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L’obésité et l’angoisse du sujet

Lionel Diébold, Jean-Louis Pedinielli


Dans Psychologie Clinique 2014/2 (N° 38), pages 114 à 125
Éditions EDP Sciences
ISSN 1145-1882
ISBN 9782759816866
DOI 10.1051/psyc/201438114
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114 [ psychologie clinique no38 2014/2

L’obésité et l’angoisse du sujet


[ Lionel Diébold [1]
, Jean-Louis Pedinielli[2]

Résumé
Dans un service de chirurgie digestive, les interventions chirurgicales constituent des réponses
médicales pour supprimer la masse adipeuse des sujets obèses. Une archéologie des outils et des
réponses médicales a été entreprise pour resituer ce problème au sein de la civilisation qui le
produit. Par ailleurs, le clinicien peut observer qu’il y a pourtant des échappements à ces techni-
ques. Deux types d’échappement sont étudiés : la décompensation comme un effet des interven-
tions chirurgicales et les comportements alimentaires déstructurés. Ceux-ci montrent la nécessité
de la recherche en psychopathologie clinique au-delà de l’obésité. L’événement et la structure
psychopathologique donnent deux perspectives de travail en soubassement de notre étude, pour
rendre compte de la variété, de la diversité et de la richesse de la psychopathologie clinique, au
cas par cas. Une prise en charge clinique et psychothérapeutique, compatible avec ces actes chi-
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rurgicaux s’en déduit, à partir de l’angoisse du sujet.
Mots clés
Angoisse ; chirurgie bariatrique ; événement ; obésité ; structure psychopathologique.
Summary
Obesity and Anguish of Subject
In a digestive surgery unit, surgical procedures are medical responses to cut the fat mass in obese
subjects. Archeology tools and medical responses was undertaken to relocate this problem within
the civilization that produced it. Moreover clinician can observe that yet there exhausts these
techniques. Two types of exhaust are studied : Decompensation like an effect on surgical proce-
dures and unstructured eating behaviors. These show the need for research in clinical psychopa-
thology beyond obesity. The event and the psychopathologic structure and give two perspectives
work base our study to account for the variety and diversity of clinical psychopathology, in each
case. A psychotherapeutic and clinical management, compatible with these surgical procedures,
can be deduced from the anguish of the subject.
Key words
Anguish ; bariatric surgery ; event ; obesity ; psychopathologic structure.

Introduction

Une œuvre remarquable peinte en 1995 par Lucian Freud Benefits Supervisor Slee-
ping, qui représente une femme nue de 130 kg, allongée jouissante d’une sieste, a

[1] Psychologue clinicien, docteur en Psychologie. lionel.diebold@neuf.fr


[2] Psychologue clinicien, Professeur Émérite en Psychopathologie et psychologie clinique, Université Aix-Marseille, UFR de
Psychologie.

Article disponible sur le site http://www.psycho-clinique.org ou http://dx.doi.org/10.1051/psyc/201438114


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été vendue plus de trente trois millions de dollars, en 2008. Le corps y est montré
dans sa plus simple expression de jouissance, une chair débordante avachie sur un
canapé témoigne du « huis clos » (Cornette de Saint Cyr, 2011) entre le peintre et
son modèle, Sue Tilley. Poésie d’une œuvre rare et paradoxe de notre culture consu-
mériste, qui promeut la jouissance de l’obèse sur cette toile et dénonce l’obésité
comme une maladie. C’est ainsi que l’OMS, en 1998, « a reconnu l’obésité comme
maladie » (Mariage et al., 2008) et pose l’obésité comme un problème majeur de santé
publique. Pour la première fois, en 1998, sous l’effet d’une consommation de masse,
« le nombre de sujets obèses dépasse celui des personnes dénutries » (ibid.). L’aug-
mentation considérable du nombre des sujets obèses semble mettre en valeur une
évolution préoccupante de notre culture.
Nous ne sommes pas dupes. Les savoirs émergent toujours dans une civilisation
donnée, qui valorise ou pas, ces différents savoirs en fonction d’une idéologie.
L’intérêt pour l’obésité comme maladie appartient à cette idéologie. À partir de quoi
se définit l’obésité dans notre civilisation alors qu’on ne peut négliger l’influence
d’une consommation de masse qui est le produit de nos sociétés modernes et mar-
chandes ? Il y a bien une stigmatisation avec ce diagnostic aux conséquences sub-
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jectives considérables à laquelle préside une autre stigmatisation culturelle, dont la
médecine se fait l’artisan infortuné, avec la chirurgie bariatrique. Cette seconde stig-
matisation culturelle cache peu les effets délétères d’une sur-consommation de
masse, conséquence d’une industrialisation excessive, quasi obèse, qui conduit, à
une emprise marchande des corps. En supprimant la masse adipeuse, par le biais
de la chirurgie bariatrique, on tente de réparer les effets d’un phénomène de sur-
consommation visible, sans supprimer la surconsommation, et au contraire, c’est le
pire, en développant d’autres sur-consommations. Certaines de ces techniques que
nous allons développer imposent une dépendance médicamenteuse quotidienne,
bio-pharmacologique, de substitution à vie. Jusqu’à présent, le bailleur de fond à
ces techniques reste plus la sécurité sociale que les bénéficiaires de l’industrialisation
et de la consommation industrielle.
La souffrance des sujets obèses dits malades, nous a amené à réfléchir sur cette
problématique de l’obésité, à partir de l’angoisse relevée dans notre pratique cli-
nique, et en appui sur des structures psychopathologiques (névrose, psychose et
perversion) en pré ou en post-opératoire. La manière d’accompagner cette angoisse
fonde notre pratique clinique en chirurgie digestive, et notamment en chirurgie
bariatrique, dans un hôpital public marseillais.

