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LE DIVAN ET LE TCHADOR

Siamak Movahedi, Gohar Homayounpour

In Press | « L’Année psychanalytique internationale »

2014/1 Volume 2014 | pages 87 à 109


ISSN 1661-8009
ISBN 9782848352824
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internationale-2014-1-page-87.htm
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LE DIVAN ET LE TCHADOR 1
2
Siamak MOVAHEDI et Gohar HOMAYOUNPOUR
252, Waban Ave. Waban, MA 02466, USA
siamak.movahedi@umb.edu
31, Roodsar Street, Tehran, 15936, Iran – g.homayounpour@gmail.com

RÉSUMÉ : Les auteurs présentent une discussion clinique des fonctions psy-
chiques du tchador, un vêtement en forme de voile porté en public par cer-
taines femmes iraniennes. S’inspirant du concept théorique du moi-peau élaboré
par Anzieu, les auteurs suggèrent que le tchador ne recouvre pas seulement le
corps – il peut servir d’enveloppe à la psyché et fonctionner comme une
deuxième peau pour le moi. La fonction maternelle du « holding » (tous les
moyens qui supportent le moi naissant de l’enfant) est symboliquement déplacée
sur tout vêtement qui « cache », « couvre », « voile », « habille » le corps.
À travers les médiations sensorielles et métonymiques, les fonctions « conte-
nantes » de la peau sont étendues aux vêtements, offrant ainsi une enveloppe
maternelle imaginaire à l’individu. Les vignettes cliniques présentées suggèrent
que pour certaines femmes iraniennes le tchador pourrait servir, d’un côté, de
second moi-peau, une sorte de bouclier contre le monde perçu comme intrusif ;
et de l’autre, de surmoi maternel punitif, une sorte de « cellule de holding » au
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sein d’une prison qui gèle le processus de séparation-individuation. Mis au ser-
vice de la résistance et de la défense du patient, le tchador peut également fonc-
tionner à la manière d’un refuge psychique et d’une cachette sur le divan.
MOTS CLÉS : tchador, mode, seconde peau, surmoi maternel.
Cet article rapporte notre expérience de travail avec des femmes ira-
niennes qui engagent une cure en se couvrant d’un tchador, le vêtement tra-
ditionnel que portent les femmes en public, et recourent à ce processus de
dévoilement/voilement dans les mouvements de résistance propre à la situa-
tion analytique. Bien que le tchador soit un objet social ancré dans les sphères

1. Article publié sous le titre « The couch and the chador », Int. J. Psychoanal. (2012) 93 :
1357-1375. Traduit par André Renaud et relu par Jean-Michel Quinodoz.
2. Une version abrégée de cet article a été présentée au troisième Congrès international de
psychopathologie fondamentale à l’université fédérale de Fluminense, Niterói, RJ/Brésil,
4-7 septembre 2008, et à la Conférence internationale du musée Sigmund-Freud sur « La
force du Monothéisme », Vienne, 29-31 octobre 2009.

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culturelle et politique, nous suggérons que sur le plan psychique celui-ci


implique plusieurs significations et sert différentes fonctions de l’économie
psychique individuelle de la femme (aussi bien que de l’homme). Selon
diverses configurations cliniques, il peut être considéré comme un reste de la
contenance maternelle, une part de l’espace transitionnel, un deuxième moi-
peau et un refuge psychique au service de la résistance ou de la défense, ou
un moyen coercitif d’un surmoi destructeur. Même au sens le plus strict du
code islamique, rien n’oblige une femme à se voiler devant une autre femme,
aucune prescription religieuse ne requiert qu’une patiente se voile devant une
psychanalyste femme.
Le tchador fait partie du code vestimentaire préislamique que plusieurs
femmes traditionnelles, rurales ou religieusement dévotes portent encore
aujourd’hui en Iran. Son origine remonterait à l’empire achéménide perse, au
VI e siècle avant Jésus-Christ. Le but du tchador était alors de garder les
femmes d’un haut niveau social à l’écart des regards des roturiers (El-Guindi,
1999 ; Zahedi, 2007). Un fait intéressant, chez les Touaregs de l’Afrique du
Nord, les hommes – non les femmes – portent le voile ; plus l’homme jouit
d’un statut social élevé, plus il recouvre son visage. Généralement, seuls les
yeux de l’homme et le dessus de son nez sont visibles.
Le tchador en tant qu’élément vestimentaire est le lieu d’une multitude de
fonctions tant sociales que psychologiques. C’est une entité complexe autant
dans le domaine public que privé avec des axes intra et inter psychiques
variables. Néanmoins, seul l’Orient a accordé de l’importance au tchador (ou
tout autre voile) comme tenue vestimentaire et celui-ci est perçu comme un
indice d’oppression féminine. Rien ne semble autant donner l’illusion que le
libre-arbitre des femmes soit menacé par le port du tchador. Sayyid (1997)
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affirmait que la féminité, dans la perspective orientale, n’était authentique
que lorsqu’elle était dévoilée. Ce qui attribue au voile le pouvoir d’enlever
« quelque chose de pas vraiment réel et pas tout à fait la bonne chose » (Trea-
cher, 2003, p. 69). La tradition de couvrir les cheveux de la femme dans un
rituel sacré est partagée par le judaïsme, le christianisme et l’islam (Zahedi,
2007). Couvrir leurs cheveux en public est une imposition idéologique faite
aux femmes, idéologie critiquée par les féministes et plusieurs cercles des
droits humains contemporains 3.

3. Shirin Neshat, photographe iranienne installée à New York et reconnue internationale-


ment, a présenté de façon très artistique des femmes iraniennes portant le tchador. Évi-
demment, elle a suscité une grande controverse (Rounthwaite, 2008 ; Vitali, 2004).
Certains écrivains ont vu son travail comme une forme d’allégorie post-colonialiste et
comme un essai d’interrogation sur l’identité de genre dans l’Islam (Dali, 2002). D’autres
ont perçu son travail comme un projet néocolonialiste présentant la femme voilée comme
une personne exotique non individuée pour le spectateur occidental (Moore, 2002 ; Shaw,
2001).

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L’obsession du tchador en France – et plus récemment en Angleterre –


parle peut-être d’un conflit plus profond, inconscient, bourré de culpabilité lié
au passé colonialiste du pays. Il est intéressant de noter que, tout au long de
la période coloniale, la femme voilée suscitait des images très exotiques et
érotiques dans les fantasmes des hommes européens. Le voile créait « une
atmosphère mystérieuse, hasardeuse, attrayante et accentuait la beauté des
yeux de la femme arabe ». « Alors on sent, note Gérard de Nerval (1884), le
besoin d’interroger les yeux de l’Égyptienne voilée, et c’est là le plus dange-
reux… C’est derrière ce rempart (le voile) que des yeux ardents vous atten-
dent, armés de toutes les séductions » (en français dans le texte) (Macmaster
and Lewis, 1998, p. 123).
La décolonisation et la guerre d’Algérie (1954-62) ont apporté un change-
ment majeur dans les représentations populaires et érotisées au sujet du voile.
Ce changement émerge du rôle des femmes algériennes dans leurs luttes san-
glantes anticoloniales avec la France, telles que décrites par Franz Fanon
(1989) dans Studies in a Dying Colonialism. Le fantasme érotique du dévoi-
lement de la femme exotique voilée s’est transformé en un fantasme d’objet
hypervoilé signifiant la peur d’un danger politique terroriste (Macmaster and
Lewis, 1998). Ce qui peut expliquer en partie quelques-unes des oppositions
en France à l’égard de l’introduction des voiles, type tchador, dans le design
de la mode parisienne.
Majida Khattari, une artiste d’avant-garde parisienne-marocaine, intro-
duit souvent le voile dans ses collections design. Dans la collection d’octobre
2004, hommes et femmes portaient le tchador avec l’inscription « tchador
J’adore » (en français dans le texte) et d’autres logos imitant Dior et Louis
Vuitton. Cependant, le maire communiste de Montreuil a interdit la présen-
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tation prévue de la collection. La raison soutenant l’ordonnance municipale
était que « l’intégration du voile dans le design de la mode menaçait de bana-
liser la ségrégation de genre constituée par le voile » (Balasescu, 2005,
p. 20).
Les lois controversées interdisant le port du voile comme vêtement cou-
vrant le visage en public devinrent effectives en France le 11 avril 2011. Pour
la première fois, plusieurs femmes musulmanes ont bravé la loi en public et
en cour de justice. Balasescu (2005) avançait que les disputes, en France,
autour du voile découlent d’abord de la perturbation de la liberté de voir,
questionnant implicitement l’obsession française de la visibilité et de la trans-
parence. Le voile est devenu une préoccupation française majeure ; son retrait
comme objet obsessionnel, idéologiquement, « marquerait le succès du pro-
cessus de civilisation », le fétiche de l’entreprise coloniale, et, plus tard, la
pomme de discorde dans la France métropolitaine (Balasescu, 2005, p. 20).
Le tchador est perçu comme l’intégration d’un espace privé dans l’arène
publique. Nous croyons plutôt qu’il s’agit d’une confrontation de deux ordres

