désir de maigrir et tend à considérer le
tendant à focaliser sur leur apparence corps « gros » comme non esthétique et
physique  ; l’image négative du corps à en faire leur principal défaut.
vient envahir le «  soi  » et par là même, Appartenant aux sociétés occiden-
l’identification. Cette donnée corporelle tales, ils ont incorporé les critères qui
est tellement présente dans les percep- interviennent dans la définition consen-
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


tions et le vécu quotidien que l’amai- suelle de la beauté (légèreté, minceur,
grissement provoque chez certains, sveltesse) et ne communiquent pas
une perte de repère : « quand je perds du ou peu de qualités physiques pour se
poids ce n’est plus moi, je n’ai pas les mêmes décrire. Les représentations sociales
repères spatio-temporels » (femme, 33 ans, combinant la grosseur à la laideur
célibataire sans enfant, cadre moyen, sont assimilées et  –  si elles ne sont pas
IMC  : 42,97). Certains interviewés per- toujours acceptées  –  sont du moins
çoivent leur corpulence comme une comprises. Précisons toutefois qu’en
dimension parmi d’autres de leur iden- situation d’obésité sévère, les défauts
tité, si bien que chez eux, la référence physiques sont associés à la volonté
au corps se fait plus tardivement dans d’une perte de poids dans un objectif
l’entretien ou est abordée bien souvent davantage médical qu’esthétique  : le
à l’initiative de l’enquêteur, pour ces corps est défaillant car il handicape la
personnes, leur identité ne se résume personne. Ces propos le montrent clai-
pas à l’apparence physique  : elles sont rement  : «  C’est que j’ai la même tête, les
bien autre chose que leur corps. Géné- mêmes bras, le même cœur, j’ai les mêmes
ralement, elles se définissent davantage pieds, mais ces pieds-là portent maintenant

245
Corps no 17, 2019

deux fois plus de kilos et tout fait souffrir ! employée, IMC : 32.45). La manière dont
Un seul cœur, mais le même cœur pour les individus se présentent à l’Autre, se
une surface trois fois plus grande et donc je définissent mais aussi s’évaluent profes-
fais souffrir tout mon corps ! Je ne vois pas sionnellement permet d’appréhender les
comment je peux être bien là-dedans avec formes et niveaux d’intériorisation ou
ça ! » (femme, 52 ans, mariée, 7 enfants, non de la stigmatisation.
artiste, IMC  : 57.4). Enfin, quelques Ce faisant, nous avons voulu identi-
femmes tendent à valoriser une partie fier les perceptions et les typologies d’at-
de leur corps ou de leur silhouette en titudes face à la stigmatisation dans le
comparaison non pas à des femmes de cadre professionnel. Car en situation de
la population globale mais en comparai- recherche d’emploi, d’accès au travail ou
son à d’autres femmes obèses… et pas en termes d’évolution professionnelle,
des moindres comme l’indique le dis- le demandeur s’inscrit dans une sorte
cours de cette interviewée : « Je suis style de mise en scène en se livrant au regard
«  femme forte  », style «  le maillon faible  », évaluateur de l’autre. Cette pratique de
je veux dire sans déformation particulière. l’apparence «  dans la mesure où elle se
Plutôt costaude partout mais pas comme donne à  l’appréciation des témoins, se
la Vénus Hottentote quand même, avec transforme en enjeu social, en moyen
des grosses fesses et des grosses cuisses  !  » délibéré de diffuser une information sur
(femme, 46  ans, mariée, 3 enfants, soi » (Le Breton, 1992 : 98).

Faire face à la stigmatisation :


© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


une typologie d’attitudes

En travaillant sur les dimensions passer ses autres qualités sociales au


sociales de la maladie mentale et des second plan. Une fois ce label attri-
organisations psychiatriques, Goffman bué, il justifie une série de discrimina-
a théorisé le phénomène de stigmati- tions sociales et de mesures d’exclusion
sation. Il le décrit comme un processus plus ou moins sévères (Goffman, 1963).
de discréditation et d’exclusion selon Depuis, l’approche de Goffman a été
lequel, dans le cadre d’interactions adaptée à l’étude de la stigmatisation
sociales, un individu considéré comme des obèses par le sociologue américain
anormal se voit attribuer l’étiquette de Cahnman  : «  Par stigmatisation nous
déviant  par d’autres, supposés normaux. signifions le rejet et la disgrâce qui sont
Cette étiquette devient alors la seule associés à ce qui est vu (l’obésité) comme
caractéristique mobilisée pour identifier une déformation physique et une aber-
l’individu, et devient un stigmate, faisant ration comportementale  » (Cahnman,

