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La Psyché peinte de Freud à Dalí et Lacan

Branko Aleksić
Dans Topique 2012/2 (n° 119), pages 7 à 23
Éditions Association Internationale Interactions de la Psychanalyse (A2IP)
ISSN 0040-9375
ISBN 9782847952179
DOI 10.3917/top.119.0007
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La Psyché peinte
de Freud à Dalí et Lacan
Branko Aleksić
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Pour Henri Béhar, qui nous a envoyé
les voix mélusiennes.

Peintres et dessinateurs d’états de rêve démontrent un intérêt persistant pour


l’alliance de l’art de peindre et d’interpréter la Psyché. Tout en faisant allusion à
deux fresques de Raphaël, Freud compare le travail du rêve aux moyens du
peintre qui «restitue la corrélation logique sous forme de simultanéité» – tel
Raphaël dans ses fresques auxquelles Freud fait ici allusion – «en cela il procède
comme le peintre qui regroupe dans le tableau d’une École d’Athènes ou du
Parnasse tous les philosophes ou poètes qui ne se sont jamais trouvés ensemble
sous un portique ou au sommet d’une montagne, mais qui forment bien une
communauté quand on les considère en pensée 1 ». Freud écrit ces lignes dans
son bureau viennois à Bergasse, puis à Maresfield Gardens à Londres, en fixant
l’espace au-dessus d’une douzaine des statuettes égyptiennes, étrusques et
romaines. Tournées de dos au spectateur, elles peuvent être identifiées 2 : (4) torse
de Vénus, (8) « Guerrier », statue étrusque, cat. 115, reproduction p. 18 ; (9)
« Tête d’Osiris coiffée de la couronne Atef », (11) etc.
L’étude Un souvenir de l’enfance de Léonard de Vinci (1910), au même
escient que l’étude sur la nouvelle de Wilhelm Jansen « Le délire et les rêves
dans la Gradiva», telle fantaisie pompéienne (1907), ont fait que les Beaux-Arts
acquirent un traitement spécifique dans les écrits théoriques de la psychanalyse.
Les enjeux de cette jonction entre la Peinture et la Psychanalyse se sentiront
jusqu’à travers une Histoire de la peinture surréaliste à travers les âges, un
projet de Salvador Dalí.

1. L’Interprétation du rêve, 1899 ; GW IV, 319.


2. La photographie de Freud à son bureau, par Max Pollack (1914). Reproduction dans le
catalogue de l’exposition Rodin et Freud, collectionneurs.

Topique, 2012, 119, 7-23.


8 TOPIQUE

Dans son essai consacré à Léonard de Vinci (1452-1519), Freud a compris


les recherches multiples en sciences comme en arts, en tant qu’un « ersatz » de
l’activité sexuelle refoulée – le sourire de Mona Lisa est sexuellement ambigu –
et l’obsession de l’inachèvement comme le symptôme de l’homosexualité du
peintre (Léonard a travaillé sur le portrait de Mona Lisa à Florence entre 1503 et
1507 et l’a laissé non finito) 3. L’analyse d’un souvenir d’enfance de Léonard de
Vinci sera à la base des théories sur les débats de sexualité dans le Mythe
Tragique de l’Angélus de Millet (un chapitre de la somme projetée sur l’Histoire
de la peinture surréaliste à travers les âges), jusqu’à l’avant dernier texte publié
de la vie de Dalí (1904-1989) : « Le Vautour de Léonard et l’Ictineo», le 11
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février 1985, écrit en hommage à Monturol Narciso, l’inventeur du sous-
marin espagnol. « Grâce à Freud, nous connaissons la signification érotique
de tout ce qui a trait à l’aviation… Les préoccupations de Léonard sont des
plus instructives à cet égard… Rien n’est plus clair que le symbole des rêves
de vol » (VS, 28). Donc, en 1985, « l’hélicoptère est le vautour découvert par
Freud. Il a des ailes, une queue ». Et puisque Monturol est l’inventeur du
premier sous-marin espagnol qui navigua sous l’eau, l’imagination de Dalí
parcourt deux éléments : l’Air jusqu’au-dessous de l’Eau ! « Le vautour de
Léonard de Vinci et l’Ictineo de Narciso Monturiol sont le haut et le bas de
l’inconscient ».

FREUD ChOISI PAR LES SURRÉALISTES


COMME LEUR « SAINT PATRON »

Pour définir le terme Surréalisme attaché à son drame sur Tirésias, le


mauvais oiseau prophète d’Œdipe roi, Guillaume Apollinaire l’a illustré par
une image : «Quand l’homme a voulu imiter la marche, il a créé la roue qui
ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir. » La
roue multiplie les pas ; comme la jambe en mouvement descendant sur l’esca-
lier peint par Duchamp, les surréalistes représenteront ce réel multiplié,
exacerbé dans ses manifestations du rêve, hallucination, amour, extase... C’est
ce terme d’Apollinaire, jugé préférable au Surnaturalisme de Nerval, que
Breton reprendra dans son Manifeste du surréalisme en 1924. Dès le début,
l’enseignement de Freud sur l’inconscient a eu toutes les chances de pénétrer
dans la théorie et pratique des peintres surréalistes qui répondent à la question,
comment représenter le non-figurable, comment figurer l’indicible ? Le
Dormeur énigmatique de Chirico, La Révolution, Nuit de Max Ernst, puis les

3. On a intérêt à étudier l’essai de Freud, Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci


dans la traduction et avec les commentaires de Marie Bonaparte, vérifiée et autorisée par l’au-
teur en 1927 (réédition Gallimard, coll. « Idées », 1977, 152 p.)
BRANKO ALEKSIć – LA PSyChÉ PEINTE 9
DE FREUD à DALí ET LACAN