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patriarcaux différents dans lequel, d’un côté, la transparence involontaire


cache la fausse opacité de l’autre. Une façon d’esquisser un système
patriarcal comme moins patriarcal est d’en dénoncer un autre qui l’est davan-
tage et, en même temps, dénier le pseudo-patriarcat impénétrable qui
engendre et tolère les attitudes et les pratiques illustrant les scandaleuses
escapades sexuelles des hommes comme Dominique Strauss-Kahn en France
ou Silvio Berlusconi en Italie.
Le tchador est tant un symbole social qu’un objet psychique, même s’il
n’y a pas de distinction franche entre les deux, d’un côté les dimensions
sociopolitiques et religieuses du tchador et, de l’autre côté, sa dimension psy-
chique. Les objets sociaux deviennent personnels et leur dimension psy-
chique déborde leur statut de symbole social. Dans ce qui suit, nous évitons
une analyse du tchador au niveau culturel et nous nous intéressons plutôt au
tchador comme objet psychique introduit dans la vie relationnelle dans un
contexte culturel particulier. En d’autres mots, nous nous intéressons à la
signification et à la fonction privée qu’acquiert ce vêtement dans une psyché
particulière 4.
Le sujet de notre réflexion est la relation à un objet particulier de fantas-
matisations qui ne contient pas seulement la couverture, le vestimentaire du
corps comme un second moi-peau (Anzieu, 1989 ; Anzieu, Houzel et al.,
1990 ; Bick, 1968 ; Houzel, 1990), mais qui peut aussi couvrir la pensée,
contrôler la sexualité de la femme, contraindre celle-ci à dissimuler son corps
perçu comme érotique, dangereux et occasion de péché.
Le tchador est porteur de représentations symboliques tant des fonctions
maternelles que paternelles pouvant parfois entrer mutuellement en conflit.
Le tchador peut supporter le fantasme d’un partage de la peau avec la mère.
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Il peut aussi se présenter comme un deuxième moi-peau pour le moi, comme
une frontière, ou, plus concrètement, comme une peau. Le tchador peut, par
le biais d’une médiation métonymique vestimentaire, soutenir le fantasme
d’une protection narcissique par un épais moi-peau. Le tchador peut aussi
comporter des restes de l’objet transitionnel, évoquer la sensation de la

4. Caputi (1993) perçoit le discours psychanalytique comme une caractéristique distinctive


des féministes contemporaines scolarisées redevables envers la psychanalyse qui a
déplacé l’examen politique de la scène publique au profit de la psyché humaine et, consé-
quemment, restructuré l’agenda féministe en faveur de certains changements. Elle
affirme : « Parce que la psychanalyse met en évidence la distinction entre la psyché et les
formes institutionnelles du pouvoir, elle altère radicalement la direction dans laquelle les
féministes scolarisées procèdent. L’intérêt manifeste pour les droits des femmes et leur
statut social – typique du féminisme libéral et radical – provoque maintenant des analyses
plus intériorisées ; par conséquent le focus porte moins sur les préoccupations politiques,
sociales et économiques des femmes que sur la reproduction des archétypes de genre dans
la psyché humaine. »

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présence de la mère rendant la fille capable de tolérer l’absence de celle-ci


ou trouver une forme symbolique qui représente cette absence (Winnicott,
1951). Lorsque les choses tournent mal, le tchador peut devenir un fétiche
qui, dans sa fonction défensive d’agir comme substitut concret de la mère
– dans une relation à l’objet partielle –, interfère avec le développement du
moi et du surmoi et procure à l’enfant une normalité apparente (Greenacre,
1969 ; Sperling, 1963). Dans le registre paternel, lieu de la loi du père, le
tchador peut représenter le surmoi. Les fonctions nourricières et de maintien
de l’ordre, qui proviennent de divers niveaux développementaux ou structu-
raux et oscillent entre différentes zones psychiques, peuvent fréquemment
opérer de façon contradictoire. Ceci est particulièrement vrai dans un
contexte culturel où des restes de la fonction maternelle contenante peuvent
être utilisés, via le tchador, pour réprimer les désirs et inhiber une franche
expression émotionnelle. Ici, l’objet imaginaire d’un contenant apaisant peut
enfermer le sujet dans une prison symbolique et opérer « comme une gar-
nison dans une ville conquise », comme l’écrivait Freud (1930, p. 123).

Quelques vignettes cliniques


Madame X

Madame X vint à la psychanalyse en raison de préoccupations à propos de


son mariage, mais surtout avec le désir de se libérer elle-même de certaines
pensées et sentiments qu’elle considérait inappropriés et honteux. Elle était
alors dans la mi-trentaine et très angoissée, craignant de perdre le contrôle sur
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ses élans impulsifs et sexuels. Dans le cours d’une analyse à deux séances/
semaine, certaines de ses angoisses ont disparu, de même que sa sévère inhi-
bition de toute expression émotionnelle. L’analyse semblait bien se dérouler
lorsqu’elle se présenta à sa séance recouverte d’un tchador noir. Elle salua
d’une voix dure, prit soigneusement place sur le divan et, sans regarder l’ana-
lyste, commença à parler. L’analyste, dans sa position, pouvait à peine aper-
cevoir le visage de l’analysante. La semaine précédente, Madame X était
venue à son analyse en portant un foulard rouge qui avait été desserré (aussi
littéralement que symboliquement) durant la séance. L’ouverture et l’authen-
ticité de son discours durant la séance avaient suggéré que nous nous appro-
chions de quelques-uns de ses conflits. Maintenant, vêtue de son tchador, elle
a ouvert la séance en disant : « Au nom de Dieu, j’aimerais commencer ma
séance aujourd’hui. » Elle a poursuivi :
« Cette semaine, je parlais à une de mes amies de l’analyse que je fais avec vous,
je lui disais que ça allait bien et lui recommandais la psychanalyse pour elle-
même. Elle m’a répondu qu’elle avait deux amies très proches qui portaient le

