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CHAPITRE 24.

LA COMMUNICATION NON VIOLENTE AU SERVICE


DE L’ÉDUCATION

Catherine Schmider
in Roland Coutanceau et al., Violences psychologiques

Dunod | « Psychothérapies »

2014 | pages 272 à 283


ISBN 9782100712380
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https://www.cairn.info/violences-psychologiques---page-272.htm
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Chapitre 24

La communication non violente


au service de l’éducation

Catherine Schmider
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U N MOYEN CONCRET DE VIVRE AU QUOTIDIEN
SES INTENTIONS ÉDUCATIVES DE RESPECT
DE L’ ENFANT

Dans mes rencontres avec des personnes en charge d’éducation


ou quand, en formation, chacun exprime ses intentions éducatives, je
retrouve les mêmes aspirations : permettre à l’enfant d’être heureux, de
s’épanouir pleinement, d’avoir confiance en lui, de grandir dans le respect
de lui-même et des autres, de développer sa créativité, son potentiel, et
d’acquérir les compétences pour se débrouiller dans la vie.
Je n’ai jamais rencontré un éducateur, qu’il soit parent ou profession-
nel de l’éducation, à la crèche, à l’école, dans les loisirs ou l’éducation
spécialisée, qui ait de mauvaises intentions pour les enfants dont il
s’occupe.
Pourtant, si nous regardons notre propre histoire d’enfant, ou si nous
écoutons aujourd’hui des enfants nous parler de leur quotidien avec
les adultes, que de souffrances, qui laissent des traces durables. Quel
décalage, souvent, entre nos intentions, vraiment sincères, d’adultes, et
la réalité de ce que vivent et ressentent les enfants au quotidien, et de ce
qui leur est transmis.
La communication non violente au service de l’éducation 273

La CNV nous offre des clés pour nous permettre de vivre concrètement
nos intentions éducatives. Elle apporte une compréhension de ce qui va
dans le sens de la vie, de l’épanouissement d’un être humain, et de ce
qui nuit à cet épanouissement, blesse, contracte. Pour l’aborder, j’aime
partir de notre propre expérience, car la CNV ne nous apprend rien que
nous ne sachions déjà au fond de nous.
Dans le domaine de l’éducation, nous avons toute la matière de notre
propre vécu d’enfant. Nous pouvons retrouver des situations où nous
avons senti que ce qui nous était offert dans la relation éducative allait
dans le sens de la vie, contribuait à notre épanouissement, à la confiance
en nous, en l’adulte, en la vie... et des situations où nous avons senti que
ce n’était pas bon pour nous, pour la vie en nous, et nous pouvons nous
poser quelques questions :
 Qu’est-ce que la personne a fait ou dit ? Comment me suis-je senti
à ce moment-là ? Et qu’est-ce qu’il y avait d’important pour ma vie,
qui, dans les situations agréables, était pris en compte, nourri, et, dans
les situations désagréables, ne l’était pas ?
 Dans la manière dont j’ai été écouté, qu’est-ce qui a été bon pour moi ?
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Qu’est-ce qui ne l’a pas été ? Et dans ce cas, qu’est-ce que j’aurais
aimé recevoir comme écoute de l’adulte ?
 Dans la manière dont l’adulte a exprimé sa contrariété quand j’ai fait
quelque chose qui ne lui convenait pas, qu’est-ce qui a été bon pour
moi, qui m’a aidé à grandir en comprenant, et en prenant en compte
aussi ce que l’autre vit, et m’a aidé à développer ma responsabilité ?
Qu’est-ce qui n’a pas été bon pour moi, m’a blessé, a touché mon
intégrité, mon estime de moi, a eu pour conséquence que je me suis
refermé sur moi-même ou que je me suis rebellé, et comment aurais-je
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aimé que l’adulte me le dise ?