images multiples inventées par Salvador Dalí sur la trace des peintres manié-
ristes italiens, ce sera toujours le Surréel dans la vie elle-même. Dalí mettra à
profit le sens de la guérison apportée par Gradiva, figure de la femme salva-
trice dans l’histoire de Jansen telle que Freud l’analysa. C’est ainsi que Dalí
explique le rôle libérateur de Gala (épouse d’Éluard et aussi maîtresse de Max
Ernst) dans sa propre existence. « Maintenant que mes lecteurs connaissent ce
conte et son interprétation psychanalytique, le moment est venu de reprendre
notre route et d’établir un parallèle entre mon propre cas… » (VS, 186) 4. Dalí
a voulu rencontrer Freud à Vienne pendant son voyage de 1926, mais il
réussira à ce que le vieux maître le reçoive chez lui en 1938 à Londres, grâce
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à l’insistance de Stefan Zweig. Julien Green, l’un des collectionneurs de Dalí,
note dans son Journal le 22 octobre 1933 que Dalí « parle de Freud comme
un chrétien parle des Évangiles». Freud a pressenti ce rôle qui lui est échu, en
confiant à Zweig son impression d’être choisi pour le « saint patron » des
surréalistes.
Dans une lettre à Vane Bor envoyée de Cadaquès à Belgrade, le 1 er mai
1934, document inédit dont nous préparons la publication, Dalí discute, entre
autres, l’«anamorphose psychique» dans ses tableaux surréalistes et ses
«découvertes dans les costumes masochistes documents sensationnels dans la
perversion affective (fin du stade paternel “Guillaume Tell”) »… 5
Dalí exprime clairement son inspiration des théories psychanalytiques de
l’inconscient révélé par Freud et de l’Art comme la sublimation des instincts,
lors d’un entretien dans New York Times de 1934 :
« Le surréalisme, comme les rêves, nous libère des conventions.
Ce que Freud a expliqué avec des mots, le surréaliste le raconte avec
des tableaux. »

Va-t-on vraiment des mots aux tableaux, ou n’est-ce qu’un détour ? D’une
part, pour interpréter l’inconscient, Freud utilise dans la Métapsychologie
(1915) notamment deux métaphores – scripturale et picturale. Les représen-
tations consciente et inconsciente sont les « inscriptions » (p. 81), elles
peuvent avoir aussi «la valeur d’une représentation figurée» (p. 79) ; une
prise de figurabilité donne le rêve (p. 134) et des pensées sont transposées en
images – principalement visuelles (135n). Mais un rébus du rêve en images ne
doit pas être «jugé comme composition de peinture», mais doit être « traduit »
en mots et pensées, écrit Freud (SW VI, 281-282). D’autre part, la peinture
sert de support méthodologique pour l’interprétation d’un rêve… Il suffit de
relire l’interprétation freudienne des symboles picturaux du caractère

4. La Vie secrète de Salvador Dalí, trad. française La Table ronde, 1952.


5. Cette lettre adressée au théoricien du surréalisme serbe et peintre Vane Bor (1908, Bor –
1993, Oxford) provient des Archives surréalistes belgradoises.
10 TOPIQUE

maternel dans Sainte-Anne de Léonard, voire sa dernière description pitto-


resque, celle de Dalí en «jeune Espagnol, avec ses candides yeux de
fanatique» ! En effet, selon Lacan, l’inconscient s’est rencontré d’abord dans
le discours, puis on s’est arrêté aux structures qui lui sont propres 6.
Dans le surréalisme, la situation est pareille : André Breton publie d’abord le
Manifeste du surréalisme (discours sur une nouvelle méthode poétique),
puis seulement on admet le surréalisme dans les Beaux-Arts. Mais alors on
s’est aperçu que l’état de rêve était présenté dans l’histoire de la peinture ;
l’Histoire de la peinture surréaliste à travers les âges, une autre version de
titre Dalí, signifie que l’on peut rétrospectivement, de manière platonicienne
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de la théorie de réminiscence, rechercher la peinture surréaliste avant-la-
lettre. Si l’Inconscient est un discours, en termes lacaniens (E II, 368), il y
aurait un « langage » de la peinture, propre au genre des Beaux-Arts.
En témoigne la lettre de Freud à son ami Zweig, le lendemain de la visite de
Dalí, le 20 juillet 1938.
« Cher Monsieur, il faut réellement que je vous remercie du mot d’intro-
duction que m’ont amené les visiteurs d’hier. [Dalí et Edwards ?]
Car jusqu’alors, semble-t-il, j’étais tenté de tenir les surréalistes qui
apparemment m’ont choisi comme saint patron, pour des fous intégraux
(disons à quatre-vingt-quinze pour cent, comme pour alcool absolu).
Le jeune Espagnol, avec ses candides yeux de fanatique et son
indéniable maîtrise technique, m’a incité à reconsidérer mon opinion.
Il serait en effet très intéressant d’étudier analytiquement la genèse d’un
tableau de ce genre. (…) »
Nous en concluons trois choses événementielles. Primo, le face à face avec
Dalí a changé à jamais l’opinion que Freud s’était faite sur le mouvement surréa-
liste à partir des textes que Breton lui avait envoyés, car comme il le dit, jusque-
là, il était tenté de tenir les surréalistes pour des fous presque intégraux7.
Secundo, à propos du pluriel que Freud utilise en parlant des « visiteurs » qui se
sont présentés à lui avec un sauf-conduit de Zweig, cela signifie que Dalí est
venu à Maresfield Gardens accompagné probablement de son collectionneur
anglais, James Edwards, un original. Tertio, pour que Freud ait l’impression de
la maîtrise technique du peintre surréaliste, il a dû voir ses tableaux de ses
propres yeux ; cela était peut-être pour la première fois... Comprenons que Dalí
a fait une exposition de poche, en apportant avec lui ses extraordinaires tableaux
de très petit format, extrêmement travaillés et léchés à la hollandaise – optons

6. Préface à l’édition de poche des Écrits, 14-XII-1969.


7. Ce mot d’esprit a mérité le statut d’un titre que nous lui avons donné dans l’article « Freud
et les surréalistes, ses “fous intégraux” », consacré à la réception de Freud en France sous l’axe
des surréalistes (Topique, n° 115, 2011).
BRANKO ALEKSIć – LA PSyChÉ PEINTE 11
DE FREUD à DALí ET LACAN

pour les tableaux de très petit format comme, La Charrette fantôme (1933), Le
Spectre de Vermeer de Delft (c. 1934) etc.8
Au cours de l’entrevue, il semble que Freud ait parlé en autres à Dalí de son
dernier ouvrage sur L’Homme Moïse : « Moïse est chair et os de sublimation…»
Dalí citera ces propos de Freud dans son autobiographie, La Vie secrète de
Salvador Dalí 9, à l’époque où, avant que la lettre de Freud à Zweig ne soit
publiée, peu du monde croyait que la rencontre Freud-Dalí ait eu lieu. Plus tard,
Dalí écrira aussi la préface pour l’édition française de l’« Art et valeur » du
Moïse et le monothéisme de Freud.
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PROPOSITIONS FREUDIENNES DANS LA PEINTURE