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tchador, étaient très religieuses, très bien mariées et qui avaient commencé une
psychanalyse et que leur vie était devenue merdique. Elles avaient retiré leur
tchador, souhaitaient divorcer et la rumeur veut que l’une d’elle ait commencé une
aventure avec un homme marié. Je suis persuadée que vous portiez vous-même le
tchador avant votre analyse et que celle-ci vous a fait le retirer. »
Maintenant fermement son tchador, elle dit :
« Je vous respecte et respecte votre travail, mais je choisirai toujours Dieu, mon
mari et ma religion avant vous. Aussi, quoique vous fassiez, tenez-vous loin de
moi. »
Elle a fait un lapsus. Elle voulait dire : « Tenez-vous loin de mon Dieu »
(Khodaam), mais elle a plutôt dit : « Tenez-vous loin de moi » (Khodam). Les
mots en farsi (langue locale), comme on peut le voir, sont très similaires. Il
semble qu’elle ait senti l’analyste se rapprocher trop près d’elle, entrer dans
son espace psychique intime, ce qu’elle aurait éprouvé comme dangereux.
L’analyste a suggéré que Madame X était effrayée par ce qui pouvait être
dévoilé d’elle comme le résultat de leur récent travail à tous les deux et des
conséquences désastreuses de telles révélations. Madame X resta silencieuse
quelques minutes et réagit à l’interprétation par le rêve suivant :
« J’ai rêvé que j’avais une relation sexuelle avec le neveu de mon mari qui n’est
âgé que de douze ans. Il avait un très gros pénis. Dans le rêve j’éprouvais telle-
ment de plaisir sexuel, mais je me suis réveillée et l’angoisse du rêve ne m’a pas
quittée. Pourquoi diable avec un enfant de 12 ans ? La seule autre chose qui m’est
restée est que j’avais de très longs ongles et je portais du vernis à ongles rouge.
Je n’ai jamais mis du vernis à ongles, puisque je ne peux pas prier avec du vernis
à ongles et, encore dans le rêve, j’avais son gros pénis dans mes mains avec de
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longs ongles rouges. Vous comprenez que ces pensées et ces sentiments sont nou-
veaux chez moi ; comment ne pas avoir peur ? Vous devez m’aider à mettre fin à
ces fantasmes. »

Commentaires

Pour Madame X, le tchador semble opérer comme un refuge psychique, une


cachette sur le divan. Envahie par l’angoisse soulevée par la conscience
d’elle-même, elle s’est retirée et s’est recouverte du tchador, espérant
échapper à l’analyse et à l’analyste. L’angoisse de Madame X était liée à la
survenue du soi caché qui ne pouvait pas être dévoilé en analyse, filtrant ses
impulsions autant sexuelles qu’agressives. La psychanalyste commença à se
demander pourquoi sa patiente tenait aussi fermement à son tchador à ce
moment de la cure. Pourquoi percevait-elle l’analyse et l’analyste en opposi-
tion avec Dieu (le surmoi suprême) ? A-t-elle été terrifiée par sa propre

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LE DIVAN ET LE TCHADOR

sexualité et craint-elle le genre de femme indigne qu’elle aurait pu devenir


sans son tchador – psychiquement nue, avec si peu de contrôle de ses désirs
sexuels ? Elle a dû être choquée de ses fantasmes excitants (le rêve), de
contrôler aussi activement et passionnément un si gros pénis. Avoir un
garçon de douze ans comme partenaire sexuel rend la rencontre moins
effrayante et permet à la femme de reprendre le contrôle 5.
Ceci est particulièrement signifiant dans une culture où une femme
« bonne » n’est pas supposée initier une relation sexuelle et éprouver du
plaisir sexuel. Elle a besoin de son Dieu pour rester éloignée de ses désirs
passionnés ; si elle avait prié, elle aurait renoncé à ses intentions sexuelles et
à son fantasme d’avoir de longs ongles vernis, de pouvoir tenir un gros pénis
et d’en jouir. Pourquoi veut-elle que l’analyste se tienne loin d’elle et
qu’est-ce que son rêve et son lapsus – remplaçant « mon Dieu » par « moi » –
ont tenté de communiquer dans la relation transférentielle ? Tentait-elle de se
défendre contre ses propres sentiments érotiques dans le transfert ? Effrayée
par la menace de perdre ses frontières dans la séance précédente, Madame X
s’est réfugiée sous la protection de son tchador afin de se garder à bonne dis-
tance émotionnelle de son analyste – et tout au service de la résistance à se
découvrir.

Madame Y

Une peur récurrente rapportée par les femmes qui luttent pour rejeter le
tchador est celle de devenir une prostituée. Cette peur (et, parfois, le désir)
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provient largement de l’intériorisation de la voix de la mère. Il semble égale-
ment y avoir une illusion concernant le tchador – un type d’objet transi-
tionnel – à l’effet qu’il protègerait magiquement de sombrer dans l’abîme
moral, quels que soient les fantasmes entretenus ou les actions posées. Ici, le
tchador semble donner à la femme l’illusion d’un sanctuaire ou d’une enve-
loppe qui garde réunies les parties contradictoires du soi. En ce sens, le
tchador acquiert la valeur illusoire de l’objet transitionnel en ce qu’il s’inter-
pose entre le soi et l’environnement. La femme fonctionne avec l’illusion
d’être immunisée contre tout danger aussi longtemps qu’elle reste dans
l’espace potentiel (Winnicott, 1967). C’est le fantasme qui a surgi dans l’ana-
lyse de Madame Y, 30 ans, en analyse, à Téhéran, avec une des auteures de
ce texte, depuis quelques années.
Madame Y était une femme charmante, brillante, bien mise et s’expri-
mant clairement, d’une famille aisée et très cultivée. Elle détenait un diplôme

5. Stoller (1979) a écrit sur la prévalence de tels fantasmes chez plusieurs femmes.

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SIAMAK MOVAHEDI ET GOHAR HOMAYOUNPOUR

post-gradué et un emploi important. Elle était la seule dans sa famille à porter


le tchador. Elle entretenait une relation avec un homme marié. La psychothé-
rapie a débuté en face-à-face au rythme de deux séances par semaine à la cli-
nique universitaire rattachée à la faculté de médecine de Téhéran. Madame Y
s’est présentée vêtue de plusieurs couches de vêtements, lesquels lui créaient
un espace privé et intime dans le cabinet de consultation. Il lui a fallu trois à
quatre minutes pour se poser en relation avec l’analyste femme et rendre son
invisibilité quelque peu visible.
Un jour elle s’est présentée à sa séance avec un grand enthousiasme, affir-
mant se démasquer devant l’analyste. Elle commence la séance en rappor-
tant que toute sa vie elle avait été le sujet du regard d’un borgne. Au début,
elle croyait que c’était le regard de sa mère, plus tard elle eut le sentiment
qu’elle était le sujet du regard supérieur de Dieu. Quoi qu’il lui arrive, l’œil
s’arrêterait-il de la surveiller ? Elle ajoute, en regardant un film indien à
propos d’un groupe de criminels sélectionnés par une retraite animée par le
maître Bouddha, dans le but de les réformer : vers la fin du film, tous les cri-
minels sont devenus des gens bien, comme des saints, mais ils ont peur de
perdre ce qu’ils ont gagné aussitôt que leur maître mourra, parce qu’il ne sera
plus là pour les surveiller. Cependant, après la mort du maître, à leur grande
surprise, ils ont conservé une vie de sainteté, regardant au ciel, voyant l’œil
du maître qui continuait de les surveiller.
Au commentaire de l’analyste à l’effet qu’il n’y avait pas d’œil critique,
que seul son propre œil la surveillait, Madame Y retira son tchador et, pour
la première fois, parla du besoin compulsif de se masturber en regardant de
la pornographie « hardcore ». Il en ressortit que le conflit initial présenté
n’était pas, en fait, une aventure avec un homme marié, mais plutôt de garder
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le contrôle sur ses désirs sadomasochistes dans les jeux sexuels. Ce qui posait
un conflit moral majeur. Son film favori était Le silence des agneaux qu’elle
avait vu plus d’une quinzaine de fois. Ce film lui apportait beaucoup d’exci-
tations sexuelles. Arrivant à la fin de la séance, elle montra son sac – un large
sac signé en cuir, très cher, contenant toute une quincaillerie – à l’analyste.
Elle dit : « Je ne veux pas que vous pensiez que je suis une “tchadorée” (le
type de personne qui porte le tchador), j’ai les souliers et les sacs les plus
chers. »
L’analyste eut le sentiment qu’à Los Angeles ou à New York, cette jeune
femme serait facilement devenue une cliente régulière des bars « S & M »
(Single and Maried – célibataires et mariés). Cependant, à Téhéran, sa peur
était que si elle retirait son tchador elle allait devenir une prostituée.
Quelques semaines plus tard, il y eut un long congé et le bureau de la cli-
nique était fermé. L’analyste accepta de faire une séance téléphonique avec
Madame Y, curieuse de voir comment une conversation téléphonique dans
l’intimité de sa chambre, chez elle, influencerait ses associations. Elle