Lorsque je recueille ce qui émerge de nos expériences d’enfants, dans


ce qui a été pris en compte ou pas par les comportements des adultes,
sont souvent exprimés : le besoin d’avoir de l’attention, d’être écouté,
d’avoir de la compréhension, de pouvoir communiquer, de pouvoir
être soi-même, d’être respecté, d’être en sécurité, d’avoir du soutien,
de vivre de la douceur, de recevoir de la tendresse, de voir le sens,
d’avoir de l’autonomie, de la liberté. Et nous touchons là au cœur de la
communication non violente (CNV) : la conscience des besoins qu’ont
tous les êtres humains.
Nous savons, par notre expérience d’humain, ce qui fait du bien ou pas
dans ce que nous recevons des autres. Ce qui nous est plus difficile, c’est
de garder cette conscience, quand c’est nous qui agissons avec les autres,
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et aussi d’avoir les moyens concrets d’offrir cette qualité de relation que
nous aimerions recevoir : cette qualité d’écoute à laquelle nous aspirons,
cette possibilité d’exprimer notre contrariété d’une manière qui ne nuise
pas à l’intégrité de l’autre.
La CNV nous apporte un moyen de développer cette conscience et un
outil concret pour le vivre.

U NE COMPRÉHENSION DU FONCTIONNEMENT
DE L’ ÊTRE HUMAIN

La communication non violente (CNV) a été mise au point par


Marshall Rosenberg. Diplômé en psychologie clinique en 1961, il se
forme ensuite auprès de Carl Rogers et devient l’un de ses collaborateurs.
Il développe l’approche de la CNV et crée en 1966 le CNVC (Centre pour
la communication non violente). Son livre Les mots sont des fenêtres
traduit en français en 1999, et celui de Thomas d’Ansembourg Cessez
d’être gentil, soyez vrai, paru en 2001, ont contribué à faire connaître la
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CNV en France.
La CNV propose une compréhension de l’être humain, fondée sur ce
qui sert ou dessert la vie en chacun de nous. Tout ce qui est vivant sur
cette terre, que ce soit les plantes, les animaux ou les êtres humains, a des
besoins fondamentaux liés à la vie. Ces besoins, déjà mis en évidence
par Maslow, comprennent des besoins physiologiques liés à la survie,
des besoins de sécurité, de relations aux autres, d’estime et de respect,
d’expression de soi, et des grandes aspirations, telles que l’harmonie,
la beauté et la paix. S’ils sont bien pris en compte, nous observons une
fleur pleinement épanouie, un chien au poil brillant, plein d’énergie et
affectueux, et un être humain en bonne santé, joyeux, bien dans la relation
aux autres, plein d’énergie et performant dans ce qu’il entreprend. S’ils
sont mal pris en compte, nous voilà avec une fleur bien mal en point, un
chien abattu ou agressif, et un être humain en souffrance, plus facilement
agressif avec les autres, et moins performant dans ce qu’il entreprend.
Dans cette approche, les sensations et émotions sont donc vues comme
les indicateurs de l’état de la vie en nous, tout comme, dans une voiture,
les voyants du tableau de bord nous indiquent l’état de fonctionnement
de notre véhicule : le bien-être est l’indicateur de nos besoins satisfaits,
et les sensations et émotions désagréables les indicateurs des besoins
à prendre en compte, tout comme le voyant d’essence signale, dans
la voiture, la nécessité de faire le plein de carburant. L’intensité d’une
émotion révèle l’importance du besoin touché par la situation et l’urgence
La communication non violente au service de l’éducation 275

d’en prendre soin, de la même manière que le voyant rouge des freins
nous alerte sur l’importance de nous en occuper.
Cette compréhension du lien entre émotions et besoins liés à la vie
permet de développer l’aisance avec nos propres émotions et avec les
émotions des autres, et de retrouver du pouvoir pour agir sur notre
bien-être. Car si mon émotion surgit effectivement au moment où il
se passe quelque chose à l’extérieur, l’événement n’en est pas la cause,
elle est le révélateur d’un besoin qui est à l’intérieur, et je vais pouvoir
agir, pour rétablir l’équilibre en moi, en faisant une action par moi-même
ou une demande à quelqu’un.
Si un collègue devait passer me chercher en voiture et qu’il m’annonce
qu’il est tellement en retard, qu’il vaut mieux que je parte à pied, je peux
le vivre mal, car j’avais prévu de faire des photocopies en arrivant, que je
ne vais pas avoir le temps et que ça perturbe mon organisation. Je peux
appeler un autre collègue pour voir s’il peut passer me prendre.
Un autre jour, je peux être plutôt joyeuse en entendant le même
désistement de mon collègue, car j’ai le temps, il fait beau et cela
me donne l’occasion de marcher, de prendre l’air et de me dépenser
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physiquement.