L’idée d’étudier analytiquement la genèse d’un tableau surréaliste, qui a


intéressé Freud, semble être mise en pratique par Dalí pendant son premier
séjour américain, en 1931, en collaboration avec un psychanalyste appelé
Pazkiewichz (d’origine polonaise ?) ; une page de « Notes pour l’interprétation
du tableau La persistance de la mémoire », concerne Psychanalyse, ou en
graphie des deux auteurs :
Psychoanalysis
« La Persistance de la mémoire » doit être localisée [i.e. située], à la période
de formation du sur-moi de Dalí, très difficile encore de préciser chronologi-
quement – Les phantasmes masochistes apparaissent très en retard et dans ce
cas indépendants du complexe d’Œdipe – Confirmation des notions de «Soi»
d’après les Nouvelles conférences sur la psychoanalysis de Freud.10
En ce que concerne le regard de Dalí sur les éléments du surréalisme dans
l’histoire de la peinture passée, nous pouvons supposer que, hors des peintres
auxquels il a consacré les fragments de ses différents essais – Bosch, Vermeer,
Millet – parmi les peintres italiens par exemple, il se serait arrêté à la période du
maniérisme. Nous citerons quelques exemples des peintres de cette mouvance
et plus largement des peintres qui ont traité la figure de la Psyché dans le sens de
l’image surréaliste (psychique, de l’inconscient) avant la lettre.

8. Dans Die Welt von Gestern, Zweig affirme : « Pendant que je parlais à Freud, Dalí fit un
croquis de lui. Je n’ai jamais osé le montrer à Freud, car avec clairvoyance, Dalí avait déjà fixé
en lui image de la mort. » Dans son livre autobiographique, Dalí publiera deux autres dessins
des portraits de Freud de 1938 (encre chine sur papier ne dépassant pas 30 centimètres) et un
Portrait de Freud basé sur « la morphologie du crâne de Sigmund Freud…». Catalogue de la
rétrospective Dalí, Centre Pompidou, p. 260-261.
9. La Vie secrète de Salvador Dalí, trad. fr., p. 304-305.
10. Le fac-similé des notes (collections du Museum of Modern Art, New york) in Salvador
Dalí, Rétrospective 1920-1980, catalogue de l’exposition au Centre Georges Pompidou, Paris,
1980, p. 174. Ces « Notes…» signées : S. Dalí en collaboration avec M. Pazkiewichz, se présentent
comme « Extrait de La Pensée dalinienne».
12 TOPIQUE

Comment un dessinateur ou un peintre peut-il représenter, simuler, se


familiariser, avec l’inquiétante étrangeté des états de rêve, voire d’hallucinations
ou de somnambulisme ? Depuis les traités sur la perspective, influencés par les
traités mathématiques de Newton, la représentation des objets dans un dessin ou
peinture suit le point de vue – linearum tertium ordinis. La manière dont un
peintre signifie qu’il représente le monde psychique intérieur, peut consister
principalement en quatre ou cinq artifices suivants :
1° changement de la perspective – certains objets sont redimensionnés,
certains sont agrandis, certains se croisent suivant le trajet de l’œil, mais hors de
l’horizon. Exemple : Redon peint l’œil parallèle à la représentation, avec les
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lignes de fuite à l’infini – ces lignes de fuite que Dalí a liées dans l’expérience de
Vermeer van Delft et de Giorgio de Chirico, dans l’un des chapitres que nous
croyons destinés à son projet sur l’Histoire de la peinture surréaliste à travers les
âges :
« Lignes de vitesse, de la perspective, lignes de la mer, chemins uniques et
nécessaires où l’on peut le plus vite parcourir les fantaisies de l’accélération de
la vie. Lignes de perspective, point géométriques de perspective dans l’infini de
G. de Chirico, de Vermeer de Delft, esprits les plus véloces de l’histoire, peintres
de la vitesse, vitesse inconnue d’ailleurs, inaperçue spécialement à cause de ce
que Gala appelle la “vitesse refoulée”, refoulement qui, dans ce cas, constitue
l’autopudeur aux figurations banalement dynamiques de ses propres vertiges. »11
2° changement de temporalité dans un même cadre : l’accumulation du temps
redistribuée dans une même image ;
3° changement du regard réel du corps, par rapport à l’espace mental du
cadre et hors du cadre ;
4° changement des sources de la lumière (p. e. le contre-jour dans l’Emaüs de
Rembrandt et dans les tableaux religieux de Caravage)… ;
5° représentations des « objets hétéroclites » (Dalí donne l’exemple de
Chirico).

L’œil omniprésent dans les dessins oniriques d’Odilon Redon par exemple
– «Œil-ballon » (1878) qui piétine sur la cohérence de l’espace, se dirigeant vers

11. S. Dalí, « Vive le Surréalisme ! » (1931), in: Branko Aleksić, Dalí: Inédits de Belgrade
(1932), Paris, coédition Change International / Équivalences, 1987, p. 51. à propos de l’autre
texte présenté, la réponse de Dalí à l’enquête sur le désir (lancée par les surréalistes yougoslaves
en 1932), j’ai commenté le fait que selon Freud « les pulsions amoureuses sont difficilement
éducables…» (Contributions à la psychologie de la vie amoureuse, 1912) tandis que Dalí pour-
tant, considère qu’on doit éduquer la jeunesse – par la perversion ; et il y a bien de l’infanti-
lisme [provocateur] dans la façon dont Dalí a exploité les termes psychologiques de Freud,
parce que «la culture» des instincts les plus primaires, pour Dalí, sont les « sources claires de
la masturbation, de l’exhibitionnisme, du crime, de l’amour… », la moitié du message que
Freud avait lancé à l’adresse des plus jeunes initiés (id., chap. « Éducateur imparfait de la jeu-
nesse », p. 38-39).
BRANKO ALEKSIć – LA PSyChÉ PEINTE 13
DE FREUD à DALí ET LACAN

