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L'OBSERVATION CLINIQUE ATTENTIVE, UNE MÉTHODE POUR LA

PRATIQUE ET LA RECHERCHE CLINIQUES

Albert Ciccone

ERES | « Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe »

2014/2 n° 63 | pages 65 à 78
ISSN 0297-1194
ISBN 9782749242057
Article disponible en ligne à l'adresse :
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groupe-2014-2-page-65.htm
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Revue de psychothérapie
psychanalytique de groupe
63

L’observation clinique attentive,


une mÉthode pour la pratique
et la recherche cliniques

Albert CICCONE 1

L’observation clinique attentive est au fondement de la méthode


clinique, elle en est l’aspect le plus primordial, à la fois pour la pratique
et pour la recherche cliniques, que leur objet soit un sujet, un groupe,
une famille, une institution.
Je parlerai donc de l’observation clinique attentive à la fois dans
les pratiques de soin et dans les pratiques de recherche clinique. Les
deux champs sont évidemment différents, n’impliquent pas les mêmes
enjeux, même s’ils présentent des zones communes. Mais j’envisagerai
ce qui, de l’observation clinique, est essentiel pour l’un comme pour
l’autre, pour le travail d’interprétation du clinicien comme pour le tra-
vail de théorisation du chercheur.
Je donnerai tout d’abord une précision concernant la position cli-
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nique, à partir de laquelle se déploie cette observation, qui est obser-
vation des faits de la réalité concrète comme de la réalité psychique.

La position clinique

Le terme « clinique » fait en général référence à la maladie, à un


sujet qui souffre, et à l’approche du sujet au chevet de son lit, car c’est
un sujet « incliné », en position de fragilité (le verbe « klino » en grec
signifie « changer de position, incliner, coucher, appuyer une chose
contre une autre… »). Mais on peut dire que la position « inclinée »
est aussi et surtout celle du clinicien lui-même. Le clinicien qui se
penche sur le sujet en souffrance, s’approche de sa subjectivité, et qui
se trouve de ce fait dans une position d’humilité, et aussi d’instabilité,

Albert Ciccone, psychologue, psychanalyste, professeur de psychopathologie et psychologie


clinique à l’université Lumière-Lyon 2, crppc (Centre de recherches en psychopathologie et
psychologie clinique) ; albert.ciccone@univ-lyon2.fr

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d’inconfort. Ce qui me conduit à dire que la position clinique est


d’abord une position d’humilité.
Cela est vrai d’ailleurs pour tout savant, tout scientifique, tout cher-
cheur, tout expert. Ce que connaît d’abord et avant tout un expert, un
savant, un scientifique quel qu’il soit, c’est l’étendue de son ignorance.
La position clinique est donc une position de doute, d’incertitude.
Un éminent professeur d’éthique (Emmanuel Hirsch), croisé dans
un colloque, disait que la meilleure définition que l’on peut donner de
l’éthique est celle qui consiste à dire que l’éthique, c’est la « culture du
doute ». Eh bien, on peut dire que la position clinique est une position
éthique. Bion (1974-1977), d’ailleurs, définissait l’attitude psychanaly-
tique comme une attitude de doute philosophique. On peut dire cela de
toute position clinique.
On voit ainsi comment l’observation clinique est une nécessité pour
éviter ou atténuer les effets de violence dus aux certitudes, au savoir
sur l’autre qu’on peut mettre entre soi et l’autre. Chaque fois qu’on a
un savoir sur l’autre, et que l’on met ce savoir entre soi et l’autre, on
s’empêche de le rencontrer, on évite la rencontre, et on lui fait violence.
Dans l’observation clinique attentive, le terme le plus important est
« attentive ». Il s’agit de porter ou de prêter attention à l’autre, ou à plus
d’un autre si l’on a affaire à un groupe. Tout comme lorsqu’on parle
de « neutralité bienveillante », le terme important est « bienveillante »,
pas « neutralité ». Il ne s’agit pas d’être neutre au sens d’« indifférent »
et « impartial ». La « neutralité » concerne simplement la nécessité de
neutraliser les éléments contre-transférentiels qui font obstacle à la
rencontre. Mais la présence et la position d’écoute se doivent d’être
actives et bienveillantes.
Le terme important est « attentive » aussi parce qu’« observation »
privilégie le regard. Or on observe avec tous les sens. On est attentif
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avec tous les sens. Un aveugle peut tout à fait observer avec attention
la réalité.
L’observation clinique : une méthode heuristique