Obésité, un diagnostic ?

Le terme même d’obésité se compose d’une racine « obese » et d’un suffixe « ité ».
Avec cette terminaison « ité », l’habillage laisse entendre une connotation médicale.
En effet, le suffixe latin « ite » est très souvent utilisé dans la terminologie médicale.
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Il « désigne les maladies de nature inflammatoire » (Littré, 1996) : un exemple illustre


cette tendance, une colite nomme une inflammation du colon. Avec « ité », ce n’est
pas de cela dont il s’agit. La racine grecque « ité » correspond plutôt à un semblant :
« vérité – verus ite : comme si c’était le vrai ; donc ça ne l’est pas » (Martin, 1999).
Comme si c’était un obèse, donc ça ne l’est pas. Le diagnostic précise littéralement
un semblant d’obèse qui désignerait la maladie. Il y aurait donc des obèses non
malades et des semblants d’obèses malades. L’étymologie donne un relief particulier
à la survenue d’un mot, d’un terme. L’obèse, provient étymologiquement du latin
« obesus » (Rey, 1996), composé de « edere manger, ronger » quelque chose de comes-
tible. « Obesus » a aussi signifié « ronger, miner » ; d’où « maigre, décharné » dans un
sens passif, et ce mot a paradoxalement développé, plus tardivement, un sens actif
contraire de « qui ronge d’où qui dévore ». Le dictionnaire historique de la langue
française montre que par métonymie, le mot a enfin signifié gras, replet. Le « ob »
soutient que le fait de manger est bien en arrière-plan avec deux manifestations
différentes du fait de manger, l’une de miner par défaut et l’autre, par excès, de
dévorer. L’emprunt au latin obesitas a soutenu la désignation pour « le fait d’être très
gras » (Rey, ibid.). « Faire gras » a longtemps porté l’idée de bien jouir, de bien
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manger, dans notre culture.
Cette pathologie médicale récente que désigne le terme obésité, pose la question du
diagnostic et de la manière dont il est déterminé. Les causes de l’obésité semblent
diverses. Pedinielli et al. (2011) décrivent aussi bien « des facteurs génétiques, endo-
criniens, médicaux et environnementaux ». Par définition, il s’agit donc d’une
maladie récente qui se caractérise par « par une inflation des réserves lipidiques
stockées sous formes de triglycérides dans le tissu adipeux. Elle correspond à une
augmentation significative de la masse grasse » (Mariage et al., 2008). Cette question
de la « masse » est fondamentale en médecine. Comme le rapporte Foucault (1963) :
« La maladie repérable sur le tableau [nosologique], apparaît à travers le corps. Là,
elle rencontre un espace dont la configuration est toute différente : c’est celui des
volumes et des masses ». Cette configuration spatiale et médicale constitue une repré-
sentation d’un certain corps sur lequel la mesure prévaut sur le diagnostic. Pour la
médecine moderne, technique et scientifique, nous n’avons pas hésité à souligner
que « la médecine a forclos le sujet ». Au fil du temps, cette médecine a « désérotisé
le corps » (Diébold et Pedinielli, 2009), en insistant sur un corps cartographié avec
« des volumes et des masses » (Foucault, 1963). Ainsi, dans ce champ médical, un
indice, l’indice de la masse corporelle (IMC), a pu devenir le révélateur d’une patho-
logie, par excès mais aussi par défaut. Cet indice est déterminé par le rapport du
poids sur la taille au carré (kg/cm2). Ce score tend à décrire quantitativement une
masse corporelle, sans tenir compte de ce qui détermine cet excès ou ce défaut de
poids. Ainsi tous les obèses semblent concernés, sans distinction. Comme pour tous