U N CHANGEMENT DE REGARD
Un autre élément important est la compréhension qu’à chaque instant,
nous cherchons à prendre soin de la vie en nous : tous nos compor-
tements, nos paroles, sont des stratégies au service de nos besoins
fondamentaux.
Nous pouvons avoir des stratégies respectueuses de la vie et des autres,
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et parfois des stratégies non respectueuses : si j’ai faim, je peux satisfaire


ce besoin en allant m’acheter à manger. Si je n’ai plus d’argent et pas
d’endroit pour recevoir de la nourriture, et que j’ai faim depuis longtemps,
je peux finir par voler quelque chose pour manger. À ce moment-là, ce
besoin est tellement fort que j’en oublie le besoin de respect, que j’ai
aussi.
Comme le dit l’enseignante, dans le film Sur le chemin de l’école
de la non-violence, des comportements des enfants, comme se moquer,
embêter, bousculer, sont souvent des stratégies des enfants pour entrer
en relation, être pris en compte, être accepté. Ce sont des stratégies
maladroites, car l’enfant obtient souvent l’inverse de ce qu’il recherchait.
Pour l’adulte, avoir cette compréhension permet de réagir différemment :
au lieu de juger, gronder, punir, il va pouvoir entendre le besoin et
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accompagner l’enfant vers des stratégies plus respectueuses de chacun


et plus efficaces pour ce qu’il recherchait.
Beaucoup de comportements des enfants et des jeunes, qui exaspèrent
l’adulte (la compétition pour être le premier à passer, pour avoir plus
que les autres...) sont souvent des moyens maladroits de prendre soin du
besoin fondamental d’estime de soi. Savoir que nous avons une valeur,
en tant qu’être humain, indépendamment de nos performances est un
besoin fondamental. Quand il n’est pas assez nourri par des expériences
positives, il trouve le moyen d’être nourri autrement, dans le rapport
de domination sur l’autre, qui peut aller jusqu’à la violence physique :
« Quand la violence sort de toi, tu te sens fort, tu as l’impression de
faire quelque chose qui va laisser des traces, tu existes » dit un jeune
(Schmider, 2013). La violence est une stratégie maladroite et tragique
pour prendre soin d’un besoin. C’est le cas aussi quand une situation
vient toucher une zone de blessure, un besoin qui n’a pas été nourri, et
qui est devenu très sensible. Lors d’une sortie à la piscine, au moment
de monter dans le minibus, un jeune s’entend dire : “Il n’y a plus de
place, va dans la voiture”, et là, il attrape celui qui vient de lui parler et,
violemment, le jette dehors. » Pour un autre jeune, cela aurait pu être
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juste une déception de ne pas être avec ses copains (besoin de partage,
de convivialité, de faire partie d’un groupe), ou même un plaisir de vivre,
lors du trajet en voiture, un moment privilégié avec un animateur (besoin
d’attention) ou de calme. Pour ce jeune, cette situation est venue toucher
un endroit très sensible : il a vécu des situations répétées d’abandon, et
au moment où il voit qu’il n’a pas de place dans le bus, cela touche en lui,
beaucoup plus largement, le besoin d’avoir une place dans la vie. Et, tout
comme lorsque l’on touche involontairement à une blessure physique,
la réaction part immédiatement, sans possibilité de la contrôler dans
l’instant.
Imaginons que l’animateur lui dise : « Tu vas rester là, on n’emmène
pas des gars comme toi à la piscine », et nous voyons comment la
punition risque d’entretenir le cycle de la souffrance et de la violence.
Cette compréhension qu’à chaque instant, chacun, quoi qu’il dise et
quoi qu’il fasse, tente de prendre soin de la vie en lui, change notre regard
sur les personnes et sur leurs comportements, y compris sur nous-mêmes.
La CNV, avant d’être un processus de communication à l’extérieur,
c’est d’abord un changement à l’intérieur, dans les pensées que nous
avons sur nous-mêmes et sur les autres.
Elle permet de transformer les jugements, de sortir du monde binaire
du bien et du mal, de « tu es gentil » ou « tu es méchant ».
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Elle va transformer aussi nos manières de réagir. Il ne s’agit pas pour