l’infini sur un motif d’E. A. Poe – fait une opposition paradoxale avec l’œil
fermé et Éros aveugle. (Thadée Natanson dans la revue Blanche en 1894, appelle
Redon « Prince du Rêve », et Francis Jammes dans la revue Vers et rose, de
décembre 1906 – février 1907, insiste sur la part de l’Inconscient dans l’œuvre
de Redon.)12
En Italie, la période du néoplatonisme concentre le débat entre la Raison et
l’Amour sur la figure mythologique d’Éros aveugle, l’emblème qui représente
l’idée qu’on se fait des désirs impétueux, mais où l’on peut déchiffrer aussi le
symbole de l’état du rêve, les yeux fermés. Les peintres et dessinateurs illustrent
le topos libidinal de l’Éros charnel chassé par la Raison (platonicienne) selon la
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réinterprétation de la poésie et littérature latines – Catulle : Caecus Amor;
Sénèque : Caeca libido – jusqu’à la Renaissance et le Caecus Deus de Pétrarque
(Afrique V, v. 19). Erwin Panofsky en a recherché le symbolisme dans ses Études
iconologiques13. On trouve toujours la caractéristique négative de la cécité du
Dieu subalterne de l’Amour dit profane, tout d’abord le fils d’Aphrodite, ensuite
d’Arès (dont Éros garde les enseignes guerrières : l’arc et les flèches). Le
paradoxe de ces doubles représentations n’a pas échappé à deux commentateurs
vénitiens du XVIe siècle, cités par Panofsky) – le premier, un éditeur de
Pétrarque (Il Petrarcha con l’espositione de M. G. A. Geusalodo, 1581) et le
deuxième, l’humaniste Petrus Berchorius (Dictionaii seu repertorii moralis,
1583) : la divinité d’Amour est privée de la vue, l’organe précisément par lequel
passe notre perception de la beauté et de l’amour. Lisons-nous la métaphore de
la castration symbolique dans ce parallèle entre l’œil et le phallus ? Enchaînons
par la découverte que l’invention de Psyché ajoute à l’équilibre du paradoxe
transformé devant nos yeux en mathème de la cécité annulée : pour
« surprendre » l’identité de son amant inconnu, Psyché découvre Éros pendant
son repos d’amour, les yeux fermés, dans le sommeil. La Nuit où l’on rêve est
aussi «aveugle», comme dans un dessin du Codex théologique de la Biblio-
thèque de Berlin, fol. 192, vers l’an 975 (illustration n° 76 in Panofsky). Le
tranchoir qui a sauté aux yeux de Lacan est aussi celui qui laisse tomber le
bandeau des yeux. Les désirs – les désirants – « s’ordonnent en une chaîne qui
ressemble [à Lacan] à la procession des aveugles de Breughel » (comparaison
de 1962 in Écrits).

12. Collection Songes (1891), album de six planches, change la perspective – un boulet,
énorme, tâte une sorte de bonze, deux fois plus petit. Dans le Rêve (l’album de 1879) isole l’œil
planant sur deux figures humaines (« Vision », planche 8) ; « les Dents » (1883), énormes, pèsent
sur une étagère avec les petits livres, enfin « Lumière » (lithographie, 1893) présente une
énorme « tête pensée ».
13. Trad. fr. de : Studies in Iconology. Humanistic Themes in the Art of the Renaissance; New
york, harper & Row Publishers, édition revue en 1962.
14 TOPIQUE

ALLÉGORIE DES DIVINITÉS PAïENNES, HYPNoS


– RêVE ET MORPhÉE – SoMMEIL

Pour la Loggia de Psyché peinte pour la villa de Quirinal, Leonardo Cardi


dit il Cigoli selon le lieu de sa naissance (Cigoli, 1559 – Rome en 1613) peintre
de l’école florentine, crayonne au pastel une Étude de Psyché endormie. Pour la
source de son dessin Cardi utilise, exactement comme Zucchi, la narration langa-
gière d’Apulée, L’Âne d’or ou fcjles Métamorphoses: il décrit l’enlèvement de
Psyché par le dieu Zéphir qui la transporte pendant son sommeil au jardin secret
de l’Amour. Le peintre saisit le moment où Psyché vient d’être déposée dans le
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jardin : il a le plaisir de dessiner le jeu des plis de la robe largement déployée,
soulevée par le souffle de Zéphir. Mais un œil de Psyché est ouvert : elle est
transportée par le dieu des vents, mais elle est aussi dans un état de « transport »
intérieur (on pense au visage de Thérèse d’Avila et les plis de sa toge, sculptés
par Bernin). Dans la tradition picturale, Cardi se réfère aux amours nocturnes
l’Amour et de Psyché dans les fresques que Raphaël a peintes sur la voûte de la
loggia Psyché à la Farnésine ; elles ont été copiées pour un palais de Rome par
Federico Zuccaro14. Voilà le thème allégorique commun de Psyché et pourquoi
Lacan a eu raison de comparer Zucchi avec Raphaël.

Une Allégorie des songes par le frère aîné de Federico, Taddeo Zuccaro (né
à Sant’Angelo in Vado, 1529 – mort à Rome, 1566), des écoles romaine et
ombrienne, et une Scène allégorique connue sous le titre descriptif : la Peste
dévorant les enfants de Cybèle, par le peintre de l’école florentine Pietro Testa
(Lucca, 1612 – Rome, 1650) adepte des sujets bizarres, nous mettent en présence
du thème général des divinités païennes qui subsistent dans l’époque de la
chrétienté. L’« Esquisse d’un portrait de l’artiste maniériste en génie du
sommeil » de Dominique Cordellier ajoute au catalogue Le Rêve comme le
dessin (p. 136-153) plusieurs reproductions d’autres dessins (qui ne sont pas
exposés ni répertoriés dans l’index à la fin du catalogue du Louvre) : Primatice
(installé en France en 1523), Héra chez le Sommeil 15 ; Lelio Orsi (1508-1587),
Allégorie du Sommeil 16 ; Giorgio Vasari, Le Songe 17. Les traits précis documen-
tent l’imaginaire mythologique de la visite de la déesse héra (la Junon romaine)
chez hypnos, décrit par les poètes et fabulateurs grecs et latins : l’anthropomor-
phisme simplificateur – héra est une belle femme aux seins dénudés – combine
les formes oniriques du monde du dieu hypnos chez Primatice comme chez

14. F. Baumgart et B. Biagetti, Die Fresken des Michelangelo, L. Sabbatini und F. Zuccari
in der Capella Paolina im Vatikan. Città del Vaticano, Monumenti vaticani di archeologia e
d’arte, vol. 3, 1934.
15. Musée de Florence, Musée des Offices, n. 695 E.
16. Londres, British Museum, Inv. 1895-9-15-743.
17. New york, Metropolitan Museum, Inv. 67-95-4.
BRANKO ALEKSIć – LA PSyChÉ PEINTE 15
DE FREUD à DALí ET LACAN

Taddeo Zuccaro. L’Allégorie des songes, dessin en rondo de Zuccaro pour la


villa Gregoriana, met en scène une dormeuse, les cuisses ouvertes, la tête rejetée
en arrière, entourée des figures hypnotiques décrites avec précision par Philippe-
Alain Michaud (catalogue p. 28, selon la leçon des Métamorphoses d’Ovide, XI,
592 sq.) : Morphée, « créateur et fabriquant des figures » (Ovide) ; Icélos, un
composé d’homme, de fauve, d’oiseau et de serpent ; Phantasos qui se trans-
forme simultanément en pierre et en arbre.

