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Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme

médical
Derek Bolton, Traduction de l'anglais de Julia Tinland, révisée par Élodie Giroux,
Juliette Ferry-Danini
Dans Archives de Philosophie 2020/4 (Tome 83), pages 13 à 40
Éditions Centre Sèvres
ISSN 0003-9632
DOI 10.3917/aphi.834.0013
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DOSSIER

Le modèle biopsychosocial
et le nouvel humanisme médical
Derek Bolton
King’s College, Londres

1. Le modèle biopsychosocial d’Engel


George Engel a présenté son nouveau modèle biopsychosocial comme un
perfectionnement du modèle biomédical dominant dans une série d’articles
publiés à la fin des années 1970 (Engel 1977, 1978, 1980). Dans son orientation
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générale, le modèle biomédical de la santé et de la maladie, en se concentrant
uniquement sur les processus biologiques, omet de considérer les processus
psychologiques et sociaux. Le nouveau modèle serait, lui, capable d’en tenir
compte. Il est important de signaler qu’Engel se concentre sur le modèle bio-
médical et non pas sur le modèle médical ou sur la médecine en tant que tels
– ou alors dans ce cas, seulement en ce qu’ils adoptent le modèle biomédical.
Engel considère que le modèle biomédical est « aujourd’hui le modèle de la
maladie dominant » (1997, p. 130) et il liste certains aspects du soin que ce mo-
dèle néglige (1977, p. 131-135). Ces aspects peuvent être récapitulés de la façon
suivante : la personne qui souffre d’une maladie ; son expérience de la maladie
et le récit qu’elle en fait ; son attitude par rapport à celle-ci ; le fait que cette per-
sonne, ou d’autres, estiment qu’il s’agit ou non d’une maladie ; le soin apporté
au patient en tant que personne ; dans le cas de troubles comme la schizophré-
nie ou le diabète, les conditions de vie au moment du déclenchement et au
cours de l’évolution de la maladie ; enfin, le système de santé lui-même, qui ne
peut pas non plus être conceptualisé en termes purement biomédicaux mais
implique plutôt des facteurs sociaux tels que la professionnalisation. Selon
Engel, un élargissement de l’approche biomédicale – un nouveau modèle
biopsychosocial – est nécessaire afin de prendre en compte tous ces facteurs
qui « contribuent à la maladie comme au fait d’être patient » (1977, p. 133). 13

Archives de Philosophie 83-4, 2020, 13-40


Derek Bolton

Pour illustrer sa nouvelle approche biopsychosociale, Engel utilise des


cas cliniques d’infarctus du myocarde : en vue d’améliorer les pratiques de
soin, il serait important de prendre en compte les pensées et les sentiments
du patient ainsi que son contexte social au moment de l’infarctus et durant
l’hospitalisation qui s’ensuit, en interaction avec la prise en compte des
symptômes et la gestion de l’urgence de la situation (Engel, 1980). Engel pro-
pose alors une caractérisation théorique approfondie du modèle biomédical
(1977, p. 130) :

Aujourd’hui le modèle de maladie dominant est un modèle biomédical qui


repose sur la biologie moléculaire. Ce modèle part du principe qu’il est pos-
sible de rendre entièrement compte d’une maladie en termes d’écarts de va-
riables biologiques (somatiques) mesurables par rapport à la norme. Son cadre
ne laisse aucune place aux dimensions sociales, psychologiques et comporte-
mentales de la maladie […] Ainsi, le modèle biomédical adhère au réduction-
nisme – c’est-à-dire à la vision philosophique selon laquelle les phénomènes
complexes dérivent finalement d’un seul principe primaire – ainsi qu’au dua-
lisme corps-esprit, la doctrine qui sépare le mental du somatique. Le principe
élémentaire du réductionnisme est donc physicaliste ; c’est-à-dire qu’il sup-
pose que le langage de la chimie et de la physique sera amplement suffisant
pour expliquer les phénomènes biologiques.

Engel définit ainsi les lacunes du modèle biomédical et propose un nou-


veau modèle biopsychosocial dont l’une des caractéristiques est d’y remédier.
Mais qu’apporte réellement – concrètement – ce modèle biopsychosocial qu’il
propose ? À ce stade, Engel s’inspire des perspectives alors toutes nouvelles
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de la théorie des systèmes et en particulier de la Théorie générale des systèmes
de Ludwig von Bertalanffy (1968). Proposées à l’origine pour la biologie, ces
nouvelles perspectives sur les systèmes ont également été adaptées aux sys-
tèmes psychologiques et sociaux, qui sont alors organisés en hiérarchie de
niveaux de complexité allant des cellules jusqu’aux sociétés, souvent illus-
trées par des diagrammes. Engel fait partie de ceux qui ont très rapidement
reconnu la pertinence de cette approche pour les questions relatives à la san-
té, à la maladie et aux soins, avec Alan Sheldon (1970), Ervin Laszlo (1972) et
Howard Brody (1973). Quarante ans plus tard, le modèle biopsychosocial est
largement utilisé dans les milieux cliniques et dans l’enseignement en santé
dans le monde entier.

2. Qu’est-ce que l’humanisme dans le domaine


de la santé ? Une caractérisation fonctionnelle
Engel est l’une des nombreuses voix, au sein des professions de santé
comme en dehors, qui ont critiqué la médecine pour sa perspective trop res-
14 trictive et qui ont donc proposé des approches plus larges ou complémen-
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

taires. Si certains de ces auteurs se positionnent sous la bannière de « l’hu-


manisme médical », ce dossier se concentre spécifiquement sur les nouvelles
expressions de cette tradition, comme l’explique l’introduction des direc-
trices du numéro. De telles approches sont nombreuses et variées, parfois
très différentes, chacune comprenant des sous-types distincts, et leurs divers
auteurs sont plus ou moins prêts à accepter l’étiquette d’« humanisme ».
L’objectif étant ici de discuter de la pertinence du modèle biopsychosocial,
je vais utiliser la caractérisation fonctionnelle de « l’humanisme médical »
ci-dessous :
Critique : La perspective adoptée par la médecine est trop restrictive en se
focalisant sur le corps, sur les maladies du corps, sur la technologie permet-
tant de détecter et de manipuler les maladies somatiques. La médecine néglige
donc d’autres aspects liés au fait d’être humain : l’esprit et les processus psy-
chologiques, y compris les croyances, les sentiments et les valeurs, le contexte
social et les relations, l’identité et la personne, la subjectivité et l’expérience
intérieure et subjective de la maladie. En conséquence de cette focalisation
exclusive sur la maladie somatique, une personne, dès lors qu’elle est aussi
patiente, fait l’expérience d’une forme de négligence, du fait d’être ignorée,
peu écoutée, privée de sympathie et d’un traitement humain et compatissant.
Remède : la médecine et le soin en général devraient élargir leur horizon –
d’une façon qui reste encore à définir – afin d’inclure ces aspects négligés, se
concentrant davantage sur le patient envisagé dans sa globalité et améliorant
ainsi la qualité des soins cliniques.
Pour une caractérisation de l’humanisme médical globalement en phase
avec ce qui vient d’être présenté, voir Marcum (2013) et Ferry-Danini (2018),
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ainsi que l’introduction à ce dossier.

3. La perspective de l’humanisme médical


sur « la personne comme totalité » selon Engel
La critique du modèle biomédical d’Engel et sa proposition construc-
tive d’un modèle biopsychosocial, comme présentées dans la première sec-
tion, sont directement pertinentes vis-à-vis des questions soulevées par la
caractérisation fonctionnelle de l’humanisme médical exposée ci-dessus.
L’argument majeur avancé par Engel est justement que les soins médicaux,
dominés par l’approche biomédicale, se focalisent de façon trop restrictive
sur le seul corps biologique. C’est ce qui le pousse à recommander l’élargis-
sement de ce modèle – c’est-à-dire l’intégration d’aspects psychologiques,
de la personne dotée d’un esprit et d’un corps, la reconnaissance qu’un être
biopsychosocial ne peut être qu’ancré dans des contextes sociaux et que la
personne ou la personne en tant que patiente est un être qu’il faut considé-
rer dans sa globalité biopsychosociale – permettant ainsi d’améliorer les pra-
tiques soignantes. Cette orientation générale du travail d’Engel sur le modèle 15
Derek Bolton

biopsychosocial en a fait une référence incontournable pour la plupart des


approches humanistes en médecine, si ce n’est pour toutes. Cela étant dit,
dans leur construction plus détaillée, les propositions d’Engel divergent si-
gnificativement de certains aspects de l’humanisme médical.

