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CLIMAT SOCIAL EN PSYCHOLOGIE SOCIALE : UN THÈME DÉLAISSÉ, UN

TRÉSOR OUBLIÉ OU UN CONCEPT DÉTOURNÉ ?

Ewa Drozda-Senkowska, Dominique Oberlé

Presses universitaires de Liège | « Les Cahiers Internationaux de Psychologie


Sociale »

2006/2 Numéro 70 | pages 73 à 78


ISSN 0777-0707
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-
sociale-2006-2-page-73.htm
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Climat social en psychologie sociale : un thème délaissé,
un trésor oublié ou un concept détourné ?

Ewa DROZDA-SENKOWSKA* et Dominique OBERLÉ**


* Laboratoire de psychologie sociale, Université Paris-Descartes, France
** Laboratoire « Processus cognitifs et conduites interactives », Université Paris X - Nanterre, France

Résumé : Le climat social fait partie de concepts relativement délais- quotidiens du sens commun au titre d’un constat
sés par la psychologie sociale. Dans cet article, nous nous intéressons à ou d’une justification de notre rapport au groupe,
son évolution. À caractère descriptif et évaluatif, ce concept est un concept-
métaphore qui « parle plus qu’il ne l’explique ». Souffrant d’une faiblesse
le climat social ne semble pas soulever une grande
d’insertion théorique, il s’est transformé d’une caractéristique groupale en curiosité chez les chercheurs. La consultation de
une perception individuelle. Cette transformation explique probablement PsycInfo et de Francis indique depuis 1939, l’année de
pourquoi, actuellement, dans les recherches sur le climat social, la fascina- publication de l’article « Patterns of agressive beha-
tion pour ses mesures domine de loin la réflexion sur son pouvoir explicatif vior in experimentally created “social climates” » de
et les tentatives pour le manipuler. Elle nous amène à penser que le concept
du climat social est un concept « détourné ».
Lewin, Lippitt et White, seulement 181 références
où ce terme apparaît dans le titre ou dans les mots
clés. Même si ce chiffre ne reflète pas la totalité de
À l’heure où les variations climatiques nous publications consacrées au climat social, il montre
inquiètent et où la bioclimatologie humaine que cette thématique figure parmi les moins étu-
s’annonce comme une discipline d’avenir, diées. Si on regarde la fréquence de publications,
comment ne pas penser, rien que par association on s’aperçoit qu’après le pic des années 80 et 90,
d’idées, au climat social. En effet, il ne faut pas elle décroît fortement (cf. figure 1, page suivante).
être un psychologue social aguerri pour se rendre Ce pic, avec parfois quelques années de décalage,
compte à quel point ce « climat », lui aussi, affecte correspond aux publications de différentes échelles
les gens. mesurant le climat social principalement dans des
Tendu, lourd, froid, triste ou chaleureux, le climat classes (Classroom Environment Scale)1, des résidences
universitaires (University Residence Environment Scale),
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social est souvent qualifié par les termes mêmes qui
des familles (Family Environment Scale), des groupes du
décrivent le temps qu’il fait. D’ailleurs, au sens pro-
support et groupes thérapeutiques (Group Environment
pre, le terme « climat » renvoie à un ensemble des
Scale, Ward Atmosphere Scale), des institutions pour les
phénomènes météorologiques (température, humi-
personnes âgées (The Sheltered Care Environment Scale),
dité, ensoleillement, pression, vent, précipitations,
des institutions carcérales (Correctional Institution
etc.) qui caractérisent l’état moyen de l’atmosphère
Environment Scale), des unités militaires (Military
dans un lieu donné à un moment donné. Au sens
Environment Inventory), des milieux du travail (Work
figuré, le climat (l’ambiance, le moral, l’atmosphère)
Environment Scale), des équipes de travail (Team Climate
réfère à l’ensemble des circonstances dans lesquelles
Inventory)2, et reflète l’intérêt accordé à cette théma-
on vit.
tique en particulier dans le champs scolaire, dans les
En psychologie sociale, ce concept, bien qu’il reste organisations et le monde du travail. D’ailleurs on
particulièrement flou, paraît intéressant à plusieurs arrive au même constat lorsqu’on analyse les sup-
égards. Tout d’abord, il est lié à une situation un ports de publications et notamment les titres des re-
peu paradoxale. Bien présent dans les discours vues3. Celles qui relèvent proprement de psychologie