246
Obésité et image du corps

1968). Plus souvent caractérisées par leur d’attitudes dépréciatives, pouvant


poids que par d’autres attributs sociaux, conduire à l’isolement voire même au
les personnes obèses sont «  typifiées  » désir de mourir. S’engage alors une alté-
comme «  grosses  », ce statut prenant le ration de l’image de soi selon laquelle
pas sur toutes les autres qualités, avec l’individu trouve légitime la déprécia-
semble-t-il un impact considérablement tion dont il fait l’objet et se déconsidère
plus fort pour les femmes que pour les lui-même. Il s’enferme alors dans un
hommes, moins soumis aux impératifs véritable cercle vicieux de la stigmatisa-
d’esthétique corporelle (Germov et Wil- tion souvent caractérisé par une attitude
liams, 1996). À travers les entretiens, passive portée par la figure «  de la vic-
nous constatons que le sujet stigmatisé, time dépressive » qui ne peut rien entre-
peut adopter diverses attitudes allant de prendre pour sortir de sa situation  ;
la dénégation de soi ou désamour, à la cette passivité peut être doublée d’une
mise en place de stratégies adaptatives, dévalorisation du « moi obèse » par pro-
ou d’affirmation identitaire. À partir jection sur « l’Autre mince » : « ma famille
des discours, nous avons identifié une est une réussite, au moins, si moi je ne suis
typologie en trois grandes attitudes face pas une réussite  ! Je dis à mes parents que
à la stigmatisation, chacune étant située j’aurai dû faire un procès contre eux. Je lui
sur un continuum allant d’une déva- ai dit à ma mère. Tu ne m’as peut-être pas
lorisation et/ou d’un rejet de soi à une fait des oreilles décollées, tu m’as fait des
acceptation de soi et/ou une revalorisa- yeux bleus, un bon nez mais alors le reste,
tion forte. Rappelons que toute typolo- tu l’as raté  ! Je leur dis que je devrais leur
gie ne fixe pas de manière définitive les faire un procès  »  (femme, 31  ans, mariée,
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


individus dans une catégorie puisque, 3 enfants, cadre moyen, IMC  : 38). Le
selon les contextes par exemple, des glis- sujet est alors centré sur sa corpulence
sements peuvent opérer. Les discours et dans un processus d’auto flagellation,
tendent à montrer que le processus de s’accuse de tous les maux  ; le remède
stigmatisation, lorsqu’il n’est pas avéré, réside dans un douloureux voire par-
est tout de même sous jacent et latent. fois «  impossible  » amincissement.
Ils montrent aussi que les attitudes Selon cette attitude, le corps donne à
dépendent d’aspects inhérents à la per- voir ce que la personne est réellement  :
sonnalité et aux parcours de vie indivi- «  nulle  » et n’ayant de surcroît aucun
duels et à la façon dont chacun « invente contrôle ni sur sa vie privée, ni sur sa
du sens (…) en puisant dans son intério- vie professionnelle. La culpabilité est
rité et dans son environnement » (Kauf- très forte car l’individu se sent respon-
mann, 2004 : 102). sable de son état et de la plupart de ce
La première attitude que nous appe- qu’il perçoit comme des échecs. Certains
lons le désamour, correspond à l’inté- vont jusqu’à se considérer comme des
riorisation maximale de l’étiquette «  monstres  » (ce qui va bien au-delà de
négative. Elle renvoie à un ensemble se trouver «  hors norme  ») ayant perdu

247
Corps no 17, 2019

tout rôle et tout lien social : « je n’ai plus car on est plongé dans l’univers de l’ap-
envie de sortir. Une fois que j’ai dépassé les parence. La préoccupation porte sur les
120  kg (silence), je suis sorti le moins pos- moyens de cacher le corps gros et de le
sible. Je suis en invalidité depuis 90. J’avais gérer  dans la vie sociale. La difficulté
une trentaine d’années. Je sors quand il fait soulignée chez la plupart des enquêté(e)
noir pour pas qu’on me voie. Je me consi- s réside dans le fait qu’il n’est pas
dère comme un monstre » (homme, 48 ans, évident de trouver des vêtements «  qui
marié avec 1 enfant, boucher en invali- vont », dans lesquels on est à l’aise mais
dité, IMC : 60.81). aussi des vêtements choisis aussi parce
Dans le second cas de figure, et à l’in- qu’ils plaisent vraiment à celui ou celle
verse du premier profil, les individus qui les porte : « Vous ne pouvez même pas
déploient des stratégies de distancia- choisir, on vous impose des vêtements. Moi
tion face à la stigmatisation, stratégies j’en suis très malheureux, c’est vraiment
pouvant aller de tentatives d’effacement mon point noir » (homme, 26 ans, marié,
du stigmate, au rejet pur et simple du 1 enfant, infirmier, IMC  : 45.17). Il y a
« label » de stigmatisé ; en fait, trois pro- toute de même une majorité de femmes
fils se distinguent. Le premier corres- dans cette catégorie et il faut souligner
pond à des tentatives « d’effacement du que plusieurs d’entre elles pointent cer-
stigmate » : envisager de poser la ques- taines améliorations liées au fait que
tion en termes d’effacement, suppose certaines marques (notamment alle-
une forme d’intégration du processus mandes ou anglaises) élargissent leurs
de stigmatisation impliquant que l’on gammes de produits en proposant des
est tout de même plus proche du « désa- tailles plus grandes : « À l’époque il y avait
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


