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Résumé : La schizophrénie est associée à un handicap social grave dû, en grande partie, à un
déficit de cognition sociale. Un champ de recherche émergent consiste à étudier les capacités
cognitivo-sociales dans les stades pré-morbides de la schizophrénie, comme la schizotypie.
En effet, il existe un ensemble d’arguments qui indique une relation de continuité entre
la schizotypie et la schizophrénie. Dans le domaine de la cognition sociale, les travaux
indiquent que les difficultés dans le traitement de l’information sociale sont bien présentes
chez les sujets sains avec des traits de schizotypie. Ces difficultés pourraient être un facteur
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La schizotypie
Définitions
Située « quelque part » entre la personnalité normale et la schizophrénie
[32], la schizotypie désigne un ensemble de traits de personnalité considérés
| Sarah Del Goleto et Milena Kostova |
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| Schizotypie et cognition sociale |
Par exemple, dans la tâche dite « Sally & Anne » [48], le participant observe
une scène dans laquelle deux personnages, Sally et Anne, sont présents dans
une même pièce. Il y a aussi une boîte et un panier, et le participant voit Sally
ranger une bille dans le panier puis quitter la pièce. En l’absence de Sally, le
participant observe ensuite Anne retirer la bille du panier pour la placer dans la
boîte. Lorsque Sally revient, on demande au participant de dire à quel endroit
elle ira chercher sa bille : dans le panier ou dans la boîte ? Pour répondre cor-
rectement à cette question, le participant doit s’être représenté la réalité (où
est réellement la bille ?) ainsi que l’état mental de Sally (où est-ce que Sally
croit qu’est la bille ?). Cette simple tâche permet donc de tester la capacité à
inférer l’état mental (croyance) d’un personnage. Dans la Hinting Task [6], on
présente aux participants de courts paragraphes décrivant des dialogues entre
deux personnes. À la fin de chaque dialogue, un des personnages formule de
manière implicite une demande envers son interlocuteur. Par exemple : Vincent
va au supermarché avec sa mère. Ils arrivent dans l’allée des gâteaux. Vincent
dit « Wow ! Ces gâteaux ont l’air délicieux. ». On pose alors la question au
participant : Qu’est-ce que Vincent tente de dire exactement ? La tâche du par-
ticipant est alors d’expliciter ce que le personnage veut dire en réalité. Pour ce
faire il doit alors reconnaître l’aspect implicite du discours et décoder l’intention
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exemple, l’étude de Langdon et Coltheart [21] a montré que les individus ayant
un score élevé au SPQ avaient de moins bonnes performances dans une tâche
de bandes dessinées impliquant des fausses croyances par rapport aux indivi-
dus ayant un faible score au SPQ. De la même manière, les sujets considérés
comme « schizotypiques » d’après la version révisée de la Social Anhedonia
Scale (SAS) [9], avaient plus de difficultés que les contrôles lorsqu’ils devaient
inférer des intentions [29, 44] ou des fausses croyances [45] à autrui. De leur
côté, Barragan et al. [2] ont investigué les relations entre les performances de
ToM et la schizotypie dans une population d’adolescents. Dans cette étude, la
schizotypie était évaluée au moyen de l’auto-questionnaire Oxford-Liverpool
Inventory of Feelings and Experiences (O-LIFE) [24]. Les auteurs ont montré
que les traits de schizotypie positive étaient négativement associés aux perfor-
mances des adolescents à une tâche verbale impliquant l’inférence de pensées,
de sentiments et d’intentions. Ces résultats constituent autant d’arguments en
faveur du fait que les troubles de la ToM pourraient être une anomalie trait de
la schizophrénie.
Très récemment, quelques études ayant utilisé la technique de l’imagerie
cérébrale fonctionnelle (IRMf) associée à des tâches de ToM ont mis en évi-
dence des capacités de compensation dans la schizotypie. Contrairement aux
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Conclusion
Le nombre croissant de publications portant sur la schizotypie témoigne de
l’intérêt de la communauté scientifique pour cette forme non psychotique de
la schizophrénie. Les travaux réalisés dans le domaine de la cognition sociale
indiquent que les difficultés dans le traitement de l’information sociale sont bien
présentes chez les sujets sains avec des traits de schizotypie, c’est-à-dire avant
l’apparition des symptômes psychotiques francs. Ces difficultés pourraient être
un facteur qui contribue à l’isolement progressif qui précède souvent le début
des troubles et également un facteur aggravant de l’évolution. À ce titre, les
troubles neurocognitifs et de la cognition sociale apparaissent plus que jamais
| Sarah Del Goleto et Milena Kostova |
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comme une cible des interventions précoces. En même temps, les rares études
utilisant des indices de l’activité cérébrale qui accompagnent les processus de
mentalisation révèlent que les sujets schizotypiques possèdent des capacités
de compensation efficaces qui pourraient être utilisées non seulement dans le
cadre d’interventions préventives mais aussi dans la remédiation cognitive
auprès des patients. Par exemple, notre étude citée précédemment suggère
qu’un accompagnement explicite dans le traitement des états mentaux permet
aux personnes schizotypiques de compenser leurs difficultés et des résultats
allant dans le même sens ont également été rapportés chez les patients [37, 43].
Au total, la schizotypie apparaît comme un paradigme fructueux pour l’étude
des mécanismes qui sous-tendent les troubles neurocognitifs et de la cognition
sociale observés dans le spectre schizophrénique et qui constituent des déter-
minants essentiels du handicap social associé à la maladie.
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