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ENTRETIEN AVEC JEAN BERGERET

Alain Braconnier

Le Carnet PSY | « Le Carnet PSY »

2004/7 n° 93 | pages 33 à 41
ISSN 1260-5921
DOI 10.3917/lcp.093.0033
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nique à l’Université Lyon 2. J’ai engagé peu
après la rédaction de ma deuxième thèse
d’Etat (de Sciences Humaines celle-ci) à
Nanterre sous la direction de Didier Anzieu.
Elle a été publiée sous le titre La
Personnalité normale et pathologique. Je
suis ainsi passé de la pédiatrie à la psycha-
nalyse puis, par la suite, à la psychiatrie et,
de la psychiatrie à la psychologie clinique,
tout en demeurant, bien sûr authentique-
ment psychanalyste. Un tel parcours est
peut-être assez inhabituel, mais il me parais-
sait pourtant assez logique et de nature à
m’assurer d’utiles reculs et une certaine
indépendance d’esprit.

Alain Braconnier : Vous avez, comme


tous les principaux psychanalystes de votre
Alain Braconnier : Vous avez, me semble- génération, revisité l’œuvre de Freud et vous
t-il, une double filiation professionnelle : y avez apporté votre expérience personnelle.
une filiation “médicale”, avec une forma- En vous lisant, la théorie du développement
tion en pédiatrie et une filiation “psychana- freudien paraît un axe important de votre
lytique”. Quels ont été plus précisément travail, ce qu’on appelle la psychogenèse.
votre parcours et vos ancrages ? Vous avez remis très fortement en question
des points importants de la psychogenèse de
■ 1923 Naissance à Oullins.
Jean Bergeret : Au cours de la dernière Freud. ■ 1948 Thèse de Médecine à
guerre, les internes des hôpitaux de Saint- Lyon
Etienne avaient été en grande partie mobi- Jean Bergeret : Oui et non. Je suis pro- ■ 1948-1957 Exercice au
lisés. Bien que je ne fus alors qu’au com- fondément attaché aux principes de base de Maroc
■ 1950 Adhésion à l’Institut
mencement de ma formation médicale, on la psychanalyse. Cependant, je pense qu’on
de Psychanalyse de Rabat
m’a demandé de bien vouloir assurer (pour ne peut pas, si on a, à la fois, un souci scien- (dirigé par Louis Laforgue)
un provisoire qui a dû se prolonger quelque tifique de recherche et un esprit pratique de ■ 1953 Reprise de la forma-

peu) un poste d’interne de remplacement en clinique, considérer que les notions sur les- tion de Psychaitre
psychiatrie. Ce premier contact avec la psy- quelles nous travaillons sur le moment se ■ 1956 Qualification de
chiatrie m’a humainement intéressé mais présentent comme inamovibles. Nous Psychiatrie
■ 1957 Installation à Lyon
effrayé en même temps en raison de la bru- devons remettre sans cesse nos hypothèses
■ 1958 Co-fondateur du
talité des traitements d’alors. A la fin de sur le métier et les réévaluer. J’ai donc voulu Groupe Lyonnais de
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cette expérience, quelque peu imposée, je réévaluer certaines positions freudiennes. Je Psychanalyse (SPP)
me suis juré de ne plus faire de psychiatrie n’ai pas cherché à contredire les principales ■ 1973 Thèse d’Etat de
de ma vie. Je me suis tourné, à l’issue de mes données freudiennes de départ, je me suis Sciences Humaines sous la
études médicales, vers la pédiatrie, et je suis employé au contraire à voir où elles direction de D. Anzieu.
■ 1974 Maître de Confé-
parti au Maroc. C’est au Maroc où il venait s’étaient arrêtées dans leurs conséquences,
rences puis Professeur à
de se fixer, que j’ai rencontré un psychana- et comment on pouvait les prolonger sans l’Université Lyon 2
lyste, alors très célèbre, René Laforgue (le détruire ce qui était acquis. En essayant seu- ■ 1975 Fondation du Centre

premier français ayant été élève direct de lement de tirer sur tous les petits bouts de National de Documentation
Freud et fondateur de la première société fils qui dépassaient des écrits inspirés par le sur les Toxicomanies
■ 1976 Expert auprès du
psychanalytique de Paris). J’ai suivi ses préconscient de Freud et que ce dernier
Conseil de l’Europe
enseignements à Casablanca où il avait créé n’avait pas dévidés plus avant. Je ne me (Toxicomanies)
un institut de psychanalyse. Cela dura envi- considère pas comme un opposant à Freud ■ 1975-1990 Enseignant sous