Pour toute correspondance relative à cet article, s’adresser à Ewa Drozda-Senkowska, Institut de psychologie, Laboratoire de psychologie sociale, 71
avenue Édouard Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt CEDEX, France ou par courriel à <ewa.drozda-senkowska@univ-paris5.fr>.
1. Pour l’adaptation française de cette échelle voir Bennacer (1991), pour l’échelle du climat social des cours au niveau de l’enseignement secondaire
voir Moyano Diaz (1983).
2. Toutes ces échelles dont la liste n’est pas exhaustive, à l’exception de la dernière, ont été conçues et validées par Rudolf H. Moos et ses collaborateurs
(voir Encyclopedia of Psychological Assessment (éd.) R. Fernandez-Ballestros (2003). La dernière, (TCI), a été proposée par Anderson et West (1996).
3. Par exemple, on y trouve : Journal of Applied Psychology, American Psychologist, Journal of Consulting and Clinical Psychology, Psychology in the schools, Journal
of Genetic Psychology, Journal of Counseling Psychology, etc., mais également Journal of Organisationnal Behavior, Organisational Behavior and Human Decision

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Ewa Drozda-Senkowska et Dominique Oberlé

Figure 1 : Nombre de références au climat social (articles, chapitres, thèses) : source PsycINFO

80

70
70

60

50
46

40

30 28

20
17

9
10
7
4

0
1939-49 1950-59 1960-69 1970-79 1980-89 1990-99 2000-2005

sociale (principalement : Small Group Research, Group concernent l’évolution de ce concept. Comme nous
Dynamics, Journal of Abnormal and Social Psychology, allons le voir, ce concept, à caractères descriptif et
Journal of Social Psychology) ne représentent que 5% évaluatif, est aussi (et peut-être surtout) un concept
de la totalité recensée. métaphorique qui « parle plus qu’il n’explique ».
Par ailleurs la faiblesse de son insertion théorique
Pourquoi alors accorder une attention particulière
contribue, au moins en partie, à la transformation
à cette thématique visiblement délaissée par les psy-
de ce qui est en principe une caractéristique grou-
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chologues sociaux ? pale en une perception individuelle et suscite beau-
Sans préjuger le mérite éventuel d’un regain d’inté- coup de préoccupations liées à sa mesure.
rêt pour le climat social dans notre discipline, le re-
pérage des concepts et/ou thématiques peu investis, Climat social : un concept descriptif
voire abandonnés par elle, nous paraît autant révé- et évaluatif, mais aussi un concept-métaphore
lateur de son évolution que le repérage des concepts Le climat social est un concept qui donne rarement
et thématiques en vogue. Or, nous ne le faisons que lieu à des définitions. En général, elles commencent
très rarement. Pourtant, comme le montre l’inter- par la désignation de la formation collective, ou si
rogation de Steiner (1974), reprise par Moreland, l’on reprend la terminologie dominante dans les pu-
Hogg et Hains (1994), commentée par Oberlé (1996) blications, de « l’environnement social » auquel on
et De Visscher (2001) à propos des recherches sur se réfère : un groupe, une organisation/institution,
les groupes, ces analyses sont très utiles. Elles per- une classe scolaire… Ces définitions précisent en-
mettent, entre autres, de réaliser que certaines thé- suite que le climat social correspond à une percep-
matiques en apparence « abandonnées » par la psy- tion globale des personnes appartenant à cet « en-
chologie sociale continuent à vivre en dehors d’elle vironnement social », perception formée à partir
ou qu’elles se transforment. Le climat social n’en d’une série de caractéristiques. Parmi elles figurent
est qu’un exemple, mais un exemple interpellant aussi bien les caractéristiques sociales, organisation-
car illustratif de quelques phénomènes plus géné- nelles que spatiales (physiques et architecturales),
raux. Ceux qui nous paraissent pertinents à discuter etc. (voir par exemple Gadbois, 1974 ; Moos, 1994). Elles varient

Processes, Human Ressource Development Quarterly, Journal of Career Development, Journal of Vocational Behavior, Journal of Educational Sociology, Research in Higher
Education, Journal of Classroom Interaction, Crime and Delinquency, Environment and Behavior, etc.