les scores, on peut, avec le mathématicien Frege (1884), rappeler que « si on appelle
unité les choses que l’on compte, l’affirmation inconditionnée que les unités sont
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identiques est fausse. Qu’elles soient identiques sous un certain aspect, c’est juste,
mais sans valeur ». Et c’est bien une valeur que cet étalonnage tente de mettre en
place, une valeur issue de la logique. Il s’agit d’une logique qui ne tient pas compte
du fait qu’une unité, notamment l’indice, porte deux propriétés l’identité et la dis-
cernabilité. C’est identique et différent, sous chaque score indiciel. Ainsi, l’indice
de masse corporelle porte un semblant, entre différence et identité, qui n’indique
rien d’une quelconque vérité pour le sujet obèse. Le rapprochement de cette unité
pour un sujet X avec une autre unité pour un sujet Y est de fait une imposture. À
qui peut-on faire croire que le score d’un individu lambda vaut pour un individu
alpha, alors que leurs histoires diffèrent ?
En fait, la mise en tension réside surtout dans le glissement fallacieux de la maladie
– c’est-à-dire une pathologie avec une étio-pathogénie et un contour précis (Fou-
cault, 1963) – à un écart à la norme qui devrait poser, mais ne la pose pas – la question
de l’anormalité ou de l’anomalie (Canguilhem, 1966).
La valeur de l’indice est devenue trop souvent l’indicateur majeur du diagnostic et
de la thérapeutique, alors qu’il est discutable et équivoque en tant que signifiant. Il
est possible de s’interroger sur cette répartition étalonnée de l’IMC, produite par la
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mathématique statistique, qui détermine un patient dans l’une de ces trois sous-
classifications. Cet ordonnancement, indique qu’à partir d’un IMC supérieur ou égal
à 30, un patient est considéré comme obèse. Cette obésité se répartit en trois diffé-
rentes sous-classifications : obésité modérée, obésité sévère et obésité morbide.
Comme dans toutes les classifications, établies par des êtres humains parlants et
parlés par les autres, les mesures statistiques ne peuvent pas établir quelque chose
de l’homme, mais seulement quelque chose d’une norme, par le biais d’une
moyenne. Sous cette classification des résultats indiciels, la moyenne normée est
une norme idéalisée. En effet, d’un point de vue statistique, l’homme moyen aurait
dû être ré-étalonné au regard de l’augmentation observée du nombre d’obèse dans
les sociétés nanties. Aucun réétalonnage n’a été effectué, malgré l’augmentation du
nombre d’obèses. Quelque chose d’idéalisé résiste ! Cette norme idéalisée constitue
un idéal sociétal du corps, un corps sous contrôle. La représentation de l’image de
cet idéal perdure puisque déjà Canguilhem (1966) la décrivait :

« La santé est une façon d’aborder l’existence en se sentant non seulement possesseur ou
porteur mais aussi au besoin créateur de valeur, instaurateur de normes vitales. Delà cette
séduction exercée encore aujourd’hui sur nos esprits par l’image de l’athlète, séduction dont
l’engouement contemporain pour un sport rationnalisé ne nous paraît qu’une affligeante
caricature. »

Ainsi, l’image de l’athlète supporte l’idéal de notre société dont la moyenne mathé-
matique cherche à refléter cet idéal, caricature de l’homme moderne. Avec ce seuil
idéalisé, l’indice ne peut que stigmatiser ce qui est l’anormalité, c’est-à-dire un
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dépassement par excès ou par défaut de la norme moyenne idéalisée. Ce constat ne


