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Giuseppe Maffei
Dans Cahiers jungiens de psychanalyse 1987/2 (N° 53), pages 45 à 61
Éditions Les cahiers jungiens de psychanalyse
ISSN 0984-8207
DOI 10.3917/cjung.053.0045
© Les cahiers jungiens de psychanalyse | Téléchargé le 08/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 2.9.74.216)
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Le titre de cet article est là pour signifier que cette contribution - loin
de témoigner d'une pÈmsée systématisée - est simplement une tentative
pour proposer des thèmes de réflexion qui nous semblent utiles pour
questionner notre théorie et la faire avancer. Certaines thèses seront
volontairement provocantes, mais cette provocation nous paraît se justifier
par la constatation que notre théorie n'a pas connu, après Jung, de vrais
développements et que beaucoup d'entre nous sont devenus plutôt des
psychosophes que des psychologues.
Les positions critiques de Lacan à l'égard de la psychanalyse freu-
dienne telle qu'elle s'est développée sont, à mon avis, très importantes
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pour l'avenir de la psychanalyse et elles contiennent des germes qui ne
sont pas encore arrivés à maturation. Personnellement, la façon dont
Lacan a posé les problèmes ne me semble pas saisir l'essentiel de la
pensée de Freud et je soutiens que le système lacanien est une déviation
- féconde - de cette pensée, système auquel il me paraît très important
de se confronter.
C'est une lecture des critiques que Lacan adresse à Jung qui est à
l'origine de cet article. En effet, elles me sont apparues, d'une part,
stimulantes et exactes mais, par ailleurs, elles me semblent nées d'une
lecture qui n'a pas percé la surface de l'écrit et qui n'a pas été attentive
aux possibles développements implicites. Je crois cependant utile de
méditer ces critiques non seulement avec le but de discuter certaines
questions fondamentales de notre théorie, mais aussi avec le but de
découvrir si, dans la pensée de Jung, existent des réponses aux critiques
formulées. J'ai l'impression que Lacan a lu Jung dans une perspective utile
à la construction de son édifice théorique et qu'il n'a pas vu ce qui était
neuf dans cette pensée par rapport à c.elle de Freud et qui pourrait
apporter une contribution importante au développement de la théorie
analytique en général. Même en admettant que la discussion de la relation
entre Freud et Jung puisse être considérée comme une activité culturelle
«rétro», je pense qu'il est nécessaire d'étudier non seuleme·nt où et
pourquoi est née la pensée jungienne, mais aussi si elle est porteuse de
potentialités pour le développement de la théorie psychanalytique.
(*) Dans une première rédaction, cet article a été publié par la Rivista di Psicologia Analitica
(Rome), vol. 7, p. 467-489, 1976. Il a été traduit par l'auteur et revu par Micheline Dufour-Guérin
pour être publié dans ce numéro 53 des Cahiers.
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générale de l'homme et peut conduire à donner des réponses à certains
problèmes que l'homme s'est toujours posé et qui concernent en particulier
la liberté et la responsabilité (2).
Il faudrait, bien sûr, s'interroger - concernant le Moi - à propos de
la cohérence entre les pensées lacanienne et freudienne, mais il est assez
évident que la non-considération des aspects imaginaires du Moi efface,
chez certains freudiens, une partie essentielle de l'œuvre de Freud. Alors
que la conception jungienne du Moi met en lumière les mêmes aspects
que valorise la vision lacanienne.
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plus important l'aspect représentatif du même Moi ou, pour mieux dire,
pose le Moi dans le. registre de l'imaginaire, il me paraît évident que Lacan
et Jung se situent à l'intérieur de la deuxième façon de penser. Le
problème dont on parle est essentiel et il convient d'en faire apparaître
l'importance: la première façon de voir peut donner naissance, en effet, à
des conséquences très dangereuses pour l'avenir de la psychanalyse.