autant de tout accepter. Dans la situation du jeune qui a eu cet acte violent,
au lieu de juger, critiquer, « tu es vraiment un vaurien, indécrottable »,
et de chercher une punition bien lourde, pour qu’il ne soit plus tenté de
recommencer, il est possible de dire non au comportement, de mettre une
limite en affirmant ses valeurs. Ensuite, nous pouvons entendre ce qui
s’est passé pour le jeune, lui offrir la puissance réparatrice d’une écoute
empathique, puis mettre en place un accompagnement, comprenant
l’écoute mutuelle avec l’autre jeune et des actes réparateurs.

L A CNV DANS LA RELATION ÉDUCATIVE


AU QUOTIDIEN

Une dimension importante dans la CNV est d’apprendre à voir et à


dire ce qui nous convient, ce qui nous fait du bien.
Et c’est celle que je propose de développer en premier dans la relation
éducative. Elle a des effets puissants. Nous sentons bien quand nous le
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recevons, combien, quand quelqu’un partage son plaisir lié à quelque
chose que nous avons fait, cela nous fait du bien, nous donne de l’énergie,
vient nourrir l’estime de nous-mêmes et vient alimenter positivement la
relation. « Je vous remercie d’être tous restés jusqu’à la fin pour ranger
le matériel. C’était joyeux pour moi, de vivre cette sortie tous ensemble
du début à la fin, et j’apprécie d’avoir de l’aide en fin de journée quand
je suis fatigué. » Or nous le faisons rarement. Dans la relation éducative
en particulier, nous avons plutôt tendance à voir et à nommer ce qui ne
va pas, avec la meilleure intention du monde : mettre notre énergie vers
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ce qui est encore à acquérir. Et l’enfant se voit le plus souvent comme


insuffisant. C’est, pour moi, une de nos violences éducatives invisibles,
qui est la source de violences visibles des enfants, comme stratégies pour
nourrir l’estime de soi.
La manière de le dire a un impact : l’exprimer à partir de nos besoins
satisfaits est différent du jugement positif qui aurait pu être : « Vous avez
été sympas aujourd’hui. » D’un côté, il y a une relation entre des êtres
humains, et l’enfant, le jeune, va nourrir l’estime de lui par lui-même à
partir d’un fait où il a contribué au bien-être de quelqu’un, un fait qui est
là, que personne n’enlèvera demain, et de l’autre, il y a le jugement d’un
adulte, un enfant qui construit son estime de lui-même dans le regard de
l’autre, avec un jugement qui peut changer le lendemain dans une autre
circonstance.
278 P RISE EN CHARGE ET PRÉVENTION

Une autre dimension fondamentale de la CNV, c’est l’écoute empa-


thique, qui entend, au-delà des mots, ce que la personne ressent et ce qui
est important pour elle.
« J’en ai marre, je n’y arriverai jamais.
– Tu es découragé ?
– Oui, il ne reste plus que 30 minutes
– Tu es inquiet, tu voudrais finir dans le temps imparti? »...
Être accueilli dans ce que nous vivons est l’une de nos aspirations
profondes, et quand nous ne recevons pas cette écoute-là, nous savons
combien c’est douloureux. Cela nous donne envie de réagir avec intensité
ou même violence contre l’autre, ou encore en se refermant. Or, avec nos
attitudes habituelles dans l’écoute — nier les sentiments (« ne dis pas ça,
tu peux le faire »), juger (« tu es toujours en train de râler »), conseiller
(« tu sais ce que tu devrais faire... »), interpréter (« c’est parce que tu
es fatigué »), questionner (« où en es-tu ? comment tu t’y es pris ? »)...
—, nous offrons rarement cette qualité d’écoute et nous sommes donc
créateurs ou activateurs de conflit, déclencheurs de violence, sans le
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savoir.
L’écoute empathique est vraiment une clé dans la relation éducative.
La manière dont nous répondons à un enfant ou à un jeune, crée tout de
suite de l’ouverture ou de la fermeture chez lui et donc dans la relation.
Elle a aussi un lien direct avec l’estime de soi : quand nous l’écoutons
vraiment dans ce qu’il vit, l’enfant fait l’expérience qu’il a de la valeur
à nos yeux, qu’il a le droit de ressentir ce qu’il ressent et d’être qui il
est. Il apprend aussi, petit à petit, à faire confiance à ce qu’il ressent, à se
connaître. Aider un jeune pour son orientation, cela ne commence pas en
classe de 3e en lui demandant quels sont ses goûts, cela commence tout
petit à travers l’écoute empathique qu’on lui offre.
Dans l’accompagnement empathique d’une personne qui vit une
situation désagréable, après lui avoir permis de clarifier le besoin
important qui est touché en elle, on l’accompagne pour trouver par
elle-même les actions qu’elle peut réaliser pour rétablir son équilibre.
« Qu’est-ce qui pourrait te rassurer, que tu puisses faire toi-même ou que
tu puisses demander à quelqu’un ? » ou éventuellement, un pas plus loin :
« J’ai une idée, est-ce que ça t’intéresse que je te la dise ? » J’apprécie
vraiment comment cette forme d’accompagnement est en cohérence
avec nos intentions, et permet à l’enfant de développer son autonomie,
sa responsabilité et la confiance en lui.
La communication non violente au service de l’éducation 279