manque pas de nous interpeller, au niveau d’un renversement idéologique. Au siècle
dernier, l’obèse, le bien nourri, était tout de même le modèle social et idéalisé de
notre civilisation. En quoi l’obésité peut-elle constituer une maladie ? Ce question-
nement s’appuie sur une remarque de Canguilhem (1966) : « Le propre de la maladie
c’est de venir interrompre un cours, d’être proprement critique ». L’obésité vient-elle
interrompre un cours alors que l’obésité c’est justement l’inscription dans une conti-
nuité jusqu’à l’excès ? L’observation montre qu’une obésité morbide désigne au
moins une dizaine d’années d’alimentation excessive, voire plus.
Malgré ces réserves, l’IMC s’est vulgarisé et la chirurgie bariatrique s’est développée.
C’est ce que les scientifiques ont trouvé de mieux pour discuter sur le Réel, et à
partir de ce semblant, mais qui ne reste qu’un semblant, pour tenter de traduire
imparfaitement ce qui nous échappe : « Le mieux est l’ennemi du bien » (Lacan, 1967,
emprunté à Huxley).

Du soin médical vers un autre soin


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À partir de la statistique et de l’IMC, la médecine a articulé différentes solutions
thérapeutiques, dans une éthique du soin, qui s’étend de la diète à la chirurgie. La
première solution médicale traditionnelle était déjà décrite chez Hippocrate, la diète
ou le régime. C’est le premier niveau de la réponse médicale. Celle-ci se déplie en
différentes méthodes de régime pour perdre du poids. Ces différents régimes (hyper-
protéiné, basses calories...) sont en concurrence. Il est à regretter que cette mise en
concurrence conduise à une surconsommation de ces méthodes d’amaigrissement,
à une consommation hyperphagique des régimes. Ces différentes méthodes inscri-
vent et confortent le sujet obèse dans une impuissance à maigrir. La mise en échec
de cette première réponse médicale n’est pas questionnée. Que se passe-t-’il pour
le sujet obèse dans sa conduite alimentaire ?
Fondée sur ce savoir statistique et sur l’inadaptation de la première solution médi-
cale, la médecine défend alors une première gradation chirurgicale, c’est-à-dire la
pose d’un anneau. Après cette intervention, l’IMC sert de contrôle pour attester de
la perte de poids, dans un écart avec la première mesure indicielle qui a conduit à
l’intervention chirurgicale. Les échecs ou les complications conduisent à des grada-
tions supplémentaires de la réponse chirurgicale. Après l’anneau, le grade suivant
est la technique dite du manchon (appelé aussi sleevegastrectomie [Sastre, 2012]) qui
consiste à couper l’estomac et à laisser seulement un manchon stomacal. Cela
n’empêche pas les échappements et la confrontation du sujet obèse dans une impuis-
sance à maigrir. La gradation suivante est le court-circuit gastrique (appelé aussi by
pass [Sastre, 2012]). Il s’agit d’une technique qui restreint l’estomac à une portion
réduite et qui, par une dérivation organique, produit une satiété rapide. Cette
réponse ultime entraine une carence en éléments chimiques (calcium, fer, vitamine
< Nouveaux terrains, nouvelles pratiques (II) – Perspectives internationales > 119

D, thiamine) et les laboratoires pharmacologiques ont su fournir des substituts vita-