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LE DIVAN ET LE TCHADOR

téléphona à l’heure prévue et dit qu’elle avait pensé parler de plusieurs sujets
très personnels, mais elle ne parvenait pas à se sentir suffisamment libre
d’aborder ces sujets même au téléphone. L’analyste fit remarquer que comme
dans le film des Indiens, l’œil du maître continuait de la surveiller.
Madame Y associa alors sur un fait survenu, alors qu’elle avait cinq ans, sa
mère l’avait laissée seule à la maison pendant qu’elle faisait une course à
l’épicerie. Elle lui avait interdit d’ouvrir la porte à qui que ce soit et lui avait
promis de la surveiller à distance. Après quelques minutes son oncle frappa
à la porte. Elle savait que sa mère aurait reçu avec enthousiasme son frère.
Néanmoins, Madame Y ne pouvait pas ouvrir la porte parce que l’œil de sa
mère la surveillait. Puisque l’oncle continuait de frapper à la porte, elle a
paniqué, s’est paralysée sur place et a fait pipi dans ses culottes. Elle disait
que les yeux la suivaient toujours comme les Titanides dans la mythologie
grecque.
Après deux années de psychothérapie psychanalytique, Madame Y a
demandé trois séances par semaine et elle prit le divan. Même si l’analyste
ne portait pas de tchador ni de foulard dans le cabinet, Madame Y oscillait,
elle, entre se voiler et se dévoiler durant les séances. Après huit mois sur le
divan, le rituel de Madame Y se couvrant de son tchador sur le divan
commença à diminuer graduellement. Le rituel exhibitionniste de dissimula-
tion changea au profit d’une exposition d’elle-même. En entrant dans le
cabinet, elle retirait son tchador, puis son foulard, puis plaçait ses cheveux
d’une manière plus séduisante sur l’oreiller du divan et racontait comment
elle s’était rendue visible aux autres : « On me l’a souligné, on veut me
parler, je sais qu’on me regarde dans la rue. »
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Être vue et surveillée était une préoccupation majeure pour Madame Y.
Son rituel pour se rendre invisible sous son tchador était au service de désirs
exhibitionnistes. Elle rendait son invisibilité très visible à tout le monde dans
la clinique. Les patients et patientes qui précédaient ou suivaient la séance de
Madame Y étaient obsédés par elle. Ils se plaignaient de son exhibitionnisme
caché. L’extrait suivant d’une séance avec Madame Y parle d’un besoin
chronique de surveiller et d’être surveillée, de voir et d’être vue et aussi
d’une obsession concernant la peau.
« Vous rappelez-vous, je vous ai dit combien j’aimais voir le film Le silence des
agneaux ?… Je me souviens de ce film, je suis comme l’agent du FBI. Elle était
dégoûtée, horrifiée, apeurée, mais malgré tout elle aimait Hannibal. Elle aimait
son caractère, elle ne pouvait pas rester loin de lui. Il y avait quelque chose qu’elle
aimait en lui. Dans son horreur et son dégoût, il y avait quelque chose d’attrayant
pour elle. Il était comme un aimant. Elle devenait impuissante lorsque ça venait à
elle et elle ne pouvait plus s’en séparer.
Vous savez, ce film, à mon sens, représente la révolte de la société moderne
contre le mouvement féministe. Il y a quelque chose de destructeur à l’égard des

95
SIAMAK MOVAHEDI ET GOHAR HOMAYOUNPOUR

femmes et de leur corps. Peu importe ce que je fais, je ne peux pas échapper à
l’horreur et à l’excitation soulevées par la scène du film dans laquelle le tueur en
série, hypnotisé par Hannibal, devient l’esclave de son maître ; il pourrait plani-
fier de tuer et enlever des femmes – mais de manière plus importante encore,
prendre leur peau pour s’en faire un vêtement. Il rembourrerait des bas pour rem-
plir leurs seins vides et ratatinés afin de leur donner la forme de vrais seins. Ce
n’est ni l’enlèvement ni le meurtre qui font que cette scène fait partie de mes cau-
chemars, les scènes qui m’apportent excitations et douleurs, assez semblables à ce
que j’ai maintes fois éprouvé sur le divan… Pensez-vous que le tueur en série veut
vraiment devenir une femme ou déteste-t-il les femmes ? Mais pourquoi leur
enlever la peau pour s’en recouvrir lui-même ? Et dites-moi pourquoi ces scènes
ne me quittent pas ? »

Commentaires

Il y a plusieurs façons de considérer le matériel de Madame Y. Même si ses


désirs et ses peurs relèvent d’un autre temps et d’un autre lieu, ils se sont
quand même manifestés en séances via le transfert. Son rituel de voilement et
dévoilement reflète une défensive massive contre ses impulsions sexuelles et
agressives. Le tchador semble opérer dans son fantasme comme une carapace
protectrice ou une seconde peau qui peut faire barrage aux intrusions indési-
rables, tant internes qu’externes. Elle ne portait pas le tchador conformément
à quelques obligations familiales ou religieuses ; ni sa mère, ni personne ne
portait le tchador dans la famille.
Le regard borgne que Madame Y a initialement ressenti était celui de sa
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mère, puis le regard de son père et, finalement, celui d’un Dieu supérieur. Ce
regard est une métaphore anthropomorphique du fonctionnement du surmoi,
objet tyrannique interne qui a piégé la pensée avec l’expérience personnelle
d’être constamment observée et jugée par une instance intrapsychique. Elle
craignait d’ouvrir son âme à l’analyste même au téléphone, par peur que l’œil
de sa mère ne la surveille.
Dans ce cas, on pourrait penser que la sévérité et la dureté du surmoi de
Madame Y reflétait la projection de sa propre hostilité et de sa rage meur-
trière envers sa mère (et envers l’analyste via le transfert), et sa mésinterpré-
tation du danger de représailles de la part de sa mère. Il importe d’ajouter que
la mère de Madame Y était couturière et qu’elle avait fabriqué tous les vête-
ments de sa fille tout au long de sa croissance. Il importe aussi de noter que
plusieurs des séances de Madame Y commençaient comme au confessionnal
où elle déclarait : « J’ai été une mauvaise fille et vous pouvez me punir
(de-skin). » En langage perse, « de-skinning – poost kandan » est une expres-
sion pour infliger une punition sévère suite à une transgression majeure.

96
LE DIVAN ET LE TCHADOR

Retirer très progressivement le tchador et le foulard est un geste qui appar-


tient à la rencontre entre amoureux. Elle voulait se « montrer » à l’analyste
– en lui montrant son large sac en cuir, signé, très cher, avec tout le matériel
nécessaire à l’intérieur pour que son analyste ne pense pas qu’elle soit une
« tchadorée ». Son obsession du regard – des yeux – des autres avait aussi un
caractère exhibitionniste. Durant la séance où Madame Y s’exposait à l’ana-
lyste, elle fut interrompue par le regard de l’autre mère, lequel fut rapidement
neutralisé par l’interprétation de l’analyste ouvrant l’écluse des fantaisies
sexuelles et violentes des masturbations avec la pornographie dure et les
scènes violentes du film Le silence des agneaux.
En référence aux intérêts érotiques de Madame Y, dans ce film, on voit
l’obsession d’une punition sévère des fantaisies sexuelles et agressives
accompagnant l’image de cet homme qui porte littéralement une peau de
femme. Elle rapporte un fantasme terriblement violent qui lui était doulou-
reusement agréable. Le fantasme érotique de la destruction du corps de la
femme, particulièrement l’attaque à la poitrine, semble lié au fantasme de
pénétrer le corps de la mère/de l’analyste en réponse à un besoin désespéré
d’être contenue. Ce besoin est urgent parce qu’il peut être dénié ou frustré
par une mère qui était distante et semblait impénétrable – un fardeau que
Madame Y a souvent évoqué contre l’analyste. Le tueur en série, dans le fan-
tasme, était enragé ; « Vous niez mon entrée et mon confinement, mais par
Dieu je vous ai pénétrée, voilà ! 6 »
Cependant, nous pouvons voir que Madame Y ne parle pas du film en
terme d’identification à la femme phallique agente du FBI, Clarice Starling.
L’excitation sadomasochiste de Madame Y provient de son identification à
l’expérience terrible et humiliante de Clarice et la femme enlevée, Catherine,
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surveillée dans la noirceur par le tueur en série. Elle ne peut pas échapper à
l’horreur et à l’excitation des descriptions du meurtre données dans le film et
de l’enlèvement des femmes – et, plus important encore, dans le rituel meur-
trier de peler la peau de ses victimes pour s’en faire des vêtements. L’excita-
tion de Madame Y est racontée avec un mélange de douleurs semblables à ce
qu’elle éprouve sur le divan 7.