L’écoute empathique nous permet de vivre plus sereinement tous les


moments où l’enfant ou le jeune est hors de lui, où il s’exprime d’une
manière difficile à recevoir pour nous.
Savoir que c’est la souffrance d’un besoin qui s’exprime derrière les
mots, permet de ne plus prendre les mots contre soi. Une enseignante
me partageait : « Maintenant, je ne me dis plus : il me cherche... je me
dis : il se cherche. » Une animatrice, qui fait des interventions en collège,
disait : « Maintenant que je sais que la violence est l’expression d’une
souffrance, je ne me sens plus en danger, je me sens en curiosité. »
Un autre apprentissage tout aussi important est de pouvoir exprimer
quand quelque chose ne nous convient pas, en parlant de nous, et
en faisant des demandes, plutôt qu’avec des jugements sur l’enfant.
Pour nous adultes, ces jugements, menaces, reproches sont l’expression
momentanée d’un énervement, et pour l’enfant ce sont comme des vérités
qui s’impriment. J’accompagnais une jeune femme, qui n’osait jamais
prendre la parole en réunion, encore marquée par le « tu n’as vraiment
pas d’idée » de sa mère, quand elle avait 12 ans, et qu’elle ne trouvait
pas dans le placard de la cuisine le mixer qu’elle lui avait demandé
de prendre. Sa mère voulait peut-être dire : « Quand je t’entends dire
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« je ne trouve pas » avec ce ton de voix, ça m’énerve, parce que là je
suis stressée, et j’ai vraiment besoin d’aide, est-ce que tu peux fouiller
énergiquement dans le placard, ou venir me remplacer dans ce que je
fais, pour que je puisse chercher ? »

L’ AUTO - EMPATHIE , UNE ÉTAPE FONDAMENTALE


Pour pouvoir exprimer notre contrariété à partir de nos valeurs et faire
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des demandes, nous avons besoin d’un temps, entre ce qui se passe et ce
que nous allons dire, un temps à l’intérieur de nous-mêmes, pour clarifier
où nous sommes touchés, et ce que nous pouvons demander.
Nous n’avons pas l’habitude de prendre le temps de cette étape
fondamentale ; c’est pourtant elle qui nous permet de passer de la
réaction, à l’action choisie, avec des paroles en cohérence avec nos
intentions.
C’est aussi l’auto-empathie qui nous permet de retrouver un équilibre
suffisant pour continuer à offrir une qualité d’écoute aux enfants et jeunes
que nous accompagnons. Les livres de Vilma Costetti pour les jeunes
enfants mettent en scène la CNV dans les relations au quotidien, et
permettent aux enfants et aux adultes qui leur lisent les histoires, de
découvrir ce mode de relation. J’aime particulièrement dans Émile et la
280 P RISE EN CHARGE ET PRÉVENTION

petite sœur, le moment où il dit : « Au lieu de hurler, maman sortait un


moment dans le jardin, seule. Je ne sais pas quelle magie s’opérait là-bas
dehors... mais ça me plaisait, parce que, quand maman rentrait, elle était
plus tranquille. Et là, elle essayait de deviner ce qui se passait dans mon
cœur. »
Un bon repère pour savoir quand « sortir prendre l’air », c’est quand
nous n’arrivons pas à offrir une écoute empathique à l’autre : c’est le
signe que nous avons besoin d’empathie pour nous.