L’observation clinique est donc au fondement de la méthode cli-


nique. L’observation, attentive est en elle-même un outil, une méthode
pour se saisir de la clinique. Elle est une méthode à la fois pour la pra-
tique et pour la recherche cliniques. Il n’est pas nécessaire de recourir
à des méthodes armées pour recueillir le matériel. Si l’on sait observer,
avec rigueur, on peut toujours recueillir un matériel d’une très grande
richesse, quelle que soit la clinique (Ciccone, 1998a).
Ce point est important à rappeler à l’heure où nombre de
recherches cliniques sont séduites par les méthodes expérimentales et
quantitatives, font l’objet de fortes pressions pour s’aligner derrière
une certaine conception de la recherche et de la science, et cherchent à
se parer des stigmates de la scientificité, ne faisant souvent que singer

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L’observation clinique attentive 67

la science. La psychologie est une science humaine, et elle ne doit pas


chercher à imiter des sciences devant lesquelles elle ne sera jamais à la
hauteur. La psychologie ne sera jamais l’astrophysique, ni la science
des particules… Elle doit garder et cultiver ce qu’elle a d’humain,
d’humblement humain, c’est ce qui fait sa richesse.
La promotion de la scientificité favorise une production indus-
trielle du savoir. Cela est bien différent du travail de pensée qui ne peut
se faire que dans le bricolage, l’artisanat. Et le travail clinique est un
travail artisanal.
Mais la méthodologie de l’observation impose des exigences et
requiert une discipline importante, conditions à sa portée clinique et
à sa dimension heuristique, exigences et discipline sans doute encore
plus importantes que dans les dispositifs expérimentaux qui contrôlent
ou ont l’illusion de contrôler un certain nombre de variables, par
exemple les effets d’implication du chercheur.
Par exemple, la pratique universitaire d’expertise des travaux de
recherche clinique, dans la discipline « Psychologie », à quelque niveau
que ce soit, conduit à constater régulièrement un certain nombre de
manques, de défauts ou de d’insuffisances concernant la rigueur des
énoncés et des démonstrations dans les recherches cliniques. Voici par
exemple quelques-uns de ces défauts :
– certains travaux de recherche ne présentent que très peu de clinique.
Les travaux sont alors trop théoriques et donc spéculatifs, et pas tou-
jours directement utiles à la clinique ;
– dans d’autres travaux, la clinique est essentiellement illustrative. La
théorie ne part pas de la pratique, et donc ne s’inscrit pas dans la pra-
tique. La clinique illustre une théorie déjà là ;
– dans d’autres encore, la clinique est générale, il s’agit d’une narra-
tion reconstruite qui ne rend pas compte de l’expérience telle qu’elle
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s’est réellement déroulée, dans le détail, et à partir de laquelle on peut
essayer de dégager un modèle de compréhension. La clinique confirme
donc toujours la théorie. Et la théorie n’est pas discutable. Il n’y a
pas de contradiction possible. On n’est donc plus dans une logique de
recherche, on est dans une logique d’opinion ;
– autre défaut encore rencontré : la clinique est parfois surchargée de
projections, d’interprétations. On ne la laisse pas « parler ». Là aussi,
il n’y a pas de réfutation possible. La clinique n’a pas l’espace pour
contredire la théorie. Et la modélisation ne peut pas être discutée non
plus.
Bref, on peut dire qu’il est très difficile de faire une observation
clinique. Il l’est tout autant de rendre compte de séquences détaillées
– et cela est encore plus vrai lorsque la clinique concerne un groupe,
une famille. Il est toujours difficile de sélectionner suffisamment le
matériel pour voir se déployer la logique qui a conduit au modèle, et de
donner en même temps suffisamment d’éléments pour ne pas produire
trop de distorsions qui invalideraient la démonstration. Et il est toujours

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difficile de faire un travail qui parte vraiment de la clinique, et qui reste


au service de la clinique.
Je vais énumérer ou rappeler quelques exigences qu’impose une
observation clinique, dans la recherche comme dans la pratique.

Exigences de l’observation clinique 1

Tout travail d’interprétation comme de recherche clinique


doit partir de la clinique

Il n’est d’abord pas inutile de rappeler qu’un travail d’interpréta-


tion comme de recherche clinique doit partir de la clinique, et que nous
devons toujours rester vigilants à éviter les spéculations théoriques pas
toujours en appui suffisant sur la clinique. Nous devons veiller à laisser
à la clinique la chance de démentir la théorie.

