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Alain Braconnier
2004/7 n° 93 | pages 33 à 41
ISSN 1260-5921
DOI 10.3917/lcp.093.0033
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2004-7-page-33.htm
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peu) un poste d’interne de remplacement en clinique, considérer que les notions sur les- tion de Psychaitre
psychiatrie. Ce premier contact avec la psy- quelles nous travaillons sur le moment se ■ 1956 Qualification de
chiatrie m’a humainement intéressé mais présentent comme inamovibles. Nous Psychiatrie
■ 1957 Installation à Lyon
effrayé en même temps en raison de la bru- devons remettre sans cesse nos hypothèses
■ 1958 Co-fondateur du
talité des traitements d’alors. A la fin de sur le métier et les réévaluer. J’ai donc voulu Groupe Lyonnais de
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premier français ayant été élève direct de lement de tirer sur tous les petits bouts de National de Documentation
Freud et fondateur de la première société fils qui dépassaient des écrits inspirés par le sur les Toxicomanies
■ 1976 Expert auprès du
psychanalytique de Paris). J’ai suivi ses préconscient de Freud et que ce dernier
Conseil de l’Europe
enseignements à Casablanca où il avait créé n’avait pas dévidés plus avant. Je ne me (Toxicomanies)
un institut de psychanalyse. Cela dura envi- considère pas comme un opposant à Freud ■ 1975-1990 Enseignant sous
ron six ans. Puis, je suis revenu en France et mais au contraire comme un chercheur dési- contrat dans différentes
je me suis installé à Lyon, où avec Charles- rant prolonger le développement de cer- Universités étrangères
Henri Nodet, Jacqueline Cosnier et taines de ses intuitions. Souvent assez (Canada, Italie, Espagne,
Portugal, Amérique du Sud)
quelques autres collègues de la région nous géniales, mais jusque-là trop partiellement ■ 1999-2002 Membre de la
avons fondé le groupe lyonnais de psycha- exploitées. Freud avait ses défauts, et il avait Commission de Recherche de
nalyse en 1958. A Lyon, après 68, j’ai été conservé nombre de ses inhibitions primi- l’Association Internationale
sollicité pour enseigner la psychologie cli- tives. Il n’avait pas été vraiment analysé et, de Psychanalyse.
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dans certains registres d’écoute ou de vous verrez que j’ai apporté des complé-
recherche, il ne lui était pas facile d’aller ments fort convaincants sur le rôle joué par
assez loin, faute de pouvoir suffisamment éla- la mère du petit Hans. Des choses que je ne
borer ses propres résistances. Pour ma part, savais pas en 1973. En effet, j’ai pu profiter
des divans d’analystes, j’en ai connu un certain depuis de différentes confidences sur la
nombre et j’ai tenté d’en user largement… pathologie familiale concernant ce patient.
sans me sentir toujours assez satisfait… J’ai croisé “le petit Hans” à un congrès de
psychanalyse d’enfants où il rencontra Anna
Alain Braconnier : Avez-vous fait plu- Freud à Genève. Nous savons que l’homme
sieurs analyses ? plein de talents que le monde artistique a
reconnu n’est pourtant jamais parvenu à
Jean Bergeret : J’ai fait quatre analyses être vraiment heureux. Il n’a pas été éton-
parce que je n’étais jamais pleinement satis- nant de l’avoir vu se montrer assez sévère à
fait des élaborations auxquelles je m’étais l’égard de Freud auquel il reprochait de
arrêté à la fin d’une tranche. Là où je sentais s’être peu soucié de ses authentiques pro-
que mon analyste ne pouvait aller plus loin. blèmes et de l’avoir utilisé pour simplement
Or je pensais qu’il y avait autre chose à tenter d’affermir ses thèses. Le “Petit Hans”
découvrir encore et j’ai commencé, peu à se serait, dit-on à Genève, finalement suicidé.
