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Résumé : Le climat social fait partie de concepts relativement délais- quotidiens du sens commun au titre d’un constat
sés par la psychologie sociale. Dans cet article, nous nous intéressons à ou d’une justification de notre rapport au groupe,
son évolution. À caractère descriptif et évaluatif, ce concept est un concept-
métaphore qui « parle plus qu’il ne l’explique ». Souffrant d’une faiblesse
le climat social ne semble pas soulever une grande
d’insertion théorique, il s’est transformé d’une caractéristique groupale en curiosité chez les chercheurs. La consultation de
une perception individuelle. Cette transformation explique probablement PsycInfo et de Francis indique depuis 1939, l’année de
pourquoi, actuellement, dans les recherches sur le climat social, la fascina- publication de l’article « Patterns of agressive beha-
tion pour ses mesures domine de loin la réflexion sur son pouvoir explicatif vior in experimentally created “social climates” » de
et les tentatives pour le manipuler. Elle nous amène à penser que le concept
du climat social est un concept « détourné ».
Lewin, Lippitt et White, seulement 181 références
où ce terme apparaît dans le titre ou dans les mots
clés. Même si ce chiffre ne reflète pas la totalité de
À l’heure où les variations climatiques nous publications consacrées au climat social, il montre
inquiètent et où la bioclimatologie humaine que cette thématique figure parmi les moins étu-
s’annonce comme une discipline d’avenir, diées. Si on regarde la fréquence de publications,
comment ne pas penser, rien que par association on s’aperçoit qu’après le pic des années 80 et 90,
d’idées, au climat social. En effet, il ne faut pas elle décroît fortement (cf. figure 1, page suivante).
être un psychologue social aguerri pour se rendre Ce pic, avec parfois quelques années de décalage,
compte à quel point ce « climat », lui aussi, affecte correspond aux publications de différentes échelles
les gens. mesurant le climat social principalement dans des
Tendu, lourd, froid, triste ou chaleureux, le climat classes (Classroom Environment Scale)1, des résidences
universitaires (University Residence Environment Scale),
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Pour toute correspondance relative à cet article, s’adresser à Ewa Drozda-Senkowska, Institut de psychologie, Laboratoire de psychologie sociale, 71
avenue Édouard Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt CEDEX, France ou par courriel à <ewa.drozda-senkowska@univ-paris5.fr>.
1. Pour l’adaptation française de cette échelle voir Bennacer (1991), pour l’échelle du climat social des cours au niveau de l’enseignement secondaire
voir Moyano Diaz (1983).
2. Toutes ces échelles dont la liste n’est pas exhaustive, à l’exception de la dernière, ont été conçues et validées par Rudolf H. Moos et ses collaborateurs
(voir Encyclopedia of Psychological Assessment (éd.) R. Fernandez-Ballestros (2003). La dernière, (TCI), a été proposée par Anderson et West (1996).
3. Par exemple, on y trouve : Journal of Applied Psychology, American Psychologist, Journal of Consulting and Clinical Psychology, Psychology in the schools, Journal
of Genetic Psychology, Journal of Counseling Psychology, etc., mais également Journal of Organisationnal Behavior, Organisational Behavior and Human Decision
Figure 1 : Nombre de références au climat social (articles, chapitres, thèses) : source PsycINFO
80
70
70
60
50
46
40
30 28
20
17
9
10
7
4
0
1939-49 1950-59 1960-69 1970-79 1980-89 1990-99 2000-2005
sociale (principalement : Small Group Research, Group concernent l’évolution de ce concept. Comme nous
Dynamics, Journal of Abnormal and Social Psychology, allons le voir, ce concept, à caractères descriptif et
Journal of Social Psychology) ne représentent que 5% évaluatif, est aussi (et peut-être surtout) un concept
de la totalité recensée. métaphorique qui « parle plus qu’il n’explique ».
