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Catherine Schmider
in Roland Coutanceau et al., Violences psychologiques
Dunod | « Psychothérapies »
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Catherine Schmider
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U N MOYEN CONCRET DE VIVRE AU QUOTIDIEN
SES INTENTIONS ÉDUCATIVES DE RESPECT
DE L’ ENFANT
La CNV nous offre des clés pour nous permettre de vivre concrètement
nos intentions éducatives. Elle apporte une compréhension de ce qui va
dans le sens de la vie, de l’épanouissement d’un être humain, et de ce
qui nuit à cet épanouissement, blesse, contracte. Pour l’aborder, j’aime
partir de notre propre expérience, car la CNV ne nous apprend rien que
nous ne sachions déjà au fond de nous.
Dans le domaine de l’éducation, nous avons toute la matière de notre
propre vécu d’enfant. Nous pouvons retrouver des situations où nous
avons senti que ce qui nous était offert dans la relation éducative allait
dans le sens de la vie, contribuait à notre épanouissement, à la confiance
en nous, en l’adulte, en la vie... et des situations où nous avons senti que
ce n’était pas bon pour nous, pour la vie en nous, et nous pouvons nous
poser quelques questions :
Qu’est-ce que la personne a fait ou dit ? Comment me suis-je senti
à ce moment-là ? Et qu’est-ce qu’il y avait d’important pour ma vie,
qui, dans les situations agréables, était pris en compte, nourri, et, dans
les situations désagréables, ne l’était pas ?
Dans la manière dont j’ai été écouté, qu’est-ce qui a été bon pour moi ?
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Qu’est-ce qui ne l’a pas été ? Et dans ce cas, qu’est-ce que j’aurais
aimé recevoir comme écoute de l’adulte ?
Dans la manière dont l’adulte a exprimé sa contrariété quand j’ai fait
quelque chose qui ne lui convenait pas, qu’est-ce qui a été bon pour
moi, qui m’a aidé à grandir en comprenant, et en prenant en compte
aussi ce que l’autre vit, et m’a aidé à développer ma responsabilité ?
Qu’est-ce qui n’a pas été bon pour moi, m’a blessé, a touché mon
intégrité, mon estime de moi, a eu pour conséquence que je me suis
refermé sur moi-même ou que je me suis rebellé, et comment aurais-je
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et aussi d’avoir les moyens concrets d’offrir cette qualité de relation que
nous aimerions recevoir : cette qualité d’écoute à laquelle nous aspirons,
cette possibilité d’exprimer notre contrariété d’une manière qui ne nuise
pas à l’intégrité de l’autre.
La CNV nous apporte un moyen de développer cette conscience et un
outil concret pour le vivre.
U NE COMPRÉHENSION DU FONCTIONNEMENT
DE L’ ÊTRE HUMAIN
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CNV en France.
La CNV propose une compréhension de l’être humain, fondée sur ce
qui sert ou dessert la vie en chacun de nous. Tout ce qui est vivant sur
cette terre, que ce soit les plantes, les animaux ou les êtres humains, a des
besoins fondamentaux liés à la vie. Ces besoins, déjà mis en évidence
par Maslow, comprennent des besoins physiologiques liés à la survie,
des besoins de sécurité, de relations aux autres, d’estime et de respect,
d’expression de soi, et des grandes aspirations, telles que l’harmonie,
la beauté et la paix. S’ils sont bien pris en compte, nous observons une
fleur pleinement épanouie, un chien au poil brillant, plein d’énergie et
affectueux, et un être humain en bonne santé, joyeux, bien dans la relation
aux autres, plein d’énergie et performant dans ce qu’il entreprend. S’ils
sont mal pris en compte, nous voilà avec une fleur bien mal en point, un
chien abattu ou agressif, et un être humain en souffrance, plus facilement
agressif avec les autres, et moins performant dans ce qu’il entreprend.
Dans cette approche, les sensations et émotions sont donc vues comme
les indicateurs de l’état de la vie en nous, tout comme, dans une voiture,
les voyants du tableau de bord nous indiquent l’état de fonctionnement
de notre véhicule : le bien-être est l’indicateur de nos besoins satisfaits,
et les sensations et émotions désagréables les indicateurs des besoins
à prendre en compte, tout comme le voyant d’essence signale, dans
la voiture, la nécessité de faire le plein de carburant. L’intensité d’une
émotion révèle l’importance du besoin touché par la situation et l’urgence
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d’en prendre soin, de la même manière que le voyant rouge des freins
nous alerte sur l’importance de nous en occuper.