6. Expliquant la dynamique de la perversion, McDougall (1972) fait une distinction entre


l’organisation de la personnalité névrotique et psychotique fondée sur le niveau d’habileté
à symboliser. Suivant Segal (1956), elle note que « le travesti qui veut se fondre dans
l’identité de sa mère va jouer à être dans sa peau en portant les vêtements de celle-ci, il
jouera alors le fantasme d’attirer à lui le père phallique, accomplissant ainsi, symbolique-
ment, un double désir. À l’inverse, l’homme (qui a fait la une des journaux) qui a tué son
amie afin de prendre sa peau pour réaliser des jeux érotiques était psychotique et non
pervers » (p. 383, dans l’édition anglaise).
7. L’activation de la peur, du dégoût et du danger associés à l’horreur peuvent s’avérer
attrayants lorsque éprouvés avec un cadre protecteur comme la situation analytique ou un

97
SIAMAK MOVAHEDI ET GOHAR HOMAYOUNPOUR

L’espace analytique est un endroit où la patiente est vue et où l’analyste


demeure invisible. Tout comme Clarice Starling, la patiente est vue mais ne
voit pas. Être vue peut à la fois ressembler à être touchée, ou à être
dépouillée. Sur le divan, l’œil interne peut opérer comme une reconnais-
sance de ce qui tient ensemble le soi fragmenté, ou pénétrer comme un objet
intrusif, dévorant, empiétant sur les oscillations de la patiente entre les posi-
tions schizoparanoïde et dépressive. Sur le divan, couverte de son tchador,
elle peut éprouver qu’elle n’est pas vue ou être vue comme non vue.
Pour Freud (1915), le masochisme – par exemple, être regardé, torturé et
puni – est le complément passif du sadisme ; de regarder, torturer, punir.
Freud (1900) faisait référence à la signification phallique de l’œil. Cependant,
c’est Fenichel (1937) qui a accordé un rôle important au regard comme arme
du sadisme oral. Il affirmait que l’acte de regarder avait, dans l’inconscient,
le sens de dévorer, détruire et pénétrer.
L’érotisation de ce que Madame Y disait être du dégoût, de l’horreur des
scènes effrayantes dans le film, particulièrement la frayeur de la dernière
scène – dans laquelle Clarice Starling, la victime impuissante et terrifiée par
le regard du tueur en série dans un sous-sol sombre –, peut être mise en rela-
tion avec une expérience précoce dans la vie de Madame Y. Ainsi, son sou-
venir, à cinq ans, de l’oncle tentant d’entrer dans la maison en l’absence de
la mère, est particulièrement intéressant. Elle est prise d’une angoisse panique
qui la paralyse sur place et, en même temps l’excite (au point d’en uriner dans
son pantalon). Le rappel de l’évènement semble agir comme écran à un évè-
nement antérieur refoulé. L’oncle peut être confondu avec le père avec lequel
aucun sentiment œdipien ne semble avoir été développé et les yeux de la
mère qui la surveillaient pour empêcher toute intrusion de désirs incestueux.
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Madame Z

Une troisième patiente, Madame Z, référée après une hospitalisation suite à


une tentative de suicide, montre l’opération destructrice du moi par le surmoi
maternel. L’une de nous a suivi ce cas avec une supervision téléphonique.
Avant d’engager une psychothérapie, Madame Z avait manifesté un symp-
tôme de conversion ; perdre la voix, sentiment d’être paralysée et de ne plus
pouvoir parler et marcher. Son thérapeute précédent lui avait prescrit diffé-
rents antidépresseurs et anxiolytiques. À l’hôpital, elle cessa la médication et

film de fiction dramatique. De telles émotions sont aussi suggérées par des films docu-
mentaires considérés troublants parce que chargés de données réelles empêchant de fonc-
tionner comme des événements d’un espace transitionnel (Apter, 1992 ; Goldstein, 1998).

98
LE DIVAN ET LE TCHADOR

fut référée pour une psychothérapie psychanalytique au rythme de deux


séances par semaine avec une femme psychiatre en formation psychanaly-
tique à Téhéran. Dans les entretiens préliminaires avec la résidente, la princi-
pale préoccupation de Madame Z concernait sa mère et sa rage envers
l’insistance de celle-ci pour le port du tchador. Madame Z vient d’une famille
religieuse. Elle était la seule de la famille à ne pas pratiquer sa religion et ne
pas porter le tchador. Cela constituait un différend important avec sa mère.
Son père et son époux n’objectaient pas à ce qu’elle mette de côté le tchador.
Elle se souvenait de sentiments traumatiques liés à la naissance de son jeune
frère. Elle avait pleuré sans arrêt, craignant d’avoir perdu l’attention de sa
mère. Elle s’était sentie mauvaise face à son frère nouveau-né, mais ne savait
pas pourquoi et avait entretenu des fantasmes meurtriers envers lui. Bien que
Madame Z démontrât un fort attachement à sa mère, elle pensait que celle-ci
la rejetait en clamant qu’elle était une disgrâce pour la famille. La mère ne
rendait pas visite à sa fille et si elle la visitait, elle ne mangeait pas sa nour-
riture parce qu’elle était une infidèle et que sa nourriture était par conséquent
répugnante.
La relation de Madame Z avec sa mère, comme elle se joue dans la
matrice transféro-contre-transférentielle de la situation analytique, était de
nature sadomasochiste. Même si Madame Z ne portait pas le tchador en
public, elle venait à ses séances avec son tchador sans qu’un cheveu ne
dépasse de son voile. Apparemment, elle croyait devoir porter le tchador seu-
lement pour sa mère et, dans le transfert, pour son analyste femme. Ce qui
réactivait le sentiment d’être emprisonnée, abusée, victimisée, négligée
autant par la mère que par l’analyste. Celle-ci ne portait pas le tchador en
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public. Cependant, son cabinet étant maintenant logé dans les locaux univer-
sitaires du département de psychiatrie, la loi l’oblige à porter un foulard pour
dissimuler ses cheveux. Ce qui, supposons-nous, dans les représentations
transférentielles de la patiente active un surmoi punitif. Elle parle souvent de
ses querelles avec sa mère à propos du code vestimentaire imposé et reproche
à l’analyste de ne pas savoir la protéger contre les lois répressives.
Lorsqu’elle se fâche avec sa mère à propos du port du tchador, Madame Z
s’automutile et laisse dégouliner son sang sur diverses pages du Coran. Elle
va alors voir sa mère, lui lance le livre saint tacheté de sang et lui dit : « Voilà
ce que tu me fais. »