minés efficaces à vie. Avec cette technique, il y a un abaissement, sous quelques
mois, d’un poids important du sujet obèse attesté par l’IMC, comme indice de
contrôle.
L’indice de la masse corporelle est tout autant le révélateur de la pathologie et de sa
progression vers l’obésité morbide que le marqueur de cette destructivité subjective
et des mises en échecs des différentes réponses thérapeutiques médicales et chirur-
gicales, dans une histoire de la maladie. La progression longitudinale de l’IMC doit
aussi mesurer la démesure dans laquelle le sujet obèse vit et la démesure des solu-
tions médicales proposées. Cela participe de l’histoire de l’obésité.
Il semble pertinent de réfléchir de façon pluri-disciplinaire à ce qui contrarie les
gradations et les dégradations occasionnés par ces techniques. Nous remarquons
qu’en dépit des rectifications à la norme idéalisée, norme statistique, certains
sujets obèses demandent toujours plus à la réponse médicale. À leur insu pour-
tant, quelque chose contrarie ces solutions et désigne une progression dans les
différentes gradations. Même si la réponse chirurgicale semble plus adaptée que
la cure d’amaigrissement dans un monde où tout va vite, il est à remarquer que
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ce qui fait symptôme, par rapport à la norme idéalisée est purement et simple-
ment ôté, sans réfléchir aux conséquences pour le sujet. L’observation montre,
souvent, un échappement depuis la première technique médicale jusqu’à la der-
nière. Ces rectifications chirurgicales graduelles oublient ce qui a présidé au phé-
nomène de la suralimentation. Cet échappement du poids et le retour de la
conduite alimentaire erratiques qui se présentent sous la forme de grignotage, de
gros repas et par des absorptions impulsives de nourriture, ne sont pas inter-
rogés ; pas plus, ne le sont les représentations complexes que se forge l’obèse de
son trouble, de ses causes et de son traitement. À la théorie savante du médecin,
il convient de maintenir et d’opposer la théorie singulière de l’obèse. Canguilhem
(1966) remarque avec justesse que « la maladie du médecin ne recouvre pas la
maladie du malade ». Ces échappements prennent au moins deux formes : les
décompensations et les conduites alimentaires erratiques. Ils constituent des « en
moins » de la chirurgie bariatrique du sujet obèse, alors que la médecine tend à
s’intéresser préférentiellement à « l’en-plus » que constitue la masse corporelle. Il
y a quelque part un corps en moins que l’intervention chirurgicale promet au
sujet obèse. Mais ce corps en moins ne tient pas compte du « corps en plus »
(Desprats-Pecquignot, 2008) que l’obèse a mis en place, ni du en moins des
échappements à la chirurgie.
Notre propos ne vise pas à exclure toute activité chirurgicale sur l’estomac. De nom-
breux patients qui en bénéficient, accompagnés psychologiquement, se disent satis-
faits de ces actes chirurgicaux, même irréversibles, tant ils ont été confrontés long-
temps, à l’impuissance de maigrir et à l’insuffisance des réponses médicales. Mais là
où quelque chose échappe l’interrogatoire critique doit être formulé.
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Deux théories de sujet

Une décompensation psychotique compensée


Un sujet, âgé de 58 ans, est rencontré avant et après l’opération. Sa structure psy-
chotique est compensée. L’IMC est de 40, 117 kg pour 1,70 m. Il a précédemment
subi la pose d’un anneau gastrique qui a été ôté, par inefficacité. Il s’apprête à subir
un by-pass. Dès les premiers entretiens, il explique ce qu’il attend de l’intervention
chirurgicale : « se marier » « trouver un travail »... Ce qu’il imagine des effets de la
chirurgie apparait comme une idéalisation. Alors qu’il raconte son parcours d’obèse,
de gros, le clinicien lui demande « depuis quand vous êtes gros ». Selon lui, il a
« toujours été gros ». Pour le démontrer, il s’appuie sur l’énoncé de sa mère à sa
naissance : « c’est un gros bébé ». Puis, il précise qu’il avait « toujours été un gros
bébé ». C’est ainsi qu’il historise son poids. Cette identification à l’énoncé maternel
lui laisse penser « je suis un gros bébé ». Il y tenait, au fait d’être « un gros bébé ». Il
se voyait gros depuis qu’il s’est conformé à l’énoncé du discours de sa mère. Néan-
moins, il choisit cette intervention. Et le by-pass lui fait perdre 40 kg. Il pèse alors
77 kg. Son IMC est inférieur à 27. Il est considéré en surpoids léger. Pourtant, l’inter-
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vention du by-pass n’est pas sans incidence. Elle est vécue comme une castration
venant du Réel. Il est rencontré après sa sortie de l’hôpital, à sa demande.
[Il arrive à l’entretien les yeux exorbités, fixés] « La nuit dernière, je n’ai pas dormi.
(moi) Que s’est-il passé ?
(Lui) J’ai eu peur. Je me suis vu dans le miroir de la salle de bain. Et je ne suis pas
reconnu.
(moi) Ah ! Vous ne vous êtes pas reconnu. Qu’avez-vous vu ?
(Lui) Horrible. C’était horrible. À ma place, un étranger que je ne connaissais pas.
Un monstre. Ça m’a fait peur. Tout s’effondre. Perdre quarante kilos d’un coup, ça
m’a fait peur ».