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Climat social en psychologie sociale

d’un environnement à l’autre. Par exemple, dans Une autre propriété de ce concept qui apparaît dans
l’ensemble, les caractéristiques spatiales sont moins les tentatives de ses définitions, concerne son carac-
souvent prises en compte que les caractéristiques tère dynamique. En effet, si la plupart des auteurs
organisationnelles ou encore que les caractéristi- postulent que les caractéristiques/dimensions prises
ques sociales (pour quelques exceptions voir Hiltonsmith, 1985 ; en comptes dans la description de l’environnement
Pollack, 1998 ; Sweaney, Inman, Wallinga et Dias, 1986 ; Taylor, social doivent être bien typiques et relativement
Gottfreson et Brower, 1981). Ainsi, à la différence du cli- stables, c’est parce qu’on s’attend à des change-
mat en tant que phénomène météorologique pour ments de leur évaluation (Anderson, 1992 ; Moos, 1994).
lequel il existe un relatif consensus sur l’ensemble Autrement dit, on considère que le climat social est
des caractéristiques qui permettent de le définir, le sensible à l’ensemble des facteurs qui affectent le
climat social est incontestablement, sur ce point, fonctionnement des gens, que ces facteurs soient de
nature psychologique (subjective) ou physique (ob-
un concept moins précis. À notre connaissance,
jective) (Hildebrand et Walsh, 1988 ; Kivlighan et Angelone, 1992 ;
il n’a donné lieu à aucune typologie consensuelle.
Zohar, 2000). C’est d’ailleurs dans cette sensibilité que
Pourtant, conçu comme une réalité psychologique réside son principal intérêt.
subjective, mais pouvant être partagée par les per-
sonnes appartenant au même environnement social, Dans l’ensemble, les indicateurs du climat social
il s’y prête bien. sont donc très variés. On y retrouve aussi bien des
indicateurs dits « subjectifs » que des indicateurs dits
D’ailleurs, cette idée d’une réalité subjective parta- « objectifs ». Les premiers portent principalement
gée, sur laquelle nous reviendrons plus loin, est très sur l’évaluation faite par les membres d’une même
importante. Présente dans pratiquement toutes les formation collective ou (plus rarement) par ses ob-
échelles du climat social où on distingue private beta servateurs externes : des modes de relations sociales,
press et consensual beta press (Fraser, 2002 ; Moos, 1980, 1994), des rapports au leader et/ou de son style du com-
elle pose deux questions inégalement traitées : mandement, de la tâche et du but (engagement), des
règles du fonctionnement (type et fréquence de par-
1. celle du partage de l’évaluation des caractéristi-
ticipation, mode de délibération, proximité, degré
ques par les personnes appartenant au même en-
de familiarité entre les personnes, etc.), mais aussi
vironnement social des conséquences des différentes contraintes (pres-
2. celle de l’accord sur le choix de ces caractéristi- sion du temps, défaillance des outils, etc.) et de leur
ques. gestion. Les seconds, objectifs, renvoient au taux de
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Autrement dit, la concordance des évaluations des participation, d’échange entre les personnes, aux
membres d’un groupe de travail ou d’une classe contraintes (conditions) matérielles et/ou imposées
par les règlements, à la répartition des rôles, au type
scolaire, par exemple de « la chaleur affective » qui
de commandement et, très souvent, au taux de l’ab-
règne dans leur groupe, ne signifie pas qu’ils s’ac-
sentéisme. Toutefois, plus rares sont les recherches
cordent tous pour dire que « la chaleur affective » dans lesquelles ces deux catégories d’indicateurs,
fait partie de ce qu’ils considèrent comme un élé- subjectifs et objectifs, sont utilisées conjointement.
ment important du « climat du groupe » (voir par exem-
ple Howe, 1977). Cependant, comme le montrent les
Pour résumer, si les tentatives de définition du climat
social sont dans l’ensemble rares, c’est aussi parce
résultats de différentes recherches, le climat social
que ce concept paraît clair. En effet, comme nous
est non seulement facilement repérable et désigné, il l’avons mentionné, il fait partie des concepts méta-
est aussi différencié, par exemple, de la satisfaction phores qui sont très parlants et souvent très imagés.
du travail ou de la cohésion du groupe (Mason et Griffin, En donnant l’impression de « comprendre », de
2003). Il n’empêche que la concordance entre les « voir » ce que les autres veulent dire, ils facilitent
membres concerne parfois l’évaluation globale du la communication. Ainsi, ces concepts métaphores
climat social et parfois seulement l’évaluation d’une peuvent rester flous en cachant leur faible valeur ex-
ou de quelques unes des ses caractéristiques (Arbinger plicative derrière leur grande valeur communicati-
et von Saldern, 1984). De la même manière, on constate ve. Si on leur applique les critères classiques d’utilité
que cette évaluation se fait plus facilement à propos des concepts scientifiques, selon lesquels la valeur
du climat « négatif », insatisfaisant, perçu comme explicative devrait primer sur la valeur communica-
une entrave au bon fonctionnement et rendement tive, on est amené à conclure que la leur est souvent
qu’à propos du climat « positif ». (BootsMiller, Davidson, faible. Ceci n’empêche aucunement que leur « du-
Luke et Mowbray, 1997, Mitzel et Rabinowitz, 1953). rée de vie » puisse être plus ou moins longue.