Lacan a beaucoup parlé de ce problème et on peut essayer de résumer
ainsi ses idées : si l'on pense que le Moi «est» quelque chose, qu'il «est»
ses fonctions, on court le risque que la psychanalyse revienne à une
dimension pré-analytique. Un Moi sera par exemple fort ou faible, adapté
ou pas adapté à la réalité et à l'environnement, et un homme sera d'autant
plus sain que ·l'on trouvera son Moi fort et bien adapté. On pourra dire,
pour corriger cette affirmation, qu'une caractéristique d'un Moi fort est
aussi d'avoir de bons rapports avec l'inconscient, mais cette correction ne
pourra pas effacer l'importance donnée à la force du Moi dans ses
rapports à la réalité extérieure. Au niveau pratique, cette conception aura
pour conséquence d'infléchir la cure vers le développement d'un Moi fort
et, au pire, vers une identification du patient à l'analyste. Les hasards de
l'existence du Moi, ses avatars imaginaires ~t identificatoires, son évanes-
cence, ses relations avec la pulsion de mort seront perdus de vue. On peut
voir facilement, j'espère, la relation de cette conception avec notre
civilisation industrielle.
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suis médecin», etc., mais on sait, dans le même temps, que ces
affirmations ne disent pas quelque chose à propos de notre essence,
qu'elles ne sont pas des affirmations «substantialistes» ; on sait que nous
sommes comme nous sommes à cause de notre histoire et de nos
identifications précoces, à cause de notre place dans une chaîne non
seulement réelle, mais aussi symbolique et imaginaire. C'est peut-être la
plus fondamentale des découvertes freudiennes ; elle affirme une relativisa-
tion du Moi, non pas à partir d'un point de vue religieux, mais à partir d'un
point de vue scientifique. On pourrait presque soutenir qu'une orthodoxie
psychanalytique devrait se fonder sur ce noyau et, comme je l'ai déjà dit,
il me semble que Freud, Jung et Lacan partagent ce centre théorique.
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des psychologues « religieux». Freud a résisté davantage à ce développe-
ment, peut-être P8:rée que son monde et les paramètres auxquels il se
référait étaient très différents. Il est possible que, pour compenser l'impor-
tance qu'a pris dans leur façon de penser la relativisation du Moi, Jung
accentue le monde archétypique et Lacan le rôle de l'Autre. Chez les deux
auteurs, l'accent mis sur la nécessaire prise de conscience de la position
non substantielle du Moi conduit à faire de cette même expérience un but
affirmé, d'une façon didactique et religieuse.
A mon avis, tout en partant de considérations qui font partie du
patrimoine scientifique moderne, ils n'ont pas réussi à rester à l'intérieur
de ce même patrimoine et ils ont abouti à des positions dans lesquelles le
refoulé est revenu et les a conduit à une théorisation anti-historique. Si
l'expérience psychanalytique démontre et valorise l'appartenance du Moi
au registre de l'imaginaire, ce qui, d'une certaine façon, devient substantiel
est la relation, pour Jung, du Moi au Soi, pour Lacan la relation entreS et
A, à travers a et a'. En se plaçant sur cette base, ils finissent par devenir
plus psychosophes que psychologues et par se mettre dans des positions
de sagesse. Ils pensent tous deux pouvoir irtdiquer une direction. (Je crois
que ce n'est pas un hasard que Lacan ait été tellement polémique avec
Jung et aussi avec la psychologie du Moi.) Je crois que ce qui èorrespond
davantage à l'évolution actuelle de la théorie et de la pratique, c'est de
penser la psychanalyse comme quelque chose qui fait découvrir nos
noyaux d'angoisse, nos conflits et qui, ensuite laisse chacun libre d'aller
où il veut, sans indiquer de direction.
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tions sur les effets des mots.
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indiquant quelque chose d'autre que soi-même. Ce type de critique ne
concernerait pas seulement le système jungien, mais aussi cet aspect
particulier du freudisme pour lequel tous les objets pointus sont des
phallus et tous les objets creux des vagins. Il est d'autre part notoire que
Lacan a insisté pour que soit faite une lecture attentive et personnelle des
symboles. Dans sa référence à Jung, la critique de Lacan se fait plus âpre
qu'envers ledit freudisme parce que, dans l'œuvre de Jung, les symboles
ne révéleraient pas seulement des contenus à propos desquels il serait
quand même possible d'exprimer une opinion, mais plutôt des manifesta-
tions et des métamorphoses de la libido.