Par ailleurs la faiblesse de son insertion théorique
Pourquoi alors accorder une attention particulière
contribue, au moins en partie, à la transformation
à cette thématique visiblement délaissée par les psy-
de ce qui est en principe une caractéristique grou-
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Processes, Human Ressource Development Quarterly, Journal of Career Development, Journal of Vocational Behavior, Journal of Educational Sociology, Research in Higher
Education, Journal of Classroom Interaction, Crime and Delinquency, Environment and Behavior, etc.
d’un environnement à l’autre. Par exemple, dans Une autre propriété de ce concept qui apparaît dans
l’ensemble, les caractéristiques spatiales sont moins les tentatives de ses définitions, concerne son carac-
souvent prises en compte que les caractéristiques tère dynamique. En effet, si la plupart des auteurs
organisationnelles ou encore que les caractéristi- postulent que les caractéristiques/dimensions prises
ques sociales (pour quelques exceptions voir Hiltonsmith, 1985 ; en comptes dans la description de l’environnement
Pollack, 1998 ; Sweaney, Inman, Wallinga et Dias, 1986 ; Taylor, social doivent être bien typiques et relativement
Gottfreson et Brower, 1981). Ainsi, à la différence du cli- stables, c’est parce qu’on s’attend à des change-
mat en tant que phénomène météorologique pour ments de leur évaluation (Anderson, 1992 ; Moos, 1994).
lequel il existe un relatif consensus sur l’ensemble Autrement dit, on considère que le climat social est
des caractéristiques qui permettent de le définir, le sensible à l’ensemble des facteurs qui affectent le
climat social est incontestablement, sur ce point, fonctionnement des gens, que ces facteurs soient de
nature psychologique (subjective) ou physique (ob-
un concept moins précis. À notre connaissance,
jective) (Hildebrand et Walsh, 1988 ; Kivlighan et Angelone, 1992 ;
il n’a donné lieu à aucune typologie consensuelle.
Zohar, 2000). C’est d’ailleurs dans cette sensibilité que
Pourtant, conçu comme une réalité psychologique réside son principal intérêt.
subjective, mais pouvant être partagée par les per-
sonnes appartenant au même environnement social, Dans l’ensemble, les indicateurs du climat social
il s’y prête bien. sont donc très variés. On y retrouve aussi bien des
indicateurs dits « subjectifs » que des indicateurs dits
D’ailleurs, cette idée d’une réalité subjective parta- « objectifs ». Les premiers portent principalement
gée, sur laquelle nous reviendrons plus loin, est très sur l’évaluation faite par les membres d’une même
importante. Présente dans pratiquement toutes les formation collective ou (plus rarement) par ses ob-
échelles du climat social où on distingue private beta servateurs externes : des modes de relations sociales,
press et consensual beta press (Fraser, 2002 ; Moos, 1980, 1994), des rapports au leader et/ou de son style du com-
elle pose deux questions inégalement traitées : mandement, de la tâche et du but (engagement), des
règles du fonctionnement (type et fréquence de par-
1. celle du partage de l’évaluation des caractéristi-
ticipation, mode de délibération, proximité, degré
ques par les personnes appartenant au même en-
de familiarité entre les personnes, etc.), mais aussi
vironnement social des conséquences des différentes contraintes (pres-
2. celle de l’accord sur le choix de ces caractéristi- sion du temps, défaillance des outils, etc.) et de leur
ques. gestion. Les seconds, objectifs, renvoient au taux de
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On voit bien quelques faiblesse dans la manière ques (Valencia et Paez, 1999), aux attitudes à l’égard des
dont le climat social est abordé et on les voit encore syndicats, de la coopération internationales, de la
mieux dans la manière dont il est utilisé. politique sociale (Butler, 1946) ou encore au sens qu’on
accorde à la communauté (Pretty, 1990). Il a rarement
Climat social : un concept le statut d’une variable dépendante et, surtout, raris-
en difficulté d’insertion théorique simes sont les cas où il fait l’objet de manipulation,
Considéré comme une perception/évaluation d’un c’est-à-dire acquiert le statut d’un facteur explicatif.
environnement social (d’une formation collective), Quelques exemples que nous avons trouvés ren-
le climat social n’acquiert sa spécificité que par la voient plus moins directement à l’idée déjà présente
désignation des dimensions (caractéristiques) sur dans les recherches de Lewin et ses collaborateurs
lesquelles porte cette perception/évaluation. On (1939), sur lesquelles nous reviendrons plus loin, se-
pourrait donc penser que le choix de ces dimen- lon laquelle le style du commandement crée un style
sions, en étant primordial, est guidé par un modèle de vie d’un groupe, un climat (ambiance) spécifique.
