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Le jeu de la « balle assise » : un substitut au questionnaire

sociométrique ?
Alexandre Obœuf, Luc Collard, Benoît Gérard
Dans Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 2008/1 (Numéro 77), pages
87 à 100
Éditions Presses universitaires de Liège
ISSN 0777-0707
DOI 10.3917/cips.077.0087
© Presses universitaires de Liège | Téléchargé le 15/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 193.48.126.222)

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Le jeu de la « balle assise » :
un substitut au questionnaire sociométrique ?

Alexandre Obœuf*, Luc Collard** et Benoît Gérard***


* Groupe d’étude pour l’Europe de la culture et de la solidarité (GEPECS), Université Paris Descartes, Paris, France
** Centre de Recherche sur les Activités Physiques et Sportives (APS2), Université de Caen Basse-Normandie, Caen, France
*** Centre de Recherche Européen en Finance et en Gestion (CREFIGE), Université Paris-Dauphine, Paris, France

Résumé : Nous cherchons à savoir si le jeu de la « balle assise », en raison mis à Pierre Parlebas (1992) de mettre en évidence
de sa structure d’ambivalence et d’instabilité, permet l’actualisation des que les sports de combat comme les sports collec-
relations socio-affectives des protagonistes. Deux groupes de 23 et 26 étu-
diants sont sollicités et nous comparons les résultats de questionnaires socio-
tifs, qui sont des « jeux à deux joueurs et à somme
métriques avec les communications motrices observées au cours du jeu. Notre nulle », encore nommés « jeux strictement compéti-
étude révèle une corrélation prononcée entre les relations socio-affectives et tifs » (Von Neumann et Morgenstern, 1944), ne peuvent viser un
les relations fonctionnelles (p<.01). Les relations socio-affectives semblent objectif d’accroissement de la solidarité. Dans ces
être omniprésentes dans tous les choix décisionnels des protagonistes. Dans « duels » (football, tennis, rugby, badminton, etc.),
la mesure où nos résultats seraient généralisables, le jeu traditionnel de la
« balle assise », pourtant souvent jugé désuet, offrirait des ressources in-
tout ce qu’un joueur ou une équipe gagne, l’autre le
soupçonnées. Sur le vif, il permettrait au pédagogue de saisir la personnalité perd (Shubik, 1982). Ils magnifient l’antagonisme. La
des acteurs et les relations socio-affectives du groupe. Il pourrait ainsi se coopération n’y est qu’un sous-produit, ce qui com-
« substituer » -dans une certaine mesure- au questionnaire sociométrique et promet fortement la finalité d’altruisme poursuivie.
deviendrait un outil d’intervention psycho-sociologique. Il ne suffit pas d’être en présence d’autrui pour déve-
Mots-clés : sociométrie, socio-affectivité, communication motrice, jeu lopper des relations d’affinité à son égard, le contrai-
sportif, socialisation. re étant tout aussi plausible, notamment au cœur des
activités portant au pinacle les structures clairement
tranchées, dichotomiques (Parlebas, 1999 ; Oboeuf et Collard,
2006).
Motivation de la recherche
Si les psychosociologues peuvent explorer la richesse
Tout enseignant le sait bien : le temps qui lui est im-
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et la pertinence de cet outil, ce n’est pas le cas du
parti est limité. Peu de situations d’enseignement dé-
pédagogue qui bute souvent sur l’obstacle temporel.
rogent à cette règle. De facto, un large panel d’outils
- pourtant d’un grand secours - est jeté aux oubliet- Deux constats peuvent donc être faits : d’une part,
tes. L’outil sociométrique (Chaix-Ruy, 1960; Northway, 1964; l’intérêt de l’outil sociométrique est évident pour le
Ancelin-Schützenberger, 1972; Parlebas, 1992) qui offre l’oppor- pédagogue, et d’autre part, il ne peut l’utiliser en rai-
tunité de la « mesure des relations inter-humaines », son d’une crise de temps. Comment résoudre cette
ainsi que l’exposait Moreno (1970, p. XLI), fait partie contradiction entre l’importance de l’outil, son uti-
de ces exclus. Cet outil, s’étonnera le lecteur, est lité, et le temps que ce dernier phagocyte ? Peut-on
pourtant d’une richesse foisonnante. Permettant de proposer un instrument tout aussi utile au pédago-
prendre connaissance de l’état des relations socio-af- gue, mais moins contraignant au niveau temporel ?
fectives, il autorise la formation de groupes de travail Peut-on proposer une alternative raisonnable ?
adaptés à la spécificité de chaque situation d’ensei- L’idée que nous défendons est la suivante : nous
gnement. De façon regrettable, cet instrument d’in- pouvons retrouver une partie de la richesse de l’outil
tervention psycho-sociologique est vite délaissé de- sociométrique de manière originale, tout en gagnant
vant l’urgence de la situation d’enseignement. un temps précieux, par la mise en place et l’obser-
Dans ses travaux pionniers, Muzafer Sherif (1954 ; vation d’un jeu faisant émerger les relations socio-
1958) a abondamment utilisé l’outil sociométrique, affectives des participants. Comment valider cette
notamment pour mettre en évidence l’intérêt du but émergence au sein dudit jeu, appelé jeu de la « balle
supra-ordonné, ou superordinate goal1. L’outil a aussi per- assise » ?
Pour toute correspondance relative à cet article, s’adresser à Alexandre Oboeuf, 52 rue de l’Abbaye, 80000 Amiens, France ou par courriel à
<alexandre.oboeuf@etu.univ-paris5.fr>. Nous remercions vivement Marie Hagnéré, Pierre Oboeuf, Antoine Hagnéré et Mathieu Oboeuf pour
leur éclairant recul et leurs précieux conseils tout au long de notre démarche.

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Alexandre Obœuf, Luc Collard et Benoît Gérard