Le dire médical de la perte d’un poids de 40 kg a été annoncé, en pré-opératoire,


par le chirurgien pour expliquer sa technique. Cet énoncé a résonné pour ce patient
et il fait retour de façon imaginaire. Apparemment, il ne semble pas avoir perdu de
poids. Ce qu’il imagine de cette coupure réelle, l’opération chirurgicale, et supposée,
la perte de poids, avec son poids le plonge pourtant dans une grande angoisse.
« Je ne me comprends plus. [Il sanglote dans l’entretien] Depuis l’opération... à la
maison, je n’arrête pas de chialer. Le dégoût de la vie... C’est le ras le bol... Je suis
dégouté de tout. Mal dans ma peau. J’étais plus gros que ça... Je ressens le regard
des gens, de la méchanceté et de la moquerie... Je n’ai envie de rien. Je me donne
des ventrées de pleurer.
Des ventrées de pleurer ?
Il y a un gros chagrin qui monte en moi... Il me donne dans la nuit de ces migraines.
Ces angoisses...
< Nouveaux terrains, nouvelles pratiques (II) – Perspectives internationales > 121

Il ?
C’est moi qui me les donne. C’est moi qui me les donne. C’est pour ça que je me
demande si je deviens fou.
Ces angoisses, vous m’expliquez ?
La boule à l’estomac qui devient de plus en plus importante. Jamais je n’ai eu ces
angoisses, avant d’être opéré ».

À partir du moment où il se rencontre dans le spéculaire, il le dit : « je ne me recon-


nais plus ». Ce n’est plus lui qu’il voit. C’est l’horreur. Ce qui tenait avant, ne tient
plus. Autrement dit, le coincement des trois registres a bougé. Le néologisme séman-
tique (Lantéri-Laura, 1968), « des ventrées de pleurer » atteste de cette singularité
qui se délie. C’est l’effet dramatique et ravageant de l’intervention chirurgicale. En
parallèle, ça parle de la manière dont on se construit comme sujet dans le miroir,
dès la toute petite enfance. On existe dans le regard de l’Autre et avec ces énoncés,
avant d’avoir nos énoncés et notre propre regard. Certains patients peuvent en arriver
à décompenser psychiquement, à cause de la violence que l’intervention provoque
psychiquement. Ce patient évoque « je suis en train de partir en ruine ». C’est le
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Réel. Cela aurait pu être prévu, en tenant compte de sa structure psychopatholo-
gique. Dans l’après coup de l’intervention, trop souvent, le sujet est laissé seul, face
au réel de ce qui lui arrive : c’est l’horreur, au-delà de toute possibilité de symboli-
sation. Il se voyait gros et ne se reconnaissait plus. C’est le tragique programmé de
son attente, prise dans l’imaginaire de l’horreur de la castration. Quelque chose est
devenu Réel, avec l’intervention chirurgicale qui entraîne un « je ne me reconnais
plus ». Les séances suivantes vont favoriser un aménagement psychique, en partant
de la théorie du sujet.
« (Lui) De plus en plus, je l’accepte pas...
(moi) Qu’est-ce que vous n’acceptez pas ?
(Lui) J’accepte pas ce nouveau corps. Ce matin, je me suis levé, j’ai encore perdu
deux kilos... C’est pas vrai. Je l’ai mal pris. Je ne sais pas pourquoi... Le chirurgien
vous fait une promesse et il la tient. Vous maigrissez. Ben je suis pas content... On
dirait que ça me manque. On dirait que ça ne me fait pas plaisir de maigrir ».

Ce cas d’angoisse en post-opératoire n’est pas unique. Des sujets de structure psy-
chotique peuvent décompenser, après l’intervention. Les consultations en pré-opé-
ratoire devraient servir à écarter de l’intervention les patients psychotiques. Il est
nécessaire de préciser qu’il n’y a pas de signes cliniques d’une psychose compensée,
mais que la structure est une façon d’être au monde. Ça tient plus ou moins bien.
Cela devrait inciter à la mesure, avant une intervention, lourde de conséquence.
Dans ce cas, une métaphore délirante a pu suppléer cette décompensation et il a pu
se voir perdre du poids, sans angoisse majeure. La prise en charge psychothérapeu-
tique a été maintenue, après l’intervention, jusqu’à cette résolution singulière à la
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décompensation. Quelques séances plus tard, il aborde la question de garder ses


« problèmes de santé » et il lui échappe une expression, « en gros ». Le clinicien
relance sur cette expression.
« (moi) vous me dites en gros ? ». Cette relance l’incite à dire :
« (Lui) En gros, je ne sais pas si c’est l’expression. Je ne sais pas... Peut-être moi.
Qui sait ?
(moi) Peut-être vous, vous m’expliquez ?
(Lui) Je me vois gros. Ça c’est sûr. Il y a pas de souci. Je ne monte même plus sur
la balance. Ça va faire 2 ou trois mois. Parce que je vois que le poids ne diminue
pas et qu’il continue à monter ».