4. Engel entérine les méthodes scientifiques


et résiste au « dogme humaniste »
Selon Engel, être formé au sein du modèle biomédical pourrait provo-
quer des lacunes importantes au niveau de la pratique clinique. Le modèle
biomédical se concentrerait trop exclusivement sur le corps et les maladies
du corps, et négligerait la réalité psychologique du patient en tant que per-
sonne. Adopter le nouveau modèle biopsychosocial, plus inclusif, pourrait
y remédier. Il expose plus particulièrement son point de vue sur ces questions
dans son article de 1978 sur l’éducation en santé, que j’examinerai plus tard
(section 7.1). On le verra, et comme on peut s’y attendre, la plupart des ré-
flexions d’Engel sont en adéquation avec les critiques les plus courantes que
l’on retrouve au sein des approches humanistes en médecine.
Cela dit, et c’est l’objectif de cette section que de le souligner, Engel re-
jette aussi de façon explicite les approches qu’il qualifie tantôt de médecine
« romantique », « holiste » ou « humaniste », les caractérisant comme s’écar-
tant de la science, comme non-scientifiques, et insistant plutôt sur l’approche
scientifique du modèle biopsychosocial. Quelques citations sur cette théma-
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tique sont proposées ci-dessous.
En référence à l’insatisfaction du public quant à la qualité des soins hos-
pitaliers, Engel lance une polémique à l’encontre d’une nostalgie roman-
tique pour les soins du passé, jugés alors humains et compassionnels, et d’un
retour vers « l’art médical perdu » (1978, p. 170-171) :

Fondamentalement, la réponse apportée par les responsables pédagogiques


aux États-Unis fut d’un romantisme curieusement régressif […] Il est selon eux
nécessaire, afin d’échapper à l’influence dite déshumanisante de “la science”
et afin d’acquérir les compétences et la sensibilité humaines caractérisant
l’humble clinicien d’antan, d’exposer bien plus tôt les étudiants aux soignants
chargés de s’occuper des patients. La nécessité de développer chez eux les prin-
cipes scientifiques et d’adapter la méthode scientifique à la dimension hu-
maine de la médecine est, elle, laissée de côté. L’image ainsi naïvement évoquée
nous montre la compétence scientifique du médecin d’aujourd’hui mâtinée
de chaleur, de compassion et du bon sens légendaires du gentil médecin de
famille d’autrefois. Malheureusement, cette notion est aussi erronée qu’elle est
dépourvue de logique. Il n’y a en fait aucune source historique qui nous per-
mette d’affirmer que les pratiques des générations passées de médecins étaient
davantage teintées de compassion et de souci de l’autre que celles des méde-
16 cins d’aujourd’hui. À chaque époque, qu’il s’agisse des années 1970, 1920, 1880
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

ou 1850, on trouve des médecins de la génération précédente loués pour leur


humanité alors que les médecins d’aujourd’hui sont accusés d’insensibilité et
d’incompétence dans leurs relations personnelles avec les patients, ainsi que de
zèle excessif dans leur application des mesures thérapeutiques alors en vogue.
On déplore toujours que le médecin “moderne” ait perdu de son humanité et
qu’il soit devenu trop mécanique ou trop scientifique dans son approche.

Tout au long de son article publié en 1978, Engel part du principe et af-
firme que le modèle biopsychosocial est scientifique, au même titre que le
modèle biomédical, mais que sa portée est plus large. Dans une veine simi-
laire, dans un article publié plus tard sur les applications cliniques de son
modèle, Engel fait la critique des analyses qu’il estime dogmatiques et non
scientifiques des problèmes auxquels la médecine et le soin seraient confron-
tés et de la façon dont on pourrait y remédier (1980, p. 543) :

Le modèle biopsychosocial est un modèle scientifique. Il en était de même


pour le modèle biomédical. Mais comme Fabrega […] l’a souligné, il s’est
transformé en modèle populaire ; il est même devenu le modèle populaire do-
minant du monde occidental. En cela, il constitue désormais un dogme. La
marque d’un modèle scientifique est qu’il propose un cadre au sein duquel la
méthode scientifique peut être appliquée. La valeur d’un modèle scientifique
n’est pas mesurée à l’aune de sa véracité ou de sa fausseté, mais à celle de son
utilité. On le modifie ou on le rejette quand il ne permet plus de générer ni de
tester de nouvelles connaissances. Au contraire, les dogmes maintiennent leur
influence au travers de l’autorité et de la tradition. Ils résistent au changement
et, à cause de cela, ont tendance à favoriser l’opposition et la promulgation de
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dogmes rivaux par des personnalités dissidentes. Les dogmes avancés actuel-
lement en opposition au dogme biomédical sont ceux de la médecine “holis-
tique” et “humaniste”. On peut les qualifier de dogmes dans la mesure où ils
se dispensent de la méthode scientifique et s’appuient plutôt sur la foi et sur
des systèmes de croyance hérités de figures d’autorité lointaines et obscures
ou charismatiques. Ils ont tendance à mettre en opposition science et huma-
nisme. Mais comme l’histoire du modèle biomédical lui-même le démontre,
les progrès ne sont possibles que là où la méthode scientifique est appliquée.
Le modèle biomédical n’a triomphé que dans les domaines au sein desquels il
a fourni un cadre adéquat aux études scientifiques. Le modèle biopsychosocial
étend ce cadre à des domaines jusque-là négligés.

Engel s’oppose ici à l’idée que ce qui manque à la biomédecine peut, ou


devrait être, comblé par un modèle non scientifique. Il précise que par « modèle
scientifique » il entend « un cadre au sein duquel la méthode scientifique peut être
appliquée ». Je n’interprète pas les affirmations d’Engel comme une forme de
positivisme, soutenant que les sciences peuvent tout nous dire ou que tout ce
qui a de l’intérêt peut être déterminé par la science. L’argument d’Engel est
plus spécifique et avance que les modèles de la santé, de la maladie et des soins
utilisés dans l’enseignement et la pratique et dont le but est d’améliorer les
pratiques soignantes, doivent pouvoir être soumis à l’examen scientifique. Un 17
Derek Bolton

tel point de vue est cohérent avec le fait que la santé est une question pratique,
dont les conséquences, escomptées ou non, sont elles aussi pratiques, ainsi
qu’avec l’idée que ces pratiques sont soumises à évaluation et à amélioration.
Engel a insisté sur la scientificité du modèle biopsychosocial, comparable
à la scientificité du modèle biomédical, mais avec une portée plus large, dans
des publications dans de nombreux programmes de recherche en santé. La
prochaine section est dédiée à l’un de ces programmes : la littérature épidé-
miologique sur les déterminants sociaux de la santé et les facteurs psychoso-
ciaux dans la gestion des conditions chroniques. Avoir une connaissance so-
lide de cette littérature, en plus des connaissances biomédicales pertinentes,
serait déjà un moyen d’améliorer les pratiques soignantes, à un niveau indi-
viduel comme populationnel. De plus, la qualité des soins hospitaliers serait
aussi enrichie par l’acquisition de compétences pratiques, professionnelles
et interpersonnelles, pouvant être renforcées par la recherche scientifique au
sens large. Je donnerai, dans la section 7, quelques exemples de méthodes
utilisées pour améliorer les pratiques soignantes conformément à une telle
approche : l’acquisition de compétences communicationnelles, plus particu-
lièrement lorsqu’il s’agit de s’occuper d’événements extrêmement stressants
ou bouleversants ; une meilleure compréhension de l’expérience de la per-
sonne en tant que patient grâce à des questions appropriées et une écoute
attentive ; et une méthodologie fondée sur des études de cas, appliquées à la
dégradation institutionnelle des soins compassionnels.
Il est possible d’illustrer par un autre exemple l’utilisation de méthodes
scientifiques en santé, au sens large, sur des questions qui à première vue
peuvent sembler non scientifiques. Les valeurs et priorités de la personne qu’est
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le patient font partie de ce qui doit être compris et pris en compte à son sujet.
Engel ne parle pas tellement, voire pas du tout, des implications éthiques de
son modèle, mais Howard Brody s’attèle à les considérer dans l’article cité pré-
cédemment sur l’approche systémique appliquée aux êtres humains (Brody,
1973). Brody y discute l’importance des valeurs et des intérêts des patients –
entremêlés de leurs croyances et désirs –, de leurs effets sur le comportement
et de la façon dont ils peuvent être utilisés par les soignants dans leurs pra-
tiques (Brody, 1973, p. 86-87). On est souvent confronté à de telles questions
en psychothérapie et dans le soin plus généralement. Ce sont des questions qui
peuvent faire l’objet d’études empiriques, dans la recherche en psychothérapie
notamment, ainsi que dans ce que l’on appelle « l’éthique descriptive ».

5. Mise au jour de la science et de la philosophie


du modèle biopsychosocial
En dépit de sa popularité, le modèle biopsychosocial a fait l’objet de cri-
tiques de plus en plus nombreuses et radicales. Il est accusé d’être vague, vide
18 de tout contenu, dépourvu d’utilité clinique et de n’être pas un modèle scien-
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

tifique ni un modèle philosophique cohérent (e.g. McManus, 2005 ; Ghaemi,


2009, 2010 ; Kendler, 2010). Ces critiques sont légitimes en ce qui concerne
les publications originales d’Engel, dont le contenu repose sur la théorie gé-
nérale des systèmes. Bien que cette théorie ait été avant-gardiste à l’époque,
elle est maintenant, presque un demi-siècle plus tard, nécessairement un peu
datée. Néanmoins, une lecture plus utile et plus rigoureuse des développe-
ments historiques récents montre en quoi l’approche générale des systèmes
était programmatique, et en quoi, durant ces cinquante dernières années, elle a
évolué vers – et même anticipé – des programmes de recherche dans diverses
« sciences des systèmes » allant des sciences de la vie jusqu’aux sciences hu-
maines et au-delà. Pour des exemples, voir Stribos (2010), qui définit la nou-
velle approche ainsi (op. cit., p. 454) :

La science des systèmes peut être définie comme l’exploration et la théorisa-


tion scientifiques des systèmes dans divers domaines scientifiques, tels que la
biologie, la sociologie, l’économie, etc. alors que la théorie générale des sys-
tèmes concerne des principes qui s’appliquent à tous ces domaines.

Selon cette nouvelle science, les systèmes sont compris comme essen-
tiellement dynamiques et interactionnels et c’est pourquoi le nouveau pa-
radigme implique généralement l’interdisciplinarité. L’émergence du para-
digme de la théorie des systèmes est donc en lien avec l’accent qui est mis
aujourd’hui sur la recherche interdisciplinaire, de plus en plus encouragée
par les organismes de financement de la recherche. Par exemple, la stratégie
récente du conseil pour la recherche interdisciplinaire en santé mentale du
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Royaume-Uni (UK Research Councils) fut présentée de la façon suivante (UK
Research Councils, 2017, p. 1) :

Les conseils de recherche […] ont un intérêt collectif pour la recherche en


santé mentale se basant sur des perspectives médicales, biologiques, envi-
ronnementales, culturelles, sociétales, techniques et historiques. Nous avons
travaillé ensemble pour développer un programme de recherche interdiscipli-
naire et pour articuler des opportunités de travail interdisciplinaire.