Pour que cette émergence soit validée, il est néces- tie d’aucune équipe désignée et les joueurs ont la
saire de savoir si les relations fonctionnelles pouvant possibilité, lorsqu’ils sont en possession de la balle,
être observées in situ (sous forme de passes, de tirs) de choisir sur qui ils vont tirer ou vers qui ils vont
coïncident avec les relations socio-affectives, mises faire une passe. Un joueur voulant faire une passe à
en évidence à l’aide d’un questionnaire sociomé- un autre réalise celle-ci à l’aide d’un rebond au sol,
trique. Pour savoir si ces deux types de relations se alors qu’un tir se fera de volée. Si un joueur est tou-
superposent, il est nécessaire d’engager une compa- ché, il devient prisonnier et doit s’asseoir sur place.
raison. A-t-on les moyens de la réaliser ? Il devra alors attendre d’être délivré par la passe
Comme le souligne avec force Serge Moscovici, d’un participant ou par le hasard des rebonds.
c’est « la banalité même que de reconnaître qu’il Le jeu sportif de la « balle assise », en laissant le
n’y a d’individus que pris dans un réseau social, et libre choix à ceux qui le pratiquent de choisir leurs
qu’il n’y a de société que fourmillant d’individus di-
partenaires et leurs adversaires (ambivalence), ain-
vers, comme le moindre morceau de matière four-
mille d’atomes » (1984, p. 5). C’est la notion de réseau si que la possibilité d’en changer au cours du jeu
(Degenne et Forsé, 2004) qui nous offrira l’opportunité de
(instabilité), offre l’ambivalence et l’instabilité de la
réaliser notre comparaison. Nous pouvons en effet vie sociale. Par conséquent, cette structure ludique
faire émerger le réseau des relations socio-affectives diffère notablement des structures sportives, où ni
à l’aide du questionnaire sociométrique et le réseau l’ambivalence ni l’instabilité n’ont droit d’entrée.
des communications motrices2 en observant ces der- C’est cette originalité structurale qui, selon nous, va
nières au cours de notre jeu (Parlebas, 1999 ; 2005). Les permettre aux individus de réinvestir dans le jeu de
deux réseaux deviennent alors comparables à l’aide la « balle assise », à leur corps défendant ou non,
de la théorie des graphes (Bornholdt et Schuster, 2003). Si les relations socio-affectives développées en d’autres
la comparaison dévoile un lien fort entre ces deux lieux.
réseaux, cela voudra dire que les acteurs réalisent
Pour réaliser cette expérience, nous sollicitons deux
des passes aux joueurs qu’ils apprécient le plus, et
groupes de Travaux Pratiques (TP) d’étudiants de
qu’ils ne la passent pas aux joueurs qu’ils apprécient
moins. Dans ce cas, nous réfléchirons sur les consé- 2ème année en Faculté des sciences du sport, dont
quences de cette corrélation. l’effectif est de 23 et 26 participants. Au sein de cha-
cun des groupes, les étudiants se connaissent déjà
Ce travail se situe donc dans une perspective psy- depuis plus d’un an. Laps de temps bien suffisant
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chosociologique, tant au niveau méthodologique pour nouer des liens d’amitiés ou faire naître des
que théorique. Concernant le point théorique, cette relations empreintes d’animosité et d’hostilité. Ces
étude remet au goût du jour la distinction, souvent groupes sont homogènes, et tous pratiquent une ac-
oubliée (Doise, 1987), entre processus orientés vers la tivité au niveau fédéral. Lors d’une première séan-
tâche (valorisation de la cohésion fonctionnelle) et
ce, nous faisons passer des questionnaires sociomé-
processus orientés vers le groupe (prédominance de
triques aux répondants. La semaine suivante, lors
la cohésion socio-affective) (Oberlé et Drozda-Senkowska,
2006).
d’une seconde séance, chaque groupe est amené à
participer, pendant un laps de temps de 20 minu-
Au sein d’un jeu sportif, comment mesurer le lien en- tes, au jeu sportif de la « balle assise ». Nous fil-
tre les relations fonctionnelles (passes, tirs) et les re- mons le déroulement du jeu. Notons que différer la
lations socio-affectives des participants ? Comment participation au jeu est une nécessité afin de limiter
savoir si les relations socio-affectives préexistantes l’influence du questionnaire sociométrique sur le
émergent au sein du jeu sportif retenu ? déroulement ludique. En outre, les deux groupes ne
Comment mettre au jour les relations
réalisent pas l’expérience au même moment, mais
socio-affectives et fonctionnelles ? successivement, à deux heures d’intervalle. Aucun
étudiant ne connaît le but poursuivi, et nous veillons
Description des caractéristiques ludiques,
à filmer l’ensemble de la séance de TP, qui dure
participants et recueil des données
deux heures, et qui est composée de différents jeux
Dans le jeu de la « balle assise » (Guillemard, Marchal, sportifs.
Parent, Parlebas et Schmitt, 1984),
les joueurs sont répartis
sur l’aire de jeu et cherchent à s’emparer d’une balle En décortiquant ces films ludiques, nous relevons à
vivement convoitée. Le déplacement avec la balle l’aide d’une grille l’ensemble des passes et des tirs
fait partie des interdits. Les participants ne font par- entre protagonistes.

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Le jeu de la « balle assise »

Tableau 1 : Ce tableau des dyades permet de calculer l’indice de cohésion d’une dyade et les indices de cohésion socio-affective
(α) intra-sous-groupaux et inter-sous-groupaux

Cyril Marie Antoine Symbolisation proposée par Tagiuri et valences correspondantes


--> <== --> <-- --> Choix socio-affectif (+1)
Cyril --< Attente de choix (+1)
--< >== --< >--
==> Rejet socio-affectif (-1)
--> <-- ==< Attente de rejet (-1)
Marie
==<

Antoine

Pour la dyade Cyril/Marie, l’indice est nul (+1+1-1-1). Pour les indices intra-sous-groupaux et inter-sous-groupaux, on calculera la
somme des valences des différentes dyades puis on la divisera par le nombre de dyades correspondantes. Pour notre sous-groupe
Cyril/Marie/Antoine, nous obtenons un indice de cohésion socio-affective de +1,67 (α = (0+4+1) / 3 = 1,67)

Le questionnaire sociométrique et le relevé des com- p.106). La cartographie ainsi obtenue permet de faire
munications motrices seront les clés de voûte de notre émerger les sous-groupes, et l’hostilité socio-affective
travail, et permettront la comparaison souhaitée. qui les scindent.

Comment faire émerger la cartographie


À la suite de ce sociogramme, nous pourrons
socio-affective du groupe ?
construire un tableau des dyades. Une dyade repré-
sente le condensé, le résumé de toutes les relations
En sociométrie, le questionnaire est l’outil de base du unissant deux individus. Pour le traitement des ré-
recueil des données. On propose à chaque individu sultats, nous affectons une valence équivalente aux
de nous dire avec qui il souhaiterait être, mais aussi choix (+1) et à l’attente de choix (+1). Il en est de
ne pas être, dans l’optique d’une situation d’intense même au niveau des rejets et des attentes de rejet,
communication affective future. On propose donc auxquels nous attribuons une valence négative (-1).
aux participants de choisir les partenaires avec qui Lorsque deux individus se choisissent mutuelle-
ils pourront, lors d’une ultime séance, concevoir des ment, et s’attendent de surcroît à être choisis l’un
jeux traditionnels. Avec un critère d’appréciation de par l’autre, la valence de la dyade (Vd) est égale à
ce type, on peut penser que chacun choisira réel- +4, on parlera alors d’une dyade « harmonique par-
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lement ceux avec qui il souhaite coopérer, et qu’il faite » (Maisonneuve, 2002). À l’autre extrême, on trouve
stipulera dans ses réponses avec qui il ne le souhaite le cas où les 2 acteurs se rejettent mutuellement et
pas. s’attendent à être rejetés l’un par l’autre (-4). Ainsi,
Le questionnaire sociométrique proposé contient le score d’une dyade sera toujours compris entre -4
quatre questions : deux questions d’ordre électif et +4 (-4 < Vd < +4).
(choix et rejets) et deux d’ordre perceptif (choix et Ce tableau des dyades est un préalable au calcul des
rejets)3. indices de cohésion socio-affective endogroupe et exo-
Les questions faisant appel à la subjectivité profonde groupe. Nous calculons, au niveau intra-sous-groupal
de chaque acteur, il nous sera nécessaire de respec- comme au niveau inter-sous-groupal, la somme de
ter quelques règles élémentaires lors de ce passage la valence des dyades correspondantes, que nous di-
de questionnaire4. En possession de l’ensemble des viserons par le nombre de dyades correspondantes.
questionnaires, nous pouvons réaliser l’état des lieux Nous obtiendrons ainsi un indice de cohésion socio-
des relations entre individus au sein de nos groupes. affective qui n’est autre qu’une moyenne des valences
de l’ensemble des dyades considérées. Logiquement,
La totalité des données recueillies sont réunies au
cet indice (α) s’étalera, tout comme pour une dyade
sein du tableau sociométrique, qui offre l’oppor-
donnée, entre + 4 et – 4.
tunité de construire le sociogramme des choix et
des rejets réciproques. Ce sociogramme permet de Prenons la somme des valences des dyades de tous
souligner « l’ossature majeure du groupe. Il met les individus d’un sous-groupe. Par exemple, celle-ci
à découvert la structure des liaisons à double sens est égale à 73. Le nombre de dyades à l’intérieur de
qui, à ce titre, comptent parmi les plus solides et les ce sous-groupe de 10 individus est égal, quant à lui,
plus susceptibles de trouver un prolongement dans à 45 dyades5. L’indice de cohésion socio-affective
le comportement réel des personnes » (Parlebas, 1992, correspondant est : α = 73 / 45 = + 1,62.