ron six ans. Puis, je suis revenu en France et mais au contraire comme un chercheur dési- contrat dans différentes
je me suis installé à Lyon, où avec Charles- rant prolonger le développement de cer- Universités étrangères
Henri Nodet, Jacqueline Cosnier et taines de ses intuitions. Souvent assez (Canada, Italie, Espagne,
Portugal, Amérique du Sud)
quelques autres collègues de la région nous géniales, mais jusque-là trop partiellement ■ 1999-2002 Membre de la
avons fondé le groupe lyonnais de psycha- exploitées. Freud avait ses défauts, et il avait Commission de Recherche de
nalyse en 1958. A Lyon, après 68, j’ai été conservé nombre de ses inhibitions primi- l’Association Internationale
sollicité pour enseigner la psychologie cli- tives. Il n’avait pas été vraiment analysé et, de Psychanalyse.
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dans certains registres d’écoute ou de vous verrez que j’ai apporté des complé-
recherche, il ne lui était pas facile d’aller ments fort convaincants sur le rôle joué par
assez loin, faute de pouvoir suffisamment éla- la mère du petit Hans. Des choses que je ne
borer ses propres résistances. Pour ma part, savais pas en 1973. En effet, j’ai pu profiter
des divans d’analystes, j’en ai connu un certain depuis de différentes confidences sur la
nombre et j’ai tenté d’en user largement… pathologie familiale concernant ce patient.
sans me sentir toujours assez satisfait… J’ai croisé “le petit Hans” à un congrès de
psychanalyse d’enfants où il rencontra Anna
Alain Braconnier : Avez-vous fait plu- Freud à Genève. Nous savons que l’homme
sieurs analyses ? plein de talents que le monde artistique a
reconnu n’est pourtant jamais parvenu à
Jean Bergeret : J’ai fait quatre analyses être vraiment heureux. Il n’a pas été éton-
parce que je n’étais jamais pleinement satis- nant de l’avoir vu se montrer assez sévère à
fait des élaborations auxquelles je m’étais l’égard de Freud auquel il reprochait de
arrêté à la fin d’une tranche. Là où je sentais s’être peu soucié de ses authentiques pro-
que mon analyste ne pouvait aller plus loin. blèmes et de l’avoir utilisé pour simplement
Or je pensais qu’il y avait autre chose à tenter d’affermir ses thèses. Le “Petit Hans”
découvrir encore et j’ai commencé, peu à se serait, dit-on à Genève, finalement suicidé.
peu, à comprendre au moins une partie de Comme sa sœur.
ce qui manquait jusque-là dans les connais-
sances utilisées par les psychanalystes du Alain Braconnier : Qu’apportez-vous
XXe siècle. Je l’ai compris davantage encore dans cette recherche, concernant la place de
depuis que je travaille, avec d’autres col- la mère ?
lègues, sur les problèmes affectifs et rela-
tionnels concernant la vie fœtale. Jean Bergeret : La place de la relation à la
mère fût certainement capitale en cette
Alain Braconnier : Vous avez interrogé la affaire. C’était une grande malade que
question de la Névrose et par la même, le Freud avait soigné avant cependant de pous-
Complexe d’Œdipe. Vous avez revisité le ser Max Graf à l’épouser. Cette mère a été
Complexe d’Œdipe à partir du mythe et non très dure avec son fils dont on ne sait pas qui
pas de l’apport de Freud. Vous avez aussi est vraiment le père. J’ai repris l’histoire de
retravaillé le cas du petit Hans, différem- cette mère sous l’angle de la gestation et de
ment que Freud l’avait travaillé. A propos du la relation au fœtus : une de ses grossesses
petit Hans, vous apportez un point de vue évolua d’ailleurs sous la forme monstrueuse
qui est au fond assez méconnu, concernant d’une môle hydatiforme. Et elle a complète-
l’importance de la mère. ment négligé sa seconde enfant, la petite
Anna, au destin tragique.. On n’a pas assez
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Jean Bergeret : Parmi mes ouvrages les creusé la réalité du cas du petit Hans. Je me
plus anciens, celui qui a nécessité le plus suis servi, dans ma recherche, des mémoires
long et le plus délicat travail, porte sur le cas de Herbert Graf (le petit Hans) publiées au
du ‘’Petit Hans’’. J’ai fait une recherche New York Opera, des témoignages de per-
considérable sur les problèmes posés par le sonnes de Genève qui l’avaient connu et
texte de Freud et les aléas de la vie de son aussi des souvenirs qui avaient été écrits par
patient. Or c’est pourtant le seul de mes son père (1942). C’est en prenant connais-
ouvrages qui se soit relativement peu vendu sance de la réalité des faits (y compris les
en librairie. Devons-nous penser que, défen- conditions de l’ “analyse” de l’enfant) que je
sivement, les psychanalystes ne sont pas me suis trouvé moi-même assez sévère à
assez sûrs d’eux-mêmes pour accepter de l’égard de Freud car je montre que Freud
remonter en deçà du seuil de la naissance et savait très bien tout ce que j’ai découvert et
pour reconnaître que le fameux ‘’traumatis- qu’il ne l’a pas dit en voulant avant tout jus-
me’’ originel n’est pas seulement de nature tifier ce qu’il voulait enseigner, c’est à dire le
prégénitale mais qu’il concerne aussi la monopole de la sexualité et du modèle œdi-
période prénatale. Si vous lisez le chapitre pien dans toute psychogenèse. Si bien que,