L A GESTION DES CONFLITS


Cette approche débouche naturellement sur une manière différente
de gérer les conflits : on ne cherche plus qui a tort et qui a raison.
Nous voulons permettre à chacun d’exprimer ce qu’il ressent, ce qui
est important pour lui, et d’être entendu par l’autre. Déjà, l’écoute et
la reconnaissance mutuelle de ce que chacun vit apportent un grand
apaisement pour les deux personnes en conflit. L’étape suivante est la
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recherche de solutions par les protagonistes eux-mêmes, permettant que
les besoins de chacun soient pris en compte.
Cette forme de résolution de conflit fonctionne aussi bien quand
l’adulte aide à résoudre des conflits entre enfants que dans la résolution
des conflits entre adultes et enfants.
C’est le passage d’un mode d’autorité où l’adulte est dans le pouvoir
« sur » l’enfant, où l’enfant agit par peur, à un mode d’autorité où l’adulte
vit une forme de pouvoir « avec » l’enfant, où l’enfant agit parce qu’il
voit du sens, et parce qu’il a, comme tous les êtres humains, le désir
de contribuer au bien-être des autres, quand ses propres besoins sont
aussi pris en considération. Ce changement n’est pas simple : par notre
histoire, nous craignons de perdre le contrôle. L’autorité pouvoir et le
système punitif sont des stratégies qui assurent notre sécurité en tant
qu’adulte, et qui nous permettent d’assurer notre mission éducative. Les
expériences, pas à pas, d’abord avec un enfant puis avec un groupe,
viennent rapidement nous montrer combien cette autre manière d’être
en relation est bien plus au service de la qualité relationnelle que nous
rêvons de vivre avec les enfants dont nous nous occupons.
La communication non violente au service de l’éducation 281

P RENDRE SOIN DE SOI POUR MIEUX VIVRE


SON RÔLE ÉDUCATIF

La première personne avec qui je propose d’utiliser la CNV, c’est


nous-mêmes, pour prendre soin de nous. Nous le remarquons dans notre
expérience quotidienne : notre qualité de relation et de disponibilité aux
enfants est liée à notre propre état. Si nous ne portons pas attention à
notre bien-être, nous devenons rapidement moins patients, et il arrive un
moment où, avec les tensions et la fatigue, il y a « la goutte d’eau qui
fait déborder le vase » : nos paroles et nos gestes ne correspondent plus
au respect que nous voudrions offrir à l’enfant. À ce moment-là, nous
n’avons aucun contrôle sur notre réaction. Là où nous avons du contrôle,
c’est avant, en regardant régulièrement l’état de notre « vase émotionnel »
et en en prenant soin. Cela suppose de tourner régulièrement son attention
de l’extérieur vers l’intérieur, et de se demander : comment je me sens ?
De quel besoin important ça me parle ? Et qu’est-ce que je peux faire
pour m’en occuper ? C’est souvent une révélation, en particulier pour les
personnes qui travaillent dans les métiers de l’éducation et du soin : j’ai
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des besoins, et non seulement j’ai le droit de m’en occuper, mais en plus,
c’est en prenant soin de moi, de mes besoins, que j’offrirai la meilleure
qualité d’attention aux enfants dont je m’occupe, à partir de mon propre
équilibre.
Une autre dimension, qui va contribuer à vivre plus pleinement nos
intentions éducatives, est la qualité des relations au sein des équipes
éducatives. Comment être disponible auprès des jeunes, quand toute
notre énergie est consommée par l’ambiance difficile entre les adultes ?
Nos formations mettent l’accent sur le développement d’une qualité
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de relation entre adultes pour devenir des équipes soutenantes : se donner