peu, à comprendre au moins une partie de Comme sa sœur.
ce qui manquait jusque-là dans les connais-
sances utilisées par les psychanalystes du Alain Braconnier : Qu’apportez-vous
XXe siècle. Je l’ai compris davantage encore dans cette recherche, concernant la place de
depuis que je travaille, avec d’autres col- la mère ?
lègues, sur les problèmes affectifs et rela-
tionnels concernant la vie fœtale. Jean Bergeret : La place de la relation à la
mère fût certainement capitale en cette
Alain Braconnier : Vous avez interrogé la affaire. C’était une grande malade que
question de la Névrose et par la même, le Freud avait soigné avant cependant de pous-
Complexe d’Œdipe. Vous avez revisité le ser Max Graf à l’épouser. Cette mère a été
Complexe d’Œdipe à partir du mythe et non très dure avec son fils dont on ne sait pas qui
pas de l’apport de Freud. Vous avez aussi est vraiment le père. J’ai repris l’histoire de
retravaillé le cas du petit Hans, différem- cette mère sous l’angle de la gestation et de
ment que Freud l’avait travaillé. A propos du la relation au fœtus : une de ses grossesses
petit Hans, vous apportez un point de vue évolua d’ailleurs sous la forme monstrueuse
qui est au fond assez méconnu, concernant d’une môle hydatiforme. Et elle a complète-
l’importance de la mère. ment négligé sa seconde enfant, la petite
Anna, au destin tragique.. On n’a pas assez
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Jean Bergeret : C’est la pathologie du nar- Jean Bergeret : La notion d’ “état limite”
cissisme qui m’a amené à réviser cet aspect
a été bien souvent galvaudée. On range par-
de l’œuvre de Freud. J’ai essayé de prolon- fois n’importe quelle situation clinique
ger cette oeuvre. J’attache beaucoup d’inté- compliquée et embarrassante dans la caté-
rêt aux travaux de K. Abraham et de S. gorie des états-limites. Ou bien on confond
Ferenczi mais c’est Robert Fliess qui m’a le
l’état-limite, tel que le conçoivent les
plus éclairé au moment où je me suis lancé
auteurs européens qui s’en sont préoccupés
dans l’étude des états limites. Cet analyste
avec les border-line des auteurs américains.
(fils de Wilhelm Fliess) vivait alors aux J’ai été invité autrefois dans le service
Etats-Unis et il avait été l’élève à la fois de S. d’Otto Kernberg auquel me lie une longue
Ferenczi et de K. Abraham. C’est grâce à amitié. J’ai pu constater que les border-line
Paul-Claude Racamier que j’ai connu son
de Kernberg ne sont pas forcément les états
livre et que j’ai découvert ce qui se passait
limites tels que nous les concevons. Ils
outre-Atlantique dans la recherche sur les
répondent souvent à des modes de structu-
états limites. Il y avait également les travaux rations fort différents. Les border-line du
de A. Stern ou de R. Greenson, mais R. service spécialisé de O. Kernberg, à White
Fliess m’a beaucoup intéressé quand il a Plains, correspondent, de mon point de
décrit la divided line séparant en deux ver-
vue, aux pré-psychotiques que nous rencon-
sants les conséquences des fixations au stade
trons dans nos services hospitaliers dits
anal : avant le premier sous-stade anal s’ori-
“ouverts”. C’est ce qu’on appelle, dans les
gine ce qui n’est pas névrotique, et après le hôpitaux psychiatriques français, des psy-
second sous-stade anal, s’origine ce qui n’est chotiques de structure qui ne sont pas déli-
pas psychotique. J’ai beaucoup travaillé à rants ou très peu, qu’on peut laisser entrer
partir de cette position qui me semble
et sortir, et qui ne sont pas en hospitalisa-
déduite de l’expérience clinique et ne pas
tion longue ni sous contrainte. Ce n’est pas
reposer sur de simples hypothèses.
parce qu’ils ne sont pas délirants qu’ils ne
relèvent pas d’une structure de base de
Alain Braconnier : Dans votre conception modèle psychotique. Tandis que dans les
du narcissisme, vous dites bien qu’il y a plu- états limites, il ne s’agit ni d’une structure
sieurs formes de narcissisme. Mais votre inté- psychotique ni d’une structure névrotique.
rêt est sur l’aspect “défensif ” du narcissisme. Ce sont avant tout des sujets surtout imma-
Ai-je bien compris ? tures, “inconsistants” structurellement.