consacré au petit Hans que j’ai intégré dans beaucoup plus tard, en 1936, dans
le récent ouvrage rédigé avec Marcel Inhibitions, symptôme et angoisse, on
Houser (Le Fœtus dans notre inconscient’) retrouve un aveu que les psychanalystes ne
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remarquent sans doute pas assez : Freud on parle de fœtus et non plus d’embryon,
estimait peut-être qu’il y avait ‘’prescrip- ceci n’est plus seulement de mon ressort. Le
tion’’ maintenant car il se permet alors de dialogue avec d’autres spécialistes s’impose,
dévoiler que le cas du petit Hans était un cas chacun conservant par contre sa spécificité.
plus compliqué que ce qu’il avait jusque-là
révélé. Le petit Hans aurait, en réalité, dit Alain Braconnier : Qu’est-ce qui serait
Freud, été jaloux d’un domestique de la inscrit ?
maison, proche de la mère. Nous savons
qu’il s’agissait du cocher (“l’homme au che- Jean Berg e ret : Certaines souffrances
val”, d’où le choix de la phobie) qui venait contemporaines de la vie fœtale seraient ins-
dans la chambre de sa mère, chambre dont crites très précocement dans le registre psy-
il se sentait éjecté. Et Freud parle même choaffectif. Il s’agirait de traces soit d’une
d’une angoisse de mort vécue par l’enfant. maltraitance soit d’une carence affective
S’il était le fruit d’un adultère, y aurait-il eu grave d’origine maternelle et souvent aussi
très tôt menace d’avortement ? Ce qui nous paternelle, voire environnementale, surve-
renvoie à un possible traumatisme fœtal. nues dès la vie fœtale. Et nous travaillons
J’ai commencé cette étude dans le livre Le actuellement sur les problèmes posés par
Petit Hans et la réalité à partir du stade du l’existence d’une forme particulière de
“bébé” et maintenant je l’ai reprise à partir “mémoire” s’originant à la période fœtale.
du stade du “fœtus”. Ce cas est assez
typique. Hans était probablement un border Alain Braconnier : Est-ce le fait d’avoir
line du modèle décrit par O. Kernberg, c’est revisité le prégénital freudien qui vous a
à dire un prépsychotique. Je considère, en amené à vous pencher tout particulièrement
tant que clinicien, qu’on ne peut pas traiter sur la question du narcissisme ou l’inverse ?
un psychotique, ou même un prépsycho-
tique, en faisant abstraction de sa vie fœtale. Jean Bergeret : J’ai travaillé de 1950 à
Ce n’est pas possible. Pour un état-limite 1970 selon les données que l’on m’avait
“vrai”, on ne peut se contenter, à la rigueur, apprises dans les “écoles de psychanalyse”
de la référence au développement prégénital réputées comme les plus recommandables.
tel que l’a proposé K. Abraham. Pour un Mais, à la longue, je ne pouvais plus sup-
névrotique, on le sait, il paraît possible de porter cette compulsion simplificatrice et
se contenter de l’élaboration des aléas de stérile dans la répétition de l’exclusivité
l’œdipe. Mais nos cures se déroulent encore œdipienne des conflits rencontrés. A partir
mieux, et parfois beaucoup plus vite, quand de 1970, j’ai commencé à écrire et à préci-
on s’est donné le temps d’explorer les aléas, ser mes idées. Je me suis dit : “on peut tout
toujours compliqués, de la vie fœtale d’un de même aller plus avant dans l’écoute des
patient. Même quand il s’agit d’un dépressif psychogenèses perturbées”. J’ai alors ré-
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et même s’il s’agit d’un névrotique. interrogé Freud à la lumière de mes insatis-
factions. Mis à part le lot évident de struc-
Alain Braconnier : Qu’est-ce qu’il y aurait tures psychotiques plus ou moins décom-
chez le psychotique qui fait qu’on ne pourr a i t pensées, mes autres patients me paraissaient
pas faire abstraction de la vie fœtale ? en effet, pour la plupart, de moins en moins
comme des névrotiques et de plus en plus
Jean Bergeret : Dans une telle structure, comme des dépressifs auxquels on essayait
les marques d’un traumatisme psychique d’inculquer de force l’idée qu’ils souffraient
ou/et de carences affectives graves se sont d’un complexe d’Œdipe trop gravement
incrustées très tôt, dans le fondamental du conflictualisé. Ce n’est certainement pas
fondamental. Je ne suis pas sectaire ni com- faux, dans le cas du névrosé, mais ce n’est
plètement irréaliste, je reste un clinicien, je pas le cœur de la souffrance rencontrée chez
ne dis donc pas que les facteurs affectifs et la plupart des déprimés et aussi, bien sûr,
relationnels concernant le fœtus soient les chez les psychotiques...
seuls facteurs éventuellement en jeu dans la
constitution d’une structure psychotique. Il Alain Braconnier : Votre clinique vous a-
y en a forcément d’autres. Et certains qui ne t-elle amené à remettre en question les stades
sont pas de mon domaine. De même que freudiens prégénitaux ou à vous dire que
quand on me demande, à partir de quand Freud n’a pas suffisamment mis en valeur,
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alors que d’autres l’avaient déjà fait Alain Braconnier : Où en êtes-vous
(Abraham, Ferenczi, etc…), la question du aujourd’hui sur votre conception des états
Narcissisme ? limites ?