mour  » que de l’acceptation de soi. Ces très peu de vêtements pour personnes fortes.
dispositifs d’effacement sont d’autant Moi je faisais déjà un 52 et je ne savais pas
plus complexes à mettre en œuvre, on comment m’habiller. J’avais que des vête-
le comprend aisément, qu’il est difficile ments de personnes vieilles  ! C’était hor-
de dissimuler l’apparence physique et la rible  ». (femme, 24  ans, célibataire, sans
corpulence. Tout comme la couleur de la enfant, employée, IMC : 37.02). Quelques
peau ou le sexe, l’obésité est un attribut interviewé(e)s mettent l’accent dans ce
dont la visibilité réduit considérable- contexte sur le plaisir ressenti à l’achat
ment la marge de manœuvre de l’indi- qui fait place habituellement à l’angoisse
vidu en matière de « camouflage », à la de l’essayage (vêtements ne convenant
différence de certaines maladies ou de la pas, stigmatisations de clients et de ven-
confession religieuse par exemple. Elle deurs). D’autres contournent la diffi-
rend davantage prisonnier du regard et culté de l’essayage en boutique en ayant
du système de valeur des autres. Ici, on recours à des catalogues de commande
joue sur l’art de s’apprêter et ce d’autant ou des sites Internet. De nombreux
plus dans une problématique liée à l’ac- interviewés dressent l’inventaire de ce
cès à l’emploi et la vie professionnelle, qu’il faut éviter quand on est obèse  :

248
Obésité et image du corps

« les couleurs flashies », « les fringues de apparaît également dans les discours.
mémé  », «  les survêtements  », certaines En somme, selon ce profil, la 1re image
«  matières collantes  » surtout lorsqu’on corporelle qui est donnée à voir dans
transpire, etc. Les sujets ayant les reve- le cadre d’un entretien d’embauche par
nus les plus élevés se font confectionner exemple, peut se corriger… On retrouve
des vêtements sur mesure. Enfin, l’art dans cette catégorie davantage de per-
de s’apprêter porte aussi sur la mise en sonnes devenues obèses à l’âge adulte.
valeur du visage par le maquillage ou Elles insistent sur le fait qu’elles ont
la fréquentation régulière du coiffeur, toujours su mener leur carrière profes-
de l’esthéticienne : « J’essaye d’aller chez le sionnelle et d’ailleurs, qu’elles soient en
coiffeur le plus souvent possible pour avoir activité ou au chômage, elles conservent
une coupe qui va avec mon visage » (femme, leurs habitudes (heures de levée, mêmes
22  ans, couple sans enfant, employée, rythmes de travail…)  : «  Ce n’est pas
IMC : 47.05). mon corps qui va m’empêcher de travail-
La deuxième attitude renvoie à la ler, d’avancer. Il ne va pas me contraindre
« non-intériorisation » de l’étiquette : on à ne pas faire certaines activités  » (femme,
retrouve dans cette catégorie des per- 52  ans, mariée, 7 enfants, artiste, IMC  :
sonnes qui sont dans la non-acceptation 57.4). Mais cette attitude n’est pas unique
de leur état, avec un déchirement identi- et certaines situations amènent à nuan-
taire car il y a dichotomie entre le « moi cer le précédent constat. En effet, lorsque
intérieur  » et le «  moi extérieur  ». «  Ce sur le plan physique et de la santé le
que l’on voit, ce n’est pas moi. Je ne suis pas corps ne peut plus suivre, qu’il n’est
ce que mon corps donne à voir  » (femme, plus en phase avec l’esprit, la situation
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