La clinique ne doit pas être surinterprétée

Je disais qu’il est difficile de faire une observation clinique, et


d’en rendre compte. On a souvent affaire dans les comptes rendus
cliniques à des interprétations de la clinique, qui sont confondues avec
la clinique elle-même. Si la clinique est surchargée de projections,
d’interprétations, on ne peut pas la laisser parler, et elle ne peut plus
contredire la théorie. La modélisation ne peut donc pas être discutée.
Les observations cliniques rigoureuses doivent permettre un aller-
retour entre la clinique et le travail de modélisation. Si cet aller-retour
n’est pas possible, si on n’a pas la clinique au plus près de son dérou-
lement, on en reste alors à la spéculation imaginative dont parlait Bion
(1983, 1997), et qu’il définissait comme le début de la pensée ou de
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l’interprétation ou de la théorisation. Mais la spéculation imaginative
n’est aux sources de la théorisation qu’à condition de pouvoir revenir
à la situation clinique, une fois qu’on a pu jouer suffisamment avec le
matériel, le rêver, laisser aller ses associations. Et c’est d’ailleurs l’une
des fonctions de la notation, de l’écrit, dans le travail d’observation,
puis d’élaboration des observations, de favoriser cet aller-retour – j’y
reviendrai.
L’observation clinique, la méthode clinique supposent donc une
implication et des dispositifs distanciants, pour limiter la saturation
subjective des éléments observés, elle suppose une oscillation entre
un mouvement d’implication et un mouvement de distanciation ou de
dégagement. Cela est très difficile lorsqu’on a affaire par exemple à des
sujets exerçant une très forte attractivité identificatoire.

1. La suite de l’article reprend et précise quelques éléments développés dans A. Ciccone,


La psychanalyse à l’épreuve du bébé. Fondements de la position clinique, nouvelle édition
augmentée, Paris, Dunod, 2014.

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L’observation clinique ne concerne pas la réalité psychique en soi,


mais ses effets

L’observation clinique porte sur un certain nombre d’éléments qui


sont autant d’effets de la réalité psychique. La réalité psychique n’est
pas observable en soi. Elle est reconstruite à partir de l’observation de
ses effets : les signes, les symptômes, le langage, les messages verbaux
et non verbaux, les comportements, les conduites, les interactions, les
productions diverses, etc.
Une attention particulière est portée aux associations, à l’agence-
ment associatif du matériel, verbal et non verbal, ainsi qu’aux dissocia-
tions, aux ruptures de cet agencement, qui renseignent sur les éléments
inconscients. D’où l’importance de réaliser des observations précises,
détaillées, qui mettent en évidence la manière dont les éléments obser-
vés s’enchaînent, sont agencés.
Les mouvements transférentiels sont évidemment l’objet d’une
attention particulière, car la relation et l’observation cliniques mobi-
lisent le transfert. Les contenus observés sont aussi considérés dans
leur dimension d’adresse au clinicien, à l’observateur. Les contenus ne
sont pas seulement des contenus en soi, mais des contenus adressés.
Si les indices des mouvements transférentiels sont observés avec
attention, il en est de même des éprouvés contre-transférentiels, mobi-
lisés par la situation clinique, et qui peuvent permettre ou entraver
le contact avec la réalité psychique du ou des sujets observés. Il y a
deux façons d’envisager le contre-transfert. Pour certains, le contre-
transfert représente un ensemble d’éléments appartenant au clinicien
et qui viennent parasiter le travail, faire obstacle au travail clinique.
Il faut donc analyser le contre-transfert pour le maîtriser, le contrôler,
l’empêcher de perturber la relation thérapeutique. Pour d’autres, le
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contre-transfert est un instrument, un outil d’analyse 2. Il renseigne sur
les éléments subjectifs de la situation observée, et il faut donc l’ana-
lyser pour s’approcher de la subjectivité du ou des sujets observés. La
bonne façon d’envisager le contre-transfert se situe, me semble-t-il,
entre ces deux positions, et il est bon de rappeler que si les éléments
contre-transférentiels représentent une clé potentielle importante pour
approcher la réalité subjective, ils ne représentent qu’un aspect de
l’observation qui doit être mis en lien avec bien d’autres.
Rappelons l’expression de Resnik qui parle non pas de transfert
et de contre-transfert, mais de « double transfert » (1984, 2005) : le
psychanalyste transfère autant sur le patient que le patient transfère sur
le psychanalyste.
Autrement dit, la méthode clinique suppose une auto-observation
permanente. Cette auto-observation concerne non seulement le clini-
cien en tant que tel, mais le clinicien dans son dispositif.