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peu pour << accorder » la primauté à un seul des instincts. Jung est
confronté ici, évidemment, à son problème personnel avec Freud, qui,
comme chacun sait, donne une primauté à la pulsion sexuelle, simplement
parce qu'il la retrouve à l'origine des problèmes auxquels la cliniqu~ le
confrontait. A un niveau théorique plus général, Freud n'a jamais renoncé
à son dualisme pulsionnel (7).
Lacan dit: <<Freud, très attaché à élaborer, à partir de l'expérience,
des mécanismes extrêmement précis, toujours soucieux de sa référence
empirique, voit la théorie analytique se transformer chez Jung en un vaste
panthéisme psychique, série de sphères imaginaires s'enveloppant les
unes les autres, qui conduit à une classification générale des contenus,
des événements, de l' Erlebnis de la vie individuelle, et enfin de ce que
Jung appelle les archétypes. Ce n'est pas dans cette voie qu'une élabora-
tion clinique, psychiatrique, des objets de sa recherche peut se poursuivre.
Et c'est pourquoi il essaie maintenant d'établir la relation que peuvent
entretenir entre elles les pulsions sexuelles, auxquelles il a donné tant
d'importance parce qu'elles étaient cachées et que son analyse les
révélait, et les pulsions du moi, qu'il n'a pas jt,.~squ'alors mises au premier
plan [on parle des années autour de 1912, N.d.I'A.]. Peut-on dire, oui ou
non, que les unes sont l'ombre des autres? La réalité est-elle constituée
par cette projection libidinale universelle qui est au fond de la théorie
jungienne? Ou bien y a-t-il au contraire une relation d'opposition, une
relation conflictuelle, entre pulsions du moi et pulsions libidinales ?
<<Avec son honnêteté habituelle, Freud précise que son insistance à
maintenir cette distinction est fondée sur son expérience des névroses, et
qu'après tout, ce n'est là qu'une expérience limitée. C'est pourquoi il dit
non moins nettement qu'on peut supposer, à un stade primitif, antérieur à
celui auquel nous permet d'accéder l'investigation psychanalytique, un état
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Et avec ce mot, il ouvre une possibilité de lecture de son œuvre que
Lacan, saisi par d'autres aspects, n'a pas vue. Jung observe certains faits
qui sont d'une grande importance, par exemple la forte ressemblance
entre les symboles individuels et les symboles collectifs et mythologiques
et, plus particulièrement, dans les rêves comme dans les religions,
l'existence spontanée d'images de but du développement psychique (le
Soi, les Mandalas). Jung inclut ces observations à l'intérieur de sa
conception du monde, mais il aurait pu aussi se limiter à soutenir que les ·
images de but, les représentations-buts, ne sont pas seulement représenta-
tives du Moi Idéal ou de l'Idéal du Moi du sujet, mais qu'elles sont aussi
inhérentes au développement génétiquement fixé de l'homme. Comme la
stature est déterminée par la structure génétique, de la même façon il se
pourrait aussi que le but ·du développement psychique soit prédéterminé
et que les yariations individuelles qu'on constate soient dues à des
influences du milieu. Les variations individuelles ne nient pas l'existence de
ces buts. Jung affirme ce que je viens de dire, mais il conduit son discours
dans une dimension somme toute eschatologique qui pourrait être mise de
côté en insistant plutôt sur l'idée que la tendance génétique vers des buts
psychiques est à considérer comme une pulsion dont on pourrait commen-
cer à apprendre à tenir compte. Je ferais une comparaison avec ce qui
arrivera et arrive déjà dans le domaine _physique: tout comme l'homme
devra tenir compte de sa capacité à influencer le patrimoine génétique au
niveau physique, de la même façon il pourra essayer de connaître ce qui,
de génétique, le meut psychiquement et comment ce qui est génétique
peut se· manifester au niveau du psychisme.
Mais revenons à Lacan. Ce qu'il n'a pas vu, c'est que Jung a· décrit
une autre forme d'Autre, un Autre présent dans notre patrimoine génétique.