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Alexandre Obœuf, Luc Collard et Benoît Gérard

Ces indices évaluent le « degré » de cohésion des Comment comparer les deux types de données ?
différents sous-groupes. Il en découle des renseigne- Dans un premier temps, nous calculons la distance de
ments sur la place de chaque sous-groupe dans le Hamming. Cette dernière offre la possibilité de calcu-
groupe étudié. Ce raisonnement en terme d’indice ler la différence entre deux graphes, en l’occurrence
de cohésion socio-affective intra-, mais aussi inter- ici le sociogramme (ou réseau) des choix et des rejets
sous-groupal, permet de faire émerger certains phé- réciproques et le réseau des communications motrices.
nomènes mis en évidence par la dynamique des Concrètement, la distance entre les graphes sera égale
groupes comme le conformisme, la déviance ou à l’ensemble des relations présentes dans le premier
l’agressivité envers l’extérieur. graphe (sociogramme socio-affectif) mais absentes
dans le second (réseau des communications motrices)
À présent, comment mettre en évidence, au niveau et à celles présentes dans le second graphe mais ab-
fonctionnel, des indices comparables à ceux que sentes du premier. Si Marie et Emilie se choisissent au
nous venons de décrire ? niveau socio-affectif mais ne se réalisent aucune passe
dans le jeu, et qu’il en est ainsi pour de nombreuses
Comment mettre en exergue dyades, la distance sera grande et les graphes éloignés
les relations fonctionnelles de nos groupes ? (non corrélés)6.
Une fois les observations faites, nous possédons l’en-
Cette distance reste un indicateur qui concerne le
semble des données nécessaires : qui a réalisé des groupe dans sa totalité, il ne prend pas en compte la
passes à qui, combien de passes ont été faites au sein richesse et le destin de chaque sous-groupe. Aussi, afin
d’une dyade interactionnelle, et si les passes au sein d’affiner l’analyse, il nous sera nécessaire de porter
d’une dyade émanent du même joueur ou sont ré- une attention accrue à ce niveau sous-groupal, à l’aide
ciproques. La même ambition se réalise concernant d’une comparaison entre les indices de cohésion so-
les tirs. cio-affective et fonctionnelle. Ces deux types d’indices
Nous considérons qu’une relation fonctionnelle au seront classés puis comparés à l’aide du coefficient de
sein d’une dyade est forte lorsque le nombre de pas- Kendall7.
ses au sein de celle-ci est supérieur à la moyenne glo- Quels sont les résultats obtenus lors de cette étude
bale des passes du groupe par dyade. Par exemple, comparative ?
si nous avons 100 passes au cours des 20 minutes de
jeu, et qu’il y a 60 dyades, alors la moyenne globale Résultats de l’étude
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de passes est de 1,7 passes par dyade. Dans ce cas, Distance entre graphes : vers une proximité ?
nous considérons qu’une dyade est forte lorsqu’il y a Rappelons que plus la distance de Hamming est faible en-
au moins 2 passes au sein d’une dyade. tre deux graphes, plus la proximité entre ces derniers
À partir du recueil de ces données, les dyades fonc- est importante. En d’autres termes, dans ce cas de fi-
tionnelles fortes nous permettent de concevoir le ré- gure, les gens qui s’apprécient se font des passes, et les
seau des communications motrices, qui a pour équi- gens qui se déprécient se tirent dessus.
valent au niveau socio-affectif le sociogramme des La distance de Hamming (d) relative au groupe 1 s’élève
choix et des rejets réciproques. à 54 alors que la distance maximale de Hamming
(Dmax) s’élève à 276 (annexe 1). En d’autres termes, sur
Par suite, le tableau des dyades fonctionnelles nous
276 dyades, seules 54 offrent une divergence entre les
permettra de calculer un indice de cohésion fonc-
deux graphes. La distance est faible. La proximité en-
tionnelle. Lorsque les deux individus d’une dyade tre les deux graphes est significative (p<.01). Il semble
se tirent dessus de façon significative (plus que la exister, pour le groupe 1, une relation entre le réseau
moyenne globale), cet indice atteint son niveau le des communications praxiques et le sociogramme des
plus bas (-2). Si un seul individu, au sein d’une dya- choix et des rejets réciproques.
de, tire sur l’autre, l’indice est de -1. Ce dernier sera
à son maximum quand les deux protagonistes d’une Les résultats du groupe 2 semblent corroborer les ré-
dyade se font des passes (+2). In fine, cet indice de sultats du groupe 1. En effet, la distance de Hamming est
cohésion fonctionnelle évoluera entre -2 et +2. de 74 alors que la distance maximale est de 325 (annexe
1). La distance, pour ce groupe, est faible, et la relation
Avec ces données, nous serons alors armés pour réa- entre les deux graphes significative (p<.01). Il est alors
liser une comparaison entre cohésion socio-affective possible de suggérer, comme pour le groupe 1, l’exis-
et cohésion fonctionnelle. tence d’une réelle proximité entre les deux graphes.

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Le jeu de la « balle assise »

Tableau 2 : Au sein de ce tableau sont présentés les classements de l’ensemble des indices de cohésion socio-affective et fonction-
nelle intra-sous-groupaux et inter-sous-groupaux des groupes 1 et 2

Indices de cohésion Indices de cohésion Indices de cohésion Indices de cohésion


Classement
socio-affective (G1) fonctionnelle (G1) socio-affective (G2) fonctionnelle (G2)
1 αIII = 12 / 3 = α III = 6 / 3 = αIV = 12 / 3 = αIV = 6 / 3 =
+4 +2 +4 +2
2 αI = 116 / 45 = αI = 35 / 45 = αI = 127 / 45 = αIII = 12 / 15 =
+2,58 +0,78 +2,82 +0,8
3 αII = 73 / 45 = αII = 15 / 45 = αIII = 40 / 15 = αI = 32 / 45 =
+1,62 +0,33 +2,67 +0,71
4 αI,II = 60 / 100 = αI,III = -11 / 30 = αII = 49 / 21 = αII = 13 / 21 =
+0,6 - 0,13 +2,33 +0,62
5 αII,III = 4 / 30 = αII,III = -8 / 30 = αI,III = 45 / 60 = αI,III = 3 / 60 =
+0,13 -0,27 +0,75 +0,05
6 αI,III = -11 / 30 = αI,II = -25 / 100 = αIII,IV = 9 / 18 = αI,II = 3 / 70 =
- 0,37 -0,25 +0,5 +0,04
7 αI,II = 4 / 70 = αIII,IV = 0 / 18 =
+0,06 0
8 αII,III = -1 / 42 = αII,III = -5 / 42 =
-0,02 -0,12
9 αI,IV = -1 / 30 = αII,IV = - 4 / 21 =
-0,03 -0,19
10 αII,IV = -14 / 21 = αI,IV = -7 / 30 =
-0,67 -0,23
En gras sont présentés les indices intra-sous-groupaux. En italique, les résultats inter-sous-groupaux. Le lien entre les indices socio-
affectifs et fonctionnels est patent pour nos deux groupes (p<.05 et p<.001). Ces résultats suggèrent que les sous-groupes les plus
cohésifs au niveau socio-affectif sont également les plus enclins à se faire un nombre de passes important. Aussi, les relations inter-
sous-groupales, tendues au niveau socio-affectif, le sont tout autant au niveau fonctionnel, à travers un nombre de tirs importants.