Si l’on se concentre sur les sciences de la santé, il y a eu, au cours des der-
nières décennies, une accumulation de preuves que la santé, l’étiologie et le
pronostic des maladies dépendent de dimensions multifactorielles psycholo-
giques, sociales et biologiques. Le modèle « biopsychosocial » était apparem-
ment prêt à les intégrer. Néanmoins, il reste à conceptualiser et à théoriser la
causalité dans chacun des domaines en question, et plus particulièrement les
interactions causales qui peuvent exister entre eux. L’ontologie et la théorie de
la causalité sont difficiles en tant que telles mais elles sont singulièrement pro-
blématiques en raison de longues traditions scientifiques et philosophiques
qui déterminent que la physique et la chimie sont fondamentales, que la bio-
logie mêle physique et chimie, que la causalité mentale est mystérieuse et la 19
Derek Bolton

causalité sociale inconcevable. Engel admet clairement que le modèle biomé-


dical, à son époque, présuppose effectivement une forme de physicalisme, de
dualisme et de réductionnisme ainsi qu’une vision de la biologie comme rele-
vant de la physique et de la chimie (Engel, 1977, p. 130, cité dans la section 1).
Engel considère alors que la théorie générale des systèmes est un paradigme
nouveau, destiné à remplacer ces vieux présupposés et qui fournit les bases du
modèle biopsychosocial de la santé et de la maladie.
Près d’un quart de siècle après qu’Engel a proposé ce modèle, les sciences
de la santé ainsi que la philosophie sont bien sûr passées à autre chose. C’est
avec cela en tête que Grant Gillett et moi avons co-écrit un ouvrage (2019) qui
a pour objectif de mettre à jour le modèle biopsychosocial d’Engel, en prenant
en compte certains de ses développements les plus pertinents. Nous définis-
sons le biologique, le psychologique et le social pour qu’ils soient compréhen-
sibles, avec leurs interactions, dans un cadre scientifique unifié. Nous remar-
quons que, depuis le milieu du xxe siècle, la biologie et la biomédecine sont
devenues une combinaison délicate de deux types de science : d’abord, la phy-
sique et la chimie des transferts d’énergie, qui suivent des lois fixes gouvernées
par des équations inviolables, comme pour la matière inanimée ; s’y ajoute
aussi une nouvelle science des mécanismes de régulation systémique fondée sur
l’information dont le fonctionnement est généralement spécifique à chaque
système, et qui peut, dans un contraste saisissant avec les équations énergé-
tiques physico-chimiques, être mise en échec. En un mot, la biologie est deve-
nue bien plus que de la physique et de la chimie : nous y trouvons de l’ontolo-
gie et des principes causaux fondés sur les concepts théoriques des systèmes,
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c’est-à-dire le système, la forme, la fonction, l’information/communication, l’orga-
nisation, la régulation et l’erreur. Le point central que nous soulignons ensuite
est que ces mêmes concepts et principes s’appliquent à la psychologie et aux
sciences sociales, ce qui ouvre la possibilité d’un langage commun reliant ces
domaines scientifiques autrefois contestés et isolés.
Ce qui pèse le plus directement sur la relation entre le modèle biopsy-
chosocial et l’humanisme médical, ce sont les aspects psychologiques et so-
ciaux. Nous suggérons que la fonction psychologique centrale – au service
de laquelle sont toutes les autres fonctions – est la puissance d’agir ou l’agen-
tivité. Nous entendons cela au sens large en partant du sens psychologique
de l’agentivité jusqu’à l’action pratique. Nous brouillons la frontière entre
le psychologique et le social en faisant usage du terme de reconnaissance,
encore une fois compris au sens large, en partant de la reconnaissance in-
terpersonnelle de la puissance d’agir de chacun et des états mentaux qui y
sont associés, jusqu’à la reconnaissance sociopolitique. Selon la perspective
assez commune que nous adoptons, le rôle des structures et des processus so-
ciaux est de produire, d’organiser et de réguler la distribution des ressources.
Cela fait référence aux ressources nécessaires à notre nature biologique, mais
aussi aux ressources nécessaires à notre nature psychologique, à savoir le
20 développement et l’exercice de notre puissance d’agir, ainsi que l’éducation
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

et les opportunités qui dépendent à leur tour de la reconnaissance interpersonnelle


et sociopolitique. Il y a des liens entre cette approche et ce que l’on sait main-
tenant de l’impact des facteurs biopsychosociaux sur la santé et la maladie,
le gradient social de la santé et des inégalités de santé, le stress chronique,
l’anxiété, la dépression et les facteurs biopsychosociaux impliqués dans la
gestion des maladies chroniques (Bolton et Gillett, 2019).
Plusieurs des grands points avancés par le modèle biopsychosocial de la
santé et de la maladie, présents de façon implicite dans le travail d’Engel et
explicités dans notre mise à jour présentée ci-dessus, sont pertinents au re-
gard des problèmes considérés jusqu’ici. D’abord, le modèle biopsychosocial
ne fait pas de différence fondamentale entre la santé physique et la santé men-
tale. Ce n’est pas si surprenant au vu de la connexion intime qui est sous-en-
tendue entre le biologique et le psychologique. C’est d’ailleurs évident dans
les pratiques scientifiques actuelles. Par exemple les déterminants sociaux de
la santé peuvent affecter la santé physique comme la santé mentale, la phar-
macothérapie peut être utilisée dans le cadre de troubles mentaux comme de
troubles somatiques, et inversement les psychothérapies peuvent être utili-
sées non seulement en réponse à des troubles mentaux, mais aussi dans le
cadre de troubles somatiques et plus particulièrement (mais pas seulement)
de conditions chroniques (Bolton et Gillett 2019). Ce sont des découvertes
nouvelles – c’est-à-dire qu’elles sont nouvelles par rapport aux idées et aux
pratiques antérieures qui étaient fondées sur le dualisme esprit/corps. À un
niveau institutionnel, on peut constater que les besoins liés à la santé et au
bien-être physiques risquent souvent d’être négligés dans les services dédiés
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à la santé mentale, tout comme les besoins liés à la santé et au bien-être psy-
chologiques risquent d’être négligés dans les structures de soins somatiques.
Ces problèmes sont d’actualité, que ce soit en termes de politiques nationales
de santé publique (e.g. HM Government, 2011) comme en termes d’initiatives
locales (e.g. King’s Health Partners Mind and Body Programme, 2018 ; Bolton,
2019). Ces tendances dans les sciences, les politiques et les pratiques actuelles
en santé – déconstruisant les divisions antérieures entre le corps et l’esprit –
contribueront d’une certaine manière à aider le domaine de la santé à mieux
s’occuper de la personne dans son ensemble et donc à atténuer certaines des
objections soulevées par les critiques issues de l’humanisme médical.
Un second point qui s’avère pertinent par rapport aux problèmes consi-
dérés jusqu’à présent est que le modèle biopsychosocial, qui se fonde sur la
théorie des systèmes, occupe un espace où les concepts scientifiques fonda-
mentaux et la philosophie se chevauchent. La dichotomie entre l’empirique
et l’a priori, et donc aussi la dichotomie entre les sciences médicales et les ap-
proches non scientifiques ou dogmatiques du soin auxquelles Engel s’oppose
sont ainsi déconstruites. Pour illustrer ce chevauchement entre les sciences
fondamentales et la philosophie, on peut dire que le concept de puissance
d’agir, si central dans nos travaux récents mentionnés plus haut, est en fait
une puissance d’agir incarnée, reliée d’un côté au concept de l’esprit incarné 21
Derek Bolton

issu de la phénoménologie (e.g. Merleau-Ponty, 1945) et de l’autre aux mo-


dèles neuropsychologiques actuels de cognition incarnée (Newen, De Bruin
et Gallagher, 2018). Le signal le plus important ici est que la science et la phi-
losophie ne se chevauchent pas autant qu’elles fusionnent essentiellement, ce
qui signifie d’une part qu’il n’y a pas de science sans théorie (comme le vou-
drait l’empirisme) et, d’autre part, qu’il n’y a pas de philosophie détachée de
toute expérience : il n’y a aucune connaissance philosophique a priori de l’ex-
périence qui soit préalable à l’expérience et que l’on ne pourrait soumettre à
la méthode scientifique. J’ai défendu cette vision plus dense en philosophie
de la psychiatrie dans une autre publication (Bolton, 2016). Elle est en phase
avec la construction du modèle biopsychosocial d’Engel en tant qu’exten-
sion scientifique du modèle biomédical, qui est scientifique lui aussi, ainsi
qu’avec son rejet d’un parachèvement de la médecine scientifique par un hu-
manisme non scientifique tel que présenté dans la section précédente.
Comme indiqué précédemment, Engel rejette en effet les approches
non scientifiques du soin qu’il qualifie de regrets romantiques et régressifs
d’un art supposément perdu (par opposition à la science) de la médecine,
et « d’humanisme dogmatique ». Pour autant que je sache, Engel ne discute
pas des approches phénoménologiques. La question de la phénoménologie,
en psychiatrie plus particulièrement, mais aussi en médecine plus générale-
ment, se trouve obscurcie par une certaine ambiguïté. D’un côté, elle se ré-
fère aux manifestations de la personne et de ses états mentaux telles qu’ex-
primées dans le discours et dans les expressions non verbales du corps et du
visage. De l’autre côté, la phénoménologie fait référence à une tradition phi-
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losophique qui revendique une connaissance a priori ou transcendantale de
l’expérience, et en particulier de la structure ou de la nature fondamentale
de l’expérience – une tradition qui débute avec Kant et se prolonge jusqu’à
Husserl ou Heidegger. Il est essentiel pour le domaine de la santé de recon-
naître la phénoménologie dans son sens pratique et non philosophique, afin
de comprendre la personne en tant que patient, son expérience des signes
et symptômes, son attitude par rapport à la maladie et à la façon dont cette
dernière l’affecte, par rapport aux traitements, et ainsi de suite : il n’y a pas
de soins sans cela. Dans la section qui suit, je poursuis cette ligne de pensée
sur la centralité de la question « Et comment allez-vous ? » dans le domaine
de la santé. C’est une question sur des intérêts et des compétences cliniques
délicates qui permettent d’obtenir une compréhension plus ou moins va-
lide de l’expérience de la personne, sujette à correction et à des évaluations
plus poussées ; il ne s’agit pas de savoirs métaphysiques. Ce n’est que dans
sa dimension métaphysique que la phénoménologie peut prétendre à une
connaissance a priori de l’expérience en général, mais il reste à éclairer la fa-
çon dont elle est liée à l’expérience d’une personne particulière, susceptible
de faire entrer en jeu des différences et des circonstances sociales singulières.
Dans notre mise à jour du modèle biopsychosocial, Gillett et moi ne
22 nous aventurons pas sur le terrain de l’humanisme médical, mais il serait in-
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