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Et la lecture de cet Autre pourrait n'être pas une mantique, mais naître
d'une recherche scientifique très attentive à la dimension du sujet. Une
étude de la phénoménologie psychique pourrait nous révéler des structures
indiquant où s'oriente notre futur et la différenciation entre les buts
génétiquement fixés et le Moi-Idéal et l'Idéal du Moi pourrait conduire vers
une meilleure connaissance de nous-mêmes.
Lacan écrit : « L'inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est
marqué par un blanc ou occupé par un mensonge: c'est le chapitre
censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà, elle est
écrite ailleurs. A savoir :
« - dans les monuments : et ceci est mon corps, c'est-à-dire le
noyau hystérique de la névrose où le symptôme hystérique montre la
structure d'un langage et se déchiffre comme une inscription qui, une fois
recueillie, peut sans perte grave être détruite ;
« - dans ·les documents d'archives aussi : et ce sont les souvenirs de
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mon enfance, impénétrables aussi bien qu'eux, quand je n'en connais pas
la provenance ;
« - dans l'évolution sémantique: et ceci répond au stock et aux
acceptions du vocabulaire qui m'est particulier, comme au style de ma vie
et à mon caractère ;
« - dans les traditions aussi, voire dans les légendes qui sous une
forme héroïsée véhiculent mon histoire ;
« - dans les traces, enfin, qu'en conservent inévitablement les distor-
Pour être plus clair, si nous parlons de .la libido jungienne comme de
quelque chose de mystérieux et d'irrationnel, nous nous mouvons dans
une direction régressive et anti-historique ; si nous parlons d'une tendance
psychique à la réalisation de quelque chose qui est préfixé dans la
structure génétique, nous nous mouvons dans une direction positive et
dans l'espoir d'une connaissance, et peut-être de l'appropriation d'une
force jusqu'aujourd'hui inconnue. Et l'on peut imaginer que dans la
structure génétique puissent être préfixées les modalités de relattons
existentielles avec le milieu (et pourquoi pas celles de possibles muta-
tions ?). Les symboles étudiés par Jung pourraient être compris alors non
comme expression directe de la libido, mais, entre autres possibilités,
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Lacan écrit: «Or; le jungisme - pour autant qu'il fait, de ces modes
primitifs de l'articulation du monde, quelque chose de subsistant, le noyau,
dit-il, de la psyché elle-même - s'accompagne nécessairement de la
répudiation du terme de libido, de la neutralisation de cette fonction par le
recours à une notion d'énergie psychique, à une notion beaucoup plus
généralisée d'intérêt. » (1 0).
A ce propos, il me paraît intéressant de discuter non seulement le
problème de la libido, mais aussi le fait que Lacan soutient que Jung
donne une valeur de noyau à ces modes primitifs d'articulation avec le
monde que sont les archétypes. Dans sa conception, ces modes seraient
à l'intérieur de la psyché ou sous les niveaux psychiques du désir et de la
libido freudienne. L'œuvre de Jung se prête bien sûr à cette lecture, mais
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cette interprétation est, à mon avis, une interprétation partielle. On peut
aussi lire Jung sans considérer que les susdites modalités d'articulation
sont au dedans de l'homme, mais en pensant, au contraire, que la psyché
humaine peut également être examinée sous l'aspect des modalités
d'articulation au monde déjà réalisées ou à réaliser.
Lacan dit encore : « ... ce que Freud entend présentifier dans la
fonction de la libido n'est point un rapport archaïque, un mode d'accès
primitif des pensées, un monde qui serait là comme l'ombre subsistante
d'un monde ancien à travers le nôtre. La libido, c'est la présence,
effective, comme telle, du désir. » (1 0).
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l'intérieur de la pensée jungienne, on ne pouvait soutenir que cette théorie,
à savoir que le serpent est toujours une figuration de la libido, Lacan aurait
parfaitement raison et la psychologie jungienne serait destinée à être une
psychosophie.