Jean Bergeret : C’est la pathologie du nar- Jean Bergeret : La notion d’ “état limite”
cissisme qui m’a amené à réviser cet aspect
a été bien souvent galvaudée. On range par-
de l’œuvre de Freud. J’ai essayé de prolon- fois n’importe quelle situation clinique
ger cette oeuvre. J’attache beaucoup d’inté- compliquée et embarrassante dans la caté-
rêt aux travaux de K. Abraham et de S. gorie des états-limites. Ou bien on confond
Ferenczi mais c’est Robert Fliess qui m’a le
l’état-limite, tel que le conçoivent les
plus éclairé au moment où je me suis lancé
auteurs européens qui s’en sont préoccupés
dans l’étude des états limites. Cet analyste
avec les border-line des auteurs américains.
(fils de Wilhelm Fliess) vivait alors aux J’ai été invité autrefois dans le service
Etats-Unis et il avait été l’élève à la fois de S. d’Otto Kernberg auquel me lie une longue
Ferenczi et de K. Abraham. C’est grâce à amitié. J’ai pu constater que les border-line
Paul-Claude Racamier que j’ai connu son
de Kernberg ne sont pas forcément les états
livre et que j’ai découvert ce qui se passait
limites tels que nous les concevons. Ils
outre-Atlantique dans la recherche sur les
répondent souvent à des modes de structu-
états limites. Il y avait également les travaux rations fort différents. Les border-line du
de A. Stern ou de R. Greenson, mais R. service spécialisé de O. Kernberg, à White
Fliess m’a beaucoup intéressé quand il a Plains, correspondent, de mon point de
décrit la divided line séparant en deux ver-
vue, aux pré-psychotiques que nous rencon-
sants les conséquences des fixations au stade
trons dans nos services hospitaliers dits
anal : avant le premier sous-stade anal s’ori-
“ouverts”. C’est ce qu’on appelle, dans les
gine ce qui n’est pas névrotique, et après le hôpitaux psychiatriques français, des psy-
second sous-stade anal, s’origine ce qui n’est chotiques de structure qui ne sont pas déli-
pas psychotique. J’ai beaucoup travaillé à rants ou très peu, qu’on peut laisser entrer
partir de cette position qui me semble
et sortir, et qui ne sont pas en hospitalisa-
déduite de l’expérience clinique et ne pas
tion longue ni sous contrainte. Ce n’est pas
reposer sur de simples hypothèses.
parce qu’ils ne sont pas délirants qu’ils ne
relèvent pas d’une structure de base de
Alain Braconnier : Dans votre conception modèle psychotique. Tandis que dans les
du narcissisme, vous dites bien qu’il y a plu- états limites, il ne s’agit ni d’une structure
sieurs formes de narcissisme. Mais votre inté- psychotique ni d’une structure névrotique.
rêt est sur l’aspect “défensif ” du narcissisme. Ce sont avant tout des sujets surtout imma-
Ai-je bien compris ? tures, “inconsistants” structurellement.
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Jean Bergeret : Mon intérêt porte sur l’as- Alain Braconnier : Pourriez-vous aller
pect “ structurant ” du narcissisme, et j’étais plus loin ?
en cela d’accord avec Serge Lebovici et Bela
Grunberger. Puis j’ai reçu plus tard l’impor- Jean Bergeret : Les états-limites ne se sont
tant renfort des travaux de H. Kohut. pas vraiment structurés, ce sont des sortes
Quand le narcissisme n’est pas assez struc- d’adolescents prolongés qui n’ont pas fini
turant, pas assez solide, le sujet a recours à leur crise d’adolescence donc leur évolution
des moyens défensifs de nature prégénitale. vers une structure assez ferme et assez fixe.
Notamment dans le domaine de la violence. Ils en sont restés à la problématique narcis-
Comme en pathologie, on rencontre le nar- sique et provisoire de construction d’un Soi
cissisme sous son aspect défensif, je suis bien en fin de compte pas assez solide encore
obligé de rappeler que, sous sa forme la plus pour qu’il y ait passage au stade du “moi”,
normale et la plus légitime, le narcissisme donc au stade de l’objectalité et de l’oedipe.
devrait être avant tout considéré comme
potentiellement structurant et indispensable Alain Braconnier : Est-ce que vous seriez
pour permettre d’accéder sans trop de diffi- prêt à dire que les états limites ont d’abord
cultés à l’objectalité et à l’œdipe. et avant tout une pathologie du Moi ?
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Jean Bergeret : Non, pas tout à fait. Il ne conflit avec Pierre Marty alors que j’ai tou-
s’agit pas vraiment d’une pathologie du jours été d’accord par ailleurs avec ses prin-
Moi, parce que, chez l’état-limite, le Moi cipales positions. Pour ne pas être confondu
n’existe pas encore comme suffisamment avec ceux qui ont pris la notion d’ “essen-
formé, en tant qu’instance valable et effi- tiel’’ dans un sens différent, le terme
ciente structurellement. Le passage du Soi “dépression narcissique”, définit bien le cré-
au Moi s’effectue avec difficulté. En fran- neau dans lequel j’ai situé mes travaux.
çais, nous avons été gênés par les libertés
prises par Marie Bonaparte qui a traduit le Alain Braconnier : Il y a un adjectif que
Ich (pronom allemand utilisé uniquement vous utilisez volontiers qui est le terme
au nominatif) par “Moi” (pronom français “fondamental”. Vous dites même : topique
assez ambigu car il peut se concevoir tout fondamentale, dynamique fondamentale,
autant comme employé au nominatif qu’à économique fondamentale. Pourquoi cette
l’accusatif ou au datif). Le sens du terme référence au “fondamental” ?
“Moi” varie donc beaucoup. Ce sens peut
aller du “Je’’ au “Soi”. Du fait de l’exten- Jean Bergeret : Je considère que la secon-
sion malencontreuse apportée par l’usage de topique (Ça-Moi-Surmoi) est une
du terme “Moi”, M. Bonaparte nous a ainsi topique “essentielle”, (comme l’œdipe et la
empêché de reconnaître l’individualité du castration sont “essentiels”), mais pas “fon-
“Soi”. Cela s’avère très gênant, car on esca- damentale”. C’est-à-dire qu’un individu ne
mote ainsi le rôle très important joué par le peut fonctionner en sujet mature donc
Soi en tant qu’instance narcissique intermé- objectal (“l’essentiel” à atteindre) que si le
diaire entre le Ça et le Moi. La notion de “fondamental” narcissique a précédemment
“Soi” semble incontournable. Et actuelle- bien rempli son rôle structurant. Je suis
ment Mauro Mancia, à Milan, se penche sur d’accord avec tous mes collègues analystes
la façon dont on passe du Ça au Soi. Il a fait pour parler avec le plus grand sérieux de
des travaux extrêmement pertinents à ce l’Œdipe et de ses aléas, mais beaucoup
propos. oublient par contre trop souvent de prendre
en compte l’étage narcissique du point de
Alain Braconnier : Votre second grand vue structurant tout autant que conflictuel.
apport psychopathologique est votre concep- L’évolution affective et relationnelle doit
tion psychanalytique de la dépression. Vous passer logiquement, tout d’abord, du ça au
montrez bien que Freud n’avait pas beau- soi (étape narcissique) puis du soi au moi
coup élaboré sur la dépression. Où en êtes- (étape objectale et œdipienne). L’étape nar-
vous sur ce sujet ? cissique de toute psychogenèse ne peut se
voir négligée.
Jean Bergeret : L’expression “la” dépres-
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sion, je la considère comme assez ambiguë. Alain Braconnier : Donc “fondamental”,
On devrait dire, je crois, “les” dépressions c’est au sens “fondement”. En fait, c’est un
au pluriel. Il y a trois formes de dépression : qualificatif, vous parlez de thérapeutique
la dépression névrotique (cela existe), la “fondamentale” également, etc…
dépression psychotique (on la connaît) et
puis il y a une autre dépression : la dépres- Jean Bergeret : Il s’agit là d’étudier la thé-
sion que l’on voit le plus souvent dans nos rapeutique qui s’adresse au fondement de la
consultations et dans nos cures, c’est-à-dire personnalité. Cela rejoint votre première
la dépression narcissique et anaclitique des question sur la psychogenèse. La psycho-
états limites. genèse, quand je suis arrivé à la S.P.P., ne
constituait pas pas une préoccupation pre-
Alain Braconnier : On parle de “dépressi- mière dans les élaborations proposées au
vité”, de “dépression essentielle” et de cours d’une cure. C’était la métapsycholo-
“ d é p ression fondamentale”. Utilisez-vous gie qui prévalait. Ce qui ne semble pas
ces adjectifs différents ? satisfaisant.