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Ewa Drozda-Senkowska et Dominique Oberlé

On voit bien quelques faiblesse dans la manière ques (Valencia et Paez, 1999), aux attitudes à l’égard des
dont le climat social est abordé et on les voit encore syndicats, de la coopération internationales, de la
mieux dans la manière dont il est utilisé. politique sociale (Butler, 1946) ou encore au sens qu’on
accorde à la communauté (Pretty, 1990). Il a rarement
Climat social : un concept le statut d’une variable dépendante et, surtout, raris-
en difficulté d’insertion théorique simes sont les cas où il fait l’objet de manipulation,
Considéré comme une perception/évaluation d’un c’est-à-dire acquiert le statut d’un facteur explicatif.
environnement social (d’une formation collective), Quelques exemples que nous avons trouvés ren-
le climat social n’acquiert sa spécificité que par la voient plus moins directement à l’idée déjà présente
désignation des dimensions (caractéristiques) sur dans les recherches de Lewin et ses collaborateurs
lesquelles porte cette perception/évaluation. On (1939), sur lesquelles nous reviendrons plus loin, se-
pourrait donc penser que le choix de ces dimen- lon laquelle le style du commandement crée un style
sions, en étant primordial, est guidé par un modèle de vie d’un groupe, un climat (ambiance) spécifique.
théorique, par exemple fonctionnel ou structural, En effet, on montre qu’il varie et en fonction du sty-
de l’environnement social auquel on s’intéresse. Or, le de commandement (Aron et Milicic, 1995 ; Kumar, 1975 ;
dans la grande majorité des travaux consacrés au Langdon, Cosgrave et Tranah, 2004 ; Roy, Shnha et Hassan, 1994) et
climat social, les références à ce type de modèles en fonction de la position de l’individu au sein du
sont absentes (pour quelques exceptions qui demandent néanmoins groupe ou de l’organisation (BootsMiller, Davidson, Luke et
une discussion voir Anderson, 1992 ; Zohar, 2000, Kivlighan et Tarrant,
Mowbray, 1997 ; Waters et Megathlin, 2002 ; Hildebrand et Walsh,
2001). Tout comme sont rarissimes les références
1988). Toutefois, il existe aussi des recherches où on
aux définitions, voire aux typologies des formations
varie l’information sur le climat social (Moss, Finney et
collectives. Pourtant lorsqu’on analyse aussi bien les
Griffin,1993) où on l’observe en fonction du type de
caractéristiques prises en compte dans les échelles
thérapies suivies (Dreikurs, 1951).
du climat social que ses indicateurs subjectifs, on
constate qu’elles renvoient à deux dimensions ha- Cette situation montre bien que le climat social souffre
bituellement évoquées dans le fonctionnement des de l’absence d’une intégration théorique permettant
groupes dynamiques : la dimension relationnelle et de préciser en quoi consiste son éventuelle valeur
la dimension opératoire. La première prenant le pas explicative. Par exemple, si on prend la productivité,
sur la seconde, reflète bien la tendance à considé- on voit immédiatement l’impasse à laquelle cette
rer le climat social davantage comme un indicateur situation nous amène. Comme le remarque Beauvois
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de la dimension relationnelle que de l’opératoire (cf. (1995) avec un certain humour à propos des relations
Oberlé et Drozda-Senkowska dans ce même numéro). Plus difficile à humaines et du climat de travail : « quelques idées
saisir, plus complexe, la dimension relationnelle ne simples, articulées, forment une belle théorie…
soulève cependant pas beaucoup d’interrogations tellement belle qu’on aimerait qu’elle soit vraie » (p.
théoriques dans les recherches sur le climat social. 55). Cette théorie se résume à dire que si les salariés
D’ailleurs, à l’origine de l’intérêt qu’on lui accorde « sont satisfaits et s’ils ont des attitudes favorables, ils
se trouve souvent l’idée que comme l’affectif et le
travaillent mieux et davantage, et tout cela donne un
social, il mérite notre attention en tant qu’entrave
excellent climat... » (idem). En résumé, la satisfaction
éventuelle à la productivité ou à l’apprentissage.
et la cohésion déterminent la performance et donc
Si, dans l’ensemble, on a bien l’impression que le indirectement le climat. Toutefois, en transformant
climat social, au même titre que la structure, la com- un peu le propos de Beauvois pour les besoins du
position ou le style de commandement, peut être nôtre, il est aussi probable que ce soit l’explication
un élément pertinent pour décrire une formation donnée à la performance, par exemple en termes
collective, on n’a pas la même impression en ce qui de climat, qui contribue à la cohésion et au
concerne son rôle explicatif. En effet, dans la majo- sentiment de la satisfaction. Un effet ? Une cause ?
rité des recherches impliquant le climat social, celui- De quoi ? Pourquoi ? Les recherches sur le climat
ci a le statut d’un corrélat. Il est lié, plus ou moins social donnent plutôt l’impression d’éviter que
fortement, pratiquement à tout : à la cohésion, à la de poser ce genre de questions, de sorte qu’hier
satisfaction, à la productivité (Brady, Kinnaird et Friedrich, comme aujourd’hui cette appellation recouvre un
1980 ; Bulak, 1986 ; Church, 1995), mais aussi à l’estime
phénomène à la fois global et composite, difficile à
de soi (Hertz Lazarovitz et Sharan, 1979), à l’alcoolisme au
définir, à mesurer, à analyser, à prédire.
travail (Svare, Miller et Ames, 2004), au risque de suicide
(Gratton, 1995), à la mémoire des évènements politi-