Mais la découverte jungienne peut être lue dans une autre direction,
c'est-à-dire celle qui considère les faits psychiques observables dans la
perspective d'une tendance du développement psychique vers des buts
objectifs, d'une certaine façon préfixés. L'image du serpent, examinée
dans une perspective jungienne, révélera non seulement ce que la psycha-
nalyse permettrait de révéler, mais donnera aussi de précieuses informa-
tions à propos des modalités des futures relations existentielles avec le
monde et avec notre propre profondeur (Grund), et cela aussi en tenant
compte d'images semblables dans la mythologie, la religion, l'histoire, etc.
(des images identiques de serpents n'existent pas, et pourtant il peut être
très intéressant de retrouver un parallèle mythologique pour chacune
d'elles : un serpent rampant est différent d'un serpent entortillé sur lui-
même).
Lorsque nous décrivons un développement à son terme. ou dans une
de ses phases, nous pouvons considérer le rapport entre pulsions et
défenses, mais nous pouvons aussi le décrire dans une autre perspective,
celle de la situation existentielle atteinte et en particulier rejointe avec la
profondeur (Grund). Rien n'empêche de penser qu'un autre discours, en
relation avec tous les autres discours possibles et .en particulier psychana-
lytique, puisse être lu, non à travers une mantique intuitive et mystérieuse,
mais à travers une comparaison attentive avec des matériaux provenant
d'autres champs du savoir. L'apparition de l'image d'un serpent dévoile
une possible qualité serpentueuse du sujet et cette qualité serpentueuse
n'est pas complètement assimilable à une qualité phallique (Jones indiquait
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encore que communément associé à la sexualité en général ; la différence
pratique est que, selon l'école psychanalytique, chaque signification du
contexte onirique exprimée en termes d'idée générale est secondaire,
provient et dépend d'une signification inconsciente plus profonde qui peut
être exprimée uniquement en termes concrets. De plus, l'inconscient
assimile l'idée générale de connaissance à l'idée plus spécifique de
connaissance sexuelle, laquelle, à son tour, est assimilée au pouvoir
sexuel ; l'association apparaît dans l'expression biblique "connaître une
femme". Pour cette raison, le serpent est associé, particulièrement en
Orient, à l'idée de connaissance, si bien qu'il sert communément d"' em-
blème" de la sagesse. Cependant, dire qu'un serpent peut "symboliser"
soit un phallus, soit la sagesse, conduit à confondre deux processus
psychologiques totalement différents. Le rapport entre eux peut être
illustré à l'aide de ces deux situations: la première, celle d'un homme qui
emploie incidemment l'expression familière: "He is a wily old snake"
(c'est un vieux serpent rusé) ; dans ce cas, on pourrait se dire que la
métaphore est purement extérieure, basée sur la connaissance acquise
qu'il existe quelque relation présumée entre le serpent et la ruse; la
deuxième situation est celle d'un homme qui sent personnellement et
instinctivement que le serpent est un " emblème " approprié clair et naturel
de l'idée de sagesse et de ruse; ici, on pourrait certainement s'attendre à
découvrir que l'idée agit comme un véritable symbole phallique incons-
cient. » (12).
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C'est ici que peut resurgir la critique lacanienne: ce que l'on vient de
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dire, n'est-ce pas la preuve évidente de ce que Lacan a soutenu,
c'est-à-dire que la psyché, selon Jung, se lirait directement dans ses
symboles? L'interprétation ne s'ouvre-t-elle pas alors complètement à
l'irrationnel et l'exercice de la profession analytique au dirigisme psychique
de nature religieuse? A mon ,?iVis, cette critique n'est pas exacte parce
qu'elle néglige le fait que les matériaux analogiques étudiés par Jung sont
précisément des matériaux dont la connaissance et la compréhension
nécessitent une étude objective et difficile de territoires différents de celui
de la psychologie. L'interprétation qui part de ce point de vue ne peut être
que très différente de l'interprétation freudienne: dans la psychanalyse,
l'interprétation naît d'un travail commun entre l'analyste et l'analysant, et
lorsqu'une image est dévoilée, elle se révèle être la représentation indirecte
figurée d'un élément refoulé. Une interprétation dans la visée jungienne,
qui n'exclut pas l'interprétation psychanalytique classique, ne peut être
qu'analogique et une image onirique ne peut être dite que semblable,
analogue à l'image d'un mythe, d'un conte réellement existant quelque
part, que l'analyste connaît. Et si le futur peut être présent dans l'image
du serpent figurant une représentation-but (Zielvorstellung), il ne s'y trouve
pas en tant que prémonition, mais comme information décodable à partir
d'un travail psychique. Dans cette direction, ori pourrait se servir, pour la
clinique, d'une part importante des matériaux recueillis dans la littérature
jungienne. Les analyses jungiennes sont, au contraire, souvent centrées
sur la révélation d'analogies et dans une certaine confusion entre les
interprétations symboliques et les interprétations fondées sur ces mêmes
analogies, sans que soit donnée suffisamment d'importance à l'après-coup.