33  ans, célibataire sans enfant, arrêt est très mal vécue. Certaines personnes
maladie, IMC  : 42.97). Les personnes vont développer à ce sujet des stratégies
concernées n’aiment pas leur corps et d’évitement dans le domaine profession-
ont conscience des normes sociales asso- nel lorsqu’elles savent qu’elles rencon-
ciant « minceur et beauté », toutefois, le treront des difficultés physiques à se
stigmate est moins accepté, moins incor- mouvoir et se déplacer et tenteront soit
poré et le discours souligne la volonté de contourner, soit de reculer l’échéance.
d’être moins prisonnier du regard de «  Moi j’ai plein de conduites de fuite dès
l’Autre, que l’on veut amener à voir au- qu’il y a un peu d’activité physique. J’ai plus
delà du corps. Les interviewés de ce une tête que des jambes ! » (femme, 52 ans,
groupe utilisent un vocabulaire offensif, divorcée, 4 enfants, cadre supérieur,
il s’agit de « lutter », de « se battre » pour IMC : 40.39).
prouver ses capacités et compétences Enfin, nous avons repéré un troisième
professionnelles (et tout particulière- profil parmi ceux qui se distancient de
ment relationnelles) et faire découvrir la la stigmatisation, à travers le « refus du
véritable personne cachée derrière l’ap- label  »  : dans l’univers professionnel,
parence. L’idée de possibles corrections les individus associés à cette catégorie

249
Corps no 17, 2019

vont tendre à tout tenter pour prouver Dans cette optique, le discours consiste
que des étiquettes du type «  gros fai- à dire que «  l’apparence physique n’est
néant  », «  obèses lymphatiques  » sont pas ce qui compte, bien au contraire « et,
infondées. Cette posture s’observe par quelle qu’elle soit, c’est l’image positive
des formes de surinvestissement dans que l’on veut donner de soi qui prime.
le travail et ce, parfois, au détriment de Un autre type d’actions vise à faire
la vie sociale et privée. Des expressions face à la stigmatisation et tient dans la
telles que  : «  avec moi ça déménage  !  », définition de nouvelles normes, illus-
«  faut que ça bouge  », «  je ne peux pas trant ainsi ce que Merton appelle «  la
rester sans rien faire » sont récurrentes. rébellion  » (Merton, 1965)  ; générale-
On retrouve l’idée d’une bataille telle ment, cela se traduit par une remise en
que mentionnée dans la catégorie précé- cause des normes pondérales et nutri-
dente mais un glissement s’est opéré car tionnelles, avec, souvent la revendica-
cette guerre s’opère sous un autre angle. tion du droit à la différence, voire à la
Il y a une prise de distance plus impor- laideur  : «  à la fois je souhaiterais être
tante par rapport au processus de stig- mince, belle, tellement conforme à ce
matisation qu’on assimile mal à soi, à sa qu’on attend de moi ou à ce que les
personne, son identité : « Chaque fois que canons de beauté attendent de moi  ;
j’arrive quelque part, j’ai besoin qu’on sache, mais à la fois je n’aime pas que l’on
que OK je suis obèse mais je suis quelqu’un m’oblige à suivre ces canons en fait. Et
de dynamique  ! Je ne rechigne pas à la donc pendant très longtemps je disais,
tâche ! » (femme, 48 ans, célibataire sans je revendique le droit d’être laide  »
enfant, cadre moyen au chômage, IMC : (enquête de 2016, femme, employée, en
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


31.24). Le corps est davantage accepté couple, IMC  : 44,7). La promotion du
que dans le précédent groupe. Le troi- «  fat acceptance  » constitue une forme
sième grand profil identifié regroupe de plus en plus fréquente de revendi-
des individus désireux de faire de leur cation qui trouve sa traduction collec-
différence un espace de revendication tive dans la mise en place d’institutions
et de construire leur rôle social autour telles que la NAAFA (National Associa-
de cette caractéristique. Le stigmate est tion to Advance Fat Acceptance), créée aux
alors vecteur d’affirmation de soi, de États-Unis en 1969, ou encore, les asso-
son identité, de sa différence avec dans ciations comme Allegro Fortissimo, qui
certains cas la volonté d’instaurer de ont vu le jour à la fin des années quatre-
nouvelles normes. À l’extrême limite vingt en France ; cette dernière affichant
de cette catégorie, on trouve même des un positionnement clair  : «  en fondant
individus qui se déclarent et se reven- cette association, quelques gros ont
diquent comme non différents, voire soudain refusé la tyrannie du morpho-
normaux. Soulignons l’existence de logiquement correct et ont pris leur ave-
mécanismes de reconstruction du sujet nir en main  » (Allegro Fortissimo). Ces
au travers de l’acceptation de son poids. éléments rejoignent, sur certains points