LE SONGE DU 16 AVRIL 1560, ET DESSINÉ PAR DOSIO


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Selon Freud, les processus du système conscient, à la différence de ceux
inconscients, sont intemporels, c’est-à-dire qu’ils sont ordonnés dans le temps,
qu’ils sont modifiés par l’écoulement de la temporalité et qu’ils ont une relation
absolue avec le temps 18. Par ailleurs, les relations de pensées du rêve ne sont pas
d’ordre logique, dit Freud (GW 318) 19. Il compare cette relation à l’opinion tradi-
tionnelle – reçoit de Lessing, interprétateur de la temporalité linéaire dans la
sculpture du Laocoon – selon laquelle les beaux-arts manquent la dimension
temporelle. Il s’agirait d’une limitation « semblable [à la limitation] que connais-
sent les arts figuratifs, peinture et sculpture, comparées à la poésie qui peut se
servir de la parole…»
Ces relations des pensées de rêve, ont paru à Freud en somme logiques. Mais,
les représentations séquentielles de deux rêves personnels de deux peintres :
Dosio et Dürer, picturae somnium aléatoire, mettent cette logique à l’épreuve.
Le peintre italien note dans son dessin (prêté pour l’exposition au Louvre par le
British Museum) la description brève de son « rêve du 16 avril 1560 » : Giovanni
Antonio (c’est Dosio lui-même) entre par un porche arqué de l’autre côté d’une
bâtisse en ruines, il rencontre un personnage (un autre Giovanni), à la fin ils sont
trois personnages nus (s’ajoute un Raffaello di Sangallo ; le lieu de Saint-Gall
étant devenu célèbre par la présence de Paracelse), ils sont nus, courbés sous la
menace d’un serpent dans le ciel. 20 L’explication dans le catalogue que Dosio
illustre un épisode de l’Enfer de Dante ne me semble pas plausible. Il s’agit
résolument d’un rêve personnel ; la date documente le caractère psychique
immédiat de la notation. Le symbole central est le serpent : il apparaît une fois

18. Freud, Métapsychologie (1915), traduction de Jean Laplanche et J.-B. Pontalis,


Gallimard, coll. « Idées », 1968, p. 97.
19. Trad. fr., Œuvres complètes, PUF, chap. « Les moyens de présentation du rêve », p. 356-
357.
20. Dosio, Sognio fatto adi 16 di Aprile / 1560 Sta notte della domenica seconda doppo
pasqua. (Plume et encre brune, reproduction p. 16 du catalogue). Le texte italien dans la légende
du dessin (“le serpe che e jnavia usci...”) est déchiffré sur la p. 24. Le même écart avec la légende
du dessin de Dürer (p. 74), déchiffré seulement p. 181.
16 TOPIQUE

immobile, comme une des sculptures parmi les ruines, et une fois se mouvant
dans le ciel, et crachant sur les figures des nus. D’après L’interprétation du Rêve
par Freud, parmi les animaux qui sont utilisés dans la mythologie et le folklore
comme symboles génitaux, le serpent représente avant tout « le symbole du
membre masculin le plus significatif » 21. Or, Dosio note clairement en haut du
dessin qu’il a vu dans son rêve un serpent sortir – « la serpe che e jnavia usci
per… »
Une autre « Vision du rêve » personnelle, le Traumgesicht d’Albrecht Dürer
daté de 1525, rapporte une scène moyenâgeuse de déluge, « une immense
quantité d’eau se déverser du ciel… » et dont le souvenir laisse le peintre « tout
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tremblant » 22. Il faut le rapprocher d’un autre motif de l’imaginaire similaire
(sauf s’il provient des Métamorphoses d’Ovide, I, 255-310), le Déluge de
Deucalion, dessin attribué à Lodovico Cardi dit il Cigoli 23.

S C h I Z Z O; S C h I Z E

Même pour ceux qui ne sont pas étrangers à une conjonction pareille de la
Psychanalyse et des Beaux-Arts, l’événement auquel nous assistons à la veille du
XXIe siècle, semblerait exceptionnel : les citations extraites des œuvres de
Sigmund Freud écrites sur les murs des deux musées à Paris, Le Louvre et Le
Grand Palais... Le procédé se répète à l’exposition Comme le rêve, le dessin,
organisée par Philippe-Alain Michaud au Musée du Louvre (de février à mai
2005) et à l’autre, Mélancolie, génie et folie en occident, organisée par Jean
Clair aux Galeries nationales du Grand Palais (d’octobre 2005 au janvier 2006).
Parmi plusieurs peintres représentés dans les deux expositions, Albrecht Dürer
avec ses visions des Déluges et la célèbre Melancolia (1514) apparaît l’auteur
emblématique. Son dessin la Vision (1525) est même reproduit dans les
catalogues des deux expositions respectives. Le caractère de plusieurs tableaux
dans l’exposition Mélancolie, de loin la plus ample des deux, semble parfois
réversible : « Le Songe du docteur ou la Tentation du paresseux » de Dürer (vers
1498), « Le Rêve de Raphaël » peint par Giorgio Ghisi, « Le Rêve troublant » de
Johann Tobias Sergel (1750) ont pu être montrés également à l’exposition précé-
dente.

21. L’Interprétation du rêve (VI. Le travail du rêve), nouvelle trad. fr., PUF, 2001, p. 403
[GW 363].
22. Dürer (1471-1528) a annoté son aquarelle. Celui-ci est conservé à Vienne (Kunsthistori-
sches Museum) ; reproduit p. 74 du catalogue Le Rêve comme le dessin, mais non exposé et non
répertorié à la fin du catalogue Le Rêve comme le dessin.
23. Le Déluge de Deucalion, dessin 21 X 31,5 cm, pierre noire, plume, encre brune, lavis gris
brun. Acquis pour le Cabinet du Roi à la vente à Paris en 1775 ; Louvre Inv. 892). Reproduit dans
le catalogue, p. 61.
BRANKO ALEKSIć – LA PSyChÉ PEINTE 17
DE FREUD à DALí ET LACAN