téressant d’explorer certaines de ses implications. Par exemple, comme cela


a été souligné plus haut, nous accordons une place centrale à la notion de
puissance d’agir – une puissance d’agir complètement incarnée – que nous
entremêlons à l’importance d’une reconnaissance interpersonnelle et so-
ciopolitique. Surtout, de tels concepts sont fondamentaux dans l’élabora-
tion de principes éthiques et de codes déontologiques qui affirment le droit
de la personne en tant que patient de décider de ce qui peut être fait de son
corps, ainsi que l’obligation de recueillir son consentement à tout type de
traitement. À un niveau personnel et notamment concernant les probléma-
tiques qui nous intéressent le plus, il est nécessaire de reconnaître la puis-
sance d’agir – ou, si la puissance d’agir est sérieusement compromise par la
maladie, d’avoir confiance en celui ou celle qui exerce un certain pouvoir sur
nous. Si ces conditions ne sont pas remplies, nous pouvons nous sentir insul-
tés, blessés, en colère, apeurés, méfiants, récalcitrants et, au fil du temps, si le
problème n’est pas résolu, indignés, impuissants ou déprimés. À un niveau
institutionnel et sociopolitique, nous avons besoin d’être reconnus en tant
qu’agents autonomes et de ne pas être traités comme des numéros adminis-
tratifs inventoriés et comptabilisés. Voilà le type de considérations qui sont
pertinentes au regard des problèmes liés aux pratiques soignantes que nous
allons aborder.

6. Soins cliniques, sympathie et compassion


6.1 Sensibilité et compétence clinique
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L’idée que les soins doivent être prodigués avec sensibilité et humanité
met tout le monde d’accord. L’humanisme médical insiste sur ce point. Ce
qui compte tout particulièrement dans les soins cliniques, c’est une certaine
sensibilité aux sentiments et émotions négatifs qu’entraîne souvent la mala-
die, y compris la douleur, la détresse, l’anxiété, l’inquiétude, la frustration,
l’irritabilité, la colère, l’humeur sombre ou le désespoir. Dans l’optique de
cet article, je souhaite me concentrer sur deux processus différents qui sont
indispensables aux soins cliniques de qualité : tout d’abord, être sensible (au
sens d’être conscient) aux sentiments et émotions des personnes en tant que
patients et, deuxièmement, les types les plus appropriés de réponse à y ap-
porter. Je défends l’idée que, s’il est certes essentiel d’être sensibilisé à l’état
mental des personnes malades pour fournir des soins de bonne qualité, il est
tout aussi nécessaire d’apporter les réponses les plus appropriées dans le but
de soigner. Selon moi, le meilleur moyen de savoir comment se porte une
personne en tant que patient est de lui poser la question. Et la meilleure fa-
çon de réagir requiert généralement l’utilisation de certaines connaissances
et compétences professionnelles. Ce type de réponse professionnelle peut,
d’après moi, comprendre – sans y être réduite – le fait d’avoir les mêmes sen-
timents et émotions que la personne en tant que patient, le fait d’avoir des 23
Derek Bolton

réactions spontanées, naturelles et normales, et le fait de répondre unique-


ment selon son bon sens et sa sensibilité.

6.2 Des termes complexes pour des phénomènes complexes

Ces questions en lien avec les pratiques soignantes introduites ci-dessus


sont étroitement liées aux concepts de sympathie, d’empathie et de compas-
sion, couramment utilisés pour décrire notre compréhension des états men-
taux d’autrui et nos réponses à ceux-ci, autant de concepts qui sont utilisés
dans la littérature sur la qualité des soins et l’humanisme médical. Ces termes
et concepts ont une histoire complexe en philosophie et en psychologie, et je
pense qu’il serait raisonnable de dire qu’il n’y a pas de consensus standardisé
quant à leur usage. Étant donné l’objectif de cet article, et en espérant ne pas
trop m’éloigner de quelques-uns des usages plus identifiables de ces termes,
je les interpréterai comme suit.
Je pars du principe que le terme de « sympathie » fait référence à la
conscience partagée que l’on a de l’esprit d’autrui et à nos réponses face à
celui-ci, comme l’ont par exemple souligné David Hume et Adam Smith (voir
e.g. Sayre-McCord 2013 ; Cohon, 2018). Particulièrement pertinente dans le
contexte actuel, la sympathie comprend aussi notre capacité à reconnaître
et à répondre à des affects intensément négatifs, tels que la douleur et la dé-
tresse, parmi l’éventail de sentiments caractéristiques des personnes qui se
savent malades ou qui croient être malades . En tant que telle, la sympathie
est essentielle dans le domaine de la santé.
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On peut ensuite se demander dans quelle mesure la sympathie que l’on
ressent pour autrui implique de « ressentir les mêmes choses » que lui. Dans
quelle mesure le fait que je ressente de la sympathie pour quelqu’un en dé-
tresse, par exemple, implique-t-il que je ressente moi-même de la détresse ?
Bien que le terme de « sympathie » puisse être utilisé pour évoquer l’idée de
« ressentir la même chose », je ne vais pas l’utiliser dans ce sens ici. Il s’agit
de permettre aux professionnels de la santé de ressentir de la sympathie pour
un patient en détresse, sans pour autant ressentir eux-mêmes de la détresse ;
de leur permettre également de continuer à ressentir de la sympathie tout au
long de leur semaine de travail sans pour autant se laisser submerger par la
détresse, un état dans lequel la sympathie que l’on ressent pour autrui risque
de s’épuiser – sujet sur lequel nous reviendrons. Je vais donc utiliser un autre
terme que celui de « sympathie » pour évoquer l’idée de « ressentir la même
chose », « l’identification », à des fins pratiques seulement et non pas en tant
que recommandation. Dans une version antérieure de cet article, j’utilisais
le terme d’« empathie » pour désigner l’idée de « ressentir la même chose »,
mais au regard des considérations précédentes, cela avait pour conséquence
de rendre l’empathie curieusement inutile dans le cadre du soin, allant à l’en-
contre de l’usage qu’on en fait aujourd’hui. En réalité, le terme « empathie »
24 s’est imposé tardivement dans la langue anglaise, ayant des racines théoriques
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

substantielles dans l’esthétique allemande. Pour Susan Lanzoni (Lanzoni,


2012, p. 301) :

Le nouveau terme anglais “empathie” a été traduit de l’allemand Einfühlung


dans la première décennie du vingtième siècle par les psychologues James
Ward de l’Université de Cambridge et Edward B. Titchener de Cornell. Dans le
laboratoire américain de Titchener, “l’empathie” ne signifiait pas comprendre
d’autres esprits, mais désignait plutôt la projection de mouvements du corps
imaginés et de sentiments connexes dans un objet, une signification tirée de
son riche héritage de l’esthétique du dix-neuvième siècle.

Cette idée de projection indique qu’un tout autre corpus de travaux théo-
riques se construit à peu près au même moment – les théories freudiennes sur
les mécanismes de défense : il est possible de refouler nos impulsions et nos
rêveries les moins acceptables en les projetant à l’extérieur de soi et sur au-
trui (Freud, 1915). Les processus complexes de transfert et de contre-transfert
théorisés de manière psychanalytique, ainsi que la projection, l’identifica-
tion et l’identification projective (voir Sandler, 1988) brouillent également
qui est qui, qui je suis/vous êtes et qui ressent quoi.
« Ressentir la même chose » qu’autrui – par exemple se sentir en détresse
lorsqu’autrui est en détresse – soit le processus que j’appelle « identification »
– peut être considéré comme un moyen de savoir ou comme une réponse/réac-
tion face à cela, ou peut-être encore les deux. Dans les deux cas, il fusionne le
soi et l’autre d’une façon qui peut s’avérer utile tout comme inutile. Ce proces-
sus sera peut-être précieux comme moyen de savoir, mais c’est une méthode
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profondément faillible, justement parce qu’elle est basée sur une certaine
confusion entre qui est qui. Et s’il s’agit d’une forme de réponse/réaction, il
est peu probable qu’elle soit d’une utilité quelconque pour autrui, qui plus est
dans le cas d’émotions négatives : cela n’aide en rien une personne en détresse
que je me laisse moi-même submerger – du moins pas dans des circonstances
où il est nécessaire de soulager cette détresse, comme c’est le cas dans le soin.
J’utiliserai le terme « compassion » pour parler des réponses requises face
à quelqu’un en détresse – c’est-à-dire être enclin à leur venir en aide – en es-
pérant cet emploi compatible avec au moins certains de ses usages. La com-
passion est la tendance à aider activement autrui, et elle se distingue fonciè-
rement de l’idée de le rejoindre dans sa détresse.
L’hypothèse formulée en toile de fond ici est qu’il existe des réponses pro-
voquées naturellement par les situations interpersonnelles que nous vivons
tous (ou pratiquement tous, en situation normale) – autrement dit, un « sen-
timent de solidarité ». Beaucoup d’écrits divers et variés sont disponibles à
cet égard. Les théoriciens des Lumières écossais travaillant sur la sympathie au
xviiie siècle ont déjà été mentionnés, ainsi que les racines de l’empathie dans
la théorie allemande de l’Einfühlung au xixe siècle. Voici quelques exemples
supplémentaires. Aristote écrit dans sa Rhétorique (Livre II, chap. 2, trad. fran-
çaise de Charles-Émile Ruelle, 1882) : 25
Derek Bolton

La colère sera un désir, accompagné de peine, de se venger ostensiblement


d’une marque de mépris manifesté à notre égard, ou à l’égard de ce qui dépend
de nous, contrairement à la convenance.