2. Cf. l’article princeps de Paula Heimann sur ce sujet (1949).

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Le dispositif et ses effets doivent être pris en compte


dans l’observation et le travail cliniques

Une attention particulière est en effet portée au dispositif clinique


et à ses effets sur la situation clinique observée. Devant un matériel, la
question est toujours posée, au moins implicitement, de savoir si cette
observation concerne le sujet, la situation, ou bien l’effet sur le sujet et
sur la situation du dispositif lui-même.
On sait que l’observation modifie la situation observée. C’est un
élément intégré dans certaines sciences, comme la physique quantique,
par exemple. Il est en effet clairement admis qu’on ne mesure jamais
un objet ou un phénomène en physique quantique, mais on mesure tou-
jours l’objet ou le phénomène profondément perturbé par le fait qu’on
le mesure. On peut tout à fait appliquer ce principe à l’exploration cli-
nique, psychologique, psychanalytique : on n’observe jamais la réalité
psychique, mais toujours la réalité psychique profondément perturbée
par le fait qu’on l’observe (et profondément perturbée par le fait qu’on
s’identifie à celui qu’on observe, et qu’on est soi-même perturbé par le
fait que celui qu’on observe nous observe aussi en train de l’observer,
etc.). On voit la complexité de la situation. Un physicien peut peut-être
s’identifier à un électron, un biologiste à une molécule, mais un psy-
chologue ne peut pas ne pas s’identifier au sujet qu’il observe.
Il y a beaucoup d’autres principes de la physique quantique que
l’on pourrait appliquer à l’approche clinique. Par exemple : contraire-
ment au déterminisme absolu de la physique classique, qui permet de
prévoir les phénomènes, de les expliquer, de les contrôler, la théorie
quantique ne permet de prévoir que des probabilités de résultats de
mesure. C’est ce qui faisait dire à Einstein, qui critiquait l’interpré-
tation probabiliste de la physique quantique : « Dieu ne joue pas aux
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dés 3 ! » Eh bien si, Dieu joue aux dés, le hasard occupe là une place
importante. Et la même prudence et la même humilité s’appliquent à la
psychologie et à la psychanalyse : elles sont des sciences descriptives
mais pas prédictives. On ne peut prévoir que des potentialités.
Tout dispositif, par ailleurs et pour revenir à lui, doit être congruent
avec l’objet qu’il est censé saisir.
L’objet peut contraindre à repenser le dispositif et sa théorie, si
cette congruence fait défaut. C’est ce qui s’est passé par exemple avec
la psychanalyse des enfants, des psychotiques, des états limites, des
familles, qui a obligé à repenser la théorie de la psychanalyse, du soin,
de ce qui soigne dans le soin. La méthode clinique oblige à interroger
continuellement la pertinence du dispositif et la théorie privée du dis-
positif, explicite et implicite.
Tout dispositif, enfin, consiste à neutraliser certains aspects de la
réalité observée pour en attracter d’autres, et les analyser.

3. Lors d’un congrès de physiciens à Bruxelles en 1927.

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L’observation clinique attentive 71

Cela suppose que ce qui est neutralisé par le dispositif soit neu-
tralisable, et soit intégré, soit lié dans le fonctionnement psychique du
patient. Par exemple, si on dit : « On s’assoit et on parle », on neutralise
la motricité pour attracter, laisser se déployer la motricité psychique.
Cela suppose que le sujet puisse rester assis et concentré. Autrement,
le dispositif est envahi par ce qu’il cherche à neutraliser et qui n’est
pas analysable, pas traitable dans le dispositif. Et on dira que le patient
n’est pas une bonne indication, qu’il devrait faire autre chose qu’une
psychothérapie. C’est en fait le dispositif qui se trompe, pas le patient.
On peut dire aussi que moins la réalité est neutralisable et plus il est
nécessaire d’« aller vers », d’ouvrir le champ d’observation, de contact.
C’est ce qui se passe dans les situations limites, qui conduisent à éla-
borer des dispositifs d’observation clinique consistant à « aller vers »,
aller au plus près (des patients, des sujets, des situations), comme le
travail ou l’observation à domicile, sur le lieu de vie, etc. (modalités de
travail ou d’observation qui peuvent se réaliser bien entendu aussi dans
des contextes plus ordinaires). Toute la réalité de vie du sujet devient
alors lieu d’émergence et lieu d’exploration des indices de l’émergence
de la réalité psychique. On ne peut pas se contenter d’observer le dis-
cours, les rêves, les associations verbales. Le champ clinique s’élargit
considérablement.
Et c’est ce qui fait que les dispositifs d’observation ont souvent
une valeur préventive en eux-mêmes, voire soignante. Un maître et
ami (Jean-Luc Graber) disait : « Prévenir, c’est venir près 4. » Quand
on s’approche, quand on « vient près », on prévient.