Commentaires

Les attaques autodestructrices, les automutilations, les comportements suici-


daires semblaient être autant de protestations dirigées contre la mère pour

99
SIAMAK MOVAHEDI ET GOHAR HOMAYOUNPOUR

l’angoisse mentale que cette dernière semblait lui infliger. Elle avait recours
à des rituels symboliques infructueux dans un effort de se séparer de la peau
imaginaire qu’elle partageait avec sa mère et se débarrasser de l’objet persé-
cuteur dans son monde interne. Nous nous demandions si Madame Z
n’essayait pas aussi de se séparer de l’analyste – qui dans le transfert tient
lieu de mère représentant et renforçant un monde symbolique répressif. En
considérant le tchador comme un deuxième moi-peau, on se rend compte que
sa fonction contenante échoue. Au contraire, il suscite plutôt angoisse et
souffrance psychiques. Lorsque « la topographie psychique consiste en une
noix sans écorce, la personne recherche une écorce substitut dans la douleur
physique ou dans l’angoisse psychique ; (elle) s’enveloppe dans la souf-
france » (Anzieu, 1989, p. 102). Madame Z avait recruté sa mère réelle dans
le rôle d’un surmoi externe qui activait et augmentait le surmoi maternel
interne. Pour elle, le tchador ne semblait pas jouer une fonction de contenant
(holding function), à la Winnicott (en français dans le texte) ; c’était plutôt
une cellule de prison. Comme stratégie défensive pour contrôler la peur de
la souffrance infligée par le surmoi punisseur interne, elle s’automutilait dans
une identification à l’agresseur. Dans la mesure où elle était en charge de sa
propre pénalité, l’automutilation lui donnait un sentiment de pouvoir et de
contrôle. Dans ce jeu de pouvoir sadomasochiste, elle prétendait désarmer sa
mère en lui disant : « Tu ne peux pas me faire mal parce que je m’inflige à
moi-même beaucoup plus que ce que tu pourrais me faire et je m’en réjouis,
et de plus ça te rend impuissante à me contrôler. »
Certains psychanalystes perçoivent l’automutilation comme une stratégie
inconsciente de démarcation des limites de soi (Doctors, 1981 ; Muller,
1996), d’autres y voient plutôt une réaction à la conscience d’une menace de
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séparation d’avec l’objet maternel ou de la psychanalyste (Woods, 1988). Les
comportements autodestructeurs de Madame Z s’approchent de ce que
Fonagy et Target (1995) perçoivent comme une stratégie pour échapper au
fantasme de partager l’existence d’une mère vivante à l’intérieur de soi. Le
but de l’automutilation est d’attaquer cette mère sous la peau et fuir dans un
fantasme de contrôle absolu. L’emphase de ce fantasme est ici cruciale parce
que c’est Madame Z qui s’infligeait une angoisse mentale et physique à
propos d’elle-même. La mère résidait à l’intérieur de Madame Z – mais pas
aussi toute-contrôlante, malveillante et puissante, mais simplement comme
une réflexion de sa propre structure répressive.
Pour vérifier nos observations à propos de la signification psychique du
tchador pour quelques-unes des femmes iraniennes analysantes, nous avons
comparé nos notes avec celles d’autres psychanalystes et psychothérapeutes
œuvrant en pratique privée à Téhéran. Elles partagent un certain nombre de
nos observations cliniques, en accord avec notre vision psychanalytique.
L’observation la plus intéressante est la nature problématique de la relation

100
LE DIVAN ET LE TCHADOR

entre la fille et la mère chez les patientes pour qui le tchador avait la fonc-
tion d’une enveloppe psychique ou d’une cellule de prison. En général, selon
une psychologue clinicienne, beaucoup de filles portant le tchador ont hérité
cette coutume de leur mère. Il est peu probable qu’une fille porte le tchador si
sa mère ne le porte pas. Curieusement, les mères sont davantage préoccupées
que les pères de protéger leurs filles du regard des hommes. Lorsqu’une fille
portant le tchador est « détchadorisée », elle éprouve généralement le senti-
ment profond d’avoir trahi sa mère. Au père, elle signifie symboliquement :
« Même si je t’aime, je ne peux pas te prendre comme mon homme, aussi, en
raison de la loi de l’inceste, je dois choisir un autre homme. » La principale
trahison est faite à la mère, en quittant l’espace maternel. La mère pense :
« Après tout ce que j’ai fait pour elle, elle m’abandonne pour lui – le père ;
je ne suis maintenant qu’une servante de deux amoureux » (déclaration d’une
analysante sur le divan).
Cette observation, à propos du conflit de la fille et le sentiment de trahison
à l’égard de la mère par le retrait du tchador, va dans le sens des résultats de
Kulish et Holtzman (2003) et Holtzman et Kulish (1996) sur l’omniprésence
de la mère dans l’esprit des femmes et des filles lorsqu’elles tentent de quitter
les limites de l’espace maternel. Leurs observations suggèrent que, chez la
fille, l’approche de la sexualité adulte commence le plus souvent par des
pensées concernant spécifiquement la mère comme rivale œdipienne, la
crainte de représailles, une vive compétition et des fantasmes de triomphes.
Ces fantasmes soulèvent une grande angoisse et des sentiments de culpabilité
chez la fille, laquelle parvient douloureusement, et le plus souvent extrême-
ment difficilement, à la séparation et à l’autonomie.
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Une femme psychanalyste (communication personnelle) œuvrant en pra-
tique privée à Téhéran écrit :
« J’ai travaillé avec une analysante qui au début de son analyse portait un tchador
noir tenu solidement fermé par un autre foulard noir. Je me souviens très bien du
jour où elle s’est étendue sur le divan après un mois de travail ensemble. Elle a
retenu son tchador avec force et conviction pendant qu’elle s’installait sur mon
divan. Tout ce que je pouvais voir était un tchador noir sur le divan. L’analyse
s’est poursuivie et nous avons développé un langage commun et un espace analy-
tique sécuritaire propre à une compréhension mutuelle et elle a commencé à
retenir de moins en moins fermement son tchador qui commençait à tomber
parfois de ses épaules et parfois de sa taille.
Un jour, elle entra dans le cabinet avec un foulard rouge clair sous son tchador
et dit avec un sourire enthousiaste et une grande excitation : “Le rouge ne fait-il
pas ressortir mes yeux noirs ?” Et, effectivement, l’effet était évident… Progressi-
vement, j’ai remarqué qu’à chaque fois qu’elle parlait de sexualité, elle serrait fer-
mement son tchador et s’en recouvrait. Lorsque je lui fis une interprétation à cet
effet, sa réaction suscita les associations suivantes :