Le concept inspiré clairement par Freud dans le cas de l’exposition Comme


rêve, le dessin, et la définition de la mélancolie empruntée à Freud à la 2e exposi-
tion, les dénominateurs communs de la spiritualité picturale d’un au-delà rendu
« visible », tout cela nous incite de parler de ces deux expositions dans un même
élan.
Comme le rêve, le dessin, double exposition au Musée du Louvre (salle de
la Chapelle) et au Centre Georges Pompidou (Galerie d’art graphique), notam-
ment avec quatre-vingts dessins italiens des XVIe et XVIIe siècles. Il offre l’occa-
sion de voir, entre autres, la peinture de l’époque de Raphaël et Zucchi, l’auteur
de cette Psyché que Lacan dans le Séminaire VIII : Le Transfert, a désigné
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comme le petit chef-d’œuvre.
Les deux scènes allégoriques des songes (Zuccaro et Testa), une « étude de
Psyché » (Cardi), et deux dessins des rêves personnels des peintres Dosio et
Dürer, ce sont les exemples les plus explicites du « travail du rêve », la notion
psychanalytique de Freud que les auteurs de l’exposition Comme le rêve, le
dessin se sont proposés d’explorer à travers le travail du dessin. La majorité
d’autres exemples tombent de loin sous une comparaison kantienne «als ob».
La comparaison «comme…» revient d’innombrables fois dans l’essai de P.-A.
Michaud, commissaire de l’exposition et auteur de l’étude principale dans le
catalogue (p. 9-135) : « Comme le rêve …» – mais il s’agit du rêve de Dosio (p.
22 !) ; « la façade [dans un projet de Bartolomeo Ammannati] est incomplète
comme un rêve imparfaitement élaboré…» (p. 23), et la description d’un dessin
de Parmesan – non exposé – est « comme le plan du rêve selon Valéry…» (p. 23
toujours). Les Études pour l’Évanouissement de la Vierge d’Alessandro Casolani
sont « comme dans les images du rêve, [parce que] le ciment qui agglomère les
différents éléments visuels et leur donne leur unité apparente, s’est désagrégé »
(Michaud se réfère à Freud, p. 56), et un dessin de Jean Fautrier (1898-1964),
de son époque noire, dramatique et visionnaire, le Nu couché, 1927 (achat des
Musées nationaux, 1975) se voit rapproché de manière arbitraire de l’étude de
Cardi dit Cigoli (p. 78, « le gonflement du voile se dilatant autour du corps de la
Psyché endormie de Cigoli comme dans le contour décollé de la masse noire du
Nu couché de Fautrier»). La confusion provient d’un mauvais usage des
comparaisons ; elles produisent une contre-finalité dans les interprétations que
Michaud fait des dessins de Ammannanti, Barocci, Casolani, Franco, Molinari,
Orsi et Vasari … Le plus souvent, le caractère des esquisses des peintres, de
l’ensemble des études préparatoires pour une fresque, selon le modèle des
« figures de corrosion » (Emil Maurer cité p. 63), est assimilé à la « déstructura-
tion » de la surface (23), « disparition » des figures (33), « défiguration »,
« déconstruction » (42) « désagrégation » (56) et « dissolution » (60) !
Le terme d’abozzo étant traduit par ébauche, l’esquisse se dit pour schizzo
en italien. Vasari semble conscient qu’il existe un lien entre il furor de l’artefice
– « l’impétuosité » ou simplement « la fureur de l’artiste » – et le résultat d’une
18 TOPIQUE

esquisse : « Pour cette raison, on appelle esquisse schizzi («… perciò si chiamano
schizzi » dit Vasari, Le Vite de’ più eccelenti pittori, scultori e erchitetti). Il paraît
étrange que la giclure, le jaillissement, l’éclaboussure, précédant la peinture,
s’approchent de la schize psychanalytique. Par contre, on peut voir une unité
profonde entre un schizzo (esquisse) et une peinture ou une fresque à laquelle
l’esquisse était destinée. Le trait « ne conduit pas à la figure » (catalogue, p. 32) ;
« le trait s’exerce à contre-courant du processus de l’élaboration de la figure »
(p. 33), enfin « processus d’abstraction » (p. 10) ; c’est tout à l’envers ! Mais pour
cela, il faudrait encore distinguer la « contradiction » logique et le sens des
« contraires » opposés (comme chez héraclite), ce qui échappe à J.P. Criqui dans
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son essai sur le peintre Robert Morris24.
Léonard, significativement absent de l’exposition Le Rêve comme le dessin
et des références du catalogue…, expérimentait avec la double empreinte du
dessin et a souvent réalisé « de l’autre côté » de la feuille (verso) ses scénogra-
phies imaginaires. Dans les notes et illustrations, il a placé l’intellect aristotéli-
cien avec la fantaisie dans une même partie du cerveau ; jusqu’à son époque on
les séparait dans les deux sphères distinctes. Freud s’était appliqué de montrer le
manque substantiel de Léonard comme la cause de ses ouvrages restés inachevés
«non diede mai fine ad alcuna cosa cominciata», écrivit Solmi (le seul des
biographes de Léonard qui, d’après Freud, « a pressenti la solution de
l’énigme…»25). Pourtant, Michaud affirme de manière apodictique : « Le non
finito n’est pas un manque, mais la trace fixée d’un écart. » (catalogue, p. 12).
En effet le Non Finito peut être les deux. Selon le terme employé par Freud à
propos de la régression formelle qui se produit dans l’expérience du rêve, Lacan
avertissait : «N’oublions pas que la touche des peintres est quelque chose qui
donne un sens nouveau et différent au terme de régression – nous nous trouvons
devant l’élément moteur au sens de réponse, en tant qu’il engendre, en arrière,
son propre stimulus. », etc.26 Cette dialectique se retrouve dans le va et vient
entre l’esquisse (schizzo) et le tableau ou la fresque.

24. Jean-Pierre Criqui, « Dessiner, rêver peut-être…» (catalogue, p. 154-163). La métapho-


risation brouille une claire perspective du discours. Criqui « suggère » de considérer un ou l’au-
tre dessin du peintre américain R. Morris (né en 1931) « comme un analogon, du rêve…» Le
contre-sens produit est effarant car Morris extrait un statement du philosophe Donald Davidson,
cité dans le catalogue (en original anglais-américain et en traduction française, p. 161 et 179 !),
qui refuse la possibilité qu’« un rêve affirme quelque chose qu’un interprète habile pourrait tra-
duire en prose ordinaire », pour conclure : « Le mot d’esprit, le rêve ou la métaphore, de même
qu’une image ou un coup sur la tête, peuvent nous faire apprécier certains faits – mais pas en
servant de substituts à ces faits, ni en les exprimant. (Donald Davidson) ».
25. Un souvenir de l’enfance de Léonard da Vinci, p. 23 et 39.
26. Le fragment du Séminaire XI : Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse (1964),
Seuil, 1973, p. 104-105, repris dans le catalogue, p. 19, d’après yve-Alain Bois dans Matisse and
arche drawing, Cambridge, Massachusetts, 1993, p. 46.
BRANKO ALEKSIć – LA PSyChÉ PEINTE 19
DE FREUD à DALí ET LACAN

L’union de psyché comme l’anima mundana et le principe de la vie


intérieure, avec l’Amour charnel, est enfin l’union de l’âme et du corps en dépit
des lois dualistes et éthiques.