Et en ce qui concerne les premiers pas de la psychiatrie, Karl Jaspers


donne les exemples suivants sur la compréhension des connexions significa-
tives (1923, p. 302-303) :

Les événements psychiques “émergent” les uns des autres, d’une manière que
l’on peut comprendre. Les personnes qui se sentent attaquées se mettent en
colère et sont immédiatement sur la défensive, les personnes trompées de-
viennent méfiantes […]. C’est ainsi que nous comprenons les réactions psy-
chiques face à l’expérience.

Il est important de comprendre que ces réponses normales, naturelles et


compréhensibles sont une propension à – ou un désir – d’agir, mais qu’elles
ne sont pas nécessairement réalisées puisqu’on peut, par exemple, avoir des
inclinations contradictoires pouvant freiner une réaction emportée ou tem-
pérer la volonté d’aider quelqu’un en détresse.
Il est temps pour moi de récapituler les problèmes soulevés, dans le
contexte du système de santé, par les réponses les plus appropriées, et surtout
celles qui sont les moins appropriées, face aux émotions négatives générale-
ment suscitées par le fait d’être malade.
Comme indiqué ci-dessus, l’identification n’est pas sans risque, y compris
au regard de la possibilité de se tromper, du simple fait de l’incertitude concer-
nant qui est vraiment malade et qui ne l’est pas, de l’épuisement parfois, mais
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surtout au regard de son utilité quelquefois limitée dans les soins. Même les
réponses les plus normales, naturelles et compréhensibles face aux émotions
négatives – qui dépassent mais peuvent tout de même inclure l’identification
– sont d’une utilité limitée. Supposons que je reçoive un patient appelé Jean.
Si Jean se sent anxieux, déprimé ou en colère, il serait tout à fait utile pour moi
d’en être conscient. Or comment puis-je en prendre conscience ? Je suggérerai
plus tard qu’il est opportun de poser directement la question et d’accorder une
attention particulière au contexte. Mais il n’y a en tout cas aucune inférence
certaine qui puisse se baser sur mes propres sentiments d’anxiété, de dépression
ou de colère. Je ne peux partir du principe que je ressens ce que Jean ressent.
Il est même tout à fait possible qu’autre chose puisse avoir causé mon anxiété
par exemple, et que les émotions de Jean soient bien différentes. Et même si je
partageais les émotions de Jean – même si, pour changer d’exemple, l’expres-
sion de son désespoir causait le mien, cela ne serait utile aux soins que je lui
procure que si je savais vraiment ce qu’il en était. J’interpréterais alors mon
propre désespoir comme un type d’information utile et non comme un motif
d’action que je suivrais sans réfléchir pour me murer dans un silence abattu,
ou alors fuir, ou encore adopter une attitude passive agressive en espérant qu’il
26 finisse par s’en aller, car je ne sais que faire, voire à exprimer ma fureur et mon
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

trouble face à ce que je perçois comme le mépris de Jean qui me confronte à ma


propre inutilité et à mon incapacité à l’aider. Ce sont là des exemples de l’im-
pact profondément négatif que de telles émotions, extrêmement troublantes
et frustrantes chez le clinicien, peuvent avoir sur les soins. Si jamais ils étaient
institutionnalisés, le soin et l’attention au patient s’en trouveraient détériorés.
La nature pénible des sentiments éprouvés par les soignants accentue
d’ailleurs le processus qui met en péril la qualité des soins. Il existe une litté-
rature très développée sur le sujet – voir le blog du British Medical Journal de
Ian Barker au sujet de l’usure compassionnelle (Barker, 2016) et l’étude systé-
matique proposée par Hall et ses collègues sur les recherches menées à propos
du bien-être des soignants, des cas de burn-out ainsi que de la sécurité des
patients (Hall, Johnson, Watt, Tsipa et O’Connor, 2016). Il s’agit de problèmes
qui se posent à un niveau individuel mais dont on sait qu’ils se développent
plus facilement dans des conditions institutionnelles difficiles. Les voies de
développement et les mécanismes psychosociaux-organisationnels sont com-
plexes et certains d’entre eux sont théorisés en psychanalyse au travers des
notions de transfert et contre-transfert (O’Kelly, 1998 ; Hughes et Kerr, 2000),
dans les théories de la contagion sociale (Bakker, Schaufeli, Herman et Sixma,
2001) ainsi que dans les théories portant sur les difficultés rencontrées en
santé pour la mise en œuvre de changements institutionnels (voir Edwards et
Saltman, 2017).
Travailler dans le domaine de la santé implique d’être confronté à des
états mentaux et physiques extrêmement difficiles et pénibles et la question
est de savoir comment les reconnaître et y répondre dans l’intérêt de la per-
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sonne en tant que patient. Pour autant, les ressentir soi-même ne peut avoir un
rôle que très ciblé, bien qu’important. De fait, comme cela a été montré plus
haut, ressentir les mêmes choses qu’autrui a un coût important en termes de
ressources émotionnelles et cela n’apporte pas forcément grand-chose au tra-
vail du soin, ayant à voir autant avec le soignant qu’avec le patient, brouillant
la frontière entre eux et, pour finir, étant loin d’être infaillible.
Quant à la façon dont on peut connaître de si près les états émotionnels
et physiques potentiellement négatifs et pénibles d’autrui, la tâche est d’en-
vergure. On se sent vite soi-même dépassé et cela peut rendre encore plus diffi-
cile l’exercice de suivre l’état émotionnel d’autrui tout en régulant ses propres
émotions et en y réagissant de façon appropriée – comme la théorie de la
Mentalisation le souligne (voir Fonagy et Allison, 2011). La question est de sa-
voir comment reconnaître et gérer sa propre tendance à partager une certaine
forme de détresse afin de préserver l’intérêt de la personne en tant que patient.
Avec un peu d’expérience et si tout se passe bien, les professionnels de la santé
apprennent à distinguer plus ou moins bien la détresse, la colère, le désespoir
ou la frustration du patient de ces mêmes émotions en eux-mêmes. Pour le
formuler autrement, les professionnels de la santé apprennent à distinguer les
émotions négatives qu’ils sont susceptibles de ressentir de celles que le patient
ressent. Cette capacité est affinée au cours de l’analyse qui sert de formation 27
Derek Bolton

aux psychanalystes, cependant pas au point de devenir infaillible, mais cela


montre que tout professionnel de la santé peut acquérir quelques compé-
tences grâce à l’expérience, en tâtonnant, et surtout grâce à une culture soli-
daire et à des pratiques d’autoréflexion. Une chose est cruciale : il est bien plus
opportun de trouver un moyen de soulager la détresse d’autrui que de refléter
ce sentiment en soi-même, ou de dire « je sais comment vous vous sentez »,
ce qui peut être mal pris – car ce n’est probablement pas le cas. L’idée d’être
capable d’aider sera désormais intégrée à la notion de « compassion » .
Premièrement, pour continuer dans l’analyse de l’épistémologie si com-
plexe des états mentaux, il faut noter une forme d’inférence entre les circons-
tances dans lesquelles se trouvent une personne et ses états mentaux. Toutes
choses étant égales par ailleurs, il est raisonnable de partir du principe qu’une
personne chez qui l’on soupçonne la présence d’une maladie grave est sus-
ceptible d’être extrêmement soucieuse et inquiète. Cette hypothèse peut être
confirmée si l’on constate qu’elle pleure ou qu’elle fait part de ses angoisses,
mais elle ne peut pas pour autant être écartée si cette personne se montre
souriante et qu’elle bavarde de la pluie et du beau temps. Je laisse au lecteur
le soin de méditer sur les hypothèses possibles concernant les états mentaux
précis d’une personne à qui l’on vient par exemple d’annoncer – ou à son
enfant – un diagnostic grave, en fonction de son âge, de son pronostic, de
son cadre social et professionnel, des personnes qui dépendent d’elle et de
sa personnalité ; et ainsi de suite, en comptant tous les types de situation dif-
ficile fréquemment rencontrés dans le milieu de la santé. On peut émettre
des hypothèses de travail en se fondant sur son bon sens, limités que l’on est
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par nos quelques connaissances communes acquises en psychologie, ou en
se fondant sur sa sensibilité clinique à laquelle les enseignements cliniques,
l’expérience et la théorie psychologique ont apporté quelques perspectives,
par exemple sur les étapes du deuil, les mécanismes de défense, le transfert et
le contre-transfert, les étapes de la vie, l’impuissance dite apprise, ou encore
sur le basculement de l’anxiété dans la dramatisation.
J’estime qu’il s’agit ici du type d’épistémologie qu’Engel avait en tête
lorsque, comme nous l’avons vu dans la section 4, il défend l’idée de soins
cliniques fondés sur la science – au sens où ils doivent pouvoir être soumis à
la méthode scientifique – en contraste avec des approches non scientifiques
ou des connaissances a priori.