Jean Bergeret : La “dépression essentielle”, Alain Braconnier : Y-a t’il un lien entre
je me méfie un peu de cette appellation votre réflexion sur le narcissisme et les états
parce que je ne veux pas me trouver en limites et votre intérêt pour les toxicomanies ?
38
Jean Bergeret : Oui, bien sûr, j’étais assez Jean Bergeret : Certains psychanalystes
avancé dans mes travaux sur les dépres- m’ont aidé à comprendre bien des choses
sions, l’adolescence et les états limites pour pouvoir aller plus loin encore. Je ne
quand, à la demande de l’entourage minis- suis ni un grand chercheur, ni un grand
tériel de Simone Weil et Jacques Barrot, inventeur, je suis avant tout un clinicien exi-
nous avons pu, avec quelques collègues, geant. Laborit disait “Vous savez, nous les
créer un institut, le CNDT (Centre National chercheurs, nous ne sommes que des nains
de Documentation sur les Toxicomanies) qui montons sur les épaules des géants qui
qui était basé à l’Université Lyon 2. J’ai aussi sont nos aînés, alors il nous est possible de
été désigné comme expert français à voir plus loin qu’eux”. J’ai trouvé que
Strasbourg auprès du Conseil de l’Europe, c’était une très belle image.
dans la section “Toxicomanies et
Prévention”. Alain Braconnier : Depuis plus de trente
ans, de nombreux professionnels se sont for-
Alain Braconnier : Il y a aussi un autre més, grâce à vos livres, à la psychologie cli-
concept très lié à vos travaux, celui de “vio- nique et à la psychopathologie psychanaly-
lence fondamentale”. Je me suis demandé si ce tique.
concept n’avait pas plus à voir avec la violen-
ce pubertaire qu’avec la violence infantile ? Jean Bergeret : Ce problème n’est pas
simple. Quand j’ai pratiqué autrefois diffé-
Jean Bergeret : Je pense que la “violence rents essais de sensibilisation à une psycho-
fondamentale” est vraiment fondamentale, pathologie plus “ouverte’’ s’adressant à dif-
c’est-à-dire d’ordre pulsionnel inné et d’étage férentes catégories de professionnels (et
narcissique. Il faudrait se référer actuelle- selon le modèle des “groupes Balint” entre
ment aux travaux fort inducteurs de Michel autres) il y avait une partie des participants
Soulé qui s’était appuyé en partie sur les qui, en fin ou en cours de sessions, se diri-
miens, dans son étude de 1999, parue dans geait vers une analyse (et pas forcément
la revue Psychiatrie de l’enfant. Puis il a d’ailleurs pour devenir analystes, mais
repris ses recherches avec Marie-José d’abord pour se sentir plus à l’aise dans leur
Soubieux en 2003. Ils ont bien insisté sur le vie personnelle et professionnelle). Une
fait qu’il existait une violence vraiment ini- autre partie fuyait le groupe de formation
tiale et naturelle entre le fœtus et la mère et, par peur d’aller trop loin. Une autre partie
à plus forte raison après, entre le bébé et la encore demandait qu’on leur propose seule-
mère. ment une “méthode standard et magique”,
si possible peu exigeante, avec laquelle ils
Alain Braconnier : Votre dernier ouvrage pourraient opérer sans risque pour réduire
porte justement sur le fœtus, la relation du les angoisses de leurs patients (et les leurs
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fœtus avec sa mère. On retrouve le pédiatre que propres). D’autres entendaient simplement
vous êtes. Il y a quand même un problème : tirer le meilleur parti des réflexions propo-
vous êtes là dans une dyade, vous n’êtes plus sées ; c’était ceux qui posaient d’ailleurs les
dans une monade, un sujet avec lui-même. questions les plus nombreuses et les plus
pertinentes. On retrouve ici un modèle de
fonctionnement à peu près général dans
Jean Bergeret : Ce qui paraît surtout
tout groupe de formation assez exigeants au
important et parfois assez mal connu (et M.
registre psychologique. Quant aux lecteurs
Soulé insiste sur ce point) c’est la relation
de mes ouvrages, il est difficile de connaître
primitive fœtus / placenta / membrane utéri-
leurs réactions, mais je crois que celles-ci
ne, qui constitue une dyade. Assez particu-
sont identiques aux réactions constatées
lière celle-ci.
dans les groupes.