Cette compréhension du lien entre émotions et besoins liés à la vie
permet de développer l’aisance avec nos propres émotions et avec les
émotions des autres, et de retrouver du pouvoir pour agir sur notre
bien-être. Car si mon émotion surgit effectivement au moment où il
se passe quelque chose à l’extérieur, l’événement n’en est pas la cause,
elle est le révélateur d’un besoin qui est à l’intérieur, et je vais pouvoir
agir, pour rétablir l’équilibre en moi, en faisant une action par moi-même
ou une demande à quelqu’un.
Si un collègue devait passer me chercher en voiture et qu’il m’annonce
qu’il est tellement en retard, qu’il vaut mieux que je parte à pied, je peux
le vivre mal, car j’avais prévu de faire des photocopies en arrivant, que je
ne vais pas avoir le temps et que ça perturbe mon organisation. Je peux
appeler un autre collègue pour voir s’il peut passer me prendre.
Un autre jour, je peux être plutôt joyeuse en entendant le même
désistement de mon collègue, car j’ai le temps, il fait beau et cela
me donne l’occasion de marcher, de prendre l’air et de me dépenser
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physiquement.
U N CHANGEMENT DE REGARD
Un autre élément important est la compréhension qu’à chaque instant,
nous cherchons à prendre soin de la vie en nous : tous nos compor-
tements, nos paroles, sont des stratégies au service de nos besoins
fondamentaux.
Nous pouvons avoir des stratégies respectueuses de la vie et des autres,
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juste une déception de ne pas être avec ses copains (besoin de partage,
de convivialité, de faire partie d’un groupe), ou même un plaisir de vivre,
lors du trajet en voiture, un moment privilégié avec un animateur (besoin
d’attention) ou de calme. Pour ce jeune, cette situation est venue toucher
un endroit très sensible : il a vécu des situations répétées d’abandon, et
au moment où il voit qu’il n’a pas de place dans le bus, cela touche en lui,
beaucoup plus largement, le besoin d’avoir une place dans la vie. Et, tout
comme lorsque l’on touche involontairement à une blessure physique,
la réaction part immédiatement, sans possibilité de la contrôler dans
l’instant.
Imaginons que l’animateur lui dise : « Tu vas rester là, on n’emmène
pas des gars comme toi à la piscine », et nous voyons comment la
punition risque d’entretenir le cycle de la souffrance et de la violence.
Cette compréhension qu’à chaque instant, chacun, quoi qu’il dise et
quoi qu’il fasse, tente de prendre soin de la vie en lui, change notre regard
sur les personnes et sur leurs comportements, y compris sur nous-mêmes.
La CNV, avant d’être un processus de communication à l’extérieur,
c’est d’abord un changement à l’intérieur, dans les pensées que nous
avons sur nous-mêmes et sur les autres.
Elle permet de transformer les jugements, de sortir du monde binaire
du bien et du mal, de « tu es gentil » ou « tu es méchant ».
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recevons, combien, quand quelqu’un partage son plaisir lié à quelque
chose que nous avons fait, cela nous fait du bien, nous donne de l’énergie,
vient nourrir l’estime de nous-mêmes et vient alimenter positivement la
relation. « Je vous remercie d’être tous restés jusqu’à la fin pour ranger
le matériel. C’était joyeux pour moi, de vivre cette sortie tous ensemble
du début à la fin, et j’apprécie d’avoir de l’aide en fin de journée quand
je suis fatigué. » Or nous le faisons rarement. Dans la relation éducative
en particulier, nous avons plutôt tendance à voir et à nommer ce qui ne
va pas, avec la meilleure intention du monde : mettre notre énergie vers
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savoir.
L’écoute empathique est vraiment une clé dans la relation éducative.
La manière dont nous répondons à un enfant ou à un jeune, crée tout de
suite de l’ouverture ou de la fermeture chez lui et donc dans la relation.
Elle a aussi un lien direct avec l’estime de soi : quand nous l’écoutons
vraiment dans ce qu’il vit, l’enfant fait l’expérience qu’il a de la valeur
à nos yeux, qu’il a le droit de ressentir ce qu’il ressent et d’être qui il
est. Il apprend aussi, petit à petit, à faire confiance à ce qu’il ressent, à se
connaître. Aider un jeune pour son orientation, cela ne commence pas en
classe de 3e en lui demandant quels sont ses goûts, cela commence tout
petit à travers l’écoute empathique qu’on lui offre.
Dans l’accompagnement empathique d’une personne qui vit une
situation désagréable, après lui avoir permis de clarifier le besoin
important qui est touché en elle, on l’accompagne pour trouver par
elle-même les actions qu’elle peut réaliser pour rétablir son équilibre.