Il est nécessaire de revenir encore sur le fait que Jung attribue aux
symboles une valeur prospective. Dans un certain sens, le futur serait déjà
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ébauché dans les symboles et l'on pourrait y entrevoir des solutions aux
problèmes existentiels des êtres humains. Je pense que lorsqu'un sujet est
aux prises, dans un moment de sa vie, avec un problème irrésolu, il essaie
d'assimiler les difficultés rencontrées à d'autres déjà connues et résolues.
Ce n'est que par la suite qu'il réussit à s'adapter à la nouvelle situation.
En présence d'un problème non résolu, la psyché produit des symboles,
qui, à mon avis, ne portent pas en eux-mêmes la solution mais naissent
du fait que le problème est entré en contact avec les plus profondes
sphères du psychisme, à partir desquelles peuvent apparaître des solutions
viables. Il se produit une sorte d'immersion du nouveau dans le vieux, et
de cette rencontre peut sortir le symbole. Le fameux exemple de Kékulé
pourrait être expliqué de la même façon. Si l'on réfléchit sur les observa-
tions piagétiennes à propos de l'apprentissage du nouveau, on constate
quelque chose d'analogue : il y a avant tout une assimilation du nouveau
dans le déjà appris et, après, l'enfant apprend une nouvelle modalité, un
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nouveau geste, par exemple. Il n'est pas nécessaire de penser qu'existe
dans l'inconscient une possibilité de prémonition pour comprendre la
valeur prospective des symboles. On peut considérer, éventuellement,
aussi, une influence des informations génétiques.
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présentement sans doute d'autre ressource que de désigner leur nature,
d'après leur action essentielle, sous le nom d"' esprit", et cela dans le
sens que j'ai tenté d'éclaircir dans mon étude sur la phénoménologie de
l'Esprit. Ainsi la position de l'archétype au-delà de la sphère psychique
serait déterminée d'une façon analogue à celle de l'instinct physiologique,
qui s'enracine directement dans l'organisme matériel et, grâce à sa nature
psychoïde, constitue le pont menant à la matière en général. Dans la
représentation archétypique et dans la réception de l'instinct, l'esprit et la
matière se tiennent l'un en face de l'autre sur le plan psychique. La matière
comme l'esprit apparaissent dans la sphère de l'âme comme des propriétés
caractéristiques de contenus de la conscience. Tous deux sont, de par leur
nature ultime, transcendantaux, c'est-à-dire non représentables, étant
donné que la psyché et ses contenus constituent l'unique réalité qui soit
pour nous une donnée immédiate. » (14).
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une forme particulière d'attachement à un Moi-idéal. Si l'on considère, en
outre, le but du développement psychique comme une possible mutation
génétique, on pourrait arriver à fonder à ce niveau une éthique psychana-
lytique centrée sur le respect de l'originalité, de l'équation personnelle en
tant que résultat d'une possible mutation.
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NOTES ET BIBLIOGRAPHIE
2. On peut lire à ce propos les écrits de Lacan qui concernent les problèmes
criminologiques.
3. C.G. Jung, Types psychologiques, Genève, Georg & Cie, 1958, p. 456.
6. C.G. Jung, Métamorphose de l'âme et ses symboles, Genève, Georg & Cie,
1953, p. 244.
12. E. Jones, Teoria des simbolismo e a/tri scritti, Roma, Astrolabio, 1972.
13. C.G. Jung, Les racines de la conscience, Paris, Suchet/Chastel, 1971, p. 535.
14. Ibidem, p. 540.
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