Alain Braconnier : Si j’ai bien compris Alain Braconnier : Vous avez évoqué
vous avez deux méthodes de recherche : celle aussi la question de la séduction, en y appor-
de partir de la clinique puis celle de chercher tant toute une critique des travaux de Freud.
chez les psychanalystes qui ont travaillé un Pouvez-vous résumer ici votre point de vue à
sujet où leur préconscient les a arrêtés. ce propos ?
39

Jean Bergeret : Freud a senti tout de suite, d’articulation de la sexualité sur l’attache-
et pour des raisons personnelles (parce que ment qui était le point de départ principal
c’était un grand “frustré narcissique”) que la de leurs enquêtes. Je tiens tellement à l’écou-
séduction narcissique était “fondamentale”, te de la psychogenèse la plus précoce que je
mais il a qualifié celle-ci de “sexuelle” parce ne pouvais rester insensible aux inductions
qu’il mettait défensivement en avant, par nouvelles proposées en particulier par J.
besoin de dénégation, sa théorie de la Bowlby ou M. Ainsworth. Mais j’ai tenu,
sexualité. Puis il s’est aperçu que cette pour ma part à demeurer le plus possible
supercherie ne marchait pas. Alors, plutôt fidèle à la terminologie et à la conceptuali-
que de reconnaître deux formes de séduc- sation psychanalytique, quitte à montrer
tions : l’une sexuelle et l’autre narcissique, il qu’on avait intérêt à en élargir le champ.
a “jeté l’enfant avec l’eau du bain”, en disant
“Je renie cette théorie, elle est idiote”. Ce Alain Braconnier : Est-ce que la théorie
n’était pas vrai. Les deux formes de séduc- de l’attachement vous a apporté quelque
tions étaient authentiques. De même que ses chose ou rien du tout ?
trois théories successives des pulsions sont
toutes les trois valables. Des choix sont sou- Jean Bergeret : Certainement pas rien.
vent difficiles parce qu’on ne peut pas faire Sans aucun doute. A partir de la lecture des
co-exister facilement des notions qui ne se écrits de J. Bowlby et M. Main sur les fac-
situent pas au même niveau. teurs trangénérationnels j’ai cru pressentir
chez ces auteurs tout l’intérêt qu’il pouvait y
Alain Braconnier : Actuellement, il y a avoir à se préoccuper de problèmes c o n c e r-
une théorie de la séduction que Jean nant la période la plus précoce de la vie rela-
Laplanche a particulièrement mise en valeur tionnelle. J’ai pensé qu’il y avait des gens qui
et qui parle aux cliniciens. On pourrait peut- avaient le même souci de recherche que moi,
être lui prêter le terme de “fondamental”. en prenant des voies un peu différentes.