Afin d’affiner notre analyse concernant ce lien - et sion socio-affective élevé sont également ceux qui
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avant d’interpréter les résultats qui en sont issus, possèdent un indice de cohésion fonctionnelle élevé.
nous allons désormais porter notre attention sur les Sur le tableau 2, nous voyons qu’au niveau de l’indi-
indices de cohésion socio-affective et fonctionnelle. ce socio-affectif comme de l’indice fonctionnel, les
Ce deuxième pan de l’étude ne s’intéresse plus au sous-groupes III, I, et II se classent respectivement
niveau global du groupe, mais permet une lecture, 1er (+4 et +2), 2ème (+2,58 et +0,78) et 3ème (+1,62
une analyse du destin de chaque sous-groupe. et +0,33). Les indices mis en évidence au niveau
inter-sous-groupal suivent une logique proche. Les
Comparaison des indices de cohésion sous-groupes les plus hostiles les uns vis-à-vis des
socio-affective et fonctionnelle autres au niveau socio-affectif s’avèrent tout autant
Dans une perspective typiquement psychosociolo- hostiles in situ. Cela se caractérise par de nombreux
gique, nous avons fait le choix de confronter les in- tirs antagonistes. Cette « impression » est confirmée
dices de cohésion socio-affective obtenus au niveau par le calcul du coefficient de Kendall, égal à +0,73
intra-sous-groupal et inter-sous-groupal avec les in- (p<.05).
dices de cohésion fonctionnelle correspondants. Les résultats du groupe 2 sont encore plus signifi-
Ces résultats ne manqueront pas d’étonner le lec- catifs que ceux du groupe 1 concernant ce lien. Le
teur. Les indices de cohésion fonctionnelle, qui sont coefficient de Kendall est égal, pour ce groupe, à
issus des communications praxiques actualisées au +0,91 (p<.001).
cours du jeu de la « balle assise », s’échelonnent se- La relation entre le tournoi des indices de cohésion
lon une logique étonnamment proche des indices socio-affective et le tournoi des indices de cohésion
de cohésion socio-affective. En ce qui concerne le fonctionnelle est manifeste. À la lumière de ces ré-
groupe 1, le classement des deux indices révèle que sultats, nous pouvons avancer l’idée selon laquelle,
les sous-groupes qui possèdent un indice de cohé- dans notre jeu, la cohésion socio-affective se super-

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Alexandre Obœuf, Luc Collard et Benoît Gérard

Figure 1 : Le coefficient de Kendall est égal à 0,73 (p<.05). Il existe, pour le groupe 2, une corrélation positive et significative entre le
tournoi des indices de cohésion socio-affective et le tournoi des indices de cohésion fonctionnelle. Le sous-groupe 3, par exemple, est
celui qui a l’indice de cohésion socio-affective le plus élevé et il a aussi l’indice de cohésion fonctionnelle le plus élevé. Ces résultats
montrent la proximité entre la cohésion socio-affective et la cohésion fonctionnelle

A II,III A I,II A I,III A II AI A III Indice de cohésion


fonctionnelle

Indice de cohésion
socio-affective
A I,III A II,III A I,II A II AI A III

Figure 2 : Le coefficient de Kendall est égal, pour le groupe 2, à 0,91 (p<.001). Il existe une corrélation positive et significative entre
le tournoi des indices de cohésion socio-affective et le tournoi des indices de cohésion fonctionnelle. Ces résultats corroborent ceux
obtenus pour le groupe 1

AI,IV A II,IV AII,III A III,IV A I,II AI,III A II A III AI A IV


Indice de cohésion
fonctionnelle
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A II,IV A I,IV A II,III A I,II A III,IV A I,III A II A III AI A IV Indice de cohésion
socio-affective

pose sur la cohésion fonctionnelle. Les participants socio-affectives et fonctionnelles. Nous remarquons,
semblent réaliser préférentiellement leurs passes en comparant ces réseaux, qu’ils mettent en éviden-
vers les membres de l’endogroupe, et tirer préférentiel- ce des sous-groupes très proches. Cela ne laissera
lement sur les membres de l’exogroupe. pas de surprendre, surtout quand on sait que l’un
des réseaux est construit par le biais des question-
In fine, nous mettons en avant les réseaux, qui offrent naires sociométriques, et l’autre par l’observation
une vision schématique de l’ensemble des résultats des communications actualisées au sein d’un jeu !
que nous venons de traiter.
Le constat de cette étude est flagrant : les relations
En portant notre attention sur les sociogrammes socio-affectives investissent de plein pied le déroule-
des choix et des rejets réciproques et les réseaux des ment du jeu de la « balle assise ». Peut-on en donner
communications praxiques (schémas 1 et 2), nous une explication ?
discernons aisément la proximité entre les relations

92 Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008, N°77, pp. 87-100


Le jeu de la « balle assise »

Schéma 1 : Nous présentons conjointement, pour le groupe 1, le sociogramme des choix et des rejets réciproques (graphe du haut)
et le réseau des communications praxiques réciproques (graphe du bas) du jeu de la « balle assise » (les choix et les passes sont en
trait plein, les rejets et les tirs en pointillé). Il est surprenant de remarquer que ce sont les mêmes sous-groupes qui émergent dans
les deux graphes. À cet égard, il semble difficile d’envisager une évolution des relations fonctionnelles en marge des relations socio-
affectives préexistantes
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Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008, N°77, pp. 87-100 93


Alexandre Obœuf, Luc Collard et Benoît Gérard

Schéma 2 : Sont présentés conjointement ici, pour le groupe 2, le sociogramme des choix et des rejets réciproques ainsi que le
réseau des communications praxiques réciproques. Nous ne pouvons que constater la similarité entre les deux graphes, ainsi que
nous l’avons déjà souligné pour le groupe 1
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94 Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008, N°77, pp. 87-100


Le jeu de la « balle assise »

Discussion se justifient par l’importance accordée aux normes


Dans cette étude, nous avons eu la possibilité de par l’endogroupe, en d’autres termes, au poids de la
montrer qu’il existait un étroit lien entre les rela- conformité (Brauer et Chekroun, 2005 ; Chekroun et Brauer, 2002,
tions socio-affectives et les relations fonctionnelles 2004 ; Liska, 1997)9.
dans le jeu de la « balle assise ». La socio-affectivité Il est pour le moins surprenant de voir que ce genre
groupale marque de son empreinte le réseau des de mécanismes éminemment psychosociologiques
communications motrices. inonde le déroulement du jeu de la « balle assise ».
Pour quelles raisons ces relations socio-affectives Comment expliquer la présence de ces mécanismes
émergent-elles lors du déroulement ludique ? intimement socio-affectifs ?
La structure du jeu de la « balle assise » permet à ces
Influence des structures sur le cours du jeu mécanismes, et donc à la socio-affectivité, d’éclore
Au sein des groupes restreints, les relations socio-af- au sein du jeu. Cette structure se caractérise par une
fectives sont gouvernées par trois mécanismes parti- ambivalence et une instabilité inhérente à la logique
culiers (Maisonneuve, 1973 ; Moscovici, 1984) : le conformis- interne10 de celui-ci. Cette dernière offre l’oppor-
me, l’agressivité envers l’extérieur, et la déviance. tunité à l’acteur du choix de ses partenaires et de
Mutatis mutandis, il est surprenant de voir que ces ses adversaires (ambivalence), ainsi que la possibilité
phénomènes se retrouvent au cœur du déroulement d’en changer au cours du temps (instabilité). Le jeu
de notre jeu. Sous quelles formes ces mécanismes de la « balle assise » tire sa magie ludique de cette
s’actualisent-ils dans notre jeu ? spécificité. Ne prônant au départ ni la coopération
On retrouve in situ des mécanismes d’identification ni l’antagonisme, et n’offrant à ses participants
groupale (Aharpour et Brown, 2000 ; 2002), qui portent en aucun objectif spécifique, ce jeu permet alors à la
eux les germes du conformisme. Les protagonistes dimension affective d’interférer sur son déroule-
ludiques se plaisent à maintenir le confort de leur ment. Les processus sous-jacents ne sont pas centrés
cocon groupal par le biais de communications mo- sur la tâche, mais bel et bien sur le groupe (Oberlé et
trices (passes). Drozda-Senkowska, 2006).