MÉLANCOLIE, GÉNIE ET FOLIE EN OCCIDENT

Le champ de la psychanalyse sert en guise des rappels de la connexion entre


l’Art et la coutume du deuil dans la Civilisation : deux ouvrages de Freud, Trauer
und Melancolie (« Deuil et Mélancolie »), 1915, et Das Unbehagen in der Kultur
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(Le Malaise dans la Civilisation), 1929, sont les plus souvent et constamment
cités. La deuxième notion qu’englobe le titre, provient de l’étude de Binswanger,
Melancolie und Manie (1960 ; trad. fr. : Mélancolie et Manie, 1987).

Au sens général, Freud ne dirait-il pas de l’art qu’il est « une hypnose
légère ? », demande Jean Clair, l’organisateur de l’exposition sur la Mélancolie,
dans le catalogue qu’il a dirigé 27. Et dans une étude techniquement approfondie
sur les aléas de Mélancolie et dégénérescence, Laura Bossi rappelle qu’henri
Ellenberger dans son Histoire de l’Inconscient a remarqué que l’Électre de
hofmansthal ressemble à la célèbre Anna O. de Breuer, et Dora de Freud semble
sortir d’une nouvelle d’Arthur Schnitzler (id., p. 399)… Les autres études expli-
citent le lien de la psychanalyse avec l’art antique grec et celui moderne. Dans
l’analyse des états de « deuil et mélancolie » par Freud, illustrées dans les repré-
sentations antiques d’affliction – sarcophages mycéniens, vases grecs du style
géométrique –, Alain Pasquier pense qu’il s’agissait surtout de la douleur du
deuil (p. 39). Une citation sur le mur provenant de Karl Abraham, dès 1912,
différencie le deuil de la peur, et l’angoisse de la dépression. «Il y a entre
l’angoisse et la dépression une relation analogue à celle qui existe entre la peur
et le deuil…» Ainsi, le travail du deuil et de la mélancolie se présente comme
«un travail infini», ajoute Jean Clair en citant de nouveau l’ouvrage de Freud (p.
449). « D’hippocrate à Freud, d’Aristote à Starobinski », conclut Pasquier dans
son étude sur Tristesse et mélancolie dans l’art grec, « chacun peut y trouver le
modèle ou l’exemple qu’il cherche. » (loc. cit., 39).
Le suicide d’Ajax, héros devenu fou, représenté d’après l’Iliade dans une
amphore antique à figures noires 28, ou la mise en scène romantique de la détresse
suicidaire des deux poètes : Sapho (Taillasson et Gros, 1791 ; Chassériau, 1849)
et Thomas Chatterton (henry Wallis peint « La Mort de Chatterton » en 1856,
les manuscrits déchirés gisant sur le sol à côté d’une fiole vide de poison), expri-

27. Article La Musique comme hypnose p. 245.


28. « Ajax prépare son suicide », terre cuite (55X environ 40 cm), style attique, vers 540-530
avant notre ère.
20 TOPIQUE

ment l’auto-tourment de la mélancolie défini par Freud. Et les martyrs tentés par
la panoplie des démons et par le Diable lui-même, font songer à une jouissance
sous-jacente voire refoulée des corps sanctifiés.

« L’auto-tourment de la mélancolie, indubitablement riche en jouissance,


signifie, tout à fait comme le phénomène correspondant de la névrose de
contrainte, la satisfaction de tendances sadiques et de haine qui concer-
nent un objet et ont, sur cette voie, subi un retournement sur la personne
propre. » (Sigmund Freud, Deuil et mélancolie, 1915).
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Cette citation de Freud n’est pas prise en compte nulle part dans le très riche
catalogue-livre de l’exposition Mélancolie (504 pages), mais elle accompagne
le visiteur à l’antre du 2e étage où l’aspect technique et médical du phénomène
trouve sa solution. «Par une victoire des Anciens sur les Modernes», souligne
l’historien Marc Fumaroli, «la cosmologie, la médecine, l’anthropologie
“archaïques” et “fantasmatiques” de l’Antiquité gréco-romaine se sont révélées
plus fécondes pour l’interprétation des œuvres d’art, des œuvres littéraires, et
des houles de la sensibilité et du goût européens que la psychanalyse de Freud,
qui passa dans l’entre deux-guerres du siècle dernier pour la clef scientifique
des maladies de l’âme, des “malaises de la civilisation”, mais aussi de l’art et
de la poésie. 29 » La septième cercle thématique de l’exposition, intitulé La
naturalisation de la mélancolie, suit la constitution de la psychiatrie comme
nouvelle discipline : de Kraeplin et Charcot à Freud ou Tellenbach, les défini-
tions ont la prétention à l’exhaustivité du caractère scientifique. La psychiatrie
– mot inventé en 1803 – remplace dans les années 1860 la médecine aliéniste.
Entre-temps, un médecin aliéniste, Esquirol, a défini le « délire monomaniaque
» dans l’article Lypémanie ou mélancolie (1820) ; il forme le mot lypémanie de
lupêo, « tristitiam infero, anxiam reddo » et de mania. L’explication de l’affect de
morosité extrême, « une taciturnité sombre » (Pinel, Traité médico-philosophique
sur l’aliénation mentale. La manie), remplace difficilement la compréhension
antique du mot mélancolie que l’étymologie rattachait aux théories de l’humo-
risme selon lesquelles la bile noire obscurcirait les « esprits » corporels. Même si
M. Fumaroli semble disputer à la nouvelle discipline de la Psychanalyse la
solution d’une « clef » finale, on ne confondra pas la Psychanalyse avec les
ouvrages divinatoires comme la Clef des songes d’Artémidore ou avec ses
dérives nosographiques et psychiatriques. Jean Clair, dans un autre texte,
mentionne par conséquent, « le Freud du Malaise dans la civilisation: dans une
société contemporaine qui, pour user du terme de Max Weber, vit le désenchan-

29. M. Fumaroli, « La mélancolie et ses remèdes : la reconquête du sourire dans la France


classique » (catalogue, p. 210).
BRANKO ALEKSIć – LA PSyChÉ PEINTE 21
DE FREUD à DALí ET LACAN

tement du monde comme la conscience de sa propre condition, [où] la mélan-


colie prend un autre sens. 30 » Quel est ce nouveau sens de la mélancolie au XXe
siècle ? Silke Schmickl interprète l’état mélancolique des personnages avec les
prothèses, les chauves-souris et les machines, de Carl Grossberg (1928) et de
heinrich hoerle (1930) « comme la perte de soi (Ichverlust, Freud) », mais pas
seulement ; comme la perte « de toute une nation » aussi.