Jean Bergeret : Sur ce point, comme sur Alain Braconnier : Vous connaissez bien
beaucoup d’autres, je me sens effectivement l’Ecole Hongroise, J. Bowlby, entre autres,
très proche de J. Laplanche. ne vous ont-ils pas apporté quelque chose
par rapport à votre démarche ?
Alain Braconnier : Ceci veut-il dire que
pour vous, sa théorie de la séduction généra- Jean Bergeret : Oui sûrement. Le pré-
lisée, c’est une séduction fondamentale ? conscient qui guide nos soucis d’investiga-
tion se façonne aussi à partir de tout ce
Jean Bergeret : Oui, il existe une séduc- qu’il entend, de tout ce qu’il ressent. Je
tion primitive narcissique tout à fait univer- pense que l’école de J. Bowlby regroupe des
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selle. J. Laplanche n’a peut-être pas gens qui ont apporté des précisions intéres-
employé les mêmes termes que moi, mais ce santes et peut-être que pour un certain
n’est pas le plus important. nombre de nos collègues, ces auteurs ont été
plus faciles à écouter à une certaine époque,
Alain Braconnier : A propos de la psy- que mon propre discours. C’est possible.
chogenèse, il y a aujourd’hui une autre Les apports de J. Bowlby et son école tout
approche renvoyant aux travaux sur l’atta- comme ceux de R. Spitz autrefois, ont cer-
chement. Vous avez sûrement lu et parcouru tainement éveillé mon préconscient en
le livre sur “Attachement et sexualité infanti- direction de mes recherches actuelles. Je
le”. Sur cette question de l’articulation entre crois que les recherches actuelles de nos
la théorie de l’attachement et celle de sexua- équipes, portant sur la vie fœtale (et demain
lité infantile, quel serait votre point de vue ? sans doute la vie embryonnaire) d’un point
de vue psychoaffectif et relationnel (et non
Jean Bergeret : Je me sens assez proche du pas biologique ou éthique) par rapport à
but visé par de tels travaux dans la mesure l’environnement maternel, paternel et fami-
où ils ont sorti la recherche psychogéné- lial, vont logiquement intégrer les théories
tique de l’exclusivité du champ de l’oedipe de l’attachement, en en faisant remonter
et de la sexualité. Ces auteurs se sont finale- l’efficience jusqu’à des étapes très précoces
ment penchés sur l’étude des conditions de la psychogenèse.
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Alain Braconnier : Les connaissances lègues redoutent à travers ceux qui se pré-
apportées actuellement par les neurosciences sentent parfois comme ses élèves. On sait
vous amèneraient-elles à élaborer, à théoriser qu’il s’était d’ailleurs souvent opposé à un
différemment, ou est-ce qu’au fond il y a dans certain nombre d’entre eux. J. Lacan avait
la psychanalyse un corpus d’élaboration et de un préconscient très exigeant qui, de temps
théorisation qui a sa propre cohérence, qui n’a en temps, débouchait dans son conscient,
pas besoin d’apports extérieurs ? sans aucune modération. Sur sa probléma-
tique “du désir, du besoin et du manque”, je
Jean Bergeret : Un psychanalyste ne peut me suis appuyé sans cesse. Par ailleurs j’ai
se refermer sur ses seuls acquis personnels. toujours remarqué sa rigueur dans ses pro-
Il se doit de discuter avec d’autres, que ce position de traduction du Ich freudien ( le
soient des fondamentalistes ou bien “Je” et non le “Moi”). Le problème du
d’autres, et essayer de voir comment on “miroir” m’a paru un point de discussion
peut faire avancer utilement, dans le dia- sans doute plus compliqué que Lacan ne
logue, nos propres conceptions. Mais pour l’exprimait. Mais je crois que sa pensée pro-
travailler ensemble, il faut être au moins fonde allait parfois un peu plus loin. En
deux. Et pour se trouver vraiment à deux, il effet il y a aussi le miroir sur lequel on
est nécessaire que chacun des deux interlo- souffle pour voir si on est toujours vivant et
cuteurs conserve son identité propre dans ce n’est pas la même chose que la simple
les échanges. Je me suis trouvé sans cesse en image de “l’autre” en écho. Lacan n’a peut-
évolution mais pas en changement de cadre. être pas assez fait remarquer toute l’impor-
Freud travaillait en s’appuyant sur l’état tance de la distinction. On peut dire que
d’avancement des sciences de son temps. nombre de ses questionnements sont diffi-
Mais il ne faisait vraiment avancer ses ciles à ignorer ou à éluder. Ce n’est pas
conceptions théoriques qu’en demeurant parce que c’est un auteur souvent peu aisé à
(ce qui n’a malheureusement pas été le cas lire qu’il n’aurait rien à nous dire.
de sa troisième hypothèse concernant la
“pulsion de mort”) sur son propre terrain. Alain Braconnier : Et la pulsion de mort,
Non pas en se mettant à la place du repré- vous ne l’avez pas reprise ?
sentant d’une autre discipline. Il est certain
qu’il nous faut continuer à opérer ainsi. J’ai Jean Bergeret : C’est surtout une notion
toujours essayé d’intégrer ce que j’avais dont je n’ai pu accepter la valeur authenti-
acquis, en plus, sur tel ou tel point dans les quement métapsychologique, pour un psy-
chanalyste. J’ai donc cherché, plus qu’à la
échanges avec d’autres. Ceci me conduisait
nier, à en percer le sens profond qu’avait
à envisager des hypothèses nouvelles que
voulu lui donner Freud. J’ai toujours insisté
j’ai essayé ensuite soit d’étayer, soit de