Des mécanismes d’agressivité surgissent aussi au Pourquoi ces relations socio-affectives n’émer-
sein de ce jeu. Les individus renforcent la cohésion gent-elles pas au sein des sports collectifs que nous
interne de leur endogroupe en agressant les membres connaissons (football, handball, volley-ball) ?
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de l’exogroupe. L’agressivité motrice (Collard, 2004 ; Collard À l’instar de nos sociétés contemporaines, la struc-
et Oboeuf, 2007), sous forme de tirs (contre-communi- ture sportive porte au pinacle la cohésion fonc-
cations motrices), est la plupart du temps dirigée tionnelle. Le réseau équilibré, exclusif11 et stable12
vers les membres des autres sous-groupes. Les luttes que ces sports exhibent, augure d’un « duel » où
intestines qui bouillonnent dans le creuset groupal chacune des équipes vise un objectif spécifique : le
trouvent un moyen d’expression lors de l’accomplis- gain du match. Cet objectif permet l’obtention du
sement ludique de ce jeu. prix, à savoir « ce que le jeu lui donne une chance d’ac-
On peut aussi suggérer que les mécanismes de « dé- quérir », ainsi que l’exprimait Goffman (1974, p. 122).
viance » ont – sous des formes particulières – leur Par l’objectif que le sport vise, il est proche du fonc-
place au sein de notre jeu. Nous savons que les tirs tionnement actuel de la société, axé sur les relations
ne se concentrent pas uniquement vers l’extérieur, fonctionnelles, encore appelée cohérence13. C’est
et que les passes ne se concentrent pas toutes à l’in- peut-être pour cela aussi que ce dernier a été choisi
térieur des sous-groupes. Dans ces deux types de par l’institution. Ces sports imposent leur logique
situations, il est marquant de constater que dans interne, friande d’efficacité, aux protagonistes ludi-
92% des cas, les « déviants » deviennent la cible de ques, et il n’y a pas, ou peu, de place pour les rela-
tirs de la part des membres de leur endogroupe. La tions socio-affectives. On réalise la passe à l’individu
sanction administrée au « déviant » est un tir pour qui est le mieux placé, qu’on l’apprécie ou qu’on ne
l’éliminer ou une absence de passe l’empêchant de lui porte pas la plus grande sympathie. Il n’y a pas
participer à la toile ludique qui se tisse. C’est ce de place pour Achille et Patrocle dans l’univers des
contrôle social du groupe sur ses membres qui fait jeux sportifs institutionnels. Lors du déroulement de
passer ces comportements (tir vers l’endogroupe ou ce type d’activités instrumentales, nous sommes en
passe vers l’exogroupe) sur le pan de la déviance. Ces présence de processus orientés vers la tâche (Oberlé
conduites « réparatrices », à première vue cocasses, et Drozda-Senkowska, 2006). « Je te fais la passe car tu es

Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008, N°77, pp. 87-100 95


Alexandre Obœuf, Luc Collard et Benoît Gérard

bien placé, et que nous pourrons nous rapprocher laquelle des deux « méthodes » parvient au mieux à
du but adverse » est une métacommunication d’or- faire émerger les relations socio-affectives. Toutefois,
dre instrumental typique d’un sport collectif com- nous pouvons suggérer que le travestissement lu-
me le football. En revanche, la métacommunication dique est peut-être plus propice à l’expression des
symbolisant le jeu de la « balle assise » sera plutôt frustrations enfouies et des querelles passées. Si
d’ordre socio-affectif : « Je te fais la passe car tu es nous cherchons à prendre connaissance de la carto-
mon ami ». graphie groupale, il n’est donc pas nécessairement
moins pertinent de porter notre attention au jeu de
Un constat s’impose à la lecture de ce travail : le jeu
la « balle assise ». Cette recherche le met en lumière
de la « balle assise » emprunte le temps de son dé-
de manière éclatante, les jeux sportifs sont un mer-
roulement les relations socio-affectives préexistan- veilleux laboratoire in vivo d’étude des conduites hu-
tes. Pour autant, il n’en reste pas moins qu’il subsiste maines et des mécanismes groupaux.
une différence entre les résultats du questionnaire
sociométrique et les communications praxiques ac- L’ultime explication que nous donnerons à cette
tualisées au cœur de ce jeu. Peut-on donner une ex- différence semble confirmer cette hypothèse. Cette
plication à cette différence ? explication concerne le déroulement même du jeu,
ce dernier offrant l’opportunité, par la mise en jeu
La question de « la mystérieuse alchimie groupale » du « corps », d’actualiser des actes de déviance par-
Une des raisons explicatives ne surprendra sans ticulièrement originaux, qui ne peuvent que rester
doute pas les dynamiciens des groupes. Au fil du lettre morte au sein d’un questionnaire sociométri-
temps, la myriade de facteurs influençant la desti- que. En effet, bien que le questionnaire permette
née des groupes tend à cimenter, atténuer ou bri- de faire émerger ce que l’on a coutume d’appeler
ser l’hégémonie groupale. En conséquence, comme des « arrêtes déséquilibrantes »14, un certain type
toute étude sociométrique diachronique nous le ré- de mécanismes de déviance lui échappe. Ce sont
vèle, nous savons qu’entre un temps t1 et un temps les mécanismes de déviance dits « dynamiques »,
t2, il y aura quasiment toujours une évolution – sen- qui n’émergent qu’au cœur de l’action. Ces « ab-
sible ou marquée - des relations socio-affectives d’un sences » ne sont d’ailleurs pas surprenantes puis-
groupe. Ainsi, le creux temporel entre la passation que le questionnaire cherche juste à dresser, à un
du questionnaire et l’observation ludique a pu être moment t, un état des lieux des relations groupales.
« mise à profit » par le groupe pour soit renforcer les L’aspect statique du questionnaire inhibe donc dans
une large mesure l’émergence de ces mécanismes
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amitiés et les hostilités, soit les désarçonner. Comme
le souligne avec lyrisme Pierre Parlebas, une « al- de déviance spécifiques, contrairement au jeu de la
chimie mystérieuse bouillonne dans le creuset grou- « balle assise », qui en facilite l’actualisation15. Les
mécanismes joués de déviance sont également des
pal », et cette dernière peut expliquer en partie les
porte-parole de la socio-affectivité groupale, et leur
différences relevées. Le groupe n’est jamais dans un
« absence » au sein du questionnaire offre une nou-
état stable et achevé.
velle explication à la différence entre nos deux types
En second lieu, nous avons connaissance du fait de données.
qu’il y a nécessairement une certaine dissimilitu-
Les éclaircissements donnés suggèrent que cette dif-
de entre ce que les individus « disent qu’ils font »
férence n’est pas une tare dont nous devrions nous
et « ce qu’ils font » réellement. A ce titre, le biais
défendre avec force. Elle représente plutôt le signe
pro-endogroupe, caractérisé par le fait qu’on éva-
que ce jeu est au moins aussi révélateur des relations
lue plus positivement les membres de son groupe
socio-affectives que ne l’est le questionnaire socio-
que les membres d’un autre groupe, interfère assu- métrique lui-même.
rément sur les réponses au questionnaire sociomé-
trique. Ainsi, ce qui relève de la sphère déclarative Quel peut être l’intérêt d’un jeu révélant les soubas-
(questionnaires sociométriques) et ce qui relève de sements des relations socio-affectives d’un groupe ?
la sphère procédurale (communications motrices)
est toujours marqué d’une différence. Pour mettre Le jeu de la « balle assise » :
au jour les relations socio-affectives d’un groupe, le un substitut du questionnaire sociométrique ?
questionnaire sociométrique, rendu « viable » par Au moment de clore ce travail, nous affirmons sans
les précautions méthodologiques déployées (Parlebas, peine l’intérêt que cet outil ludique peut revêtir pour
1992), est-il un meilleur outil que l’analyse inhérente le pédagogue et le scientifique. Devant le déficit de
à notre jeu ? Pour dire vrai, il est délicat de savoir temps qui marque au fer rouge toutes les situations