Concluons que la pensée de Freud a continué d’animer les interprétations


modernes de la thématique du rêve, de la folie, de la mélancolie, soit en filigrane
– évocation anthropologique et historique – soit en grandes lignes – concepts,
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diagnostics 31. Jean Clair a eu bonne intuition de faire au moins une allusion à
l’attrait que les beaux-arts ont exercé sur Freud, en rappelant dans un commen-
taire du catalogue (p. 427) le temps où Freud était le jeune étudiant de Jean-
Martin Charcot, professeur de clinique des maladies nerveuses à l’hôpital de la
Salpêtrière mais aussi le grand collectionneur d’art qui « avait cru pouvoir recon-
naître nombre des figures incarnées dans ses patients dans des motifs morbides
tirés de l’histoire de l’art, de La Transfiguration de Raphaël à Saint Ignace
guérissant une possédée de Rubens ». Le sourire mélancolique de Mona Lisa,
symptôme compris par Freud, irradie les figures interprétatives dans les exposi-
tions Comme le rêve, le dessin et Mélancolie, génie et folie en occident
jusqu’aux temps modernes. Les surréalistes, avec Marcel Duchamp, y ont
répondu par le blasphème, dérision, sarcasme ; leur apologie du rêve signifiait
planter un poignard dans le dos de la société bourgeoise. La rencontre de la
Psyché – le Surréel – avec l’Inconscient a donné des couleurs aux toiles d’arai-
gnées arrachées. « Pendant la période surréaliste j’ai souhaité créer l’iconogra-
phie du monde intérieur, le monde du merveilleux, de mon père Freud, j’ai
réussi », dira Dalí en 1958. Et la toute dernière phrase que Freud a notée vingt
ans auparavant, et laissé inachevée, n’était-elle pas celle sur la Psyché précisé-
ment : « Psyché »…

Branko ALEKSIć
67, rue Madame
75006 Paris
branko.aleksic@sfr.fr

30. J. Clair, « Une mélancolie faustienne », id., p. 459.


31. Marko Ristić et Koča Popović, Esquisse d’une Phénoménologie de l’Irrationnel, 1931 ;
Salvador Dalí, La Conquête de l’Irrationnel, 1934 ; André Breton, L’Anthologie de l’humour noir,
1940.
22 TOPIQUE

Branko Aleksić – Psyché peinte de Freud à Dalí et Lacan

Résumé : Le Manifeste du surréalisme (1924) qu’André Breton écrit pendant qu’il est
« occupé de Freud », projette d’abord l’application du « monologue mécanique » ou « auto-
matique » à la poésie, ensuite l’élargit au domaine des Beaux-Arts, comme le montre la
première exposition surréaliste de 1925 accompagnée du traité de Breton Le surréalisme
et la peinture (1928 ; augmenté en 1965). Les cinéastes ont poursuivi ce mouvement.
L’application des techniques du « monologue automatique » a pour but de provoquer le
Surréel, nouvelle catégorie qui rende tangible l’inconscient du poète, peintre, cinéaste. La
création du « Surréel », intensification d’une expérience onirique de la réalité, qui met en
relation féconde avec l’Inconscient, serait ainsi comparable à l’immaculée conception.
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Breton et Éluard intitulent leur simulation des différents états pathologiques, en 1930 :
L’Immaculée Conception précisément (contenant les « Cinq Essais de simulation » : débilité
mentale, manie aiguë, paralyse générale, délire d’interprétation, démence précoce). Les
surréalistes expérimentent de manière collective ces relations inspirées par la psychanalyse
de Freud, sans négliger de les théoriser. Le but de notre étude est d’analyser le produit de ces
relations ainsi que leurs ramifications critiques : rencontre Dalí-Freud en 1938, dépassant la
rencontre et correspondance Breton-Freud, 1921-1932. Dalí s’y offre pour le guide d’une
Histoire de la peinture surréaliste à travers les âges, et nous reconstruisons quelques-unes
des figures de la Psyché selon son scénario.
Mots-clés : Psychanalyse – Peinture – Vie intérieure – Psyché – histoire –
Surréalisme – Figurable et indicible.

Branko Aleksić – The Psyche Depicted from Freud to Dalí and Lacan.

Abstract : André Breton wrote his Surrealist Manifesto in 1924 at a time when he was
‘interested in Freud’, thus perhaps inspiring his desire to apply ‘mechanical monologue’
and ‘automatic writing’ to poetry and the Fine Arts in general. The First Surrealist
Exhibition of 1925 and Breton’s treaty on Surrealism and Painting (1928, expanded in
1965) bear ample witness to this process and a number of film directors were also quick
to pick up on the movement’s ideas.
The implementation of the ‘automatic monologue’ technique aimed at triggering the
expression of the Surreal, a new category of aesthetic expression which renders the poet,
painter or film director’s unconscious palpable. The ‘Surreal’ is the creative result of a distil-
lation of the artist’s dreamlike experience of reality in fertile connection with the Uncons-
cious, therefore comparable with the Immaculate Conception. In 1930, Breton and Eluard
used precisely that term to describe their simulation of different pathological states – their
work L’Immaculée Conception contains ‘Five Essays on Simulation’, in which the authors
experiment with ways of reproducing states of mental debility, acute mania, general
paralysis, interpretative delirium and premature dementia. The Surrealists experimented
collectively with these connections with the Unconscious inspired by Freudian psychoana-
lysis, and presented their own theoretical musings on them. This article analyses the product
of these connections and their critical ramifications, more particularly the encounter between
Dalí and Freud in 1938, beyond the encounter and letters exchanged between Breton and
Freud between 1921 and 1932. Dalí will be our guide through this period, with his History
BRANKO ALEKSIć – LA PSyChÉ PEINTE 23
DE FREUD à DALí ET LACAN

of Surrealist Painting through the Ages, as we formulate a vision of some of the main figures
of the Psyche from the vantage point of the scenarios he evokes.
Key-words : Psychoanalysis – Painting – Inner Life – Psyche – history – Surrealism
– Figurable and Unspeakable.
© Association Internationale Interactions de la Psychanalyse (A2IP) | Téléchargé le 29/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 73.45.98.22)

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