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Albert Ciccone
2014/2 n° 63 | pages 65 à 78
ISSN 0297-1194
ISBN 9782749242057
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-de-psychotherapie-psychanalytique-de-
groupe-2014-2-page-65.htm
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Albert CICCONE 1
La position clinique
Cela suppose que ce qui est neutralisé par le dispositif soit neu-
tralisable, et soit intégré, soit lié dans le fonctionnement psychique du
patient. Par exemple, si on dit : « On s’assoit et on parle », on neutralise
la motricité pour attracter, laisser se déployer la motricité psychique.
Cela suppose que le sujet puisse rester assis et concentré. Autrement,
le dispositif est envahi par ce qu’il cherche à neutraliser et qui n’est
pas analysable, pas traitable dans le dispositif. Et on dira que le patient
n’est pas une bonne indication, qu’il devrait faire autre chose qu’une
psychothérapie. C’est en fait le dispositif qui se trompe, pas le patient.
On peut dire aussi que moins la réalité est neutralisable et plus il est
nécessaire d’« aller vers », d’ouvrir le champ d’observation, de contact.
C’est ce qui se passe dans les situations limites, qui conduisent à éla-
borer des dispositifs d’observation clinique consistant à « aller vers »,
aller au plus près (des patients, des sujets, des situations), comme le
travail ou l’observation à domicile, sur le lieu de vie, etc. (modalités de
travail ou d’observation qui peuvent se réaliser bien entendu aussi dans
des contextes plus ordinaires). Toute la réalité de vie du sujet devient
alors lieu d’émergence et lieu d’exploration des indices de l’émergence
de la réalité psychique. On ne peut pas se contenter d’observer le dis-
cours, les rêves, les associations verbales. Le champ clinique s’élargit
considérablement.
Et c’est ce qui fait que les dispositifs d’observation ont souvent
une valeur préventive en eux-mêmes, voire soignante. Un maître et
ami (Jean-Luc Graber) disait : « Prévenir, c’est venir près 4. » Quand
on s’approche, quand on « vient près », on prévient.
ce n’est pas une vraie séance… Ce qui génère bien sûr de la honte, de
la culpabilité chez le praticien, qui a le sentiment de ne pas faire un
vrai travail. Mais le patient peut apporter ce qu’il veut, le matériel n’a
pas à être prescrit. Quel que soit ce qu’apporte un patient, c’est notre
écoute qui va l’organiser comme matériel, car elle va se centrer sur –
elle va écouter – ce qui parle du sujet. Par exemple, si un patient parle
de la météo, on écoutera en quoi son discours parle de sa climatologie
interne. Un patient qui arrivait à sa séance, en vélo, après avoir affronté
une intense circulation, dit : « Oh là, c’est dangereux de venir chez
vous ! » Il ne parlait pas uniquement de la circulation, il parlait du dan-
ger qu’il y a à s’approcher de son monde interne, de sa subjectivité, de
ses douleurs, de ses fantasmes.
Ainsi, le travail interprétatif, comme le travail de théorisation,
consistera-t-il pour une grande part à métaphoriser le matériel. Ce que
dit ou montre un patient est à entendre comme une métaphore de ses
éprouvés subjectifs, émotionnels de l’instant, et ce que le clinicien,
l’analyste traduira et restituera répondra à la tentative de métaphoriser
ce matériel, ces expressions.
C’est toujours une situation interne actuelle qui est ainsi métapho-
risée. Rappelons par exemple la définition que donne Meltzer du trans-
fert : les phénomènes de transfert consistent en des « extériorisations
du présent immédiat de la situation interne 5 ». Ils ne concernent pas des
reliques du passé, même si ces objets du présent immédiat du monde
interne peuvent, bien sûr, revêtir des qualités infantiles qui connote-
ront l’aspect « passé » de ces éprouvés immédiats. Cette précision est
importante car nombre de patients vivent les interprétations de transfert
comme une défense de l’analyste qui, à trop vouloir écouter le passé
et resituer le matériel dans le passé, n’entend pas ce qui lui est adressé
dans le présent.
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Les objets réels et l’espace sont des lieux de projection des objets
internes et du corps
5. D. Meltzer, Le monde vivant du rêve (1984), trad. fr., Lyon, Césura, 1993, p. 47.
Intérêts de l’écrit
6. G. Canguilhem, Études d’histoire et de philosophie des sciences (1968), Paris, Vrin, 2002,
p. 219.
autre (Ciccone, 1998b), ce qui n’est pas possible si l’on n’a qu’une
narration à distance et plus interprétative du matériel.
Un tel dispositif donnant une telle place à l’écrit concerne tout à la
fois les pratiques de recherche et les pratiques de supervision. Il est en
effet très utile d’avoir des observations cliniques écrites dans le travail
de supervision.
Le langage, enfin, est aussi une limite. Le langage est limité pour
rendre compte d’une expérience. « Il n’y a pas de langage qui puisse
saisir parfaitement la signification des pensées naissantes qu’il cherche
à capturer », comme le dit Meltzer 7. Le langage est réducteur, il réduit
une situation subjective complexe en une forme verbale, il produit donc
un appauvrissement. Et il y a toujours une aire d’intimité émotionnelle
que rien ne saurait communiquer.
Donald Meltzer dit de l’interprétation, par exemple, qu’elle ne fait
que transformer la diction poétique d’un rêve en une vulgaire prose
psychanalytique. Meltzer d’ailleurs évoque souvent les nécessaires
talents poétiques du psychanalyste s’il veut pouvoir rendre compte des
états émotionnels, notamment archaïques, et considère la pratique psy-
chanalytique comme artistique (1984 ; Meltzer, Williams, 1988) – tout
comme Bion (1974-1977) ou Resnik (1999).
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Bibliographie
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Canguilhem, G. 1968. Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin,
2002.
Ciccone, A. 1998a. L’observation clinique, Paris, Dunod.
Ciccone, A. 1998b. « Observation d’un groupe mères-bébés en service hospitalier de
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Goyena, J.-L. 2002. De l’impasse à la transmission. Approche clinique de la théorie
de la technique, thèse de Doctorat de psychologie, Université Lumière-Lyon 2.
Graber, J.-L. 1994. « Le passage en question (entre prévention et soin) », dans
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Heimann, P. 1949. « À propos du contre-transfert », trad. fr., dans Heimann et coll.,
Le contre-transfert, Paris, Navarin, 1987, p. 22-29.
Meltzer, D. 1984. Le monde vivant du rêve, trad. fr., Lyon, Césura, 1993.
Meltzer, D. ; Harris Williams, M. 1988. L’appréhension de la beauté. Le rôle du
conflit esthétique dans le développement psychique, la violence, l’art, trad. fr.,
Larmor-Plage, Le Hublot, 2000.
Resnik, S. 1984. La mise en scène du rêve, trad. fr., Paris, Payot.
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