des appréciations, s’offrir des temps d’écoute empathique mutuelle, avoir
des temps prévus pour pouvoir réguler la vie du groupe, que les conflits
puissent se dire dans un cadre sécurisé, autant d’actions concrètes pour
cela. « J’étais sortie d’une réunion la veille très mal avec ce qui s’était
passé. Le matin, je me sentais incapable d’aller donner mes cours. Je
suis quand même allée au collège, me demandant comment j’allais faire.
Dans la salle des profs, des collègues qui font la formation m’ont proposé
un temps d’écoute empathique à la récréation. De le savoir m’a permis
d’assurer mes premières heures de cours. Une écoute empathique à la
récréation m’a fait déjà beaucoup de bien. Une autre collègue m’a aussi
offert un temps d’écoute le midi, et l’après-midi, j’avais retrouvé mon
allant. J’étais loin d’imaginer ça la veille »
282 P RISE EN CHARGE ET PRÉVENTION

L A PRISE EN COMPTE DES BESOINS DANS


LES MODES DE FONCTIONNEMENT

Dans une structure éducative, la prise en compte des besoins humains


peut se faire à trois niveaux : celui de la relation à chaque instant,
celui des modes de régulation des conflits et aussi celui des modes de
fonctionnement.
Agir au niveau de la relation est le plus rapide et on en voit les
effets tout de suite. Et en même temps, agir au niveau des modes de
fonctionnement permet de prévenir beaucoup de conflits.
J’ai un enfant de 3 ans et je l’emmène à la réunion de parents pour
mon fils qui est au CP. Si je prends en compte ses besoins et que j’apporte
de quoi l’occuper, j’ai plus de chance d’être disponible pour la réunion,
que si je n’apporte rien et que je lui demande de rester assis, en silence
pendant 45 minutes Là, je risque d’avoir rapidement à gérer des conflits.
Bien sûr, l’écoute empathique va aider ; bien sûr, parler de moi, au lieu
de parler sur lui, va aider ; néanmoins, cela va être un moment difficile
à vivre et usant pour nous deux. Prendre en compte les besoins dans
© Dunod | Téléchargé le 01/10/2020 sur www.cairn.info via Université Toulouse 2 (IP: 193.50.45.191)

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l’organisation, c’est prévenir beaucoup de conflits et de violences.
Les enseignants qui découvrent la CNV commencent par la mettre en
œuvre dans leur manière d’être dans la relation, puis interrogent leurs
pratiques pédagogiques. Comment mieux prendre en compte les besoins
humains dans la classe, pour favoriser le bien-être de chacun, prévenir la
violence et favoriser la disponibilité de chacun aux apprentissages ?
La compréhension des besoins humains qu’apporte la CNV, permet
d’interroger les modes de fonctionnement de nos structures, de repérer
la violence invisible faite quand les besoins humains ne sont pas pris en
compte. Ce sont ces besoins en souffrance qui sont à la source des vio-
lences visibles des adultes ou des jeunes. En les repérant, nous pouvons
agir collectivement dans les structures éducatives, pour développer de
plus en plus le bien-être de chacun.
Nous vivons une période de transition, inconfortable pour les adultes
qui ont des rôles éducatifs aujourd’hui. Nous avons vécu enfant, dans une
forme d’autorité-pouvoir, où nous obéissions à l’adulte sans beaucoup
de possibilité de discuter, et en quelques dizaines d’années, le mode
d’autorité a changé. Nous reproduisons ce que nous avons appris par
notre expérience, mais cette forme d’autorité ne fonctionne plus avec les
jeunes d’aujourd’hui : ils demandent à recevoir la même considération
que les adultes.
La communication non violente au service de l’éducation 283

Nous avons la possibilité d’apprendre un autre mode de relation.


La CNV permet de vivre cette forme d’autorité basée sur le respect
mutuel. Les parents et les éducateurs qui expérimentent cette approche
en voient les effets immédiats. Ils ont le plaisir de vivre la qualité de
relation à laquelle ils aspirent dans leur rôle éducatif, et ils voient aussi
le long chemin nécessaire pour transformer les habitudes installées.
J’aime partager qu’en nous formant aujourd’hui, l’impact sera bien
au-delà de nous : les enfants qui vivent cette forme de relation avec nous
l’apprennent par imprégnation. Ils n’auront pas besoin de formation. Et,
de plus en plus d’enfants qui grandissent avec ces clés, pour le respect
d’eux-mêmes et des autres, me donnent l’espoir d’un monde plus en
paix.
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