250
Obésité et image du corps

au moins, les résultats mis en évidence moins nombreuses car les «  rebelles  »
dans une précédente étude relative aux mettent en place des stratégies d’antici-
adolescents (Poulain et  al., 2003). Deux pation en véhiculant notamment l’idée
profils apparaissaient clairement dans selon laquelle leur poids n’est pas un
les dispositifs de gestion de la stigma- tabou, qu’elles peuvent en parler sans
tisation  : une attitude «  passive  » selon trop de gêne, qu’elles aiment aller au
laquelle le sujet subit la situation, voire restaurant, qu’elles sont épicuriennes et/
la renforce lui-même par la dévalorisa- ou en adoptant des attitudes de stigma-
tion et à l’opposé, une posture que nous tisation à l’égard des personnes maigres
qualifions d’«  active  » par laquelle le ou minces, souvent appelées «  les ano-
sujet met en place une série d’attitudes rexiques », « les filles sans forme », « les
et d’actions dont le but est de faire évo- poupées Barbie  », «  les bimbos  », etc.
luer sa situation. Certaines femmes, comme le montre ce
L’affirmation identitaire s’effectue verbatim, en font une force et un espace
sur deux registres : le premier que nous de valorisation  : «  Je suis à l’occasion
appelons la «  rébellion  » pour affir- modèle. Je pose pour des photos de nus artis-
mer sa différence et le second qui uti- tiques. C’est aussi dans une démarche mili-
lise l’indifférence pour marquer une tante parce que je vois tellement de nanas
«  normalité identitaire  ». La rébellion qui se pourrissent la vie à cause de ça que
concerne deux types d’individus  : d’un j’ai envie de leur montrer que les rondeurs ce
côté, ceux qui (majoritairement des n’est pas forcément moche. J’ai eu la chance
femmes) adoptent des attitudes proches d’arriver à passer au-dessus, je pense que
de l’expression «  la grosseur est belle  ». c’est ce que j’ai dégagé. Je crois que les gens
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


Ces femmes revendiquent leur beauté, la quand ils me voient ne voient pas une grosse.
démarche de répondre à l’appel à témoi- À partir du moment où nous on le gère et
gnage pour notre étude a été effectuée on l’assume, il y a plein de choses positives
d’ailleurs dans cette optique  de mili- qui en découlent  » (femme, 35  ans, céli-
tantisme, ce qui montre bien l’ambiva- bataire avec 1 enfant, employée, IMC  :
lence du statut de l’Autre-enquêteur. 42.93). De l’autre côté, on repère, tout
Elles veulent transmettre un message particulièrement pour les personnes
clair : on peut être obèse et « bien dans ayant des statuts de cadres supérieurs,
ses baskets ». On notera dans les propos de commerciaux ou des fonctions
la fréquence des termes «  rondeurs  », d’encadrement (managers) et auprès
«  formes  », «  silhouettes  » et «  bonnes d’hommes (une femme uniquement
vivantes  » pour se référer à leur corpu- joue de ce registre en précisant qu’elle
lence et se définir. Ce sont des personnes se «  désexualise  » et «  déféminise  »)
qui déclarent ne pas rencontrer de dis- des attitudes affirmant que « le gros est
criminations dans l’univers profession- fort ». On avance la figure du « gros cha-
nel, bien qu’elles aient conscience d’être rismatique  », du poids qui en impose.
stigmatisées. Ces dernières semblent On en appelle à un certain respect de

251
Corps no 17, 2019

la part de ses collègues et on joue avec lorsque la question est posée par l’en-
son apparence physique  : la nécessité quêteur (il ne s’agit pas d’une démarche
pour les autres de se lever ou se déplacer volontaire). Lorsqu’elles explicitent cer-
pour laisser passer la personne. Certains taines situations stigmatisantes, c’est
interviewés soulignent néanmoins une avec beaucoup de distance et d’humour
différence entre hommes et femmes  : mais aussi une certaine indifférence. Il
«  C’est peut-être là la différence entre un faut préciser que ces personnes ont une
mec et une nana, c’est qu’en fait, être fort trajectoire professionnelle ascendante  :
pour un homme, ce n’est pas forcément un autodidactes, elles sont parvenues à
gros inconvénient. Pour un homme, c’est changer de statut et de milieu. Elles
plutôt quelque chose qui permet de s’affir- n’ont pas été confrontées à des situations
mer. Lorsque je suis dans une pièce en de discriminations et précisent, pour la
général, on m’écoute. Moi ça me permet de plupart, qu’elles considèrent travailler
m’imposer. Et j’en joue » (homme, 57 ans, dans des secteurs d’activité et milieux
couple sans enfant, cadre moyen, IMC : socioprofessionnels assez «  ouverts  »
47.75). et «  tolérants  » selon leurs dires. Enfin,
Enfin, l’affirmation de la «  norma- beaucoup considèrent qu’elles n’ont pas
lité  », que nous avons identifiée comme de problème de santé lié à leur corpu-
une forme d’affirmation identitaire, est lence et que celle-ci ne constitue en rien
une attitude minoritaire adoptée par un handicap : « a priori, ce n’est pas forcé-
quelques personnes des deux sexes. ment un handicap. Moi j’ai un travail assez
Elles ont souhaité témoigner (à l’instar intéressant, je ne passe pas mon temps à me
de ce qui a été évoqué plus haut sur les regarder dans la glace et à me plaindre sur
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