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Jean Bergeret : La “dépression essentielle”, Alain Braconnier : Y-a t’il un lien entre
je me méfie un peu de cette appellation votre réflexion sur le narcissisme et les états
parce que je ne veux pas me trouver en limites et votre intérêt pour les toxicomanies ?
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Jean Bergeret : Oui, bien sûr, j’étais assez Jean Bergeret : Certains psychanalystes
avancé dans mes travaux sur les dépres- m’ont aidé à comprendre bien des choses
sions, l’adolescence et les états limites pour pouvoir aller plus loin encore. Je ne
quand, à la demande de l’entourage minis- suis ni un grand chercheur, ni un grand
tériel de Simone Weil et Jacques Barrot, inventeur, je suis avant tout un clinicien exi-
nous avons pu, avec quelques collègues, geant. Laborit disait “Vous savez, nous les
créer un institut, le CNDT (Centre National chercheurs, nous ne sommes que des nains
de Documentation sur les Toxicomanies) qui montons sur les épaules des géants qui
qui était basé à l’Université Lyon 2. J’ai aussi sont nos aînés, alors il nous est possible de
été désigné comme expert français à voir plus loin qu’eux”. J’ai trouvé que
Strasbourg auprès du Conseil de l’Europe, c’était une très belle image.
dans la section “Toxicomanies et
Prévention”. Alain Braconnier : Depuis plus de trente
ans, de nombreux professionnels se sont for-
Alain Braconnier : Il y a aussi un autre més, grâce à vos livres, à la psychologie cli-
concept très lié à vos travaux, celui de “vio- nique et à la psychopathologie psychanaly-
lence fondamentale”. Je me suis demandé si ce tique.
concept n’avait pas plus à voir avec la violen-
ce pubertaire qu’avec la violence infantile ? Jean Bergeret : Ce problème n’est pas
simple. Quand j’ai pratiqué autrefois diffé-
Jean Bergeret : Je pense que la “violence rents essais de sensibilisation à une psycho-
fondamentale” est vraiment fondamentale, pathologie plus “ouverte’’ s’adressant à dif-
c’est-à-dire d’ordre pulsionnel inné et d’étage férentes catégories de professionnels (et
narcissique. Il faudrait se référer actuelle- selon le modèle des “groupes Balint” entre
ment aux travaux fort inducteurs de Michel autres) il y avait une partie des participants
Soulé qui s’était appuyé en partie sur les qui, en fin ou en cours de sessions, se diri-
miens, dans son étude de 1999, parue dans geait vers une analyse (et pas forcément
la revue Psychiatrie de l’enfant. Puis il a d’ailleurs pour devenir analystes, mais
repris ses recherches avec Marie-José d’abord pour se sentir plus à l’aise dans leur
Soubieux en 2003. Ils ont bien insisté sur le vie personnelle et professionnelle). Une
fait qu’il existait une violence vraiment ini- autre partie fuyait le groupe de formation
tiale et naturelle entre le fœtus et la mère et, par peur d’aller trop loin. Une autre partie
à plus forte raison après, entre le bébé et la encore demandait qu’on leur propose seule-
mère. ment une “méthode standard et magique”,
si possible peu exigeante, avec laquelle ils
Alain Braconnier : Votre dernier ouvrage pourraient opérer sans risque pour réduire
porte justement sur le fœtus, la relation du les angoisses de leurs patients (et les leurs
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Alain Braconnier : Si j’ai bien compris Alain Braconnier : Vous avez évoqué
vous avez deux méthodes de recherche : celle aussi la question de la séduction, en y appor-
de partir de la clinique puis celle de chercher tant toute une critique des travaux de Freud.
chez les psychanalystes qui ont travaillé un Pouvez-vous résumer ici votre point de vue à
sujet où leur préconscient les a arrêtés. ce propos ?