« Qu’est-ce qui pourrait te rassurer, que tu puisses faire toi-même ou que
tu puisses demander à quelqu’un ? » ou éventuellement, un pas plus loin :
« J’ai une idée, est-ce que ça t’intéresse que je te la dise ? » J’apprécie
vraiment comment cette forme d’accompagnement est en cohérence
avec nos intentions, et permet à l’enfant de développer son autonomie,
sa responsabilité et la confiance en lui.
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« je ne trouve pas » avec ce ton de voix, ça m’énerve, parce que là je
suis stressée, et j’ai vraiment besoin d’aide, est-ce que tu peux fouiller
énergiquement dans le placard, ou venir me remplacer dans ce que je
fais, pour que je puisse chercher ? »
des demandes, nous avons besoin d’un temps, entre ce qui se passe et ce
que nous allons dire, un temps à l’intérieur de nous-mêmes, pour clarifier
où nous sommes touchés, et ce que nous pouvons demander.
Nous n’avons pas l’habitude de prendre le temps de cette étape
fondamentale ; c’est pourtant elle qui nous permet de passer de la
réaction, à l’action choisie, avec des paroles en cohérence avec nos
intentions.
C’est aussi l’auto-empathie qui nous permet de retrouver un équilibre
suffisant pour continuer à offrir une qualité d’écoute aux enfants et jeunes
que nous accompagnons. Les livres de Vilma Costetti pour les jeunes
enfants mettent en scène la CNV dans les relations au quotidien, et
permettent aux enfants et aux adultes qui leur lisent les histoires, de
découvrir ce mode de relation. J’aime particulièrement dans Émile et la
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recherche de solutions par les protagonistes eux-mêmes, permettant que
les besoins de chacun soient pris en compte.
Cette forme de résolution de conflit fonctionne aussi bien quand
l’adulte aide à résoudre des conflits entre enfants que dans la résolution
des conflits entre adultes et enfants.
C’est le passage d’un mode d’autorité où l’adulte est dans le pouvoir
« sur » l’enfant, où l’enfant agit par peur, à un mode d’autorité où l’adulte
vit une forme de pouvoir « avec » l’enfant, où l’enfant agit parce qu’il
voit du sens, et parce qu’il a, comme tous les êtres humains, le désir
de contribuer au bien-être des autres, quand ses propres besoins sont
aussi pris en considération. Ce changement n’est pas simple : par notre
histoire, nous craignons de perdre le contrôle. L’autorité pouvoir et le
système punitif sont des stratégies qui assurent notre sécurité en tant
qu’adulte, et qui nous permettent d’assurer notre mission éducative. Les
expériences, pas à pas, d’abord avec un enfant puis avec un groupe,
viennent rapidement nous montrer combien cette autre manière d’être
en relation est bien plus au service de la qualité relationnelle que nous
rêvons de vivre avec les enfants dont nous nous occupons.
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des besoins, et non seulement j’ai le droit de m’en occuper, mais en plus,
c’est en prenant soin de moi, de mes besoins, que j’offrirai la meilleure
qualité d’attention aux enfants dont je m’occupe, à partir de mon propre
équilibre.
Une autre dimension, qui va contribuer à vivre plus pleinement nos
intentions éducatives, est la qualité des relations au sein des équipes
éducatives. Comment être disponible auprès des jeunes, quand toute
notre énergie est consommée par l’ambiance difficile entre les adultes ?
Nos formations mettent l’accent sur le développement d’une qualité
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l’organisation, c’est prévenir beaucoup de conflits et de violences.
Les enseignants qui découvrent la CNV commencent par la mettre en
œuvre dans leur manière d’être dans la relation, puis interrogent leurs
pratiques pédagogiques. Comment mieux prendre en compte les besoins
humains dans la classe, pour favoriser le bien-être de chacun, prévenir la
violence et favoriser la disponibilité de chacun aux apprentissages ?
La compréhension des besoins humains qu’apporte la CNV, permet
d’interroger les modes de fonctionnement de nos structures, de repérer
la violence invisible faite quand les besoins humains ne sont pas pris en
compte. Ce sont ces besoins en souffrance qui sont à la source des vio-
lences visibles des adultes ou des jeunes. En les repérant, nous pouvons
agir collectivement dans les structures éducatives, pour développer de
plus en plus le bien-être de chacun.
Nous vivons une période de transition, inconfortable pour les adultes
qui ont des rôles éducatifs aujourd’hui. Nous avons vécu enfant, dans une
forme d’autorité-pouvoir, où nous obéissions à l’adulte sans beaucoup
de possibilité de discuter, et en quelques dizaines d’années, le mode
d’autorité a changé. Nous reproduisons ce que nous avons appris par
notre expérience, mais cette forme d’autorité ne fonctionne plus avec les
jeunes d’aujourd’hui : ils demandent à recevoir la même considération
que les adultes.
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