Tout ce que le patient montre ou dit parle de lui

Autre principe de l’observation et de l’écoute cliniques : tout ce


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que le patient montre ou dit parle de lui.
C’est là une différence majeure entre une observation ou une
écoute cliniques et une communication banale. On ne va pas écouter et
observer seulement ce que montre et dit le patient, on va toujours écou-
ter et observer ce qui, dans ce qu’il dit et montre, parle de lui, en quoi
ce qu’il apporte dans la séance – quel que soit le matériel, quel que soit
ce dont il parle – parle de lui, et est adressé au soignant. On écoutera,
entre autres, la fonction métaphorique des énoncés du patient. Ceux-
ci seront considérés comme porteurs de messages parlant du sujet et
adressés au soignant, d’une manière transposée, déplacée.
En ce sens, tout est toujours du matériel. Le matériel, quel qu’il
soit, n’est jamais mauvais, ne doit jamais être disqualifié. Souvent,
certains psychologues en supervision, par exemple, se plaignent que
tel patient ne travaille pas ce qu’il devrait travailler, que tel adolescent
ne fait rien d’autres que jouer à tel jeu, et que tout cela ne sert à rien,

4. On peut lire aussi ce qu’il a écrit à ce propos dans Graber (1994).

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ce n’est pas une vraie séance… Ce qui génère bien sûr de la honte, de
la culpabilité chez le praticien, qui a le sentiment de ne pas faire un
vrai travail. Mais le patient peut apporter ce qu’il veut, le matériel n’a
pas à être prescrit. Quel que soit ce qu’apporte un patient, c’est notre
écoute qui va l’organiser comme matériel, car elle va se centrer sur –
elle va écouter – ce qui parle du sujet. Par exemple, si un patient parle
de la météo, on écoutera en quoi son discours parle de sa climatologie
interne. Un patient qui arrivait à sa séance, en vélo, après avoir affronté
une intense circulation, dit : « Oh là, c’est dangereux de venir chez
vous ! » Il ne parlait pas uniquement de la circulation, il parlait du dan-
ger qu’il y a à s’approcher de son monde interne, de sa subjectivité, de
ses douleurs, de ses fantasmes.
Ainsi, le travail interprétatif, comme le travail de théorisation,
consistera-t-il pour une grande part à métaphoriser le matériel. Ce que
dit ou montre un patient est à entendre comme une métaphore de ses
éprouvés subjectifs, émotionnels de l’instant, et ce que le clinicien,
l’analyste traduira et restituera répondra à la tentative de métaphoriser
ce matériel, ces expressions.
C’est toujours une situation interne actuelle qui est ainsi métapho-
risée. Rappelons par exemple la définition que donne Meltzer du trans-
fert : les phénomènes de transfert consistent en des « extériorisations
du présent immédiat de la situation interne 5 ». Ils ne concernent pas des
reliques du passé, même si ces objets du présent immédiat du monde
interne peuvent, bien sûr, revêtir des qualités infantiles qui connote-
ront l’aspect « passé » de ces éprouvés immédiats. Cette précision est
importante car nombre de patients vivent les interprétations de transfert
comme une défense de l’analyste qui, à trop vouloir écouter le passé
et resituer le matériel dans le passé, n’entend pas ce qui lui est adressé
dans le présent.
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L’histoire du patient n’a pas besoin d’un historien, mais d’un inter-
prète, comme le rappelle José Luis Goyena (2002), interprète de ce qui
s’échange dans l’intimité de la rencontre actuelle.

Les objets réels et l’espace sont des lieux de projection des objets
internes et du corps

Non seulement toute manifestation est entendue dans ce qu’elle


contient comme message actuel parlant du sujet, mais le rapport aux
objets réels ainsi qu’à l’espace est observé en tant que témoin du rap-
port aux objets internes ou au corps du soignant comme du sujet lui-
même. L’espace du bureau de consultation, par exemple, représente
tantôt l’espace corporel ou psychique du thérapeute, de l’analyste,
tantôt l’espace corporel ou psychique du sujet lui-même, ou d’un
objet interne. Les objets concrets situés dans l’espace représentent des

5. D. Meltzer, Le monde vivant du rêve (1984), trad. fr., Lyon, Césura, 1993, p. 47.

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supports de projection des objets internes du patient, ou de certains de


leurs aspects.
C’est pourquoi le choix des objets, l’agencement d’un bureau,
d’une salle sont des éléments importants.