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Jean Bergeret : Freud a senti tout de suite, d’articulation de la sexualité sur l’attache-
et pour des raisons personnelles (parce que ment qui était le point de départ principal
c’était un grand “frustré narcissique”) que la de leurs enquêtes. Je tiens tellement à l’écou-
séduction narcissique était “fondamentale”, te de la psychogenèse la plus précoce que je
mais il a qualifié celle-ci de “sexuelle” parce ne pouvais rester insensible aux inductions
qu’il mettait défensivement en avant, par nouvelles proposées en particulier par J.
besoin de dénégation, sa théorie de la Bowlby ou M. Ainsworth. Mais j’ai tenu,
sexualité. Puis il s’est aperçu que cette pour ma part à demeurer le plus possible
supercherie ne marchait pas. Alors, plutôt fidèle à la terminologie et à la conceptuali-
que de reconnaître deux formes de séduc- sation psychanalytique, quitte à montrer
tions : l’une sexuelle et l’autre narcissique, il qu’on avait intérêt à en élargir le champ.
a “jeté l’enfant avec l’eau du bain”, en disant
“Je renie cette théorie, elle est idiote”. Ce Alain Braconnier : Est-ce que la théorie
n’était pas vrai. Les deux formes de séduc- de l’attachement vous a apporté quelque
tions étaient authentiques. De même que ses chose ou rien du tout ?
trois théories successives des pulsions sont
toutes les trois valables. Des choix sont sou- Jean Bergeret : Certainement pas rien.
vent difficiles parce qu’on ne peut pas faire Sans aucun doute. A partir de la lecture des
co-exister facilement des notions qui ne se écrits de J. Bowlby et M. Main sur les fac-
situent pas au même niveau. teurs trangénérationnels j’ai cru pressentir
chez ces auteurs tout l’intérêt qu’il pouvait y
Alain Braconnier : Actuellement, il y a avoir à se préoccuper de problèmes c o n c e r-
une théorie de la séduction que Jean nant la période la plus précoce de la vie rela-
Laplanche a particulièrement mise en valeur tionnelle. J’ai pensé qu’il y avait des gens qui
et qui parle aux cliniciens. On pourrait peut- avaient le même souci de recherche que moi,
être lui prêter le terme de “fondamental”. en prenant des voies un peu différentes.
Jean Bergeret : Sur ce point, comme sur Alain Braconnier : Vous connaissez bien
beaucoup d’autres, je me sens effectivement l’Ecole Hongroise, J. Bowlby, entre autres,
très proche de J. Laplanche. ne vous ont-ils pas apporté quelque chose
par rapport à votre démarche ?
Alain Braconnier : Ceci veut-il dire que
pour vous, sa théorie de la séduction généra- Jean Bergeret : Oui sûrement. Le pré-
lisée, c’est une séduction fondamentale ? conscient qui guide nos soucis d’investiga-
tion se façonne aussi à partir de tout ce
Jean Bergeret : Oui, il existe une séduc- qu’il entend, de tout ce qu’il ressent. Je
tion primitive narcissique tout à fait univer- pense que l’école de J. Bowlby regroupe des
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OUVRAGES PRINCIPAUX :
Bergeret, J. et coll. (1972). Abrégé de psycho -
logie Pathologique, 9ème édition, revue et
crrigée 2004, Paris, Masson.
Bergeret, J. (1974). La personnalité normale