Il a inventé quelque chose qui tient. La relance du clinicien soutient cette invention :
« C’est bien. En gros, vous vous voyez gros ». Le poids perdu par l’opération, dans
la réalité matérielle, continue à monter quelque part. Il n’en perd plus psychique-
ment, il le regagne ailleurs, un ailleurs qu’il décrit « comme un brouillard ». À ce
moment-là, sa représentation constitue une métaphore délirante (Lacan, 1955, 1958),
dans la réalité matérielle (Freud, 1900), il perd du poids et a l’illusion de ne plus en
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perdre dans sa réalité psychique (Freud, 1900). Cette position subjective renoue la
dimension phallique, sur le signifiant « en gros » et il y a un coincement des trois
dimensions, Imaginaire, Réel et Symbolique. Il reconstruit par cette métaphore et il
peut supporter la castration réelle. La théorie singulière et naïve du patient obèse
constitue un savoir irremplaçable pour accompagner le sujet obèse.
Il nous semble, avec ce cas, aisé de montrer que le plus souvent l’axe imaginaire,
spéculaire est convoqué dès l’évocation du corps idéalisé, en pré-opératoire, par les
patients obèses. Le sujet obèse idéalise un corps autre, un corps supposé. À une
certaine place, la chirurgie bariatrique répond et les conséquences au niveau de
l’idéal moïque peuvent être considérables. Nous avons démontré, avec la décompen-
sation en post-opératoire, provoquée par une castration réelle, que l’image spéculaire
unifiée ne tient plus. Et c’est sur les identifications solidement enracinées sur l’axe
imaginaire qu’une compensation semble pouvoir renouer quelque chose, autour de
se voir gros.

Une suppléance à la compulsion

Une patiente, de 42 ans, souffrant d’obésité sévère est opérée d’un by-pass. Son IMC
est de 39, avec un poids de 93 kg pour 1,54. Elle a bénéficié de la pose d’un anneau
gastrique, sans succès. Elle s’était remise à grignoter. L’anneau avait ainsi été mis
en échec. Avec ces grignotages, elle pouvait supporter les multiples humiliations de
sa vie. C’est la réponse subjective qu’elle a adopté pour survivre à ces humiliations
quotidiennes. Après cette intervention du by-pass, elle se sent en difficulté, avec un
mal être, pleure beaucoup et demande à rencontrer un psychologue.
< Nouveaux terrains, nouvelles pratiques (II) – Perspectives internationales > 123

Dans nos entretiens, elle se décrit ainsi : « J’ai l’impression d’avoir une tête et pas
de corps. Comme si je fuyais mon corps. Je ne veux pas le voir ». Elle se présente
comme un corps-tête. Son imaginaire est organisé sur une dimension phallique. Elle
évoque sans difficulté sa vie, même si le clinicien l’accompagne par des relances, dès
les premiers entretiens. Elle n’a « pas de boulot ». Elle s’est présentée à quelques
entretiens qui n’ont pas fonctionné. Elle explique « Imaginez quel patron embau-
cherait une grosse ! En me voyant, il penserait que je ne fais rien ». La relance est
dirigée sur la manière dont elle se voit, elle.
Elle peut évoquer les multiples humiliations subies, de la part de ses parents, de sa
sœur, depuis l’enfance. Elle considère que ce traumatisme de l’infantile l’empêche
d’être bien et elle a commencé à grossir. L’événement traumatique ne se substitue
pas à la structure, il s’organise en fonction de la structure psychopathologique de
cette patiente, et pour lequel Freud (1951) remarque très tôt, avec le cas Emma,
l’importance d’un événement « élevé à la dignité du traumatisme », par le sujet lui-
même. Ce poids en plus, elle le commémore, avec son mari et ses enfants, qui l’humi-
lient à leur tour, l’humiliation à laquelle elle prend part, à son insu. Son mal être
qui l’a incité à consulter signe l’angoisse ressentie et qu’elle connait bien. Quand
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elle dit « je ne me reconnais plus », son dire ne la désorganise pas. Sa plainte des
humiliations subies et dites témoigne de sa relation à sa souffrance. Comment pour
elle apprendre à ne plus souffrir, de ce qui l’a quand même contentée, pendant tant
d’années ? Elle n’est plus comme avant. Elle se sent débordée. Même après l’inter-
vention, elle relate des accès boulimiques, au cours desquels elle ingère tout ce
qu’elle peut, comme si en elle, une force ne souhaitait pas qu’elle maigrisse, jusqu’à
en vomir... « J’ai été prise d’une violente impulsion, et j’ai englouti... » dit-elle. Elle
dit culpabiliser de cet excès. Quand le clinicien lui demande ce qu’il s’est passé
avant, elle évoque une difficulté relationnelle avec son mari. Il a refusé de sortir avec
elle, « pour une promenade », parce qu’elle avait maigri. C’est une intolérance à la
frustration qui l’agresse. Pour elle, c’est à ne plus rien y comprendre ! Depuis vingt
ans, son mari lui dit « tu es grosse ». En dépit des régimes pour lui plaire, alors
qu’elle se sent disqualifiée par cet homme qui la rudoie, elle se soumet à ce qu’elle
croit être le désir de l’autre. À maigrir comme il le souhaite, elle s’y perd. Et elle
échoue. Elle vient de commencer à maigrir, sans possibilité de retour en arrière. Et
son mari n’est pas satisfait. En fait, leur relation devait rester la même : il l’insulte
et elle continue à échouer à maigrir. Or, avec l’intervention chirurgicale, sa relation
aux autres doit se modifier. L’humiliation qu’elle subissait dans l’enfance, puis
adulte, devient inacceptable. Petit à petit, elle renonce à accepter l’humiliation dont
elle pouvait se plaindre. C’est elle qui choisit d’y renoncer. Dès lors, les impulsions
alimentaires s’estompent. Elle ressent de l’angoisse et parvient à inventer une solu-
tion à cette angoisse : elle décide de s’occuper de maquettes d’avions, « des minia-
tures qui volent » et je soutiens cette occupation qu’elle a choisie et entreprise. Et
ces impulsions alimentaires ont pu se frayer par le langage dans une direction qu’elle
124 [ psychologie clinique no38 2014/2