théorique, par exemple fonctionnel ou structural, En effet, on montre qu’il varie et en fonction du sty-
de l’environnement social auquel on s’intéresse. Or, le de commandement (Aron et Milicic, 1995 ; Kumar, 1975 ;
dans la grande majorité des travaux consacrés au Langdon, Cosgrave et Tranah, 2004 ; Roy, Shnha et Hassan, 1994) et
climat social, les références à ce type de modèles en fonction de la position de l’individu au sein du
sont absentes (pour quelques exceptions qui demandent néanmoins groupe ou de l’organisation (BootsMiller, Davidson, Luke et
une discussion voir Anderson, 1992 ; Zohar, 2000, Kivlighan et Tarrant,
Mowbray, 1997 ; Waters et Megathlin, 2002 ; Hildebrand et Walsh,
2001). Tout comme sont rarissimes les références
1988). Toutefois, il existe aussi des recherches où on
aux définitions, voire aux typologies des formations
varie l’information sur le climat social (Moss, Finney et
collectives. Pourtant lorsqu’on analyse aussi bien les
Griffin,1993) où on l’observe en fonction du type de
caractéristiques prises en compte dans les échelles
thérapies suivies (Dreikurs, 1951).
du climat social que ses indicateurs subjectifs, on
constate qu’elles renvoient à deux dimensions ha- Cette situation montre bien que le climat social souffre
bituellement évoquées dans le fonctionnement des de l’absence d’une intégration théorique permettant
groupes dynamiques : la dimension relationnelle et de préciser en quoi consiste son éventuelle valeur
la dimension opératoire. La première prenant le pas explicative. Par exemple, si on prend la productivité,
sur la seconde, reflète bien la tendance à considé- on voit immédiatement l’impasse à laquelle cette
rer le climat social davantage comme un indicateur situation nous amène. Comme le remarque Beauvois
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Climat social : une caractéristique groupale mesures domine de loin la réflexion sur son pouvoir
qui se transforme en une perception individuelle explicatif et les tentatives pour le manipuler.
Un autre problème que le concept de climat social Pour résumer, le climat social ne nous paraît pas
pose, et qui est lié aux précédents, concerne son « un trésor oublié » de la psychologie sociale. À nos
niveau d’analyse. À l’origine, il était conçu comme yeux, il fait plutôt partie des concepts mal exploités
une caractéristique d’une formation collective, non et « détournés ». Ni son caractère métaphorique, ni
réductible aux individus qui la composent. Ainsi, et les difficultés d’opérationnalisation au niveau grou-
conformément à la conception gestaltiste du groupe pal, ni la faiblesse de l’élaboration théorique depuis
proposée par Lewin, cette caractéristique concerne le travail princeps de Lewin n’encouragent sa récu-
un groupe en tant qu’un tout composé d’éléments pération. Ces difficultés font réfléchir à l’avancée de
interdépendants, où la modification d’un élément nos théories. Tout comme elles font réfléchir sur le
entraîne la modification des autres et de l’ensemble. sort des autres concepts du même type qu’ils soient
Cette conception est illustrée par la fameuse expé- mal ou bien investis. Quoiqu’il en soit à l’heure ac-
rience réalisée par Lippit et White, puis améliorée tuelle, il est difficile de dire si le sort du climat social
et publiée par Lewin, Lippit et White (1939), sur en psychologie sociale annonce le vent qui débar-
les styles de commandement et les comportements rasse de quelques feuilles mortes ou s’il annonce les
agressifs. Ils y postulent notamment que la modifica- nuages et avec eux un orage…
tion du mode de commandement entraînera la mo-
dification du « style de vie » du groupe, c’est-à-dire
une dynamique relationnelle spécifique où l’agressi-
vité s’exprimera et évoluera différemment. En effet,
comme le montrent leurs résultats, chaque style du
commandement crée un climat relationnel propre. RÉFÉRENCES
Les auteurs qualifient donc les différents climats/
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ambiances à partir du style du commandement qui Dans D. M. Hosking et N. Anderson (Dirs.), Organizational change and
affecte non seulement la relation de dépendance à innovation: Psychological perspectives and practices in Europe. Florence, Taylor
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enfants et bien évidemment le taux d’agressivité. – ANDERSON N. et WEST M. A. (1996): The team climate inventory:
Development of the TCI and ist applications in teambuilding for
Ces climats sont considérés comme une caractéris- innovativeness. European Journal of Work & Organisational Psychology, 5,
tique groupale ayant un effet, par exemple, sur le pp. 53-66.
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