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Climat social en psychologie sociale

Climat social : une caractéristique groupale mesures domine de loin la réflexion sur son pouvoir
qui se transforme en une perception individuelle explicatif et les tentatives pour le manipuler.
Un autre problème que le concept de climat social Pour résumer, le climat social ne nous paraît pas
pose, et qui est lié aux précédents, concerne son « un trésor oublié » de la psychologie sociale. À nos
niveau d’analyse. À l’origine, il était conçu comme yeux, il fait plutôt partie des concepts mal exploités
une caractéristique d’une formation collective, non et « détournés ». Ni son caractère métaphorique, ni
réductible aux individus qui la composent. Ainsi, et les difficultés d’opérationnalisation au niveau grou-
conformément à la conception gestaltiste du groupe pal, ni la faiblesse de l’élaboration théorique depuis
proposée par Lewin, cette caractéristique concerne le travail princeps de Lewin n’encouragent sa récu-
un groupe en tant qu’un tout composé d’éléments pération. Ces difficultés font réfléchir à l’avancée de
interdépendants, où la modification d’un élément nos théories. Tout comme elles font réfléchir sur le
entraîne la modification des autres et de l’ensemble. sort des autres concepts du même type qu’ils soient
Cette conception est illustrée par la fameuse expé- mal ou bien investis. Quoiqu’il en soit à l’heure ac-
rience réalisée par Lippit et White, puis améliorée tuelle, il est difficile de dire si le sort du climat social
et publiée par Lewin, Lippit et White (1939), sur en psychologie sociale annonce le vent qui débar-
les styles de commandement et les comportements rasse de quelques feuilles mortes ou s’il annonce les
agressifs. Ils y postulent notamment que la modifica- nuages et avec eux un orage…
tion du mode de commandement entraînera la mo-
dification du « style de vie » du groupe, c’est-à-dire
une dynamique relationnelle spécifique où l’agressi-
vité s’exprimera et évoluera différemment. En effet,
comme le montrent leurs résultats, chaque style du
commandement crée un climat relationnel propre. RÉFÉRENCES
Les auteurs qualifient donc les différents climats/
– ANDERSON N. (1992): Work group innovation: State-of-the art review.
ambiances à partir du style du commandement qui Dans D. M. Hosking et N. Anderson (Dirs.), Organizational change and
affecte non seulement la relation de dépendance à innovation: Psychological perspectives and practices in Europe. Florence, Taylor
l’égard du meneur, mais aussi les relations entre les & Frances/Routledge, pp. 149-160.
enfants et bien évidemment le taux d’agressivité. – ANDERSON N. et WEST M. A. (1996): The team climate inventory:
Development of the TCI and ist applications in teambuilding for
Ces climats sont considérés comme une caractéris- innovativeness. European Journal of Work & Organisational Psychology, 5,
tique groupale ayant un effet, par exemple, sur le pp. 53-66.
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sentiment de solidarité, le degré de coopération, la – ARBINGER R. et VON SALDERN M. (1984): School environment and