invente et qu’elle investit. Elle se documente et devient « calée ». Elle indique en


entretien « je ne suis pas encore calée », jusqu’à parvenir à faire voler ces minuscules
avions, en s’intéressant à la motorisation de ses maquettes. Quelque chose s’est
envolé ! Voilà une résolution de ces impulsions bien originales. Elle s’inscrit dans
une salle de sport, parvient à trouver du travail, et il lui devient de moins en moins
utile de se rencontrer. L’angoisse s’est frayé un singulier chemin et a trouvé cette
solution.

Conclusion

Les illustrations cliniques ont mis à l’épreuve notre hypothèse concernant l’angoisse
des sujets obèses et la manière d’accompagner cette angoisse. Elle met en échec les
thérapeutiques médicales et chirurgicales proposées. Les décompensations post-
opératoires et les conduites alimentaires déstructurées sont des frayages à l’angoisse
du sujet obèse, en fonction des structures psychopathologiques. Ces conduites ali-
mentaires erratiques procèdent d’un passage à l’acte du pulsionnel, non endigué par
la parole. Le sujet obèse souffre très rarement de ces grignotages. Il souffre de son
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angoisse, tant qu’il ne l’a pas bouchée. Alors des effets d’affect le poussent, le contrai-
gnent à manger. Les patients le décrivent très bien : « J’ai été pris d’une violente
impulsion et j’ai englouti... ». Le sujet obèse incorpore quelque chose pour soutenir
son angoisse. Ce drame du sujet obèse procède d’une incapacité de se séparer. Il
tente, coute que coute de s’en éloigner. Les multiples échecs l’ont confronté à une
vague impuissance. Il ne peut le faire que d’un passage à l’acte. C’est sa réponse
singulière. Il passe à l’acte en mangeant, il passe à l’acte en s’arrêtant, avec le régime,
et il ne peut fonctionner que dans cet acte. D’où l’étrangeté à nos yeux d’une solution
idéalisée d’un passage à l’acte chirurgical avec le chirurgien, dans des noces inces-
tueuses. Ainsi, l’obésité est la seule réponse qu’un sujet a pu inventer pour tenter
de coincer les trois dimensions, Symbolique, Réel et Imaginaire. Ça l’a même pré-
servé, tout ce temps. Cet aménagement inventé par le sujet agit comme une protec-
tion et en même temps comme un enfermement. Retirer, par la chirurgie, sans se
questionner sur cet excès de poids, c’est faire sauter l’invention du sujet et les désa-
gréments psychiques peuvent être considérables.

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