6.3 « Et comment allez-vous ? »


« Comment pouvons-nous vous aider ? »

Pour revenir sur l’absence de connaissances a priori, il me semble qu’au-


cune philosophie de l’esprit, de son fonctionnement, aucune forme d’identi-
fication empathique, aucune forme d’inférence, aucune méthode, ne pourra
jamais supprimer le besoin de poser cette question fondamentale que tout
28 clinicien pose à son patient : « Et comment allez-vous ? »
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

Je dis « Et » car il vaut mieux que cette question ne soit pas posée au tout
début de la conversation. Elle n’est pas une formule de politesse, comme
elle peut l’être dans la vie courante ; elle vise à recueillir des informations
concrètes et non pas à passer rapidement à autre chose. Le clinicien cherche
à obtenir une réponse claire et détaillée, ce qui requiert probablement une
certaine confiance et un sentiment de sécurité d’où l’importance de la prépa-
ration et de la gestion du temps, par exemple en laissant un silence après les
formules de politesse. Le type de réponse recherché dépend du geste clinique.
Au stade de l’examen, la question peut tout à fait rester ouverte et s’enquérir
de différents éléments du passé comme du présent. Plus tard, elle peut s’attar-
der plus spécifiquement sur la situation présente et aux prochaines étapes. La
conversation qui s’ensuit reconnaît l’interlocuteur en tant que personne, avec
l’évocation aussi bien de sentiments, d’émotions, d’attitudes, d’occupations,
de responsabilités et de valeurs, que de signes et de symptômes compris en un
sens restreint. Cette conversation peut avoir une portée qui reflète ce que la
phénoménologie entend par l’Umwelt, le monde tel qu’on en fait l’expérience
subjective ou, dans ce contexte précis, l’expérience vécue de la maladie. Son
contenu est très spécifique et très individuel – unique, en fait – bien que cer-
taines généralisations puissent être d’une grande aide dans l’appréhension de
ce qui se passe et dans la conduite du reste de l’échange, sans permettre pour
autant que ce qui est valable pour une personne le soit aussi pour une autre.
Les mémoires écrits par des personnes malades sur leur expérience de
la maladie ainsi que les études de cas individuels menées par des cliniciens
apportent les connaissances empiriques les plus proches de ce qui émerge
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dans la conversation clinique. Ils partagent aussi les mêmes atouts et limites
empiriques : la connaissance et la compréhension détaillées d’une personne
malade, aussi utiles qu’elles puissent être pour comprendre une autre per-
sonne atteinte de la même maladie, ne peuvent pas pour autant permettre de
les généraliser à toutes les personnes ayant le même diagnostic. Rien ne peut
remplacer de demander à la personne suivante comment elle va.
La question suivante est « Comment pouvons-nous vous aider ? » Je dis
« nous » en ayant plusieurs choses en tête. L’idée générale est que le « je » n’est
pas approprié, étant donné qu’un clinicien ne peut rien faire seul mais a au
minimum besoin du patient, de ses proches peut-être, et souvent de ses col-
lègues. Je dis « aider », car la réponse la plus communément partagée face à
la détresse d’autrui est de lui venir en aide, de faire preuve de compassion.
L’expression de la détresse et de la peur, quoi qu’elle puisse signifier par ail-
leurs, est un appel à tout ce qui pourrait permettre de les soulager. Diverses
conceptualisations de la maladie (Spitzer et Endicott, 1978, p. 17-18) et mo-
dèles de la douleur (voir Bolton et Gillett, p. 119) l’ont bien souligné. La com-
plémentarité de la détresse et du soulagement est une thématique centrale
dans les interactions parents-enfants théorisées par des psychanalystes tels
que Winnicott (1960) et Bowlby (1969) où les réponses parentales les plus ap-
propriées sont celles qui favorisent la proximité, l’apaisement, la nutrition, 29
Derek Bolton

etc. De telles réponses associées au soin de l’enfant peuvent être déclenchées


par réflexe dans le face-à-face avec une personne malade, mais elles sont très
éloignées des soins cliniques professionnels dont l’objectif est de soulager la
détresse et la peur grâce aux connaissances et aux compétences engrangées
au sein de diverses professions médicales.
En plus d’être conscient de l’état physique et mental de la personne qu’est
le patient et de laisser paraître cette conscience au moment où – et de la façon
dont – cela peut s’avérer utile, le clinicien a une mission à remplir. Ses mis-
sions sont bien sûr nombreuses et variées mais peuvent dans l’ensemble être
divisées entre la phase de l’examen et la phase de traitement. Au cours de la
phase d’examen, il faut déjà déterminer avec un niveau de certitude suffisant
si oui ou non il y a bien un problème de santé et, si oui, de quelle sorte, quel est
le pronostic et quels sont les traitements indiqués. La nécessité de déterminer
tout cela peut requérir de poser des questions directes si les réponses n’ont pas
été proposées spontanément. Et cela peut entraîner des perturbations dans
la communication au regard des divergences qui peuvent exister entre les
préoccupations du patient et celles du soignant. Dans le domaine de la santé
mentale, par exemple durant la phase d’examen, une personne peut me parler
d’un conjoint pénible ou de son inquiétude pour ses enfants, mais en tant que
soignant j’ai besoin de savoir si elle est en dépression ou pas, si elle a besoin
de traitements ou non. Et si après avoir entendu ses préoccupations et ses in-
quiétudes, je juge que la poursuite de cette conversation ne me permettra pas
d’obtenir les informations dont j’ai besoin, je peux interrompre le flux de la
discussion en demandant « Et comment dormez-vous ? (...) Avez-vous de l’appé-
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tit ? » Par ailleurs, si je suis en train d’évaluer la possibilité d’un trouble obses-
sionnel compulsif, la personne que j’ai en face de moi peut vouloir détailler
ses obsessions multiples et variées et ses pulsions les plus complexes. Au bout
d’un moment, une fois convaincu qu’il s’agit bien d’obsessions et de pulsions,
je peux diriger la conversation vers l’impact qu’elles ont sur la vie quotidienne
de cette personne, sa scolarité, sa profession, ses amitiés ou encore, si ces su-
jets ont déjà été abordés, vers une autre phase importante de l’évaluation cli-
nique, par exemple celle portant sur les choix thérapeutiques. Au cours de la
phase de traitement, alors qu’il s’agit de s’assurer que le traitement dont il a
été convenu avec le patient est bien suivi, l’objectif peut être pour moi de per-
mettre à la personne de reprendre des activités qu’elle valorise, mais qui sont
devenues pour elle irréalisables ou effrayantes. Elle, de son côté, peut vouloir
travailler plutôt à des problèmes qu’elle trouve moins difficiles. Ce sont des cas
tirés de mon expérience clinique, mais j’imagine que chaque professionnel
de la santé pourrait en donner de semblables. De tels exemples peuvent aussi
varier selon les professions concernées : médecin généraliste ou spécialiste, in-
firmier, psychologue ou psychothérapeute, conseiller ou thérapeute familial.
L’idée globale défendue ici est que la mission du soin n’est pas la même
que – ou du moins s’ajoute à – celle d’exprimer de la sympathie et qu’elle peut
30 donc entraver le flot de la conversation et amener à changer de sujet sur l’ini-
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

tiative du soignant, ce qui peut laisser penser que ce dernier n’est ni intéressé,
ni à l’écoute, et qu’il manque de sympathie et d’empathie. Il est possible que,
de temps en temps, le soignant soit en effet peu à l’écoute. Afin d’atténuer le
risque que cela représente, il peut par exemple en faire la remarque et pré-
senter ses excuses, ou même offrir une explication complète, bien que cela
puisse à nouveau l’éloigner des préoccupations immédiates du patient. Il ne
s’agit pas nécessairement d’un problème inévitable, mais c’est en revanche
un problème inhérent à la divergence possible entre ce qui compte pour le
patient à un moment donné et ce qui compte pour le soignant. La fracture
potentielle que cela peut occasionner dans la conversation trouve cependant
sa justification dans l’hypothèse émise par le soignant que, dans l’ensemble,
ce que le patient désire et attend le plus de lui est une évaluation compétente
et les meilleurs soins possible, plutôt que sa disponibilité émotionnelle.
Cela nous ramène à la nécessité pour les professionnels de santé d’aider
grâce à leurs connaissances et à leurs compétences et de témoigner ainsi de
leur compassion. Il me semble qu’il est raisonnable de supposer que la com-
passion, en tant que désir d’aider, se retrouve chez la plupart des personnes
qui entreprennent de se former dans les métiers du soin. La sélection dans les
programmes de formation dépend généralement d’une certaine expérience
de soin en tant que personnel non formé, une occasion de déterminer s’il
s’agit bien du type de carrière souhaité. En plus de cela, se former ainsi par
le travail clinique peut, en règle générale, aider à développer et à affiner les
bonnes pratiques de soin. Dans cette perspective, la question n’est pas tant de
savoir comment rendre les professionnels de santé plus compatissants, mais
comment éviter qu’ils perdent leur propension naturelle à faire preuve de
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compassion. Il s’agit alors de se pencher sur les possibles leviers éducatifs et
institutionnels pour faciliter cette propension naturelle et sur les facteurs qui
au contraire ont tendance à la corrompre. La section suivante sera consacrée
à l’étude de ces facteurs.

7. Améliorer les soins cliniques


7.1 La perspective d’Engel sur l’enseignement en santé

L’argument central d’Engel sur l’enseignement en santé présenté dans


son article de 1978 et mentionné ici dans la section 4 suit la ligne directrice
suivante : le modèle biomédical ne prend en compte que des facteurs biolo-
giques et néglige les aspects psychosociaux de la personne qu’est le patient,
au détriment de nombreux aspects du soin – ce à quoi l’adoption du modèle
biopsychosocial peut remédier. Cet article d’Engel de 1978 sera enrichissant
pour ceux qui le liront attentivement s’ils s’intéressent à sa vision de la rela-
tion entre le modèle biopsychosocial et le large éventail de questions inter-
connectées à propos des soins cliniques. Compte tenu de l’espace disponible
ici, je limiterai ma reprise à quelques citations et commentaires. 31
Derek Bolton

Engel commence par résumer ce qui lui semble être négligé dans l’ensei-
gnement en santé de l’époque et porter préjudice aux relations soignants/
patients (1978, p. 169, passages sélectionnés) :

Généralement, un médecin termine sa formation en ayant acquis des compé-


tences impressionnantes concernant les aspects les plus techniques des mala-
dies du corps ; et pourtant lorsqu’il s’agit d’aborder les aspects humains de la
maladie et du soin, il ne fait pas preuve de beaucoup plus de talent naturel ou
de qualités individuelles que lors de son entrée en faculté de médecine. La fa-
çon d’utiliser le corpus considérable de connaissances qui ont été accumulées
sur le comportement humain depuis le début du siècle pour améliorer le soin
et préserver la santé d’un patient reste, pour ce médecin, un grand mystère.
Le fait de négliger cette dimension importante de l’enseignement médical
est à l’origine des récriminations fréquentes exprimées par les patients selon
lesquelles les médecins sont insensibles, durs, peu attentifs, arrogants et trop
mécaniques dans leur approche.