96 Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008, N°77, pp. 87-100


Le jeu de la « balle assise »

d’enseignement, cet outil tombe à « point nommé ». Conclusion


Sous la condition pour l’enseignant d’ouvrir l’œil, le Voilà un jeu dont les propriétés offrent des res-
jeu de la « balle assise » offre l’opportunité de révé- sources insoupçonnées. La liberté octroyée à l’ac-
ler les relations socio-affectives du groupe d’élèves teur ludique au sein de cette structure est criante.
dont il a la charge. Sur le vif, la cartographie socio- Cette dernière lui offre la possibilité de choisir ses
affective renaîtra au cœur des conduites motrices partenaires et ses adversaires (ambivalence), ainsi
des participants. Le gain de temps est patent. Le que d’en changer au cours du temps (instabilité).
traitement et l’analyse des données recueillies par La conséquence directe de cette originalité est pro-
le biais des questionnaires sociométriques font sou- fitable, puisqu’elle permet de révéler, divulguer la
cartographie groupale à ses observateurs. In fine, et
vent fuir le pédagogue. Il en va différemment dans
dans la mesure où ces résultats seraient généralisa-
ce jeu, puisqu’il se greffe sans trop de concession bles, nous pouvons dire que le jeu de la « balle as-
dans son emploi du temps. Pour le chercheur, nous sise » peut se substituer – dans une certaine mesure
l’avons effleuré, ce jeu présente aussi un intérêt in- – au questionnaire sociométrique.
soupçonné : c’est un incroyable laboratoire in vivo
permettant l’exploration des mécanismes groupaux
en « jeu ».
Ce n’est pas parce que l’enseignant d’EPS (Éducation
Physique et Sportive) ou le professeur des écoles croît
connaître son groupe parfaitement qu’il le connaît RÉFÉRENCES
réellement. D’ailleurs, les recherches en psychologie – Abrams D., Marques J. M., Brown N. et Dougill M. (2002): Anti-
sociale ont déjà, à cet égard, battu en brèche une norm and pro-norm deviance in the bank and on the campus: Two
kyrielle de fausses évidences. La mise en place de ce experiments on subjective group dynamics. Group processes and intergroup
relations, 5, pp. 163-182.
jeu de la « balle assise » pourra être l’allié précieux – Abrams D., Marques J. M., Brown N. et Henson M. (2000): Pro-
de cette connaissance du groupe9. Les conséquen- norm and anti-norm deviance within and between groups. Journal of
ces qui en découlent sont heureuses. L’enseignant Personnality and Social Psychology, 78, pp. 906-912.
– Abrams D., Marques J. M., Randsley de Moura G., Hutchinson
qui connaît les relations socio-affectives irriguant P. et Brown N. J. (2004): The maintenances of entitativity: A
son groupe pourra construire des groupes de travail subjective group dynamics approach. In V. Y. Yzerbyt, C. M. Judd et
adaptés aux activités qu’il propose et aux objectifs O. Corneille (Dirs.), The psychology of group perception: Contributions to the
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study of homogeneity, entitativity, and essentialism. Philadelphia, Psychology
qu’il poursuit, sans renier l’affectivité de son groupe. Press.
Ainsi, dans le cadre des cours d’Education Physique – Aharpour S. et Brown R. (2000): Group identification and ingroup bias:
et Sportive et pour reprendre nos exemples intro- A meta-analysis of tests of the Hinkle-Brown model. Manuscrit non publié,
University of Kent.
ductifs, les Activités Physiques de Pleine Nature – Aharpour S. et Brown R. (2002): Functions of group identification:
(APPN) – faisant office pour l’occasion de superor- An exploratory analysis. Revue Internationale de Psychologie Sociale, 3-4,
dinate goal (Sherif, 1954) – seront propices au dévelop- pp. 157-186.
– Ancelin-Schutzenberger A. (1970): La sociométrie. Paris, Éditions
pement de la solidarité. En mettant ensemble, dans Universitaires “Psychotèque”.
ces activités, des protagonistes « se tirant dessus » – Asch S. E. (1951): Effects of group pressure upon the modification
dans notre jeu, nous pourrons essayer de contribuer and distorsion of judgement. In H. Guetzkow (Dir.), Groups, leadership,
and men (pp. 177-190). Pittsburgh, Carnegie Press.
à « l’assainissement » de leurs relations. A contrario,
– Bornholdt S. et Schuster H. C. (2003): Handbook of graphs and
opposer ces individus hostiles sera à proscrire dans networks, From the genome to the internet. Weinheim, Wiley-VCH.
les sports de combat. – Brauer M. et Chekroun P. (2005): The relationship between
perceived violation of social norms and social control: Situational
Le fondateur de la sociométrie, J. L. Moreno, ne se factors influencing the reaction to deviance. Journal of applied Social
serait pas plaint de l’apport : le jeu de la « balle as- Psychology, 35, pp. 1519-1539.
sise » offre l’opportunité, lui aussi, de la « mesure – Chaix-Ruy J. (1960): Psychologie sociale et sociométrie. Paris, Armand
Colin.
des relations inter-humaines » (1970, p. XLI). Ce jeu, – Collard L. (2004): Sport et agressivité. Méolans-Revel, DésIris.
pourtant jugé désuet en bien des occasions, révèle – Collard L. et Oboeuf A. (2007): Impact de la sportification de 72
au cœur de l’analyse ses ressources. En révélant les enfants de 8-9 ans sur leurs conduites motrices agressives au cours
relations socio-affectives préexistantes, ce jeu de- d’un jeu. International Journal on Violence and School, 4, pp. 81-91.
– Chekroun P. et Brauer M. (2002): The bystander effect and social
vient un véritable outil d’intervention psychosocio- control behavior: the effect of the presence of others on people’s
logique. reactions. European Journal of Social Psychology, 32, pp. 853-867.

Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008, N°77, pp. 87-100 97


Alexandre Obœuf, Luc Collard et Benoît Gérard

– Chekroun P. et Brauer M. (2004): Contrôle social et effet spectateur : NOTES


L’impact de l’implication personnelle. L’Année Psychologique, 104, pp.
83-102. 1. Le superordinate goal est une entreprise débordant les ressources des
acteurs ou des sous-groupes pris isolément, et permettant de dévelop-
– Chekroun J. et Nugier A. (2005): Le rôle des émotions morales per la solidarité entre sous-groupes hostiles ayant déjà façonné leurs
dans le contrôle social endogroupe : « Tu me fais honte ! ». Revue propres normes de fonctionnement. L’investissement émotionnel sus-
Internationale de Psychologie Sociale, 4, pp. 77-97. cité chez les acteurs dans ce type de situation permettrait de créer de
– Doise W. (1987): Idées nouvelles et notions anciennes. In J.-L. nouveaux liens entre chapelles. On peut penser que c’est ce travail qui
Beauvois, R.-V Joule, J.-M. Monteil (Dirs.), Perspectives Cognitives et a interpellé Pierre Parlebas, fondateur du laboratoire de Praxéologie
Conduites Sociales I. Cousset, Del Val. motrice de la Sorbonne, lorsqu’il proposa les Activités Physiques de
– Goffman E. (1974): Les rites d’interaction. Paris, Les éditions de Minuit. Pleine Nature (APPN) comme moyen de développer la solidarité au
sein des groupes (l’activité ayant ici le rôle de superordinate goal).
– Guillemard G., Marchal J. C., Parent M., Parlebas P. et Schmitt
A. (1984): Aux quatre coins des jeux. Paris, Scarabée. 2. Le réseau des communications motrices est le « graphe d’un jeu spor-
tif dont les sommets représentent les joueurs et dont les arcs symbo-
– Haidt J. (2003): The moral emotions. In R. J. Davidson, K.R. Scherer, lisent les communications et/ou les contre-communications motrices
et H. H. Goldsmith (Eds.), Handbook of affective sciences (pp. 852-870). autorisées par les règles du jeu » (Parlebas, 1999, p.298). Dans notre
Oxford, Oxford University Press. jeu, les communications motrices s’exprimeront par des passes, et les
– Kendall M. G. (1948): The advanced theory of statistics. London, Charles contre-communications par des tirs.
Griffin and Company Limited. 3. 1) Parmi vos camarades de groupe, quels sont ceux avec lesquels vous
– Liska A. E. (1997): Modeling the relationships between macro of aimeriez coopérer dans la conception de jeux traditionnels ? (Choix) ;
social control. Annual review of Sociology, 23, pp. 39-61. 2) Essayez de deviner ceux qui vous ont choisi. Quels sont ceux qui, à
– Maisonneuve J. (1973): Introduction à la psychosociologie. Paris, Presses votre avis, dans votre groupe, vous ont désigné pour que vous conce-
Universitaires de France. viez des jeux avec eux ? (Perception de choix) ; 3) Pour que votre
équipe marche bien, il faut éviter que vous soyez avec des camara-
– Maisonneuve J. (2002): La dynamique des groupes. Paris, Presses des que vous appréciez moins. Parmi les camarades de votre groupe,
Universitaires de France. quels sont ceux avec lesquels vous ne souhaiteriez pas être ? (Rejets) ;
– Marques J. M. et Yzerbyt V. Y. (1988): The black sheep effect: 4) Essayez de deviner ceux de votre groupe qui ne voudraient pas
Judgemental extremity toward ingroup members in inter- and intra- que vous coopériez avec eux. À votre avis, quels sont les camarades
group situations. European Journal of Social Psychology, 18, pp. 287-292. qui ne souhaiteraient pas que vous coopériez avec eux ? (Perception
– Mauss M. (1966): « Les techniques du corps ». In Sociologie et de rejets).
anthropologie. Paris, Presses Universitaires de France. 4. Parlebas (1992) invite à respecter trois principes fondamentaux pour
– Montagner H. (1984): L’enfant et la communication – Comment des gestes, des garantir l’intérêt de l’outil : acquérir une connaissance approfondie
attitudes, des vocalisations deviennent des messages. Paris, Stock / Pernoud. du groupe et de son contexte (ce sont « nos » étudiants et « notre »
cours), susciter une intense motivation chez les répondants (à l’aide
– Moreno J. L. (1970): Fondements de la sociométrie. Paris, Presses du critère d’appréciation et de l’image qu’on a pu en véhiculer), et
Universitaires de France. mettre en confiance les acteurs en préservant la confidentialité des
– Moscovici S. (1984) : Psychologie sociale. Paris, Presses Universitaires réponses.
de France. 5. Nous calculons le nombre de dyades d’un sous-groupe à l’aide de
– Northway M. (1964): Initiation à la sociométrie. Paris, Dunod. la formule suivante : D = n (n – 1) / 2. Dans notre cas, D = 10 x 9
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– Oberlé D. et Drozda-Senkowska E. (2006): Processus orientés vers / 2 = 45.
la tâche vs processus orientés vers le groupe: une vieille distinction 6. Le lecteur souhaitant des précisions concernant le calcul de la distance
toujours fructueuse? In Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, de Hamming est renvoyé à l’annexe 1.
N°70, pp. 63-72. 7. Pour des précisions relatives à la comparaison des indices de cohé-
– Oboeuf A. et Collard L. (2006): L’émergence et l’influence du courant sion socio-affective et fonctionnelle à l’aide du coefficient de Kendall, le
sociomoteur. Grenoble, Éditions du CNED. lecteur est renvoyé à l’annexe 2.
– Parlebas P. (1986): Éléments de sociologie du sport. Paris, Presses 8. Ce phénomène n’est pas sans rappeler ce que les psychosociologues
Universitaires de France. nomment l’effet « brebis galeuse » (Marques et Yzerbyt, 1988 ; Abrams,
– Parlebas P. (1992): Sociométrie, réseaux et communication. Paris, Presses Marques, Bown, et Henson, 2000 ; Abrams, Marques, Bown, et Dougill, 2002
Universitaires de France. Abrams, Marques, Randsley de Moura, Hutchinson, et Brown, 2004). Cet effet
signifie que les membres d’un groupe se trouvent généralement moins
– Parlebas P. (1999): Jeux, sports et sociétés – Lexique de praxéologie motrice. tolérants envers quelqu’un qui transgresse une norme sociale quand
Paris, Éditions de l’Institut National du Sport et de l’Éducation cette personne est membre de l’endogroupe que quand il s’agit d’un
Physique. membre d’un exogroupe.
– Parlebas P. (2005). Modelling in games and sports. Mathematics and 9. Dans l’académie d’Amiens (80), un certain nombre d’enseignants ont
Social Science, 170, pp. 11-45. déjà utilisé ce nouvel outil avec succès, en nous avouant même que
– Sherif M., Harvey O. J., White B., Hood W. R. et Sherif C. W. leur perception du groupe avait changé suite à cette mise en place.
(1954): Intergroup Conflict and Cooperation: The Robbers Cave Experiment. 10. La logique interne est « le système des traits pertinents d’une si-
Oklahoma, Norman. tuation motrice et des conséquences qu’il entraîne dans l’accomplis-
– Sherif M. (1958): Superordinate goal in the reduction of intergroup sement de l’action motrice correspondante » (Pierre Parlebas, 1999, p.
conflict. American Journal of Sociology, 63, pp. 349-356. 216).
– Von Neumann J. et Morgenstern O. (1944): Theory of games and 11. Les partenaires et / ou les adversaires sont définis formellement
economic behaviour. Princeton, University Press. de façon exclusive, de telle sorte que deux joueurs ne peuvent être
– Watzlawick P., Helmick Beavin J. et Jackson D. (1972): Une logique en même temps solidaires et rivaux (R ∩ S = Ø) » (Parlebas, 1986,
de la communication. Paris, Seuil. p.208).
– Winkin D. (2000): La nouvelle communication. Paris, Éditions du seuil. 12. Un réseau stable est un « réseau tel que les relations R et S sont
invariantes pendant toute la durée du jeu » (Parlebas, 1986, p.209).
13. Mauss (1966), déjà, avait montré dans sa réflexion sur « Les tech-
niques du corps » que les façons de se servir de son corps étaient em-