Le savoir est mis en suspens

Autre principe de l’observation et de la position cliniques : il est


classique de dire que la position clinique doit suspendre tout savoir.
Chaque fois qu’on a un savoir sur l’autre, on lui fait violence, on ne
l’écoute pas.
Le savoir mis en suspens concerne aussi tout savoir théorique,
tout savoir convenu. Bion (1983), encore, disait que lorsque nous for-
mulons une idée ou que nous élaborons une théorie, nous produisons
simultanément de la matière calcaire, nous nous calcifions. On peut
dire que lorsque les pensées sont systématisées, elles deviennent une
prison plus qu’une force libératrice. C’est pourquoi Bion prônait une
attitude qu’il définissait comme « sans désir et sans mémoire ». Il faut
pouvoir rencontrer chaque fois le patient comme si c’était la première
fois qu’on le voyait, et oublier nos théories, faire taire nos attentes. Les
hypothèses, les théories sur les maladies mentales, sur les déficiences,
sur les troubles, peuvent faire tellement de bruit qu’on ne peut plus
entendre ce que disent le corps et le psychisme du patient.

On peut faire une recherche à partir d’une monographie,


d’une étude de cas

La pratique clinique concerne toujours un sujet ou un ensemble de


sujets (un groupe, une famille, une institution) singulier, et la recherche
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clinique n’implique pas obligatoirement la nécessité d’observer des
cohortes de patients, dans une perspective soumise aux logiques expé-
rimentales et quantitatives. La recherche clinique peut tout à fait se
satisfaire d’une monographie, d’une étude de cas, par exemple. On peut
rappeler que nombre de découvertes fondamentales ont été faites à par-
tir d’une observation unique. Une étude clinique poussée et détaillée est
très instructive. Elle seule permet d’approcher l’intimité des processus
psychiques, de suivre les détails de leur déploiement, de se représenter
et reconstruire l’intérieur des phénomènes subjectifs et intersubjectifs.
L’étude singulière, monographique, par ailleurs, n’empêche pas
d’extraire des caractéristiques et de construire des modèles potentiel-
lement exportables, utiles à d’autres. De plus, l’étude du singulier a
toute sa pertinence épistémologique en ceci qu’elle permet des avan-
cées quant à la compréhension du général dans lequel se distingue
le singulier comme variation. En effet, comme le dit Georges Can-
guilhem (à propos de la biologie – mais on peut appliquer l’énoncé à
toute science) : « Le singulier joue son rôle épistémologique non pas

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en se proposant lui-même pour être généralisé, mais en obligeant à la


critique de la généralité antérieure par rapport à quoi il se singularise.
Le singulier acquiert une valeur scientifique quand il cesse d’être tenu
pour une variété spectaculaire et qu’il accède au statut de variation
exemplaire 6. »
La recherche monographique consiste à passer de la variété spec-
taculaire à la variation exemplaire, et cette démarche a des effets de
généricité heuristique.

Prendre une position d’observation


Si l’observation attentive peut être considérée comme intrinsèque
au positionnement clinique, on peut ajouter que prendre une position
d’observation, de façon déterminée, lorsqu’une situation clinique est
difficile, énigmatique, limite, insupportable, peut améliorer la situation.
Tous les praticiens peuvent faire l’expérience de l’aide que peut
apporter le fait de suspendre la praxis pour observer dans le détail ce
qui se passe. Il est classique, par exemple dans un groupe de super-
vision ou d’analyse de la pratique, que lorsqu’un participant évoque
une situation difficile, insupportable, violente, et qu’on lui propose de
faire une observation précise du sujet, de l’enfant qui le met en diffi-
culté, d’entendre le praticien, lors du regroupement suivant, dire que la
situation s’est curieusement améliorée. C’est en fait le changement de
position du praticien qui a permis l’amélioration.
Utiliser une méthodologie d’observation attentive systématisée ne
fait qu’optimiser ce qu’une position d’observation et d’attention, dans
toute pratique, dans la quotidienneté de toute pratique, peut produire
comme effets bénéfiques.
Il est très rare dans la vie courante qu’on fasse l’expérience d’être
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écouté avec attention. Vivre une situation dans laquelle quelqu’un
s’intéresse authentiquement à sa vie mentale, affective, émotionnelle,
sans préjugé, sans jugement, sans diagnostic, est une expérience d’aide,
donne un appui précieux au narcissisme, au sentiment d’existence, sou-
tient le contact avec sa propre vie émotionnelle. C’est là une véritable
situation de soin psychique.

Intérêts de l’écrit

Je parlais de méthodologie systématisée. Un élément important


dans la méthode, dans le dispositif d’observation clinique est l’écrit, la
notation (qui a lieu de préférence juste après la rencontre clinique) – la
méthode dont je parle s’inspire de la méthode d’observation de bébés
selon Esther Bick et Martha Harris. La notation a plusieurs intérêts.