101
SIAMAK MOVAHEDI ET GOHAR HOMAYOUNPOUR

« Vous savez, lorsque j’avais 15 ans, je m’étais rebellée contre le désir de ma


mère, pas tant contre le désir de mon père, et j’ai retiré mon tchador malgré les
normes en vigueur dans mon village. Mon père a un esprit beaucoup plus ouvert.
Je me sentais libre, je sentais que je pouvais bouger plus aisément, je me sentais
jolie, je me sentais comme une fille pour la première fois de ma vie. Après
quelques semaines de liberté, un jour ma mère a commencé à m’humilier en pré-
sence de mon père, déclarant qu’elle avait observé comment les hommes de la rue
fixaient mes gros seins. Elle m’accusait de prendre plaisir à allumer les hommes
en ne portant pas le tchador. Elle a dit que je n’étais pas une dame et qu’un avenir
pénible attendait mon désir abject. (Elle a commencé à crier comme une hysté-
rique durant la séance.) Depuis ce jour, je me cache et cache mes seins dans le
tchador le plus noir et le plus épais en ville. »
Je lui ai dit : « Vous cachez-vous derrière votre tchador sur le divan par crainte
que, comme votre mère, je vous fasse sentir honteuse de votre corps sexué et de
votre sexualité ? »
Elle resta en silence pendant une minute et répondit :
« Vous ne feriez jamais ça ; avec vous c’est le contraire, c’est pourquoi je
porte ce foulard rouge pour vous aujourd’hui ; c’est comme si enfin je pouvais
retourner en arrière et être la fille que j’étais avant que ma mère me harcèle pour
que j’abandonne ma sexualité ; je ne peux que me sentir sexuée ici – pas à l’exté-
rieur d’ici. Je souhaite pouvoir retirer mon tchador ici et que vous enleviez votre
foulard, ainsi je pourrais voir vos cheveux et vous pourriez voir mes beaux che-
veux longs. »
Elle a alors abondamment pleuré, se couvrant complètement – même son
visage – sous son tchador, pour le reste de la séance. Je peux poursuivre le dérou-
lement de notre histoire ensemble d’une séance à l’autre. Ce qui avait attiré mon
attention était que lorsqu’elle s’était sentie en sécurité, lorsque nous avions réussi
à établir un accordage ensemble, elle avait retiré son tchador : un sujet dangereux ;
toute crainte de danger dans la situation analytique la ramenait automatiquement
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en arrière et elle se recouvrait de son tchador pour se cacher.
À chacune des séances je me posais des questions : Que cache-t-elle sous son
tchador ? Que se passe-t-il dans la séance lorsque j’observe des changements dans
sa façon d’utiliser son tchador ? Quelle fonction psychique le tchador remplit-il ?
A-t-il une fonction défensive ? Le tchador est-il un objet transitionnel ? Que tente-
t-elle de communiquer avec son tchador, à moi, aux autres ? Qu’apporte le tchador
à son sentiment de soi ? Que peut signifier retirer le tchador en privé et en public ?
Et finalement, que signifie pour une femme de porter ou non le tchador en Iran
aujourd’hui.

Commentaires

La patiente parlait de l’expérience douloureuse d’autonomie à l’adolescence.


Elle parlait d’une mère qui interdisait sadiquement la sexualité à sa fille et
le désir pour son père en la persuadant de dissimuler son corps sous un
tchador et de se rendre ainsi invisible. En posant un interdit sur les désirs

102
LE DIVAN ET LE TCHADOR

exhibitionnistes et sur toute compétition, pécheresse et dangereuse, la mère


punissait sa fille pour avoir tenté de l’abandonner dans un contexte œdipien.
La peur des représailles et la crainte de perdre l’amour de sa mère auraient
ramené cette femme sous le tchador.
Ce récit évoque un sentiment de deuil, de nostalgie et la recherche de
désirs passés, le désir de « retourner en arrière et être la fille que j’étais avant
que ma mère me harcèle pour que j’abandonne ma sexualité ». L’état désiré
et perdu contenait l’amour érotique pour la mère avec le lien érotique au père,
ou ce que Dahl (1989) nomme « la bisexualité flottante » (p. 277). Ce désir
se manifeste dans le transfert par le désir de la patiente d’être acceptée par
l’analyste femme comme un être féminin sexué. Elle porte un foulard rouge
pour l’analyste, et ce n’est que dans la relation transféro-contre-transféren-
tielle de l’espace maternel qu’elle peut se sentir sexuée. Elle souhaite « pou-
voir retirer mon tchador ici et que vous enleviez votre foulard, ainsi je
pourrais voir vos cheveux et vous pourriez voir mes beaux cheveux longs ».
La psychothérapeute soulève d’importantes questions que nous avons
tenté d’adresser dans cet article. Sa patiente, comme les nôtres, tend à loger
ses difficultés dans la relation avec sa mère. C’est une narration séduisante
avec laquelle nous avons eu à débattre. Il est tentant de se centrer sur la
répression politique et sur le contentieux œdipien mère-fille. La culture offre
un menu de choix, de formes et de présentations de symptômes. Il y a une
relation entre l’environnement socioculturel et la psychopathologie ; les
désirs de l’un sont conformes aux désirs de l’autre. Cependant, la majorité de
ces femmes ont plus de pouvoir qu’elles ne l’admettent. Pour certaines, le
tchador semble fonctionner comme un voile psychique qui cache les repré-
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sentations mentales et les conflits liés à leur sexualité et leur genre.

Observations finales

Sur le plan social, nous pouvons voir le tchador comme une partie de la pré-
sentation de soi à l’autre, une partie du rôle respectif qui définit ce que
signifie un certain type de femme, un symbole de négociation d’une identité
particulière et une partie du politique d’inclusion ou d’exclusion. Sur le plan
psychique, le tchador peut représenter un objet chargé de contenir, couvrir,
dissimuler et rendre invisible. Nous avons présenté, dans ce qui précède,
quelques vignettes cliniques accompagnées de nos commentaires cliniques et
théoriques. Nous avons proposé de voir comme un objet fantasmatiquement
riche et complexe remplissant plusieurs fonctions. Bien que le tchador soit
chargé d’une symbolique sociale, nous nous sommes centrées sur le tchador

103
SIAMAK MOVAHEDI ET GOHAR HOMAYOUNPOUR

en tant qu’objet psychique qui s’immisce dans la relation aux autres dans un
contexte culturel particulier.
Notre intérêt pour ce sujet a été initié par l’observation faite par des psy-
chanalystes femmes lors de cures de femmes iraniennes qui insistaient pour
se couvrir de leur tchador sur le divan et qui se dévoilaient ou se re-voilaient
selon l’atmosphère transféro-contre-transférentielle de la situation analy-
tique. Même si le code vestimentaire incite les femmes iraniennes à couvrir
leur cheveux d’un foulard en public, il n’y aucune norme incitant celle-ci à
se couvrir de quoi que ce soit devant une autre femme, particulièrement
devant une femme psychanalyste dans l’intimité confidentielle de la situa-
tion psychanalytique. Dans les exemples cliniques présentés, nous avons
exploré la signification intime du tchador dans une psyché particulière et
cherché la transformation de ce symbole social (lieu de la loi du père) en un
signe emblématique (un lieu maternel de symptômes hystériques potentiels).
On s’est demandé comment le tchador, en tant que vêtement culturel, pou-
vait représenter une seconde peau, c’est-à-dire une représentation déplacée du
désir d’un « sac maternel » pour celles qui se sentent vulnérables de fragmen-
tation interne. Nos observations cliniques suggèrent que pour certaines
femmes le tchador sert de fonction défensive, en leur procurant un sanc-
tuaire imaginaire pour une retraite psychique. Pour d’autres, il pourrait aussi
agir comme un « second moi-peau » ou comme une « enveloppe psychique ».
La métaphore d’une « seconde peau » ou d’une « enveloppe psychique » veut
saisir le fantasme d’être contenu ou tenu ensemble. Sur un plan métapho-
rique, cela supporte la peau imaginaire que l’enfant partage avec sa mère et,
dans le fantasme, cela enveloppe les parties fragmentées et chaotiques du soi.
La fonction d’une peau contenante est étendue à d’autres enveloppes senso-
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rielles médiatrices entre le corps et le monde extérieur. Le « second moi-
peau » peut se manifester à travers la médiation métonymique du vêtement et
de l’ornementation. En fait, dans la nouvelle discipline du Fashion Theory
(théorie de la mode), l’accent est mis sur le vêtement comme personnification
du corps, du moi, du soi et de l’identité. Toute forme d’auto-stylisation, incluant
la chirurgie plastique et les modifications corporelles (comme le tatouage ou le
piercing), peut aussi agir comme une seconde peau et comme une forme de
design intérieur (Goldberg, 2004 ; Pacteau, 1994 ; Roth, 2006) 8.
Ainsi, le tchador, un symbole d’ordre patriarcal, peut évoquer une nos-
talgie sensorielle du corps maternel, l’expérience sensuelle archaïque et

8. Lothstein (1997), dans son étude sur le fétichisme des sous-vêtements féminins parmi les
hommes présentant des troubles de leur identité sexuelle, se réfère aux sous-vêtements
comme une « peau-magique », une « seconde peau » pour réparer un moi défectueux et
jouant le rôle d’objet transitionnel pour apaiser les angoisses d’annihilation et de sépara-
tion.