effets d’interactions enquêté/enquêteur mon sort. Beaucoup de gens qui sont des
qui dévoilent des processus de captation chômeurs, des gens qui sont complètement
de l’enquêteur par l’enquêté) car elles dans le pathos… dont l’obésité est soit la
considèrent que même s’il est intéressant cause, soit l’effet. À partir du moment où
de réfléchir aux processus de discrimi- vous êtes intégré, personne ne s’autorise-
nation et de stigmatisation, c’est encore rait à faire la moindre réflexion. J’occupe
risquer de marginaliser les individus ma place, je participe, je suis comme tout le
en les inscrivant dans une catégorie de monde quoi ! Et puis ça ne me vient même
personnes à part. Elles ne se définissent pas à l’idée que je puisse être différent des
pas comme obèses, se disent, se voient autres. Ça ne m’effleure même pas. Ce n’est
et se vivent comme non différentes des pas une fatalité d’être gros.  C’était juste
autres. Elles ne supportent pas ou mal pour dire qu’il y a aussi des obèses heureux !
ce qu’elles définissent comme étant du (Rires) » (homme, 58 ans, marié, 1 enfant,
« pathos » (terme mobilisé par les inter- cadre supérieur, IMC : 43.17).
viewés) autour des questions du vécu
des personnes  obèses  et ne parlent de
leur expérience de la stigmatisation que

252
Obésité et image du corps

Conclusion
Face à l’Autre plus ou moins stigmati- Ces situations de souffrance rappellent
sant, les attitudes des individus obèses les dangereux impacts de la stigmati-
varient selon leur propre regard et les sation sur certaines populations. Mais
ressources personnelles et identitaires comment lutter contre la stigmatisation
dont ils disposent. Il faut souligner de l’obésité  ? Une fois la stigmatisation
également que les effets sur les trajec- des obèses objectivée et décrite, deux
toires sociales ne sont pas les mêmes attitudes sont possibles (Poulain, 2009).
selon l’âge d’installation de l’obésité. Si l’on se situe du côté de la sociologie
L’influence de la stigmatisation est plus de l’obésité, dans une perspective posi-
importante dans le cas de l’obésité infan- tiviste, on peut considérer la stigmati-
tile (Sobal, 1984) car elle pèse lourde- sation comme un risque social et voir
ment sur la scolarité qui surdétermine en elle une raison supplémentaire pour
la vie professionnelle. L’impact se révèle proposer aux obèses des dispositifs thé-
plus faible pour l’obésité survenue à l’âge rapeutiques leur permettant de perdre
adulte, une partie de la trajectoire sociale du poids. Si l’on adopte le point de vue
étant réalisée. Les facteurs d’ordre psy- de la sociologie sur l’obésité, la stigmati-
chologique s’inscrivent eux-mêmes dans sation est une construction sociale et l’on
des cadres sociaux plus larges  : le posi- peut aider les obèses à s’en protéger et à
tionnement social et socio-économique, mieux vivre dans les sociétés où l’obé-
le capital culturel… Tous ces facteurs sité est considérée comme anormale. Un
font que les positionnements identitaires certain nombre de travaux sociologiques
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


face au regard de l’Autre (enquêteur y ont tenté de rechercher les moyens d’ai-
compris), face au processus de stigma- der les obèses à affronter cette discrimi-
tisation qu’il sous-tend sont diversifiés. nation. Jeffrey Sobal propose un modèle
Certains individus mettent en place pour faire face à l’obésité qui s’articule sur
des stratégies de distanciation  –  à des quatre étapes (Sobal, 1991).
degrés divers  –  par rapport au regard On peut aussi envisager d’intervenir
réprobateur, voire accusateur, qui est dans le processus social qui organise,
porté sur leur différence  : cela va des légitime et propage les représentations
tentatives pour camoufler la corpulence qui sous-tendent la stigmatisation. Les
à sa valorisation dans les discours et interventions peuvent prendre la forme
les comportements. Cependant, chez de campagnes de communication de
d’autres personnes l’intériorisation masse, d’actions de soutien aux orga-
de l’étiquette négative est telle qu’elle nisations de défense des obèses (fat
conduit à la dépréciation et à l’efface- acceptance), voire, comme l’ont décidé
ment de soi, dans des postures où l’iden- plusieurs pays à la suite de l’Espagne, de
tité est envahie par un statut corporel l’interdiction de la diffusion d’images de
devenu insupportable, voire invivable. mannequin au look trop « anorexique »