6. G. Canguilhem, Études d’histoire et de philosophie des sciences (1968), Paris, Vrin, 2002,
p. 219.

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La notation permet évidemment de rassembler les éléments de la


situation, elle réalise un travail de pré-élaboration. Mais on peut dire
aussi, lorsque les observations sont ensuite élaborées dans un groupe
de travail par exemple, ou en supervision, que l’écrit libère la mémoire,
libère la pensée de l’effort de mémoire, et permet ainsi que se déploie
la pensée imaginative, associative, pour ensuite revenir à la situation
observée, dans le détail, et tester en quelque sorte la potentialité créa-
trice de la théorisation ou de l’interprétation.
J’ai évoqué plusieurs fois Bion. Un de ses livres, posthume, s’inti-
tule Pensée sauvage, pensée apprivoisée (1997). Bion montre com-
ment l’activité de pensée suppose d’apprivoiser des pensées sauvages.
Il faut avoir pu suffisamment laisser aller ses pensées sauvages, laisser
se déployer son imagination, pour pouvoir comprendre une situation. Il
faut avoir pu suffisamment jouer avec le matériel observé, il faut avoir
pu suffisamment énoncer les expériences avec ses propres termes,
selon ses propres présupposés, pour pouvoir construire une pensée
cohérente, pertinente, réaliste, scientifique, pour pouvoir coder en
termes théoriques la situation. Bion souligne ainsi la valeur heuristique
de la « spéculation imaginative ». Mais à condition de ne pas en rester
à la spéculation imaginative qui, seule, ne produit pas une pensée réa-
liste, mais ne produit que des projections.
Et c’est pour cela que l’écrit est très important. En effet, si l’écrit
libère la mémoire et rend la pensée disponible à la rêverie et à la
spéculation, l’écrit permet aussi des allers et retours entre la situation
observée et la situation rêvée. Le déploiement associatif, la créativité
imaginative du praticien, du chercheur, ou du groupe au sein duquel
les observations sont élaborées, trouvent leur pertinence dans le retour
possible à l’observation clinique, à la situation observée, de façon
précise, dans le détail, et dans laquelle va s’ancrer, va prendre corps le
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sens potentiel qui émergera et qui sera retenu. Par ces allers et retours,
on peut plus facilement reconstruire la réalité à partir de l’imagination
spéculative, et en « apprivoisant les pensées sauvages ».
Par ailleurs, si le matériel est élaboré groupalement, dans un sémi-
naire de recherche ou de supervision par exemple, on pourra observer
la manière dont les mouvements psychiques du groupe lui-même ren-
seignent sur la situation observée. On peut dire que les mouvements du
groupe de participants, à propos d’une situation relatée, peuvent être
considérés comme des symptômes de la situation observée. Cela est
toujours vrai, dans tout dispositif d’élaboration groupale d’une situa-
tion clinique. Mais là, c’est la particularité de cette méthodologie et
c’est ce que favorise l’écrit, on peut plus facilement revenir à la situa-
tion clinique, revenir à l’observation dans le détail, et élaborer le mou-
vement groupal comme symptôme de la situation clinique observée.
Enfin, l’écrit permet d’avoir une vue spatiale de la rythmicité des
séquences dans une observation, de l’oscillation d’une position à une

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autre (Ciccone, 1998b), ce qui n’est pas possible si l’on n’a qu’une
narration à distance et plus interprétative du matériel.
Un tel dispositif donnant une telle place à l’écrit concerne tout à la
fois les pratiques de recherche et les pratiques de supervision. Il est en
effet très utile d’avoir des observations cliniques écrites dans le travail
de supervision.

L’observation clinique contient des limites, dont on doit tenir


compte

L’observation clinique, enfin, contient des limites dont elle doit


implicitement ou explicitement tenir compte. Signalons les principales
d’entre elles.

Toute observation est toujours une construction

Tout d’abord, toute observation est toujours une construction. On


peut même dire que la perception est déjà une construction : le perçu
n’est pas le réel, percevoir transforme la réalité. Et il en est de même
pour l’observation de la réalité. La méthode clinique adhère ainsi
nécessairement aux épistémologies constructivistes.

L’énoncé d’une observation est toujours déjà en partie


une interprétation

Par ailleurs, si une observation est toujours une construction,


l’énoncé d’une observation est toujours déjà en partie une interpré-
tation. Une observation rigoureuse supposerait de détailler des unités
d’expérience ou de comportement (comme dans les approches étho-
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logiques expérimentales, par exemple) suffisamment précises pour
qu’elles soient libérées d’une interprétation déjà là, et en même temps
suffisamment larges pour que le sens de l’observation, de ce qui doit
être observé, ne soit pas perdu. Il est très difficile de déterminer de
telles unités.
Sans segmenter une séquence en unités qui dénatureraient et cari-
catureraient la situation observée, il est essentiel de garder le souci de la
précision et de la rigueur dans le recueil ou la construction des données,
de toujours décrire les faits avec le moins de connotations interpréta-
tives possible. Mais cela est très difficile.