Cette situation selon Engel est le produit de l’influence insidieuse du mo-


dèle biomédical. L’adoption du modèle biopsychosocial au contraire permet
à l’éducation et à la formation d’intégrer des connaissances et des compé-
tences liées aux facteurs psychosociaux qui affectent les pratiques soignantes
(art. cit. p. 157). En ce qui concerne les compétences en question, Engel s’at-
tarde sur les récriminations fréquentes des patients et de leurs proches selon
lesquelles les « médecins ne communiquent pas bien, n’écoutent pas vrai-
ment, semblent indifférents aux besoins particuliers et aux différences indi-
viduelles et négligent la personne dans leur zèle à diagnostiquer et traiter »
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(op. cit. p. 158). En substance, Engel met en lumière le rôle critique de la com-
munication efficace dans les soins cliniques. L’importance de bonnes compé-
tences communicationnelles est maintenant reconnue dans les professions
de santé et elles font partie intégrante de l’éducation et de la formation en
santé – nous y reviendrons dans la section 7.3.
Un autre thème saillant dans la réflexion d’Engel sur les pratiques soi-
gnantes est l’élargissement de la problématique au-delà des soins médicaux,
en incluant aussi les soins cliniques prodigués par les membres d’autres pro-
fessions au sein d’équipes multidisciplinaires, qui sont aujourd’hui souvent
la norme. Engel insiste sur les effets néfastes du modèle biomédical dans la
structuration des différences professionnelles (art. cit. p. 158) :

Tant que le modèle biomédical domine, seules des solutions non scientifiques
et simplistes aux récriminations des patients seront proposées. Jusqu’à pré-
sent, les solutions qui rencontrent le plus de succès consistent à considérer
que, puisqu’il ne faut rien d’autre que de la compassion, une approche hu-
maine et un peu de bon sens pour répondre aux besoins plus personnels des
patients et de leurs proches, ces tâches peuvent être simplement déléguées à
d’autres professionnels de la santé, laissant au médecin qualifié celles du dia-
32 gnostic et du traitement de la maladie.
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

L’émergence d’une rivalité professionnelle malvenue et stérile est selon


Engel un facteur aggravant et une erreur (art. cit. p. 160) :

Prendre soin des malades requiert une collaboration et des interactions fluides
entre les professionnels de santé dont les rôles et les fonctions sont complé-
mentaires. Cela est impossible tant que le modèle qui domine est un modèle
qui écarte sur le plan philosophique l’application de méthodes scientifiques
au soin des patients, qui oppose les sciences et l’humanisme et qui divise les
professionnels de la santé entre un groupe “supérieur” chargé de traiter la ma-
ladie et un groupe “inférieur” qui prend soin des malades.

Selon la perspective humaniste, cette opposition entre des formes de su-


périorité et d’infériorité serait certainement inversée – mais ce qu’Engel met
en lumière est le fait qu’une évaluation comparative négative puisse s’opé-
rer dans les deux cas. Engel fait ici référence au métier de médecin et à celui
d’infirmier, mais des rivalités stériles plus ou moins comparables et peu théo-
risées peuvent surgir dans n’importe quelle combinaison des nombreuses
professions en santé. D’après Engel, la résolution de ce problème requiert
d’adopter un modèle de travail multidisciplinaire tel que le modèle biopsy-
chosocial (1978, p. 174-175) :

Aucune solution […] ne peut être avancée tant qu’un modèle n’est pas déve-
loppé qui puisse être partagé par tous ceux impliqués dans la prise en charge
des malades, englobant tous les éléments relatifs à la santé et à la maladie et
allant du moléculaire au psychosocial. Sans un tel cadre conceptuel commun,
seuls peuvent s’ensuivre chaos et conflits, au détriment du patient. La clé d’un
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soin optimal est la collaboration, la communication et la complémentarité entre
toutes les branches des professions médicales […] [Elles] ne sont accessibles
que lorsque toutes les disciplines partagent un ensemble fondamental d’hy-
pothèses et de principes communs. Autrement, la tentation sera pour cha-
cune de ces professions de développer son propre modèle adapté à ses propres
objectifs, ce qui risque en pratique de freiner la collaboration, de brouiller la
communication et de substituer la compétition à la complémentarité.

Les rapports sur le délitement des institutions sanitaires montrent l’im-


portance d’une culture mutuelle entre les professions, y compris celle des ad-
ministrateurs (Manion et Davies, 2018). Cela impliquerait, comme le propose
Engel, que les professions partagent un modèle de la santé, de la maladie et
des soins, tout en reconnaissant différentes compétences et responsabilités
professionnelles. Je reviens sur ce point dans la section 7.3.

7.2 L’utilité des généralisations face à la complexité

Les discussions théoriques sur la qualité des soins et sur les défis à relever
et les solutions à proposer sont vouées à reposer sur des généralisations abs-
traites. Par exemple : les enseignements purement biomédicaux forment des 33
Derek Bolton

praticiens insensibles et peu communicatifs ; les pratiques infirmières sont


plus centrées sur la personne ; les psychologues cliniciens ont de meilleures
connaissances des aspects psychologiques du soin ; la plupart des profession-
nels de santé, sinon tous, doivent se montrer plus sympathiques et compatis-
sants. Bien que de telles généralités ne soient pas sans valeur, elles offrent une
vision simpliste des professionnels ainsi que des systèmes complexes au sein
desquels ils travaillent. Il s’agit ici d’une remarque globale sur l’usage de gé-
néralisations concernant des individus et des systèmes complexes et non pas
d’une critique spécifique de la théorie du soin clinique ou de l’humanisme
médical.
Tout ce qui peut ressembler à une vision complète de l’enseignement, de
la formation et de la pratique des soins doit nécessairement être très vaste,
dynamique et contextualisé. Il est possible d’organiser les soins cliniques en
catégories générales au niveau des pathologies, des technologies thérapeu-
tiques utilisées – allant de la radiothérapie à la psychothérapie – et des niveaux
de soin – allant de la médecine générale aux soins spécialisés, ou encore, des
soins prodigués par des praticiens autonomes aux soins complexes dispensés
par des équipes spécialisées multidisciplinaires. Les professions sont aussi très
diverses dans le domaine de la santé, y compris au niveau de la gestion et il est
important de différencier les niveaux de formation et de responsabilités. Les
ressources du prestataire de soins sont une autre variable à prendre en compte
concernant les effectifs et les compétences à disposition pour répondre aux
besoins, car elles affectent le temps disponible, l’accès aux consultations et
aux traitements et donc la qualité des soins. Le niveau de qualité des soins cli-
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niques, qu’il soit suffisant ou non, dépend de facteurs liés au système de san-
té (tels que ceux cités plus haut), mais aussi de certaines caractéristiques des
utilisateurs du service ainsi que de leurs contextes sociaux propres. Certains
traits de caractère des utilisateurs peuvent en effet revêtir une certaine impor-
tance : par exemple, leur propension à faire confiance et à demander de l’aide,
à l’indépendance et à l’autonomie, ainsi que leur attitude face à la maladie. En
ce qui concerne les facteurs sociaux, l’accès à des aides sociales, mais aussi les
impératifs professionnels et familiaux de chacun ont un impact sur la qualité
du soin. Il y a d’autres facteurs déterminants, comme la personnalité idiosyn-
crasique des professionnels de santé, plus ou moins sensibles ou armés face
à leur propre détresse ou à celle d’autrui, pour reprendre l’exemple exploré
dans la section précédente. Ce genre de facteur entre en interaction avec des
facteurs plus institutionnels qui seront considérés dans la section suivante.
Ce type de complexité et les différents facteurs ayant un impact sur la
qualité des soins cliniques sont la raison pour laquelle on peut douter de l’uti-
lité de généralisations simplistes à propos des faillites du soin en médecine
– par exemple, l’idée que les médecins, les infirmiers ou n’importe quel autre
groupe de professionnels de santé manquent de compassion. Je soutiens l’ar-
gument défendu par Engel : il est crucial pour un soignant de bien connaître
34 – à un niveau de détail qui dépend de son rôle professionnel et de ses respon-
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

sabilités – tout l’éventail de facteurs biopsychosociaux qui peuvent exercer


une influence sur la santé, la maladie et le soin et tout ce qui a un lien avec
la personne spécifique qu’est le patient. En cela, le niveau d’exigence est éle-
vé et n’est certes pas toujours atteint. La qualité des soins sera probablement
améliorée si l’on favorise une bonne formation continue, une supervision ré-
gulière et des discussions fréquentes entre pairs, ainsi qu’une culture institu-
tionnelle favorable – autant de questions que nous examinerons ci-dessous.