253
Corps no 17, 2019

et dont l’indice de masse corporelle est Brewis A., Wutich A, Falletta-Cowden A,


inférieur à certaines valeurs. Enfin, on Rodriguez-Soto I. 2011, « Body norms and
peut aussi, comme le propose Cogan fat stigma in global perspective  », dans
(1999), envisager de dissocier, ou a Current Anthropology, 52(2) : 269–276.
minima de décentrer, l’approche systé- Cahnman W.-J. 1968, “The Stigma Of Obe-
matique de la santé, de celle du poids, ce sity”, dans Sociological Quarterly, 9(3) : 283-
qui selon l’auteur nécessiterait une véri- 299.
table mutation paradigmatique. Cogan J. 1999, “Re-Evaluationg The Weight-
Centred Approach Toward Health: The
Bibliographie Need For A Paradigm Shift”, dans Sobal
J., Maurer D., Interpreting Weight: The Social
Amadieu J.-F. 2002, Le Poids des apparences, Management Of Fatness And Thinness,
Paris, Odile Jacob. New York, Aldine De Gruyter.
Amadieu J. F. 2005, Discrimination à l’em- Germov J., Williams L. 1996, « The Epidemic
bauche, de l’envoi du CV à l’entretien. Of Dieting Women: The Need For A
Rapport de recherche consultable sur Sociological Approach To Food And nutri-
internet : http://www.observatoiredesdis- tion », dans Appetite, 27: 97-108.
criminations.fr/images/stories/Discrimi- Goffman E. 1963, Stigma: Notes On The
nationsenvoientretien.pdf. Management Of Spoiled Identity.
Amadieu J. F. 2008, « Vraies et fausses solu- Englewood Cliffs, Traduction Française  :
tions aux discriminations  », Formation Stigmates, les usages sociaux des handi-
emploi, n° 101, 89-101, en ligne : http://for- caps, 1975, Paris, Éditions de Minuit.
mationemploi.revues.org/index1078.html. Goffman E. 1996, Stigmates, les usages
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


Baromètre du Défenseur des droits et de l’Orga- sociaux des handicaps, Paris, Minuit, 1975.
nisation Internationale du Travail sur la per- Fischler C. 1990, L’Homnivore, Paris, Odile
ception des discriminations dans l’emploi, Jacob.
Le physique de l’emploi, 9e édition, Février Kaufmann J.-C. 2004, L’Invention du soi, une
2016, Études et Résultats. théorie de l’identité, Paris, Colin.
Baudrillard J. 1970, La Société de consomma- Le Breton D. 1992, La Sociologie du corps,
tion, Paris, Denoël. « Que sais-je ? » Paris, PUF.
Boëtsch G., Cheve D. (dir.) 2002, Le Corps Maisonneuve J., Bruchon-Schweitzer M.
dans tous ses états. Regards anthropologiques, 1999, Le Corps et la beauté, « Que sais-je ? »
Paris, CNRS Éditions. n° 3433, Paris, PUF.
Boëtsch G., Cheve D. 2006, «  Du corps en Merton R.-K. 1965, Structure sociale et
mesure au corps dé-mesuré : une écriture déviance. Éléments de théorie et de méthode
anthropobiologique du corps  ?  », Corps, sociologique, Paris, Plon.
2006/1, n° 1, 23-30. Poulain J.-P. 2002, Les Sociologies de l’alimenta-
Boëtsch G., Herve C., Rozenberg J.-J. 2007, tion, Paris, PUF.
Corps Normalisé, Corps Stigmatisé, Corps Poulain J.-P. (dir.), Basdevant A., Proença,
Racialisé, Bruxelles, De Boeck Université. R. Jeanneau S, Tibère L. 2003, «  T’as vu