L’observation opère toujours une sélection

Cette construction, par ailleurs, opère toujours une sélection, l’ex-


périence réelle débordant toujours largement ce que l’observation en
retient. Cette sélection est réalisée en particulier sous l’effet d’éprouvés
contre-transférentiels. Autrement dit, la situation observée, saisie, dont

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il est rendu compte, n’est jamais la situation vécue. Des enregistrements


ne repousseraient pas cette limite : ils sélectionnent aussi (tout ne peut
jamais être filmé sous tous les angles), ils sont eux-mêmes interprétés.

Le dispositif a des effets sur la situation

Le dispositif a des effets sur la situation, on l’a vu. Il transforme


la situation. Il a des effets d’aide, mais aussi de séduction, de violence
potentielle.
Il convient toujours de se demander, en tant que clinicien, si ce que
l’on observe vient de l’autre, ou bien de ce qu’on est en train de lui faire
en le soumettant à notre dispositif.

Le langage est une limite

Le langage, enfin, est aussi une limite. Le langage est limité pour
rendre compte d’une expérience. « Il n’y a pas de langage qui puisse
saisir parfaitement la signification des pensées naissantes qu’il cherche
à capturer », comme le dit Meltzer 7. Le langage est réducteur, il réduit
une situation subjective complexe en une forme verbale, il produit donc
un appauvrissement. Et il y a toujours une aire d’intimité émotionnelle
que rien ne saurait communiquer.
Donald Meltzer dit de l’interprétation, par exemple, qu’elle ne fait
que transformer la diction poétique d’un rêve en une vulgaire prose
psychanalytique. Meltzer d’ailleurs évoque souvent les nécessaires
talents poétiques du psychanalyste s’il veut pouvoir rendre compte des
états émotionnels, notamment archaïques, et considère la pratique psy-
chanalytique comme artistique (1984 ; Meltzer, Williams, 1988) – tout
comme Bion (1974-1977) ou Resnik (1999).
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Conclusion

Toutes ces limites conduisent à souligner encore la modestie dont


doivent faire preuve les pratiques et les recherches cliniques. La posi-
tion clinique est une position modeste. Freud a indiqué à quelques
reprises (1910, 1933) que la psychanalyse n’était pas prédictive, et
Meltzer (Meltzer, Williams, 1988) souligne qu’il s’agit d’une science
descriptive, et non explicative. On peut décrire des processus (les
reconstruire), on peut difficilement expliquer, et on ne peut jamais
prédire. Le clinicien est donc nécessairement dans une position très
modeste.

7. D. Meltzer, Le monde vivant du rêve, op. cit., p. 108.

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Bibliographie

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Bion, W.R. 1983. Séminaires italiens. Bion à Rome, trad. fr., Paris, In Press, 2005.
Bion, W.R. 1997. Pensée sauvage, pensée apprivoisée, trad. fr., Larmor-Plage, Le
Hublot, 1998.
Canguilhem, G. 1968. Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin,
2002.
Ciccone, A. 1998a. L’observation clinique, Paris, Dunod.
Ciccone, A. 1998b. « Observation d’un groupe mères-bébés en service hospitalier de
maternité : maternité et prévention », Revue de psychothérapie psychanalytique
de groupe, n° 29, p. 43-64.
Ciccone, A. 2014. La psychanalyse à l’épreuve du bébé. Fondements de la position
clinique, Paris, Dunod.
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La technique psychanalytique, Paris, Puf, 1985, p. 23-34.
Freud, S. 1933. Nouvelles conférences sur la psychanalyse, trad. fr., Paris, Gallimard,
1981.
Goyena, J.-L. 2002. De l’impasse à la transmission. Approche clinique de la théorie
de la technique, thèse de Doctorat de psychologie, Université Lumière-Lyon 2.
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Heimann, P. 1949. « À propos du contre-transfert », trad. fr., dans Heimann et coll.,
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Meltzer, D. 1984. Le monde vivant du rêve, trad. fr., Lyon, Césura, 1993.
Meltzer, D. ; Harris Williams, M. 1988. L’appréhension de la beauté. Le rôle du
conflit esthétique dans le développement psychique, la violence, l’art, trad. fr.,
Larmor-Plage, Le Hublot, 2000.
Resnik, S. 1984. La mise en scène du rêve, trad. fr., Paris, Payot.
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Resnik, S. 1999. Le temps des glaciations. Voyage dans le monde de la folie,
Toulouse, érès.
Resnik, S. 2005. Culture, fantasme et folie. Rencontre avec Salomon Resnik, proposé
par Pierre Delion, Toulouse, érès.

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