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LE DIVAN ET LE TCHADOR

indifférenciée avec la mère. Lemma (2010), dans son étude psychanalytique


sur la modification du corps, affirmait que le corps portait toujours la trace
de la mère. Selon Lemma, les femmes essaient généralement de donner de
leur corps une image conforme au regard de la mère ; la sélection de ce
qu’elle porte, le maquillage sont autant de formes de modifications corpo-
relles. Madame Y, par exemple, avait tellement peur de s’ouvrir à la psycha-
nalyste que même au téléphone elle avait encore le sentiment que « le regard
de sa mère la surveillait ». Parfois, la peau imaginaire partagée avec la figure
maternelle persécutrice devient si insidieuse qu’une femme tentait de sélec-
tionner le lien et de rejeter le mauvais objet de son propre monde interne en
se coupant et en agissant d’autres comportements autodestructeurs.
Madame Z correspond assez bien à cette figure. Naturellement, une autre
femme pourrait rejeter l’opposition à l’ordre maternel ou paternel et affirmer,
à juste titre, que le regard de la mère n’est rien comparé au regard du père
(Homayounpour et Movahedi, 2012).
La fonction psychique du tchador pourrait ne pas se réduire à une fonction
contenante ; il pourrait aussi œuvrer à voiler et dissimuler le soi interne, parti-
culièrement dans les cas de fantasmes et conflits sexuels. En fait, nos obser-
vations suggèrent que, pour certaines femmes, le tchador tend à construire un
surmoi maternel auxiliaire extérieur. Le repli sous le tchador comme meil-
leur châtiment disponible sur le divan peut manifester la honte et l’angoisse
soulevées par l’inhibition de fantasmes de danger lorsque les images d’auto-
rités infantiles sont extériorisées. Depuis que dans la culture patriarcale rigide
le surmoi contient des exigences parentales comme cacher ou rendre invi-
sible le désir de la femme, un repli dans le sanctuaire du tchador semble une
stratégie défensive en réponse à cette exigence. Jusqu’à un certain point, nos
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patientes pouvaient substituer l’analyste tolérante à l’objet punitif interne,
elles se sentaient plus libres d’utiliser la sécurité de la situation analytique
pour s’autoriser à abandonner le sens répressif de comment être une femme.
En langage populaire contemporain, le tchador procure une couverture
convenable à la présentation des parties inacceptables du soi. Cela est évi-
dent dans le cas de Madame X, qui craignait que son soi caché ne soit dévoilé
en analyse, laissant voir ses impulsions sexuelles et agressives. Craintive de
perdre ses frontières dans la séance, se défendant contre des sentiments
homosexuels dans le transfert, elle se protégeait sous son tchador et se gardait
ainsi à distance émotionnelle de l’analyste – toute au service de la résistance.
Comme composante du narcissisme, se cacher est un droit psychique ina-
liénable contre la menace d’être vue (Winnicott, 1965). Le besoin de se
cacher semble être le résultat de notre maladie universelle : une défense
contre les blessures narcissiques conséquentes aux impacts du monde exté-
rieur. Ici, dans le langage de Winnicott (1958), le tchador évolue en une
extension du « faux self », c’est-à-dire « une extension de la coquille » qui a

105
SIAMAK MOVAHEDI ET GOHAR HOMAYOUNPOUR

désespérément besoin de garder le vrai soi caché (pp. 211-212). Le désir de


se cacher a été noté aussi tôt qu’au Ve siècle par saint Augustin. Selon lui, les
confessions – l’épanchement de la honte – font toujours face aux résistances
sous forme d’un besoin de l’esprit humain de se cacher (Eldridge, 2001).
Saint Augustin a écrit à propos du désir de se cacher des autres et de Dieu
dans La cité de Dieu : « Dans son inertie aveugle, dans sa honte abjecte
(l’esprit humain) aime mentir en cachette, même s’il désire que rien ne lui
soit dissimulé » (cité par Eldridge, 2001, p. 220). Le commentaire de saint
Augustin parle aux fantasmes de nos patients souhaitant se soustraire à l’œil
du surmoi – qu’il soit l’analyste, la mère, Dieu – et devenir invisible.
Évidemment, il y a une différence entre la construction de conditions
sociales rendant certains groupes invisibles et l’expérience interne d’invisibi-
lité personnelle. La poursuite de l’expérience privée d’invisibilité se coor-
donne à travers des façons socialement négociables (symboliques) de voir :
le regard. Les yeux de la mère et de l’autre, qui reflètent à l’enfant sa propre
image et les yeux de l’enfant qui se voit dans le miroir – comme l’œil de la
caméra cinématographique –, ont justement été structurés pour voir le soi et
le monde, et le soi dans le monde d’une façon particulière. La différence
sexuelle entre l’homme et la femme, avec ses conditions de visibilité et
d’invisibilité, est découverte, conçue et construite à travers l’assimilation et
l’introjection de l’ordre visuel – le regard – au niveau tant perceptuel que
logique (Berger, 1998 ; Irigaray, 1985). Ici, la distinction entre le corps et le
tchador en tant qu’objet de mode ou de vêtement reste triviale. La mode
féminine sert la fonction de représentation du corps féminin et procure un
indice signifiant sur comment la culture construit la féminité.
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Pour Freud (Rose, 1988), la robe est simplement un objet fétichiste fondé
sur le refoulement des pulsions de voir et d’être vue. Il pensait que les préoc-
cupations des femmes à propos de leurs vêtements avaient une fonction
complètement fétichiste. Les femmes en sont venues à vénérer l’objet – les
vêtements – qui prévient (i.e. refoule) leurs désirs d’être vues. Bien que
l’obsession de l’habillement puisse se révéler vaine, sans signification, un
symptôme narcissique ou un doute sur soi, ou une préoccupation fétichiste,
l’acte de couvrir ou de découvrir le corps finit par dessiner le corps de la
femme, définit la nature de la sexualité, la poursuite du plaisir et démarque le
privé, le personnel, le public et le social. L’habillement compulsif et la per-
formance dans l’exhibition des rituels correctifs du corps définissent l’éro-
tisme, activent le désir et contribuent à l’illusion d’une identité particulière
du moi. La philosophie de la mode du grand designer japonais Rei Kawa-
kubo affirme : « Le vêtement devient corps qui devient vêtement » (Rein-
hardt, 2005), cela peut facilement se prolonger ainsi : « Le vêtement devient
corps qui devient vêtement qui devient moi. » En ce sens, le modèle de

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LE DIVAN ET LE TCHADOR

défense du sujet – aussi bien que son corps, enveloppes psychiques ou


seconde peau – se construit dans le système des pratiques culturelles.
En guise de mise en garde, nous soulignons n’avoir nulle intention de
quelque généralisation que ce soit à partir du matériel choisi. Beaucoup de
femmes instruites en Iran ne portent pas le tchador et d’autres en ont fait
l’expérience sans en éprouver quelque obsession, ou elles ne l’ont pas signalé
comme faisant partie de leurs symptômes ou ne nous ont pas consultées.
Nous ne laissons pas davantage entendre que la majorité des femmes ira-
niennes portent le tchador comme un donjon psychique interne sans pouvoir
suivre leur voie sans lui. En fait, toute personne qui a voyagé en Iran a pu
observer qu’en l’espace de quelques minutes, après le décollage en partance
de l’aéroport de Téhéran, les femmes iraniennes à bord subissent une méta-
morphose importante en retirant leur foulard, libérant leurs longs cheveux,
modifiant complètement leur tenue au profit d’un habillement très différent,
stylisé et très coloré, le processus s’inverse dès que le pilote amorce sa des-
cente vers Téhéran.

Remerciements

Nous voulons remercier Julia Kristeva, Judith Gurewich et Donald Carveth


pour leurs commentaires à divers moments de l’écriture de cet article. Nous
sommes particulièrement reconnaissantes envers Lucy La Fage, éditrice asso-
ciée de l’IJP, pour ses commentaires, critiques et suggestions perspicaces au
texte soumis.
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