254
Obésité et image du corps

comme t’es gros ? », Rapport de recherche,


Puhl R.M., Heuer C. A. 2010, “Obesity
ERITA, Université de Toulouse le Mirail.
Stigma: Important Considerations for
Poulain J.-P, (dir.), Tibere L., Dupuy A., 2004.
Public Health”, American Journal of Public
«  Impact de l’obésité sur les dynamiques
Health 100, no. 6: 1019-1028.
professionnelles  », Rapport de recherche,
Saint Pol (de) T. 2010, Le Corps désirable.
en collaboration avec le Pr. Basdevant, A.
Hommes et femmes face à leur poids, Paris,
(APHP), le Pr. Laville, M., (CHU Lyon), le
PUF.
Pr. Romon, M., (CHU Lille), le Pr. Barbe, P.,
Sobal J. 1991, “Obesity and nutritional socio-
(CHU Toulouse), le Pr. Ziegler, O., (CHU
logy: a model for coping with stigma of
Nancy), Toulouse, Université de Toulouse
obesity”, dans Clinical sociology review, 9,
le Mirail.
21-32.
Poulain J.-P. 2009, Sociologie de l’obésité, Paris,
Trémolieres J. et  al. 1968, Manuel élémentaire
PUF.
d’alimentation humaine, Paris, ESF.

Remerciements
Les auteurs remercient  : le site Obésité.com qui a financé l’étude en 2004 et le Pr
Arnaud Basdevant qui les a accueillis dans son service de l’APHP ; les sites Obésité.
com et Allegro Fortissimo pour la mise en relation avec certains enquêtés à partir
de leurs forums de discussion  ; Patrick Ritz qui a facilité l’accès à son service de
consultation à l’Hôpital Larrey à Toulouse pour la seconde vague d’enquête en 2016
et Magalie Bacou qui a assuré, en qualité de chargée d’étude, la passation des entre-
tiens.
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)


Laurence TIBERE, Université de Toulouse Jean Jaurès, Certop-CNRS
UMR5044 et Taylors’ University, LIA-CNRS, Malaisie.
tibere@univ-tlse2.fr

Anne DUPUY, Université de Toulouse Jean Jaurès, Certop-CNRS UMR5044.


anne.dupuy@univ-tlse2.fr

Jean-Pierre POULAIN est Professeur de socio-anthropologie, il est titulaire


de la chaire « Food Studies : Food, Cultures and Health » créée conjointement
par les universités de Toulouse (France) et Taylor’s de Kuala Lumpur (Malai-
sie). Il est l’auteur de Sociologie de l’obésité 2019 aux PUF.
poulain@univ-tlse2.fr

255
Corps no 17, 2019

Notes

1 La collecte de données a eu lieu en 2004, le Pr. Basdevant, A. (APHP), le Pr. Laville, M.,
puis en 2016. En 2004, 22 entretiens ont été réa- (CHU Lyon), le Pr. Romon, M., (CHU Lille), le
lisés  : 12 par téléphone auprès d’individus Pr. Barbe, P., (CHU Toulouse), le Pr. Ziegler, O.,
contactés sur les sites Obésité.com et Allegro (CHU Nancy).
Fortissimo.com, 9 en face à face avec des per- 3 Dans les deux phases d’enquête, la variété
sonnes rencontrées à l’Hôtel Dieu dans le service des situations d’enquête (services hospitaliers,
du Professeur A. Basdevant et une personne sur face à face, par téléphone) et des modalités de
Toulouse. Les entretiens de 2004 ont été réalisés recrutements des enquêtés a des effets différen-
par Anne Dupuy. En 2016, 12 entretiens complé- ciés sur les statuts donnés, par les enquêté(e)
mentaires à partir du même guide d’enquête, ont s, aux enquêtrices et à travers ces statuts, sur
été réalisés, afin d’obtenir des données récentes l’intensité de la présentation de soi, du «  corps
mais aussi de repérer d’éventuelles évolutions gros  », au regard de l’Autre-enquêteur. Ces
sociales. Ils se sont déroulés pour partie dans le aspects ont été pris en compte mais ne sont pas
service du Professeur Patrick Ritz et par le biais traités dans cet article.
de petites annonces. Cette seconde vague d’en- 4 À l’exception des personnes qui sont
quête a été motivée par la publication des résul- dans l’affirmation identitaire avec pour objectif
tats de la 9e édition du Baromètre DDD/OIT. la rébellion comme expression de la diffé-
2 Poulain J-P., (dir), Tibère L., Dupuy A., rence. Elles se trouvent belles et transmettent
2004. Impact de l’obésité sur les dynamiques ainsi des qualités physiques (et pas seulement
professionnelles. Rapport de recherche, Univer- « morales »).
sité de Toulouse le Mirail. En collaboration avec
© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

© CNRS Éditions | Téléchargé le 05/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.201.252.86)

256

Vous aimerez peut-être aussi