productivité. social climate in classrooms. Psychologie in Erziehung und Unterricht, 31,
pp. 81-99.
Or dans pratiquement aucune étude parmi celles – ARON A. M. et MILICIC M. N. (1995): Resilience and social climate in
que nous avons recensées à propos du climat social, school context. Psykhe : Revista de la Escuela de Psicologia, 4, pp. 57-68.
celui-ci n’est opérationnalisé comme une caractéris- – BEAUVOIS J.-L. (1995): Les relations humaines et le climat de travail
(Encadré 4). Dans G. Mugny, D. Oberlé, J.-L. Beauvois (Dirs.),
tique groupale (group level) en fonction d’une posi- Relations humaines, groupes et influence sociale. Grenoble, PUG, pp. 55-57.
tion théorique clairement explicitée comme celle de – BENNACER H. (1991): Échelle de l’environnement social de la classe
Lewin et de ses collaborateurs. Comme nous l’avons (EEC). Psychologie et Psychométrie, 12, pp. 59-75.
déjà indiqué, dans la grande majorité des cas, le – BOOTSMILLER B. J., DAVIDSON W. S. II, LUKE D. A. et MOWBRAY C. T.
climat social est, au mieux, une évaluation globale (1997): Social climate differences in a large psychiatric hospital: Staff
and client observations. Journal of Community Psychology, 25, pp. 325-336.
partagée entre les personnes appartenant à une
– BRADY C. A., KINNAIRD K. L. et FRIEDRICH W. N. (1980): Job
même formation collective. Mais son caractère plus satisfaction and perception of social climate in mental health facility.
ou moins « consensuel » ou « partagé » est, dans la Perceptual and Motor Skills, 51, pp. 559-564.
plupart des cas, inférée à partir de l’agrégation des – BULAK J. (1986): The social climate of organizations. Ceskoslovenska
perceptions individuelles. Psychologie, 30, pp. 377-397.
– BUTLER J. R. (1946): Military rank and social climate as determinants
of social attitudes. Journal of Personality, 14, pp. 184-198.
En résumé – CHURCH A. H. (1995): Managerial behaviours and work group climate
Ainsi, progressivement le climat social s’est trans- as predictors of employee outcomes. Human Resource Development
Quarterly, 6, pp. 173-205.
formé d’une caractéristique groupale en une per-
– DE VISSCHER P. (2001): La dynamique des groupes d’hier à aujourd’hui. Paris,
ception individuelle. Cette transformation explique Presses Universitaires de France.
probablement pourquoi, à l’heure actuelle, dans les – DREIKURS R. (1951): The unique social climate experienced in group
recherches sur le climat social, la fascination de ses psychotherapy. Group Psychotherapy, 3, pp. 292-299.

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Ewa Drozda-Senkowska et Dominique Oberlé

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– GRATTON F. (1995): Le climat social du Québec, propice à des suicides chez les – MOOS R. H., FINNEY J. et MAUDE GRIFFIN P. (1993): The social climate of
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© Presses universitaires de Liège | Téléchargé le 20/08/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.157.88.183)

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78 Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2006, N°70, pp. 73-78

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