7.3 Communication, éducation et culture institutionnelle

Comme cela a été souligné dans la section 7.1, pour Engel, bien des ré-
criminations concernant le manque de sympathie dans les pratiques soi-
gnantes trouvent leur origine dans un manque de compétences communica-
tionnelles. Pour préciser les choses, la capacité de communiquer – c’est-à-dire
savoir écouter et comprendre tout autant que savoir s’exprimer et se faire
comprendre – est cruciale dans le domaine de la santé, comme elle peut l’être
dans l’exercice de bien d’autres professions et dans bien d’autres aspects de
la vie quotidienne. Dans le milieu de la santé, l’écoute est fondamentale
pour comprendre le problème tel qu’il est perçu par le patient – comme de la
détresse, un handicap ou de l’inquiétude – mais aussi quel signal cela repré-
sente pour le soignant en termes de diagnostic et de formulation, et pour le
traitement ou la thérapie pertinents. Une fois ce problème saisi, le clinicien
doit pouvoir communiquer le pronostic, ou expliquer les traitements ou thé-
rapies recommandées de façon à ce que les informations données puissent
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être comprises et retenues. À mesure que se poursuivent les examens et les
traitements, quels qu’ils soient et par le même clinicien ou non, la capacité de
maintenir une bonne communication reste primordiale. Dans ce contexte, la
faculté d’expliquer clairement l’objectif général et les grandes lignes du plan
thérapeutique et d’impliquer la personne qu’est le patient dans le détail de
sa construction – qu’on appelle la collaboration ou la co-construction – est
essentielle, tout comme le sont la co-surveillance et l’identification des obs-
tacles potentiels, la façon de les surmonter ou de les contourner. Ces tâches
dépendent non seulement de la capacité du clinicien à transmettre des infor-
mations et à exprimer son avis, mais aussi de sa capacité à écouter le patient
et à adapter sa pensée et son discours en conséquence. Les compétences com-
municationnelles sont déterminantes, non seulement dans la relation aux
patients, mais aussi au sein d’un travail multidisciplinaire efficace.
L’importance omniprésente des compétences communicationnelles
est évidente et l’objectif n’est pas ici d’exprimer une thèse qui serait contro-
versée. En ce sens, l’apprentissage des compétences communicationnelles
constitue une part essentielle de l’enseignement de base en santé (y compris
pour les gestionnaires) et doit faire partie de la formation continue (Moss,
2017 ; Karimzadeh, Rezaee et Bastani, 2017 ; BMA, 2018 ; Royal College of
Nursing, 2019). 35
Derek Bolton

L’importance et la fonction des compétences communicationnelles en


santé sont liées à l’objectif fondamental du soin. Les gens se rendent chez
le médecin avant tout pour savoir si quelque chose ne va pas et si c’est le
cas, ce qu’il en est, ce à quoi s’attendre et si les prédictions ne sont pas fa-
vorables, ce qu’il est possible de faire pour améliorer le pronostic. D’après la
perspective d’Engel présentée plus haut, bien qu’une mauvaise communica-
tion à un moment donné puisse nuire à l’expérience des soins, une bonne
communication, au contraire, peut l’améliorer sensiblement. Appliquant
cette ligne de pensée aux problèmes évoqués dans la section 6, on peut dire
que les compétences communicationnelles sont plus fondamentales encore
que l’expression de la sympathie dans la mesure où les gens ne consultent
pas un professionnel de santé avant tout dans le but de susciter la sympa-
thie. En réalité, certains sont peut-être motivés par l’idée d’avoir accès à une
oreille sympathique dans un contexte clinique, mais alors cette dynamique
particulière doit elle aussi être comprise et gérée de façon productive, ce qui
demande également de bonnes compétences communicationnelles. Cela
étant dit, les expressions de sympathie les plus appropriées, qu’il s’agisse de
paroles reconnaissant la souffrance d’autrui ou d’une pause dans la conversa-
tion devant celle-ci, font partie intégrante de toute communication portant
sur des questions particulièrement sensibles pour l’un des participants. Sans
ces témoignages de sympathie, la communication de la souffrance semble-
ra avoir échoué. En un mot, ces témoignages n’offrent pas une alternative
à une bonne communication en santé, ils en font intrinsèquement partie.
Comprendre cela, ainsi que les autres dynamiques interpersonnelles et psy-
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chologiques en jeu dans le contexte clinique, requiert des connaissances et
des compétences souvent (quoique pas uniquement) spécifiques au domaine
de la santé, où l’on fait face à des états de souffrance et à des appels à l’aide.
Les soignants peuvent acquérir ces connaissances et ces compétences de
multiples façons. Leur ouverture et leur souci des autres – auxquels se réfère
la famille terminologique de la sympathie, de l’empathie et de la compassion
ou, plus récemment, du « comportement prosocial » – jouent un rôle critique
dans le développement social et moral, et impliquent des facteurs génétiques
aléatoires ou des caractéristiques acquises (voir Eisenberg et Strayer, 1987 ;
Eisenberg, Eggum-Wilkens et Spinrad, 2015). Ces traits sont répartis au sein
de la population, les individus en étant plus ou moins dotés. Reprenant la
ligne de pensée introduite à la fin de la section 6, il serait raisonnable de partir
du principe que les individus qui choisissent de se former et de travailler dans
des « professions au service des autres » sont généralement plus enclins à
faire preuve de ces qualités que d’un caractère indifférent, insensible et dédai-
gneux. En cela, la question est moins de savoir comment apprendre aux étu-
diants en santé à développer ces qualités, que de savoir comment construire
et maintenir un environnement professionnel qui puisse les préserver et les
36 cultiver au lieu de les réprimer ou de les étouffer.
Le modèle biopsychosocial et le nouvel humanisme médical

La problématique prend alors forme entre deux pôles en interaction, l’un


individuel et l’autre institutionnel – une interaction que le modèle biopsy-
chosocial est tout à fait à même d’intégrer. Pour l’étudiant en santé ou le soi-
gnant en clinique, on peut formuler la question ainsi : « Comment préserver
dans notre travail professionnel la sympathie et la compassion dont nous pouvons
– et savons déjà – faire preuve ? » Cependant, le travail professionnel est bien
éloigné de la vie quotidienne et, dans le contexte de la santé, ce travail dont
le but est d’apporter des soins implique d’être confronté à des états de grande
souffrance mentale et physique. En cela, la tâche d’un soignant relève plus
de la question suivante : « Comment adapter et affiner ma capacité à être sym-
pathique et compatissant dans mon travail professionnel ? » (Je remercie Grant
Gillett d’avoir formulé cette question nuancée au cours d’une conversation il
y a quelques années).
Cependant, rien de tout cela n’a de sens hors du contexte éducatif ou pro-
fessionnel en santé. Ce sont les institutions qui fournissent l’environnement
éducatif et de travail dans lequel la qualité des soins peut s’améliorer plutôt
que se détériorer. On peut répondre à ces problèmes à un niveau individuel,
en référence aux états mentaux et au comportement d’individus, mais ils
sont nécessairement entremêlés de facteurs institutionnels, illustrant la né-
cessité d’éviter des dysfonctionnements comme le « burn-out » ou « l’usure
compassionnelle » auxquels font référence quelques citations mentionnées
dans la section 6. On peut aussi considérer ces problèmes à travers l’idée d’un
délitement des soins hospitaliers à l’échelle institutionnelle, grâce à une mé-
thodologie basée sur des études de cas. Une enquête particulièrement impor-
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tante a été menée au Royaume-Uni par Robert Francis et le rapport qui en
a résulté formule des recommandations nombreuses et variées, notamment
sur le partage de valeurs liées au soin au sein de toute l’organisation et leur
promotion par une direction forte et cohérente (Francis Report, 2013).
Engel était bien conscient de l’importance des facteurs institutionnels
dans le domaine de la santé et soulignait au passage que le modèle biopsy-
chosocial peut les incorporer et les théoriser. Le modèle porte sur la santé et
la maladie, mais aussi sur le système des soins. Selon cette interprétation, la
portée de ce modèle est vaste : elle englobe les états mentaux et physiques
du patient, souvent marqués par un très haut niveau de stress, l’état psycho-
logique du soignant, sa sympathie comme son expertise, la relation entre le
soignant et le patient, et la contextualisation de cette relation au sein des ins-
titutions dans lesquelles presque tous les soins sont pratiqués.
Pour finir, voici un échantillon d’opinions exprimées par des usagers de
soins et tirées d’une étude de la clinique Mayo (Bendapudi et al., 2006) sur
les comportements idéaux des soignants. La transcription de ces entretiens
avec 192 patients ayant consulté au sein de 14 spécialités différentes et centrés
sur la relation soignant-patient a mené les enquêteurs à concevoir et valider
7 thèmes ayant trait aux comportements des médecins jugés les plus souhai-
tables. Ces thèmes sont nommés et définis ainsi (op. cit. p. 340) : 37
Derek Bolton

Confiant Le comportement plein d’assurance du médecin engendre la


confiance. La confiance du médecin me donne confiance.
Empathique Le médecin essaie de comprendre ce que je ressens et ce dont
je fais l’expérience, physiquement et émotionnellement, et
me communique cette compréhension.
Humain Le médecin est attentionné, compatissant et gentil.
Personnel Le médecin s’intéresse à moi en tant que personne et pas seu-
lement en tant que patient, et interagit avec moi, se souve-
nant de moi comme individu.
Direct Le médecin m’informe de ce que j’ai besoin de savoir dans un
langage clair et direct.
Respectueux Le médecin prend mes contributions au sérieux et travaille
avec moi.
Rigoureux Le médecin est consciencieux et persévérant.

Traduction de l’anglais de Julia Tinland


révisée par É. Giroux et J. Ferry-Danini

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Résumé
Plusieurs aspects du modèle biopsycho-
social promeuvent une approche huma-
niste en médecine. Cependant, Engel
a explicitement rejeté un humanisme
médical qui s’opposerait à la science. Abstract
En adoptant une approche fondée sur Many aspects of Engel’s biopsychosocial
la science des systèmes pour étudier les model support humanistic approaches
êtres humains, la santé et la maladie, to medicine. Engel was explicitly nega-
Engel défend une approche scientifique tive, however, about approaches that
pour améliorer la qualité des soins cli- would contrast medical humanism with
niques, ou autrement dit, une approche medical science. Engel adopted a systems
qui se prête à un examen scientifique de science approach to the study of human
cette question. beings, health and disease, and accor-
Mots-clés : Engel, modèle biopsychosocial, dingly endorsed the use of a scientific
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médecine, humanisme médical. approach for improving quality of clini-
cal care, in the sense of it being amenable
to scientific study.
Keywords: Engel, biopsychosocial model,
medicine, medical humanism.

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