modifier, parfois d’abandonner, mais tou- sur les changements assez radicaux de défi-
nitions mises en avant, et à des époques suc-
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jours de réévaluer inlassablement avec le
souci de les confronter avec d’autres cessives, pour tenter coûte que coûte de
trouver un antagoniste synchronique à
conceptions. Le point le plus important
opposer à sa pulsion chérie (à juste titre) la
pour moi a été de remettre en question la
libido sexuelle. Alors qu’il avait parfaite-
façon trop définitive et parfois trop simplis-
te dont on lisait depuis si longtemps l’œuvre ment découvert que cette opposition était
de Freud. Les questions que nous posent les d’ordre diachronique (dans la succession
neurosciences, comme les positions philoso- épigénétique) avec la libido narcissique. J’ai
écrit un article qui s’intitule Un Instinct qui
phiques ou sociologiques nouvellement
n’en finit pas de mourir. J’y ai rappelé que
exprimées n’ont pu qu’encourager mes
Freud avait dit, au sujet de la pulsion de
mises en débat de certaines conceptions de
la psychanalyse sans doute trop convention- mort, trois choses différentes, tour à tour,
nelles ou trop sommaires. mais à des moments distincts. Il a d’abord
dit : la pulsion de mort, c’est la compulsion
Alain Braconnier : Comment vous êtes de répétition, je le comprends : la compul-
vous situé par rapport à Lacan ? sion de répétition, c’est certes “mortifère”,
mais ce n’est pas forcément la mort. C’est
Jean Bergeret : J. Lacan n’est certaine- surtout l’enfermement dans l’éternel recom-
ment pas le démon que tant de nos col- mencement. La compulsion (Zwang) n’est
41
pas une pulsion (Trieb). Puis, Freud a dit et pathologique. Paris, Dunod.
que la pulsion de mort c’était l’absence de Bergeret, J. (1975). La dépression et les états-
liaison : je suis également d’accord sur l’im- limites, Paris, Dunod.
portance d’une telle notion, mais l’absence Bergeret, J. et coll., (1980). Le psychanalyste
à l’écoute du toximane, Paris, Dunod.
de liaison, ce n’est pas la mort, c’est simple-
Bergeret, J. (1982). Toxicomanie et
ment ne pas se servir du principe de vie. La Personnalité, Paris, PUF.
troisième version proposée, c’est le nirvana, Bergeret, J., (1983). Précis des toxicomanies,
etc., Alors là, tout comme d’autres col- Paris, Masson.
lègues, quand il s’agit de parler de philoso- Bergeret, J. (1984). La violence fondamenta -
phie, je ne suis plus individuellement com- le, Paris, Dunod.
pétent. Je suis certes favorable à un dialogue Bergeret, J. et coll., (1986). Narcissisme et
états-limites, Paris, Dunod.
avec d’autres spécialistes, mais
Bergeret, J. (1987). Les interroga -
pas à une confusion des problé- tions du psychanalyste. Paris,
matiques en prenant à notre PUF.
compte les données d’une disci- Bergeret, J. (1987). Le petit Hans
pline avec laquelle, nous psy- et la réalité. Paris, Payot.
chanalystes, il nous faut dialo- Bergeret, J. (1990). Le toxicoma -
guer sans faire comme si c’était ne parmi les autres. Paris, Odile
la nôtre. Dans cette dernière Jacob.
Bergeret, J. (1994). La violence et
attitude, Freud ne cherche plus, dans son
la vie. Paris, Payot.
écrit de 1920, à se faire une conception psy- Bergeret, J. (1995). Freud, la violence et la
chanalytique de sa prétendue pulsion de dépression, Paris, PUF.
mort, il s’en défausse et “refile l’enfant” aux Bergeret, J. et coll., (1996). La pathologie
philosophes. Ce qui ne me semble pas scien- narcissique, Paris, Dunod.
tifiquement valable. Autrement dit, pour Bergeret, J. et coll., (1999). L’érotisme nar -
moi, la pulsion de mort n’existe pas psycha- cissique, Paris, Dunod.
nalytiquement parlant. Bergeret, J. (1974). La personnalité normale
et pathologique. Paris, Dunod.
Je reste fixé à une problématique et à une Bergeret, J. et Houser M., (2001). La sexua -
méthodologie authentiquement psychanaly- lité infantile et se mythes, Paris, Dunod.
Bergeret, J. et Houser M., (2004). Le foetus
tiques. En ceci, j’entends demeurer dans la
dans notre inconscient, Paris, Dunod.
ligne de pensée inaugurée par Freud. En
cherchant sans doute à prolonger la portée
des découvertes que lui suggérait son excep-
tionnel préconscient. Quand il voulait l’écou-
ter et non s’en protéger, comme est tenté de
le faire, c’est évident, chacun d’entre nous.
Vous pouvez me considérer comme un “néo-
© Le Carnet PSY | Téléchargé le 29/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.235.132.51)

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freudien”, si vous voulez, mais je pense que la
psychanalyse n’a pas encore dit son dernier
mot. Elle doit sans cesse se réévaluer à la
lumière des connaissances apportées par les
autres sciences humaines contemporaines
avec lesquelles nous avons avantage à demeu-
rer en dialogue, les sciences dites ‘’fonda-
mentales’’ tout autant que la philosophie.
Mais ce n’est pas, de mon point de vue, en
changeant de problématique ou de méthodo-
logie que la psychanalyse pourra continuer à
avancer au registre théorique tout autant
qu’au niveau de la clinique.■

OUVRAGES PRINCIPAUX :
Bergeret, J. et coll. (1972). Abrégé de psycho -
logie Pathologique, 9ème édition, revue et
crrigée 2004, Paris, Masson.
Bergeret, J. (1974). La personnalité normale

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