98 Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008, N°77, pp. 87-100


Le jeu de la « balle assise »

preintes de la culture d’accueil des individus. Ainsi, il est aujourd’hui


admis que les jeux sont les miroirs de leur société (Parlebas, 1999).
Cela expliquerait que les sports tels que le football ou le tennis sont si
développés dans nos sociétés contemporaines, ces dernières valorisant
le « faire ensemble » plutôt que « l’être ensemble ». Dans ces sports,
nous sommes orientés vers la tâche, l’accomplissement d’un but.
14. Une « arrête déséquilibrante » (Parlebas, 1992) est un « lien » entre
individus de sous-groupes distincts et antagonistes. Les individus sont
tiraillés entre un membre de l’exogroupe et les normes de l’endogroupe,
qui rejette cette amitié. Les membres de l’endogroupe peuvent alors les
cataloguer comme déviants.
15. C’est vraisemblablement cet aspect « statique » du questionnaire
que le célèbre éthologue Hubert Montagner déplore lorsqu’il dit « que
l’exploitation de questionnaires ne peut être qu’une méthode complémentaire pour
l’étude des conduites humaines » (p.70).

Annexe 1 : Calcul de la distance de Hamming (d) entre nos deux graphes


On obtient la distance de Hamming en calculant la différence symétrique entre deux graphes. Cette diffé-
rence symétrique va être l’ensemble des arcs, d’une part qui appartiennent à U1 (sociogramme des choix
et des rejets socio-affectifs) et non à U2 (réseau des communications motrices), et d’autre part qui appar-
tiennent à U2 et non à U1. Nous savons maintenant comment calculer cette différence symétrique ∆ entre
deux graphes :
U1 ∆ U2 = (U1∪U2) - (U1∩U2)
Nous savons que le cardinal de la différence symétrique des deux ensembles U1 et U2 est une mesure de la
distance entre les graphes correspondants G1 et G2 :
d(G1,G2) = U1 ∆ U2
Le calcul de la distance de Hamming est immédiat si l’on porte conjointement sur un même tableau, comme
en superposition, les données des matrices socio-affective et fonctionnelle. Pour y parvenir, nous réalisons
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une binarisation selon la présence (1) ou l’absence (0) de relation au sein d’une dyade socio-affective, et nous
suivrons la même démarche pour la dyade fonctionnelle correspondante. Cela permet de comparer les
« présences » et les « absences » du premier graphe (choix socio-affectifs) à celles du second graphe (com-
munications motrices). Les cases pleines (1,1) et les cases vides (0,0) dénoteront l’invariance des résultats.
Dans ce cas, soit les individus se choisissent dans les deux graphes (choix socio-affectifs et communications
motrices) soit ils ne se choisissent dans aucun. L’absence de choix affectif et de passe est pour nous tout aussi
importante que la double présence. Comme l’affirmait Paul Watzlawick dans son ouvrage Une logique de la
communication : « on ne peut pas ne pas communiquer ». Nous allons sans conteste dans ce sens. Si un individu ne
choisit pas un camarade et, de surcroît, ne lui fait pas de passe dans le jeu, il lui manifeste indéniablement
une indifférence notoire. Dans les deux autres cas possibles, lorsque nous avons soit (0,1) ou (1,0), cela dé-
note un éloignement entre les graphes.
La distance de Hamming est égale à la somme des différences entre les deux graphes, c’est-à-dire à l’ensemble
des cas où nous avons soit (0,1), soit (1,0). En d’autres termes, la somme des distances obtenues représente
la distance de Hamming. Pour connaître l’éloignement entre les deux graphes, on peut faire le rapport entre la
distance maximale de Hamming (Dmax) et la distance de Hamming (d) obtenue. La distance maximale se
calcule à l’aide de la formule suivante : Dmax = n (n – 1) / 2. On peut obtenir le seuil de significativité de
la relation entre les deux graphes après avoir calculé le coefficient de Kendall (annexe 2). Ci-dessous, nous
calculons la distance de Hamming pour nos deux groupes.

Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2008, N°77, pp. 87-100 99


Alexandre Obœuf, Luc Collard et Benoît Gérard

Distance de Hamming entre les graphes socio-affectif et fonctionnel


Groupe 1 Groupe 2
Dmax = n (n – 1) / 2= 26 x 25 / 2= 325
Dmax = n (n – 1) / 2= 23 x 22 / 2= 253
d (G1,G2) = 74
d (G1,G2) = 54
K = 1 – 2d / D = 1 - (2 * 74) / 325 = 0,545
K = 1 – 2d / D = 1 - (2 * 54) / 276 = 0,61
t = K[n - 2]1/2/[l - K2]1/2 = 3,18 (p<.01)
t = K[n - 2]1/2/[l - K2]1/2 = 3,61 (p<.01)
suit une loi de Student à n – 2 degrés de
suit une loi de Student à n – 2 degrés de liberté
liberté

Annexe 2 : Comparaison des indices de cohésion socio-affective et de cohésion fonctionnelle


L’indice de cohésion socio-affective évolue, ainsi que nous l’avons déjà souligné, entre -4 et +4, et l’indice de
cohésion fonctionnelle entre -2 et +2. À partir de là, nous réaliserons un classement des indices de cohésion
socio-affective et un classement des indices de cohésion fonctionnelle (allant du plus faible au plus élevé),
afin de les comparer.
Le croisement des 2 classements se fait à l’aide du coefficient de Kendall (1948). Ce coefficient de corrélation
se calcule à partir de la formule suivante : K = 1 - 2d / D, où D est la distance maximale entre les deux
tournois (D = n * (n - 1) / 2). Le Kendall oscille entre -1 (significativité négative maximale) et +1 (signifi-
cativité positive maximale). Si tous les classements sont les mêmes pour chacun de deux indices, la distance
de Kendall (d) sera égale à 0, et le coefficient de Kendall sera égal à +1. Si ce dernier tend vers +1, alors
nous pourrons conclure qu’il existe une relation forte et positive entre les deux tournois. Les sous-groupes
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qui ont l’indice de cohésion socio-affective le plus élevé sont également ceux qui ont l’indice de cohésion
fonctionnelle le plus élevé. En revanche, plus la distance de Kendall est élevée, plus le coefficient sera proche
de -1, et plus la relation entre les deux tournois sera dichotomique. Dans notre étude, cela voudra dire que
les sous-groupes ayant l’indice de cohésion socio-affective le plus élevé sont ceux qui ont l’indice de cohé-
sion fonctionnelle le moins élevé. En d’autres termes, cela voudra dire que les individus d’un sous-groupe,
pourtant à haute cohésion socio-affective, ne se font pas de passe, voire même se tirent les uns sur les autres,
lors du déroulement ludique.
Il sera ensuite nécessaire de calculer le degré de significativité de notre résultat. La signification statistique
du coefficient de Kendall K obtenu peut être testée à partir de la relation : t = K[n - 2]1/2/[l - K2]1/2 . Cette
formule suit une loi de Student à n – 2 degrés de liberté.

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